SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT - LES GROUPES DE TRAVAIL - En quoi la mise en place d'une mission interroge

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LES GROUPES DE TRAVAIL

SOCIÉTÉ À MISSION
 ET MANAGEMENT
En quoi la mise en place d’une mission interroge
           les pratiques managériales
Les entreprises qui ont décidé de se doter d’une
raison d’être et d’objectifs sociaux ou environ-
nementaux, inscrits dans leurs statuts ou ayant
vocation à l’être1, ont en commun des question-
nements internes liés notamment à la place du                Les travaux académiques ont mis en évidence deux
corps social dans la réalisation de la mission [raison       points essentiels caractérisant le lien entre manage-
d’être + objectifs statutaires] et l’alignement de           ment et mission, du fait de la place particulière du
leurs pratiques et décisions avec la mission.                collaborateur dans la réalisation de la mission :
                                                             1. La relation de travail reste constitutivement
Si ces préoccupations ne sont pas tout à fait nouvelles          une relation de subordination qui suggère un
du point de vue du management, la loi Pacte, en                  abandon d’une partie de son autonomie au
inscrivant ces dispositions dans le droit renforce               service d’un projet collectif
encore ces questionnements. Elle a été l’occasion de         2. Le corps social et l’entreprise ont un destin lié.
nous réinterroger sur la place et les conséquences               On peut exprimer l’idée selon laquelle le salarié
d’une mission pour les pratiques managériales.                   « confie » au management une partie de ses
Existe-t-il des modes de managements (in)compa-                  potentiels actuels et futurs, au service du projet
tibles avec la pratique et l’engagement vis-à-vis                collectif
d’une mission ? A minima, quels sont les points
d’attention à prendre en considération au niveau du          Nous proposons alors, dans ce rapport, de
management dès lors qu’on songe à se doter d’une             considérer le collaborateur comme une “partie
mission ? La mission peut-elle être une opportunité          prenante attachée”, c’est à dire i) dont le destin
de refonder des outils de dialogue entre les salariés        est (en partie) lié à la bonne réalisation du projet
et/ou avec le management ?                                   collectif, et ii) qui se trouve “transformé/affecté” par
                                                             les modes d’organisation et les choix opérés par
                                                             le management/la direction d’entreprise pour la
       ENJEUX TRANSVERSAUX
       DE LA RELATION ENTRE                                  conduite de ladite mission.
       MISSION ET MANAGEMENT :
                                                             La mission n’est donc pas seulement perçue dans
• La place des parties prenantes internes dans la           la relation qu’elle institue avec son environne-
   transformation en société à mission et les limites        ment extérieur ni dans sa capacité transformatrice
   à leur implication                                        interne, mais en tant qu’elle crée une tension
• Les manières dont l’entreprise à mission modifie          positive ou négative sur les pratiques managé-
   le rapport au pouvoir et les modes managériaux            riales qui président à sa réalisation.
• Le niveau de cohérence du management néces-
   saire au regard de la mission                             La diversité de ce groupe de travail montre que
                                                             toutes les entreprises, qu’elles fassent référence

1. Compte-tenu de la jeunesse de la qualité de société à mission, nous avons fait le choix méthodologique d’inclure
dans nos travaux des entreprises en chemin ou qui se considèrent « à mission » sans avoir inscrit la mission dans leurs
statuts. Si cette étape constitue un engagement juridique qui a une vocation transformatrice, la simple explicitation du
projet collectif, statutaire ou non, impose, dans le champ du management, que chacun se positionne dans ses modes
de fonctionnement et crée de nouveaux engagements réciproques, liés à la perception de la mission par les salariés.

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explicitement aux collaborateurs ou non dans leur          collaborateurs, et ainsi s’imposer un management
mission, sont confrontées à des questionnements            vertueux. La pratique, soumise aux injonctions
managériaux : que les engagements soient pris,             paradoxales, se révèle plus complexe.
de manière explicite, envers les parties prenantes
internes ou les parties prenantes externes, les diffé-     Sans toutefois présumer qu’ils ne se manifestent
rentes strates managériales peuvent être mises en          avec la même acuité, ou qu’ils puissent s’appré-
tension. Elles doivent alors être mobilisées, dans le      hender de la même manière pour toutes les
but d’imaginer des solutions d’accompagnement              entreprises, considérant par exemple leur histoire
spécifiques pour en faire une ressource au service         singulière et leur culture propre, nous avons pu
de la mission, et non un obstacle à sa réussite.           identifier des intangibles du management de la
                                                           mission. Nous avons identifié 7 problématiques
La mission apporte potentiellement autant de               incontournables qui interrogent le besoin d’ali-
réponses qu’elle n’apporte de nouvelles contraintes        gnement entre l’existence d’une mission et sa
aux quatre enjeux clés posés aujourd’hui par le            déclinaison dans les pratiques managériales.
management : i) la quête de sens des collaborateurs,
ii) la congruence de l’action, c’est-à-dire l’alignement   Le rapport vise ainsi à suggérer quelques pistes
entre ce qui est annoncé et la réalité des pratiques,      concrètes et bonnes pratiques pour les traiter,
iii) la hausse du niveau d’exigence, générateur de         en se focalisant sur les principaux champs du
stress et de risques psychosociaux et iv) le pouvoir       management : l’exercice du leadership, la subsidia-
d’agir, notamment du management intermédiaire.             rité et la confiance, l’évaluation des collaborateurs
                                                           et enfin leur rémunération. Ci-après, un résumé
Considérant que l’entreprise à mission se                  des quelques suggestions qui se dessinent de
préoccupe des enjeux sociaux et environnemen-              ce travail d’enquête. Le lecteur curieux pourra
taux, il serait facile d’en déduire que toute entreprise   se rapporter aux développements spécifiques à
à mission doit en premier lieu se préoccuper de ses        chacune de ces propositions.

2.A EXERCICE DU LEADERSHIP                                 Faire vivre la mission dans le temps requiert de
L’enjeu consiste à faire de la mission non pas une         bien l’articuler avec la trajectoire et les enjeux de
source d’injonctions supplémentaires pour les              marché de l’entreprise :
managers, mais bien une ressource pour trancher            • Offrir un appui aux managers pour mener à bien
les décisions difficiles.                                     les transformations.
• Ne pas isoler le management intermédiaire ;
• Définir un cadre de référence auquel les managers       2.B SUBSIDIARITÉ ET CONFIANCE
   peuvent se référer pour clarifier les conditions        En contrepoint des schémas hiérarchiques habituels,
   d’exercice de la responsabilité ;                       l’existence d’une mission pousse à une horizontalisation
• Interroger les paradigmes et les systèmes en            des rapports de pouvoir qui favorise l’autonomie des
   place pour les aligner progressivement, et faciliter    collaborateurs. L’enjeu consiste alors à la rendre compa-
   ainsi l’appropriation managériale de la mission.        tible avec la culture managériale, et à trouver le bon
                                                           équilibre dans la définition des strates de responsabilité :
Dès lors, il nous semble important de mettre en            • Ne pas aller trop vite dans la transition ;
place les conditions de cette appropriation par les        • Clarifier le rôle et les prérogatives de chaque
collaborateurs :                                              strate de responsabilité.
• Co-construire autant que possible la mission avec
   ses collaborateurs ;                                    Les syndicats, jusqu’alors absents des débats
• Matérialiser au quotidien le projet aux yeux des        autour de la mission, nous semblent avoir leur rôle
   collaborateurs, et leur donner la possibilité d’en      à jouer pour faire de l’existence de la mission une
   devenir acteurs ;                                       opportunité de renouveau du dialogue social :
• Laisser une place à la formation de communautés         • Introduire la mission, ou plus largement la finalité
   volontaires de collaborateurs, comme levier                du travail, dans le dialogue social ;
   d’autonomie et de responsabilité pour qu’ils se         • Travailler les représentations pour faire évoluer les
   saisissent des sujets.                                     postures.

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2.C - 2.D ÉVALUATION ET                                         Enfin, la fixation et le niveau des rémunérations
RÉMUNÉRATION DES                                                doivent permettre aux collaborateurs de garder
COLLABORATEURS                                                  le sentiment d’appartenir à un même collectif
                                                                alors même que la mission met en visibilité une
Ces deux champs du management sont liés par                     ambition et un sens de l’action communs.
le fait que, dans la plupart des cas, l’évaluation
permet d’objectiver l’évolution de la rémunération.             • Inventer de nouvelles manières de f ixer les
L’enjeu consiste alors à minimiser la subjectivité                 salaires ;
ou, à minima, éliminer l’arbitraire, en installant              • Prévenir les différents biais pour que la subjec-
conjointement un management bienveillant et                        tivité ne se transforme pas en arbitraire et que
une exigence d’excellence :                                        l’auto-censure ne reproduise pas les inégalités ;
• Ne pas confondre bienveillance et manque de                  • Mettre en place un écart « acceptable » entre les
   franchise : veiller à l’exigence dans le respect ;              plus hauts et les plus bas salaires ;
• Promouvoir de nouveaux formats d’évaluation                  • R epenser les variables en imaginant des
   moins verticaux par la multiplication des regards ;             critères de rémunérations variables pensés en
• Multiplier également les moments d’évaluation                   collectif.
   pour désacraliser l’entretien individuel ;
• M ettre en place une grille d’évaluation                     Malgré la diversité des sujets abordés, tout le
   coconstruite avec les collaborateurs ;                       spectre des sujets managériaux n’a pu être traité
• Intégrer autant que possible dans l’évaluation,              de manière exhaustive, notamment la question
   des critères liés à la réussite de la mission.               des effets de la mission sur la gestion et l’évo-
                                                                lution des compétences. Par ailleurs, compte
Il peut néanmoins s’installer une tension entre la              tenu du faible recul dont nous disposons sur le
mission et la rémunération des salariés :                       fonctionnement des sociétés à mission, il est
• Créer les conditions d’une réelle délibération collec-       fort à parier que les enjeux de management
  tive avant que la décision ne soit prise par la direction ;   eux-mêmes et les solutions à y apporter évolue-
• Justifier les choix avec transparence et pédagogie.          ront avec le temps.

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LES GROUPES DE TRAVAIL

INTRODUCTION                                            6
CONTRIBUTEURS                                           7

LA MISSION ET LES PRATIQUES                                  ÉCLAIRAGES CONCRETS
MANAGÉRIALES :                                               POUR ALIGNER LE MANAGEMENT
IMPLICATIONS ET LIENS                                   8    AUX EXIGENCES DE LA MISSION                 18

1.A ÉTAT DES LIEUX                                      9    2.A EXERCICE DU LEADERSHIP                  19
1.A.1 Penser le rapport au management                        2.A.1 La traduction de la mission
dans le cadre de la mission – cadrages                       dans le management                          19
théoriques                                              9    2.A.2 Engagement des collaborateurs         21
1.A.2 Ce que les sciences de gestion                         2.A.3 Articuler la mission avec
nous disent déjà d’un management                             la trajectoire de l’entreprise              22
de la mission                                           10
                   SOCIÉTÉ À MISSION
1.B SOCIÉTÉS À MISSION : L’INÉVITABLE
                                                             2.B SUBSIDIARITÉ ET CONFIANCE               23
ENJEU DU MANAGEMENT
                    ET MANAGEMENT
1.C LES 7 PROBLÉMATIQUES
                             2.B.1    14                          Trouver le bon équilibre dans la
                                                             définition des strates de responsabilité    23
                                                             2.B.2 La place des syndicats                24
INCONTOURNABLES DU MANAGEMENT
             En quoi la mise en place
DES SOCIÉTÉS À MISSION             15              d’une  mission interroge
                                                     2.C EVALUATION DES
                                     les pratiques managériales
                                                     COLLABORATEURS                                      26
1.C.1 L’élément statutaire comme remise
en cause du “business as usual”                         15   2.C.1 Assurer un management
                                                             bienveillant et une exigence d’excellence   26
1.C.2 Vers des rapports de pouvoir
moins hiérarchiques                                     15   2.C.2 Vers de nouveaux modes
                                                             d’évaluation                                26
1.C.3 Solidarité entre les collaborateurs 15
1.C.4 La cohérence comme enjeu central 16                    2.D RÉMUNÉRATION
1.C.5 Impératif d’excellence...                              DES COLLABORATEURS                          28
au service de la mission                                16   2.D.1 Tension entre la mission
1.C.6 La culture et l’histoire                               et la rémunération des salariés             28
de l’entreprise ont des effets sur                           2.D.2 Niveaux et fixations des salaires     29
la manière dont s’intègre la mission                    16
1.C.7 La mission est une trajectoire et                      CONCLUSION                                  31
s’inscrit dans la durée                                 17
                                                             BIBLIOGRAPHIE                               32
1.D SYNTHÈSE DES PREMIERS
CONSTATS : LE MANAGEMENT
INTERMÉDIAIRE AU CŒUR
D’UN NŒUD DE TENSIONS                                   17

SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021
Les entreprises à mission, au sens large, désignent        Le rapport n’a pas pour vocation à faire le lien entre
deux types d’organisations :                               management for good et société à mission. Le
                                                           management for good correspond à une certaine
• Les entreprises se donnant une mission, ou en           vision de l’entreprise indépendamment de l’exis-
   chemin vers l’adoption de la qualité de société à       tence ou non d’une mission.
   mission
                                                           Lors de nos travaux, nous avons identifié trois
• Les sociétés à mission selon la loi Pacte. Ces entre-   enjeux transversaux à la relation entre la mission
  prises ont inscrit leur mission, librement définie,      et le management :
  dans leurs statuts. La mission permet de préciser
  une raison d’être et de s’engager sur la poursuite       • La place des parties prenantes internes dans la
  d’un ou plusieurs objectifs environnementaux                transformation en société à mission et les limites
  ou sociaux. Elles s’engagent à intégrer les enjeux          à leur implication (place des dirigeants et des
  de la mission dans leur stratégie, et à la traduire         actionnaires, embarquement des collaborateurs,
  par des objectifs opérationnels qui seront ensuite          rôle des syndicats et dialogue social, …).
  évalués annuellement.
                                                           •L
                                                             es manières dont la société à mission modifie le
La loi Pacte prévoit des obligations dont on peut           rapport au pouvoir et les modes managériaux
supposer qu’elles auront des effets spécifiques             (systèmes d’évaluation, rapport à la hiérarchie et à
sur le management. En effet, le législateur prévoit         l’autonomie individuelle, dialogue social, adéqua-
deux modalités de contrôle, le Comité de Mission,           tion des différents modèles managériaux…).
et un OTI, chargés de suivre l’atteinte des objectifs.
                                                            Le niveau de cohérence du management
                                                           •
Les deux situations ont en commun des question-             nécessaire par rapport à la mission (limites de
nements amenés par l’existence de la mission.               l’engagement personnel, politique salariale,
À travers la Loi Pacte, le Code civil et le Code de         trajectoires de carrière, éthique d’entreprise,
commerce reconnaissent désormais que l’entre-               impacts de la mission sur les modes de fonction-
prise a un corps social qui ne se réduit pas aux            nement de l’entreprise…)
intérêts de la société commerciale et à la recherche
de profits à redistribuer.                                 Ces enjeux se retrouvent tout au long de la
                                                           réflexion, qui s’organisera en deux temps. Un
Ce cadre renouvelé pour l’entreprise a été l’occa-         temps de diagnostic sur les liens entre missions
sion de nous questionner sur la place et les               et management (Partie 1 p. 8), suivi de sugges-
conséquences d’une mission sur le management.              tions concrètes pour adapter le management aux
La mission peut-elle être une opportunité de               exigences de la mission (Partie 2 p. 18).
refonder des outils de dialogue entre les salariés
et/ou avec le management ? À minima, quels sont
les points d’attention à prendre en considération
au niveau du management dès lors qu’on souhaite
se donner une mission ?

SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021                                                          6
LES CONTRIBUTEURS ENTREPRISES
• Florence GUÉMY
   Directrice générale de Bayard Presse
• Maud LÉVRIER
   Directrice Déléguée, Ouest-France
• Thierry GAUTHRON
   Cofondateur d’Altman Partners
• Elizabeth SOUBELET
   Cofondatrice de Ma Bonne Etoile
• Yaël GUILLON
   Cofondateur d’Imfusio
• Guillaume DESNOËS
   Cofondateur d’Alenvi
• Sandra de BAILLIENCOURT
   Directrice Générale de Sparksnews

LES CONTRIBUTEURS
SCIENTIFIQUES ET EXPERTS
• Jérémy LÉVÊQUE
   Chercheur, Mines ParisTech
• Arnaud STIMEC
   Professeur, Sciences Po Rennes
• Jean-Paul BOUCHET
   ancien secrétaire général de la CFDT Cadres
• Olivier PASTOR
   expert en gouvernance partagée

LES CONTRIBUTEURS CONSEILS
• Pierre -Dominique VITOUX
   Directeur Général de CO Conseil
• Eric DELANNOY
   Président de Tenzing Conseil

REMERCIEMENTS
Nous remercions particulièrement pour leur contri-
bution Sara CHIKHI, étudiante en sciences sociales à
l’Université Paris-Dauphine, et Alison SAGET, étudiante
en politiques publiques à Sciences Po Paris.

SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021     7
LES GROUPES DE TRAVAIL

                   SOCIÉTÉ À MISSION
LA MISSION ET LES PRATIQUES
MANAGÉRIALES : IMPLICATIONS ET LIENS
                    ET MANAGEMENT
                  En quoi la mise en place d’une mission interroge
                             les pratiques managériales

SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021
d’un engagement de la société commerciale à
                                                          reconnaître et faire exister l’entreprise et la finalité
                                                          de son activité (Levillain 2015, Segrestin et al. 2020).

                                                          À cet égard, cette innovation juridique suggère
                                                          des directions intéressantes pour réviser les cadres
ÉTAT DES LIEUX                                            de gouvernance actuels ainsi que la représenta-
                                                          tion collective que l’on peut porter sur l’entreprise.
                                                          Précisons tout d’abord que la mission constitue
                                                          formellement un engagement d’intérêt collectif.
1.A.1 PENSER LE RAPPORT                                   C’est-à-dire, une désignation des enjeux et des
AU MANAGEMENT DANS LE CADRE                               parties vis-à-vis desquels l’entreprise s’attache
DE LA MISSION – CADRAGES                                  à préciser son rôle et qui l’oblige en retour à en
                                                          démontrer une mise en œuvre, faute de quoi cette
THÉORIQUES
                                                          dernière s’expose à des sanctions. La crédibilité de
La loi Pacte prévoit, depuis 2019 dans le droit           l’engagement se fonde donc dans la capacité de
français, que toute société qui introduit dans ses        l’entreprise, via les organes de gouvernance - le
statuts une mission d’intérêt collectif puisse sous       comité de mission - et de vérification - l’organisme
certaines conditions revendiquer la qualité de            tiers indépendant - prévus par la loi, à se prononcer
société à mission (cf. schéma). Le droit français         sur l’effectivité de la mission et la qualité de ses
a enrichi la représentation de l’entreprise, restée       réalisations. Le contenu de la mission et son niveau
longtemps prisonnière de son enveloppe juridique,         d’ambition étant librement choisis par l’entreprise,
et en donne une représentation plus conforme à la         le législateur propose ici une distinction importante
pluralité des parties qui la composent et la variété      avec l’idée d’intérêt général en choisissant de ne pas
des enjeux dont son activité dépend. Plus précisé-        l’associer à un modèle de vertu ou de bien commun.
ment, la mission se présente comme l’expression           A l’inverse même, la mission peut désigner ainsi de
                                                          “nouveaux communs”, que le législateur pourra
                                                          choisir à terme de regarder comme tels.
       UN NOUVEAU CADRE JURIDIQUE
       POUR L’ENTREPRISE
                                                          Aussi, le postulat de départ qu’adopte ce groupe
                                                          de travail est le suivant : la mission constitue une
 UN CADRE GÉNÉRAL (CODE CIVIL)
                                                          modalité qui permet de restaurer un lien entre
TOUTES LES SOCIÉTÉS                                       Entreprise - en tant qu’organisation privée - et
ART. 1833 COMPLÉTÉ                                        Intérêt collectif sur deux points : i) la mission
« La société est gérée dans son intérêt social, en        explicite un futur souhaité. Elle précise les efforts,
prenant en considération les enjeux sociaux et            éventuellement d’innovation, et transformations à
environnementaux de son activité. »                       mener et les cheminements nécessaires à conduire
                                                          pour l’entreprise et son écosystème, et ii) elle invite
SOCIÉTÉS À RAISON D’ÊTRE                                  à préciser dans ce cadre les conditions de respon-
ART. 1835                                                 sabilité de l’action collective (Lévêque et al. 2020).
Formulation d’une raison d’être de l’entreprise
dans les status.                                          Ceci étant dit, quelle est la place des collabora-
> Oriente le CA, exige l’affectation de moyens.           teurs dans ce cadre ? Il semble utile de rappeler
                                                          que l’existence et la réalisation des activités de
 UN CADRE SPÉCIAL (DROIT DES SOCIÉTÉS)                    l’entreprise, et donc sa capacité à répondre aux
                                                          exigences de sa mission, sont fondamentale-
SOCIÉTÉS À MISSION                                        ment liées au corps social qui la constitue et qui
3. Art. L210-10 Création de la société à mission          participe par son travail à la réalisation de ses
                                                          activités. Certains travaux académiques préfigu-
LES STATUS PRÉCISENT                                      rateurs de la loi avaient d’ailleurs exprimé l’idée
• Une raison d’être                                       que théoriser l’entreprise commandait en retour
• Traduite en un ou plusieurs objectifs sociaux et       de devoir repenser le travail (Favereau et al. 2016),
   environnementaux (que la société se donne pour         notamment en illustrant les trois dimensions
   mission de poursuivre dans le cadre de son activité)   constitutives de ce dernier - capacité de produc-
• Les modalités de suivi de l’exécution de la            tion, de coordination et d’innovation. Ces travaux
   mission : création comité de mission + vérifica-       et d’autres (Segrestin et Vernac, 2018) ont mis en
   tion par un organisme tiers indépendant.               évidence deux points essentiels qui motivent la
                                                          réflexion de ce groupe de travail :

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•L
  a relation de travail est constitutivement une          À l’heure actuelle, les implications de la mission
 relation de subordination qui suggère un abandon          statutaire et ses intrications avec le travail et le
 d’une partie de son autonomie au service d’un             management demeurent largement inexplorées.
 projet collectif. A cet égard, une révision du cadre      Sur ce point, ni le contenu de la loi, ni le recul sur
 de l’entreprise questionne directement la manière         les pratiques actuelles des sociétés à mission ne
 de penser le rapport à l’autorité et à l’autonomie,       nous permettent encore d’apporter d’éléments
 vis-à-vis de cette partie constituante de l’entreprise.   de réponses fermes à la question : existe-t ‘il des
•L
  e corps social et l’entreprise ont un destin lié.       modes de managements (in)compatibles avec la
 On peut exprimer l’idée selon laquelle le salarié         pratique et l’engagement vis-à-vis d’une mission ?
 « confie » au management une partie de ses
 potentiels actuels et futurs (par exemple, son            C’est cette interrogation fondamentale entre le
 employabilité ou ses compétences) et ce, au service       travail de régulation managériale et la mission qui
 du projet d’entreprise. Autrement dit, le collabora-      motive la tenue de ce groupe de travail au sein de
 teur, contrairement à d’autres parties prenantes, se      la Communauté des entreprises à mission, et dont
 voit “transformé” par les choix de l’entreprise. En ce    le présent rapport entend faire état des réflexions
 sens, les moyens mis en œuvre pour justifier de la        engagées dans ce cadre.
 réalisation d’une mission discutent directement de
 la manière dont vont se dessiner ses propres poten-
 tiels futurs (Segrestin, Hatchuel, Starkey, 2021).        1.A.2 CE QUE LES SCIENCES
                                                           DE GESTION NOUS DISENT DÉJÀ
Ce constat étant posé. Il nous permet de préciser          D’UN MANAGEMENT DE LA MISSION
le parti pris et la terminologie adoptée pour la suite
de la réflexion. La logique de RSE distingue classi-       La littérature sur le management, entendue ici
quement parties prenantes internes et externes,            comme l’activité concrète des managers en lien
assignant ainsi les employés d’une entreprise              avec une équipe, est vaste mais éclatée. Excepté
au rang des “internes”. Pourtant, ne retenir de la         lorsqu’ils portent sur un contexte particulier (par
mission qu’une relation de l’entreprise à son écosys-      exemple le management associatif, le manage-
tème qui différencie selon cette seule logique, c’est      ment dans les PME) ces ouvrages ou travaux
prendre le risque de rater une partie des enjeux qui       s’intéressent le plus souvent, sans toujours le
participent de la robustesse du modèle.                    préciser, à la grande entreprise dont les action-
                                                           naires attendent avant tout un accroissement de
Le travail est constitutif de la mission, tout du          la valeur actionnariale. Notre première ambition
moins de sa réalisation, tout comme il est consti-         est de nous intéresser à ce qui, dans les pratiques
tutif de l’entreprise. Le choix qui a été fait est de      managériales, permet de relier la mission et
distinguer les parties prenantes suivant la manière        l’activité (le travail).
dont leurs potentiels se trouvent affectés ou trans-
formés par la réalisation des activités de l’entreprise.   Dans la continuité des travaux fondateurs de
En somme, un niveau de dépendance pas nécessai-            Blake et Mouton (1964), une première catégorie
rement symétrique entre entreprise et ces acteurs          d’ouvrages cherche à identif ier des traits
spécifiques. Le collaborateur “produit” la mission         généraux, intégrant parfois des contingences
en investissant son temps et ses compétences. En           (métier, maturité des personnes, contexte etc.).
retour, les réalisations de l’entreprise impactent ses     Plus récemment, l’attention s’est déportée sur
potentialités futures. Nous proposons ici de consi-        la posture de leader (inspirant, transformatif,
dérer le collaborateur comme une “partie prenante          authentique etc.). Qu’ils soient académiques ou
attachée”, c’est à dire d’une part, dont le destin         non, l’ancrage est ici comportemental ou psycho-
est (en partie) lié à la bonne réalisation du projet       sociologique. Une deuxième catégorie d’ouvrage
collectif ; et d’autre part, qui se trouve “transformé/    vise plutôt à instruire la difficulté de la position du
affecté” par les modes d’organisation et les choix         management intermédiaire ou de proximité. On
opérés par le management/la direction d’entre-             y trouve notamment des descriptions fines des
prise pour la conduite de la mission. À cet égard,         empêchements (Clot, 2014), paradoxes, obstacles
le fournisseur exclusif, le client très dépendant du       bureaucratiques, ignorances des réalités du
produit ou service, ou encore l’actionnaire familial       travail d›un niveau à l’autre. Ces travaux sont
se situent dans ce même registre. C’est selon ce           rarement prescriptifs. De manière un peu réduc-
niveau de dépendance que nous proposons de                 trice, on pourrait dire que la première catégorie
regarder le lien entre les acteurs de l’écosystème         donne des clefs pour agir et la seconde des clefs
et la mission. En particulier, nous nous concen-           pour réfléchir ou comprendre. Notre première
trons sur la relation de travail, et donc la place du      ambition est d’essayer d’alimenter la réflexion
collaborateur dans ce cadre.                               et l’action conjointement.

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CENTRALISATION ET
À partir de ces contributions, il est possible de                 DÉCENTRALISATION
souligner un certain nombre d’enjeux récur-
rents ou contemporains vus tantôt sous l’angle             C’est l’un des dilemmes majeurs en théorie des
de problèmes, et tantôt sous l’angle de solutions          organisations (Lawrence et Lorsch, 1967 : intégration
et réponses.                                               et différenciation ; Perrow, 1981). Faut-il centraliser
                                                           pour assurer au mieux le contrôle, la cohérence
•L
  a quête de sens touche les managers et salariés         d’ensemble ou laisser les opérateurs locaux faire
 en activité mais aussi les étudiants. Cela se traduit     ce qu’ils jugent pertinent ? On trouvera autant
 par une attention accrue à ce qui concerne la vie         d’exemples en faveur de l’une que de l’autre thèse.
 personnelle d’une part, mais aussi les enjeux de          Risque principal de la centralisation : l’application
 transition écologique et sociale. Cela crée des           de règles absurdes dans le contexte réel qui, in
 situations aux effets multiples vis-à-vis desquelles      fine, peuvent être un frein voire un empêchement
 les managers en charge peuvent se sentir                  (Clot, 2014) à la qualité du travail et à l’implication
 désarmés : comportements de retrait, refus de             des collaborateurs. Risque principal de la décen-
 promotions, zapping professionnel, priorisation de        tralisation : les baronnies et mandarinats locaux,
 la vie personnelle sur la vie professionnelle, fuite de   les petits arrangements, la déviance qui peuvent
 talents etc. Ce premier constat légitime la mission       faire que, in fine, l’action n’est plus au service du
 qui peut être un élément de réponse à cette quête         projet d’ensemble (de la mission pour ce qui nous
 de sens, à condition d’être perçue comme authen-          concerne). Les organisations dites à haute fiabilité
 tique et alignée avec le réel de l’activité.              (ou HRO : High Reliability Organizations) telles que
                                                           l’aviation ou les centrales nucléaires parviennent
• La question de la congruence2 (authenticité,            dans une large mesure à assurer la coexistence
  alignement entre ce qui est annoncé et ce qui            des deux dimensions mais au prix d’une ingénierie
  se passe) a pris une place accrue. Il est difficile      difficile à financer par la plupart des organisa-
  de dire dans quelle mesure il y a une évolution          tions ordinaires. D’autres démarches telles que
  sociétale ou simplement une réaction face à la           les auto-confrontations croisées ou les espaces de
  radicalisation de certaines pratiques (logiques de       discussion s’inscrivent dans cette intention
  communication déclaratives, logiques de contrôle
  amplifiées par les NTIC, nouveau management
  public etc.) portant atteinte à cet alignement.
                                                            de magasin peut en temps réel connaître les
• Combinés à des exigences accrues (elles-mêmes            ventes d’un magasin de centre-ville en province
   conséquences de l’hyper compétition internatio-          (avec d’autres indicateurs comme la météo, par
   nale) ces deux premiers points provoquent une            exemple en soutenant ainsi la personne respon-
   augmentation du stress et plus généralement              sable avec des messages, réassorts, injonctions
   des risques psychosociaux, auxquels le manage-           etc.)3. Mais cette néo-bureaucratie informatisée
   ment intermédiaire semble particulièrement               n’échappe pas aux angles-morts créés par les
   exposé. Cela provoque, dans certains secteurs,           impensés et les imprévus. Pire, elle aggrave la
   de véritables crises de vocations notamment              question du sens (transformant le manager en
   lorsqu’être manager signifie porter la charge            exécutant), de la congruence tout en augmen-
   avec de faibles latitudes, de faibles moyens             tant les exigences et réduisant le pouvoir d’agir.
   (notamment en termes d’accompagnement) et
   un avantage salarial limité.                            Ce « tableau » plutôt sombre est évidemment à
                                                           relativiser et prend des formes plus ou moins
• La question des marges d’action (le pouvoir             abouties selon les secteurs et les ressources
   d’agir) du management intermédiaire apparaît            modératrices disponibles (marges de manœuvres).
   donc comme un point crucial. Les NTIC ont               Si comme nous l’avons souligné, la mission peut
   semblé pouvoir permettre de dépasser le                 constituer une ouverture, elle peut aussi consti-
   dilemme bien connu en théorie des organisations         tuer une nouvelle contrainte (assurer la cohérence
   entre centralisation (pour assurer la cohérence         entre le réel et la mission, reporting…).
   et éviter les déviances) et décentralisation (pour
   s’adapter aux réalités de terrain : culture, clients,   Parmi les nombreux travaux consacrés au manage-
   ressources etc.)3. En conséquence, par exemple, la      ment, nous choisissons de nous appuyer sur deux
   direction de ventes d’un siège social d’une chaîne      auteurs qui, sur la base de constats en partie

2. Terme introduit en particulier par Carl Rogers.
3. Voir Encadré ci-dessus.

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MANAGEMENT HORIZONTAL
       ET MANAGEMENT VERTICAL                              Ces deux auteurs, comme d’autres, partagent le
                                                           constat d’une quête de sens et du risque d’un
Cette tension entre centralisation et décentralisa-        recours incantatoire aux valeurs. Ils soulignent
tion a pris une forme contemporaine particulière           aussi les multiples incohérences, empêchements,
au niveau managérial à travers l’appel croissant           aveuglements organisationnels ou décisions
à une horizontalisation des rapports de travail ou         contre productives. Ils défendent chacun à
aplatissement de la chaîne hiérarchique. Cette             leur façon un travail de réalignement et de
horizontalisation est défendue selon au moins
deux perspectives. La première est celle de la perti-
nence et de la réactivité au niveau des décisions.
                                                                  F. DUPUY ET LA SOCIOLOGIE
La critique de la bureaucratie a montré les limites               DES ORGANISATIONS
et parfois le ridicule d’une chaîne hiérarchique et
réglementaire qui peut conduire à être conforme            François Dupuy est l’un des disciples de Michel
plutôt qu’à assurer la mission. La seconde vient           Crozier. Il a globalement abandonné la recherche
plutôt de la base et correspond à une demande              académique pour une activité de conseil, d’auteur
de partage du pouvoir et de trouver davantage              et d’enseignant en s’appuyant sur des études de cas
de sens au travail.                                        menées par ses soins. Ses constats quant au mal-être
Si cette problématique s’est retrouvée dans                croissant dans les entreprises sont globalement
plusieurs témoignages de notre groupe de                   convergents avec ceux de la littérature sur les risques
travail, l’intervention d’Olivier Pastor, expert en        psychosociaux ou la crise du management, mais il
gouvernance partagée, constituait une bonne                rejette vigoureusement les solutions incantatoires
illustration des tensions qui peuvent naître d’une         (affichage descendant des valeurs de l’entreprise
transition vers davantage d’horizontalité (voir            par exemple). Pour lui, le malaise contemporain est
Encadrés p. 21 et p. 24)                                   en grande partie dû au fait que les organisations ont
                                                           été contraintes de basculer d’une logique endogène
                                                           (centrée sur elles-mêmes) à une logique exogène
                                                           (centrée sur les clients et les parties prenantes).
similaires, développent des propositions presque           Ce basculement, qui lui semblait nécessaire, n’a
opposées. Ils pourront en quelque sorte nous               souvent pas été accompagné par un alignement
servir de miroir et de boussole. Ces deux auteurs          pertinent des règles du jeu. Au contraire, l’enca-
sont François Dupuy qui prolonge les travaux de            drement a perdu beaucoup de pouvoir en même
Michel Crozier en sociologie des organisations et          temps que les exigences augmentaient (thèse de
Frédéric Laloux qui voit dans de nouvelles formes          l’ouvrage “la fatigue des élites”). Il critique en parti-
d’organisations (entreprise libérée, holacratie,           culier le fonctionnement en mode transversal par
entreprises sociocratiques…) la préf iguration             projet, où il y a souvent déphasage entre responsabi-
de l’organisation qu’il qualifie d’Opale. Il s’agit        lités et pouvoir. Dans la continuité de Crozier (notion
dans les deux cas d’ouvrages largement diffusés, à         de système d’action concret), il souligne les écarts
mi-chemin entre un travail académique et la littéra-       dommageables entre la structure affichée et le
ture managériale courante (travaux fondés sur des          réel du fonctionnement de l’organisation.
enquêtes, ne prenant pas la forme de recettes…).           Adopter une telle approche conduit naturellement à
Les deux auteurs ont aussi en commun de raconter           avoir des réserves vis-à-vis de l’apport d’une société à
une histoire des modes de management. Leurs                mission et probablement encore davantage vis-à-vis
approches rejettent le management par les règles           de la raison d’être. Toutefois, le risque de “l’incanta-
(bureaucratie) et le management coercitif. Ils             toire” pointé par Dupuy est bien identifié dans le
s’inscrivent pour le reste dans une longue filiation       cadre des sociétés à mission (on peut renvoyer aux
entre une approche par les intérêts bien compris           mission statements) d’où notamment la présence
pour l’un (notamment le modèle tayloro-fordien) et         d’un comité de suivi. Mais l’apport de François Dupuy
une approche par le sens, les valeurs et la relation       attire aussi l’attention sur le risque d’une mission
(notamment école des relations humaines initiée            qui resterait coincée en haut et déconnectée du
par Elton Mayo). Enfin, les deux auteurs ont le souci      terrain, notamment avec des problèmes de pouvoir
de relier le niveau micro et le niveau macro avec          (et pouvoir d’agir), d’alignement et de motivation
une contextualisation importante.

4. On peut rapprocher ce point de ce que Kevin Levillain souligne en référence aux « mission statements »,
notamment dans les années 90. (Levillain, 2015)
5. Il s’agit là d’un thème central de la sociologie des organisations. Les règles précises créent paradoxalement
du pouvoir au profit des exécutants qui peuvent ainsi alterner entre la conformité vis-à-vis des règles et la
conformité vis-à-vis des buts (d’où le pouvoir de la grève du zèle).

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capacitation de l’encadrement intermédiaire. Ils         1. Il n’y a pas de modèle à imiter mais un principe
divergent toutefois sur les solutions (voir Encadré          de cohérence à respecter : la société à mission
p. 12 et Encadré ci-dessous). Là où Frédéric Laloux          n’implique pas un modèle type de manage-
défend la mission comme boussole, François                   ment, mais une attention aux incohérences et
Dupuy y verrait plutôt des incantations ajoutant             aux désalignements encore moins bien acceptés
du mal-être si elles ne sont pas la traduction               que dans d’autres organisations ;
du réel (s’il faut les écrire, c’est pour lui mauvais
signe4). D’où une première question : comment            2. La volonté du dirigeant est nécessaire mais
faire de la mission un miroir et une boussole                non suffisante : la société à mission doit pouvoir,
authentiques ? Là où Frédéric Laloux réfléchit,              à travers son projet, embarquer la majorité de
exemples à l’appui, à la réinvention de pratiques            ses parties prenantes ;
managériales permettant de faire vivre davantage
d’horizontalité, François Dupuy cherche plutôt           3. Le dirigeant doit être au clair vis-à-vis de la concer-
à redonner du pouvoir à l’encadrement inter-                 tation et des turbulences qui peuvent en résulter :
médiaire (qui devra aussi rendre des comptes)                l’adoption de la qualité de société à mission peut
avec des règles moins nombreuses et suffisam-                dans un premier temps créer davantage de
ment floues pour ne pas se retourner contre                  turbulences que d’impacts positifs visibles ;
leurs auteurs5. D’où une deuxième question :
comment assurer simultanément le besoin                  4. Plutôt que de prôner une totale horizontalisa-
d’associer (horizontalité) et d’avancer / trancher           tion, il est préférable de poser les zones rouges
(verticalité) tout en veillant à la cohérence ?              ou bleues : la mission peut entraîner une part
                                                             accrue d’autonomie à l’intérieur d’un projet
                                                             (subsidiarité plutôt qu’autonomie sans limites) ;
       LES APPORTS DES
       ORGANISATIONS OPALES ET                           5. Il préférable de procéder par expérimentation,
       DES ENTREPRISES LIBÉRÉES                              c’est-à-dire de manière progressive : le passage
                                                             en société à mission, lorsqu’il ne s’inscrit pas au
Dans son Ouvrage Reinventing Organizations                   moment de la création de l’entreprise, peut se faire
(Laloux, 2015), l’auteur, Frédéric Laloux nous               par étape (complémentarités avec la stratégie RSE) ;
propose de classer le lot d’organisations qu’il a
eu l’occasion d’observer au cours de son étude           6. L’accompagnement des dirigeants et de l’enca-
selon des caractéristiques communes telles                   drement est une question cruciale : en sus de son
que leurs structures organisationnelles et leurs             mandat de vérification, le comité de mission peut
modalités de fonctionnement, intégrant par ce                contribuer à jouer ce rôle et assister les dirigeants
biais les modalités concrètes de management.                 dans la conduction de ces transformations ;
Cette taxonomie - qui repose sur une logique
évolutionniste - lui permet de mettre en évidence        7. La tolérance aux objecteurs est un marqueur
deux éléments principaux. Le premier réside                  de la qualité de la transformation : la mission
dans le fait que la grande majorité des entre-               n’est pas un consensus mou ou flou, mais une
prises se situent dans un paradigme orange,                  exigence collective déclenchant des remises en
associé à un modèle d’organisation pyramidal,                question parfois profondes ;
plaçant la hiérarchie au centre de la machine.
À l’inverse, un petit lot d’entreprises - dites Opales   8. La transparence totale peut être contrepro-
- se distingueraient par des pratiques singulières.          ductive : l’alignement avec la mission étant
Il les caractérise selon trois éléments cœurs : i)           progressif, la transparence sans répit pourrait
une ambition d’auto-gouvernance, ii) la quête                susciter un trouble important ;
de plénitude pour ceux qui y travaillent et iii) une
raison d’être évolutive de l’entreprise qui explicite    9. La communication externe (précoce) peut se
les fins de l’action collective.                             retourner contre l’organisation : même s’il y a
                                                             une réelle sincérité, ce qui pourrait ressembler à
Ces observations sont corroborées et enrichies               du purpose washing risque d’être dommageable
par l’enquête récente de Weil et Dubey (2020), qui           en interne comme en externe. Une certaine
s’appuie en partie sur les mêmes cas, mais sous              prudence et progressivité peut être souhaitable ;
une forme moins prescriptive et moins normative
(bien que l’ouvrage de Laloux soit modéré sur ce         10. Mieux vaut évaluer les progrès que de se
plan). Si on prend le temps de les méditer, leurs             focaliser sur des résultats de manière absolue :
dix constats génériques apportent un éclairage                l’alignement est incrémental et s’inscrit dans
important pour toute société à mission.                       une démarche d’amélioration continue

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personnes subissant des discriminations de toute
                                                           nature (sociale, culturelle, géographique…) en
                                                           privilégiant le développement des compétences
                                                           et des expériences professionnelles. »

                                                           Néanmoins, l’expression de cette variété ne nous
SOCIÉTÉS À MISSION :                                       semble pas différenciante concernant le rapport
                                                           au management. L’expérience de ce groupe de
L’INÉVITABLE ENJEU                                         travail montre que toutes les entreprises, qu’elles
DU MANAGEMENT                                              fassent référence aux collaborateurs ou non,
                                                           sont confrontées à des questionnements autour
                                                           de sujets managériaux : que les engagements
Si la mission est l’occasion pour les entreprises          soient pris, de manière explicite, envers les parties
de préciser leurs engagements vis-à-vis des                prenantes internes ou externes, le management
parties dont leurs activités dépendent ou qu’elles         peut être mis en tension. Il doit alors être mobilisé
affectent, un examen sommaire des premières                pour devenir une ressource au service de la
formulations déposées au greffe dans le cadre              mission, et non un obstacle.
de la loi Pacte permet de constater en revanche
qu’elles font référence de manière inégale aux
parties prenantes que sont les salariés. C’est un                 TÉMOIGNAGE
constat que l’on retrouve également au sein des
membres du groupe de travail. Aussi, avant de              Pierre-Dominique Vitoux (CO)
commencer l’analyse, sans prétendre toutefois
à l’exhaustivité, il paraît utile de proposer ici une      CO est un cabinet de conseil en stratégie qui a fait
grille de lecture, pour tenter de naviguer dans            le choix du statut coopératif (SCIC) dès sa création,
cette variété. Nous proposons de segmenter les             en 2014. Sa mission est de « fédérer des acteurs du
sociétés à mission en trois principaux groupes,            conseil en stratégie et mobiliser les écosystèmes
en fonction de la façon dont elles se réfèrent aux         (entreprises, financeurs, partenaires opération-
salariés dans leur raison d’être.                          nels) af in d’apporter aux porteurs de projets
                                                           d’intérêt général une réponse adaptée et acces-
Un premier ensemble regroupe celles dont la                sible pour accroître leur pérennité et leur impact ».
mission se focalise sur la résolution d’un enjeu           À cette fin, CO s’est fixé 3 objectifs :
externe. Ces dernières ne font pas explicitement           • Rendre le conseil en stratégie accessible aux
référence à leurs collaborateurs.                             projets d’intérêt général,
Par exemple : Faguo, “Engager notre génération             • A gir transversalement pour développer les
contre le dérèglement climatique”.                            modèles réunissant économie et intérêt général,
                                                           • Favoriser les engagements individuels et collec-
Un deuxième groupe est constitué de celles qui                tifs au sein de ses cabinets partenaires (Algoé,
imbriquent la thématique des collaborateurs au                Colombus consulting, Kea&Partners, Mawenzi et
cœur d’une somme d’engagements.                               Onepoint).
Par exemple : Camif “Proposer des produits et
services pour la maison, conçus au bénéf ice               CO se caractérise par le fait que le cabinet n’a
de l’Homme et de la planète. Mobiliser notre               pas de salariés, l’ensemble des forces de produc-
écosystème (consommateurs, collaborateurs,                 tion émanant des cabinets partenaires selon une
fournisseurs, actionnaires, acteurs du territoire),        modalité de mise à disposition temporaire (pour
collaborer et agir pour inventer de nouveaux               une durée de 6 mois en moyenne). Il n’est donc pas
modèles de consommation, de production et                  étonnant que la question managériale n’apparaisse
d’organisation. Voilà notre mission !”                     pas explicitement dans les objectifs statutaires.
                                                           Pour autant, avec ses cabinets partenaires, CO a
Enfin, il est possible d’isoler celles dont l’expression   mis en œuvre un certain nombre d’actions afin
est centrée sur l’humain. Plus précisément, ce sont        de s’assurer du bon alignement, entre d’une part
les entreprises qui portent un projet dont l’expres-       l’intention stratégique qui est de servir les projets
sion est ancrée sur son corps social, et pour lequel       d’intérêt général, et d’autre part, l’exigence de faire
l’alignement des pratiques managériales devient            de l’expérience CO un accélérateur de développe-
un élément constitutif de la réalisation de la mission.    ment professionnel et humain, notamment en
Par exemple : Tenzing : « Promouvoir […] la réussite       incitant et accompagnant les consultants dans
scolaire, sociale et professionnelle du plus grand         leur engagement citoyen au-delà de CO
nombre, en veillant tout particulièrement aux

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