The rake's progress IGOR STRAVINSKI - Festival-aix.com
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Don Giovanni retrouve Une Édition 2017 la scène de l’Archevêché riche en promesses Don Giovanni de Mozart retrouve cette année la scène de l’Archevêché. Don Giovanni, le « coup de L’édition 2017 – la 69ème édition du Festival d’Aix-en-Provence – est l’une des plus prometteuses avec maître » de la deuxième édition du Festival en 1949 dont les connaisseurs gardent en mémoire les des chefs-d’œuvre de Mozart, Bizet, Stravinski, Cavalli et la création mondiale Pinocchio de Philippe décors réalisés par Cassandre. Le peintre, architecte, décorateur et affichiste avait accepté à l’époque Boesmans. Tous ces opéras sont des nouvelles productions du Festival d’Aix-en-Provence, c’est ainsi que de faire les décors et les costumes à la condition d’édifier un théâtre. Ce théâtre à l’italienne dit de notre Festival se place dans les tous premiers rangs mondiaux. À ces opéras s’ajoutent une série de 16 « Cassandre » servira cette année-là de décor à la pièce mise en scène par Meyer, mais également concerts, y compris celui de l’Orchestre de Paris dirigé par Daniel Harding. d’écrin à l’ensemble des représentations lyriques du Festival jusqu’en 1973. Cette édition 2017 a été imaginée, préparée et dirigée par Bernard Foccroulle, Directeur général du Festival depuis Le musée du palais de l’Archevêché propose d’ailleurs à cette occasion – durant tout l’été – une 2005, dont le talent vient d’être récompensé. Ce dernier a en effet reçu le Prix du Leadership aux Opera Awards exposition intitulée « Don Giovanni, l’opéra des opéras » dans laquelle on retrouvera des costumes, de Londres le 7 mai 2017. Bernard Foccroulle a décidé de se consacrer pleinement à son activité de musicien à des esquisses ou des maquettes des décors de cet opéra intemporel que l’on retrouve régulièrement partir d’août 2018. La ministre de la Culture et de la Communication et le Conseil d’administration du Festival ont dans la programmation du Festival depuis presque 70 ans. choisi Pierre Audi, Directeur de l’Opéra d’Amsterdam (Dutch National Opera), pour lui succéder à partir du 1er août 2018. Pierre Audi, nommé directeur délégué, prépare dès maintenant les festivals 2019, 2020 et 2021. Le public retrouvera aussi la mythique Carmen de Bizet, Eugène Onéguine de Tchaïkovski, The Rake’s Progress de Stravinski, Erismena de Francesco Cavalli. Une programmation riche, donc, et ce n’est pas AIX EN JUIN, pour sa 5ème édition, propose une quarantaine de manifestations à Aix et dans sa région qui le Pinocchio de Philippe Boesmans qui me fera mentir. s’achèveront sur une note festive : un grand concert gratuit sur le cours Mirabeau le 26 juin. Mais c’est surtout Bernard Foccroulle, directeur du Festival depuis 2007, que je tiens à saluer ici. Et AIX EN JUIN poursuit l’action du Festival en matière d’éducation artistique et d’ouverture vers des publics de le remercier pour les dix années qu’il vient de consacrer à ce joyau de la culture aixoise. Ses qualités plus en plus nombreux. À AIX EN JUIN vont participer des membres de l’Académie du Festival, qui réunira une humaines et professionnelles ont donné un souffle nouveau au Festival. vingtaine de professeurs et 260 jeunes artistes. Parmi eux, les Lauréats HSBC de l’Académie proposeront des récitals à Aix-en-Provence et dans sa région, avant de partir en tournée en France et à l’étranger. Il n’a pas souhaité briguer un nouveau mandat à la tête de l’institution pour se consacrer à l’interprétation et à la composition, ses deux passions. L’an prochain sera donc sa dernière programmation avant de Les enjeux de transmission et d’accessibilité au public le plus large et diversifié sont deux axes primordiaux passer la main à Pierre Audi. Je sais qu’il va encore nous surprendre avant de tourner cette page de auxquels nous restons particulièrement attachés. Ainsi, les retransmissions prévues sur Arte, Arte Concert, l’histoire du Festival. Une très belle page. France Musique, France Télévisions et Culture Box, complétées par les projections gratuites de Carmen et Pinocchio sur grand écran dans toute la région, permettent de prolonger notre politique d’ouverture au plus grand nombre. Le Festival a poursuivi en 2016 et en 2017 son expansion à l’étranger à travers les deux réseaux qu’il anime, Maryse Joissains Masini celui d’enoa en Europe et celui de Medinea en Méditerranée. De nombreux pays étrangers ont accueilli le Maire d’Aix-en-Provence Festival d’Aix. Il faut noter en particulier nos collaborations avec le Théâtre Bolchoï à Moscou et le Beijing Président du conseil de territoire du Pays d’Aix Music Festival de Pékin. Vice-président de la Métropole Aix-Marseille-Provence Tout cela a été rendu possible grâce au soutien de nos mécènes, entreprises et particuliers, et tout particulièrement Altarea Cogedim, premier partenaire du Festival. Enfin le Festival d’Aix se félicite du soutien renouvelé du ministère de la Culture et de la Communication, de la Ville d’Aix-en-Provence, de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Territoire du Pays d’Aix, du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur et de l’Union européenne. Je souhaite à chacun d’entre vous une très belle édition 2017 du Festival d’Aix-en-Provence. Bruno Roger Président du Festival d’Aix-en-Provence 2 3
Libertà ! L'opéra a toujours entretenu un rapport étroit avec la liberté de pensée et d'expression. À Venise, la La fable de Pinocchio est quant à elle un véritable récit initiatique : on ne naît pas libre, on le devient. ville qui a abrité dès 1637 les premières salles ouvertes au public, l'opéra a connu un premier essor La marionnette est incapable de maîtriser ses désirs et ses pulsions, incapable aussi de tirer les leçons fulgurant durant quelques décennies de liberté intellectuelle et artistique exceptionnelle, liberté de ses mésaventures. C'est seulement dans le ventre de la baleine que Pinocchio prendra son destin impensable à Rome à la même époque. Monteverdi et Cavalli ont su profiter de ce climat privilégié en main : il provoque – contre l'avis de son père – son expulsion, revient au monde et trouve le chemin pour écrire des œuvres dont l'audace et la liberté de mœurs ne cessent de nous surprendre. Erismena d'une liberté chèrement acquise. L'opéra de Philippe Boesmans et Joël Pommerat, dont Aix présentera témoigne du goût typiquement vénitien pour le travestissement, pour le mélange des genres comiques, la création mondiale, n'est pas juste un « opéra pour enfants » : il se veut accessible à tous les publics, tendres et tragiques. À travers les jeux de l'amour et les déclinaisons infinies de la séduction, l'opéra enfants compris, et notre espoir est que les spectateurs de tous âges et de toutes origines forment, le de Cavalli nous incite à voir dans la passion amoureuse un aveuglement fatal, l'aliénation même de la temps de la représentation, cette communauté humaine, intelligente et sensible, qui donne sens au liberté. conte revisité et réincarné. Avec Don Giovanni et Carmen, nous nous trouvons face à deux figures incarnant la liberté la plus À un moment de l'Histoire où les valeurs de liberté et de démocratie sont contestées ou combattues un radicale. Chez Molière comme chez Mozart, Don Juan ne se contente pas de séduire toutes les femmes peu partout dans le monde, il n’est pas inutile de faire résonner ces œuvres dans toute leur force, d'en qu'il rencontre, il bouscule les interdits les plus incontournables de son temps : il défie l'ordre social sonder la charge émotionnelle et critique et de s'interroger sur leur pertinence et leur actualité. et l'ordre moral, les règles profanes et sacrées. Refusant tout repentir, Don Giovanni meurt mais sa condamnation morale n'est pas exempte d'une forme de transfiguration. Bernard Foccroulle Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence Carmen incarne quant à elle une liberté qui, heurtant de front les préjugés du XIXe siècle, provoqua des réactions bien plus violentes qu'à la création de Don Giovanni. Carmen séduit, charme, se rebelle, ne cède à aucune menace et choisit la mort plutôt que de renoncer à sa liberté. Plus que le roman de Prosper Mérimée, l'opéra de Bizet a porté son héroïne au rang de figure mythique : la force du chant consiste précisément à exacerber les sentiments, à renforcer les caractères, à porter les relations humaines à une forme d'incandescence qui accroît l'intensité de notre réaction émotionnelle et facilite la projection de chacun de nous dans le récit. Composé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, The Rake’s Progress dépeint de manière aussi virtuose que cauchemardesque la descente aux enfers d'un homme trahi non seulement par sa soif de richesses et de plaisirs, mais par toute la société en laquelle il a cru : la déchéance du libertin s'accompagne de la progressive privation de liberté qui était la sienne. Les innombrables allusions littéraires et musicales qui parsèment la partition lui confèrent une dimension kaléidoscopique unique dans l'histoire de l'opéra. On peut y lire aussi la désillusion et le ressentiment de ses auteurs, Auden et Stravinski, tous deux récemment immigrés aux États-Unis, à l'égard d'une civilisation qui avait généré tant de destructions et de catastrophes. 4 5
IGOR STRAVINSKI (1882 - 1971) THE RAKE’S LA CARRIÈRE DU LIBERTIN PROGRESS Opéra en trois actes Livret de Wystan Hugh Auden et Chester Simon Kallman d’après William Hogarth Créé le 11 septembre 1951 à La Fenice, Venise Direction musicale Daniel Harding Mise en scène Simon McBurney Dramaturgie Gerard McBurney Décors Michael Levine Costumes Christina Cunningham Lumière Paul Anderson Vidéo Will Duke Chorégraphe, collaboratrice à la mise en scène Leah Hausman Assistante à la mise en scène Josie Daxter Assistant musical Case Scaglione Chefs de chant Alphonse Cemin* / Nino Pavlenichvili Seconde assistante à la mise en scène Luna Muratti* Assistante aux costumes Nathalie Pallandre Assistante aux décors Alejandra Gonzales Assistante à la vidéo Philippine Laureau Ann Trulove Julia Bullock Tom Rakewell Paul Appleby Nick Shadow Kyle Ketelsen Nick Shadow 2, Le Gardien de l’asile Evan Hughes* Trulove David Pittsinger Mother Goose Hilary Summers Baba la Turque Andrew Watts Nouvelle production du Festival d’Aix-en-Provence Sellem Alan Oke En coproduction avec Dutch National Opera, Amsterdam En collaboration avec Complicite, Londres Acteurs Antony Antunes, Kirsty Arnold, Nichole Bird, Karl Fagerlund Brekke, Andrew Gardiner, Avec le soutien de IFILAF (International Friends of the International Lyric Art Festival) Chihiro Kawasaki, Maxime Nourissat, et de La Fondation Meyer pour le développement culturel et artistique Jami Reid-Quarrell, Gabriella Schmidt, Clemmie Sveaas Spectacle en anglais surtitré en français et en anglais – 2h50 entracte compris Théâtre de l’Archevêché 5, 7, 11, 14 et 18 juillet 2017 – 22h Chœur English Voices Chef de choeur Tim Brown Retransmis en direct sur le 11 juillet et en direct sur le 7 juillet Orchestre Orchestre de Paris 7 *Ancien.ne.s artistes de l’Académie
Argument Vue d’ensemble Acte I entracte La carrière d’Igor Stravinski (1882-1971) la première fois en 1992. Il y revient en 2017 Tom Rakewell, jeune homme sans ressources, embrasse le XXe siècle musical, dont il incarne dans une nouvelle production mise en scène par et Ann Trulove, fille d’un propriétaire, se Nick apporte à Tom une machine truquée, censée toutes les facettes et contradictions au gré de Simon McBurney et dirigée par Daniel Harding. jurent fidélité. Survient alors le mystérieux éradiquer la faim dans le monde. Il invite Tom à plusieurs périodes créatrices. Formé dans sa Nick Shadow, qui apprend au jeune homme que en devenir le promoteur. Russie natale auprès de Rimski-Korsakov, Le livret d’Auden et Kallman brode sur l’histoire l’héritage d’un oncle jusqu’ici inconnu l’attend à Stravinski se fait connaître du monde entier narrée dans les tableaux de Hogarth, en y ajoutant Londres. Appâté par ce gain, Tom n’hésite pas à ACTE III dans les années 1910 à Paris, où ses partitions notamment une personne essentielle : la figure le suivre. Ce Nick Shadow, qui dans un premier L’escroquerie de Tom a provoqué sa ruine : tous pour les Ballets russes déclenchent une véritable méphistophélique de Nick Shadow, qui sera temps offre ses services en tant que valet, se ses biens sont mis aux enchères. Renonçant à révolution (notamment la création du Sacre l’âme damnée du roué Tom Rakewell. Sur cet révèle un maître en matière de débauche : c’est Tom, Baba confie à Ann que ce dernier se trouve du printemps en 1913), à la suite de laquelle il argument originaire du siècle des Lumières, dans la maison close londonienne de Mother sous l’emprise d’une influence néfaste et qu’il a explore des formes originales dans un idiome Stravinski se sert des codes de l’opéra du… XVIIIe Goose que Tom commence sa carrière de libertin, encore besoin de son aide. Révélant son identité d’obédience à la fois russe et populaire. Dès siècle ! Mozart hante ainsi sa partition. Mais le tandis que sa fiancée Ann, restée sans nouvelles, diabolique, Nick réclame l’âme de Tom et l’incite 1923, il revisite les formes et langages du passé langage musical de Stravinski, s’il laisse passer le se lance à sa recherche. au suicide avant de lui laisser une dernière avec beaucoup d’inventivité, au sein de sa souvenir des compositeurs classiques (Haydn et chance : les cartes décideront de son sort. Ayant « période néo-classique », avant de s’essayer Beethoven compris), se nourrit aussi des styles de ACTE II gagné au jeu, Tom parvient à sauver son âme. au dodécaphonisme hérité de Schoenberg dès Bach, Haendel ou Tchaïkovski, de la Renaissance Quoique luxueusement installé à Londres, Tom À défaut de sa vie, Nick s’empare de sa raison. les années 1950. Dans ce parcours contrasté, comme de Broadway, et il « déplie » ces commence à regretter la simplicité de la vie rurale Sombrant dans la folie, Tom finit ses jours dans The Rake’s Progress occupe une place de choix. Il esthétiques dans une sorte de cubisme musical. qu’il menait auparavant. Accomplir un acte libre un asile d’aliénés où Ann vient lui rendre une s’agit de son œuvre la plus évidemment néo- La partition se construit donc sur une mosaïque et échapper ainsi à l’emprise du désir comme du dernière visite. classique – et la dernière de cette période. de références réinterprétées par le compositeur devoir reste, selon Nick Shadow, la seule clé du Installé aux États-Unis au sortir de la Seconde russe, où se retrouve son goût pour des rythmes bonheur. Ce dernier lui suggère d’épouser une ÉPILOGUE Guerre mondiale, Stravinski découvre la suite complexes et des orchestrations astringentes, femme à barbe connue sous le nom de Baba la Tous les personnages forment un chœur final, de tableaux du peintre anglais William Hogarth qui laissent une place de choix aux instruments Turque. Tom s’exécute mais regrette vite ce choix. afin de livrer au public la morale de cette histoire : The Rake’s Progress (La Carrière du roué, 1732- à vent. C’est sur le plan de la structure que Ann parvient à retrouver Tom qui, se sentant l’oisiveté est le refuge idéal du diable ! 1733). Cette série de toiles retrace la vie dissolue l’hommage à l’opéra du XVIIIe siècle est le plus indigne de son amour, lui demande de l’oublier d’un libertin dans l’Angleterre de Hogarth, avec flagrant : la partition alterne entre des numéros et la laisse s’enfuir. force détails réalistes et satiriques. Stravinski a musicaux (airs, duos, trios…) et des récitatifs l’idée d’en tirer un opéra. Il commande donc un accompagnés au clavecin. Les numéros eux- livret au poète W. H. Auden, qui collabore avec mêmes, souvent courts, se souviennent des Chester Kallman. La composition commence en modèles du XVIIIe, notamment le bel air d’Ann 1947, l’ouvrage étant finalement créé quatre ans Trulove en plusieurs partie (lente et élégiaque, plus tard au Teatro La Fenice de Venise, dans le puis rapide et virtuose), précédé d’un récitatif cadre de la Biennale, le 11 septembre 1951, avec accompagné par l’orchestre. Dans le même ordre notamment Elisabeth Schwarzkopf dans le rôle d’idée, après la scène finale de cet opéra tragi- d’Ann. The Rake’s Progress sera rapidement repris comique, tous les personnages réapparaissent à Milan, Vienne, New York. C’est aujourd’hui l’un pour venir chanter la morale de l’histoire, comme des opéras de l’après-guerre les plus souvent dans Don Giovanni. programmés. À Aix, l’ouvrage a été présenté pour 8 9
Quelles qualités ressortent du livret de The Rake’s Progress ? Le livret s’ouvre sur une idylle et conduira les protagonistes jusqu’à la prison. Ce qu’il y a de fascinant Photo © Eva Vermandel avec cette narration, c’est le sentiment de progression que l’on ressent, ce voyage que l’on entreprend. Bien qu’il soit basé sur l’œuvre de Hogarth, le livret s’écarte significativement de sa trame narrative. À titre d’exemple, on remarque qu’il ne suit pas la même séquence que les tableaux de Hogarth. Il réorganise les événements et intègre plusieurs nouveaux protagonistes dont les plus remarquables restent Nick Shadow, un personnage méphistophélique, et l’éminente Ann Trulove dont Tom est amoureux. Les gravures de Hogarth n’ont servi de source d’inspiration qu’aux librettistes. Par ailleurs, le monde que nous connaissons aujourd’hui est bien éloigné du Londres de l’époque de Hogarth. On se retrouve ainsi confronté sans cesse à la même interrogation : pourquoi ont-ils fait ça ? Sachant qu’Auden et Kallman ont basé leur livret sur les gravures de Hogarth datant du XVIIIe siècle, avez- vous exploité cette œuvre picturale ? Ces gravures resteront toujours une source d’inspiration pour moi. Et bien que l’œuvre s’en inspire plus qu’elle ne les suive, la critique acerbe et la satire comique de Hogarth viennent régulièrement piquer la narration. La clé consiste à suivre les intentions mordantes de Hogarth sans simplement chercher à imiter son univers. Ainsi, le livret et l’environnement visuel évoqué dans cette production s’inspirent de Hogarth, sans pour autant tenter de reproduire fidèlement son œuvre. On remarque une qualité secondaire chez Hogarth : aucun des personnages peints ne nous regarde. Leurs regards se portent sur le monde qui les entoure comme s’ils cherchaient à savoir quelle sera leur prochaine action. Ils s’apprêtent à faire quelque chose. Un coup, une arnaque, une entourloupe, un larcin… Chez Stravinski, cela se traduit par autre chose… La musique fait autant ressurgir le monde intérieur du malheureux Tom Rakewell que tous les événements extérieurs. Plus qu’assister à son destin, on observe son être intérieur. D’un point de vue visuel, la difficulté consiste donc à trouver le langage qui permettra de transcrire ce phénomène. Vous avez imaginé un décor intégralement réalisé en papier blanc, ce qui est tout à fait innovant, mais vous soulignez que c’est la technologie qui est au service de la narration et non l’inverse. Est-ce vraiment Lever le voile le cas ? L’œuvre s’ouvre sur un monde de pureté. Le printemps. Un idéal. Un amour naissant. Une idylle. Une et révéler le sens sorte de Jardin d’Eden, pourquoi pas. La scène est une page blanche sur laquelle tout peut arriver. C’est une page vierge. Au fil de l’histoire, cette page se couvre des traces de la narration. Cela nous permet de Entretien avec simon Mcburney, metteur en scène travailler sur la notion de progression que l’on note dans le titre de l’opéra et qui est centrale à l’œuvre. Eh oui, tout ce que l’on trouve dans un opéra ou au théâtre devrait être au service de l’œuvre. Je ne En tant que metteur en scène, en quoi The Rake’s Progress vous a-t-il intéressé ? l’aborde pas avec ce que l’on appelle un « concept ». Je ne souhaite pas imposer une idée précise. Je Le principal intérêt de cette œuvre pour moi était de partir à la rencontre de la musique de Stravinski. Je cherche simplement à lever le voile sur ce qui se présente à nous. Le décor, les costumes, les lumières… souhaitais cerner quelle était l’intention de l’œuvre et la faire vivre pour le public d’aujourd’hui. Cette Ce sont les outils qui nous permettent de révéler le sens, la signification de l’œuvre plutôt que ce que question essentielle, cette quête même, consistait à voir l’œuvre dans son ensemble plutôt que comme nous voulons montrer. un enchaînement de scènes. Chaque fois que j’ai le privilège de travailler sur une composition aussi exceptionnelle que celle-ci, je ne sais jamais ce que je vais finir par y découvrir, ce que les répétitions Cet opéra est un conte sur l’ascension et la chute d’un jeune homme nommé Tom Rakewell, mais l’ajout dans vont faire ressortir. C’est pour moi un peu comme un site archéologique que l’on fait remonter à la le livret de Nick Shadow et de son pacte faustien fait entrer The Rake’s Progress dans la tradition lyrique… lumière de notre époque. Je n’aborde pas l’œuvre en sachant par avance ce qu’elle va révéler. Ce qui Il y a deux choses que je souhaiterais évoquer à ce sujet. L’ascension de Tom est très brève. Il se réjouit m’intéresse, c’est ce qu’elle va me raconter, la vision du monde qu’elle va faire surgir… dans un premier temps d’un regain de chance et de fortune, mais se retrouve très vite confronté à une série de catastrophes. Nick Shadow est au cœur même de cette idée. Dès son apparition, le spectateur prend conscience de la tournure funeste que prend son voyage. Le conte faustien, le pacte avec le diable sont ancrés non seulement dans la tradition lyrique, mais dans notre histoire culturelle, voire même dans la préhistoire. Stravinski et Auden creusent ainsi dans cette narration mythique en définissant ce qu’il advient lorsque l’on obtient ce que l’on a demandé… Ce n’est jamais ce à quoi on s’attendait. 10 11
Les férus d’opéra remarquent tous que The Rake’s Progress fait écho à Don Giovanni de Mozart… C’est possible, mais on peut également y voir un rappel de La Dame de pique, de Faust et de nombreuses œuvres l’ayant précédé. D’une certaine façon, on pourrait dire que cet opéra accumule les références aux œuvres du passé afin de former une sorte de synthèse du monde où nous vivons aujourd’hui. Qu’en est-il d’Ann Trulove qui, tout comme Donna Elvira, constitue un symbole de fidélité ? Résumer Ann Trulove à un symbole de fidélité serait trop réducteur. Un symbole n’est pas quelque chose qui peut prendre vie. Et ce qui est intéressant au théâtre, c’est peut-être d’ailleurs l’unique question, c’est ce qui donne vie à l’œuvre. La vie. Le présent. L’instant. Le nom d’Ann pourrait faire croire qu’il s’agit d’un personnage simpliste, mais la musique nous prouve le contraire. Pleine de beauté, d’attirance, de persuasion et au final de cœur brisé, elle ouvre la porte à diverses dimensions qui font d’Ann une incarnation humaine complexe et pleinement accomplie. Une femme fidèle non seulement dans sa relation avec Tom, mais également dans sa lutte profonde contre la corruption marquée de la société. Elle devient dans une certaine mesure une figure révolutionnaire alors qu’elle tente de sauver Tom malgré la peine qu’il lui cause. Pensez-vous que The Rake’s Progress soit une œuvre salutaire ou même prophétique ? Que révèle-t-elle de notre monde capitaliste ? Quelle était l’intention de Stravinski ? Que trouve-t-on dans cette œuvre ? Qu’en retire-t-on ? De simples liens et références aux œuvres du passé ou quelque chose de plus profond et de plus complexe ? Il compose cette œuvre à un moment bien précis de l’Histoire. Aucune œuvre ne peut être dissociée du moment où elle est composée. C’était une période d’espoir faisant suite aux atrocités commises lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais c’était également un temps où l’humanité prenait conscience de sa capacité à s’anéantir. Je ne dis pas, et j’insiste là-dessus, qu’il s’agit là du sujet de l’œuvre. Mais sa noirceur et sa beauté nous rappellent la fragilité et la faiblesse de l’homme ainsi que sa capacité à s’autodétruire. Il s’agit là de quelque chose d’intemporel qui s’applique à un présent perpétuel et qui est peut-être encore plus urgent aujourd’hui que jamais. Entretien avec Simon McBurney réalisé par Aurélie Barbuscia, mai 2017 © Simon McBurney Acte I, scène 1 Ann Ann How sweet within the budding grove Qu’il est doux dans le bosquet en fleur To walk, to love. De se promener, d’aimer. 12 13
The Rake’s Progress Gerard McBurney Le seul opéra de grande envergure de Stravinski – et * détruit les affectueux souvenirs d’un passé auquel en main au moment même de composer, à déverser de loin sa plus longue œuvre musicale – a jailli de son Auden et Kallman ont tiré leur livret ludique et les deux hommes aspirent, mais offre une vision les détritus musicaux de sa vie. Mais c’est aussi, à imagination lors de la plus grande crise créative de sa plein d’esprit d’une série de gravures du XVIIIe cauchemardesque du présent et du futur. Trente ans plus grande échelle, la feuille vierge du passé et du vie, analogue, bien qu’opposée, à la crise légendaire siècle signées Hogarth, A Rake’s Progress, bien qu’ils plus tôt, T.S. Eliot écrivait : futur : un passé de rêves aux images immaculées et qui, en 1913, donna naissance à sa plus célèbre se soient – tout comme Stravinski – fortement pastorales, dont les couleurs autrefois lumineuses partition révolutionnaire, Le Sacre du printemps. éloignés de l’illustre œuvre originale. Suite aux « Ces fragments que j’ai élevés contre mes ruines. » sont maintenant décolorées jusqu’au blanc ; et discussions préliminaires entre Auden et Stravinski, l’avenir également décoloré et désolé de l’ordre Le Sacre vit le jour juste avant la Première Guerre les deux poètes-amants ont créé un éblouissant Dans The Rake’s Progress, des fragments d’une culture d’après-guerre, un jeu d’ombre apathique, stérile et mondiale, Stravinski avait alors 30 ans ; The kaléidoscope de citations et d’échos de sources autrefois aimée gisent dans des décombres à travers cynique, de fantaisies utopiques et technologiques. Rake’s Progress vit le jour après la Seconde Guerre littéraires et théâtrales : Shakespeare, Pouchkine, lesquels les librettistes et le compositeur se baladent, mondiale, alors qu’il approchait de ses 70 ans. Goethe, Dante, des paroles de comédies musicales fantômes dans un paysage, cherchant quelque chose Au cœur de la conception de cet opéra d’Auden et ou de librettistes de Mozart, Lorenzo Da Ponte et qui pourrait être sauvé jusqu’au lendemain. de Stravinski, il y avait leur aversion personnelle et Les deux œuvres furent créées à des moments de Emanuel Schikaneder. L’éventail des références partagée envers le raz-de-marée du philistinisme, transition critiques. Le Sacre coïncida avec le départ de Stravinski – sans doute plus large – inclut les À son niveau le plus profond, The Rake est une histoire de la vulgarité et du matérialisme rampant provoqué irrévocable du compositeur de la Russie vers la compositeurs classiques viennois (Haydn, Mozart, de purge et de dépouillement, un processus spirituel, par le contrecoup de la guerre, et du lamentable chant France ; pour The Rake, il était en Californie, vivant Beethoven), Bach et Haendel, la musique de la par lequel les facettes matérielles et culturelles d’une du coq qui accompagna l’instauration autoproclamée en exil pour la seconde fois et envisageant avec Renaissance et les débuts de la musique baroque, tout ancienne vie s’estompent une à une, révélant leur des États-Unis, où ils vivaient tous deux comme une certaine angoisse une époque dans laquelle sa un panachage de sources populaires allant de L’Opéra grossièreté et leur intolérable manque de substance ; émigrés, en tant que nouvelle puissance impérialiste musique semblait de moins en moins importante de quat’sous à l’opérette du XIXe siècle français et au l’esprit lui-même se retrouve finalement seul dans et dominante de l’époque. Ce n’est pas un hasard si pour le Nouveau Monde qui l’entourait. Il rêvait de Broadway du XXe, ainsi que l’évocation des propres un lieu à l’obscurité étrange et déconnectée. Tom The Rake’s Progress est, après tout, le premier grand retourner dans une Europe où il avait passé plus de créations de Stravinski, de ses travaux d’étudiant à ses Rakewell, nous le voyons maintenant, est un homme opéra élaboré justement à Hollywood, l’usine à rêves vingt ans entre les deux guerres, tout en réalisant premiers ballets jusqu’à ses œuvres néo-classiques trahi non seulement par sa propre faiblesse, mais du monde capitaliste. qu’il ne reverrait plus jamais sa Russie natale. et religieuses les plus récentes. Tout aussi importants par toute la civilisation à laquelle il appartient et en – pour ne pas dire essentiels – sont les nombreux laquelle il croyait auparavant. La structure dramatique choisie par les poètes Au niveau musical, Le Sacre regarde audacieusement échos envoûtants des grands compositeurs russes et le compositeur, inspirée initialement par en avant, vers une nouvelle version du modernisme, qu’il a aimés dès son enfance et tout au long de sa Pour évoquer le sentiment d’un monde fragile de Hogarth, était celle d’une série de tableaux bouleversante et sans précédent. The Rake regarde vie : Glinka, Moussorgski, Rimski-Korsakov et, rêves et d’illusions qui s’écroulent, en constante indépendants. C’était en partie, comme le révèlent dans la direction opposée, en arrière, plongeant surtout, Tchaïkovski, notamment La Dame de pique, fluctuation et se vidant de son identité, Simon les conversations entre Auden et Stravinski, le dans un passé de réalités contradictoires et probablement le principal modèle musical du Rake’s McBurney et Michael Levine ont imaginé un décor résultat de leur désir, typique du XXe siècle, de fluctuantes, celles de l’existence et du travail de Progress. Et à la fin de l’opéra, nous entendons même entièrement fait de papier, une feuille blanche sur libérer l’opéra des transitions et continuités fluides Stravinski, mais aussi celles des siècles de musique d’anciens chants d’église russes, la musique de la foi laquelle on peut projeter tout ce que l’on veut, sur trop séductrices de Wagner et des Romantiques. familière ou plus lointaine qui l’ont précédé. Après dans laquelle le compositeur a grandi et vers laquelle laquelle des ombres peuvent apparaître, à travers Leur solution était d’imiter, parfois tendrement, The Rake, Stravinski abandonnera pour toujours il est revenu. Dans The Rake, Stravinski moissonne laquelle les lumières peuvent briller et d’où tout parfois avec dérision, les structures cristallines et sa longue période de fascination néo-classique et toute son expérience musicale. et n’importe quoi pourrait surgir. À un moment, indépendantes – arias, récitatifs et ensembles – des historique pour se tourner vers une tout autre sorte par exemple, nous pourrions nous retrouver dans opéras du XVIIIe siècle de Haendel et de Mozart. de modernisme ré-imaginé. Tandis que le livret et la musique suggèrent le un jardin du XVIIIe siècle rempli de détails précis, caractère enjoué et l’enthousiasme de leurs créateurs, ou bien à l’intérieur d’une machine imaginaire, Mais cette idée de séparation n’est qu’une autre En somme, dans Le Sacre, on entend le son des l’opéra est aussi le reflet profond de l’époque et du ou encore perdus dans un monde insaisissable, surface, une illusion destinée à distraire le spectateur grandes portes de l’Histoire qui s’ouvrent ; dans lieu historique où il a été imaginé : aux États-Unis, rigoureusement indescriptible. pendant un court instant. Sous cette surface, ou The Rake, on entend ces mêmes portes se refermer par deux émigrés européens nostalgiques, un Anglais derrière cette feuille de papier, coule une rivière violemment. et un Russe, dans la période chaotique qui suit la Dans un sens, cette feuille vierge est la page blanche indistincte de souvenirs, de rêves et de réflexions seconde Guerre mondiale, laquelle a non seulement sur laquelle Stravinski se prépara autrefois, le stylo en constante fluctuation, qui apparaissent et 14 15
disparaissent. Un des fleuves de l’Hadès, peut-être. attraits esthétiques tant appréciés dans les capitales Un couteau peut transpercer le papier et, à travers culturelles de l’entre-deux-guerres. Mais comme les tromperies souvent délibérément écœurantes tout opéra, sa véritable signification réside dans la et ludiques de la dramaturgie de l’opéra, révéler musique, et chaque note sombre et réfléchie de la ce fleuve, son courant profond, sa structure et sa partition de Stravinski fait mentir des objections puissance. aussi simplistes. Quand The Rake fut joué pour la première fois à The Rake’s Progress, tout comme son frère aîné Le Sacre du Venise en 1951, certains le critiquèrent comme printemps, est un chef-d’œuvre musical et dramatique, n’étant rien d’autre qu’un retour nostalgique mais aussi – et Stravinski était passé maître en ce genre à l’élégance désuète du néo-classicisme et aux de manœuvres – un acte de prophétie. 18 octobre 2016 Igor Stravinski (1882-1971) William Hogarth, autoportrait (1795). Gravure de Benjamin Smith, à partir de la peinture de W.Hogarth Wystan Hugh Auden (1907-1973) 16 17
Faust I La Peau de chagrin Johann Wolfgang von Goethe, 1808 Honoré de Balzac, 1831 MÉPHISTOPHÉLÈS - Je veux ici m’attacher à ton service, obéir sans fin ni cesse à ton moindre signe ; Le malheur m’a donné la fortune, l’ignorance m’a instruit. Je vais vous révéler en peu de mots un grand mais, quand nous nous reverrons là-dessous, tu devras me rendre la pareille. mystère de la vie humaine. L’homme s’épuise par deux actes instinctivement accomplis qui tarissent les sources de son existence. Deux verbes expriment toutes les formes que prennent ces deux causes FAUST - Le dessous ne m’inquiète guère ; mets d’abord en pièces ce monde-ci, et l’autre peut arriver de mort : Vouloir et Pouvoir. Entre ces deux termes de l’action humaine, il est une autre formule dont ensuite. Mes plaisirs jaillissent de cette terre, et ce soleil éclaire mes peines ; que je m’affranchisse s’emparent les sages, et je lui dois le bonheur et ma longévité. Vouloir nous brûle et Pouvoir nous une fois de ces dernières, arrive après ce que pourra. Je n’en veux point apprendre davantage. Peu détruit, mais savoir nous laisse notre faible organisation dans un perpétuel état de calme. m’importe que, dans l’avenir, on aime ou haïsse, et que ces sphères aient aussi un dessus et un dessous. MÉPHISTOPHÉLÈS - Dans un tel esprit tu peux te hasarder : engage-toi ; tu verras ces jours-ci tout ce que mon art peut procurer de plaisir ; je te donnerai ce qu’aucun homme n’a pu même encore entrevoir. Le docteur Faustus Le Portrait de Dorian Gray Thomas Mann, 1947 Oscar Wilde, 1890 La liberté est une très grande chose, la condition de la création, c’est -Tu m’as dit que tu l’avais détruit. -C’était faux. C’est lui qui m’a détruit. elle qui a empêché Dieu de nous rendre invulnérables au péché. La -Je ne crois pas que ce soit mon tableau. liberté, c’est la liberté de pécher et la piété consiste à n’en pas user, -N’y vois-tu plus ton idéal? demanda Dorian amèrement. -Mon idéal, comme tu l’appelles... par amour pour Dieu qui fut obligé de nous l’octroyer. -Comme tu l’appelais, toi. -Il n’y avait rien de mauvais en lui, rien de honteux. Tu as été pour moi un idéal comme je n’en rencontrerai jamais plus. Ceci est le visage d’un satyre. -C’est le visage de mon âme. 18 19
De la brièveté de la vie Sénèque, 49 ap. JC Les vices nous entourent et nous pressent de tous côtés : ils ne nous permettent ni de nous relever, ni de reporter nos yeux vers la contemplation de la vérité ; ils nous tiennent plongés abîmés dans la fange des passions. Il ne nous est jamais permis de revenir à nous, même lorsque le hasard nous amène quelque relâche. Nous flottons comme sur une mer profonde où, même après le vent, on sent encore le roulis des vagues ; et jamais à la tourmente de nos passions on ne voit succéder le calme. Émile ou de l’éducation Jean-Jacques Rousseau, 1762 Celui qui mange dans l’oisiveté ce qu’il n’a pas gagné lui-même le vole ; et un rentier que l’État paye pour ne rien faire ne diffère guère, à mes yeux, d’un brigand qui vit aux dépens des passants. Hors de la société, l’homme isolé, ne devant rien à personne, a le droit de vivre comme il lui plaît ; mais dans la société, où il vit nécessairement aux dépens des autres, il leur doit en travail le prix de son entretien ; cela est sans exception. Travailler est donc un devoir indispensable à l’homme social. Riche ou pauvre, puissant ou faible, tout citoyen oisif est un fripon. William Hogarth, The Rake’s Progress (1733-1734): III L’orgie © Sir John Soane’s Museum, Londres 20 21
Les Misérables Victor Hugo, 1862 Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu’à propos d’un seul homme, ne fût-ce qu’à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive. La conscience, c’est le chaos des chimères, des convoitises et des tentatives, la fournaise des rêves, l’antre des idées dont on a honte ; c’est le pandémonium des sophismes, c’est le champ de bataille des passions. À de certaines heures, pénétrez à travers la face livide d’un être humain qui réfléchit, et regardez derrière, regardez dans cette âme, regardez dans cette obscurité. Il y a là, sous le silence extérieur, des combats de géants comme dans Homère, des mêlées de dragons et d’hydres et des nuées de fantômes comme dans Milton, des spirales visionnaires comme chez Dante. Chose sombre que cet infini que tout homme porte en soi et auquel il mesure avec désespoir les volontés de son cerveau et les actions de sa vie ! Candide Voltaire, 1759 Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin. – Vous avez raison, dit Pangloss : car, quand l’homme fut mis dans le jardin d’Eden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât, ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. – Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. Farnos, bouffon au nez rouge. lubok russe du XVIIIe siècle (aquarelle populaire sur bois) 22 23
La Déchéance d’un homme (Ningen Shikkaku) Osamu Dazaï, 1948 Mon idée du bonheur et celle que s’en font les autres se contredisaient tellement que j’en éprouvais un malaise tel que, la nuit, sans cesse, je me retournais dans mon lit, je gémissais, je devenais presque fou. En fait, n’étais-je pas heureux ? Depuis mon enfance on m’avait souvent répété que j’étais un être heureux. Pourtant j’étais toujours affligé de tourments d’enfer ; les gens qui prétendaient que j’étais heureux étaient infiniment plus heureux que moi. À l’heure actuelle je ne connais ni le bonheur ni le malheur. La vie passe. Jusqu’ici, j’ai vécu dans l’enfer. Dans le monde des humains, c’est la seule chose qui me semble vraie. La vie passe, rien d’autre. Cette année, je vais avoir vingt-sept ans. Mes cheveux ont blanchi très sensiblement. De l’avis général je parais plus de quarante ans. Osamu Dazaï, La Déchéance d’un homme, traduction Gaston Renondeau, 1990 © Éditions Gallimard Jean La Chance Bertold Brecht, 1918 1 1 Femme contre maison Femme contre ferme 2 Femme contre foyer Maison contre charrette 2 3 Ferme contre charrette Charrette contre manège Foyer contre aventure, la vie d’aventures 4 3 © DR Manège contre femme Charrette contre Orgue 5 Aventure contre musique de cette aventure, Acte II, scène 3 Femme contre oie romantisme Tom Tom Violet. Femme enceinte. Oie. 4 My heart is cold, I cannot weep; one remedy is Mon cœur a froid, je ne peux pas pleurer ; il me 6 Orgue contre femme left me: sleep. reste un seul remède : dormir. Oie contre liberté Romantisme contre femme, la réalité nue 7 5 Liberté contre vie Femme contre oie 8 6 Vie Taverne. Ami contre vie contre mort. 7 Mort 24 25
Biographies Gerard McBurney / Dramaturgie Compositeur, auteur et dramaturge pour le théâtre, l’opéra, la radio et la télévision, Gerard McBurney est conseiller artistique du Chicago Symphony Orchestra entre 2006 et 2016. Dans ce cadre, il créé notamment une mise en espace de Pelléas et Mélisande de Debussy et de L’Enfant et les sortilèges Daniel Harding / Direction musicale de Ravel sous la direction du chef finlandais Esa-Pekka Salonen. Durant ces dix ans au sein du Né à Oxford, Daniel Harding fait ses débuts en 1994 en tant qu’assistant de Sir Simon Rattle à la tête CSO, il dirige également la série multimédia Beyond the Score® qui explore les chefs-d’œuvre de l’Orchestre symphonique de la ville de Birmingham. Il occupe ensuite le même poste auprès orchestraux et dont la mise en ligne remporte un succès important. Au théâtre, il collabore de Claudio Abbado et de l’Orchestre philharmonique de Berlin, ensemble qu’il dirige pour la régulièrement avec la compagnie Complicite fondée par son frère Simon McBurney, ainsi qu’avec première fois en 1996 dans le cadre du Festival de Berlin. En 2002, il reçoit le titre de Chevalier le National Theater ou encore le Lyric Hammersmith. Auteur d’une centaine de programmes pour dans l’Ordre des Arts et des Lettres et devient membre de la Royal Swedish Academy of Music. la BBC Radio 3, dont plusieurs épisodes de la série Discovering Music, il participe à l’élaboration de plus de vingt Nouveau directeur musical de l’Orchestre de Paris depuis cette saison, il est actuellement documentaires pour la télévision. Il est également connu pour avoir retrouvé et complété des pièces perdues ou directeur musical de l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise. Depuis de nombreuses oubliées de Chostakovitch, notamment son opéra satirique inachevé, Orango. Parmi ses propres compositions, années, il collabore régulièrement avec le Mahler Chamber Orchestra, dont il est nommé « Conductor on peut citer Desire, créé par le Birmingham Contemporary Music Group en 1997, Letter to Paradise, donné en Laureate » à vie en 2011. Sa carrière le mène à diriger les plus grands orchestres du monde, dont l’Orchestre royal première mondiale aux BBC Proms de Londres en 1998, et Cherry Cottage 1782, créé au Berkshire Festival en 2013. du Concertgebouw, l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise et l’Orchestre de l’âge des Lumières en Récemment, il collabore avec le Barbican Center de Londres, le Lincoln Center de New York, le Festival de Lucerne Europe, le Nouvel Orchestre philharmonique du Japon en Asie ou encore l’Orchestre philharmonique de New York, et le Manchester International Festival ainsi qu’avec plusieurs ensembles dont les orchestres philharmoniques de l’Orchestre symphonique de Chicago et l’Orchestre philharmonique de Los Angeles aux États-Unis.Très actif dans Los Angeles et de New York, le Hallé Orchestra et l’Orchestre de Philadelphie.Partenaire privilégié du Cincinnati le monde lyrique, il ouvre en 2005 la saison à la Scala de Milan en dirigeant une nouvelle production d’Idoménée de May Festival, il y dirige deux projets cette année: Le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn et The Dream of Gerontius Mozart. Il collabore dès lors régulièrement avec cette maison d’opéra où il dirige notamment Salomé de Strauss en 2007 d’Elgar. Prochainement, il mettra en scène The Genesis Suite avec Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra et Le Château de Barbe-Bleue de Bartók en 2008. Il se produit également au Festival de Salzbourg pour Ariane à Naxos de et élaborera plusieurs nouveaux projets pour l’Orchestre symphonique de San Diego. Strauss, au Covent Garden de Londres pour Le Tour d’écrou de Britten et au Theater an der Wien pour Wozzeck de Berg. Durant la saison 2012-2013, il fait ses débuts au Deutsche Staatsoper de Berlin ainsi qu’au Staatsoper de Vienne avec Michael Levine / Décors Le Vaisseau fantôme de Wagner. Régulièrement invité au Festival d’Aix-en-Provence, il y dirige plusieurs nouvelles D’origine canadienne, Michael Levine étudie au Central St. Martin’s School of Art and Design de Londres productions, dont Così fan tutte et Don Giovanni de Mozart, La Traviata de Verdi et Eugène Onéguine de Tchaïkovski. et travaille en tant que scénographe et costumier depuis plus de trente ans pour le théâtre et l’opéra. Parmi ses nombreux enregistrements, on peut citer la Symphonie fantastique de Berlioz et la suite d’Hippolyte et Aricie Régulièrement primé, il reçoit notamment un Gemini Award, un Toronto Art Award, deux Dora de Rameau avec l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise chez Harmonia Mundi, ainsi que la Symphonie n° 10 de Awards et le Prix du Festival international d’Édimbourg. Ses décors sont visibles sur les plus Mahler avec l’Orchestre philharmonique de Vienne chez Deutsche Grammophon. grandes scènes du monde, telles que eLa Scala de Milan, le Staastoper de Vienne et le Covent Garden de Londres pour l’Europe, l’Opéra Nomori de Tokyo pour l’Asie, ainsi que le Metropolitan Simon McBurney / Mise en scène Opera de New York, l’Opéra de San Francisco et les théâtres de Broadway pour les États-Unis. Dans L’auteur, réalisateur et acteur britannique Simon McBurney compte aujourd’hui parmi les personnalités son pays d’origine, il est notamment engagé par le Festival Shaw, le Ballet national du Canada et par la les plus marquantes du théâtre en Europe. Nommé aux Tony et Screen Actors Guild Awards, il Compagnie nationale d’opéra du Canada. Au théâtre, il collabore principalement avec la compagnie Complicite pour remporte entre autres le Laurence Olivier Award en 1998. Son travail, allant d’installations à des créations originales, dont A Disappearing Number, The Elephant Vanishes, Mnemonic et The Encounter. Cette dernière la réinvention de textes classiques à Broadway, échappe à toute catégorisation, tout en étant pièce est récompensée par le Laurence Olivier Award de la « Meilleure nouvelle pièce » et par l’Evening Standard toujours intimement lié à la musique. Avec son frère, Gerard McBurney, et la compagnie théâtrale Award dans la catégorie « Meilleure pièce ». Parmi les nombreuses productions lyriques pour lesquelles il conçoit des Complicite, il crée plusieurs spectacles dont Strange Poetry avec l’Orchestre philharmonique de décors, on peut citer Wozzeck de Berg à l’Opéra de Zurich, Tannhauser de Wagner au Covent Garden de Londres, La Flûte Los Angeles représenté au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles et The Noise of Time aux côtés enchantée de Mozart au Festival d’Aix-en-Provence, Le Viol de Lucrèce de Britten au Festival de Glyndebourne ou encore de l’Emerson String Quartet. Co-fondateur de Complicite, il produit de nombreux spectacles avec Elektra de Strauss à l’Opéra national de Paris. En 2006, il se charge à la fois des décors et de la mise en scène du premier cette compagnie considérée comme l’une des plus innovantes en Grande Bretagne, dont The Encounter d’après le volet du Ring de Wagner à l’Opéra national du Canada. livre Amazon Beaming de Petru Popescu, spectacle dans lequel il se produit ; La Pitié dangereuse basé sur le roman éponyme de Stefan Zweig ; Le Maître et Marguerite adapté du roman de Mikhaïl Boulgakov ; Shun-kin inspiré par des Christina Cunningham / Costumes textes de Jun’ichiro Tanizaki, ou encore L’Éléphant s’évapore d’après le recueil de nouvelles de Haruki Murakami. Il met La costumière britannique Christina Cunningham travaille autant pour le théâtre et l’opéra que pour la danse. également en scène The Kid Stays in the Picture de Robert Evans ; All My Sons d’Arthur Miller à Broadway, ainsi que The Collaboratrice régulière de la compagnie Complicite fondée par Simon McBurney, elle conçoit notamment les Resistible Rise of Arturo Ui avec Al Pacino à New York. Acteur prolifique au cinéma, à la télévision comme à la radio, il costumes d’un de leurs derniers spectacles, A Pacifist’s Guide to the War on Cancer. Elle participe à de nombreuses apparaît dans plusieurs films notoires, tels qu’Une merveilleuse histoire du temps de James Marsh, Magie au clair de lune productions théâtrales en Angleterre et aux États-Unis, dont The Resistible Rise of Arturo Ui pour le National Actors de Woody Allen, Conjuring 2 de James Wan et Allied de Robert Zemeckis. À l’opéra, il met en scène La Flûte enchantée Theatre de New York en 2002, Chimerica pour l’Almeida Theatre de Londres en 2013, The Nether pour le Royal Court de Mozart et A Dog’s Heart d’Alexander Raskatov, deux co-productions de l’Opéra national des Pays-Bas et de l’English Theater de Londres en 2014 et As You Like It pour le National Theatre de Londres en 2015. Dans le monde de la danse, National Opera ainsi que du Festival d’Aix pour La Flûte en collaboration avec Complicite. elle collabore avec DV8 pour Just for Show en 2004, la Compagnie Shobana Jeyasingh pour Just Add Water en 2009, et 26 27
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