TER : le rapport Grignon prépare la fin du monopole de la SNCF

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Ville, Rail & Transports

TER : le rapport Grignon prépare la fin du
monopole de la SNCF

(c) SP
10/06/2011

Le sénateur Grignon a remis le 18 mai au gouvernement son rapport sur les conditions
d’ouverture à la concurrence dans les TER. Il préconise le transfert des personnels de la
SNCF à une entreprise ferroviaire privée qui remporterait un contrat. Il se prononce aussi pour
l’alignement des conditions de travail des cheminots et des salariés du privé. Des orientations
de nature à satisfaire la SNCF.

Enfin ! C’était l’un des textes les plus attendus par le secteur ferroviaire : le rapport du
sénateur (UMP) du Bas-Rhin, Francis Grignon, sur les conditions d’expérimentation de la
concurrence dans les TER a été remis le 18 mai à Thierry Mariani, le secrétaire d’Etat aux
Transports. Il semble avoir entendu les arguments de la SNCF, puisqu’il préconise de bien
border le terrain avant de se lancer dans l’expérimentation, en particulier dans le domaine
social. C’est précisément ce que réclame depuis de longs mois la SNCF, qui refuse de voir le
scénario de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire se répéter pour le transport
ferroviaire régional (TER) : le fret a été libéralisé en 2006 et ce n’est que quelques années
plus tard qu’une convention collective pour le fret ferroviaire a commencé à être mise en
place. Ce texte, qui exclut la SNCF, prévoit des conditions de travail plus souples pour les
cheminots du privé.
Francis Grignon estime d’abord qu’il faudra modifier la loi d’orientation sur les transports
intérieurs (Loti) qui institue le monopole de la SNCF pour expérimenter la concurrence.
Celle-ci devrait être testée sur un périmètre restreint, sur un groupe de lignes
« territorialement cohérent et économiquement équilibré » représentant un minimum de
1,5 million de voyageurs/km. Le sénateur se prononce pour le recours à des délégations de
service public, après appels d’offres.
Si un contrat est gagné par un opérateur concurrent de la SNCF, un principe est posé : les
contrats de travail des cheminots concernés seront transférés au nouvel opérateur. Cette
question a fait l’objet de vives discussions entre la SNCF et les opérateurs privés. La première
défendait le principe d’un tel transfert, tandis que les seconds le rejetaient au motif qu’ils ne
seraient pas compétitifs si des cheminots, dont ils décrient les conditions de travail, leur sont
imposés. « Nous étions contre un détachement des salariés et cela n’a pas été retenu. S’il y a
transfert, il doit se faire sur la base du volontariat et être bien encadré », indique un
responsable de Veolia Transport qui attend de longue date l’ouverture à la concurrence.
Le sénateur a tranché en faveur du volontariat. « Nous proposons que les cheminots gardent
leur statut. C’est-à-dire tout ce qui touche à leurs droits de retraite, la protection et la
sécurité sociale, le plan de carrière, les billets gratuits, est maintenu », précise Francis
Grignon qui ne cache pas qu’il s’agit d’inciter au volontariat. Que se passerait-il si les
cheminots refusaient en masse le transfert ? Un mécanisme d’indemnisation de la SNCF avait
été imaginé au départ, mais « en l’absence de base légale pouvant la fonder dans son
principe », il a été écarté tant il risquait d’être contesté. De ce fait, rien n’est prévu, la SNCF
devrait alors absorber le surcroît de personnel. « Dans un premier temps, l’expérimentation ne
devrait concerner que quelques dizaines de personnes », nuance le sénateur.
Les cheminots pourraient toutefois être rebutés par les conditions de travail du privé. Pour
mettre tout le monde sur un pied d’égalité, le rapport recommande aux partenaires sociaux de
négocier une convention collective applicable à l’ensemble du secteur ferroviaire, y compris à
la SNCF. Cet accord, s’il voit le jour, énoncerait des principes communs à toutes les
entreprises, notamment sur la durée du travail. Conséquence, il faudrait auparavant abroger la
loi du 3 octobre 1940 qui exclue le personnel sous statut, donc les cheminots, du droit
commun du travail. Rappelons que cette loi donne au ministère des Transports la mission de
définir les conditions de travail à la SNCF. C’est elle qui avait permis à l’ancien ministre des
Transports, Jean-Claude Gayssot, d’édicter le fameux règlement RH0077 sur les conditions de
travail des cheminots.
« Le RH0077 recouvre deux aspects. C’est un décret d’application des 35 heures à la SNCF.
Dans ce cadre, il devrait évoluer et il faudra en négocier le contenu. Le RH0077 est aussi un
accord d’entreprise. Il reviendra à la SNCF et aux organisations d’en discuter. L’idée de la
direction étant de le rapprocher du décret », souligne Jean-Pierre Farandou. Pour le patron de
SNCF Proximités, « il n’y a pas d’autres choix que d’aboutir à l’alignement des conditions de
travail ».
De telles négociations s’annoncent plus que compliquées. Les syndicats de cheminots ont
toujours montré un attachement inflexible au RH0077. S’ils acceptaient de telles négociations,
ce serait plutôt dans le sens d’un alignement vers le haut des conditions de travail. En face, les
entreprises privées n’auront de cesse de réclamer flexibilité et souplesse. Elles devraient aussi
se montrer hostiles à la suggestion du rapport Grignon qui prévoit qu’elles paient, ainsi que
les régions, le surcoût lié aux avantages spécifiques du régime de retraite des cheminots.
Poussant son avantage, la SNCF pourrait être tentée, s’inquiète-t-on dans le privé, de faire
d’une pierre deux coups en réclamant l’application d’un accord de branche pour tout le
secteur ferroviaire. Fret compris. « Le périmètre n’est pas encore déterminé. C’est
prématuré », répond Jean-Pierre Farandou. La SNCF a fait savoir depuis longtemps qu’elle ne
s’assiérait à la table des négociations que lorsque l’Etat aurait précisé sa position, rappelle-t-
on côté de l’Union des transports publics (UTP). De son côté, Veolia Transport souhaite
lancer les négociations « dans les meilleurs délais ».
Reste donc maintenant à connaître le calendrier prévu par le gouvernement. Les pouvoirs
publics sont prêts à aller plus loin, affirme le sénateur Grignon. Mais les échéances à venir
laissent plutôt penser qu’il faudra encore attendre. Après avoir laissé passer en début d’année
les élections cantonales, puis surtout les élections professionnelles à la SNCF, les pouvoirs
publics ne voudront pas non plus perturber la campagne de l’élection présidentielle de 2012.
Francis Grignon estime qu’il faudra deux ou trois ans avant de pouvoir ouvrir le marché. Cela
mène à 2014, une année où de nombreuses conventions TER arriveront à échéance. Du côté
des régions, on affiche une préférence marquée pour la poursuite des relations contractuelles
avec la SNCF. Mais en privé beaucoup ne seraient pas fâchés de pouvoir lancer des appels
d’offres pour faire leur choix. Les régions rappellent souvent qu’elles souhaiteraient plus de
transparence dans les comptes de la SNCF, qu’elles voudraient disposer de davantage de
leviers pour accroître la qualité du service, bref ! qu’elles aimeraient tout simplement pouvoir
jouer totalement leur rôle d’autorité organisatrice de transport, comme le soulignent les élus
du Gart ou de l’Association des régions de France. L’arrivée de la concurrence pourrait y
contribuer, pensent-ils, tout comme elle devrait tirer à la baisse les prix. Un argument de poids
pour des régions qui peinent de plus en plus à financer leurs TER.

Marie-Hélène POINGT

Les autres points du rapport

- Le rapport recommande que, dans le cadre de l’expérimentation, les régions puissent devenir
légalement propriétaires du matériel roulant, puisqu’elles financent la plus grande partie du
matériel, même si la SNCF en est aujourd’hui propriétaire.
Les régions pourront ainsi transférer le matériel à l’opérateur sélectionné, qui ne sera pas
obligé d’investir lourdement en apportant son propre matériel. Les autorités organisatrices
pourront alors devenir les gestionnaires du matériel, voire recourir à une société de portage
afin de mutualiser la gestion du matériel roulant si plusieurs régions se prêtent à cette
expérimentation.
- Le rapport propose également que la maintenance du matériel roulant, qui constitue « une
facilité essentielle », puisse être sous-traitée auprès de la SNCF contre une redevance. C’est
une des propositions nouvelles, comparé au prérapport qui avait été dévoilé il y a tout juste un
an par Ville, Rail & Transports. Cette solution permettrait d’optimiser les capacités des
ateliers existants, notamment ceux financés par la région, et d’éviter de désorganiser les
systèmes de production du service, ferroviaire en protégeant les emplois, estime le rapport.
- Pour la tarification et la distribution des billets, le sénateur propose le maintien de la
tarification actuelle et, dans un souci de simplicité, l’utilisation des dispositifs existants pour
distribuer les titres de transports. Pour répartir les recettes, « il est indispensable de disposer
de données précises, soit par le biais de comptages, soit par le biais d’enquêtes régulières de
fréquentation », écrit-il.
- Pour favoriser les échanges dans le secteur, le rapport Grignon souhaite la mise en place
d’une formation professionnelle de branche, qui aurait pour objectif « une culture de la
sécurité ferroviaire commune à tous, quelle que soit l’entreprise ».
- Enfin, le sénateur Grignon propose de mettre en place un comité national de suivi, sur le
modèle de ce qui avait été fait lors de la régionalisation, pour permettre aux acteurs concernés
d’échanger régulièrement sur la mise en œuvre de l’expérimentation.

Le rapport Grignon fait réagir

Après la présentation, le 18 mai, du rapport Grignon sur les conditions d’expérimentation de
la concurrence dans les TER, associations d’élus, d’usagers et organisations syndicales ont
fait part de leurs réactions.
L’ARF : en faveur d’une régionalisation accrue
Jacques Auxiette, le président de la commission transports et infrastructures de l’Association
des régions françaises (ARF), estime que « l’expérience de plusieurs pays européens, dont la
Grande-Bretagne, doit inciter les promoteurs du tout libéral à la prudence ». Le président du
conseil régional des Pays de la Loire propose un « renforcement du service public du
transport de voyageurs passant par une régionalisation accrue de sa gestion ». Il réclame
aussi le règlement de la question de la dette portée par Réseau ferré de France.

Gart : Pour une réforme de l’ensemble du système ferroviaire
Pour les élus du Gart, « le système a atteint ses limites ». « C’est pourquoi le Gart réclame
depuis plusieurs années maintenant la mise en place d’une ressource pérenne dont le produit
serait affecté aux transports non urbains », a indiqué le Gart dans un communiqué. Il
demande aussi davantage de transparence de la part de la SNCF, une simplification des
relations entre autorités organisatrices des transports, SNCF et RFF. Compte tenu de
l’ampleur des réformes nécessaires, il réclame un débat national sur ces questions.

Fnaut :« L’expérimentation est utile sur les lignes dont l’avenir est menacé »
« Nous sommes favorables au principe de l’expérimentation », souligne Jean Sivardière, le
président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut). « C’est
ce qui a été fait pour la régionalisation des TER : avant de tout fixer dans le marbre, dans la
loi SRU, on a lancé des expérimentations afin de détecter les problèmes posés sur le terrain. »
Jean Sivardière estime qu’il serait surtout utile de lancer des expérimentations sur des lignes
dont l’avenir est menacé et où le rapport recettes/dépenses est trop défavorable. « Nous
pourrions ainsi voir ce que ferait un autre opérateur. Nous avons tous en tête la ligne
Carhaix - Guingamp - Paimpol : CFTA l’a reprise, a su innover et l’a sauvée, ce que n’avait
pas pu faire la SNCF. » Selon lui, il serait particulièrement intéressant d’expérimenter la
concurrence sur de petites lignes. Il cite l’exemple de Carcassonne - Quillan. « Les problèmes
techniques sont minimisés car il y a un seul point de contact avec le réseau principal, les
horaires sont facilement adaptables. Par ailleurs, une expérimentation sur une ligne de ce
type concernerait peu de cheminots et de matériels roulants. »

Parti socialiste : « Ce n’est pas la concurrence qui sauvera le ferroviaire »
« L’ouverture à la concurrence est un écran de fumée par rapport aux difficultés du système
ferroviaire », a déclaré Bernard Soulage, secrétaire national aux transports du Parti socialiste.
« Nous ne pensons pas que ce soit un élément qui puisse améliorer les choses, cela peut même
être contreproductif. Nous privilégierons toujours la logique de service public. En l’état
actuel, l’efficacité du système doit privilégier la stabilité institutionnelle. Dans la mesure où
l’on n’y est pas obligé avant 2019, on ne souhaite pas ouvrir à la concurrence. C’est un
chiffon rouge pour les salariés, et le PS tient compte de l’avis des salariés. Aujourd’hui, il y a
de nombreux chantiers à ouvrir, et nous refusons de nous laisser enfermer dans ce débat, ce
n’est pas la concurrence qui sauvera le ferroviaire en France. »

Unsa Transport : « Ne pas traiter le sujet par le petit bout de la lorgnette »
Pour Eric Tournebœuf, « l’ouverture à la concurrence ne va pas résoudre les problèmes ». Le
secrétaire général de l’Unsa Transport indique que son organisation veut se donner le temps
de réfléchir à des propositions globales sur la question de l’organisation ferroviaire. « On ne
peut pas traiter le sujet par le petit bout de la lorgnette », explique-t-il, en précisant : « Nous
découvrons chaque jour des risques techniques, des risques sociaux liés à l’éclatement du
système, qui devient ingérable. »
CFDT : « L’Etat doit cadrer les discussions avec une loi »
«Tout ne doit pas être négocié par les partenaires sociaux. On l’a déjà vécu pour le fret
quand l’Etat s’est désengagé des discussions. Pour le TER, l’Etat doit cadrer les négociations
avec une loi », estime Dominique Aubry. Selon le secrétaire général adjoint de la CFDT
Cheminots, « la SNCF n’est pas une entreprise comme les autres. Les exigences de sécurité
sont permanentes, la réglementation du travail doit y contribuer ». Dominique Aubry attend
aussi de voir quelle sera l’attitude des régions sur cette question. « Le règlement européen
OSP n’oblige pas à la concurrence. Mais il ne faut pas se leurrer, il y aura des régions
tentées d’y recourir. » Et il conclut : « En tant que première organisation syndicale dans de
nombreuses entreprises privées, nous veillerons aussi aux intérêts des salariés contractuels,
en cherchant à élever leur niveau social. »

Sud-Rail : « Un hold-up sur les services publics »
Pour Sud-Rail, « le rapport Grignon sur la privatisation des TER prépare un nouveau hold-
up des services publics ». Selon le syndicat, « cette attaque contre le service public du rail et
les cheminots engendrera plus de dumping social, une dégradation du service pour les
usagers, mais remplira les poches des entreprises privées prêtes à tout pour s’emparer de
l’argent public ! »

CGT Cheminots : « Nous ne sommes pas d’accord avec le postulat de départ »
«Le règlement européen OSP sur les obligations de service public n’oblige en rien à ouvrir à
la concurrence a indiqué Gilbert Garrel, secrétaire général de la CGT-Cheminots. Nous
constatons que ni l’ARF, Association des régions de France, ni le Gart, Groupement des
autorités responsables des transports, ne le réclament. L’ouverture à la concurrence est tout
bénéfice pour une entreprise ferroviaire privée : elle récupérera des cheminots formés par la
SNCF, recrutés par elle… Un cheminot peut avoir un vrai parcours professionnel à la SNCF.
On va enfermer un conducteur ou un contrôleur dans un seul métier. »
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