Santé digitale : petit guide à l'usage du néophyte - Revue ...
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REVUE MÉDICALE SUISSE Santé digitale : petit guide à l’usage du néophyte Prs CHRISTIAN LOVIS et CLARA JAMES Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 1108-12 Introduction de l’actualité à la science dure. Les consé- La vitesse devient un facteur discriminant quences de cette évolution sont nom- important de la production d’informations. Alors qu’il y a dix ans à peine, l’image breuses, mais en premier lieu, l’information, Et, conséquemment, la capacité d’accéder d’une société digitalisée était l’apanage de même spécialisée, devient progressive- rapidement et en tous lieux à ces informa- la science-fiction, ou simplement de cette ment globalement accessible. Les barrières tions devient également un élément discri- famille particulière d’individus appartenant à l’accès changent de nature. Elles sont de minant. La société de l’information se rap- au club des geeks, elle était pourtant déjà moins en moins financières ou technolo- proche donc de plus en plus du temps réel, dans l’esprit de certains visionnaires, de giques, elles sont de manière croissante qui est vu comme une nécessité. laboratoires de recherche. Ces visionnaires, liées à la langue et à la capacité d’en évaluer avant-gardistes comme Steve Jobs, un des la qualité. Ce dernier point est critique. Il Objets connectés fondateurs d’Apple, ou thésard comme n’y a aujourd’hui aucune méthode fiable Larry Page, un des fondateurs de Google, pour évaluer la qualité de l’information, si Cette évolution vers la capacité d’accé- sont pourtant les moteurs d’un des chan- ce n’est le temps qui permet aux informa- der aux informations en tous lieux et en gements les plus rapides et disruptifs de tions fiables de se voir confirmées. Ceci tout temps s’est concrétisée avec la porta- notre société. représente un défi majeur actuellement, bilité croissante des dispositifs permettant Une des facettes les plus étonnantes de un défi qui touche toutes les sources, même de la réaliser. Ordinateurs portables d’abord, cette digitalisation est son ubiquité. Tous celles qui semblent les plus fiables. La quan- puis téléphones et tablettes, finalement les les domaines, toutes les activités de la so- tité d’informations disponibles dépasse montres actuellement. Cette évolution va ciété, toutes les classes sociales, toutes les l’entendement. Si on ne prend que Pubmed, se poursuivre et on peut trouver aujourd’hui tranches d’âges, mais également tout ce qui ce sont plus de 4000 publications qui sont des bagues connectées, des boucles d’oreilles nous entoure, les objets, comme l’environ- indexées chaque jour. Un mot-clé aussi spé- connectées, etc. La mise en réseau des ob- nement, et jusqu’à notre comportement et cifique que « gluten » renvoie à 12 186 réfé- jets s’est rapidement étendue à d’innom- notre style de vie. Rien, absolument rien, rences le 30 mars 2016, desquelles 746 ont brables aspects de notre vie quotidienne, n’y échappe. été publiées uniquement en 2015, soit deux du frigidaire connecté à la voiture connec- publications indexées par jour sur le gluten ! tée, de l’habit connecté à la maison connec- tée, et beaucoup d’autres dont il serait vain Les nouvelles forces Accès à la formation de tenter d’en faire une liste exhaustive. Cette évolution ne fait que s’accélérer, et La digitalisation développe de nouvelles Avec la globalisation de l’accès à l’in- il ne se passe pas un jour sans l’annonce de forces qui influencent profondément notre formation, un autre défi de taille est celui telle ou telle autre technologie permettant société et son fonctionnement. de l’accès à la formation. Dans ce domaine de connecter un objet, d’acquérir tel type également, la révolution de la formation à de données. Accès à l’information distance, tels les MOOC (Massive Online Open Courses), est en voie de bouleverser Quantification exhaustive Qui ne connaît pas Pubmed, la plus l’approche traditionnelle des cursus de for grande source de références de publication mation. Harvard, Stanford, Princeton. Les Les objets connectés s’étendent large- en sciences de la vie. Et pourtant, jusqu’en grandes universités américaines ont été les ment à la quantification de l’environne- 1992, ses accès étaient payants, et c’est Al pionnières sur le terrain des MOOC, en ment et de soi-même. Il n’existe plus aucun Gore, alors vice-président des Etats-Unis donnant l’accès en ligne à des enseignements smartphone qui ne soit capable de fournir d’Amérique, qui en a rendu l’accès public de qualité, de manière gratuite souvent. Ces la géolocalisation, l’accélération, qui ne et gratuit. Qui aurait pensé alors que ceci pionniers ont rapidement été largement sui- puisse être utilisé comme podomètre ou serait l’acte fondateur de ce qu’on nomme vis dans le monde, et nos grandes écoles et encore, pour un nombre croissant, ne puisse aujourd’hui l’Open Access. Une force in- universités proposent toutes aujourd’hui un mesurer le pouls ou la saturation en oxy- domptable, potentialisée par l’internet, et catalogue croissant de formations en ligne. gène du sang. Les dispositifs personnels qui va entraîner aussi un changement ma- pour quantifier sa santé, balances connec jeur dans la politique des grands éditeurs Temps réel tées, glucomètres connectés par exemple, scientifiques : désormais, on paie de plus ou son activité sportive sont légion et s’éta- en plus pour publier, et de moins en moins Sans surprise, la production sans cesse blissent en écosystèmes de mesures. Les pour lire. Du moins, en science. Ce mou- augmentée d’informations entraîne une mesures de son environnement, de la qua- vement se généralise lentement à tous les course au temps dans sa production. Il lité de l’air, de la température ou de la domaines de la presse et de l’information, s’agit de publier rapidement, en premier. pression atmosphérique, sonomètres, de WWW.REVMED.CH 1108 1er juin 2016 36_40_39306.indd 1108 26.05.16 11:10
santé digitale la qualité de l’eau, deviennent ubiquitaires. en réseau les besoins, les compétences et vérifier les éventuelles erreurs, voire à les Dans la seule région lémanique, on a accès les ressources. D’innombrables outils et ini- partager pour obtenir des avis ou pour à plusieurs milliers de capteurs environ- tiatives soutiennent la mise en réseau des soutenir des utilisations secondaires comme nementaux personnels dont les données gens, des réseaux sociaux comme Facebook la recherche. sont accessibles en open data.1 Cette ten- ou LinkedIn, jusqu’aux réseaux plus spé- dance se trouve encore renforcée par des cialisés comme l’initiative e-health-suisse Personnalisation actions de motivation, comme le prix d’un qui met en réseau les professionnels de la million d’euros H2020 de la recherche et santé et les patients autour des données La personnalisation est aujourd’hui une innovation en Europe, qui récompensera du dossier patient informatisé. Cette mise science qui devient mature et qui est lar- la meilleure implémentation d’un scanner, en réseau se fait de manière plus ou moins gement utilisée dans l’industrie. Pour ces capable d’identifier les caractéristiques régulée, par exemple encadrée par une loi entreprises, il ne s’agit pas tant d’identi- nutritionnelles, et certains aspects liés fédérale et des ordonnances pour le dos- fier des personnes que de les caractériser aux toxiques et aux allergies, dans notre sier électronique du patient en Suisse.4 Les et connaître leurs activités, leurs préfé- alimentation.2 barrières naturelle, géographique, et de ma- rences, leurs aspirations et leur capacité nière rapidement croissante les barrières économique. Alors que l’on discute encore Données massives linguistiques, sont abolies. Dans cette so- d’identification et d’anonymisation dans ciété, tous les individus sont potentielle- le domaine de la santé, l’industrie de con Transactions financières, processus lo- ment toujours et partout en lien avec tout sommation se penche déjà sur ce nouveau gistiques, administration en ligne, santé, et avec tout le monde. Il devient rapide- concept : l’individualisation. Ceci permet tous les aspects de l’économie, du fonc- ment discriminant et coûteux de ne pas de proposer le produit le plus approprié, tionnement de la société et jusqu’à notre être connecté. La mise en réseau soulève au bon moment et à la bonne personne. Le vie privée se digitalisent. Capteurs et me- cependant de nombreux défis. Scientifiques, plus célèbre exemple est celui de 2012, sures ubiquitaires, dossier patient informa- pour assurer l’interopérabilité des données, lorsqu’une société spécialisée dans le mar- tisé, génomique, bibliothèques numériques, et notamment sémantiques ; techniques keting ciblé a identifié qu’une adolescente bases de données de littérature, journaux pour en assurer la sécurité et l’intégrité, et était enceinte avant que son père ne soit et actualité en ligne, réseaux sociaux, etc., finalement éthiques et juridiques pour as- informé.5 et c’est progressivement l’ensemble de l’éco- surer la protection de la sphère privée et système humain et son environnement qui l’usage des données, pour n’en citer que Médecine de précision sont accessibles à la machine. Voilà ce qu’on les plus importants. On s’aperçoit aussi (ou personnalisée) nomme le Big Data. Déjà en 2012, Google que cette mise en réseau doit affronter des annonçait que le stockage de sa messagerie résistances importantes, créées par les En santé, cette évolution s’accompagne atteignait 1 exabyte. Un chiffre qui donne privilèges d’accès exclusifs, marchés captifs de perspectives inédites, qui se cristallisent le vertige. Un exabyte, c’est 10 18 bytes. 10 18 ou encore opacités des processus. autour du concept de « médecine de préci- secondes, c’est 32 milliards d’années. 10 18 sion », ou encore « médecine personnali- mètres, c’est 110 années-lumière. Et toutes Transparence sée ». C’est la convergence de toutes les ces données, elles nous décrivent, notre données qui caractérisent un individu, de corps, notre comportement et l’environ- La transparence devient ainsi une ses gènes à son corps, son environnement, nement dans lequel nous vivons. norme de société. Ceci s’applique aussi de son style de vie, l’écosystème dans lequel Et voilà qu’une des interrogations fon- plus en plus dans le système de santé : on il vit, aux fins de pouvoir au mieux et de damentales de la pensée humaine prend attend une transparence des prix, des pro- manière absolument individualisée, com- une nouvelle dimension. Comme si bien cessus clairs, des résultats accessibles et prendre ses besoins, soutenir les dé- exprimé par Pierre Simon Laplace dans son des résultats d’analyse de la qualité dispo- marches médicales et thérapeutiques, in- Essai philosophique sur les probabilités : « Une nibles ouvertement. Une culture de la con terpréter les résultats, mais également et intelligence qui, à un instant donné, connaî- fiance constitue la base de la collaboration peut-être surtout, maintenir son capital trait toutes les forces dont la nature est sociale. On voit apparaître des plateformes santé et entrer dans une démarche de pré- animée et la situation respective des êtres de comparaison en ligne, avec des indica- vention de la maladie. La médecine per- qui la composent, si d’ailleurs elle était suf- teurs sur les hôpitaux, les prestataires, avec sonnalisée, ce n’est pas la médecine de la fisamment vaste pour soumettre ces don- toutes les dérives que cela peut aussi en- relation singulière. Celle-ci existe de tous nées à l’analyse, embrasserait dans la même gendrer. Toutefois, on peut espérer un gain temps. La médecine personnalisée, c’est formule les mouvements des plus grands de qualité issu de la communication de pair cette médecine qui embrasse la totalité corps de l’univers et ceux du plus léger à pair (peer-to-peer) de la communauté, plus des déterminants de santé d’un individu, atome ; rien ne serait incertain pour elle, que potentiellement garantie par des ins- de ses atomes à son contexte psychoso- et l’avenir, comme le passé, seraient pré- tances de surveillance. La mise en réseau cial. Une médecine où chacun devient un sents à ses yeux ».3 C’est le vieux rêve, ou des acteurs dans le système de santé de- cas enfin réellement unique, jusque dans peut-être le cauchemar, du déterminisme, vient une condition obligatoire de la mise la production de molécules pour traiter, le de la capacité à comprendre, mais aussi à en place de processus de prise en charge choix des dosages et des horaires d’admi- prédire, qui s’en trouve bouleversé. centrés sur le patient et qui dépassent les nistration, parfaitement adaptés. limites de chaque prestataire individuel. Mise en réseau De nombreux consommateurs de la santé Intelligence artificielle sont intéressés à obtenir un accès à leurs Pour exploiter au mieux cette masse données médicales personnelles, ainsi Suivre tout ce qui est publié dans un d’informations et de données, il faut mettre que, le cas échéant, à les compléter ou à domaine n’est plus possible pour les hu- www.revmed.ch 1er juin 2016 1109 36_40_39306.indd 1109 26.05.16 11:10
REVUE MÉDICALE SUISSE mains. Etre capable de saisir ces informa- temps, l’intelligence, le savoir et le savoir- début. Ces puces permettent notamment tions, les interpréter, les corréler, les infé- faire, l’expérience, ou encore la créativité, de porter une identification personnelle, rer afin de les utiliser et de les appliquer, a d’un grand nombre de personnes pour réa- par exemple pour pouvoir utiliser son té- depuis longtemps dépassé nos compé- liser certaines tâches traditionnellement léphone cellulaire sans devoir entrer de tences individuelles. Il en est de même des effectuées par des employés spécialisés. code. Là où la médecine tente de combler données, ne serait-ce que celles concer- Ayant acquis ses lettres de noblesse des handicaps, comme par exemple dans nant un seul individu. Les données d’une avec Wikipédia, la valeur de l’intelligence le cas des implants cochléaires, le « trans- seule personne possiblement disponibles, participative des citoyens en tant qu’intel- humanisme » tente d’étendre les capacités de son génome à son comportement, des ligence collective est une discipline émer- de l’humain, avec le soutien d’acteurs très molécules qui le constituent à son envi- gente de la gestion de connaissances, no- puissants.11 Les avancées en nanotechno- ronnement, représentent de tels volumes tamment, et prend une nouvelle envergure logies et informatique quantique ne vont qu’il n’est plus possible de les appréhen- avec des initiatives centrées sur les citoyens qu’amplifier ce mouvement en apportant der. Ceci est d’autant plus vrai s’agissant (crowd ), telles que le crowdsourcing, le des solutions de plus en plus miniaturi- de populations d’individus. L’utilisation crowdscience, le crowdknowledge, etc. sées, avec des puissances incomparables à de machines pour lire ces informations, La mise en œuvre se fait par un appel celles de l’informatique actuelle. ces données, les analyser, les interpréter, ciblé lorsque des prérequis spécifiques sont n’est pas un luxe, c’est une nécessité. Sans nécessaires, par exemple linguistiques, mais Simulation et virtualisation ces outils, il est illusoire d’espérer créer une le plus souvent par un appel ouvert à toutes valeur pour l’homme de ce que l’homme les personnes. La simulation permet de reproduire produit désormais. C’est l’une des raisons « Crowdsourcing is an online, distri- un phénomène physique réel et complexe, qui mènent aux développements de projets buted problem-solving and production par exemple le climat, par la mise en œuvre comme IBM Watson 6 ou Google AlphaGo et model ».10 de modèles théoriques, et sert à étudier le qui permettent à Google de publier dans fonctionnement et les propriétés d’un sys- Nature.7 IBM Watson a deux grandes com- Humain augmenté tème et à en prédire l’évolution. La simu- pétences. Tout d’abord, il est capable de «lire lation et la virtualisation sont utilisées de l’anglais », avec un puissant outil d’analyse Inévitablement, ces technologies con longue date en aviation, et de plus en plus linguistique, des dictionnaires, une sé vergent autour de l’humain pour étendre en médecine, tant pour la formation que mantique. Puis, il a un non moins puissant ses compétences. Le smartphone est un pour la préparation d’actes thérapeutiques, moteur probabilistique. IBM Watson, c’est exemple de cette convergence. C’est sans et notamment chirurgicaux. un enfant qui lit tout, et se construit ainsi doute la vraie révolution de cette techno- une réalité du monde. Et qui se met à ga- logie : le téléphone personnel, individualisé. Impressions 3D gner à Jeopardy…8 Cette technologie n’est Ma musique, mes App, mes préférences, etc. pas l’apanage de grands centres de calculs. Avec les capteurs, les empreintes digitales Après des années de développements Elle arrive doucement dans nos poches, et la reconnaissance faciale, il devient en- lents, l’impression 3D a connu des progrès elle s’appelle Siri, Cortana ou encore Google core plus proche de l’individu. Avec sa mé- fulgurants ces cinq dernières années, jusqu’à Now. moire, l’agenda, les photos personnelles, devenir un produit de grande consomma- la liste des contacts, il devient une exten- tion avec des machines capables d’impri- Environnement intelligent sion indispensable de la mémoire de l’in- mer dans des volumes de 10-15 cm3 pour dividu. Le smartphone devient une exten- quelques centaines de francs. Utilisées de La convergence de capteurs person- sion de soi. Cette tendance s’accélère manière occasionnelle en médecine depuis nels, de capteurs d’environnement, d’ob- avec l’apparition de nouveaux dispositifs, longtemps, les publications d’utilisation jets connectés et d’intelligence artificielle habits connectés, boucles d’oreilles, pen- d’imprimantes 3D ont explosé ces der- amène tout naturellement la capacité à dentifs, bracelets, et même tatouages, aux niers temps avec plus de publications en créer des environnements de vie, capables innombrables possibilités. Les Google Glass 2015 (512 papiers indexés dans Pubmed en de réagir de manière cohérente. Ceci fait sont paradigmatiques de ces tentatives 201512 ) que le cumul des quinze années l’objet de recherches intensives, notam- d’apporter aux humains des interfaces aug précédentes. Les HUG ont d’ailleurs fait la ment dans le cadre des projets européens mentées avec la réalité. Aujourd’hui, pres première suisse de la pose d’un implant de du programme Active Assisted Living (AAL)9 que tous les grands acteurs récents de l’in- cheville à l’aide de guides imprimés sur qui promeut le développement d’environ- formatique, Google, Facebook, Microsoft, se mesure.13 Prothèses en polymères biodé- nements capables de soutenir notamment sont lancés dans la course aux lunettes à gradables, préparation préopératoire, pro- les personnes avec des déficits cognitifs réalité augmentée ou virtuelle. Il ne fait thèses définitives, alliages de métaux ou ou physiques. Le projet Co-Living, par pas de doute qu’elles seront bientôt aussi céramique, pour l’orthopédie, la chirurgie exemple, a permis le développement d’un communes que les smartphones ou les ta- maxillo-faciale ou la reconstruction de vais- système qui soutient et développe la ri- blettes aujourd’hui. seaux, un nombre croissant de domaines chesse des réseaux sociaux de personnes sont désormais intéressés à utiliser ces tech- âgées, tout en les motivant à améliorer Convergence homme-machine niques qui ne cessent d’évoluer, en particu- leur activité physique. lier concernant la vitesse d’impression qui La barrière de la peau est également reste très lente : il faut des heures pour im- Intelligence participative en voie d’être franchie, notamment avec les primer une prothèse de quelques centi- implants de puces NFC (Near Field Com- mètres cubes, ou des matériaux, en parti- L’intelligence participative se réfère à munication), qui ne sont encore utilisées culier des matériaux biodégradables ou l’utilisation de ressources telles que le que par de rares personnes, mais c’est un des biomatériaux. 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santé digitale Les nouveaux défis souvent avant cross-linkage. Ces techniques son fonctionnement s’appuie sur un mo- sont très utilisées dans le domaine des don- dèle probabilistique d’apprentissage à par- Sphère privée, consentement et usage nées massives pour tenter de connecter tir d’analyse linguistique de textes trouvés Plus que jamais, notre société est con toutes les données produites par un même sur internet. Ainsi, IBM Watson apprend à frontée au défi du respect et de la protec- individu, sans connaître cet individu a priori. partir de ce qu’il lit et construit des « véri- tion de la sphère privée, et de l’individu. Le grand mérite et aussi le grand danger tés » sur cette base. On s’éloigne ici de ma- Ceci est d’autant plus vrai que les moyens de ces techniques consistent à pouvoir dres- nière claire d’une approche de la vérité liée à disposition aujourd’hui permettent de ser une image très cohérente et complète à l’évidence, et on se rapproche d’une sorte traiter de manière massive des données très d’un individu en assemblant de nombreuses de vérité « démocratique », soit de plus hétérogènes, centrées autour d’un individu sources dont on peine à imaginer, a priori, forte probabilité. et que les forces en présence sont parfois qu’elles puissent l’être. C’est, par exemple, très opposées. D’un côté, la recherche scien- connecter vos recherches sur internet, vos Formation tifique en sciences de la vie, mais aussi la déplacements en voiture, vos achats, à par- santé publique, la prévention, qui cherchent tir de sources apparemment discontinues Pour la médecine, un élément capital à maximaliser les chances individuelles tant (moteur de recherche, opérateur télépho- dans cette évolution est la capacité au sys- pour la conservation du capital santé que nique, carte bancaire) et à dresser de vous tème de formation de rester à niveau, d’en- pour sa restauration. De l’autre côté, la un profil psychologique et comportemental. seigner avec et dans ces nouvelles techno- commercialisation de ces mêmes données logies, mais aussi d’enseigner aux futurs pour d’autres objectifs, comme la quanti- Droit à l’oubli professionnels comment les utiliser, com- fication du risque individuel pour les assu- ment travailler de manière participative rances, la publicité ciblée ou encore la fixa- Avec la digitalisation de la société, la avec des patients qui deviennent de vrais tion des prix en fonction des capacités éco- peur de perdre des données s’est d’autant partenaires. nomiques. L’autodétermination de l’usage plus renforcée que les conséquences de Il s’agit aussi de préparer les futurs mé- des données doit être préservée à tout prix, telles pertes sont devenues de plus en plus tiers indispensables, par exemple des spé- c’est un impératif critique pour assurer la importantes. L’industrie, la science, la tech- cialistes de la simulation, des spécialistes pérennité de l’équilibre sociétal. Toutefois, nologie se sont donc évertuées à fabriquer de l’accès aux données, des « big data ma- afin de ne pas prétériter les immenses es- des solutions qui minimisent au maximum nager », etc. poirs soulevés par l’usage de ces données le risque de perte de données, et ce essen- pour les sciences de la vie, il convient de tiellement en les dupliquant dans ce qu’on repenser radicalement la gestion du consen- appelle aujourd’hui le cloud. On parle ici Conclusions tement et de l’usage des données. Les con d’un nombre indéfini de serveurs, en géné- sentement larges et implicites ne sont pas ral relativement aléatoirement distribués Ces nouvelles technologies sont en acceptables en l’état. Ils ouvrent de larges sur terre. Le stockage de données dans le passe de créer une transformation pro- brèches dans la protection de la sphère pri- cloud permet d’atteindre un niveau très fonde du système de santé, de l’ensemble vée et ne sont pas en mesure de garantir élevé de sécurité contre la perte acciden- de ses acteurs, des professionnels aux pa- que les données ne seront pas utilisées telle de données. Toutefois, ce même stoc- tients et aux citoyens, de redistribuer les contre les personnes qu’elles concernent. kage rend de plus en plus difficile, voire rôles. « L’empowerment » devient une réa- Nous militons en faveur d'un consente- impossible, la destruction définitive des lité concrète. Il ne s’agit plus « d’inviter » le ment dynamique, transparent et partagé. données. Ceci est d’autant plus vrai pour patient dans la relation, c’est le citoyen qui Une vision unifiée du consentement, que des données qui seraient disponibles sur s’y introduit. Un citoyen de plus en plus la personne concernée peut visualiser et internet, puisqu’il devient alors simplement informé, de plus en plus formé, un citoyen modifier en tout temps, librement. Cette impossible de savoir qui les aurait éven- connecté, dans des réseaux et des commu- approche du consentement est étroitement tuellement copiées. nautés. Le patient a accès à l’information, liée avec l’usage des données ; ce faisant, la à la formation, à son dossier. Il en devient le personne qui met ses données à disposi- Vérité probabilistique dépositaire réel, et plus simplement légal. tion de la recherche peut également voir à Il devient le spécialiste de sa maladie et de quel usage elles sont utilisées, en temps L’analyse et le traitement des données ses données. A ce titre, il est réellement le réel, et quels résultats l’usage de ces don- massives ouvrent de nombreux espoirs. partenaire privilégié dans la collaboration nées a permis d’obtenir. C’est aussi une Le traitement de ces données permet de avec un réseau de spécialistes. convergence avec l’approche participative, construire des modèles mathématiques et La science médicale devient personna- puisqu’elle met en lien direct les cher- d’identifier des faits saillants, à des coûts lisée et holistique autour de l’individu, en- cheuses et chercheurs et celles et ceux qui infimes comparés à ceux que généreraient globe toutes ses données, de ses gènes à mettent leurs données à disposition, dans une approche similaire, mais appuyée sur son écosystème et son comportement. Les un lien persistant et dynamique. une acquisition contrôlée prospective de thérapies deviennent uniques, faites sur données. Parfois d’ailleurs, les données sont mesure. Mise en relation (data linkage) tellement massives qu’il ne serait pas pos- Les défis sont à la hauteur des espoirs. sible d’effectuer une telle étude contrôlée Garder l’humanisme devient un enjeu capi- Il s’agit de techniques de traitement prospective. Le danger est que les modèles tal, préserver l’individu et son autodéter- de données qui permettent de corréler et mathématiques qui sont déduits de ses don- mination. Paradoxalement, l’individu n’aura d’assembler des données en apparence dis- nées donnent accès à une réalité mathéma- jamais été autant en danger qu’avec l’avè- continues et disparates mais qui sont liées tique, et donc potentiellement artefactuelle. nement de la médecine individualisée. Pro- par un même phénomène, inconnu le plus Pour reprendre l’exemple d’IBM Watson, téger la sphère privée devient réellement www.revmed.ch 1er juin 2016 1111 36_40_39306.indd 1111 26.05.16 11:10
REVUE MÉDICALE SUISSE un vrai défi scientifique, il faut repenser 3 Laplace PS. Essai philosophique sur les probabilités 2013/04/18/google-et-les-transhumanistes_3162104_1650684. (Internet). Cambridge : Cambridge University Press; 2009 html les systèmes pour qu’ils soient « privacy by (Cited 2016 Jan 8). Available from : http://dx.doi.org/ 12 US National Library of Medicine National Institutes of design ». 10.1017/CBO9780511693182 Health. (Cited 2016 March 31). Available from : www.ncbi. Ces espoirs, ces défis, on ne pourra 4 Loi fédérale sur le dossier électronique du patient nlm.nih.gov/pubmed/?term=3d+print les relever ou les affronter qu’à une seule (LDPE). (Cited 2016 March 30). Available from : www. 13 L’Hebdo. Prothèses: la révolution en trois dimensions. bag.admin.ch/themen/gesundheitspolitik/10357/10360/ (Cited 2016 March 31). Available from: www.hebdo.ch/ condition : la formation. Les études pré index.html?lang=fr hebdo/cadrages/detail/proth%C3%A8ses-la-r%C3%A9 et postgraduées doivent rapidement inté- 5 How companies learn your secret. (Cited 2016 March volution-en-trois-dimensions grer ces nouvelles tendances, de nouveaux 30). Available from: www.nytimes.com/2012/02/19/magazine/ shopping-habits.html?pagewanted=1&_r=1&hp métiers vont se développer, certains vont 6 IBM Watson. (Cited 2016 March 30). Available from : disparaître. www-05.ibm.com/fr/watson/ Pr CHRISTIAN LOVIS 7 Mastering the game of Go with deep neural networks and tree search. (Cited 2016 March 30). Available from : Service des sciences de l’information médicale Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun http://dx.doi.org/10.1038/nature16961 HUG et Université de Genève, 1205 Genève 8 Jeopardy final. (Cited 2016 March 30). Available from : christian.lovis@hcuge.ch conflit d’intérêts en relation avec cet article. www.youtube.com/watch?v=WFR3lOm_xhE 9 Active assisted living program. (Cited 2016 March 31]. Available from : www.aal-europe.eu/ 1 Netatmo Weathermap. (Cited 2016 March 30). 10 Crowdsourcing as a model for problem solving. (Cited Pr CLARA JAMES Available from : www.netatmo.com/fr-FR/weathermap 2016 March 31). Available from : http://con.sagepub.com/ Haute école de santé de Genève – HES-SO 2 EU H2020 Foodscanner contest. (Cited 2016 March cgi/doi/10.1177/1354856507084420 47, avenue de Champel 30). Available from : http://ec.europa.eu/research/ 11 Google et les transhumanistes. (Cited 2016 March 31). 1206 Genève horizonprize/index.cfm?prize=food-scanner Available from : http://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/ Digital Health 2016 Early Diagnosis & Prevention Professional & Scientific Summer School June 22-24, 2016 La Roseraie, Grand Auditoire 76B av. de la Roseraie, 1205 Geneva For more information : www.hesge.ch/heds/summer-school-digital-health-2016 digitalhealth.heds@hesge.ch WWW.REVMED.CH 1112 1er juin 2016 1007829 36_40_39306.indd 1112 26.05.16 11:10
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