Salsa picante - Reflets du cinéma ibérique et latino-américain
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Salsa picante SOMMAIRE FOCUS RÉALISATEUR - Mariano Llinás / p.2 FOCUS RÉALISATEUR - Federico Veiroj / p.3 FOCUS RÉALISATRICE - Icíar Bollaín/ p.4 Yuli / p.5 FOCUS RÉALISATEUR - Jaime Rosales/ p.6 Petra / p.7 Las niñas bien / p.8 Oreina / p.9 La familia / p.10 José / p.11 Un coup de maître / p.12 Les Regards - Habita et Istmeño / p.13 5 Kesk’hispas / p.15 Après les Reflets / p.16 ¡ Que les maten a todos ! / p.18 Page de remerciements / p.19 Grille des programmes / p.20 1
FOCUS RÉALISATEUR Mariano Llinás S'il y a un mot que Mariano Llinás, Profondément pensée pour le ciné- Et ce film n'a pas d'objectif en soi ; réalisateur de La Flor, abhorre, c'est ma, La Flor plonge le spectateur dans pour lui, « ce film ne dit rien ! ». Il bien celui d' « hommage ». Pour lui, une expérience purement surréaliste, nous présente simplement le por- « les hommages sont faits par les celle de l'immersion dans une salle trait de quatre jeunes femmes évo- maires, les politiques, les présidents obscure où s'évapore la notion de luant dans une multiplicité d'univers qui déposent des fleurs au pied des temps ainsi que la frontière entre le fantastiques qui sont tout autant de statues. Les cinéastes ne déposent pas rêve et la réalité. références au 7ème art. de fleurs pour d'autres cinéastes, au Car pour Llinás, « Le cinéma est un pire des cas ils volent les fleurs qui Le fil d’Ariane de toutes ces his- objet projeté. La télévision concentre ornent leur tombe pour les donner à toires, c'est la fiction elle-même, la la lumière. Pourquoi, si les séries sont d'autres ! ». fiction comme matière, « comme si bonnes, ne sont-elles pas proje- sujet et pas comme un outil pour tées ? Ou les matchs de foot, le jour- Nous tenterons donc ici de ne pas arriver quelque part ». La Flor est un nal télévisé ? Pour moi, la projection nous lancer dans un hommage ciné- film fleuve… il faut donc tenter de est très importante. La Flor n'aspire matographique, mais plutôt d'esquis- lâcher prise et de faire corps avec le pas à se voir à la télévision ou en ser modestement le portrait de courant, au risque de s'abandonner streaming. Ce film a besoin du ciné- l'homme et de sa vision si particulière à un tourbillon de poésie surréaliste ma, de la projection ». Cette réflexion du cinéma et de l'art en général. dont personne ne ressort indemne. prend aujourd'hui tout son sens avec Plus jeune, Mariano Llinás rêvait l'apparition et l'omniprésence de Lise Durafour d’être « un personnage de Jules Verne plateformes de visionnage de films et et de vivre des aventures ». Fils de séries qui nous éloignent toujours Julio Llinás, écrivain et poète surréa- plus du cinéma en tant que lieu de liste (ayant notamment fréquenté rencontre et de découverte, où Paul André Breton, Boris Vian, Tristan Tzara Valéry (grande référence de Mariano ou Pablo Neruda), il suit des études de Llinás) vantait la beauté du spectacle cinéma à l'université de Buenos Aires des « fragments terrestres, offerts à et réalise rapidement un premier do- la lumière » qui s'agitaient dans la cumentaire expérimental, Balnearios salle obscure. (2002), lauréat d'un Condor d'argent. En 2008, Historias extraordinarias La notion de temps est au cœur de obtient plusieurs prix. Et puis, bien l’œuvre ; filmer en continu, sans date sûr, il y a La Flor, le fruit d'années de -limite, et adapter les transforma- réflexion et de travail. tions des actrices à la fiction devient Partie 3 : dimanche 24 mars à 16h30 un mode de vie, une ode à la lenteur Toutes les œuvres de Llinás reflètent et à la contemplation. Comme le ré- Partie 4 : mercredi 27 mars à 16h30 une certaine vision du cinéma, appré- sume très sérieusement Llinás : « Un hendé comme « un objet projeté », un jour on se rend compte qu’on a tour- rêve éveillé, une hallucination cons- né un film de quatorze heures ». ciente, une illusion inexplicable. 2
intérieur, ou même parfois juste pour la beauté inhérente des lieux. Pareil avec la musique, elle est in- cluse dans le film pour ses émo- tions et sa beauté. V : Vous êtes maintenant en post- production de El cambista. Pour- riez-vous nous en parler un peu ? FV : Oui, j’ai tourné cette année mon cinquième film en tant que réalisateur, El cambista. Ça a été une expérience incroyable, pas seulement parce que j’ai travaillé six ans sur l’adaptation du roman – avec Arauco Hernández et Martín FOCUS RÉALISATEUR Mauregui – mais aussi parce que Federico Veiroj c’était la première fois que je tra- vaillais avec un casting entièrement composé d’acteurs professionnels : Federico Veiroj est né en 1976 à V : Dans La Vida útil, El apóstata, Daniel Hendler, Dolores Fonzi, Luis Montevideo. Diplômé de Sciences maintenant avec Gonzalo Delgado Machín, Benjamín Vicuña, Paulo Sociales de la Communication, il qui joue Belmonte, vous faites Betti, Germán de Silva, Jorge Bola- devient programmateur de film, jouer des professionnels du ciné- ni. C’était aussi une production produit et réalise des courts- ma avec très peu d’expérience d’une grosse envergure qui incluait métrages depuis 1996. Son premier d’acting. Qu’est-ce qui vous attire des reconstitutions des années 50, long-métrage, Acné, a été présenté en ça ? 60 et 70. Je suis extrêmement con- à la Quinzaine des Réalisateurs à FV : C’est une histoire d’inspiration. tent du résultat, même si je suis en Cannes en 2008 et a été nominé J’ai écrit La Vida útil pour les ac- pleine post-production. Dorénavant pour le Goya du meilleur film hispa- teurs qui jouaient dedans, j’ai fait la je me sens véritablement à l’aise à no-américain en 2009. La Vida útil même chose pour El apóstata et l’idée de travailler avec tous les (A Useful Life) est son second long- maintenant pour Belmonte. Je types d’inspiration : livres, mes métrage. A l’occasion de la sortie de trouve juste qu’il y a déjà certaines propres idées, scénarii d’autres Belmonte (2018), le magazine Varie- histoires en certaines âmes, qui auteurs, ou de nouvelles choses qui ty a réalisé une interview que nous pourraient déterminer la tournure pourraient arriver ; j’adore le ciné- vous présentons ci-dessous. d’un projet, et je crois en l’imagina- ma, mais je suis aussi attiré par la tion et les désirs de ces person- série télé. nages déjà installés dans les per- V : Le premier plan (Belmonte qui sonnes que je connais bien. « Federico Veiroj on « Belmonte », regarde une statue) pourrait résu- Art, Montevideo, Emotional sto- mer entièrement le film. Approuve- V : C’est votre film qui montre le rystelling », interview réalisée par riez-vous ? plus Montevideo (la capitale de Variety (25/10/2018) et traduite FV : J’ai décidé de commencer le l’Uruguay). Pourrait-on le prendre par Nino Vichard film avec la statue d’une famille pay- comme un hommage ? sanne luttant avec un taureau qui laboure, car je trouve que cela ré- FV : Ce n’était pas dans mon inten- sume très bien le conflit intérieur de tion de rendre hommage, mais j’ai Belmonte : un homme consumé par été inspiré par des lieux tels que le ses émotions et devant avancer Musée National, le Théâtre Solís, le dans sa vie. Le taureau représente front de mer ou même un magasin aussi pour moi l’instinct de survie de fourrure rétro (pas vraiment enfoui en nous tous. Pour finir, ce typique de Montevideo finale- plan du personnage principal obser- ment). J’adore ces endroits et ça vant l’image si puissante qui émane faisait longtemps que j’avais envie de la statue me permet d’établir sa de les filmer. Je voulais placer les vision des choses, son regard, ses émotions de Belmonte en ces lieux, Federico Veiroj, désirs, sa curiosité. parfois pour montrer sa mélancolie, Uruguay, 2018 parfois pour montrer son conflit Samedi 23 mars à 12h Mardi 26 mars à 16h30 Inédit 3
FOCUS RÉALISATRICE Icíar Bollaín Elle est née en 1967, à Madrid, avec sa Ken Loach et elle partagent la même On peut encore citer dans sa filmogra- sœur jumelle, Marina, dans une famille volonté de donner la parole à ceux phie Même la pluie / También la llu- où l’on peut supposer que les attendait que l’on veut faire taire et de lutter via – 2010- dans lequel on assiste, en une vie confortable. Père ingénieur en contre l’injustice sociale à travers leur Bolivie , au tournage d’un film sur la aéronautique, mère professeur de mu- œuvre, de film en film. Dans l’en- conquête espagnole et la résistance sique. Le franquisme a alors encore semble de la production d’Icíar Bollaín des indiens à l’envahisseur, résistance treize ans à vivre, cependant l’activité on peut rappeler trois de ses films qui est mise en parallèle à celle bien professionnelle de la mère laisse penser particulièrement marquants. contemporaine du petit peuple de que cette famille n’est pas absolument Cochabamba contre une multinatio- conforme au modèle officiel prôné par le En 1999, Flores de otro mundo – prix nale qui ayant obtenu le monopole de régime, matriarcal certes mais quelque de la semaine de la critique au Festival l’eau veut la lui faire payer et interdit peu restrictif quant à la place de la de Cannes- où l’on voit des femmes de creuser des puits. Rien de nouveau femme au sein de la société. En réponse cubaines et dominicaines arriver dans sous le soleil ! à la question d’un journaliste de El País un petit village de Castille pour com- (interview de juin 2018) « Enfant est ce bler la solitude des hommes du village Il faut dire en conclusion qu'Icíar Bol- qu’on vous imposait des obligations ? », dans le cadre d’un projet matrimonial. laín a été accompagnée, tout au long Icíar Bollaín elle-même confirme « On ne Le film touche à bien des problèmes de sa carrière, par Paul Laverty, son m’imposait rien ». C’est probablement de société : vie dans le monde rural, compagnon et père de leurs trois fils. grâce à l’ouverture d’esprit de cette fa- choc des cultures, relation homme / Ils se sont rencontrés sur le tournage mille qu’elle a débuté sa carrière dans le femme… sur un ton qui balance entre de Tierra y Libertad de Ken Loach. cinéma, en tant qu’actrice, dans le film tendresse et âpreté sans exclure des C’est lui qui est le scénariste de Yuli, de Victor Erice, El Sur (1983) à l’âge de moments d’humour. En 2003, Ne dis programmé cette année aux Reflets. 16 ans. Et c’est probablement aussi rien / Te doy mis ojos obtient deux Bonne projection ! parce qu’elle se sentait à sa place dans le prix Goya, Meilleur Réalisateur et Annie Damidot monde du cinéma qu’elle a continué à y Meilleur Scénario. Le film soulève le évoluer en co-créant en 1991 la maison problème des violences conjugales, de production La Iguana. gardant, même s’il penche vers la dé- fense de la femme maltraitée, un re- Mais c’est sans aucun doute à partir de gard compatissant sur l’accusé (au sa rencontre avec Ken Loach, lors de sa sens étymologique « qui soufre Yuli collaboration au film Land and avec »...) en laissant le sentiment que Freedom / Tierra y Libertad, en tant celui qui est le bourreau de sa femme Voir page suivante qu’actrice et assistante du réalisateur est en même temps le bourreau de lui qu’elle va donner une place prépondé- -même. rante à la réalisation. 4
En 2004 il apparaît avec d’autres membres du Ballet National de Cuba dans le film de Cynthia Newport, Dance Cuba : Dreams of Flight. Nata- lie Portman le mettra également face à la caméra dans un des rôles princi- paux de son film, New York, I love You. Aujourd’hui il est au centre de Yuli où il relève le défi fou d'interpré- ter son propre rôle. A l’âge de 31 ans, il décuple encore son art vers l’écri- ture et commence à rédiger une auto- Yuli biographie. L’histoire personnelle de Carlos Acosta lui permet d’avoir un point de vue unique sur ce que l’art Carlos Acosta: Portrait du danseur prodige de la Havane devrait apporter, sur ce que devrait être la danse. “De nombreux artistes «Un danseur qui traverse l'espace plus vite que quiconque, qui lacère l'air avec des réalisent des choses surréalistes avec formes si nettes et pointues qu'elles semblent projeter des étincelles. Nadine Meisner – la danse, comme on le ferait avec un The Independant. ordinateur. Ils ne font passer aucun message, ne vous font pas rêver, ne La 35e édition des Reflets se clôturera New York City Center ou à l’Australian racontent pas d’histoire. Moi, c’est avec Yuli, fiction contant la vie de Car- Ballet. précisément ce que je veux faire. Je los Acosta, danseur étoile Cubain re- Détenteur de nombreux titres honori- veux mettre la danse afro-cubaine, le connu dans le monde entier. Derrière fiques de la discipline, comme le hip-hop, la salsa sous les projecteurs, la caméra, Icíar Bollaín (réalisatrice Grand Prix de l’Union of Writers and là où vous avez plutôt l’habitude de espagnole de renommée internatio- Artists en 1991, le Prix Benois de la voir des classiques, et je veux que la nale) s’est plu à mettre en lumière la Danse en 2008 ou encore le Comman- qualité soit là, pour que ces danses vie de cette figure de la danse clas- deur de l’ordre de l’Empire britan- soient acceptées. Nous vivons dans un sique à travers son enfance, ses débuts nique en 2014, Carlos Acosta est tou- monde de mélanges et je pense que et sa vie actuelle pour laquelle il joue jours sur le devant de la scène aujour- nous devons faire en sorte que la son propre rôle. d’hui et se produit encore dans le danse classique devienne elle aussi un Né en 1973 dans une famille pauvre de monde entier. Il se lance en 2003 mélange.” la Havane et cadet de 11 enfants, Car- dans l’écriture d’une pièce chorégra- Carlos Acosta, danseur, acteur, écri- los Acosta rencontre le monde de la phiée, Tocororo - un conte Cubain, vain, ne vous laissera pas sans voix danse grâce à son père qui l’inscrit mélange impertinent de rythme afro- dans Yuli et nous permettra de clôtu- contre son gré à l’École nationale du cubain et de danse classique. Une rer en dansant cette édition 2019 ! Ballet Cubain pour l’éloigner de la rue pièce hybride aux allures autobiogra- et le canaliser. Hyperactif et indiscipli- phiques créée au Sadler’s Well à Gala Frécon né, il gagne pourtant en 1990 la mé- Londres qui met en scène un jeune daille d’or du Prix de Lausanne et sort cubain qui quitte sa famille et sa cam- diplômé en 1991, à l’âge de 17 ans, pagne à la recherche d’une vie meil- avec une mention et la médaille d’or leure. Mais son talent ne s’arrête pas de l’école. Il est considéré dans les an- aux planches des prestigieux théâtres nées 90 comme l’étoile montante du et opéras ni à l’écriture chorégra- ballet cubain ; son talent et sa notorié- phique ; Acosta approche aussi le 7e té lui valent une place de premier dan- Art. seur dans l’English National Ballet à D’abord à la télé, où il participe à l’âge de 18 ans. Il attire régulièrement différents programmes de la BBC à la les foules avec le Houston Ballet, fin des années 90 ; en 1997 il apparaît l’American Ballet Theater ou, à Covent dans un reportage sur sa carrière, sa Garden, avec le Royal Ballet, dont il est vie professionnelle et personnelle, le guest principal [étoile invitée] et le puis dans des enregistrements com- premier danseur noir depuis 1998. mandés par le Royal Opera House. Dernièrement, il a également été l’invi- Plus récemment dans The Reluctant té de l’Opéra-Bastille, à Paris, pour Ballet Dancer, un programme faisant Icíar Bollaín interpréter le rôle-titre du Don Qui- partie de la série Imagine présentée Espagne chote de Noureïev, généralement con- par Alan Yentob sur les antennes de la Mercredi 27 mars à 20h45 sidéré comme le plus grand défi tech- BBC. Il sera également interviewer Avant-première nique auquel puisse s’atteler un dan- pour le programme HardTalk puis seur classique. Il intègre également des filmé dans les studios de la chaîne rôles à l’American Ballet Theater, au pour le programme NewsNight. 5
un film sur fond de crise en Es- pagne avec une nouvelle expé- rience formelle, l'utilisation des réseaux sociaux, et la transfor- mation de l'écran en smart- phone. L'année dernière, en 2018, il est de nouveau sélection- né à la Quinzaine des Réalisa- teurs de Cannes avec Petra que nous vous proposons cette année aux Reflets et qui raconte l'his- toire d'une jeune femme à la recherche de ses racines. Chaque nouveau film de Jaime Rosales FOCUS RÉALISATEUR est une expérience inédite pour le spectateur dont il cherche à Jaime Rosales révéler la sensibilité. Il se risque à des expériences visuelles ou for- le surprenant Catalan melles qui peuvent dérouter le spectateur mais il est à la fois exigeant et novateur, qualités « ...J’aurais aimé chanter, mais je chantais faux… J’ai voulu faire de la pein- que nous chérissons au Zola. ture, mais j’étais maladroit avec les pinceaux... ». « ...Même si je ne suis plus un homme jeune, je me considère On peut avoir fait des études d'écono- Dans Las Horas del Dia la vie d'Abel comme un cinéaste jeune. Je suis mie et devenir un bon cinéaste. C'est ce semble tout à fait banale et pourtant encore en recherche et donc je qui est arrivé au réalisateur de Petra, c'est celle d'un sérial killer ! Dans son fais des expérimentations. Je Jaime Rosales un barcelonais de 49 ans. deuxième film c'est à la solitude et à cherche une matrice créative. Il faut dire qu'entre-temps il avait obte- l'incommunicabilité entre les gens, en Pour la fixer et, à partir de là, nu une bourse et rejoint en 1996 la particulier deux femmes Adela et Anto- reproduire des variations théma- prestigieuse école de San Antonio de nia aux destins croisés, auxquelles il tiques. Comme les grands los Baños à Cuba où il put découvrir le s'atèle. Et pour mieux accentuer ce sen- peintres tel Picasso. Ou comme cinéma, apprendre à écrire des scéna- timent d'isolement il va utiliser au mon- les grands cinéastes. La matrice rios et réaliser des films. tage « la polyvision » (Split-sreen). C'est d'Almodóvar par exemple, est une technique qui consiste à couper incroyablement puissante. C’est Après avoir terminé sa formation à Cu- l'écran en deux parties égales et à y pré- passionnant de chercher sa ma- ba et un bref séjour à Sydney, il a tra- senter deux angles différents et simulta- trice, mais peut-être que je serai vaillé comme scénariste à la télévision nés de l'action. Son troisième film Tiro comme le « Hollandais volant », espagnole. En 2003, après la sortie de en la Cabeza en 2008 sera lui plus con- condamné à toujours rechercher son premier long Las Horas del Día, il troversé moins dans sa forme pourtant et expérimenter.... » (Propos re- obtient un enviable succès. Ce film, assez radicale que par rapport à son cueillis par Jean-Christophe Fer- présenté à Cannes à la quinzaine des thème. En effet le sujet est tiré d'un fait rari - Le Figaoscope - Le réalisateurs lui permet d'obtenir deux divers, un attentat non prémédité par 24/05/2012). Avec finalement Goyas (meilleure révélation, meilleur un commando de l'ETA de deux gardes assez peu de films - il prend scénario). Pas mal pour un premier civils espagnols et créa la polémique beaucoup de temps entre cha- film ! D'autant plus qu'il récidive quatre d'autant plus que la projection du film cune de ses œuvres - Jaime Ro- ans plus tard avec La Soledad et rebe- au Festival de San Sebastián se fit le sales s'est fait un palmarès très lote; là encore celui-ci sera doublement lendemain d'un nouvel attentat similaire enviable dans le landerneau des récompensé aux Goyas (meilleur film, mais bien réel cette fois ci. Entre-temps, cinéastes espagnols. meilleur réalisateur). Qu'a de si particu- comme beaucoup de réalisateurs, il a Michel Dulac lier ce cinéaste pour qu'il obtienne aus- cherché à devenir indépendant au ni- si vite une telle reconnaissance ? Jaime veau de la production et c'est ainsi qu’il Filmographie Rosales est un cinéaste singulier et exi- a créé sa boîte de production qu’il a geant au regard très personnel et qui appelé Fresdeval Film. C’est au sein de 2003 Las Horas del Día ose expérimenter - en particulier au cette société que Jaime Rosales est de- 2007 La Soledad montage - au risque parfois d'ailleurs venu producteur de documentaires puis 2008 Tiro en la Cabeza de déstabiliser le spectateur. Il inter- de tous ses long-métrages. Si Sueño y 2012 Sueño y Silencio roge la nature humaine et la mort pour Silencio, son quatrième film, en noir et 2014 Hermosa Juventud mieux donner un sens à la vie autour de blanc, eut un succès plus limité le perti- 2018 Petra personnages aux contours ordinaires. nent catalan habitué de Cannes y re- viendra en 2014 avec La Belle Jeunesse 6
caméra eux-mêmes surprenants. Il s'agissait de trouver une forme qui active l'intelligence du public mais ne se transforme pas en une opération similaire à une ascension de l'Hima- laya ». Le film est principalement tourné dans la région de Girona. On y parle catalan - c'est le cas de Jaume et de Pau, son assistant. Le casting de Petra est impressionnant : Bárbara Lennie (La Niña de Fuego, Notre en- fant), Alex Brendemühl (El médico Alemán) et Marisa Paredes. On a déjà pu découvrir les deux premiers dans Murieron por encima de sus posibilidades d’Isaki Lacuesta. Petra « ...Le casting, avec à sa tête Bárbara Lennie, a parfaitement compris le style d’interprétation non empha- Une tragédie en sept actes tique que je recherchais. Mélanger des comédiens à la carrière interna- tionale, comme Marisa Paredes, et Petra est artiste peintre, Petra aban- que le spectateur entre dans le film, des non professionnels, comme Joan donne la peinture, Petra a trente ans, pour qu’il s’installe à l’intérieur et Botey, a été l’un des principaux dé- Petra est belle, Petra tombe amou- voyage avec lui. Un voyage vers l’inté- fis... ». Si Alex Brendemühl a déjà reuse, Petra n'a jamais connu son riorité. Intériorité des personnages et tourné avec Jaime Rosales - il est le père. Petra rencontre Jaume, Elle le intériorité du spectateur lui-même. héros de son premier film Las Horas questionne, elle veut savoir. Ce sculp- Plus que dans aucun de mes films an- del Día - c'est une première pour teur égoïste et narcissique qu'elle re- térieurs, Petra est le résultat d’un pro- Bárbara Lennie. « Cela a été beau- connaît sur une photo jaunie en com- cessus collectif très participatif... ». Le coup d’angoisse mais aussi beaucoup pagnie de sa mère... serait-il ce père réalisateur inventif se plaît ici à filmer de plaisir. Bárbara Lennie est si bien inconnu ? Voici planté le décor du de long plans séquence. Il se risque dans sa peau qu’elle donne à toutes nouveau film de Jaime Rosales, tragé- aussi à des nouveautés de montage ses scènes une tonalité tellement die moderne à plusieurs actes, pimen- pour surprendre le spectateur. En particulière. Je pense évidemment tée à la sauce catalane. Écoutons le effet, il choisit de déconstruire la chro- aux scènes de danse dans lesquelles réalisateur à propos de son film : « Il nologie normale du récit. L'histoire ne elle s’abandonne complètement ». n’y a pas un thème unique dans Petra. suit pas la ligne temporelle classique Petra a été présenté l'année dernière Chaque spectateur trouvera le sien. et il brouille ainsi les pistes pour au Festival de San Sebastián ainsi Mais le thème de l’identité est impor- rendre le propos plus captivant. « C'est qu'à La quinzaine des Réalisateurs de tant. Ainsi que celui du destin et de la très difficile de plaire au spectateur Cannes. Il sera distribué en France lutte entre le bien et le mal. L’intrigue parce que si on lui donne trop, il rejette par Condor Distribution. Vous aurez est imprégnée d’un souffle tragique le film comme trop facile et si on lui le plaisir de le découvrir en avant- tout au long du film. Si je devais résu- donne trop peu, il fait la même chose première mardi 26 mars à 20 h 45. mer la thématique de Petra, je dirais pour la raison que le film est trop que c’est un film sur la recherche de opaque. Il faut lui donner suffisam- Michel Dulac soi et sur la rédemption... Petra a ment mais pas trop, et cet équilibre est avancé d’un pas dans cette nouvelle difficile à trouver. Dans cette architec- direction. Avant de commencer à con- ture, le scénario a une influence impor- cevoir le film, j’ai du revenir à l’école. tante. Au lieu de faire quelque chose La meilleure école de cinéma, ce sont de trop prévisible, nous avons rompu les films et les livres sur le cinéma. J’ai la linéarité (ce qui, déjà, requiert un relu les livres et revu les films qui effort d'interprétation) mais avons m’avaient marqué pendant mes an- aussi essayé de stimuler le spectateur nées de formation. J’ai revisité les clas- en anticipant sur ce qu'il va se passer à siques et les modernes. Le spectateur travers les petits titres de chapitres d’un film veut passer un bon moment. mais pas toujours. Le public peut donc Il veut être ému. Il veut qu’on le sur- apprécier ce jeu du chat et de la souris, prenne. La surprise est la sève qui ali- très difficile à mettre en œuvre pour mente l’intérêt dramatique. Tout le être satisfaisant. Il a fallu pour ceci Jaime Rosales processus a consisté à créer une œuvre rédiger vingt versions du scénario et le Espagne, 2019 qui présente un ensemble d’atouts tournage aussi a été compliqué, car Mardi 26 mars à 20h45 séduisants... Tout a été pensé pour nous cherchions des mouvements de 7
Las Niñas bien, Las Niñas bien (les filles bien) ra- Quand la crise de la dette ébranle Ce long métrage est adapté et inspiré conte l’histoire de la toujours par- son monde, Sofía doit faire face à par la collection de nouvelles et d’ar- faite, charmante et gâtée Sofía, reine une influence sociale en déclin. Elle ticles de l’auteur mexicain Guadalupe dans son petit milieu mondain. Elle doit aussi affronter une nouvelle Loaeza, «Las niñas bien», publiée en mène une vie de loisirs et de luxe, venue, Ana Paula, dans le club dont 1985. porte toujours les vêtements qui elle est l’idole. Au cours du film, nous La réalisatrice Alejandra Márquez conviennent et un sac à main de apprenons la passion de Sofía pour Abella, met en évidence la douleur marque et ne manque jamais de Julio Iglesias (son fantasme), sa profonde de Sofía dont les silences barrer la route aux arrivistes qui ten- crainte du papillon noir qui annonce sont éloquents alors qu’on entend des tent de s’introduire dans son cercle le mauvais sort et son dégoût pour la chuchotements médisants hors cadre. social. Lorsque la crise économique classe inférieure qu’elle appelle sim- frappe le Mexique, Sofía s'efforce de plement « Mejicanos». La mise en scène du film est rehaussée sauvegarder les apparences, mais par la interprétation magistrale de Ilse doit finalement faire face à ce qui lui Le film est un portrait sarcastique Salas dans un des ses meilleurs rôles. reste de son existence, une fois que d'une femme de la classe supérieure Las niñas bien est un film intense et tout l'argent a disparu. déchue. Il nous décrit le quotidien beau. de ces « épouses parfaites » de la Homero Vladimir Arellano Las Niñas bien, second long-métrage classe supérieure au Mexique. Bien d’Alejandra Márquez Abella, est plus éduquées, ces femmes n'ont pas de qu’une histoire sur les femmes ra- points de vue, elles doivent juste contée par des femmes. Il dévoile le assumer leur rôle d'épouse et de monde de la bourgeoisie lors de la femme au foyer. Elles n’ont d’autre crise financière de 1982, lorsque le but dans la vie que de toujours pos- Mexique n’a pas honoré sa dette et séder plus. Elles n'ont même pas de que la valeur du peso a fortement relations fortes avec leurs enfants. fluctué. Au Mexique, il existe une En perdant leurs acquisitions maté- division sociale très stricte entre les rielles, elles perdent leur identité. classes supérieures et inférieures. Pour la classe supérieure, il y a ce Le film maintient un équilibre étroit style de vie de country club auquel entre moquerie et compassion. Il est vous appartenez ou pas. Il est diffi- difficile de s’attacher à Sofía, mais cile d’y entrer, mais une fois que impossible aussi de ne pas ressentir c’est fait, vous devez vous montrer à de l’empathie pour elle, alors que la hauteur des attentes de chacun. Il son monde de faux semblants, vide existe un certain protocole sur la de sentiments, s’écroule. manière de s’habiller, de se compor- Alejandra Márquez Abella ter, de parler et de se présenter. Mexique, 2019 Sofía est un modèle «niña bien» Mardi 26 mars à 18h45 pour son cercle de riches amies. Avant-première 8
La musique, assez discrète, est em- ployée avec mesure, comme une respiration. D’ailleurs, le scénario ne prévoyait pas de musique addition- nelle. C’est au cours du tournage que le besoin de musique s’est im- posé. Koldo Almandoz parle d’une œuvre liquide, un film “fleuve”, dont le tournage s’est constamment dé- tourné du scénario. Le film avance par petites touches, comme une œuvre impressionniste, mais aussi à la façon dont on avance en ramant. Oreina Les petits moments de vie s’ajoutent les uns aux autres, se frôlent, se dé- bordent, s’évitent… Le spectateur Solitude, vengeance et marais reconstitue au fur et à mesure son propre paysage, celui de la nature bien sûr, mais aussi celui de la na- Des marais, des hommes, des ani- Dans la grande ville où se réfugie ture des hommes. À l’heure des films maux. Tous se côtoient sans vraiment Martín, on se côtoie, mais on ne se de super héros ou d’anti héros, Orei- vivre ensemble. Sur le bord du fleuve, parle pas vraiment. La ville est filmée na présente une palette de gens une maison partagée par deux frères de manière froide, elle est faite de « normaux ». Et c’est là tout l’intérêt qui prennent soin de s’éviter. matériaux durs, d’angles, de lumières du film, au-delà de la mise en scène artificielles. On y voit les usines aban- très maîtrisée, nous suivons la survie José Ramón vit de braconnages dans données, des parkings déserts où de ces personnes prises dans des les eaux du fleuve comme dans les seulement quelques camions témoi- entre deux permanents : entre deux forêts qui le bordent. Il a pris sous gnent d’un temps passé. En con- frères, entre deux mondes, entre son aile Khalil, jeune homme venu du traste, les marais paraissent colorés, deux saisons, entre le respect de la Sahara occidental qui l’aide à bracon- remplis de vie animée. Koldo Alman- loi et la nécessité de vivre… Lors ner et lui rend quelques services. doz filme la nature avec sensibilité et d’une interview pour présenter le Comme son mentor, il vit de petits respect. Le bestiaire est hétéroclite : film, l’acteur qui joue Khalil, Laudad trafics qui ne finissent pas toujours hérisson, sanglier, anguilles, serpent, Ahmed Saleh le définissait avec ces bien. À la différence de José Ramón, et bien sûr le cerf, dont la tête em- trois mots : solitude, vengeance, le taciturne, Khalil aime parler, avec paillée semble garder la maison et marais. Joana par exemple, mais elle rêve de assurer une paix fragile. Les plans sur partir à Londres et quitter la station- les animaux ne sont pas cosmétiques, Nicolas Favelier service de son père. C’est en parta- ils assurent la continuité de la narra- geant une bière avec son ami de bra- tion et le témoignage de la diversité connage que José Ramón évoque son de cet écosystème de la région de passé : comme le père de Khalil, il a San Sebastián. Sans être un film éco- travaillé à l’usine, par intermittence… lo, le film est aussi un témoignage de et a aussi eu une vie amoureuse. la beauté des milieux naturels face au Martín, l’autre frère, occupe l’autre monde temporaire des humains. Des moitié de la maison au bord du éléments viendront briser cette appa- fleuve, mais n’échange jamais avec rente tranquillité : l’agent des eaux et José Ramón. Martín est universitaire. forêts par exemple, qui traque sans Parti à Paris, il en est revenu pour des relâche José Ramón et Khalil, se trou- raisons difficilement avouables. La vant de fait chasseurs et chassés. maison est son placard dont il ne sort que pour aller en ville, essayer de Deuxième long métrage du réalisa- rencontrer des hommes lors de ren- teur basque Koldo Almondoz, Oreina dez-vous furtifs. La ville est pour lui (le Cerf) est un film contemplatif où une bouffée d’oxygène où il peut les silences, les regards, sont souvent chanter, fréquenter des librairies et beaucoup plus chargés de sens que essayer de vivre sa sexualité. ces dialogues banals, quotidiens, échangés comme des automatismes. Koldo Almandoz La ville, justement ; dans celle où Embarqués sur le bateau des bracon- Lundi 25 mars à 16h30 vivent José Ramón, Martín et Khalil, niers, nous sommes happés par la les lieux de vie se résument au café et beauté des paysages et le silence de à la station-service. Ce sont des lieux la rivière. de passage où chacun reste dans sa bulle. 9
La Familia Un drame social fort et épuré La Familia, premier long-métrage de Le fils, lui, par manque d’expérience, est de Caracas le personnage principal Gustavo Rondón Córdova, est un film propulsé brutalement dans l’âge adulte. de l’histoire. Il a su trouver avec ce émouvant sur la difficulté des rela- Cette situation va peu à peu les rappro- film une certaine beauté dans la tions entre un père et son fils qui cher. Dans un pays où l'héritage familial triste réalité du pays en se concen- vont apprendre à se connaître au semble être l'ultime lien relationnel, le trant subtilement sur l’histoire de cours d’une déambulation urbaine père va pleinement jouer son rôle et deux personnages touchants et ma- dans les rues de Caracas, l’une des apprendre à son fils à être débrouillard ladroits, sans pathos ni ficelles mé- villes les plus violentes et dange- pour échapper à une vie de malfrat qui lodramatiques. La Familia est un reuses d’Amérique du Sud. Le réalisa- ne saurait qu'être tragique. drame social fort autant qu’épuré. teur porte un regard aigu sur une Plusieurs éléments thématiques du film Un film poignant qui saisit la vio- jeunesse à la dérive qui doit subsis- font penser au néoréalisme italien. Le lence de la situation au Venezuela. Il ter dans une société gangrenée par la père entraîne son fils dans sa fuite mais a été nourri par l’expérience et les violence et l’insécurité. c’est pour mieux se rapprocher de lui. souvenirs du réalisateur, ce qui ren- La photo et les jeux de lumière sont très force l’authenticité et l’efficacité. Le film retrace l’histoire de Pedro, un travaillés. Une réussite incontestable. garçon de 12 ans qui réside dans une banlieue pauvre de Caracas. Lors Le réalisateur, par la qualité de sa direc- La Familia a remporté el Abrazo d’une bagarre, il blesse mortellement tion d’acteurs, réussit à créer une vraie d’Or à Biarritz en 2017. un jeune délinquant qui tentait de complicité à l’écran qui se traduit par le voler son meilleur ami. Lorsque An- jeu des regards entre les comédiens Homero Vladimir Arellano drès, le père de Pedro, trouve son (des acteurs non professionnels pour la fils, ce dernier a déjà tranché la gorge plupart). Le film comporte beaucoup de du délinquant avec une bouteille scènes silencieuses qui prennent tout cassée. leur sens en un seul échange de re- Sachant que l’enfant blessé vient de gards. La caméra à l’épaule du cinéaste la favela et que son agression leur s’attarde sur les activités de ces gosses mettrait une bande de criminels sur défavorisés dont même les jeux sont le dos, le père décide d’emmener son influencés par les déviances de leurs fils dans les quartiers plus riches où il aînés : machisme ambiant, culte des travaille. Ainsi, en tentant de réparer armes, agressions physiques autant que les erreurs de son fils, le père devient verbales. Gustavo Rondón Córdova a son protecteur. déclaré dans un entretien qu’il aimait les films réalistes et qu’il voulait faire Lundi 25 mars à 20h45 Avant-première 10
parole de Dieu ; tout comme nous José voyons une partie d’une cérémonie religieuse ou les processions de la semaine sainte ; autre moment im- portant, par lequel encore nous comprenons l’importance de cette religion quand la mère de José im- plore, à plusieurs reprises, Dieu de protéger et d’amener son fils sur le bon chemin. La violence et délin- quance, très présentes dans cette Le Guatemala, pays d’Amérique centrale, Non seulement elles ne reçoivent au- société, où personne ne semble ai- est peu connu mais très attirant pour peu cune aide ni au niveau institutionnel - der les autres -par exemple quand la que l’on prenne la peine de s’y intéresser car le gouvernement ne les protège mère de José se fait voler dans la un peu. La société guatémaltèque est pas - ni au niveau social, mais, en plus, rue toutes ses affaires ou un jeune confrontée à des problèmes sociaux très elles se font agresser et frapper dans se fait voler son téléphone dans le importants, le plus sérieux étant principa- la rue, parfois par la police elle- bus, rempli de personnes-. Cela nous lement la corruption : l’ancien président même ; ni, enfin, malheureusement, montre bien le niveau d’acceptation Otto Pérez Molina et tout son gouverne- par leurs familles, au sein desquelles de la délinquance par la société, ment ont été accusés en 2015 de corrup- ils-elles sont considéré-e-s comme puisque cela semble être devenu tion. Ainsi, la population n’a plus con- malades. Sans compter que, bien sou- normal, malheureusement. Tous ces fiance dans les politiques ni dans leur vent, les familles obligent leur enfant problèmes semblent entourés et parole, une déception fortement ancrée homosexuel à se soumettre à des couverts par le mensonge dans la dans la société, mais qui souhaite néan- « terapias reparativas » (thérapies mesure où personne ne se confie à moins lutter contre ce fléau. D’autre réparatrices) menées par l’église, personne, pas même entre amis ou part, la grande pauvreté dans laquelle vit comme un endoctrinement, afin de à sa propre famille ; ils préfèrent ne l’immense majorité de la population et « renverser » sa tendance. Cepen- pas en parler et utiliser la manipula- qui induit d’autres problèmes comme le dant, dans l’article 4 de la constitution tion, s’il le faut, pour arriver à leur chômage, la délinquance, l’insécurité, la de Guatemala est écrit que « Tous les but. Il s’agit d’un film très touchant, dénutrition, l’analphabétisme ou les iné- êtres humains sont libres et égaux en intéressant mais surtout révélateur galités. En 2016, Guatemala a été recon- dignité et droit » Il y a encore de l’es- par le biais d’une présentation un nu comme l’un des pays les plus pauvres poir, néanmoins, avec l’émergence de peu sombre et pessimiste de la so- et violents du monde. Ces dernières an- collectifs qui se sont formés récem- ciété guatémaltèque et ce, en 1h25 nées, il a connu une croissance écono- ment comme « Visibles » et un mou- min. Un aperçu triste mais réaliste, à mique relativement correcte mais mal- vement guatémaltèque qui travaille à la fois, de cette société. heureusement cela n’a pas suffi à faire une inclusion pleine et entière de la J’aimerais pour finir partager une évoluer le niveau de pauvreté, ce qui population ayant une orientation citation très intéressante, qui invite nous laisse à penser que les inégalités sexuelle différente, mais aussi à une à la réflexion. Elle est de Camila augmentent au sein de la population. acceptation par la population dans Alarcón, journaliste guatémaltèque Manuel Villacorta écrit dans le journal son ensemble. Fondés en 2017, ces qui dit « Notre qualité humaine ne « Prensa libre », « La vie au Guatemala, collectifs se présentent comme une se définit pas par notre ethnie, genre pour les plus pauvres, est un défi indes- plateforme collaborative, optimiste et ni par notre orientation sexuelle. Elle criptible ». Il précise également dans son respectueuse. Nous comprenons se définie par notre façon de traiter article qu’il y a « un divorce clair entre le maintenant que Li Cheng, réalisateur les autres » gouvernement et la population » car il y a de « José », n’a pas voulu nous mon- Laura de Castro Vecino une énorme méconnaissance (voire un trer uniquement le problème lié à désintérêt) de ce que vit la population de l’homosexualité ; mais, à partir de la part des politiques voire du gouverne- l’homosexualité et du personnage de ment lui-même, ce qui entraîne à un José, il semble avoir voulu nous pré- échec à coup sûr de sa mandature... celui senter la réalité de la société guaté- -ci ne travaillant au final que pour lui. maltèque : la pauvreté dans la famille Enfin, le dernier grand problème, à mon de José - qui oblige sa mère à travail- avis, au Guatemala, est l’homosexuali- ler dans la vente ambulante sur les té ou plutôt l’acceptation de l’homo- marchés chaque jour ou qui oblige sexualité. Comme l’écrit Camila Alarcón José à travailler au lieu d’étudier à son dans son article sur « Plaza pública » : âge ; cette pauvreté qui les empêche « L’homosexualité n’est pas une maladie, de vivre dignement ou d’avoir de l’eau l’homophobie oui ». C’est tout à fait ce potable. A noter également une pré- qui prévaut au Guatemala. Il existe une sence très marquante de la religion, Cheng Li, Guatemala, 2018 forte discrimination, voire une haine et catholique ou protestante, : nous Mercredi 20 mars à 18h45 même une immense violence contre ces sommes confrontés souvent à des Inédit et compétition personnes qui ont une orientation orateurs dans la rue qui proclament la sexuelle différente. 11
Un coup de maître On connait la richesse du cinéma ar- « Le film, explique Gastón Duplat, parle Le film tient énormément par son gentin. En janvier, on a pu voir L’ange de l’imposture dans le monde de l’art, duo d’acteurs. Nous avions vu Guil- de Luis Ortega. On suit, par exemple, mais aussi de l’amitié qui lie les person- lermo Francella en 2010 pour son avec intérêt les carrières de Pablo Tra- nages interprétés par Guillermo Francel- rôle dramatique dans le très remar- pero, Lucrecia Martel, Daniel Burman, la et Luis Brandoni, deux grands acteurs qué Dans ses yeux de Juan José Santiago Mitre et Lucía Puenzo (la fille qui livrent une interprétation mémo- Campanella et plus récemment de Luís) qui ont été sélectionnés dans rable. On y retrouve aussi Andrea Frige- dans El clan de Pablo Trapero. Il est les plus importants festivals interna- rio après son rôle dans Citoyen d’hon- très connu en Argentine pour ses tionaux de cinéma. neur et Raul Arévalo, acteur, mais aussi rôles comiques ou dramatiques. Les frères Duprat se sont fait con- réalisateur du film La colère d’un Quant à Luis Brandoni qui fut enle- naitre en 2008 par L’artiste et en 2009 homme patient, triplement récompensé vé par les Escadrons de la mort du- dans L’homme d’à côté tourné dans aux Goya en 2016. J’ai tourné pendant rant la dictature, il continue à mili- une maison du Corbusier. Mais c’est huit semaines à Buenos Aires, Rio de ter tout en poursuivant sa carrière en 2016 avec Citoyen d’honneur qu’ils Janeiro et dans les paysages impression- de comédien. ont remporté de nombreux prix dont nants de la région de Jujuy… Nous un Goya en Espagne. Ils ont alors obte- sommes très différents avec Andrés Alain Liatard nu une reconnaissance internationale (mon frère, scénariste du film) et Maria- avec ce portrait d’un prix Nobel qui no (mon producteur). Nous représentons retourne dans son village natal. Tous des générations et avons des origines leurs films tournent autour de l’art. éloignées, mais avons tous des goûts Les trois films ont été coréalisés par similaires quand il s’agit de réaliser des Mariano Cohn. Mais cette fois Gastón films. Le film est un très long retour en est seul à la réalisation. arrière. Cela nous a posé pas mal de problèmes. Ce flashback était nécessaire Arturo est le propriétaire d’une galerie parce qu'au début, Guillermo Francella d’art à Buenos Aires : un homme char- (Arturo) explique qu’il est un assassin. La mant, sophistiqué mais, sans scru- conséquence c’est que pendant tout le pules. Il représente Renzo, un peintre film, le public se demande quand et qui loufoque et torturé qui traverse une il va tuer.» baisse de régime. Leur relation est C’est ainsi que les toiles censées être faite d’amour et de haine. Un jour, l’œuvre de Renzo ont toutes été peintes Renzo est victime d’un accident et par Carlos Gorriarena, un peintre décé- Gastón Duprat perd la mémoire. Profitant de cette dé en 2007, que le tableau attribué à un Espagne / Argentine situation, Arturo élabore un plan osé certain Andrey Kahler est en fait l’œuvre Mercredi 27 mars à 14h pour les faire revenir sur le devant de du photographe et peintre Augusto Fer- la scène artistique. rari qui fut présenté à Arles en 2010 et qu’on peut admirer des tableaux de Eduardo Stupia. 12
Habita Les regards Commençons par le début de cette histoire, Cuzco, Valle del bajo Huatanay. Habita, est un récit en de ce périple… ! six parties, six dualités qui veulent refléter le rôle de notre territoire et la mémoire culturelle de nos espa- D’où vient ce documentaire ? L’idée a émergé dans un ces de vie à partir des témoignages de leurs habitants des festivals organisés par www.makefestival.org où et leurs communautés. nos trois « personnages » se sont rencontrés, ont parta- gé leurs expériences, leurs passions et ils ont réfléchi sur Notre conte commence par une « Dualidad ou Huac- le monde rural, sa mémoire et ses traditions en évolu- coto » une dichotomie entre les hommes et les tion. Ils ont réfléchi à comment améliorer l’habitabilité femmes de la zone et leurs métiers, mais aussi entre la des logements ruraux des indigènes tout en collaborant terre et ses plantes qui sont en train de disparaître. avec une association de la ville de Cuzco. Cela les a ame- Nous continuons notre récit par, « Generación- nés à partir pour la Valle del Huatanay (Cuzco) et réali- Patacancha ». Ici, deux jeunes nous présentent d’un ser ce beau projet que nous vous présentons aujour- côté, les difficultés de leur génération et l’agricul- d’hui : Habita. ture et d’autre part, une jeune fille qui nous laisse stu- Présentons maintenant ce beau collectif. péfaits avec sa réflexion sur l’éducation des enfants, le rôle des femmes et la violence conjugale. Quelle matu- Il s’agit d’un collectif constitué d’architectes, urbanistes, rité ! Nous arrivons au troisième chapitre, « Centro- designers et d’artistes, issus de domaines divers et de Pachatusan » ; où Roger nous présente cette colline différents pays d’Europe et d’Amérique. Ensemble, ils sacrée, sans pouvoir expliquer avec des mots ce ont créé ce collectif et ses festivals, pour un besoin com- qu’elle représente pour eux, c’est impossible. Notre mun : effacer les frontières géographiques, et les diffé- trajet se poursuit ensuite par « Identidad-chinchero » rences entre le rural et l’Urbain, entre le visiteur et l’ha- en compagnie de deux femmes tisseuses ; nous appre- bitant, entre le savoir hérité et l’expérimentation et nons sur les tissus et les teintures, leur métier et son l’innovation et enfin, entre les études théoriques et leur évolution dans cette société qui oublie, peut-être sans application pratique. faire exprès, sa terre et ses traditions. Le cinquième Nos trois « personnages » issus de ces rencontres sont : chapitre s’intitule «Camino-Totorá », nous y compre- nons ce chemin du changement de la ville vers la cam- Adriana Fernández, (Espagnole), diplômée frd Beaux- pagne, de leur joie de vivre en accord avec leur espace Arts. Elle cherche, avec sa pratique la construction de vie. d’espaces pour en partager le contenu et en facili- ter la compréhension. Le conte arrive à sa fin, pour l’instant, avec « Éxodo- Antonio V. Sotgiu, (Italien) diplômé et détenteur d’un Ccolccaiqui », où le dilemme de l’éducation et des Master en Planification du territoire urbain et de enfants est présenté par une jeune professeure, Regi- l’environnement. Il est chercheur dans le monde na, et son école composée d’une classe unique : des rural. élèves de différents niveaux ensemble. Regina, avec Ana Asensio. (Espagnole), Architecte, auteur d’une son discours, arrive à nous transmettre sa passion thèse sur l’architecture populaire et sa mémoire. pour l’enseignement, l’importance de la nature et les Spécialisé dans l’habitabilité d’espaces humains choses naturelles ; mais surtout l’importance de l’en- précaires. fance dans toute société. Car, dans l’éducation se trouve la clé du développement. Ils ont voulu nous raconter un conte, un récit sur l’aban- don et l’oubli ; mais aussi un récit de protection et de Maintenant, après avoir vu ce conte, je me sens diffé- mémoire. Un conte d’aujourd’hui et d’hier ; un conte rente ; je me sens héritière d’un savoir ; un savoir que pour toujours. Un conte qui nous transmet un savoir je dois transmettre, un savoir qui fait maintenant par- indescriptible, qui nous emporte dans un monde de tie de ma mémoire, de ma culture et que je dois main- dualités, de cultures, d’espaces de vie… pour que l’on tenant confier aux autres, à vous. puisse comprendre notre construction culturelle, valori- Un savoir qui nous permet une transposition à n’im- ser nos espaces de vie et construire notre mémoire. Une porte quelle société car il ne fait pas référence seule- dualité qui est présentée comme l’image réfléchie d’une ment au Pérou ou à Cuzco et ses collines ; il va au- personne dans un miroir, l’opposition, la partie con- delà. Il nous fait réfléchir et réaliser ce que sont les traire mais en même temps complémentaire d’un indivi- choses importantes dans la vie. Car Habita est un ré- du. Mais « le plus important des mots ce n’est pas ce seau d’initiatives autour du respect et de l’équilibre qu’ils veulent nous transmettre mais où ils peuvent nous avec le milieu où l’on vit et avec qui on habite. Habita amener ». est une voix, mais aussi des voix qui crient la vie, et qui luttent et construisent son indépendance. Allons-y ! Laura de Castro Vecino 13
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