REVERS DE FORTUNE - Open ...
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
DE FORTUNE REVERS RAPPORT 2020 SUR LA PAUVRETÉ ET LA PROSPÉRITÉ PARTAGÉE REVERS DE FORTUNE
Vue d’ensemble Après un recul régulier de l’extrême pauvreté adaptées pour sortir de la crise et protéger dans le monde pendant près d’un quart de les plus vulnérables tout en favorisant une siècle, la lutte contre la pauvreté enregistre reprise durable. aujourd’hui sa pire régression. Le Rapport Le Rapport 2020 sur la pauvreté et la pros- 2020 sur la pauvreté et la prospérité partagée périté partagée analyse trois facteurs dont présente des données et des analyses nou- la conjonction alimente la crise actuelle et velles sur les causes et les conséquences de ce prolongera son impact à l’avenir : une pan- bond en arrière et recense les principes stra- démie (celle de COVID-19 et la récession tégiques que les pays peuvent adopter pour économique mondiale qui l’accompagne, y remédier. Le rapport présente de nouvelles qui inversent rapidement les tendances à estimations de l’impact de la pandémie de la réduction de la pauvreté), des conflits COVID-19 (coronavirus) sur la pauvreté et violents (dont les effets se sont progressi- le partage de la prospérité dans le monde. vement intensifiés ces dernières années) et Les nouvelles données tirées d’enquêtes le changement climatique (un risque qui auprès d’intervenants de première ligne et s’accroît lentement et pourrait faire basculer de simulations économiques montrent que des millions de personnes dans la pauvreté). les populations déjà pauvres et vulnérables Selon les estimations révisées présentées dans sont les premières victimes des suppressions le rapport, la pandémie pourrait faire bascu- d’emploi et du marasme causés par la pandé- ler près de 100 millions de personnes dans mie à travers le monde, qui modifie égale- l’extrême pauvreté en 2020. Les conflits armés ment en partie le profil de la pauvreté dans le aggravent également la pauvreté dans cer- monde en créant des millions de « nouveaux tains pays et régions. Au Moyen-Orient et en pauvres ». Les analyses inédites présentées Afrique du Nord, par exemple, les taux d’ex- dans le rapport montrent que les nouveaux trême pauvreté ont quasiment doublé entre pauvres sont plus urbanisés, mieux édu- 2015 et 2018, passant de 3,8 % à 7,2 % sous qués et moins susceptibles de travailler dans l’effet des conflits en Syrie et au Yémen. Le rap- le secteur agricole que ceux qui vivaient port présente de nouvelles études qui mettent dans l’extrême pauvreté avant la pandémie. en lumière l’appauvrissement persistant causé Ces résultats sont importants pour définir par les conflits et propose des mesures prio- des politiques visant à protéger la vie et les ritaires de prévention et d’atténuation. Selon moyens de subsistance. Le rapport examine les nouvelles études réalisées pour le rapport, certains éléments qui attestent déjà que la 132 millions de personnes pourraient bas- pandémie creuse les écarts de revenu, au culer dans la pauvreté d’ici à 2030 sous les risque de compromettre les chances d’une multiples effets du changement climatique. reprise et d’une croissance économiques Bien que les pires effets économiques et sans exclus. Il montre que certains pays sociaux restent encore à venir, dans certains mettent en place des mesures souples et cas la pauvreté est déjà étroitement liée à la 1
vulnérabilité aux risques climatiques tels que avançant par approximations successives et les inondations et les maladies à transmission en partageant les résultats obtenus. Si nous vectorielle. Les nouvelles études présentées agissons rapidement, ensemble et à l’échelle dans le rapport soulignent la convergence voulue pour faire face à une crise d’une telle de la pauvreté et des risques d’inondation, ampleur, nous pouvons enrayer la pandémie notamment en Afrique subsaharienne. et atténuer ses dégâts économiques, ce qui Outre son énorme coût en vies humaines, sauvera des vies et préservera les moyens la pandémie a provoqué une crise écono- de subsistance, créera les conditions néces- mique mondiale dont les effets continuent de saires pour une reprise durable et équitable, se propager tels une onde de choc qui menace et permettra de tirer des enseignements pour d’autres vies humaines. En l’absence d’une mieux gérer d’autres crises. riposte mondiale adéquate, les effets cumula- tifs de la pandémie et de ses retombées écono- miques, des conflits armés et du changement La réduction de la pauvreté climatique occasionneront d’énormes coûts marquait déjà le pas avant humains et économiques. Selon les estima- tions de la pauvreté réalisées pour ce rapport, la crise la crise actuelle aura des effets qui se feront La lutte contre la pauvreté a enregistré des pro- probablement sentir dans la plupart des pays grès sans précédent au cours des 25 dernières jusqu’à la fin de 2030. Dans ces conditions, il années, qui témoignent de l’efficacité d’une sera encore plus difficile qu’avant d’atteindre action collective déployée à l’échelle mondiale l’objectif consistant à faire tomber le taux (partie a de la figure O.1). Mais les menaces mondial de pauvreté, qui était déjà compro- qui pèsent aujourd’hui sur la réalisation mis avant la crise, en dessous de 3 % d’ici à des objectifs de réduction de la pauvreté 2030. Il sera également beaucoup plus diffi- sont apparues bien avant la pandémie de cile de promouvoir une prospérité partagée COVID-19. Ce rapport présente de nouvelles en accroissant le revenu des deux quintiles les données sur la pauvreté dans le monde qui plus pauvres de chaque pays. Selon les projec- révèlent que le recul continu de l’extrême tions actuelles, la prospérité sera nettement pauvreté amorcé dans les années 1990 s’est moins partagée dans pratiquement tous les poursuivi jusqu’en 2017, mais que les pro- pays en 2020–21 — du fait que la pandémie grès se sont ralentis. Entre 2015 et 2017, le aura des répercussions économiques dans nombre de personnes vivant sous le seuil toutes les catégories de revenu — et le sera international de pauvreté dans le monde est encore moins si ces effets sont ressentis de passé de 741 millions à 689 millions (partie b manière disproportionnée par les personnes de la figure O.1). Les chiffres de 2017 confir- dont le revenu était déjà relativement faible. ment toutefois un ralentissement du taux À long terme, vu la répartition inégale de de réduction de la pauvreté présenté dans le ses effets, la crise creusera probablement les rapport 2018 sur la pauvreté et la prospérité inégalités au sein des pays. Sans mesures pré- partagée. Au niveau mondial, l’extrême pau- ventives, cela pourrait entraîner des pertes vreté a reculé d’un point de pourcentage par de capital humain dans les groupes défavo- an en moyenne entre 1990 et 2015, mais elle risés qui permettront difficilement aux pays n’a cédé qu’à peine 0,6 point par an entre 2013 d’assurer une croissance solidaire. et 2015 (Banque mondiale 2018a). Entre 2015 Ce rapport est publié alors que la plupart et 2017, le taux a encore diminué, à un demi- des pays sont confrontés à des choix déci- point de pourcentage par an. Vu ce ralentisse- sifs. Pour effacer le revers de fortune qui ment, l’objectif de ramener le taux d’extrême frappe aujourd’hui les populations les plus pauvreté à moins de 3 % d’ici à 2030 était déjà pauvres, les pays et la communauté interna- compromis. tionale doivent prendre des mesures d’ur- En 2018, la Banque mondiale a défini gence. Le Rapport 2018 sur la pauvreté et quatre nouveaux indicateurs de pauvreté la prospérité partagée décrit les mesures pour prendre en compte l’évolution du dynamiques prises par certains pays, en profil de la pauvreté dans le monde. Le seuil 2 RAPPORT 2020 SUR LA PAUVRETÉ ET LA PROSPÉRITÉ PARTAGÉE
FIGURE O.1 Taux de pauvreté dans le monde et nombre de pauvres vivant avec moins de 1,90 dollar par jour, 1990–2017 a. Taux de pauvreté dans le monde b. Nombre de pauvres 40 2.500 35 2.000 30 25 Pourcentage 1.500 Millions 20 15 1.000 10 500 5 0 0 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008 2011 2014 2017 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008 2011 2014 2017 Source : PovcalNet (outil d’analyse en ligne), Banque mondiale, Washington, http://iresearch.worldbank.org/PovcalNet/. Note : La règle de la couverture globale est appliquée (voir l’annexe 1A au premier chapitre du présent rapport). de pauvreté a été relevé à 3,20 dollars et aux effets appauvrissants de la pandémie, 5,50 dollars par jour respectivement dans des conflits et du changement climatique. les pays à revenu intermédiaire de la tranche La création d’emplois grâce à une croissance inférieure et de la tranche supérieure. Le seuil solidaire et à des mesures de protection de pauvreté sociale, qui dépend du revenu du sociale en faveur de ces p opulations pour- pays, prend en compte l’accroissement des raient contribuer pour beaucoup à inverser besoins essentiels à satisfaire pour permettre la tendance à l’aggravation de la pauvreté à une personne de mener une vie digne à sous l’effet de la crise actuelle et permettre à mesure que son pays s’enrichit. L’indicateur d’autres personnes vulnérables d’échapper à de la pauvreté multidimensionnelle prend en l’extrême pauvreté. compte les lacunes dans trois indicateurs de Comment expliquer le ralentissement bien-être (pauvreté monétaire, accès à l’édu- du recul de la pauvreté dans le monde, qui cation et infrastructures essentielles), ce qui marquait déjà le pas avant la pandémie ? donne une meilleure idée du caractère com- Une raison est la concentration croissante plexe de la pauvreté. de l’extrême pauvreté en Afrique subsaha- Le rapport présente des données et des rienne, où la pauvreté recule plus lentement analyses nouvelles sur l’évolution de la pau- que dans d’autres régions. La figure O.2 vreté entre 2015 et 2017 par rapport à ces montre la proportion de personnes extrême- indicateurs. Les résultats peuvent expli- ment pauvres dans chaque région pendant la quer les effets appauvrissants de la crise période 1990–2018. Elle met en lumière des actuelle et mettre en lumière les mesures difficultés propres à l’Afrique subsaharienne, stratégiques à prendre. En Asie du Sud et mais aussi des problèmes qui existent ailleurs. en Afrique subsaharienne, la réduction de Dans la région Moyen-Orient et Afrique du la pauvreté par rapport aux seuils de 3,20 nord, le taux d’extrême pauvreté a augmenté dollars et 5,50 dollars a été encore plus lente récemment, passant de 2,3 % en 2013 à 3,8 % que par rapport au seuil d’extrême pauvreté, en 2015 ; il a ensuite presque doublé pour ce qui donne à penser que des millions de atteindre 7,2 % en 2018, hausse attribuable personnes dans ces régions étaient proches aux conflits en Syrie et dans la République du de l’extrême pauvreté avant la pandémie. Les Yémen (Corral et al. 2020). personnes qui sortent à peine de l’extrême La possibilité de suivre l’évolution de pauvreté peuvent facilement y retomber ; la pauvreté dans le monde dépend des elles sont donc particulièrement vulnérables données recueillies auprès des ménages Vue d’ensemble 3
FIGURE O.2 Évolution du taux d’extrême pauvreté par région, nationales à investir moins dans les enquêtes 1990–2018 et autres méthodes de collecte de données. Dans une situation de crise, il est encore 70 plus important de disposer de données fiables sur la pauvreté pour aider à prendre 60 des mesures de riposte et de relèvement qui 50 n’excluent pas les groupes vulnérables. Pourcentage 40 Des progrès ont été 30 enregistrés entre 2012 et 2017 en ce qui concerne la 20 prospérité partagée, mais 10 ils ont été inégaux et plus lents que pendant la période 0 1990 1994 1998 2002 2006 2010 2014 2018 précédente Asie de l’Est et Pacifique Europe et Asie centrale L’un des deux principaux objectifs de la Amérique latine et Caraïbes Moyen-Orient et Afrique du Nord Banque mondiale est de faire en sorte que Asie du Sud Afrique subsaharienne les groupes relativement pauvres dans toutes Reste du monde les sociétés contribuent aux progrès éco- nomiques et en bénéficient. Cette analyse Source : PovcalNet (outil d’analyse en ligne), Banque mondiale, Washington, http://iresearch.worldbank utilise la prospérité partagée comme critère .org/PovcalNet/. Note : Les estimations de la pauvreté en Asie du Sud ne sont pas présentées pour la période 1997–2001 de progrès dans ce domaine. La prospérité et après 2014 en raison de la couverture insuffisante de la population (voir l’encadré 1.2 sur l’Inde et partagée met l’accent sur les 40 % les plus l’annexe 1A au premier chapitre du présent rapport). pauvres de la population. Elle est définie par le taux de croissance annuelle du revenu ou de la consommation moyens par habitant. La par les autorités nationales. Le nombre prime de prospérité partagée, qui est la dif- d’enquêtes auprès des ménages a augmenté férence entre les taux de croissance des 40 % depuis la première édition de ce rapport les plus pauvres et la moyenne globale, est (Banque mondiale 2016). On note en par- également calculée. Un haut degré de pros- ticulier une amélioration du nombre et de périté partagée est un important indicateur la portée des enquêtes réalisées en Afrique d’inclusion et de bien-être dans un pays. subsaharienne, avec notamment une nou- Ce rapport présente des données nou- velle enquête au Nigéria. Mais le manque velles sur la prospérité partagée et la prime de données récentes en Inde limite forte- de prospérité partagée dans 91 économies ment la possibilité de suivre l’évolution de entre 2012 et 2017. La plupart de ces pays la pauvreté dans le monde (voir l’encadré affichent une croissance sans exclus : 74 ont 1.2 au chapitre 1 du présent rapport). La fait état d’une prospérité partagée positive, dernière année pour laquelle on dispose et 53 d’une prime de prospérité partagée de données sur la pauvreté dans le monde positive, ce qui reflète une réduction des remonte à 2017, et la série publiée sur l’Asie inégalités dans la plupart des économies. du Sud a été interrompue en 2014, alors que Les résultats sont particulièrement encoura- pour d’autres régions la dernière publica- geants dans certaines régions. Dans la région tion date de 2018. Les données sur les pays Asie de l’Est et Pacifique et en Asie du Sud, en situation de fragilité ou de conflit sont la prospérité partagée était positive pour également très limitées, ce qui a une forte tous les pays où elle pouvait être mesurée. Ce incidence sur les estimations concernant la résultat encourageant donne à penser que les région Moyen-Orient et Afrique du Nord. éléments les plus pauvres de la société dans Pour bien évaluer la pauvreté, il est essentiel ces régions ont participé au progrès écono- que la crise actuelle n’incite pas les autorités mique de leur pays. Les données tirées de 4 RAPPORT 2020 SUR LA PAUVRETÉ ET LA PROSPÉRITÉ PARTAGÉE
l’échantillon actuel de 91 pays montrent qu’il de développement de la Banque mondiale existe une corrélation entre une prospérité avaient également une prime de prospérité partagée positive et la réduction de la pau- partagée négative pendant la période. vreté, et qu’une prime de prospérité parta- Même avant la pandémie de COVID-19 et gée positive est associée à une réduction des la crise économique qui en a découlé, la pros- inégalités. périté partagée a évolué à des rythmes diffé- Les progrès réalisés sur le plan de la pros- rents selon les pays et les régions. Une nou- périté partagée varient cependant selon les velle étude réalisée pour ce rapport compare catégories de revenu des pays et les régions. les indicateurs de prospérité partagée dans Globalement, l’indice moyen de prospé- 68 économies pendant la période 2012–17 et rité partagée est de 2,3 % pour la période pendant une période antérieure (2010–15). 2012–17, mais ce chiffre masque d’impor- Sur les deux périodes, le niveau de prospé- tants écarts. Les pays à revenu intermédiaire rité partagée était plus élevé dans environ la de la tranche supérieure affichent une pros- moitié des pays et moins élevé dans l’autre périté partagée de 2,9 % en moyenne, suivis moitié. Bien que le niveau moyen de prospé- par les pays à revenu élevé (2,7 %), les pays à rité partagée ait augmenté, on note des écarts revenu intermédiaire de la tranche inférieure importants entre régions. En moyenne, le (1,8 %) et les pays à faible revenu (0,2 %). Les niveau de prospérité partagée était plus élevé pays en situation de fragilité, de conflit ou de pendant la période plus récente (2,3 %) que violence (pays FCV) ont quant à eux obtenu pendant la période antérieure (1,8 %), mais les pires résultats. Les quelques pays de ce cet accroissement est concentré dans trois groupe où la prospérité partagée peut être régions seulement : Asie de l’Est et Pacifique, évaluée ont enregistré une baisse moyenne Europe et Asie centrale, et reste du monde de 0,8 % du revenu (ou de la consommation) (essentiellement les pays à revenu élevé non des ménages des deux quintiles inférieurs de situés dans les six régions en développement la population. Pour l’ensemble des régions, le définies par la Banque mondiale). Le niveau niveau moyen de prospérité varie de 4,9 % supérieur de prospérité partagée se maintient et 3,5 % dans les régions Asie de l’Est et au fil du temps : la plupart des pays affichant Pacifique et Europe et Asie centrale, respec- une prospérité partagée pendant la période tivement, à 0,7 % en Afrique subsaharienne antérieure étaient les mêmes pendant la et 0,5 % au Moyen-Orient et en Afrique période plus récente. du Nord. Les moyens d’évaluation de la prospérité La prime de prospérité partagée se carac- partagée se sont améliorés, mais il subsiste térise par une grande hétérogénéité. La des lacunes importantes dans la couver- moyenne simple de la prime dans 91 pays ture des données. Les 91 pays pour lesquels est de 0,3 point de pourcentage pendant la l’analyse a permis de calculer la prospérité période, ce qui signifie que la consomma- partagée entre 2012 et 2017 ne représentent tion ou le revenu des 40 % les plus pauvres que 59,9 % de la population mondiale. Ce de la population a augmenté en moyenne chiffre reflète cependant un net progrès par de 0,3 point de pourcentage plus vite que rapport aux premières estimations de cet la moyenne. Mais les moyennes régionales indicateur, en 2014, lorsque les données varient de 1,0 point de pourcentage dans les nécessaires n’étaient disponibles que dans régions Asie de l’Est et Pacifique et Amérique 65 pays. latine et Caraïbes à des valeurs négatives Cependant, avec des données limitées, la dans trois autres régions : Moyen-Orient et prospérité partagée est plus difficile à éva- Afrique du Nord (−0,4 point), Asie du Sud luer dans les pays où il est précisément plus (−0,5 point) et Afrique subsaharienne (−0,6 important de l’évaluer, qui sont souvent des point). Deux des trois pays FCV de l’échan- petits pays pauvres et fragiles. La prospérité tillon affichent une prospérité partagée partagée ne peut être évaluée que dans un négative et une prime de prospérité parta- quart environ des pays à faible revenu, qui gée négative. Plus de la moitié des pays rece- représentent 37,7 % de la population dans vant une aide de l’Association internationale cette catégorie de revenu. Vue d’ensemble 5
La pandémie de COVID-19, d’estimer l’ampleur et la durée p otentielle de les conflits et le changement ces effets. La pauvreté, mesurée par le seuil international de pauvreté, devrait augmenter climatique ont, pour la en 2020 pour la première fois depuis 1998. première fois en l’espace Selon les prévisions économiques, la pan- d’une génération, annulé démie infligera une contraction mondiale les progrès réalisés dans du produit intérieur brut (PIB) par habitant l’élimination de la pauvreté comprise entre 5 % (scénario de référence) et 8 % (scénario pessimiste) en 2020. Les esti- La pandémie de COVID-19 et ses ravages mations de la pauvreté réalisées pour le rap- économiques, aggravés par les effets des port indiquent que, dans le scénario de réfé- conflits armés et du changement climatique, rence, la pauvreté augmenterait de 1,2 point ont réduit à néant les progrès accomplis à de pourcentage en 2020 et de 1,4 point en grand prix dans la réduction de la pauvreté 2021, tandis que dans le scénario pessimiste, et le partage de la prospérité. Les nouveaux elle augmenterait de 1,5 point en 2020 et de résultats présentés dans ce rapport précisent 1,9 point en 2021 (figure O.3). Selon ces deux les effets à court terme et montrent que les scénarios, le taux de pauvreté dans le monde répercussions négatives sur la pauvreté et les se situerait entre 9,1 % et 9,4 % en 2020 et inégalités pourraient se prolonger et s’inten- entre 8,9 % et 9,4 % en 2021. Ces nouveaux sifier à moyen terme. résultats indiquent que, en 2020, quelque Aujourd’hui, la pandémie et la crise éco- 88 millions de personnes dans le monde bas- nomique ont déjà réduit à néant les progrès culeront dans la pauvreté dans le scénario accomplis dans la lutte contre la pauvreté dans de référence et jusqu’à 115 millions de per- le monde, mettant un terme à plus de deux sonnes dans le scénario pessimiste. Les taux décennies de progrès continu. La nouvelle de pauvreté prévus pour 2020 sont similaires analyse effectuée pour ce rapport a permis à ceux enregistrés en 2017 ; la pandémie devrait donc entraîner un bon en arrière d’au moins trois ans dans la lutte contre l’extrême FIGURE O.3 Estimation du taux de pauvreté dans le monde, sur la base pauvreté. d’un seuil de pauvreté de 1,90 dollar par jour, 2015–21 Selon ces estimations, l’Asie du Sud sera la région la plus durement touchée, avec 10,0 49 millions de personnes supplémentaires 9,4 (près de 57 millions dans le scénario pessi- 9,5 miste) acculées à la misère. L’Afrique sub- 9,4 9,2 saharienne serait la deuxième région la plus 9,0 8,9 touchée, avec 26 à 40 millions de personnes Pourcentage 9,1 supplémentaires. À l’échelle mondiale, les pays 8,5 à revenu intermédiaire abriteront 72 millions 8,4 7,9 des nouveaux pauvres prévus dans le scénario 8,0 de référence— soit plus des quatre cinquièmes du nombre total de nouveaux pauvres. L’impact 7,5 7,5 de la pandémie sur la pauvreté sera beaucoup plus prononcé (figure O.4) si on applique les 7,0 seuils de pauvreté régionaux beaucoup plus 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 élevés pour les pays à revenu intermédiaire de Scénario pessimiste Scénario de référence Scénario avant la pandémie la tranche inférieure (3,20 dollars par jour) et les pays à revenu intermédiaire de la tranche Source : Estimations actualisées de Lakner et al. (2020), PovcalNet (outil d’analyse en ligne), Banque mondiale, Washington, http://iresearch.worldbank.org/PovcalNet/, et Perspectives économiques supérieure (5,50 dollars par jour). mondiales. Les prévisions concernant les réper- Note : Trois scénarios de croissance sont envisagés : 1) le scénario d’avant la pandémie, qui utilise les cussions économiques de la pandémie de taux de croissance prévus en janvier 2020 dans le rapport Perspectives économiques mondiales ; et 2) le scénario pessimiste après la pandémie et 3) le scénario de référence après la pandémie, qui prévoient COVID-19 nous permettent d’évaluer les une contraction de la croissance mondiale de 8 % et 5% respectivement pour 2020. effets de la pandémie sur les taux de pauvreté 6 RAPPORT 2020 SUR LA PAUVRETÉ ET LA PROSPÉRITÉ PARTAGÉE
FIGURE O.4 Nombre de nouveaux pauvres, sur la base d’un seuil de pauvreté de 1,90 dollar par jour en 2020, dans le scénario de référence et le scénario pessimiste 2,8 3,6 a. Scénario de 5,3 49,3 26,2 référence b. Scénario 9,0 4,8 3,4 56,5 40,0 pessimiste 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 110 120 Millions Asie de l’Est et Pacifique Europe et Asie centrale Amérique latine et Caraïbes Moyen-Orient et Afrique du Nord Asie du Sud Afrique subsaharienne Reste du monde Source : Estimations actualisées de Lakner et al. (2020), PovcalNet (outil d’analyse en ligne), Banque mondiale, Washington, http://iresearch.worldbank.org/PovcalNet/; Banque mondiale 2020a, 2020b. jusqu’en 2030, échéance fixée pour la réalisa- massive, rapide et soutenue qui permette tion du double objectif de la Banque mondiale d’amorcer une croissance sans exclus dans et des objectifs de développement durable. les pays où l’extrême pauvreté est loin d’avoir Même en supposant que la croissance retrou- disparu. vera ses niveaux historiques après 2021 — à savoir un taux de croissance annuel par habi- Des études de terrain confirment tant entre 2021 et 2030 qui correspond au que la pandémie de COVID-19 a taux moyen entre 2008 et 2018 pour chaque rapidement causé d’importantes pays — les effets appauvrissants de la pandé- pertes d’emplois et de revenu mie seront significatifs. Dans le scénario de référence, 6,7 % de la population mondiale Les fréquents sondages téléphoniques réali- vivront en dessous du seuil de pauvreté inter- sés par la Banque mondiale dans divers pays national en 2030, alors que l’objectif est de donnent une idée concrète et en temps réel 3 %. Dans le scénario pessimiste, le taux de des effets de la pandémie à mesure qu’elle pauvreté extrême atteindra 7 % en 2030. évolue. Les données préliminaires font état Compte tenu de ces nouvelles prévisions, de pertes massives d’emplois et de revenu le rapport confirme que l’objectif visé à l’ho- dans de nombreux pays, du moins à court rizon 2030 ne sera probablement pas atteint, terme. La plupart des pays accusent une dans un scénario comme dans l’autre. Pour baisse des revenus du travail d’une ampleur atteindre cet objectif, il faudrait que tous les jusqu’ici rarement observée (Hill et Narayan pays affichent un taux de croissance de 8,0 % 2020). Ainsi, 42 % des Nigérians interro- (scénario de référence) ou 8,5 % (scénario gés qui travaillaient avant la pandémie ont pessimiste) par habitant, soit environ cinq déclaré en mai 2020 qu’ils avaient perdu leur fois plus que les taux historiques en Afrique emploi à cause de la pandémie, et près de subsaharienne. Ces scénarios qui décrivent 80 % ont fait état d’une baisse de leurs reve- les conséquences futures de la pandémie sont nus depuis la mi-mars (Siwatu et al. 2020). très incertains du fait que la pandémie conti- En Éthiopie, 13 % des personnes interro- nue d’évoluer, mais ils montrent qu’il sera gées entre le 2 avril et le 13 mai ont indiqué difficile d’éliminer l’extrême pauvreté d’ici à qu’elles avaient perdu leur emploi (dont 19 % 2030. Il faudra pour cela mener une action en milieu urbain) et 55 % avaient enregistré Vue d’ensemble 7
une baisse de revenu de leur ménage (Wieser sociale (par exemple, le bâtiment, l’industrie et al. 2020). Les baisses de revenu ont manufacturière à fort coefficient de main- rapidement entraîné une réduction de la d’œuvre et les petits commerces de détail), ce consommation. Dans sept pays d’Amérique qui accroît leur risque d’exposition au coro- latine et des Caraïbes, au moins 40 % des navirus, avec ses conséquences sanitaires et personnes interrogées ont indiqué avoir économiques. Les pauvres peuvent égale- manqué de nourriture pendant le confine- ment être plus durement touchés parce qu’ils ment (Hill et Narayan 2020). Certains pays sont moins en mesure de recourir à des ont lancé d’ambitieux programmes d’aide. mécanismes d’adaptation comme l’épargne Le Pérou a approuvé un programme ini- pour couvrir leurs besoins essentiels tial de 0,3 milliard de sols (0,5 % du PIB) lorsqu’ils ne travaillent pas. Dans les pays en pour faire face à l’urgence sanitaire et envi- développement, les systèmes de protection ron 0,7 milliard de sols (1,1 % du PIB) de sociale peuvent être insuffisants pour faire transferts directs aux ménages vulnérables face à cet effet différencié de la pandémie. pendant la période de confinement national. Face à la vulnérabilité disproportionnée À la fin du mois de juillet 2020, le gouverne- des populations pauvres et marginalisées, il ment a annoncé un transfert monétaire sup- est encore plus important d’enrayer la pro- plémentaire d’environ 6,4 milliards de sols pagation du virus. Les approches efficaces ont aux ménages vulnérables (0,9 % du PIB)1. fait appel aux compétences et au dévouement des membres de la communauté. À Mumbai, Ceux qui souffrent le plus de la en Inde, les autorités locales sont parvenues à crise sont les personnes déjà enrayer la propagation rapide du coronavirus à Dharavi, l’un des principaux établissements pauvres et vulnérables urbains de la ville, en mobilisant les membres La pandémie a des répercussions sanitaires de la communauté et le personnel des centres et économiques sur les habitants de pratique- médicaux privés pour une vaste campagne ment tous les pays, quel que soit leur niveau de dépistage des personnes ayant de la fièvre de revenu. ou un faible niveau d’oxygène. En l’espace de De nouvelles données montrent cepen- trois mois, dès juillet 2020, le nombre de cas dant que les personnes déjà pauvres ou vul- signalés avait diminué de 80 % par rapport au nérables sont les plus durement touchées. pic enregistré en mai. Pour aider les familles Il s’agit notamment des personnes qui ont pauvres pendant le confinement, des fonda- un faible niveau d’instruction et peu d’actifs tions, des organisations non gouvernemen- et qui occupent un emploi précaire ou peu tales et des bénévoles ont fourni des rations qualifié. alimentaires à des milliers de ménages. Le Pourquoi les pauvres sont-ils plus mena- succès de Dharavi tient à un ensemble de cés ? Une raison est que leur activité peut facteurs : « des solutions adaptées, la mobi- être plus facilement perturbée ou éliminée lisation de la collectivité et la persévérance » en cas de récession. Par exemple, les pauvres (Masih 2020). et les personnes ayant un faible niveau d’ins- Dans certains pays, les femmes peuvent truction et de qualification ont moins de être plus exposées au coronavirus parce possibilités de travail à distance. Les entre- qu’elles sont plus nombreuses que les prises telles que les restaurants, les hôtels et hommes à dispenser des soins de santé les bars, ainsi que le secteur du commerce de première ligne et à s’occuper des autres de gros et de détail, qui emploient généra- membres de leur ménage. Elles sont égale- lement une main-d’œuvre moins instruite, ment exposées à des risques sanitaires par- peuvent rarement proposer des options de ticuliers dans le contexte de la pandémie, télétravail. En Éthiopie, ces secteurs accu- car les rigoureuses mesures de confinement saient les plus importantes pertes d’emplois peuvent entraîner une aggravation de la au mois de mai 2020 (Wieser et al. 2020). violence domestique à l’égard des femmes Les travailleurs pauvres sont également plus et des enfants (Galea, Merchant et Lurie susceptibles de travailler dans des secteurs 2020 ; ONU-Femmes 2020). Dans certaines moins compatibles avec la distanciation situations, les responsabilités ménagères des 8 RAPPORT 2020 SUR LA PAUVRETÉ ET LA PROSPÉRITÉ PARTAGÉE
femmes peuvent les obliger à réduire leurs parmi les plus vulnérables et d’affaiblir la activités rémunérées ou à arrêter de travailler résistance aux chocs futurs (Hill et Narayan (Hill et Narayan 2020). 2020). L’augmentation des inégalités pour- rait être alimentée par des facteur tels que la Sans action décisive, la destruction de nombreuses microentreprises pandémie de COVID-19 ralentira et petites entreprises, les effets potentiellement la croissance solidaire et durables du chômage sur les carrières et les possibilités de revenu des travailleurs jeunes creusera les inégalités et peu qualifiés, et d’importantes pertes de Selon les prévisions établies pour ce rapport, capital humain dans les ménages défavorisés, la récession mondiale se traduira par un en partie à cause des stratégies d’adaptation ralentissement général de la croissance dans qu’ils doivent adopter. L’une des stratégies les années à venir dans les 91 économies potentiellement les plus destructrices consiste (sauf 13) pour lesquelles des données sont à réduire la consommation alimentaire. disponibles. En réduisant la croissance des Selon des sondages téléphoniques sur la revenus moyens, la pandémie a déjà forte- COVID-19, cette stratégie est largement utili- ment érodé la prospérité partagée. Les pré- sée. Au Nigéria, par exemple, plus de la moitié visions pour la période 2019–21 montrent des ménages ont indiqué qu’ils avaient réduit que la plupart des pays continueront d’enre- leur consommation alimentaire (Siwatu et al. gistrer un net recul de la prospérité partagée 2020). Selon sa durée et sa sévérité, la dimi- pendant cette période. La prospérité parta- nution de l’apport alimentaire peut avoir un gée moyenne était de 2,3 % en 2012–17 ; la lourd impact sur la santé et le développement moyenne pour la période 2019–21 tombera cognitif des enfants, ainsi que sur leur accu- à 0 % si la prospérité partagée est égale à mulation future de capital humain, mais aussi la croissance moyenne (en supposant une sur la santé et la productivité des adultes. prime de prospérité partagée nulle dans tous Les premières données tirées des sondages les pays), et encore en dessous si les éléments téléphoniques suggèrent que les pertes de pauvres de la population sont plus lourde- capital humain dues aux fermetures d’écoles ment touchés par la crise. En frappant tout toucheront plus particulièrement les enfants particulièrement les pauvres, la crise écono- des ménages ruraux pauvres, notamment mique causée par la pandémie se traduira parce qu’ils n’ont souvent pas accès à l’ensei- également par des primes de prospérité gnement à distance. Au Nigéria, les 20 % de partagée négatives. Les prévisions révisées ménages les plus riches étaient beaucoup plus de la prime de prospérité partagée ne sont nombreux que le reste de la population à indi- pas encore disponibles, mais les données quer que leurs enfants poursuivaient leurs historiques sur les dernières grandes épi- études, notamment en ligne, depuis la ferme- démies (syndrome respiratoire aigu sévère ture des établissements scolaires (Siwatu et al. en 2003 et Zika en 2016) donnent à penser 2020). Dans le cadre de sa riposte à la pandé- que ces épidémies creusent les inégalités mie, le Niger a cependant annoncé le lance- et réduisent sensiblement les perspectives ment du projet LIRE (Learning Improvement d’emploi des personnes n’ayant qu’une édu- for Results in Education), qui est destiné aux cation de base. L’accentuation des inégalités enfants qui ne peuvent pas aller à l’école et aura également des conséquences à moyen vise à mettre au point une plateforme en ligne terme. Le rapport prévoit que, si le coef- pour renforcer la formation des enseignants. ficient de Gini augmente de 1 % par an, le Dans un pays où, avant la pandémie, la moi- taux de pauvreté dans le monde atteindra tié des enfants de 7 à 12 ans n’étaient pas sco- 8,6 % en 2030. larisés ou avaient juste quelques compétences Bien que les tendances à court terme de base acquises à l’école primaire, le projet puissent varier, les conséquences négatives LIRE pourra aider les familles à faire face à de la pandémie sur les écarts de revenu à la crise du coronavirus tout en modernisant long terme sont claires. Sans interventions le système éducatif du Niger. Il y a des ensei- fortes, la crise risque de creuser les écarts gnements à tirer de ces résultats et mesures de revenu, de réduire la mobilité sociale novatrices pour les stratégies de relèvement Vue d’ensemble 9
des pays, qui doivent adopter une optique jeunes pauvres dans le monde est concen- d’équité et des méthodes de ciblage pour pré- trée en Afrique subsaharienne, mais ils sont server le capital humain des groupes vulné- également très nombreux dans la plupart rables (Hill et Narayan 2020). des régions. Les pauvres ont un profil diffé- rent uniquement dans les pays à revenu élevé, où ils sont majoritaires des personnes âgées. La pandémie de COVID-19, Les femmes sont surreprésentées parmi les les conflits et les effets du pauvres — dans le monde et dans la plupart changement climatique vont des régions du monde. Si la pauvreté féminine transformer le profil de la est faible dans les pays d’Europe et d’Asie cen- pauvreté dans le monde trale, d’Amérique latine et des Caraïbes, ainsi que dans d’autres pays à revenu élevé, elle est Ce rapport sur la pauvreté et la prospérité élevée en Asie de l’Est et dans le Pacifique, en partagée actualise le profil démographique Asie du Sud et en Afrique subsaharienne ; des pauvres dans le monde selon l’âge, le sexe, c’est chez les enfants que l’on observe les plus le niveau d’instruction et la situation géogra- fortes disparités. Dans la plupart des régions phique ; il affine également ce profil selon du monde, les filles sont généralement plus plusieurs dimensions, notamment la mesure touchées par la pauvreté, de même que les dans laquelle, au sein des pays, les pauvres femmes en âge de procréer (principalement peuvent être concentrés dans des régions celles âgées de 25 à 34 ans) (Muñoz- Boudet plus exposées aux conflits ou aux aléas cli- et al. 2020 ; Banque mondiale 2018a). matiques. En outre, le rapport analyse les À l’échelle mondiale, 35 % des adultes données du système mondial de surveillance pauvres âgés de plus de 15 ans en 2018 pour montrer comment la pandémie peut n’avaient pas fait d’études (contre seulement modifier le profil des personnes vivant dans 9 % des non pauvres), et 35 % n’avaient que la pauvreté. des rudiments d’instruction (y compris ceux qui avaient terminé leurs études pri- Le nouveau profil de la pauvreté maires). Le niveau d’instruction des ruraux est généralement plus faible que celui des La pauvreté continue de toucher essentiel- citadins, pauvres ou riches. La qualité de lement le milieu rural, les jeunes et les per- l’enseignement est cependant un facteur clé sonnes peu instruites (figure O.5). Quatre pour la réduction de la pauvreté, et c’est une personnes sur cinq vivant en dessous du question qui concerne tous les élèves, sur- seuil international de pauvreté vivaient en tout les pauvres mais aussi les non pauvres, milieu rural vers 2018, alors que la popu- en milieu rural ou urbain (Banque mon- lation rurale ne représente que 48 % de la diale 2020d). Cette disparité souligne la population mondiale (figure O.5, partie a). nature multidimensionnelle de la pauvreté De fait, la pauvreté est devenue un phéno- rurale : parmi les adultes pauvres vivant en mène essentiellement rural entre 2015 et milieu rural, 39 % déclarent n’avoir pas fait 2018. La proportion de ruraux pauvres dans d’études, soit plus du double de la propor- le nombre total de pauvres a augmenté de tion d’adultes pauvres sans instruction en plus de 2 points de pourcentage pendant milieu urbain. cette période. Les pauvres dans le monde sont également très jeunes. En 2018, la moitié des pauvres La pandémie devrait accroître étaient des enfants de moins de 15 ans, alors le nombre de pauvres dans les que cette tranche d’âge ne représente qu’un groupes moins touchés jusqu’ici quart de la population mondiale. Les enfants et les jeunes (15 à 24 ans) représentent les La pandémie de COVID-19 pourrait faire deux tiers des pauvres dans le monde, soit basculer plus de 100 millions de personnes beaucoup plus que la proportion de jeunes supplémentaires dans l’extrême pauvreté en de moins de 24 ans dans le monde (40 % 2020. Bien que les données disponibles ne du total). La forte proportion d’enfants et de permettent pas encore de décrire en détail 10 RAPPORT 2020 SUR LA PAUVRETÉ ET LA PROSPÉRITÉ PARTAGÉE
FIGURE O.5 Quatre profils de la pauvreté dans le monde : par région, sexe, âge et niveau d’instruction, vers 2018 a. Proportion de ruraux pauvres et proportion de ruraux, par région 100 90 80 70 Pourcentage 60 50 40 30 20 10 0 Asie de l’Est Europe et Amérique Moyen-Orient Asie du Sud Afrique Reste du Monde et Pacifique Asie centrale latine et et Afrique subsaharienne monde Caraïbes du Nord Proportion de ruraux pauvres Proportion de ruraux b. Ratio entre le pourcentage de femmes parmi les pauvres et le pourcentage de 103 femmes dans la population totale 102 101 100 99 Ratio x 100 98 97 96 95 94 93 92 Asie de l’Est Europe et Amérique Moyen-Orient Asie du Sud Afrique Reste du Monde et Pacifique Asie centrale latine et et Afrique subsaharienne monde Caraïbes du Nord c. Age des pauvres dans le monde, par région 100 90 80 70 Pourcentage 60 50 40 30 20 10 0 Asie de l’Est Europe et Amérique Moyen-Orient Asie du Sud Afrique Reste du Monde et Pacifique Asie centrale latine et et Afrique subsaharienne monde Caraïbes du Nord 0–14 15–24 25–34 35–44 45–54 55–64 Plus de 65 ans (suite) Vue d’ensemble 11
FIGURE O.5 Quatre profils de la pauvreté dans le monde : par région, sexe, âge et niveau d’instruction, vers 2018 (suite) d. Niveau d’instruction des pauvres (âgés de plus de 15 ans), par région 100 90 80 Pourcentage 70 60 50 40 30 20 10 0 Asie de l’Est Europe et Amérique Moyen-Orient Asie du Sud Afrique Reste du Monde et Pacifique Asie centrale latine et et Afrique subsaharienne monde Caraïbes du Nord Sans instruction Études primaires Études secondaires Études supérieures Source : Estimations de la Banque mondiale, basées sur les données du système mondial de surveillance. les caractéristiques de cette population, des probablement dans des secteurs informels — simulations des effets du coronavirus et les services, bâtiment, industrie manufactu- données tirées des sondages fréquents récem- rière — où l’activité économique se ressent ment effectués fournissent de nouveaux élé- davantage des mesures de confinement et ments d’information. Selon une nouvelle autres restrictions de mobilité, ainsi que des analyse de ces résultats présentée dans le rap- règles de distanciation sociale. Les récentes port, les nouveaux pauvres pourraient avoir simulations du profil des nouveaux pauvres un profil suffisamment différent de ceux qui basées sur des estimations pondérées en étaient pauvres avant la pandémie pour avoir fonction de la population tirées d’un échan- une incidence sur la politique à suivre. tillon de 110 économies montrent que les Une forte proportion des nouveaux nouveaux pauvres vivront plus souvent en pauvres sera concentrée dans des pays qui milieu urbain, dans des logements ayant sont déjà aux prises avec des taux de pauvreté plus facilement accès aux infrastructures, et élevés, mais les pays à revenu intermédiaire possèderont légèrement plus d’actifs de base seront également touchés de près : ils abri- que les personnes pauvres en 2019 et 2020. teront quelque 72 millions des nouveaux Les nouveaux pauvres âgés de plus de 15 pauvres recensés dans le scénario de référence ans sont également plus susceptibles que les (et 94 millions dans le scénario pessimiste) — personnes souffrant de pauvreté chronique soit plus des trois quarts du nombre de d’occuper un emploi rémunéré et de travail- pauvres dans le monde. ler dans des secteurs non agricoles (industrie Les personnes acculées à la pauvreté manufacturières, services, commerce). Les par la pandémie se distinguent également nouveaux pauvres ont tendance à être mieux à d’autres égards de celles qui étaient déjà instruits que ceux qui vivent dans une pau- pauvres avant la pandémie. Au niveau natio- vreté chronique, et nettement moins instruits nal, les plus pauvres vivent surtout en milieu que les non pauvres (s’ils sont âgés de plus de rural, alors que bon nombre des nouveaux 15 ans)2. Ces estimations préliminaires sup- pauvres vivront dans des zones urbaines sur- posent que le rapport entre la croissance du peuplées qui peuvent être des vecteurs d’in- PIB et l’évolution de la pauvreté est neutre fection. Les nouveaux pauvres travailleront en termes de distribution dans tous les pays. 12 RAPPORT 2020 SUR LA PAUVRETÉ ET LA PROSPÉRITÉ PARTAGÉE
En d’autres termes, une diminution du PIB des pays touchés par la fragilité, les conflits touche toutes les catégories de population de et la violence n’abritent que 10 % envi- manière proportionnelle. Si ce n’était pas le ron de la population mondiale mais repré- cas (autrement dit, si la crise touchait davan- sentent plus de 40 % des pauvres dans le tage certains groupes), le profil et la compo- monde (figure O.6). Avant la pandémie de sition des pauvres pourraient être plus ou COVID-19, Corral et al. (2020) prévoyaient moins hétérogènes. que l’extrême pauvreté serait concentrée Cette évolution du profil de la pauvreté est dans les pays FCS en 2030, principalement étayée par les simulations mises au point pour en Afrique subsaharienne. Dans les projec- certains pays, notamment le Bangladesh, le tions les plus récentes concernant la pandé- Brésil, le Nigéria et l’Afrique du Sud. Ces tra- mie, les pays FCS ne représentent que 20 % vaux confirment que les nouveaux pauvres des nouveaux pauvres, ce qui donne à penser seront majoritairement urbains. Ils montrent que la part de ces pays dans le nombre total également que les nouveaux pauvres travail- de pauvres dans le monde diminuera au leront le plus souvent en dehors du secteur cours des prochaines années3. agricole (par exemple, dans les secteurs de Les conflits armés peuvent avoir des effets la transformation, du bâtiment ou du com- rapides et considérables sur la croissance merce de gros et de détail en Afrique du économique et la pauvreté. Mais il n’est plus Sud ; dans le secteur des services au Nigéria à démontrer que leur impact sur la pauvreté et en Indonésie) (Sánchez-Páramo 2020). et l’accumulation de capital humain peut per- Ces tendances sont confirmées par les nou- durer pendant des décennies, voire même des velles données issues de fréquentes enquêtes générations (Corral et al. 2020). De nouvelles de suivi réalisées auprès des ménages sur les études réalisées pour ce rapport montrent incidences de la pandémie de COVID-19. que les conflits contribuent à faire ralen- Selon une enquête réalisée en Mongolie, par tir le rythme de réduction de la pauvreté à exemple, 14 % des citadins interrogés avaient long terme en créant « un piège du conflit » perdu leur emploi, contre seulement 9 % des dont un pays ne peut sortir qu’en maintenant ménages ruraux (Banque mondiale 2020a). En Ouzbékistan, les chiffes étaient de 46 % pour les citadins et 37 % pour les ruraux FIGURE O.6 Pauvres vivant dans des pays FCS, en pourcentage (Banque mondiale 2020b). du nombre de pauvres dans le monde et en pourcentage de la population mondiale, par type de pays FCS en 2020 Les conflits et le changement climatique pourraient faire 50 basculer de plus en plus de 45 personnes dans la pauvreté 40 à moyen terme 35 Pourcentage Outre la pandémie de COVID-19 et la crise 30 économique, les conflits armés et le change- 25 ment climatique ont déjà aggravé la pauvreté 20 dans de nombreuses régions du monde. Il 15 est à prévoir que leurs effets appauvrissants 10 s’intensifieront. 5 De plus le plus, la pauvreté dans le monde va de pair avec la précarité et les conflits. 0 Conflits de forte Grande fragilité Conflits d’intensité Ensemble des Selon Corral et al. (2020), les 43 pays qui intensité institutionnelle et moyenne pays FCV affichent les taux de pauvreté les plus élevés sociale se trouvent tous en Afrique subsaharienne Par rapport au nombre de Par rapport à la population mondiale ou figurent sur la liste des pays en situation pauvres dans le monde de fragilité ou de conflit (pays FCS) établie Source : Estimations de la Banque mondiale, basées sur les données du système mondial de par la Banque mondiale. En 2020, les 37 surveillance. pays officiellement classés dans la catégorie Note : FCS = situation de fragilité et de conflit ; FCV = fragilité, conflit et violence. Vue d’ensemble 13
Vous pouvez aussi lire