Saint-Cast, un autre 11 Septembre
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Introduction Saint-Cast, un autre 11 Septembre… « Tout ou presque a été écrit sur le combat de Saint-Cast » : ainsi s’expri- mait, il y a une trentaine d’années déjà, A. Turcas, dans une revue érudite locale, Les Amis de Lamballe et du Penthièvre 1. Et il est indéniable que, dans la masse des publications au sujet des descentes britanniques sur les côtes de Bretagne, celles concernant la bataille du 11 septembre 1758 ou ses prodromes sont particulièrement nombreuses : une quarantaine pour ces seules opérations de la fin de l’été 1758, une douzaine d’autres au moins pour celles de juin entre Cancale et Saint-Malo, sans doute plus encore si l’on y incluait celles qui, des quelque peu confidentiels Amis du vieux Saint- [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] Jacut aux pages du Publicateur des Côtes-du-Nord du 16 septembre 1857 ou à celles du Commerce breton des 21 et 28 septembre 1861, nous ont probablement échappé2. Rares sont les événements de l’histoire militaire « bretonne » qui sus- citèrent un tel engouement éditorial : le Combat des Trente en 1351 et la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier en 1488 peut-être, l’affaire de Quiberon en 1795 bien évidemment, l’épisode du maquis de Saint-Marcel en 1944 sans doute ; guère plus. Pourquoi, dès lors, un nouvel ouvrage sur [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] un sujet apparemment mainte fois étudié depuis un siècle et demi ? D’une part parce que, quoique militairement peu significatif au sein de la guerre de Sept Ans, le combat de Saint-Cast constitue bien une exception digne d’intérêt. Dans un royaume de France sanctuarisé, selon la belle expression de J. Cornette, se livre ici l’une des rares batailles se déroulant sur le terri- toire national. Au même moment, les armées de Louis XV combattent en effet en Allemagne voire outre-mer. Le pré carré cher à Vauban demeure, à de très rares exceptions près, inviolé, sur ses frontières terrestres du moins. Car les littoraux – et plus spécialement la côte bretonne – sont bien des espaces particulièrement vulnérables aux incursions britanniques3. D’autre 1. « Le combat de Saint-Cast, 11 Septembre 1758 », Les amis de Lamballe et du Penthièvre, 1979, p. 79. 2. Pour plus de détails, nous renvoyons à la bibliographie placée en fin de volume. 3. Des incursions britanniques, et non anglaises… Rappelons en effet que l’Union Act créant le Royaume-Uni de Grande-Bretagne date de 1707. Aussi avons-nous choisi, malgré l’habitude de nombreux historiens français qui, à l’instar des contemporains il est vrai, emploient « Angleterre » pour « Grande-Bretagne », de bien distinguer les deux entités, d’autant que, par exemple, le général 13
LA BATAILLE DE SAINTCAST part, parce que, plus qu’un frein, cette masse de publications fut pour nous un encouragement : les caractéristiques mêmes de ces ouvrages ou articles nous invitaient en effet à aller plus loin, à penser différemment, à réinter- roger « l’événement Saint-Cast ». Les descentes britanniques de 1758 : une histoire datée Dès le second tiers du xixe siècle, les érudits et historiens bretons se sont emparés des événements de 1758 – mais aussi de 1746, bien plus que de ceux de 1759 ou de 1761, moins brillants… –, signant nombre d’articles dans les revues dépendant des multiples sociétés savantes par- ticulièrement actives en Bretagne 4 : ainsi des Bulletins et mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine et de ceux de la défunte Société archéo- logique des Côtes-du-Nord, de la Revue de Bretagne et de Vendée et de celle des Provinces de l’Ouest, des Annales de la Société historique et archéologique de l’arrondissement de Saint-Malo ou des Mémoires de la Société d’émula- tion des Côtes-du-Nord 5. La chronologie de ces parutions est par bien des aspects très révélatrice. Après une première vague de publications quelque peu dispersées6, à audience parfois assez strictement locale – tel l’Annuaire dinannais en 1836 et 1838 –, trois temps forts apparaissent en effet nette- ment (graphique 1). [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] Bligh, qui commande les troupes britanniques, est Irlandais, que certains de ses subordonnés sont Gallois ou Écossais, etc. 4. Sur ce point, nous renvoyons à l’ouvrage fondateur de Guiomar, Jean-Yves, Le bretonisme. Les historiens bretons au XIXe siècle, Rennes, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1987. Malheureusement, celui-ci ne fait qu’effleurer le sujet des descentes britanniques sur les côtes de Bretagne, se concentrant sur les mythes des origines, celtiques ou médiévales, de la Bretagne, au cœur des préoccupations de la plupart des érudits du temps. 5. Cette liste n’est en rien exhaustive. Notons d’ailleurs que les Annales de Bretagne, plus universitaires, publièrent elles aussi plusieurs articles. Quant aux Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, institution à l’interface entre mondes érudit et universitaire, ils font figure d’exception : si l’on y trouve bien l’incontournable synthèse de P. Diverrès sur les opérations de 1746 contre Lorient (« L’attaque de Lorient par les Anglais (1746) », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1930, p. 267-338 et 1931, p. 1-112), ils ne consacrèrent pas un article à l’affaire de Saint- Cast jusqu’aux actes du Congrès de Saint-Nazaire de septembre 2008, à paraître en 2009. 6. Ces toutes premières publications semblent intervenir pour une part au moment de la disparition des derniers témoins des événements : sans doute craint-on alors la dilution de la mémoire de la bataille. 14
INTRODUCTION 25 20 Nombre de publications 15 10 5 0 Avant 1857 1857-1870 1880-1914 1918-1940 Depuis 1947 Articles Ouvrages ou recueils de documents Graphique 1. – Chronologie des publications françaises portant sur les descentes de 1758 en Bretagne. Le premier est celui correspondant aux années précédant directement [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] ou suivant le premier centenaire. Plus que les quelques articles parus – entre autres – dans la Revue de Bretagne et de Vendée ou dans la Revue des Provinces de l’Ouest, c’est la publication en 1858 d’un premier recueil de documents par la Société archéologique des Côtes-du-Nord qu’il convient ici de noter. Cet ouvrage collectif, complété par ceux de Frédéric de La Noue la même année et, en 1866, d’Antonin Macé, marque le début de l’affirmation d’une tradition historiographique, d’une sorte de vulgate his- [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] torique que la période suivante, celles des années 1880-1914, ne fait qu’am- plifier7. Avec sans doute plus d’une vingtaine de livres et d’articles – dont un nouveau recueil de documents dû à la même Société archéologique des Côtes-du-Nord –, un premier sommet est alors atteint. Il correspond – nous y reviendrons – à une période bien particulière de l’histoire de la France, de l’histoire de la Bretagne aussi, de l’histoire de leurs rapports enfin : celle d’une intense rivalité coloniale et halieutique entre la France et la Grande- Bretagne, en ces années précédant la signature de l’Entente Cordiale en 1904 ; celle aussi de l’affirmation, par toute une partie de la droite bre- tonne et notamment de l’aristocratie, anti-républicaine, très active au sein des sociétés savantes départementales ou régionales, d’un particularisme « breton » confinant au régionalisme, parfois au nationalisme. C’est logique- ment alors que quelques-unes des plus grandes plumes de l’historiographie 7. Sur ce point, nous renvoyons à Hopkin, David, Lagadec, Yann et Perréon, Stéphane, « La bataille de Saint-Cast (1758) et sa mémoire : une mythologie bretonne », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2007-4, 195-215 et, infra, au chapitre ix. 15
LA BATAILLE DE SAINTCAST régionale du tournant des xixe et xxe siècles s’illustrent en publiant analyses et documents sur les descentes britanniques de 1758 : il suffit de rappeler ici – sans la moindre prétention à l’exhaustivité – les noms de La Borderie, de Pocquet du Haut-Jussé, de Courson, ou encore des chanoines Guillotin de Corson, Paris-Jallobert et Lemasson. Certains, tel H. Binet, officier de l’armée de terre, s’en firent même une sorte de spécialité, abordant le sujet sous toutes ses facettes… mais avec les a priori déjà signalés8. Le troisième et dernier de ces temps forts, celui d’un large demi- siècle allant du bicentenaire de l’événement, en 1958, à la préparation du 250e anniversaire, en 2008, des plus « productifs », se révèle assez décevant cependant d’un strict point de vue qualitatif : à de rares exceptions près en effet 9, les poncifs véhiculés depuis les années 1858-1914, mille fois répé- tés, jamais vérifiés, sont repris, sans la moindre critique, sans le moindre recul. Malgré leurs limites, ces dizaines de publications se révèlent pourtant particulièrement précieuses : rappelons, notamment, qu’elles reposent pour la plupart sur l’édition de sources dont certaines aujourd’hui disparues. Ces livres et ces articles n’épuisent cependant pas, loin s’en faut, l’immense sujet que constituent les descentes de la Navy sur les côtes de France. Basées sur les seules sources françaises voire bretonnes10, ces publications donnent en effet des événements une lecture largement – voire uniquement – franco- centrée lorsqu’elles ne se limitent pas au pays malouin et au Penthièvre. [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] Négligeant totalement la vision britannique des opérations, elles ignorent ainsi tout autant les sources militaires et politiques d’outre-Manche que les récits de ceux qui planifièrent ou participèrent à ces descentes. Elles ignorent aussi les travaux, pourtant contemporains des leurs, d’historiens de premier plan : aujourd’hui – à juste titre – contestées, les études d’un J. Corbett n’avaient pas moins l’intérêt de sortir Saint-Cast de son cadre trop strictement breton11. [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] Notre premier objectif fut donc de réinscrire les événements de sep- tembre 1758 dans le contexte plus global des conflits en cours : le temps 8. Retenons, entre autres, ses trois articles publiés dans les Annales de Bretagne entre 1908 et 1911 : « Un épisode de la guerre des côtes en Bretagne au xviiie siècle : la trahison du Guildo », Annales de Bretagne, 24, 1, 1908, p. 1-40 ; « La guerre de côtes en Bretagne au xviiie siècle et la région malouine après les descentes anglaises de 1758 », Annales de Bretagne, 25, 2, 1910, p. 295-321 et « La guerre de côtes en Bretagne au xviiie siècle : le commandement du duc d’Aiguillon en Bretagne », Annales de Bretagne, 26, 2, 1911, p 307-351. 9. Parmi ces exceptions, nous voudrions signaler les travaux de Chenu, Joseph, « Le passage des Anglais au Guildo en 1758 », Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, 108, 1980, p. 62-89 et « Autour de la bataille de Saint-Cast en 1758 », Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, 109, 1981, p. 61-86. 10. Les érudits ayant consulté les sources conservées aux Archives nationales ou aux Archives de la Guerre – aujourd’hui Service historique de la Défense – sont peu nombreux. Plus rares encore sont ceux ayant travaillé dans les archives britanniques ; P. Diverrès, auteur d’une très solide étude sur la descente contre Lorient en 1746 (« L’attaque de Lorient… », art. cit., 1930, p. 267-338 et 1931, p. 1-112) et D. de La Motte-Rouge semblent les seuls dans ce cas. H. Binet consulta cependant un certain nombre de sources publiées. 11. Corbett, Julian Stafford Sir, England in the Seven Years’ War. A Study in Combined Strategy, Londres/New York, Longmans, 1907 [rééd. 1992]. 16
INTRODUCTION long de la « seconde guerre de Cent Ans » tout d’abord, opposant depuis 1689 la France et l’Angleterre puis la Grande-Bretagne sur terre comme sur mer, de l’Europe centrale aux rivages de la Manche et aux colonies les plus lointaines, des Indes orientales à l’Amérique du Nord ; ensuite, bien évidemment, celui – intermédiaire – de la guerre de Sept Ans, premier conflit véritablement mondial, et des tensions conduisant au renversement des alliances de 1756 et au déclenchement des hostilités ; enfin et surtout, le temps – plus court – des quelques mois précédant les descentes contre Saint-Malo, ceux séparant l’arrivée aux affaires de Pitt des raids sur les côtes de France. De Saint-Lunaire à Louisbourg et Québec, de Saint-Cast à Rossbach et Krefeld, des plages de Bretagne à la vallée du Saint-Laurent ou aux champs de bataille de Saxe et de Prusse, il y a en effet des liens ténus que l’on ne saurait ne pas prendre en considération. Les descentes britanniques de 1758 : pour une histoire « globale » Toutes les histoires de Bretagne parues depuis un demi-siècle n’appor- tent aucun élément nouveau sur « l’affaire de Saint-Cast », à laquelle elles ne consacrent en général que quelques lignes, au mieux un court paragraphe. Insistons cependant bien sur un point : les faiblesses de l’historiographie des opérations de 1758 ici mises en lumière ne sont en rien spécifiquement « bretonnes ». Elles s’expliquent sans doute pour une part – pour une part [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] seulement – par un double désintérêt des universitaires français. Le premier de ces désintérêts est celui pour la guerre de Sept Ans en par- ticulier, et pour les guerres du xviiie siècle de manière plus générale. Certes, l’on trouvera bien quelques exceptions, tel le beau livre d’E. Dziembowski, plus connu d’ailleurs semble-t-il en Grande-Bretagne et aux États-Unis qu’en France12. Mais pour le reste, la dernière synthèse portant spécifique- ment sur le conflit qui opposa la France et la Grande-Bretagne entre 1756 [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] et 1763 est celle de R. Waddington, publiée en 5 tomes entre… 1899 et 1914 13. Depuis, l’on chercherait en vain en France des équivalents aux travaux de F. Anderson, de F. McGlynn, de T. Pocock, de F. A. J. Szabo ou de M. Schumann et K. Schweitzer, pour ne citer que quelques-unes des parutions les plus marquantes ou les plus récentes14. Mais l’on chercherait de manière toute aussi vaine, pour la France, des approches comparables 12. Dziembowski, Edmond, Un nouveau patriotisme français, 1750-1770 : la France face à la puissance anglaise à l’époque de la guerre de Sept Ans, Oxford, Voltaire Foundation, 1998, centré cependant sur la propagande et l’opinion politique, et n’évoquant donc les événements militaires qu’en arrière- plan. Notons aussi, le petit ouvrage de Farge, Arlette, Les fatigues de la guerre, Paris, Le Promeneur- Gallimard, 1996, aux ambitions plus limitées cependant. 13. Waddington, Richard, La guerre de Sept Ans. Histoire diplomatique et militaire, Paris, Firmin Didot, 1899-1914, 5 vol. 14. Anderson, Fred, Crucible of War : The Seven Years’ War and the Fate of Empire in British North America, 1754-1766, London, Faber, 2000 ; McGlynn, Frank, 1759: The Year Britain Became Master of the World, Atlantic Monthly Press, 2005 ; Pocock, Tom, Battle for Empire. The Very First World War, 1756-63, Londres, Michael O’Mara, 1998 ; Szabo, Franz A., The Seven Years’ War in Europe, 1756-1763, Harlow, Pearson, 2008 ; Schumann, Matt et Schweitzer, Karl, The Seven Years’ War. A Transtalantic History, Londres, Routledge, 2008. 17
LA BATAILLE DE SAINTCAST à celles de S. Conway, M. J. Cardwell, M. Peters ou D. Syrett sur les rap- ports de la société britannique à la guerre au milieu du xviiie siècle15. De manière très significative, c’est à J. Pritchard, J. Dull et L. Kennett, tous trois anglo-saxons, que l’on doit les études de référence sur les structures militaires françaises au temps de Louis XV en général et de la guerre de Sept Ans en particulier16, ou encore à deux autres historiens américains la mise en lumière des conséquences fiscales et politiques de ce conflit17. Et ce qui vaut pour la guerre de Sept Ans de manière globale, se vérifie bien évidemment aussi en ce qui concerne les descentes des années 1757- 1758 sur les côtes de France. Aux travaux des érudits bretons – ou nor- mands, concernant Cherbourg – répondent les recherches d’universitaires britanniques ou américains : au déjà ancien PhD de W. K. Hackmann, sont venues s’ajouter les études plus ciblées, plus techniques parfois aussi de R. Harding, R. Middleton, D. Syrett ou d’autres, fins spécialistes des opérations combinées et/ou amphibies menées par la Navy, aptes en cela à contextualiser les raids de l’année 175818. S’y ajoute, bien évidemment, une longue liste de publications concernant la politique de Pitt l’Ancien, objet de nombreux débats, toujours vifs parfois19. Double désintérêt – ou manque d’intérêt – écrivions-nous. Le second est celui, plus global, concernant l’histoire militaire. Il demanderait d’ailleurs à être nuancé. L’historiographie militaire française de la période de l’Ancien Régime a en effet été des plus novatrices, inspirant nombre de chercheurs [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] étrangers… il y a une quarantaine d’années cependant. Lorsqu’A. Corvisier 15. Conway, Stephen, War, State and Society in Mid-Eighteenth-Century Britain and Ireland, Oxford, Oxford University Press, 2006 ; Cardwell, M. John, Arts and Arms. Literature, Politics and Patriotism During the Seven Years’ War, Manchester, Manchester University Press, 2004 ; Peters, Marie, Pitt and Popularity : The Patriot Minister and London Opinion During the Seven Years’ War, Oxford, Clarendon, 1980 ; Syrett, David (dir.), Shipping and Military Power in the Seven Years’ War. The Sails of Victory, Exeter Maritime Studies, Exeter, University of Exeter Press, 2007. 16. Dull, Jonathan R. The French Navy and the Seven Years’ War, France Overseas : Studies in Empire and Decolonization. Lincoln, University of Nebraska Press, 2005 [trad. : La guerre de Sept Ans. Histoire [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] navale, politique et diplomatique, Bécherel, Les Perséides, 2009] ; Kennett, Lee, The French Armies in the Seven Years’ War, Durham, Duke University Press, 1968 ; Pritchard, James, Louis XV’s Navy, 1748-1762 : A Study of Organization and Administration, Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1987. 17. Beik, Paul Harold, A Judgment of the Old Régime : Being a Survey of the Parlement of Provence of French Economic and Fiscal Policies at the Close of the Seven Years’ War, PhD, Columbia University Press, 1944 et Riley, James C., The Seven Years’ War and the Old Regime in France : The Economic and Financial Toll, Princeton, Princeton University Press, 1986. 18. Hackmann, William K., British Military Expeditions to the Coast of France, 1757-1761, PhD the- sis, University of Michigan, 1969 ; Harding, Richard, « Sailors and Gentlemen of Parade : Some Professional and Technical Problems Concerning the Conduct of Combined Operations in the Eighteenth Century », Historical Journal, 32, 1989, p. 35-55 ; Middleton, Richard, « The British Coastal Expeditions to France, 1757-1758 », Journal of the Society for Army Historical Research, 71, 1993, p. 74-92 ; Syrett, David, « The Methodology of British Amphibious Operations during the Seven Years’ and American Wars », Mariner’s Mirror, 58, 1972, p. 269-280. 19. Outre les travaux, déjà mentionnés, de Peters, Marie, Pitt and Popularity…, op. cit., signa- lons Middleton, Richard, The Bells of Victory. The Pitt-Newcastle Ministry and the Conduct of the Seven Years’ War 1757-1762, Cambridge, Cambridge University Press, 1985. Récemment, E. Dziembowski a proposé, en français, deux études particulièrement utiles : Dziembowski, Edmond, Les Pitt. L’Angleterre face à la France 1708-1806, Paris, Perrin, 2006 et Dziembowski, Edmond, « La place des descentes sur les côtes françaises dans la politique de William Pitt l’Ancien (1757-1758) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2007-4, p. 119-131. 18
INTRODUCTION entreprend, au début des années 1950, de se lancer à l’assaut des quelque 2 000 volumes du contrôle des troupes, cette source est encore largement inexploitée, à peine classée. La nouveauté des méthodes – histoire sérielle, assistée par la mécanographie –, celle des questionnements inspirés de l’his- toire sociale en plein développement lui permettent de publier, en 1964, une thèse monumentale qui fait toujours autorité sur Le soldat au cours d’un large xviiie siècle 20. Depuis, J. Chagniot, A. Blanchard, J.-P. Bois notam- ment pour la période d’Ancien Régime, G. Bodinier ou J.-P. Bertaud pour la période révolutionnaire ont su s’inspirer de ces méthodes pour renouveler notre connaissance de la société militaire – les soldats toujours mais aussi les officiers, ingénieurs ou anciens soldats – ou encore des rapports entre armée et société, au cœur des problématiques de ce que l’on a pu appeler la « new military history21 ». Mais en délaissant cependant trop largement ce qui, a priori, fait la spécificité de cette société militaire : la guerre elle-même. En ce domaine, l’écart est grand entre les approches de l’école d’histoire militaire française, héritière d’A. Corvisier, et celles mises en œuvre par cer- tains historiens anglo-saxons, au premier rang desquels figurent d’ailleurs des spécialistes de la France et de ses armées. En parcourant les travaux d’un J. Woods, d’un D. Parrott, d’un J. Lynn s’intéressant aux armées de Louis XIV ou étudiant les « baïonnettes de la République22 », l’on ne peut qu’être frappé par l’incapacité – relative – qui fut celle des chercheurs fran- çais à s’appuyer sur l’approche sociale et/ou culturelle qui était la leur pour [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] s’ouvrir aux questions « opérationnelles » de la guerre et du combat. À ce titre, l’imperméabilité quasi-totale des historiens de ce côté-ci de la Manche au concept, certes critiquable mais ô combien stimulant, de « révolution militaire » développé par M. Roberts puis G. Parker est des plus révélatri- ces23. Et l’absence de toute véritable revue universitaire d’histoire militaire, comparable au Journal of Military History états-unien, au War in History 20. Corvisier, André, L’armée française de la fin du XVIIe siècle au Ministère Choiseul. Le soldat, Paris, [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] Publications de la faculté des Lettres et sciences humaines de Paris, 1964. 21. Blanchard, Anne, Les ingénieurs du Roy de Louis XIV à Louis XVI. Étude du corps des fortifications, Montpellier, A. Blanchard, 1979 ; Chagniot, Jean, Paris et l’armée au XVIIIe siècle. Étude politique et sociale, Paris, Economica, 1985 ; Bois, Jean-Pierre, Les anciens soldats dans la société française au XVIIIe siècle, Paris, Economica, 1990 ; Bertaud, Jean-Paul, L’armée française, 1789-an VI. Étude sociale, Thèse de doct. d’État, Paris I, 1978 ; Bodinier, Gilbert, Les Officiers de l’armée royale com- battants de la guerre d’Indépendance des États-Unis. De Yorktown à l’an II, Paris, SHAT, 1983. 22. Wood, James B., The King’s Army. Warfare, soldiers and Society during the Wars of Religion in France, 1562-1576, Cambridge, Cambridge University Press, 1996 ; Parrott, David, Richelieu’s Army. War, Government and Society in France (1624-1642), Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Lynn, John A., Giant of the Grand Siecle. The French Army, 1610-1715, Cambridge, Cambridge University Press, 1997 ; Lynn, John, The bayonets of the Republic : motivation and tactics in the Army of Revolutionary France (1791-1794), University of Illinois Press, 1984 [rééd. 1996]. 23. Le maigre volume dirigé par Bérenger, Jean (dir.), La Révolution militaire en Europe (XVe- XVIIIe siècles), Paris, Economica, 1997, fait bien pâle figure au côté de l’abondante bibliographie anglo-saxonne sur cette thématique, dont nous ne retiendrons ici que quelques titres : Parker, Geoffrey, La Révolution militaire. La guerre et l’essor de l’Occident, 1500-1800, Paris, Gallimard, 1993 ; Downing, Brian M., The Military Revolution and Political Change. Origins of Democracy and Autocracy in Early Modern Europe, Princeton, Princeton University Press, 1992 ; Eltis, David, The Military Revolution in Sixteenth Century Europe, New York, Barnes and Noble, 1995 ; Rogers, Clifford J. (dir.), The Military Revolution Debate. Reading on the Military Transformation of Early Modern Europe, Boulder/San Francisco/Oxford, Westview, 1995. 19
LA BATAILLE DE SAINTCAST britannique n’apparaît alors que telle l’énième confirmation d’une quasi- évidence24. Ce n’est qu’assez récemment – pour l’essentiel depuis 1995 – que de nouveaux questionnements se sont partiellement, timidement fait jour dans l’historiographie française. Passons sur les dimensions « politiques » et admi- nistratives, celles de l’« État de guerre », qui ont donné lieu à plusieurs thèses au cours des dernières années25 : aussi stimulantes puissent-elles être, elles ne nous concerneront qu’indirectement ici. Plus intéressante pour nous est la réapparition des dimensions tactiques dans les réflexions historiennes, au cœur d’une série d’articles de J.-P. Bois, de travaux de quelques-uns de ses élèves aussi26. Le champ de bataille, les lieux de l’affrontement se trouvent ici réinvestis par l’historien, de manière beaucoup plus novatrice que ne le donnaient jusqu’ici à voir les innombrables récits de bataille publiés à destination du grand public – y compris d’ailleurs lorsqu’ils étaient dus aux mêmes auteurs27. « En revenir à la guerre », comme le suggérait J.-P. Bois en 1999 28 : tel sera donc notre second objectif. La – courte – « campagne » de septem- bre 1758 d’une part, le combat de Saint-Cast d’autre part seront ainsi au cœur de notre projet : au-delà de la stratégie conçue par Pitt, c’est à la 24. Les revues spécialisées ne sont d’ailleurs pas les seules concernées. Peut-on imaginer, en France, la publication d’un article tel que celui de Cittino, Robert, « Military Histories Old and New : [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] A Reintroduction », American Historical Review, 2007-4, p. 1070-1 090, dans une revue historique de premier plan, Annales. Histoire, sciences sociales, Revue d’histoire moderne et contemporaine ou Revue historique, pour ne citer que les principales ? L’expérience des 15 ou 20 dernières années incite à répondre pour l’instant par la négative, malgré les intéressants dossiers présentés ces derniers mois par la Revue d’histoire du 19e siècle (2005, n° 30) ou les Annales historiques de la Révolution française (2007-2, n° 348). 25. Perréon, Stéphane, L’Armée en Bretagne au XVIIIe siècle. Institution militaire et société civile au temps de l’intendance et des États, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005 ; plus récemment, Gantelet, Martial, La ville face au soldat. Metz dans les conflits du premier XVIIe siècle, Thèse, dact., université de Paris VIII, 2006 et Lasconjarias, Guillaume, “Comme si nous étions présent en notre personne”. Gouverneurs, lieutenants généraux et commandants pour le roi dans la France d’Ancien [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] Régime : l’exemple des provinces de l’Est au XVIIIe siècle (Alsace, Lorraine et Trois-Evêchés), Thèse, dact., université de Paris I-Sorbonne, 2007. 26. Bois, Jean-Pierre, « La bataille de Condé à Saxe. Essai de réflexion sur le concept de bataille dans la guerre moderne », Revue internationale d’histoire militaire, n° 78, 2000, p. 61-73 ; Bois, Jean- Pierre, « L’homme dans la bataille à l’époque moderne », Cahiers du CEHD, n° 9, 1999, p. 131-142 ; Bois, Jean-Pierre, « Approche historiographique de la tactique à l’époque moderne », Revue histo- rique des Armées, 1997-2, p. 23-30 ; Bois, Jean-Pierre, « Armes, tactiques et batailles d’Azincourt à Fontenoy », Enquêtes et documents, n° 18, 1992, p. 27-66. Voir aussi les travaux de Chauviré, Frédéric, « La charge de cavalerie de Bayard à Seydlitz », Cahiers du CEHD, n° 23, 2004, p. 93-132 ou « Le problème de l’allure dans les charges de cavalerie du xvie au xviiie siècle », Revue historique des Armées, 2007-4, n° 249 p. 16-27 et de Picaud, Sandrine, La petite guerre au XVIIIe siècle : l’exem- ple des campagnes de Flandre, de la guerre de Succession d’Autriche, mises en perspective dans la pensée française et européenne (1701-1789), Thèse, dact., université de Nantes, 2004. 27. Nous renvoyons notamment aux toujours utiles mais aussi très inégaux ouvrages de la collection Campagnes et stratégies chez Economica. 28. Bois, Jean-Pierre, « Plaidoyer pour une histoire tactique de la guerre au xviiie siècle », in Goubier- Robert, Geneviève (dir.), L’armée au XVIIIe siècle (1715-1789), Actes du colloque d’Aix-en-Provence (1996), Aix-en-Provence, PUP, 1999, p. 20. Il convient ici de noter tout l’intérêt du travail de réflexion collective conduit sur ce thème par L. Henninger au sein du CEHD. Parmi ses publi- cations, retenons « Introduction pour une “nouvelle histoire bataille” », Cahiers du CEHD, n° 9, 1999, p. 7-15 ou encore « Le renouveau de l’histoire de la guerre », in L’histoire aujourd’hui, Paris, Éd. Sciences humaines, 1999, p. 207-218. 20
INTRODUCTION réalisation concrète de ses projets que nous nous intéresserons, dans leurs dimensions tactiques mais aussi techniques ou humaines, sans négliger bien évidemment les efforts de défense des Français, sous la conduite du duc d’Aiguillon. Qu’est-ce, concrètement, qu’une opération « amphibie » en 1758 ? Comment ravitailler les troupes britanniques débarquées ? Comment nourrir les soldats français accourus des quatre coins de la province vers Lamballe puis Matignon et Plancoët ? Quel rôle put jouer, concrètement, une milice garde-côtes largement décriée ? Quelles furent les conséquences du dispositif en colonne adopté par les Français pour atteindre la plage de Saint-Cast ? Combien de pièces d’artillerie purent-elles être réunies ? Avec quelle efficacité ? Telles sont, parmi de nombreuses autres, quelques-unes des questions auxquelles nous voudrions tenter de répondre ici, dans le cadre d’une « histoire-bataille » renouvelée. Le 11 septembre 1758 et le renouveau de « l’histoire-bataille » L’histoire-bataille, presque par définition événementielle, passe pour avoir été l’une des principales cibles des historiens de l’école des Annales à compter des années 1930, privilégiant les structures et le temps long, délaissant une certaine histoire « politique » – l’histoire-récit – pour des approches plus « sociales », économiques et culturelles, celles d’une histoire- problème. Malgré l’intérêt porté, dans les faits, au phénomène guerrier par [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] M. Bloch ou F. Braudel29, la guerre et plus encore la bataille se sont trou- vées largement repoussées hors du champ scientifique, frappées du même anathème que l’événement. L’histoire-bataille devient alors l’apanage des érudits locaux et des militaires férus d’histoire, qui privilégient volontiers le détail et l’anecdote, au détriment donc d’une appréhension plus globale de l’événement. En ce domaine, un double tournant intervint indéniablement en 1973 [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] avec la publication du Dimanche de Bouvines de G. Duby30. Dans sa pré- face à la seconde édition de ce maître ouvrage, le médiéviste explicitait sa démarche : « En premier lieu […], je tentai une sorte d’ethnographie de la prati- que militaire au début du xiiie siècle : je m’approchai des combattants de Bouvines comme d’une peuplade exotique, notant l’étrangeté, la singularité de leurs gestes, de leurs cris, de leurs passions, des mirages qui les éblouis- saient. Parallèlement, situer la bataille par rapport à la guerre, par rapport à la trêve, à la paix, me parut un moyen de circonscrire plus exactement le champ de ce que nous appelons le politique et de mieux voir comment le sacré, à cette époque, s’y mêlait inextricablement au profane. Enfin, je tâchai de voir comment un événement se fait et se défait, puisque, en fin 29. L’on pense notamment à Bloch, Marc, Écrits de guerre, 1914-1918, Paris, A. Colin, 1997 et L’étrange défaite, Paris, Gallimard, 1990 [1941] ; ou encore aux pages consacrées à la bataille de Lépante par Braudel, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Le Livre de Poche, 1993 [1re éd. 1949], tome 3, p. 233-300, et plus particulièrement p. 248-251 en ce qui concerne « la bataille du 7 octobre ». 30. Duby, Georges, Le dimanche de Bouvines. 27 juillet 1214, Paris, Gallimard, 2de éd., 1985. 21
LA BATAILLE DE SAINTCAST de compte, il n’existe que par ce qu’on en dit, puisqu’il est à proprement parler fabriqué par ceux qui en répandent la renommée ; j’ébauchai donc l’histoire du souvenir de Bouvines, de sa déformation progressive par le jeu, rarement innocent, de la mémoire et de l’oubli31. » Partir de l’événement pour se livrer à « une sorte d’ethnographie de la pratique militaire » : il n’en fallait pas plus pour relégitimer – très lentement cependant – le fait guerrier et, plus encore, la bataille au sein de l’Université française, d’autant que la position particulière de G. Duby au sein du pay- sage historique français ne pouvait que faciliter ce mouvement. Un autre ouvrage va plus loin encore sans doute dans la voie de ce que l’on pourrait appeler une anthropologie historique du combat : celui de J. Keegan. Dans The Face of the Battle, publié en 1976, traduit en français en 1993, l’historien britannique propose en effet une analyse comparée de l’expérience de la bataille et, plus encore peut-être, du combat, au cours de trois d’entre elles : Azincourt, Waterloo, la Somme enfin 32. Point de récit de la bataille ici, mais une déconstruction du combat, des formes de l’affrontement, afin d’en saisir les pratiques dans toute leur violence, dans toute leur horreur aussi : « Cavalerie contre cavalerie », « Cavalerie contre artillerie », « Cavalerie contre infanterie », « Artillerie contre infanterie », etc., constituent ainsi autant de chapitres qu’il y a de possibilités à la confronta- tion guerrière du 18 juin 1815 à Waterloo par exemple. Pourtant, si ces approches ont trouvé un certain écho outre-Manche et [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] outre-Atlantique 33, leur influence est restée des plus modestes en France, dès lors notamment qu’il s’est agi de descendre au plus près des combat- tants. Sans doute est-ce du côté des historiens de la Grande Guerre qu’il convient d’aller chercher les études les plus stimulantes en ce domaine. L’on pense notamment aux travaux de S. Audoin-Rouzeau et A. Becker, et plus particulièrement, à deux des opus du premier, Combattre, publié en 1995, et Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXIe siècle), paru début 2008 34. L’expérience du combat, dans sa plus [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] 31. Ibid., p. 10. 32. Keegan, John, The face of the Battle. A Study of Agincourt, Waterloo and the Somme, Londres, J. Cape, 1976 [Trad. : L’anatomie de la bataille. Azincourt 1415, Waterloo 1815, La Somme 1916, Paris, R. Laffont, 1993]. 33. L’on pense ici, entre autres, au stimulant – mais contestable et contesté – ouvrage de Hanson, Victor D., Le modèle occidental de la guerre. La bataille d’infanterie dans la Grèce classique, Paris, Les Belles Lettres, 1990 [1re éd. 1989] ou encore aux travaux de Holmes, Richard, Acts of War. The Behaviour of Men in Battle, Londres, Cassell, 2004, de Bourke, Joanna, An Intimate History of Killing. Face-to-Face Killing in Twentieth-Century Warfare, Londres, Granta Publications, 1999 ou de Gray, J. Glenn, The Warriors. Reflections on Men in Battle, Lincoln, University of Nebraska Press, 1995. La période moderne est en ce domaine mal représentée : retenons le travail de Muir, Rory, Tactics and Experience of Battle in the Age of Napoleon, New Haven, Yale University Press, 1998, dont les logiques ne sont cependant pas en tous points comparables à celle des ouvrages précédemment cités. 34. Audoin-Rouzeau, Stéphane, Combattre, Amiens, CRDP, 1995 et Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXIe siècle), Paris, Seuil, 2008. On lira aussi avec profit sur ce thème son article « Vers une anthropologie historique de la violence au combat au xixe siècle : relire Ardant du Picq ? », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2005, n° 30, p. 85-97 ou encore La guerre au XXe siècle. L’expérience combattante, Paris, La documentation photographique, 2004. 22
INTRODUCTION grande acception, est en effet ici au centre des questionnements : l’auteur traque les liens entre « combat et physicalité », du champ de bataille – « cet “entour” des corps combattants » – aux simples objets, prolongement des corps ; plus loin, il s’arrête sur le mouvement des corps face au danger comme sur les postures de sommeil des soldats, sur la gravité différentielle des blessures comme sur les pratiques funéraires. Rares sont les pendants à ce type d’approche en matière d’histoire moderne. Certes, les sources sont plus nombreuses à compter du xixe siècle, se diversifient aussi, facilitant d’autant la tâche de l’historien. Mais ceci n’explique pas tout et l’ouvrage que O. Chaline consacra à La bataille de la Montagne Blanche, la première de la guerre de Trente Ans, en Bohême, le 8 novembre 1620, fait mal- heureusement encore figure d’exception35. L’étude de la « violence vécue », dans la première partie de l’ouvrage, offre pourtant au lecteur des pages particulièrement neuves, l’auteur, tout en reconnaissant tout ce qu’il doit au travail sur la Grande Guerre, proposant une histoire de ce que l’on pourrait appeler la « culture matérielle » du combat, mais aussi une histoire des sens, une histoire des corps en souffrance, le tout se mêlant en une description magistrale de l’affrontement, saisi en son cœur. Descendre sur la plage de Saint-Cast, aux côtés des guards et des grenadiers britanniques, monter à l’assaut des retranchements qu’ils tiennent avec le fantassin du régiment de Boulonnais, au milieu du feu de l’artillerie navale : voila, entre autres, ce qui nous incombera sans doute dans les pages qui viennent, afin, [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] autant que possible, de sortir de la seule « histoire militaire d’en haut », selon l’expression de S. Audoin-Rouzeau, afin de se placer au niveau du simple combattant, celui « qui tue ou est tué », d’en saisir les attitudes, les émotions, loin donc des schémas simplistes gloire/honte, courage/couar- dise, bon général/mauvais général qui ont fait les beaux jours d’une histoire militaire grand public36. [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] Mais, nous l’avons vu, G. Duby souhaitait aller plus loin, dépasser cette « sorte d’ethnographie de la pratique militaire » au cœur du Dimanche de Bouvines en proposant « de voir comment un événement se fait et se défait37 ». Ceci impose sans doute, notamment, dans un premier temps, de réfléchir à la place de la bataille dans la campagne dans laquelle elle s’ins- crit38. Ceci implique aussi – et surtout – de revenir sur ce qu’est en 1758 une bataille, cette forme bien particulière d’affrontement, cette « tragédie 35. Chaline, Olivier, La bataille de la Montagne Blanche. Un mystique chez les guerriers, Paris, Noesis, 1996. Signalons cependant la parution récente de Malfoy-Noël, Dorothée, L’épreuve de la bataille, 1700-1714, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2007. 36. Audoin-Rouzeau, Stéphane, Combattre. Une anthropologie historique…, op. cit., p. 98 et Chaline, Olivier, « 14-18 au miroir d’autres conflits. De la Somme à la Montagne blanche », 14-18 : Aujourd’hui. Today. Heute, 1998, n° 1, p. 109. 37. Duby, Georges, Le dimanche de Bouvines…, op. cit., p. 10. 38. De ce point de vue, les travaux fort différents de Béraud, Stéphane, La révolution militaire napo- léonienne. 1. Les manœuvres, Paris, B. Giovanengeli, 2007 et Ostwald, Jamel, « The Decisive Battle of Ramillies, 1706. Prerequisites for Decisiveness in Early Modern Warfare », Journal of Military History, 2000-4, 64, p. 649-678, nous semblent particulièrement intéressants. 23
LA BATAILLE DE SAINTCAST classique » que caractérisent unité de lieu et unité de temps : des centaines, des milliers d’hommes s’affrontant, le temps de quelques heures, en un lieu donné selon un modèle auquel la Grande Guerre mettra assez largement fin en 1914. Dans un manuel déjà ancien, The Military Experience in the Age of Reason, l’historien C. Duffy en offrait une description rarement proposée jusqu’alors, inspirée d’ailleurs pour une part des travaux de J. Keegan 39. Plus récemment, H. Drévillon, dans un ouvrage titré Batailles, en a pour sa part proposé une approche d’apparence plus classique – il s’agit de l’étude d’une quinzaine de batailles, de 1351 à 1914 –, mais de fait particulière- ment stimulante, tant en raison de l’analyse de chacun des affrontements que par la précieuse réflexion offerte en introduction sur ce qui fait un tel événement40. Car « la bataille est un événement par décret » rappelle-t-il, dont la reconnaissance est liée à « un acte délibéré soumis à une véritable procé- dure », permettant notamment de la distinguer du simple « combat 41 ». L’« événement bataille », effet d’une construction, a posteriori, retrouve ainsi une place de choix au cœur des réflexions de nombreux historiens, notam- ment depuis le 11-Septembre – 2001 cette fois, et non 1758. La chose n’est pas tout à fait nouvelle à vrai dire : dès 1972, P. Nora, dans un article resté fameux de la revue Communication, repris deux ans plus tard dans le collectif Faire de l’histoire, pronostiquait « Le retour de l’événement » ; il est vrai que l’on se trouvait alors au lendemain de Mai 1968. Plus récemment, [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] en 2002 et 2003, les revues Terrain, L’Histoire, Vingtième Siècle ou encore les Annales consacraient un dossier à ces questions, reconnaissant directement ou indirectement l’importance qu’il y a pour faire un événement que celui- ci, au-delà de son intensité, de son imprévisibilité, de ses conséquences, soit connu du plus grand nombre42. Un événement connu, c’est-à-dire raconté, transmis, mis en scène le cas échéant. D. Le Fur, en consacrant 153 des 336 pages de son ouvrage à la postérité de l’événement Marignan, à la « propa- [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] gande » qui suit la bataille – traitée, quant à elle, en 16 pages seulement – a montré tout l’intérêt de ce type d’approche43. Dans ce cadre, on saisit d’emblée l’importance que peuvent prendre les jeux de la mémoire. C’est ainsi à la « bataille au filtre de la mémoire » que s’intéresse O. Chaline dans la dernière partie de son étude sur la Montagne blanche44, une réflexion au cœur du travail de J.-M. Largeaud sur Napoléon 39. Duffy, Christopher, The Military Experience in the Age of Reason, Londres, Routledge, 1987, p. 189-267. 40. Drévillon, Hervé, Batailles. Scènes de guerre de la Table Ronde aux Tranchées, Paris, Le Seuil, 2006. 41. Ibid., p. 11. 42. Par ordre chronologique de parution, « Qu’est-ce qu’un événement ? », Terrain, n° 38, mars 2002, « 10 journées qui ébranlèrent le monde », L’Histoire, n° 268, septembre 2002, « Le tonnerre du 11 septembre », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 76, octobre 2002 ou encore « Face à la guerre », Annales. Histoire, Sciences sociales, janvier 2003. 43. Le Fur, Didier, Marignan. 13/14 septembre 1515, Paris, Perrin, 2003. 44. Chaline, Olivier, La bataille de la Montagne Blanche…, op. cit., p. 377-578. 24
INTRODUCTION et Waterloo : la défaite glorieuse de 1815 à nos jours, un modèle du genre45. Figure du récit, la bataille apparaît aussi et surtout comme une somme de représentations, de mémoires, qui peuvent contribuer à en faire un « lieu de mémoire », symbolique ou non. La chose est nette à Saint-Cast, avant même l’érection du fameux monument du centenaire. L’usage de ce passé guerrier dans les présents successifs des années 1830-1840 tout d’abord, de la période encadrant 1858 ensuite, des quelques décennies séparant 1880 de 1914 a déjà retenu notre attention dans des publications antérieures46. Nous souhaiterions cependant aller plus loin ici, poursuivre notamment cette réflexion jusqu’en cette année 2008 au cours de laquelle, à coup d’arti- cles et de conférences, de Rennes à Southampton, des bancs de la Sorbonne à Saint-Malo ou à Saint-Cast même, nous en sommes nous-mêmes venus à agir – modestement – sur cette mémoire. Culture militaire, culture(s) de la guerre, culture(s) de guerre… Mémoire – mais aussi commémorations –, expérience du combat, aux- quelles l’on pourrait ajouter « consentement » – ou non – à servir, mobili- sation des populations civiles, violence des comportements, processus de deuil : ce sont là certains des thèmes mis en exergue par des historiens tels S. Audoin-Rouzeau et A. Becker comme constitutifs d’une « culture de guerre » liée au premier conflit mondial. Si les débats furent – et restent [« La bataille de Saint-Cast », Yann Lagadec et Stéphane Perréon, David Hopkin (coll.)] – vifs, l’émergence de cette notion, bien que contestée, a notamment eu pour mérite de chercher à unifier civils et militaires, arrière et front en une approche globale particulièrement féconde47. Certes, en raison même des particularités des conflits mondiaux du siècle dernier, les périodes anté- rieures n’offrent que partiellement la possibilité d’étendre cette notion de « culture de guerre » – notamment au sens pour une part restrictif que lui donnent S. Audoin-Rouzeau et A. Becker48. La chose explique sans doute [Presses universitaires de Rennes, 2009, www.pur-editions.fr] 45. Largeaud, Jean-Marc, Napoléon et Waterloo : la défaite glorieuse de 1815 à nos jours, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2006. Nous renvoyons par ailleurs au récent ouvrage collectif dirigé par Hoock, Holger (dir.), History, Commemoration and National Preoccupation : Trafalgar, 1805- 2005, Oxford, Oxford University Press/British Academy, 2007 ou au travail, plus ciblé encore, de Reardon, Carol, Pickett’s Charge in History and Memory, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1997, consacré à la charge menée par les hommes du général Pickett au troisième jour de la bataille de Gettysburg, en 1863. 46. Hopkin, David, Lagadec, Yann et Perréon, Stéphane, « La bataille de Saint-Cast (1758) et sa mémoire… », art. cit. et « The Experience and Culture of War in the Eighteenth-Century : The British Raids on the Breton Coast, 1758 », French Historical Studies, 2008, p. 193-227 ; voir aussi Hopkin, David, « Remembering the Battle of Saint-Cast (1758) : Regional Politics and Local Memory of International Conflict », à paraître, 2009. 47. Audoun-Rouzeau, Stéphane et Becker, Annette, 14-18. Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000. Ces positions sont notamment contestées par Rousseau, Frédéric, La Grande Guerre censu- rée : une histoire des combattants européens de 14-18, Paris, Seuil, 2e éd., 2003. L’ouvrage de Prost, Antoine et Winter, Jay, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Le Seuil, 2004 offre une salutaire mise en perspective de ces débats. 48. Dans Audoin-Rouzeau, Stéphane et Becker, Annette, 14-18. Retrouver la guerre…, op. cit., p. 122, les deux auteurs la définissent comme « un corpus de représentations du conflit cristallisé en un véritable système donnant à la guerre sa signification profonde », un système « indissociable de la haine à l’égard de l’adversaire ». C’est sans doute sur ce dernier point que nous ne suivrons pas 25
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