Quelle était la religion des 46 présidents américains ? - Reforme.net

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Quelle était la religion des 46 présidents américains ? - Reforme.net
Publié le 3 février 2021(Mise à jour le 3/02)
Par Louis Fraysse

Quelle était la religion des 46
présidents américains ?
Joe Biden, le nouveau locataire de la Maison Blanche, n’est que le deuxième
président catholique de l’histoire des États-Unis.

57 ans. C’est la période qu’il aura fallu attendre pour qu’un catholique soit de
nouveau élu à la Maison Blanche. Comme son prédécesseur John Fitzgerald
Kennedy, arrivé au pouvoir en 1961, Joe Biden est démocrate et d’ascendance
irlandaise. Les deux hommes sont les deux seuls catholiques à avoir occupé la
présidence – les catholiques comptent aujourd’hui pour près d’un cinquième de la
population américaine.

La Constitution américaine, rappelons-le, interdit tout test ou prérequis de nature
religieuse pour l’attribution d’une fonction publique. Reste que la quasi-totalité
des présidents des États-Unis étaient chrétiens. Pratiquement tous ont par
ailleurs prêté serment sur une bible lors de leur cérémonie d’investiture, ce qui
n’est pas non plus requis par la Constitution mais relève d’une coutume
remontant à George Washington lui-même, le tout premier président du pays.
Épiscopaliens et presbytériens
Si l’appartenance religieuse des présidents reflète celle de la société (en 2007, 78
% des Américains se définissait comme chrétiens, selon le Pew Research Center –
une proportion tombée à 65 % douze ans plus tard), elle le fait toutefois à travers
un miroir déformant. Parmi les 46 hommes qui se sont succédé à la Maison
Blanche, presque la moitié étaient ainsi épiscopaliens ou presbytériens.

Tant les presbytériens, qui s’inscrivent dans la tradition réformée, que les
épiscopaliens, de rite anglican, incarnent dans le pays un protestantisme dit
“mainline” (“historique”, “traditionnel”). On leur oppose habituellement les
nombreux courants du protestantisme évangélique. Plus populaire, plus
conservateur, ce dernier représente 25 à 30 % de la population, selon que l’on y
inclut ou non les Églises protestantes noires, en majorité baptistes. Les Églises
protestantes historiques, elles, rassemblent quelque 14 % des Américains.

Le cas de Jefferson et de Lincoln
Depuis l’après-Seconde Guerre mondiale, cependant, les présidents élus tendent à
mieux refléter la diversité religieuse du pays. Les États-Unis ont ainsi connu des
présidents épiscopaliens, bien sûr (Gerald Ford, George Bush senior),
presbytériens (Dwight Eisenhower, Ronald Reagan), baptistes (Jimmy Carter, Bill
Clinton), méthodiste (George W. Bush), quaker (Richard Nixon), calviniste
(Lyndon Johnson, membre des Disciples du Christ) ou encore catholiques, comme
on l’a vu. Quant à Barack Obama et Donald Trump, s’ils se définissent comme
chrétiens, ils ne s’inscrivent pas dans un courant particulier.

À travers l’histoire américaine, plusieurs autres présidents, et non des moindres,
n’avaient pas d’appartenance religieuse précise. C’est notamment le cas de
Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis et l’un des principaux
rédacteurs de la Constitution. Ayant pris ses distances avec le christianisme,
rapporte un article du Pew Research Center, ce père fondateur est notamment
connu pour avoir édité sa propre version du Nouveau Testament – expurgée des
miracles attribués à Jésus. En ce qui concerne l’emblématique Abraham Lincoln,
président lors de la guerre de Sécession (1861-1865), les historiens débattent
toujours de la nature de ses croyances religieuses.
Un Congrès représentatif ?
Quant à l’actuel Congrès des États-Unis, l’équivalent du Parlement français, sa
composition religieuse s’écarte à certains égards de celle de la population. 88 %
des sénateurs et représentants se revendiquent ainsi du christianisme, contre 65
% des Américains. Les protestants (55 %), les catholiques (30 %) et les juifs (6 %)
sont surreprésentés par rapport à leur poids dans la société – respectivement 43
%, 20 % et 2 %.

Deux groupes, à l’inverse, sont largement sous-représentés. Seuls 0,4 % des élus
à la Chambre des représentants et au Sénat sont pentecôtistes, alors que le
pentecôtisme réunit 5 % de la population. Mais c’est surtout vis-à-vis des
personnes “sans religion” que l’écart est le plus net. Alors qu’elles représentent
aujourd’hui un quart de la population américaine, leur proportion au Congrès ne
s’élève qu’à… 0,2 %.

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  États-Unis : l’assaut du Capitole, ultime legs de Donald Trump ?
Publié le 28 janvier 2021(Mise à jour le 28/01)
Par Noémie Taylor-Rosner

Josh Dickson, un évangélique à la
Maison Blanche
Cet ex-républicain très impliqué dans la campagne de Joe Biden est aujourd’hui
pressenti pour diriger le Bureau pour les partenariats avec les organisations
confessionnelles et de proximité à la Maison Blanche. Ce bureau qui fait le lien
entre la Maison Blanche et les communautés religieuses du pays pourrait jouer un
rôle clef dans la reconstruction d’une nation ultra-divisée.

Du haut de ses 36 ans, Josh Dickson est aussi discret que Paula White, la
conseillère spirituelle de Donald Trump, était exubérante. Encore peu connu des
médias, ce jeune évangélique à la barbe blonde et au sourire timide a pourtant
joué, en coulisse, un rôle de premier plan dans la campagne présidentielle de Joe
Biden. C’est à lui que le camp démocrate a confié la lourde tâche de tenter de
convaincre les leaders religieux et les croyants du pays de voter pour l’ancien
vice-président américain.

L’équipe de Joe Biden entendait notamment profiter de l’érosion du soutien d’un
certain nombre de chrétiens républicains à Trump pour conquérir une partie de
son électorat, de plus en plus mal à l’aise face au scandale des enfants migrants
séparés de leurs parents, aux innombrables frasques du président et à la montée
des tensions raciales. « Nous avons notamment vu un nombre grandissant
d’évangéliques descendre dans les rues, parler du mouvement Black Lives Matter
et lui apporter leur soutien », expliquait il y a quelques mois Josh Dickson au
Christian Post. Parmi eux, « se trouvaient des pasteurs très connus et des élus
issus de milieux évangéliques ».

Guerre pour le vote évangélique
Pendant des mois, les équipes de Donald Trump et de Joe Biden se sont livré une
guerre sans merci autour du vote évangélique, un électorat clef comptant un peu
plus de 90 millions de personnes, soit environ un quart de la population adulte
américaine.

Tandis que le milliardaire républicain tentait de discréditer la sincérité de
l’engagement religieux de son adversaire et multipliait les gestes à l’encontre des
évangéliques blancs (sa base électorale qui l’a soutenu à plus de 80 % en 2016),
Josh Dickson, lui, menait des réunions secrètes avec des leaders religieux de plus
en plus réfractaires à Trump, dont certains responsables de la très influente
National Association of Evangelicals. Cette association qui compte plus de 45 000
églises issues d’une quarantaine de dénominations différentes – libérales comme
conservatrices –, avait à plusieurs reprises critiqué en filigrane la politique
migratoire de Trump et appelé ses adhérents à se repentir de ne s’être pas
montrés assez généreux envers les migrants ou les personnes issues de minorités.

La stratégie déployée par Josh Dickson s’est révélée payante le 3 novembre. Des
sondages ont montré que le soutien des évangéliques blancs à Donald Trump
avait baissé par rapport à 2016, passant de 81 à 78 %. Un glissement certes léger
mais suffisant pour permettre à Joe Biden de s’imposer sur le fil dans certains
États clefs comme la Pennsylvanie, le Wisconsin ou encore la Géorgie. Dans ce
dernier État, où plus d’un électeur sur trois est un évangélique conservateur, le
démocrate a remporté 14 % du vote évangélique blanc, là où Hillary Clinton
n’était parvenue à séduire que 5 % d’entre eux en 2016.

Un ancien sympathisant de Bush
Le fait que Josh Dickson soit lui-même évangélique a indubitablement aidé à
convaincre certains de ses coreligionnaires de tourner le dos à Donald Trump.
Quant à son ralliement à Joe Biden, il est le fruit d’un long cheminement
personnel.

Josh Dickson, qui a grandi à Rochester dans la région de New York, au sein d’une
famille protestante très pieuse, n’aurait jamais pu imaginer qu’il exercerait un
jour des responsabilités au sein de l’équipe de campagne d’un candidat
démocrate. « Mon père, trois de ses frères, ses parents et ses grands-parents sont
tous passés par l’Institut biblique Moody (un établissement chrétien évangélique
basé à Chicago, NDLR) », racontait-il l’été dernier à l’agence Religion News
Service, quelques mois avant la présidentielle. Enfant, il fréquente aussi deux
églises évangéliques, l’American Baptist Church et la Free Methodist Church.

Fidèle aux idées du milieu conservateur dans lequel il a baigné, il vote George
W. Bush en 2004. Mais quelques années plus tard, son expérience d’enseignant
dans une banlieue pauvre du Sud-Ouest de Chicago va lui ouvrir de nouvelles
perspectives et changer sa vision du monde : « J’ai compris que les jeunes enfants
auxquels j’enseignais étaient bloqués dans leur apprentissage par des barrières
systémiques. Toutes ces inégalités m’ont poussé à repenser la compréhension que
j’avais de ma foi et tout particulièrement les enseignements de Jésus. »

Panser les plaies d’une Amérique ultra-
divisée
Au début des années 2010, il s’engage auprès des jeunes démocrates avant de
rejoindre la campagne de Joe Biden en 2020. Ses efforts pourraient être bientôt
récompensés : Josh Dickson est aujourd’hui pressenti pour prendre la tête du
Bureau pour les partenariats, qui fait le lien entre la Maison Blanche et les
communautés religieuses aux États-Unis. Alors que l’Amérique est plus divisée
que jamais après quatre années de présidence Trump, cette agence pourrait jouer
un rôle déterminant en aidant le pays et ses croyants à renouer le dialogue.
Dickson pourrait se révéler un excellent médiateur entre le monde évangélique
américain qu’il connaît bien et le camp démocrate qu’il côtoie depuis une dizaine
d’années maintenant.

Les obstacles s’annoncent toutefois nombreux : les démocrates entendent
notamment revenir sur l’amendement Hyde qui interdit au gouvernement fédéral
de financer des avortements. Joe Biden a aussi promis de faire adopter l’Equality
Act, une loi interdisant les discriminations liées au genre et à l’orientation
sexuelle, à laquelle s’opposent certains conservateurs qui estiment qu’elle porte
atteinte au respect des libertés religieuses. En revanche, Josh Dickson se dit
confiant : des terrains d’entente peuvent être trouvés entre croyants
conservateurs et libéraux sur des sujets comme la pauvreté, le racisme
systémique, les réfugiés ou encore la crise du coronavirus qui a fait plus de
400 000 morts aux États-Unis. Comme il aime à le répéter : « Les choses qui nous
rassemblent sont plus nombreuses que celles qui nous divisent. »

Noémie Taylor-Rosner, correspondance de Los Angeles

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Publié le 21 janvier 2021(Mise à jour le 2/02)
Par Philippe Malidor

États-Unis: les accents religieux de
la cérémonie d’investiture de Joe
Biden
Philippe Malidor, conseiller presbytéral, livre son regard sur l’investiture de Joe
Biden, le 20 janvier et rend compte d’une cérémonie quasi liturgique.

Regardée en direct sur CNN, l’investiture de Joseph Biden en tant que 46 e
président des États-Unis avait de quoi être émouvante. L’Amérique telle qu’on
l’aime, avec sa joie retrouvée, son métissage revendiqué (la vice-présidente
Kamala Harris a été la première femme noire et indienne à prêter serment), ses
grands sentiments, son optimisme, son exubérance (au moins, ils savent
chanter !). Et sa religion civile, très déconcertante dans une fédération pourtant
laïque. Citation de l’épître de Jacques (1, 5) pour invoquer la sagesse divine sur
les nouveaux élus et prestations de serments sur la Bible tandis que le nouveau
président, pour conclure une allocution en forme de prédication, propose un
temps de « prière silencieuse ». Temps que des commentateurs français ont
transformé en « minute de silence »… Enfin, la prière très énergique de ce
pasteur noir (bien que Biden soit catholique) a notamment rappelé que « de nos
ennemis nous ferons des amis ».
Comme un écho au rêve de Martin Luther
King
Un peu plus tôt, pour mettre fin à quatre années d’uncivil war (« guerre
incivique »), le Président avait déclaré : « Les désaccords ne sont pas un motif de
guerre totale ». Une façon de souligner qu’on a le droit d’avoir des avis différents
et que l’unité reste malgré tout possible autour de valeurs essentielles claires.
Jamais on n’avait entendu, en écho au rêve de Martin Luther King, la promesse de
combattre explicitement le suprémacisme blanc. « J’y mettrai toute mon âme », a
martelé Biden, citant Abraham Lincoln puis Saint-Augustin. À nos sociétés
relativistes, après quatre ans de fake news (« fausses informations »), il a rappelé
que la vérité se distingue clairement du mensonge, lequel sert la puissance et le
profit personnel.

Ce que El País a appelé « le voyage au bout de la nuit » s’arrête ici. Le chanteur
de country Garth Brooks a pris le micro et invité chacun à reprendre, y compris à
la maison, le fameux « Amazing Grace ». Que cet hymne ait été composé par un
trafiquant d’esclaves repenti n’est pas anodin. Les États-Unis s’éveillent comme
après une nuit trop alcoolisée. Il n’est pas déshonorant de le reconnaître, et de
retrouver une saine sobriété.

Publié le 19 janvier 2021(Mise à jour le 20/01)
Par Louis Fraysse
États-Unis : l’assaut du Capitole,
ultime legs de Donald Trump ?
Alors que Joe Biden s’apprête à succéder à Donald Trump, Réforme a proposé à
deux historiens de réfléchir au trumpisme et au tournant qu’a constitué l’assaut
du Capitole, le 6 janvier dernier.

Le 20 janvier 2021, le démocrate Joe Biden sera officiellement investi 46e
président des États-Unis d’Amérique. Donald Trump, le premier président de
l’histoire du pays à être visé par deux procédures de destitution, a annoncé qu’il
ne participerait pas à la cérémonie d’investiture de son successeur. Le
milliardaire refuse toujours de reconnaître sa défaite lors de l’élection de
novembre dernier, une élection entachée selon lui de fraudes massives – sans
qu’il en ait fourni la moindre preuve.

Chercheuse associée à l’université Paris-3 Sorbonne nouvelle, Maya Kandel est
une spécialiste reconnue de la politique étrangère américaine. Directeur d’études
à l’École des hautes études en sciences sociales, Romain Huret est l’un des
meilleurs connaisseurs du conservatisme américain.

Le 6 janvier dernier, une foule de manifestants proTrump ont pénétré de
force dans l’enceinte du Capitole, à Washington D. C., pour contester la
validation par le Congrès de l’élection de Joe Biden. Au-delà de la violence
de cet assaut, on est frappé par sa portée symbolique. Que nous dit cet
épisode de l’état du pays aujourd’hui ?

Maya Kandel : Ce qui s’est déroulé au Capitole le 6 janvier est à la fois logique
mais choquant, prévisible mais sidérant. Prévisible, car depuis plusieurs
décennies, le Parti républicain a entrepris un glissement vers la droite, dont la
présidence de Donald Trump marque l’aboutissement. Avec le milliardaire,
l’extrême droite est entrée à la Maison Blanche et, pour le dire schématiquement,
l’extrême droite n’aime pas rendre le pouvoir une fois qu’elle l’a acquis. Par
ailleurs, cela faisait des mois que les analystes mettaient en garde contre le
risque de violences de nature politique en cas de défaite du candidat républicain.
Cela étant dit, la prise du Capitole constitue un choc, elle est le signe qu’un
nouveau palier a été franchi. Cet événement sans précédent est une atteinte
directe aux institutions des États-Unis et au processus démocratique, dont la
transition ordonnée du pouvoir constitue une caractéristique fondamentale. Mitch
McConnell, le chef de la majorité républicaine au Sénat et allié fidèle de Trump,
ne s’y est pas trompé lorsqu’il a qualifié ces violences d’attaque « contre la
souveraineté du peuple qui légitime notre République ».

Romain Huret : Nous venons assurément d’assister à un moment extraordinaire,
dont on mesure mal encore les conséquences à long terme. Jamais on n’avait vu
un président appeler ouvertement à jouer ainsi avec les limites du légal et de
l’illégal, à remettre en cause de façon systématique la légitimité de l’exercice
démocratique. Quant à la dimension symbolique de cette occupation physique,
violente, de l’un des lieux fondateurs de la nation américaine, elle saute aux yeux.
Les militants qui sont entrés de force dans le Capitole ne l’ont pas fait par
hasard ; occuper ce lieu est une manière de signifier que les élus à Washington ne
sont pas les vrais dépositaires de la démocratie, cette dernière appartenant au
peuple américain, qui est prêt à la défendre les armes à la main si nécessaire.

Vous reliez l’attaque du Capitole à la “militarisation” de la société
américaine. Comment expliquer ce phénomène ?

R. H. : Les États-Unis ne se voient pas assez comme ce qu’ils sont, à savoir une
société en guerre. Depuis l’après-Seconde Guerre mondiale, le pays vit dans un
état de guerre permanent, largement accentué après le 11 septembre 2001. La
militarisation de la société est entretenue par le complexe militaro-industriel, qui
emploie des millions d’Américains, et plus encore par l’engagement de millions
d’hommes et de femmes dans des théâtres d’opérations militaires. Aujourd’hui, le
pays compte deux millions de soldats et quelque dix-huit millions d’anciens
combattants. Cela fait donc vingt millions de personnes, sans même parler de
leurs familles, qui ont connu l’expérience du feu, soit environ 9 % de la
population. C’est considérable. Or les guerres qu’ont menées les États-Unis, en
Irak ou en Afghanistan, ont été extrêmement violentes, et l’on sait les séquelles
physiques et psychologiques qu’elles laissent sur les militaires de retour du front.

Des militaires qui constituent des recrues de choix pour les milices
paramilitaires…

R. H. : Nombre de ces anciens combattants peinent à se réinsérer dans la vie
civile, à suivre les traitements médicaux qui s’imposent à eux étant donné leur
état de fragilité mentale – le suicide et la crise des opiacés ont fait des ravages
parmi eux. Comme l’a très bien montré l’historienne Kathleen Belew, un certain
nombre de ces ex-soldats ont trouvé dans les milices paramilitaires des espaces
de sociabilité, de camaraderie, un point de repère dans leurs vies. Longtemps à la
marge du mouvement conservateur, car considérées comme trop radicales, ces
milices ont bénéficié de l’accession au pouvoir de Donald Trump, qui leur a
accordé son soutien. La translation semble évidente entre cette poudrière sociale
qu’est la militarisation de la société et l’explosion ponctuelle de violences, à
l’image du 6 janvier. Dans notre société française pacifiée et sécularisée, on peine
à saisir l’influence de l’armée et de la religion sur la société américaine, deux
éléments pourtant structurels.

Comment cela ?

R. H. : La lecture religieuse du trumpisme (voir Réforme n° 3867 et sur
reforme.net) est fondamentale pour comprendre les motivations de ses acteurs. Il
en va de même pour sa lecture militaire. À plusieurs reprises dans son histoire, la
France a connu des moments où les anciens combattants étaient très nombreux
dans la société. Les historiens parlent à ce sujet de “brutalisation” du corps
social, soit la traduction, dans la vie civile, en temps de paix, de l’expérience de
guerre. On a alors des millions de personnes qui ont connu le feu et qui en
gardent des traces, jusque dans leur comportement ou leur vocabulaire. Ce que
peut enseigner la vieille Europe aux États-Unis, c’est que l’on n’engage pas autant
de soldats dans des conflits violents sans en subir à terme les effets dans
l’ensemble du corps social. L’un des grands enjeux de la présidence de Joe Biden
sera de réussir à réinsérer ces anciens combattants dans la vie civile.

  “Avec le recul que nous offre ce premier mandat, il s’avère que la
  présidence de Donald Trump incarne à merveille le concept de
  “tribalisme” en politique”

Vous avez utilisé le mot « trumpisme ». Comment définiriez-vous ce
mouvement ?

R. H. : Le trumpisme incarne selon moi la version la plus épurée, la plus radicale
et la plus violente du conservatisme américain. Ce dernier se caractérise par sa
profonde diversité : il y a ainsi des conservateurs sociaux, fiscaux ou encore
religieux. Donald Trump s’est emparé de chacune des facettes du conservatisme
et les a renvoyées à leur radicalité la plus extrême, et sa personnalité même lui a
permis de trouver un écho au sein d’une frange de la population qui lui est restée
particulièrement fidèle. Si l’on étudie dans le détail la parole du milliardaire, on
constate que chacun peut se reconnaître dans ses propos. En restant somme toute
assez vague sur le fond, mais en employant un langage direct, décomplexé,
Donald Trump a noué une relation fusionnelle avec ses partisans, qui se
retrouvent dans sa personne, même s’ils viennent d’horizons différents –
chrétiens évangéliques, ouvriers de la Rust belt [littéralement « Ceinture de la
rouille », région industrielle du nord-est des États-Unis en plein déclin, ndlr] ou
membres de milices suprémacistes par exemple.

M. K. : La grande force de Donald Trump est d’être parvenu à mobiliser des
millions d’Américains qui, auparavant, ne participaient pas à la vie politique. Ces
militants sont avant tout attachés à sa personne, et l’on peut se demander ce
qu’ils vont faire si le milliardaire disparaît du paysage politique – c’est sans doute
la préoccupation première de la majorité des élus républicains à l’heure actuelle.
Avec le recul que nous offre ce premier mandat, il s’avère que la présidence de
Donald Trump incarne à merveille le concept de “tribalisme” en politique. On doit
notamment cette notion à la politologue Liliana Mason qui démontre, dans l’un de
ses ouvrages, comment les identités partisanes, idéologiques, religieuses et
raciales des Américains se sont progressivement alignées, rendant les partis
républicain et démocrate de plus en plus homogènes. Pour Mason, cet
« alignement » identitaire a des conséquences politiques majeures. Quand la
politique devient une question identitaire, il est en effet de plus en plus difficile
d’établir le moindre compromis, et chaque électorat devient à la fois plus partial
et moins tolérant vis-à-vis du bord opposé.

Cette notion de tribalisme est particulièrement utile pour comprendre le soutien
indéfectible de dizaines de millions d’électeurs républicains à Donald Trump,
malgré les nombreux revirements de ce dernier : si l’affiliation à un parti est une
affaire d’identité, écrit Liliana Mason, alors les positions politiques concrètes
importent peu ; elles peuvent être modifiées au gré du positionnement du parti ou
de son leader. Le génie de Trump est donc d’être parvenu à s’adresser
directement aux différents groupes qui composent le Parti républicain en parlant
avant tout à leurs identités, et en saisissant cette angoisse de « perte de statut »
qui définit les motivations du vote populiste, comme l’a montré par exemple la
politiste Pippa Norris.
R. H. : Cette dimension identitaire est en effet essentielle pour comprendre le
trumpisme. À bien des égards, ce dernier s’inscrit dans la continuité du Tea Party,
ce grand mouvement populaire de protestation fiscale qui avait submergé le pays
en 2009. Mais là où le ciment du Tea Party était l’économie, le trumpisme repose
avant tout sur une obsession identitaire. La thématique de la défense de l’identité
blanche et chrétienne n’est pas chose nouvelle aux États-Unis, on peut penser à
l’émergence puis au retour du Ku Klux Klan, aux XIXe et XXe siècles. La
différence, c’est que Donald Trump et les idéologues qui l’entourent ont replacé
ce combat identitaire dans un contexte mondial, avec leur soutien apporté au
Brésil de Jair Bolsonaro et à la Hongrie de Viktor Orban.

M. K : Le trumpisme est aussi le produit direct de l’évolution du Parti républicain
depuis une quarantaine d’années. Dans les années 1980, Newt Gingrich, futur
président de la Chambre des représentants, met au point une stratégie pour
rendre aux républicains le contrôle du Congrès. Ces derniers, argue-t-il, doivent
tenir un discours “antisystème” et “anti-élites” décomplexé. Le trumpisme, on l’a
beaucoup souligné, est un populisme : il repose sur l’idée qu’il existe un “vrai”
peuple, qui a légitimement le droit de reprendre le pouvoir aux “élites” de
Washington. En refusant systématiquement de condamner les suprémacistes
blancs qui le soutiennent, Donald Trump a greffé à ce populisme une forte
composante ethnoculturelle, soit la défense de l’identité blanche et chrétienne
des États-Unis, menacée par la progression démographique des minorités et par
l’idéologie des progressistes (liberals, en anglais). J’ajouterais à cela une réelle
dimension antidémocratique, illustrée par les obstacles que doivent affronter
certains électeurs pour pouvoir voter dans certains États républicains – aucune
autre démocratie moderne n’impose des heures d’attente à ses citoyens qui
souhaitent exercer leur devoir civique.

R. H. : Parmi les manifestants qui ont participé à l’assaut du Capitole, il y a
pourtant la conviction profonde de participer à une action démocratique. Tout
comme le Tea Party, qui rejouait à sa façon un épisode emblématique de l’histoire
américaine, ces partisans de Trump ont le sentiment de défendre la démocratie
américaine originelle, une démocratie directe, transparente, dans laquelle le
peuple exerce le pouvoir. Aux côtés de la Bible, la Constitution est érigée en texte
sacré, louée pour sa simplicité et la liberté qu’elle accorde à l’individu. À cette
vision pure et largement fantasmée de l’exercice démocratique, on oppose les
élus, les lobbys et les agents de l’État fédéral, accusés d’avoir capturé, dénaturé
l’idéal des Pères fondateurs. De façon paradoxale, ces militants sont prêts à
désobéir aux lois de la démocratie actuelle pour promouvoir, y compris par la
force, leur propre vision de la démocratie.

Maya Kandel, vous écrivez dans un article paru dans la revue Le Grand
Continent qu’il faut « reconnaître à Trump d’avoir provoqué aux États-
Unis le plus large débat sur les objectifs, les moyens et la finalité de la
politique étrangère depuis des décennies ». Pouvez-vous préciser votre
pensée ?

M. K. : Barack Obama, le successeur de George W. Bush, président de la guerre
en Irak, avait annoncé que les États-Unis n’avaient plus les moyens d’être les
“gendarmes du monde” ; il avait aussi amorcé une réflexion sur la raison d’être de
l’exceptionnalisme américain. Le fait est qu’à l’époque, la politique étrangère
interventionniste du pays n’était déjà plus en phase avec les attentes d’une
majorité de la population.

Donald Trump, lui, a fait de la redéfinition du rapport au monde des États-Unis un
axe majeur de sa campagne de 2016. Qualifiée de “jacksonnienne”, en référence
au président Andrew Jackson (1767-1845), la “doctrine Trump” en matière
étrangère rejette par principe toute mission universelle : America First,
“l’Amérique d’abord”. Le milliardaire a su répondre aux inquiétudes de sa base
électorale, qui se considère comme perdante dans la mondialisation face à une
“élite” mondialisée, volontiers qualifiée d’anti-américaine. Le trumpisme a donc
consacré l’évolution idéologique du Parti républicain, dont l’opposition viscérale à
toute forme de multilatéralisme ou de gouvernance mondiale est allée croissant
depuis plusieurs décennies, la Constitution étant brandie comme seule source de
légitimité et de droit. Donald Trump a parachevé cette mutation, en retirant son
pays de l’Unesco et de la Commission des droits de l’homme de l’ONU et en
tenant un discours agressif à l’endroit des Européens, accusés d’être des
“profiteurs”.

Notons toutefois que tout au long du mandat de Trump, le Congrès, y compris les
élus républicains, a su faire barrage au président sur un certain nombre de
points, comme la défense de l’Otan, le maintien d’une position dure contre la
Russie et la préservation du budget de la diplomatie. Toute la question,
maintenant, est de savoir ce que le Parti républicain va faire de cet héritage du
trumpisme – au sujet des alliances ou vis-à-vis de la Chine, qui pourrait bien
devenir le nouvel adversaire idéologique par essence, dans une sorte de nouvelle
guerre froide.

  “Le trumpisme incarne selon moi la version la plus épurée, la plus
  radicale et la plus violente du conservatisme américain”

Quels sont les défis que va devoir affronter Joe Biden ?

M. K. : Ils sont immenses. En politique étrangère, il va s’agir pour
l’administration Biden de rétablir la confiance avec les alliés traditionnels des
États-Unis et de renforcer l’engagement diplomatique du pays. Mais je pense que
dans les mois à venir la politique étrangère va passer au second plan, car le
nouveau président va avant tout s’attacher à répondre aux difficultés intérieures,
en premier lieu la pandémie et la récession économique qu’elle a causée.

R. H. : Ne nous y trompons pas : les États-Unis traversent actuellement une crise
extrêmement grave. Tous les indicateurs sociaux sont au rouge dans le pays,
frappé de plein fouet par la pandémie et le fléau des opiacés, et l’on ne peut pas
exclure un risque d’effondrement généralisé, comme on a pu le voir par le passé
en URSS. Je pense que Joe Biden, qui a fait campagne sur l’empathie, la
compassion, aura à cœur de rétablir une vieille tradition américaine, celle de
l’État “compatissant” (Sympathetic State). Il s’agit là d’un État qui intervient au
moment des catastrophes, pour soutenir les plus fragiles, les plus démunis, en
investissant largement dans l’économie.

M. K. : Joe Biden devra également tenir compte de l’aile progressiste du Parti
démocrate, qui a déporté à gauche le centre de gravité du parti. Au Congrès, ces
élus, dont la figure emblématique est la jeune représentante de New York
Alexandria Ocasio-Cortez, n’hésitent plus à se revendiquer du « socialisme »,
terme autrefois anathème dans le pays. Outre leur souci de “justice raciale”,
manifeste dans leur soutien au mouvement Black Lives Matter, ils défendent une
politique étrangère et commerciale “pour les classes moyennes américaines”,
rejoignant en cela la doctrine trumpiste. Mais contrairement à cette dernière, ils
militent activement pour la prise en compte d’un défi jugé existentiel pour les
États-Unis et le monde : le changement climatique, que Trump avait balayé du
revers de la main. C’est une priorité absolue pour l’électorat démocrate.

R. H. : L’émergence de cette aile progressiste au sein du Parti démocrate
correspond tout simplement à l’évolution de la société américaine, caractérisée
par une grande diversité sociale, ethnique et culturelle. Là où l’administration
Trump renvoyait à une Amérique quelque peu idéalisée, celle, blanche, des
années 1950, l’administration Biden veut brandir un miroir à la société telle
qu’elle est aujourd’hui. Reste qu’il est très difficile, pour une partie de la
population, d’accepter cette évolution démographique, qui va faire à terme des
Blancs une minorité comme les autres aux États-Unis. C’est là quelque chose
d’insupportable pour une grande partie des électeurs de Donald Trump, qui
voient dans ces changements une menace existentielle.

Lors d’un grand entretien accordé à Réforme en janvier 2018, vous
reveniez, Maya Kandel, sur l’extrême “polarisation” de la vie politique
américaine. Trois ans plus tard, alors que Donald Trump va quitter le
pouvoir, s’est-elle résorbée ou au contraire accentuée ?

M. K. : Tout au long de sa présidence, Donald Trump s’est nourri et a alimenté
cette polarisation, en faisant uniquement la politique de ses électeurs, sans jamais
prétendre agir au nom de tous les Américains – ses adversaires étaient des losers
(“ratés”), des haters (“rageux”, “aigris”), etc. Au-delà de la violence de la parole
présidentielle, le problème majeur pour la démocratie américaine tient à
l’absence de bases communes entre les Américains ; une partie croissante d’entre
eux ne s’accordent désormais plus sur les faits, sur ce que constitue une
information fiable. Ces quatre années de mensonges, de manipulation de
l’information et d’attisement des divisions de la part de Donald Trump ont eu pour
résultat, pour reprendre une expression de mon confrère Corentin Sellin,
qu’aujourd’hui une partie des États-Unis a tout simplement « fait sécession avec
la réalité ».

R. H. : Les États-Unis sont aujourd’hui confrontés à un moment de défiance
généralisée d’une partie de la population contre toute forme d’autorité, qu’elle
soit politique, sociale ou scientifique. Or, toute société a besoin d’autorités, ne
serait-ce que, dans le cas actuel, pour surmonter la pandémie. On sait le rôle que
jouent certains accélérateurs, comme les réseaux sociaux, dans la propagation de
cette hostilité de principe aux discours d’autorité. L’un des défis majeurs de Joe
Biden sera de parvenir à reconstruire un centre dans la vie politique, sans quoi
les tensions au sein de la société vont continuer à croître et à saper encore
davantage la démocratie américaine.
M. K. : En alimentant la peur, en multipliant les mensonges, en usant d’un
vocabulaire martial, Donald Trump a contribué à radicaliser une partie de la
population, qui représente une frange importante de l’électorat républicain (un
quart, à un tiers). Je n’emploie pas ce terme de « radicalisation » par hasard, car
l’histoire nous enseigne, des guerres des Balkans aux attentats djihadistes, qu’il
est extrêmement difficile de déradicaliser les personnes radicalisées. L’héritage
de Trump, c’est aussi qu’une majorité de républicains considèrent le président
Biden comme illégitime. Ce dont témoigne le mandat de Donald Trump, et
l’assaut du Capitole en est l’emblème, c’est qu’à force de pulvériser les normes,
on finit par atteindre les institutions. La démocratie, rappelons-le, n’est pas
invulnérable.

Propos recueillis par Louis Fraysse

Aller plus loin

Les États-Unis et le monde. De George Washington à Donald Trump, Maya
Kandel, Perrin, 2018, 18 €.

“Le conservatisme national américain. La nouvelle droite américaine et le
monde“, Le Débat, 2020 (n° 208).

Le blog de Maya Kandel : froggybottomblog.com

“Climat, une guerre américaine”, un documentaire coécrit par Romain Huret
et Cédric Tourbe, sur france.tv jusqu’au 16 février 2021.
Publié le 19 janvier 2021(Mise à jour le 26/01)
Par Louis Fraysse

États-Unis : le président élu doit-il
obligatoirement prêter serment
sur la Bible ?
Les présidents élus américains ont pour coutume de prêter serment une main
posée sur une bible. Mais qu’en dit la Constitution ?

C’est un moment toujours solennel, empreint de gravité. Tous les quatre ans, le
20 janvier, lors de la cérémonie d’investiture, le président élu des États-Unis
prête serment en énonçant cette phrase tirée de la Constitution américaine,
article II, section une, alinéa 8 : “Je jure (ou je déclare) solennellement que je
remplirai fidèlement les fonctions de président des États-Unis et que, dans toute
la mesure de mes moyens, je sauvegarderai, protégerai et défendrai la
Constitution des États-Unis.”

Traditionnellement, le Juge en chef (Chief Justice) de la Cour suprême prononce
ce serment avant que le président élu ne le répète mot à mot, la main droite levée
et la gauche posée sur une bible. Toutefois, tout comme le “Help me God” (“Que
Dieu me vienne en aide”), prononcé en guise de conclusion par tous les présidents
depuis Chester A. Arthur en 1881, la Constitution n’impose en aucun cas de
prêter serment sur la Bible, ou sur tout autre texte d’ailleurs.

Défendre la Constitution
L’article VI, alinéa 3 de la Constitution l’indique noir sur blanc : “Les sénateurs et
représentants susmentionnés, les membres des diverses législatures des États et
tous les fonctionnaires exécutifs et judiciaires, tant des États-Unis que des divers
États, seront tenus par serment ou affirmation de défendre la présente
Constitution ; mais aucune profession de foi religieuse ne sera exigée comme
condition d’aptitude aux fonctions au charges publiques sous l’autorité des États-
Unis.”

Au XVIIIe siècle, au Royaume-Uni, tout futur titulaire d’une charge publique se
doit d’attester des doctrines religieuses de l’Église d’Angleterre et de prêter
allégeance au souverain. Une pratique contre laquelle vont s’élever les pères
fondateurs, soucieux de garantir la liberté religieuse dans la jeune république
américaine. Si la prestation de serment est maintenue, il ne s’agit plus de jurer de
“protéger et défendre” le roi ou la reine… mais la Constitution elle-même.

Une coutume bien ancrée
Prêter serment sur la Bible n’est donc pas un prérequis pour devenir président
des États-Unis. Lors de sa cérémonie d’investiture, le 4 mars 1825, John Quincy
Adams, le sixième président américain, utilisa ainsi un livre de droit
constitutionnel.

La religion chrétienne, cela étant dit, est constitutive de la formation des États-
Unis. Et lorsque son premier président, George Washington, prêta serment, le 30
avril 1789, il le fit sur une bible. La coutume, depuis, est restée ; Joe Biden n’y
dérogera pas. Le second président catholique de l’histoire du pays a annoncé qu’il
prêterait serment sur une bible familiale du XIXe siècle, la même qu’il avait
utilisée lors de son entrée au Sénat, il y a tout juste 48 ans.

À lire également :

  États-Unis : l’assaut du Capitole, ultime legs de Donald Trump ?
Publié le 14 janvier 2021(Mise à jour le 14/01)
Par Sophie Esposito

Film : “No Country for Old Men”,
course poursuite métaphorique
Cavale haletante et jubilatoire ou journal d’un shérif désabusé et philosophe ? No
Country for Old Men est une épopée macabre teintée d’humour à froid et une
puissante méditation sur la déshumanisation d’un monde.

Dans No Country for Old Men (Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme), sorti
en 2008, les frères Coen reviennent explorer la mythique frontière américano-
mexicaine de leurs débuts au cinéma en 1984. Ils adaptent le roman de Cormac
McCarthy : l’histoire d’un trafic de drogue qui tourne mal au Texas, en 1980.
C’est linéaire, sans musique, parfaitement rythmé, avec un sens du tempo qui
s’ajoute à la beauté de la photographie. Le fuyard, le tueur et le redresseur de
torts forment un trio de personnages masculins passionnant.

Mention spéciale pour Javier Bardem en psychopathe déglingué qui symbolise la
violence gratuite et sa toute-puissance terrifiante. L’action avance grâce aux
ruptures de ton (tristesse, ironie, mélancolie) et au mélange des genres : des
grands espaces contemplatifs du western à l’angoisse du film de survie, en
passant par le suspense du polar et l’errance du road-movie. C’est intense et
virtuose ! On y parle du temps qui passe et des choses qui changent. D’une
époque devenue implacable et cynique du point de vue d’un vieux shérif en plein
questionnement. Un homme de loi, honnête et droit, désemparé par la violence
des nouvelles formes de criminalité. Interrogeant notre liberté d’agir, le film est
une belle allégorie de la déchéance d’une société américaine fondée sur la
violence et la fausse providence du dollar…

Attention, contenu choquant pouvant heurter la sensibilité des personnes.

À voir
No Country for Old Men, Joël et Ethan Coen, diffusion jeudi 14 janvier à 21 h 05,
sur France 3, durée 1 h 40.

Publié le 8 janvier 2021(Mise à jour le 19/01)
Par Rédaction Réforme

Stanley Hauerwas : “Nous vivons
les derniers jours de la Réforme”
Dans cet entretien accordé à l’équipe de Réforme, le célèbre théologien américain
revient sur une année 2020 mouvementée
aux États-Unis et esquisse quelques pistes pour l’avenir.
Né en 1940 à Dallas, aux États-Unis, le méthodiste Stanley Hauerwas est l’un des
grands théologiens protestants contemporains. Auteur prolifique, il a notamment
consacré de nombreux travaux aux questions d’éthique. Peu de ses ouvrages ont
été traduits en français, comme Des étrangers dans la cité (Cerf, 2016) et
L’Amérique, Dieu et la guerre (Bayard culture, 2018). Dans cet entretien donné à
Réforme à la fin de l’année passée, il dresse un bilan sans concession des défis
auxquels son pays est confronté, et expose ce qu’être chrétien signifie aujourd’hui
dans un monde marqué par la pandémie.

Quel est votre regard sur la situation inédite qu’ont traversée les États-
Unis lors de la dernière élection présidentielle ?

Nous avons connu une crise constitutionnelle d’une extrême gravité. Comme
toute démocratie digne de ce nom, la démocratie américaine repose sur l’État de
droit, et l’État de droit a tant été malmené par Donald Trump que je crains qu’il
ne soit difficile de s’en remettre. Le rôle qu’ont joué les chrétiens, tout au long du
mandat de Trump, a été profondément ambigu. En le soutenant sans ambages, la
droite religieuse et plus particulièrement les évangéliques se sont discrédités, au
point que nous risquons d’assister je pense à la fin du témoignage évangélique
aux États-Unis. Le problème, avec les évangéliques américains, est qu’ils sont
américains avant d’être chrétiens, et on l’a vu de façon très nette dans leur
soutien sans faille au président. Dans les années 1990, ces mêmes évangéliques
tenaient un discours extrêmement critique à l’endroit de Bill Clinton, le président
d’alors. C’était d’ailleurs justifié à bien des égards. Pourquoi n’ont-ils pas
maintenu cette exigence avec Donald Trump ? Pourquoi ont-ils fermé les yeux sur
chacune de ses frasques ? Voilà ce dont je parle quand j’emploie le mot
« ambigu ».

Outre la pandémie et la campagne pour l’élection présidentielle, l’année
2020 a été marquée aux États-Unis par le mouvement Black Lives Matter
et ses revendications de justice sociale et “raciale”. Quelles relations les
Églises protestantes noires entretiennent-elles avec ce mouvement ?

Ces Églises, ou tout du moins certains de leurs pasteurs, ont été beaucoup
critiqués pour leur soutien à Black Lives Matter, car certaines manifestations ont
été entachées de violence. Mais c’est vraiment faire un mauvais procès aux
Églises noires, car on oublie souvent que ce sont elles qui ont rendu possible le
succès d’un Martin Luther King.
L’émergence de ce dernier, un pasteur baptiste, a été rendue possible par
l’expérience des Noirs-Américains, qui eux aussi ont vécu des générations durant
dans ce qu’ils ont assimilé au pays de Goshen [où les Hébreux ont habité lors de
leur exil en Égypte, ndlr]. Ces hommes et ces femmes sont parvenus à mettre au
point une méthode qui leur a permis de confronter une société oppressive à sa
propre violence. Cette méthode, c’est justement la non-violence : si les
compagnons de Martin Luther King se refusaient à employer la violence, c’est
parce qu’ils se considéraient avant tout comme des disciples du Christ.

Comment analysez-vous l’ampleur qu’a prise Black Lives Matter ?

J’ai toujours pensé que les questions liées à la couleur de peau constituaient le
défi moral fondamental de l’Amérique. Pouvons-nous, Américains, reconnaître que
nous sommes une nation esclavagiste, une nation bâtie sur un génocide, que nos
fautes sont si grandes qu’il n’y a rien que nous puissions faire pour les racheter ?
La seule solution, à mon avis, c’est confesser nos péchés et demander pardon, en
ayant conscience qu’il existe, au cœur même de l’ethos américain, des défis à
surmonter qui pourraient nous mener au bord de la rupture.

Il est trop facile de balayer Black Lives Matter d’un revers de main en affirmant
que « toutes les vies comptent », et pas seulement celles des Noirs. Je note
d’ailleurs que les manifestations pour la justice « raciale » ont réuni un nombre
significatif de Blancs, ce qui est une nouveauté. Si ce mouvement a émergé de
façon aussi visible, c’est qu’il en dit long sur la façon dont l’histoire est enseignée
aux États-Unis.

Comment cela ?

L’idée générale, dans notre pays, a toujours été de considérer que nous sommes
un exemple à suivre, une société où, mieux qu’ailleurs, peuvent s’épanouir des
individus libres et éclairés. Bien sûr, la France aussi s’enorgueillit d’être un pays
des Lumières, mais c’est encore plus le cas aux États-Unis : la majorité des
Américains imaginent que tous les autres peuples voudrait leur ressembler. Et si
cette idée est si solidement enracinée dans les mentalités, c’est qu’elle est portée
par le récit que fait l’Amérique de sa propre histoire. Et c’est avant tout un récit
de légitimation.

À ce sujet, vous avancez que si les États-Unis avaient su regarder en face
leur histoire, le pays ne se serait pas lancé dans la guerre d’Irak en 2003…
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