SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT - LES GROUPES DE TRAVAIL - En quoi la mise en place d'une mission interroge
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LES GROUPES DE TRAVAIL SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT En quoi la mise en place d’une mission interroge les pratiques managériales
Les entreprises qui ont décidé de se doter d’une raison d’être et d’objectifs sociaux ou environ- nementaux, inscrits dans leurs statuts ou ayant vocation à l’être1, ont en commun des question- nements internes liés notamment à la place du Les travaux académiques ont mis en évidence deux corps social dans la réalisation de la mission [raison points essentiels caractérisant le lien entre manage- d’être + objectifs statutaires] et l’alignement de ment et mission, du fait de la place particulière du leurs pratiques et décisions avec la mission. collaborateur dans la réalisation de la mission : 1. La relation de travail reste constitutivement Si ces préoccupations ne sont pas tout à fait nouvelles une relation de subordination qui suggère un du point de vue du management, la loi Pacte, en abandon d’une partie de son autonomie au inscrivant ces dispositions dans le droit renforce service d’un projet collectif encore ces questionnements. Elle a été l’occasion de 2. Le corps social et l’entreprise ont un destin lié. nous réinterroger sur la place et les conséquences On peut exprimer l’idée selon laquelle le salarié d’une mission pour les pratiques managériales. « confie » au management une partie de ses Existe-t-il des modes de managements (in)compa- potentiels actuels et futurs, au service du projet tibles avec la pratique et l’engagement vis-à-vis collectif d’une mission ? A minima, quels sont les points d’attention à prendre en considération au niveau du Nous proposons alors, dans ce rapport, de management dès lors qu’on songe à se doter d’une considérer le collaborateur comme une “partie mission ? La mission peut-elle être une opportunité prenante attachée”, c’est à dire i) dont le destin de refonder des outils de dialogue entre les salariés est (en partie) lié à la bonne réalisation du projet et/ou avec le management ? collectif, et ii) qui se trouve “transformé/affecté” par les modes d’organisation et les choix opérés par le management/la direction d’entreprise pour la ENJEUX TRANSVERSAUX DE LA RELATION ENTRE conduite de ladite mission. MISSION ET MANAGEMENT : La mission n’est donc pas seulement perçue dans • La place des parties prenantes internes dans la la relation qu’elle institue avec son environne- transformation en société à mission et les limites ment extérieur ni dans sa capacité transformatrice à leur implication interne, mais en tant qu’elle crée une tension • Les manières dont l’entreprise à mission modifie positive ou négative sur les pratiques managé- le rapport au pouvoir et les modes managériaux riales qui président à sa réalisation. • Le niveau de cohérence du management néces- saire au regard de la mission La diversité de ce groupe de travail montre que toutes les entreprises, qu’elles fassent référence 1. Compte-tenu de la jeunesse de la qualité de société à mission, nous avons fait le choix méthodologique d’inclure dans nos travaux des entreprises en chemin ou qui se considèrent « à mission » sans avoir inscrit la mission dans leurs statuts. Si cette étape constitue un engagement juridique qui a une vocation transformatrice, la simple explicitation du projet collectif, statutaire ou non, impose, dans le champ du management, que chacun se positionne dans ses modes de fonctionnement et crée de nouveaux engagements réciproques, liés à la perception de la mission par les salariés. SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 2
explicitement aux collaborateurs ou non dans leur collaborateurs, et ainsi s’imposer un management mission, sont confrontées à des questionnements vertueux. La pratique, soumise aux injonctions managériaux : que les engagements soient pris, paradoxales, se révèle plus complexe. de manière explicite, envers les parties prenantes internes ou les parties prenantes externes, les diffé- Sans toutefois présumer qu’ils ne se manifestent rentes strates managériales peuvent être mises en avec la même acuité, ou qu’ils puissent s’appré- tension. Elles doivent alors être mobilisées, dans le hender de la même manière pour toutes les but d’imaginer des solutions d’accompagnement entreprises, considérant par exemple leur histoire spécifiques pour en faire une ressource au service singulière et leur culture propre, nous avons pu de la mission, et non un obstacle à sa réussite. identifier des intangibles du management de la mission. Nous avons identifié 7 problématiques La mission apporte potentiellement autant de incontournables qui interrogent le besoin d’ali- réponses qu’elle n’apporte de nouvelles contraintes gnement entre l’existence d’une mission et sa aux quatre enjeux clés posés aujourd’hui par le déclinaison dans les pratiques managériales. management : i) la quête de sens des collaborateurs, ii) la congruence de l’action, c’est-à-dire l’alignement Le rapport vise ainsi à suggérer quelques pistes entre ce qui est annoncé et la réalité des pratiques, concrètes et bonnes pratiques pour les traiter, iii) la hausse du niveau d’exigence, générateur de en se focalisant sur les principaux champs du stress et de risques psychosociaux et iv) le pouvoir management : l’exercice du leadership, la subsidia- d’agir, notamment du management intermédiaire. rité et la confiance, l’évaluation des collaborateurs et enfin leur rémunération. Ci-après, un résumé Considérant que l’entreprise à mission se des quelques suggestions qui se dessinent de préoccupe des enjeux sociaux et environnemen- ce travail d’enquête. Le lecteur curieux pourra taux, il serait facile d’en déduire que toute entreprise se rapporter aux développements spécifiques à à mission doit en premier lieu se préoccuper de ses chacune de ces propositions. 2.A EXERCICE DU LEADERSHIP Faire vivre la mission dans le temps requiert de L’enjeu consiste à faire de la mission non pas une bien l’articuler avec la trajectoire et les enjeux de source d’injonctions supplémentaires pour les marché de l’entreprise : managers, mais bien une ressource pour trancher • Offrir un appui aux managers pour mener à bien les décisions difficiles. les transformations. • Ne pas isoler le management intermédiaire ; • Définir un cadre de référence auquel les managers 2.B SUBSIDIARITÉ ET CONFIANCE peuvent se référer pour clarifier les conditions En contrepoint des schémas hiérarchiques habituels, d’exercice de la responsabilité ; l’existence d’une mission pousse à une horizontalisation • Interroger les paradigmes et les systèmes en des rapports de pouvoir qui favorise l’autonomie des place pour les aligner progressivement, et faciliter collaborateurs. L’enjeu consiste alors à la rendre compa- ainsi l’appropriation managériale de la mission. tible avec la culture managériale, et à trouver le bon équilibre dans la définition des strates de responsabilité : Dès lors, il nous semble important de mettre en • Ne pas aller trop vite dans la transition ; place les conditions de cette appropriation par les • Clarifier le rôle et les prérogatives de chaque collaborateurs : strate de responsabilité. • Co-construire autant que possible la mission avec ses collaborateurs ; Les syndicats, jusqu’alors absents des débats • Matérialiser au quotidien le projet aux yeux des autour de la mission, nous semblent avoir leur rôle collaborateurs, et leur donner la possibilité d’en à jouer pour faire de l’existence de la mission une devenir acteurs ; opportunité de renouveau du dialogue social : • Laisser une place à la formation de communautés • Introduire la mission, ou plus largement la finalité volontaires de collaborateurs, comme levier du travail, dans le dialogue social ; d’autonomie et de responsabilité pour qu’ils se • Travailler les représentations pour faire évoluer les saisissent des sujets. postures. SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 3
2.C - 2.D ÉVALUATION ET Enfin, la fixation et le niveau des rémunérations RÉMUNÉRATION DES doivent permettre aux collaborateurs de garder COLLABORATEURS le sentiment d’appartenir à un même collectif alors même que la mission met en visibilité une Ces deux champs du management sont liés par ambition et un sens de l’action communs. le fait que, dans la plupart des cas, l’évaluation permet d’objectiver l’évolution de la rémunération. • Inventer de nouvelles manières de f ixer les L’enjeu consiste alors à minimiser la subjectivité salaires ; ou, à minima, éliminer l’arbitraire, en installant • Prévenir les différents biais pour que la subjec- conjointement un management bienveillant et tivité ne se transforme pas en arbitraire et que une exigence d’excellence : l’auto-censure ne reproduise pas les inégalités ; • Ne pas confondre bienveillance et manque de • Mettre en place un écart « acceptable » entre les franchise : veiller à l’exigence dans le respect ; plus hauts et les plus bas salaires ; • Promouvoir de nouveaux formats d’évaluation • R epenser les variables en imaginant des moins verticaux par la multiplication des regards ; critères de rémunérations variables pensés en • Multiplier également les moments d’évaluation collectif. pour désacraliser l’entretien individuel ; • M ettre en place une grille d’évaluation Malgré la diversité des sujets abordés, tout le coconstruite avec les collaborateurs ; spectre des sujets managériaux n’a pu être traité • Intégrer autant que possible dans l’évaluation, de manière exhaustive, notamment la question des critères liés à la réussite de la mission. des effets de la mission sur la gestion et l’évo- lution des compétences. Par ailleurs, compte Il peut néanmoins s’installer une tension entre la tenu du faible recul dont nous disposons sur le mission et la rémunération des salariés : fonctionnement des sociétés à mission, il est • Créer les conditions d’une réelle délibération collec- fort à parier que les enjeux de management tive avant que la décision ne soit prise par la direction ; eux-mêmes et les solutions à y apporter évolue- • Justifier les choix avec transparence et pédagogie. ront avec le temps. SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 4
LES GROUPES DE TRAVAIL INTRODUCTION 6 CONTRIBUTEURS 7 LA MISSION ET LES PRATIQUES ÉCLAIRAGES CONCRETS MANAGÉRIALES : POUR ALIGNER LE MANAGEMENT IMPLICATIONS ET LIENS 8 AUX EXIGENCES DE LA MISSION 18 1.A ÉTAT DES LIEUX 9 2.A EXERCICE DU LEADERSHIP 19 1.A.1 Penser le rapport au management 2.A.1 La traduction de la mission dans le cadre de la mission – cadrages dans le management 19 théoriques 9 2.A.2 Engagement des collaborateurs 21 1.A.2 Ce que les sciences de gestion 2.A.3 Articuler la mission avec nous disent déjà d’un management la trajectoire de l’entreprise 22 de la mission 10 SOCIÉTÉ À MISSION 1.B SOCIÉTÉS À MISSION : L’INÉVITABLE 2.B SUBSIDIARITÉ ET CONFIANCE 23 ENJEU DU MANAGEMENT ET MANAGEMENT 1.C LES 7 PROBLÉMATIQUES 2.B.1 14 Trouver le bon équilibre dans la définition des strates de responsabilité 23 2.B.2 La place des syndicats 24 INCONTOURNABLES DU MANAGEMENT En quoi la mise en place DES SOCIÉTÉS À MISSION 15 d’une mission interroge 2.C EVALUATION DES les pratiques managériales COLLABORATEURS 26 1.C.1 L’élément statutaire comme remise en cause du “business as usual” 15 2.C.1 Assurer un management bienveillant et une exigence d’excellence 26 1.C.2 Vers des rapports de pouvoir moins hiérarchiques 15 2.C.2 Vers de nouveaux modes d’évaluation 26 1.C.3 Solidarité entre les collaborateurs 15 1.C.4 La cohérence comme enjeu central 16 2.D RÉMUNÉRATION 1.C.5 Impératif d’excellence... DES COLLABORATEURS 28 au service de la mission 16 2.D.1 Tension entre la mission 1.C.6 La culture et l’histoire et la rémunération des salariés 28 de l’entreprise ont des effets sur 2.D.2 Niveaux et fixations des salaires 29 la manière dont s’intègre la mission 16 1.C.7 La mission est une trajectoire et CONCLUSION 31 s’inscrit dans la durée 17 BIBLIOGRAPHIE 32 1.D SYNTHÈSE DES PREMIERS CONSTATS : LE MANAGEMENT INTERMÉDIAIRE AU CŒUR D’UN NŒUD DE TENSIONS 17 SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021
Les entreprises à mission, au sens large, désignent Le rapport n’a pas pour vocation à faire le lien entre deux types d’organisations : management for good et société à mission. Le management for good correspond à une certaine • Les entreprises se donnant une mission, ou en vision de l’entreprise indépendamment de l’exis- chemin vers l’adoption de la qualité de société à tence ou non d’une mission. mission Lors de nos travaux, nous avons identifié trois • Les sociétés à mission selon la loi Pacte. Ces entre- enjeux transversaux à la relation entre la mission prises ont inscrit leur mission, librement définie, et le management : dans leurs statuts. La mission permet de préciser une raison d’être et de s’engager sur la poursuite • La place des parties prenantes internes dans la d’un ou plusieurs objectifs environnementaux transformation en société à mission et les limites ou sociaux. Elles s’engagent à intégrer les enjeux à leur implication (place des dirigeants et des de la mission dans leur stratégie, et à la traduire actionnaires, embarquement des collaborateurs, par des objectifs opérationnels qui seront ensuite rôle des syndicats et dialogue social, …). évalués annuellement. •L es manières dont la société à mission modifie le La loi Pacte prévoit des obligations dont on peut rapport au pouvoir et les modes managériaux supposer qu’elles auront des effets spécifiques (systèmes d’évaluation, rapport à la hiérarchie et à sur le management. En effet, le législateur prévoit l’autonomie individuelle, dialogue social, adéqua- deux modalités de contrôle, le Comité de Mission, tion des différents modèles managériaux…). et un OTI, chargés de suivre l’atteinte des objectifs. Le niveau de cohérence du management • Les deux situations ont en commun des question- nécessaire par rapport à la mission (limites de nements amenés par l’existence de la mission. l’engagement personnel, politique salariale, À travers la Loi Pacte, le Code civil et le Code de trajectoires de carrière, éthique d’entreprise, commerce reconnaissent désormais que l’entre- impacts de la mission sur les modes de fonction- prise a un corps social qui ne se réduit pas aux nement de l’entreprise…) intérêts de la société commerciale et à la recherche de profits à redistribuer. Ces enjeux se retrouvent tout au long de la réflexion, qui s’organisera en deux temps. Un Ce cadre renouvelé pour l’entreprise a été l’occa- temps de diagnostic sur les liens entre missions sion de nous questionner sur la place et les et management (Partie 1 p. 8), suivi de sugges- conséquences d’une mission sur le management. tions concrètes pour adapter le management aux La mission peut-elle être une opportunité de exigences de la mission (Partie 2 p. 18). refonder des outils de dialogue entre les salariés et/ou avec le management ? À minima, quels sont les points d’attention à prendre en considération au niveau du management dès lors qu’on souhaite se donner une mission ? SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 6
LES CONTRIBUTEURS ENTREPRISES • Florence GUÉMY Directrice générale de Bayard Presse • Maud LÉVRIER Directrice Déléguée, Ouest-France • Thierry GAUTHRON Cofondateur d’Altman Partners • Elizabeth SOUBELET Cofondatrice de Ma Bonne Etoile • Yaël GUILLON Cofondateur d’Imfusio • Guillaume DESNOËS Cofondateur d’Alenvi • Sandra de BAILLIENCOURT Directrice Générale de Sparksnews LES CONTRIBUTEURS SCIENTIFIQUES ET EXPERTS • Jérémy LÉVÊQUE Chercheur, Mines ParisTech • Arnaud STIMEC Professeur, Sciences Po Rennes • Jean-Paul BOUCHET ancien secrétaire général de la CFDT Cadres • Olivier PASTOR expert en gouvernance partagée LES CONTRIBUTEURS CONSEILS • Pierre -Dominique VITOUX Directeur Général de CO Conseil • Eric DELANNOY Président de Tenzing Conseil REMERCIEMENTS Nous remercions particulièrement pour leur contri- bution Sara CHIKHI, étudiante en sciences sociales à l’Université Paris-Dauphine, et Alison SAGET, étudiante en politiques publiques à Sciences Po Paris. SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 7
LES GROUPES DE TRAVAIL SOCIÉTÉ À MISSION LA MISSION ET LES PRATIQUES MANAGÉRIALES : IMPLICATIONS ET LIENS ET MANAGEMENT En quoi la mise en place d’une mission interroge les pratiques managériales SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021
d’un engagement de la société commerciale à reconnaître et faire exister l’entreprise et la finalité de son activité (Levillain 2015, Segrestin et al. 2020). À cet égard, cette innovation juridique suggère des directions intéressantes pour réviser les cadres ÉTAT DES LIEUX de gouvernance actuels ainsi que la représenta- tion collective que l’on peut porter sur l’entreprise. Précisons tout d’abord que la mission constitue formellement un engagement d’intérêt collectif. 1.A.1 PENSER LE RAPPORT C’est-à-dire, une désignation des enjeux et des AU MANAGEMENT DANS LE CADRE parties vis-à-vis desquels l’entreprise s’attache DE LA MISSION – CADRAGES à préciser son rôle et qui l’oblige en retour à en démontrer une mise en œuvre, faute de quoi cette THÉORIQUES dernière s’expose à des sanctions. La crédibilité de La loi Pacte prévoit, depuis 2019 dans le droit l’engagement se fonde donc dans la capacité de français, que toute société qui introduit dans ses l’entreprise, via les organes de gouvernance - le statuts une mission d’intérêt collectif puisse sous comité de mission - et de vérification - l’organisme certaines conditions revendiquer la qualité de tiers indépendant - prévus par la loi, à se prononcer société à mission (cf. schéma). Le droit français sur l’effectivité de la mission et la qualité de ses a enrichi la représentation de l’entreprise, restée réalisations. Le contenu de la mission et son niveau longtemps prisonnière de son enveloppe juridique, d’ambition étant librement choisis par l’entreprise, et en donne une représentation plus conforme à la le législateur propose ici une distinction importante pluralité des parties qui la composent et la variété avec l’idée d’intérêt général en choisissant de ne pas des enjeux dont son activité dépend. Plus précisé- l’associer à un modèle de vertu ou de bien commun. ment, la mission se présente comme l’expression A l’inverse même, la mission peut désigner ainsi de “nouveaux communs”, que le législateur pourra choisir à terme de regarder comme tels. UN NOUVEAU CADRE JURIDIQUE POUR L’ENTREPRISE Aussi, le postulat de départ qu’adopte ce groupe de travail est le suivant : la mission constitue une UN CADRE GÉNÉRAL (CODE CIVIL) modalité qui permet de restaurer un lien entre TOUTES LES SOCIÉTÉS Entreprise - en tant qu’organisation privée - et ART. 1833 COMPLÉTÉ Intérêt collectif sur deux points : i) la mission « La société est gérée dans son intérêt social, en explicite un futur souhaité. Elle précise les efforts, prenant en considération les enjeux sociaux et éventuellement d’innovation, et transformations à environnementaux de son activité. » mener et les cheminements nécessaires à conduire pour l’entreprise et son écosystème, et ii) elle invite SOCIÉTÉS À RAISON D’ÊTRE à préciser dans ce cadre les conditions de respon- ART. 1835 sabilité de l’action collective (Lévêque et al. 2020). Formulation d’une raison d’être de l’entreprise dans les status. Ceci étant dit, quelle est la place des collabora- > Oriente le CA, exige l’affectation de moyens. teurs dans ce cadre ? Il semble utile de rappeler que l’existence et la réalisation des activités de UN CADRE SPÉCIAL (DROIT DES SOCIÉTÉS) l’entreprise, et donc sa capacité à répondre aux exigences de sa mission, sont fondamentale- SOCIÉTÉS À MISSION ment liées au corps social qui la constitue et qui 3. Art. L210-10 Création de la société à mission participe par son travail à la réalisation de ses activités. Certains travaux académiques préfigu- LES STATUS PRÉCISENT rateurs de la loi avaient d’ailleurs exprimé l’idée • Une raison d’être que théoriser l’entreprise commandait en retour • Traduite en un ou plusieurs objectifs sociaux et de devoir repenser le travail (Favereau et al. 2016), environnementaux (que la société se donne pour notamment en illustrant les trois dimensions mission de poursuivre dans le cadre de son activité) constitutives de ce dernier - capacité de produc- • Les modalités de suivi de l’exécution de la tion, de coordination et d’innovation. Ces travaux mission : création comité de mission + vérifica- et d’autres (Segrestin et Vernac, 2018) ont mis en tion par un organisme tiers indépendant. évidence deux points essentiels qui motivent la réflexion de ce groupe de travail : SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 9
•L a relation de travail est constitutivement une À l’heure actuelle, les implications de la mission relation de subordination qui suggère un abandon statutaire et ses intrications avec le travail et le d’une partie de son autonomie au service d’un management demeurent largement inexplorées. projet collectif. A cet égard, une révision du cadre Sur ce point, ni le contenu de la loi, ni le recul sur de l’entreprise questionne directement la manière les pratiques actuelles des sociétés à mission ne de penser le rapport à l’autorité et à l’autonomie, nous permettent encore d’apporter d’éléments vis-à-vis de cette partie constituante de l’entreprise. de réponses fermes à la question : existe-t ‘il des •L e corps social et l’entreprise ont un destin lié. modes de managements (in)compatibles avec la On peut exprimer l’idée selon laquelle le salarié pratique et l’engagement vis-à-vis d’une mission ? « confie » au management une partie de ses potentiels actuels et futurs (par exemple, son C’est cette interrogation fondamentale entre le employabilité ou ses compétences) et ce, au service travail de régulation managériale et la mission qui du projet d’entreprise. Autrement dit, le collabora- motive la tenue de ce groupe de travail au sein de teur, contrairement à d’autres parties prenantes, se la Communauté des entreprises à mission, et dont voit “transformé” par les choix de l’entreprise. En ce le présent rapport entend faire état des réflexions sens, les moyens mis en œuvre pour justifier de la engagées dans ce cadre. réalisation d’une mission discutent directement de la manière dont vont se dessiner ses propres poten- tiels futurs (Segrestin, Hatchuel, Starkey, 2021). 1.A.2 CE QUE LES SCIENCES DE GESTION NOUS DISENT DÉJÀ Ce constat étant posé. Il nous permet de préciser D’UN MANAGEMENT DE LA MISSION le parti pris et la terminologie adoptée pour la suite de la réflexion. La logique de RSE distingue classi- La littérature sur le management, entendue ici quement parties prenantes internes et externes, comme l’activité concrète des managers en lien assignant ainsi les employés d’une entreprise avec une équipe, est vaste mais éclatée. Excepté au rang des “internes”. Pourtant, ne retenir de la lorsqu’ils portent sur un contexte particulier (par mission qu’une relation de l’entreprise à son écosys- exemple le management associatif, le manage- tème qui différencie selon cette seule logique, c’est ment dans les PME) ces ouvrages ou travaux prendre le risque de rater une partie des enjeux qui s’intéressent le plus souvent, sans toujours le participent de la robustesse du modèle. préciser, à la grande entreprise dont les action- naires attendent avant tout un accroissement de Le travail est constitutif de la mission, tout du la valeur actionnariale. Notre première ambition moins de sa réalisation, tout comme il est consti- est de nous intéresser à ce qui, dans les pratiques tutif de l’entreprise. Le choix qui a été fait est de managériales, permet de relier la mission et distinguer les parties prenantes suivant la manière l’activité (le travail). dont leurs potentiels se trouvent affectés ou trans- formés par la réalisation des activités de l’entreprise. Dans la continuité des travaux fondateurs de En somme, un niveau de dépendance pas nécessai- Blake et Mouton (1964), une première catégorie rement symétrique entre entreprise et ces acteurs d’ouvrages cherche à identif ier des traits spécifiques. Le collaborateur “produit” la mission généraux, intégrant parfois des contingences en investissant son temps et ses compétences. En (métier, maturité des personnes, contexte etc.). retour, les réalisations de l’entreprise impactent ses Plus récemment, l’attention s’est déportée sur potentialités futures. Nous proposons ici de consi- la posture de leader (inspirant, transformatif, dérer le collaborateur comme une “partie prenante authentique etc.). Qu’ils soient académiques ou attachée”, c’est à dire d’une part, dont le destin non, l’ancrage est ici comportemental ou psycho- est (en partie) lié à la bonne réalisation du projet sociologique. Une deuxième catégorie d’ouvrage collectif ; et d’autre part, qui se trouve “transformé/ vise plutôt à instruire la difficulté de la position du affecté” par les modes d’organisation et les choix management intermédiaire ou de proximité. On opérés par le management/la direction d’entre- y trouve notamment des descriptions fines des prise pour la conduite de la mission. À cet égard, empêchements (Clot, 2014), paradoxes, obstacles le fournisseur exclusif, le client très dépendant du bureaucratiques, ignorances des réalités du produit ou service, ou encore l’actionnaire familial travail d›un niveau à l’autre. Ces travaux sont se situent dans ce même registre. C’est selon ce rarement prescriptifs. De manière un peu réduc- niveau de dépendance que nous proposons de trice, on pourrait dire que la première catégorie regarder le lien entre les acteurs de l’écosystème donne des clefs pour agir et la seconde des clefs et la mission. En particulier, nous nous concen- pour réfléchir ou comprendre. Notre première trons sur la relation de travail, et donc la place du ambition est d’essayer d’alimenter la réflexion collaborateur dans ce cadre. et l’action conjointement. SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 10
CENTRALISATION ET À partir de ces contributions, il est possible de DÉCENTRALISATION souligner un certain nombre d’enjeux récur- rents ou contemporains vus tantôt sous l’angle C’est l’un des dilemmes majeurs en théorie des de problèmes, et tantôt sous l’angle de solutions organisations (Lawrence et Lorsch, 1967 : intégration et réponses. et différenciation ; Perrow, 1981). Faut-il centraliser pour assurer au mieux le contrôle, la cohérence •L a quête de sens touche les managers et salariés d’ensemble ou laisser les opérateurs locaux faire en activité mais aussi les étudiants. Cela se traduit ce qu’ils jugent pertinent ? On trouvera autant par une attention accrue à ce qui concerne la vie d’exemples en faveur de l’une que de l’autre thèse. personnelle d’une part, mais aussi les enjeux de Risque principal de la centralisation : l’application transition écologique et sociale. Cela crée des de règles absurdes dans le contexte réel qui, in situations aux effets multiples vis-à-vis desquelles fine, peuvent être un frein voire un empêchement les managers en charge peuvent se sentir (Clot, 2014) à la qualité du travail et à l’implication désarmés : comportements de retrait, refus de des collaborateurs. Risque principal de la décen- promotions, zapping professionnel, priorisation de tralisation : les baronnies et mandarinats locaux, la vie personnelle sur la vie professionnelle, fuite de les petits arrangements, la déviance qui peuvent talents etc. Ce premier constat légitime la mission faire que, in fine, l’action n’est plus au service du qui peut être un élément de réponse à cette quête projet d’ensemble (de la mission pour ce qui nous de sens, à condition d’être perçue comme authen- concerne). Les organisations dites à haute fiabilité tique et alignée avec le réel de l’activité. (ou HRO : High Reliability Organizations) telles que l’aviation ou les centrales nucléaires parviennent • La question de la congruence2 (authenticité, dans une large mesure à assurer la coexistence alignement entre ce qui est annoncé et ce qui des deux dimensions mais au prix d’une ingénierie se passe) a pris une place accrue. Il est difficile difficile à financer par la plupart des organisa- de dire dans quelle mesure il y a une évolution tions ordinaires. D’autres démarches telles que sociétale ou simplement une réaction face à la les auto-confrontations croisées ou les espaces de radicalisation de certaines pratiques (logiques de discussion s’inscrivent dans cette intention communication déclaratives, logiques de contrôle amplifiées par les NTIC, nouveau management public etc.) portant atteinte à cet alignement. de magasin peut en temps réel connaître les • Combinés à des exigences accrues (elles-mêmes ventes d’un magasin de centre-ville en province conséquences de l’hyper compétition internatio- (avec d’autres indicateurs comme la météo, par nale) ces deux premiers points provoquent une exemple en soutenant ainsi la personne respon- augmentation du stress et plus généralement sable avec des messages, réassorts, injonctions des risques psychosociaux, auxquels le manage- etc.)3. Mais cette néo-bureaucratie informatisée ment intermédiaire semble particulièrement n’échappe pas aux angles-morts créés par les exposé. Cela provoque, dans certains secteurs, impensés et les imprévus. Pire, elle aggrave la de véritables crises de vocations notamment question du sens (transformant le manager en lorsqu’être manager signifie porter la charge exécutant), de la congruence tout en augmen- avec de faibles latitudes, de faibles moyens tant les exigences et réduisant le pouvoir d’agir. (notamment en termes d’accompagnement) et un avantage salarial limité. Ce « tableau » plutôt sombre est évidemment à relativiser et prend des formes plus ou moins • La question des marges d’action (le pouvoir abouties selon les secteurs et les ressources d’agir) du management intermédiaire apparaît modératrices disponibles (marges de manœuvres). donc comme un point crucial. Les NTIC ont Si comme nous l’avons souligné, la mission peut semblé pouvoir permettre de dépasser le constituer une ouverture, elle peut aussi consti- dilemme bien connu en théorie des organisations tuer une nouvelle contrainte (assurer la cohérence entre centralisation (pour assurer la cohérence entre le réel et la mission, reporting…). et éviter les déviances) et décentralisation (pour s’adapter aux réalités de terrain : culture, clients, Parmi les nombreux travaux consacrés au manage- ressources etc.)3. En conséquence, par exemple, la ment, nous choisissons de nous appuyer sur deux direction de ventes d’un siège social d’une chaîne auteurs qui, sur la base de constats en partie 2. Terme introduit en particulier par Carl Rogers. 3. Voir Encadré ci-dessus. SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 11
MANAGEMENT HORIZONTAL ET MANAGEMENT VERTICAL Ces deux auteurs, comme d’autres, partagent le constat d’une quête de sens et du risque d’un Cette tension entre centralisation et décentralisa- recours incantatoire aux valeurs. Ils soulignent tion a pris une forme contemporaine particulière aussi les multiples incohérences, empêchements, au niveau managérial à travers l’appel croissant aveuglements organisationnels ou décisions à une horizontalisation des rapports de travail ou contre productives. Ils défendent chacun à aplatissement de la chaîne hiérarchique. Cette leur façon un travail de réalignement et de horizontalisation est défendue selon au moins deux perspectives. La première est celle de la perti- nence et de la réactivité au niveau des décisions. F. DUPUY ET LA SOCIOLOGIE La critique de la bureaucratie a montré les limites DES ORGANISATIONS et parfois le ridicule d’une chaîne hiérarchique et réglementaire qui peut conduire à être conforme François Dupuy est l’un des disciples de Michel plutôt qu’à assurer la mission. La seconde vient Crozier. Il a globalement abandonné la recherche plutôt de la base et correspond à une demande académique pour une activité de conseil, d’auteur de partage du pouvoir et de trouver davantage et d’enseignant en s’appuyant sur des études de cas de sens au travail. menées par ses soins. Ses constats quant au mal-être Si cette problématique s’est retrouvée dans croissant dans les entreprises sont globalement plusieurs témoignages de notre groupe de convergents avec ceux de la littérature sur les risques travail, l’intervention d’Olivier Pastor, expert en psychosociaux ou la crise du management, mais il gouvernance partagée, constituait une bonne rejette vigoureusement les solutions incantatoires illustration des tensions qui peuvent naître d’une (affichage descendant des valeurs de l’entreprise transition vers davantage d’horizontalité (voir par exemple). Pour lui, le malaise contemporain est Encadrés p. 21 et p. 24) en grande partie dû au fait que les organisations ont été contraintes de basculer d’une logique endogène (centrée sur elles-mêmes) à une logique exogène (centrée sur les clients et les parties prenantes). similaires, développent des propositions presque Ce basculement, qui lui semblait nécessaire, n’a opposées. Ils pourront en quelque sorte nous souvent pas été accompagné par un alignement servir de miroir et de boussole. Ces deux auteurs pertinent des règles du jeu. Au contraire, l’enca- sont François Dupuy qui prolonge les travaux de drement a perdu beaucoup de pouvoir en même Michel Crozier en sociologie des organisations et temps que les exigences augmentaient (thèse de Frédéric Laloux qui voit dans de nouvelles formes l’ouvrage “la fatigue des élites”). Il critique en parti- d’organisations (entreprise libérée, holacratie, culier le fonctionnement en mode transversal par entreprises sociocratiques…) la préf iguration projet, où il y a souvent déphasage entre responsabi- de l’organisation qu’il qualifie d’Opale. Il s’agit lités et pouvoir. Dans la continuité de Crozier (notion dans les deux cas d’ouvrages largement diffusés, à de système d’action concret), il souligne les écarts mi-chemin entre un travail académique et la littéra- dommageables entre la structure affichée et le ture managériale courante (travaux fondés sur des réel du fonctionnement de l’organisation. enquêtes, ne prenant pas la forme de recettes…). Adopter une telle approche conduit naturellement à Les deux auteurs ont aussi en commun de raconter avoir des réserves vis-à-vis de l’apport d’une société à une histoire des modes de management. Leurs mission et probablement encore davantage vis-à-vis approches rejettent le management par les règles de la raison d’être. Toutefois, le risque de “l’incanta- (bureaucratie) et le management coercitif. Ils toire” pointé par Dupuy est bien identifié dans le s’inscrivent pour le reste dans une longue filiation cadre des sociétés à mission (on peut renvoyer aux entre une approche par les intérêts bien compris mission statements) d’où notamment la présence pour l’un (notamment le modèle tayloro-fordien) et d’un comité de suivi. Mais l’apport de François Dupuy une approche par le sens, les valeurs et la relation attire aussi l’attention sur le risque d’une mission (notamment école des relations humaines initiée qui resterait coincée en haut et déconnectée du par Elton Mayo). Enfin, les deux auteurs ont le souci terrain, notamment avec des problèmes de pouvoir de relier le niveau micro et le niveau macro avec (et pouvoir d’agir), d’alignement et de motivation une contextualisation importante. 4. On peut rapprocher ce point de ce que Kevin Levillain souligne en référence aux « mission statements », notamment dans les années 90. (Levillain, 2015) 5. Il s’agit là d’un thème central de la sociologie des organisations. Les règles précises créent paradoxalement du pouvoir au profit des exécutants qui peuvent ainsi alterner entre la conformité vis-à-vis des règles et la conformité vis-à-vis des buts (d’où le pouvoir de la grève du zèle). SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 12
capacitation de l’encadrement intermédiaire. Ils 1. Il n’y a pas de modèle à imiter mais un principe divergent toutefois sur les solutions (voir Encadré de cohérence à respecter : la société à mission p. 12 et Encadré ci-dessous). Là où Frédéric Laloux n’implique pas un modèle type de manage- défend la mission comme boussole, François ment, mais une attention aux incohérences et Dupuy y verrait plutôt des incantations ajoutant aux désalignements encore moins bien acceptés du mal-être si elles ne sont pas la traduction que dans d’autres organisations ; du réel (s’il faut les écrire, c’est pour lui mauvais signe4). D’où une première question : comment 2. La volonté du dirigeant est nécessaire mais faire de la mission un miroir et une boussole non suffisante : la société à mission doit pouvoir, authentiques ? Là où Frédéric Laloux réfléchit, à travers son projet, embarquer la majorité de exemples à l’appui, à la réinvention de pratiques ses parties prenantes ; managériales permettant de faire vivre davantage d’horizontalité, François Dupuy cherche plutôt 3. Le dirigeant doit être au clair vis-à-vis de la concer- à redonner du pouvoir à l’encadrement inter- tation et des turbulences qui peuvent en résulter : médiaire (qui devra aussi rendre des comptes) l’adoption de la qualité de société à mission peut avec des règles moins nombreuses et suffisam- dans un premier temps créer davantage de ment floues pour ne pas se retourner contre turbulences que d’impacts positifs visibles ; leurs auteurs5. D’où une deuxième question : comment assurer simultanément le besoin 4. Plutôt que de prôner une totale horizontalisa- d’associer (horizontalité) et d’avancer / trancher tion, il est préférable de poser les zones rouges (verticalité) tout en veillant à la cohérence ? ou bleues : la mission peut entraîner une part accrue d’autonomie à l’intérieur d’un projet (subsidiarité plutôt qu’autonomie sans limites) ; LES APPORTS DES ORGANISATIONS OPALES ET 5. Il préférable de procéder par expérimentation, DES ENTREPRISES LIBÉRÉES c’est-à-dire de manière progressive : le passage en société à mission, lorsqu’il ne s’inscrit pas au Dans son Ouvrage Reinventing Organizations moment de la création de l’entreprise, peut se faire (Laloux, 2015), l’auteur, Frédéric Laloux nous par étape (complémentarités avec la stratégie RSE) ; propose de classer le lot d’organisations qu’il a eu l’occasion d’observer au cours de son étude 6. L’accompagnement des dirigeants et de l’enca- selon des caractéristiques communes telles drement est une question cruciale : en sus de son que leurs structures organisationnelles et leurs mandat de vérification, le comité de mission peut modalités de fonctionnement, intégrant par ce contribuer à jouer ce rôle et assister les dirigeants biais les modalités concrètes de management. dans la conduction de ces transformations ; Cette taxonomie - qui repose sur une logique évolutionniste - lui permet de mettre en évidence 7. La tolérance aux objecteurs est un marqueur deux éléments principaux. Le premier réside de la qualité de la transformation : la mission dans le fait que la grande majorité des entre- n’est pas un consensus mou ou flou, mais une prises se situent dans un paradigme orange, exigence collective déclenchant des remises en associé à un modèle d’organisation pyramidal, question parfois profondes ; plaçant la hiérarchie au centre de la machine. À l’inverse, un petit lot d’entreprises - dites Opales 8. La transparence totale peut être contrepro- - se distingueraient par des pratiques singulières. ductive : l’alignement avec la mission étant Il les caractérise selon trois éléments cœurs : i) progressif, la transparence sans répit pourrait une ambition d’auto-gouvernance, ii) la quête susciter un trouble important ; de plénitude pour ceux qui y travaillent et iii) une raison d’être évolutive de l’entreprise qui explicite 9. La communication externe (précoce) peut se les fins de l’action collective. retourner contre l’organisation : même s’il y a une réelle sincérité, ce qui pourrait ressembler à Ces observations sont corroborées et enrichies du purpose washing risque d’être dommageable par l’enquête récente de Weil et Dubey (2020), qui en interne comme en externe. Une certaine s’appuie en partie sur les mêmes cas, mais sous prudence et progressivité peut être souhaitable ; une forme moins prescriptive et moins normative (bien que l’ouvrage de Laloux soit modéré sur ce 10. Mieux vaut évaluer les progrès que de se plan). Si on prend le temps de les méditer, leurs focaliser sur des résultats de manière absolue : dix constats génériques apportent un éclairage l’alignement est incrémental et s’inscrit dans important pour toute société à mission. une démarche d’amélioration continue SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 13
personnes subissant des discriminations de toute nature (sociale, culturelle, géographique…) en privilégiant le développement des compétences et des expériences professionnelles. » Néanmoins, l’expression de cette variété ne nous SOCIÉTÉS À MISSION : semble pas différenciante concernant le rapport au management. L’expérience de ce groupe de L’INÉVITABLE ENJEU travail montre que toutes les entreprises, qu’elles DU MANAGEMENT fassent référence aux collaborateurs ou non, sont confrontées à des questionnements autour de sujets managériaux : que les engagements Si la mission est l’occasion pour les entreprises soient pris, de manière explicite, envers les parties de préciser leurs engagements vis-à-vis des prenantes internes ou externes, le management parties dont leurs activités dépendent ou qu’elles peut être mis en tension. Il doit alors être mobilisé affectent, un examen sommaire des premières pour devenir une ressource au service de la formulations déposées au greffe dans le cadre mission, et non un obstacle. de la loi Pacte permet de constater en revanche qu’elles font référence de manière inégale aux parties prenantes que sont les salariés. C’est un TÉMOIGNAGE constat que l’on retrouve également au sein des membres du groupe de travail. Aussi, avant de Pierre-Dominique Vitoux (CO) commencer l’analyse, sans prétendre toutefois à l’exhaustivité, il paraît utile de proposer ici une CO est un cabinet de conseil en stratégie qui a fait grille de lecture, pour tenter de naviguer dans le choix du statut coopératif (SCIC) dès sa création, cette variété. Nous proposons de segmenter les en 2014. Sa mission est de « fédérer des acteurs du sociétés à mission en trois principaux groupes, conseil en stratégie et mobiliser les écosystèmes en fonction de la façon dont elles se réfèrent aux (entreprises, financeurs, partenaires opération- salariés dans leur raison d’être. nels) af in d’apporter aux porteurs de projets d’intérêt général une réponse adaptée et acces- Un premier ensemble regroupe celles dont la sible pour accroître leur pérennité et leur impact ». mission se focalise sur la résolution d’un enjeu À cette fin, CO s’est fixé 3 objectifs : externe. Ces dernières ne font pas explicitement • Rendre le conseil en stratégie accessible aux référence à leurs collaborateurs. projets d’intérêt général, Par exemple : Faguo, “Engager notre génération • A gir transversalement pour développer les contre le dérèglement climatique”. modèles réunissant économie et intérêt général, • Favoriser les engagements individuels et collec- Un deuxième groupe est constitué de celles qui tifs au sein de ses cabinets partenaires (Algoé, imbriquent la thématique des collaborateurs au Colombus consulting, Kea&Partners, Mawenzi et cœur d’une somme d’engagements. Onepoint). Par exemple : Camif “Proposer des produits et services pour la maison, conçus au bénéf ice CO se caractérise par le fait que le cabinet n’a de l’Homme et de la planète. Mobiliser notre pas de salariés, l’ensemble des forces de produc- écosystème (consommateurs, collaborateurs, tion émanant des cabinets partenaires selon une fournisseurs, actionnaires, acteurs du territoire), modalité de mise à disposition temporaire (pour collaborer et agir pour inventer de nouveaux une durée de 6 mois en moyenne). Il n’est donc pas modèles de consommation, de production et étonnant que la question managériale n’apparaisse d’organisation. Voilà notre mission !” pas explicitement dans les objectifs statutaires. Pour autant, avec ses cabinets partenaires, CO a Enfin, il est possible d’isoler celles dont l’expression mis en œuvre un certain nombre d’actions afin est centrée sur l’humain. Plus précisément, ce sont de s’assurer du bon alignement, entre d’une part les entreprises qui portent un projet dont l’expres- l’intention stratégique qui est de servir les projets sion est ancrée sur son corps social, et pour lequel d’intérêt général, et d’autre part, l’exigence de faire l’alignement des pratiques managériales devient de l’expérience CO un accélérateur de développe- un élément constitutif de la réalisation de la mission. ment professionnel et humain, notamment en Par exemple : Tenzing : « Promouvoir […] la réussite incitant et accompagnant les consultants dans scolaire, sociale et professionnelle du plus grand leur engagement citoyen au-delà de CO nombre, en veillant tout particulièrement aux SOCIÉTÉ À MISSION ET MANAGEMENT I GT#5 I OCTOBRE 2021 14
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