Étude originale Un jeu de simulation pour préparer une gouvernance de l'eau : une expérience en Tunisie centrale - CraBes
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Étude originale Un jeu de simulation pour préparer une gouvernance de l'eau : une expérience en Tunisie centrale Marjorie Le Bars1 Résumé Philippe Le Grusse2 Jusqu’aux années 2000 en Tunisie, les services de l’État géraient les ressources en eau sans Laassad Albouchi3 aucune concertation avec les usagers. Localement, cette gestion était confiée aux Jean-Christophe Poussin1 commissariats régionaux de développement agricole (CRDA). Depuis, l’État tunisien a 1 IRD décidé d’impliquer les agriculteurs dans cette gestion locale. Il encourage le regroupement UMR G-eau des agriculteurs au sein de groupements de développement agricole (GDA), interlocuteurs 361, rue Jean-François Breton des CRDA pour la gestion de l’eau. Avec ce dispositif, le CRDA doit prendre en compte les BP 5095 demandes des agriculteurs, regroupés dans le GDA, et en retour, ces derniers doivent 34196 Montpellier cedex 05 prendre conscience que la ressource est partagée et qu’il est dangereux de la surexploiter. France Comment GDA et CRDA peuvent-ils construire cette gestion concertée ? Dans cet article, nous présentons un jeu de simulation, construit à la demande d’agents du CRDA de 2 Kairouan pour réfléchir à une gestion concertée de la ressource en eau dans un petit CIHEAM-IAM bassin-versant typique de Tunisie centrale. Notre objectif était d’utiliser ce jeu pour UMR G-eau 3191, route de Mende sensibiliser, d’un côté, les agriculteurs au nécessaire partage de la ressource, notamment en 34093 Montpellier cedex 05 période de pénurie, et aux risques engendrés par sa surexploitation, et, d’un autre côté, les France agents du CRDA aux déterminants des usages de l’eau à l’origine des demandes. Ce jeu repose sur une représentation du fonctionnement hydrologique du bassin et des diverses 3 École sup erieure d'agriculture de Mograne exploitations agricoles qui exploitent la ressource en eau avec plusieurs modalités d’accès. 1121 Zaghouan Une séance de simulation a été organisée avec les agriculteurs du GDA concerné, mais sans Tunisie les agents du CRDA, car de fortes tensions les opposaient. Cet échec partiel conforte la nécessité, dans les approches participatives fondées sur les jeux, d’entretenir la motivation des acteurs tout au long du processus. Mots clés : approches participatives ; eau souterraine ; gouvernance ; simulation ; Tunisie. Thèmes : eau ; méthodes et outils ; ressources naturelles et environnement. Abstract A simulation game to prepare water governance: An experiment in Central Tunisia Until the 2000s, water resources in Tunisia were managed solely by official services without consulting water users. At the local scale, Commissariats Régionaux de Développement Agricole (CRDA), representing the official services, managed water resources. Then, the Tunisian government decided to involve farmers in the local management of water resources by creating the Agricultural Development Association (GDA). At present, water resource management by the CRDA must take into account water demands from GDA farmer representatives, and farmers must become aware of water scarcity and resource sharing. How can the CRDA and GDA envisage cooperative water management? In this paper we present a simulation game requested by Kairouan CRDA agents for building cooperative management of the water resources in a typical small watershed of Central Tunisia. Our aim was to use this game to increase farmers’ awareness of resource sharing, scarcity and overexploitation impacts, as well as CRDA agents’ awareness of uses that determine the water demand. This game is based on a hydrological model of the watershed and an agroeconomical model of farming systems that use the doi: 10.1684/agr.2010.0463 water resources for irrigation. A simulation game was played with concerned farmers in the GDA but without CRDA agents because of tensions between the groups. This partial failure Pour citer cet article : Le Bars M, Le Grusse P, Albouchi L, Poussin JC, 2011. Un jeu de simulation pour préparer une gouvernance de l'eau : une expérience en Tunisie centrale. Cah Agric 20 : 105-11. doi : 10.1684/agr.2010.0463 Tirés à part : M. Le Bars Cah Agric, vol. 20, n8 1-2, janvier-avril 2011 105
shows that participative approaches with game supports rely upon maintaining agent motivation throughout the process. Key words: governance; groundwater; participatory approaches; simulation; Tunisia. Subjects: natural resources and environment; tools and methods; water. D epuis les années 1990 et le évolution (Mahé et al., 2005). À production agricoles qui repose sur une congrès de Rio sur l’environ- l’opposé, les économistes utilisent sou- typologie des exploitations. nement, on observe un chan- vent la voie de l’optimisation pour gement des politiques dans les rendre compte de ces usages domaines de l’environnement et (Thoyer et al., 2001). Toutefois, la notamment de la ressource en eau. recherche d’une solution optimale qui Matériel et méthode La centralisation et l’interventionnisme maximise l’utilité collective a ses limi- de l’État, surveillant les usagers et les tes. Les approches fondées sur la écartant de la gestion des ressources, simulation et la participation des Le bassin de l’oued El Fej est situé dans sont remis en question. acteurs constituent alors des alternati- le gouvernorat de Kairouan en Tunisie La Tunisie a suivi ce mouvement. ves (Affisco, 2000). Ces approches centrale (358 450 N-98 500 E) ; il est Jusqu’au début des années 2000, les s’inspirent des jeux de rôles caractéristique des régions semi-arides services de l’État géraient les ressour- (d’Aquino et al., 2003) ou des jeux de (Le Goulven et al., 2008). Un sous- ces en eau sans aucune concertation simulation (Mayer et De Jong, 2004). bassin amont collecte les eaux de avec les usagers. Localement, cette Pour la gestion des ressources, le pluie, une (ou plusieurs) retenue(s) gestion était le monopole des commis- Collectif ComMod (2006) utilise la permet(tent) de stocker l’eau de sur- sariats régionaux de développement combinaison entre des systèmes multi- face, et les usages – exclusivement agricole (CRDA), rassemblant les agents (SMA) et des jeux de rôles. Ces agricoles – de l’eau se concentrent différents services du ministère de jeux de rôles ont une portée sociale et dans la plaine aval de Rouissat où l’Agriculture et des Ressources sont généralement utilisés pour l’oued alimente une nappe et achève hydrauliques dans chaque gouverno- comprendre les interrelations entre son cours dans une sebkha1. Les rat. Le CRDA était chargé de gérer les acteurs autour d’une situation 267 agriculteurs qui exploitent cette barrages et de maintenir le niveau des (Barreteau et al., 2003). Quant aux jeux plaine ont divers modes d’accès à l’eau nappes. Mais, dans les zones où l’eau de simulation, tels qu’utilisés dans ce et sont regroupés en GDA. Depuis était en accès libre, cette tâche n’était travail, ils visent à faire comprendre aux 1974, la nappe a fortement baissé sous pas simple et on observait une surex- joueurs le fonctionnement technique l’effet des pompages pour l’irrigation ploitation des nappes (Le Goulven et et/ou économique d’un système qu’ils et du déficit de pluviosité (Béji, 1998). al., 2008). Depuis le début des années ont à gérer (Carton et Karstens, 2002). Cette surexploitation s’est accompa- 2000, pour impliquer les agriculteurs, Les jeux de simulation combinent ainsi gnée certaines années d’une invasion l’État tunisien encourage la création de jeu de rôle et modèle de simulation d’eau salée depuis la sebkha. Le groupements de développement agri- classique (Le Bars et Le Grusse, 2008). stockage de l’eau est assuré par deux cole (GDA), interlocuteurs locaux des Pour répondre à la demande du CRDA retenues (4 millions de m3 au total). Le CRDA pour la gestion des ressources. de Kairouan, nous avons construit un CRDA est chargé de gérer ces retenues D’un côté, le CRDA doit prendre en jeu de simulation – intitulé AquaFej – et réalise des lâchers d’eau pour : compte dorénavant les demandes en pour la gestion de l’eau dans le petit – entretenir un débit dans l’oued, eau exprimées par le GDA représentant bassin-versant de l’oued El Fej. exploité pour l’irrigation par des les usagers. De l’autre, les agriculteurs L’objectif de ce jeu était : groupes motopompes ; doivent prendre conscience que la – de sensibiliser les agriculteurs au – recharger la nappe, exploitée par ressource doit être partagée et qu’il partage de la ressource en eau, aux des puits et des forages, pour mainte- est dangereux de la surexploiter. Mais risques engendrés par sa surexploita- nir son niveau et éviter sa salinisation ; comment GDA et CRDA peuvent-ils tion et à la gestion collective de la – générer des crues artificielles utili- construire cette gestion concertée ? En pénurie ; sées pour l’irrigation par épandage 2005, un responsable du CRDA de – de sensibiliser les agents du CRDA (figure 1). Kairouan nous a demandé de déve- aux déterminants des usages agricoles Le jeu de simulation AquaFej permet lopper un instrument pour sensibiliser de l’eau pour réfléchir à une gestion d’évaluer les conséquences économi- ses agents à une gestion concertée avec des retenues. ques et environnementales de scéna- les GDA, sensibiliser les membres du Aquafej repose sur une représentation rios combinant niveaux initiaux des GDA aux risques engendrés par la du fonctionnement du bassin au plan retenues et de la nappe, pluviométrie surexploitation de la ressource, et de la ressource en eau et de ses usages annuelle, gestion des lâchers d’eau, et établir une gouvernance. agricoles, avec un modèle hydro- usages agricoles. Pour gérer la ressource, on utilise le logique construit sur la base des travaux plus souvent des modèles hydrologi- d’un agent du CRDA et un modèle 1 mot désignant une dépression salée dans les ques sans représenter ces usages et leur technico-économique des systèmes de régions arides. 106 Cah Agric, vol. 20, n81-2, janvier-avril 2011
Tableau 2. Les surfaces Amont Aval des principales cultures dans la plaine de Rouissat El Fej, rivière Table 2. Main crops areas in the Rouissat plain. Barrage Culture Surface (ha) % re Ce ale et fourrage 1 392 62 Sebkha Maraîchage 229 10 Olivier 143 6 Autre 493 22 Gestionnaire Source Motopompe Puits Épandage Acteurs Total 2 257 100 barrage Sources Inondation Captages Oued Modèle hydrologique surface totale). L’irrigation concerne en priorité le maraı̂chage, puis les Nappe Sebkha céréales et les fourrages si de l’eau est Pluie Salinisation disponible. La typologie des exploita- tions a été construite en fonction du mode d’accès à l’eau, de la taille et des Figure 1. Image satellite de la zone d'étude avec les différents acteurs et le modèle hydrologique. activités de production. Nous avons distingué sept types (tableau 3) : les Figure 1. Satellite image of the Rouissat plain with actors and a hydrologic model. quatre premiers types accèdent à la nappe via des puits et forages, un type utilise des motopompes sur l’oued, un Représentation logie, nous avons réalisé une enquête autre utilise des sources, et le dernier sur un échantillon de 110 exploita- type pratique l’épandage de crue. Les des usages agricoles tions. La majorité des exploitations exploitations de type « puits éloigné » et du fonctionnement (40 %) a une taille inférieure à 10 (par rapport au barrage et à l’oued) hydrologique hectares (tableau 1). Les céréales et les sont plus rapidement concernées par fourrages, destinés à l’élevage, domi- la baisse de la nappe que celles de La représentation des activités agrico- nent l’assolement (environ 70 % de la type « puits proche ». Les performances les dans la plaine repose sur une surface totale) (tableau 2). L’intensifi- de chaque activité de production typologie des exploitations agricoles cation s’effectue par le maraı̂chage agricole ont également été caractéri- et activités de production (Poussin et (10 % de la surface totale) et les sées en termes de consommations al., 2008). Pour construire cette typo- plantations d’olivier (10 % de la – notamment d’eau – et de produc- tions unitaires. La conduite des cultu- res peut être plus ou moins intensive. Tableau 1. Répartition des exploitations de l'échantillon par classe Les cultures irriguées ont ainsi des de taille. rendements et des consommations en eau plus ou moins forts selon leur Table 1. Farming systems distribution. conduite. Les travaux de Béji (1998) ont permis Classe de taille (hectares) Nb exploitants % SAU (ha) % de construire une représentation sim- plifiée du fonctionnement hydro- 0 à 10 44 40 285 12,6 logique du bassin. Un modèle calcule : 11 à 20 29 26,4 419 18,6 – la recharge des retenues et de la nappe en fonction de la pluviométrie 21 à 40 26 23,6 698 30,9 sur les deux sous-bassins ; – la recharge artificielle de la nappe et 41 à 75 9 8,2 515 22,8 le débit dans l’oued engendrés par les lâchers d’eau. > 75 2 1,8 340 15,1 Ce modèle permet ainsi d’établir le Total 110 100 2 257 100 volume total d’eau disponible pour chaque mode d’accès à l’eau : sources, SAU : surface agricole utile. motopompes sur l’oued, épandage de Source : calculé sur l'échantillon. crue de l’oued et puits sur nappe. Cah Agric, vol. 20, n8 1-2, janvier-avril 2011 107
Tableau 3. Les différents types d'exploitation, leur mode d'accès à Le jeu de simulation AquaFej l'eau, leur nombre et leur surface moyenne. Ce jeu met le gestionnaire de barrage Table 3. Main characteristics of the different farms types (water access, strength et les agriculteurs en situation de and average area). gestion de lâchers d’eau du barrage. À partir de la pluviométrie hivernale, il Type d'exploitation Mode d'accès à l'eau Nombre Surface (ha) établit la disponibilité de la ressource Puits proches 1 puits 50 7 dans les retenues et la nappe. À partir de la décision des lâchers d’eau, il Puits proches 2 puits 30 20 détermine les volumes d’eau disponi- bles pour chaque mode d’accès à la loigne Puits e s 1 puits 80 7 ressource. À partir des assolements choisis (cultures d’hiver et d’été), il loigne Puits e s 2 puits 40 30 évalue l’impact de l’irrigation sur l’état Source source 2 50 de la nappe et il calcule le revenu des exploitations selon le niveau des Groupe motopompe groupe motopompes 15 23 rendements et des prix. Ce jeu vise ainsi à rendre compte des conséquen- Épandage pandage e 50 13 ces des décisions prises par les joueurs, issues ou non de choix collectifs et de négociations. AquaFej se joue à 8 groupes de joueurs : un gestionnaire de barrage et 7 groupes d’agriculteurs irrigants représentant chacun une exploitation type. Chaque groupe d’agriculteurs dispose d’une Règles du jeu Gestionnaire Groupe agriculteurs exploitation type caractérisée par une des retenues taille et un mode d’accès à l’eau. Le poids du groupe à l’échelle de la plaine correspond à l’effectif des exploitations Décision-1 Assolement cultures de ce type dans le territoire (tableau 3). hiver et élevage Les quatre premiers groupes irriguent Pluie-Hiver Niveaux des retenues par pompage dans la nappe via des et de la nappe puits et forages. Les groupes 1 et 2 sont Décision de lâchers proches des barrages, alors que les groupes 3 et 4 en sont éloignés (ils sont Disponibilité en eau donc plus rapidement atteints par une baisse de la nappe). Les groupes 1 et 3 Décision-2 Assolement cultures ont de petites exploitations (moins de printemps et été 10 hectares), alors que les groupes 2 et 4 ont des exploitations plus grandes (10 à 20 hectares). Le groupe 5 irrigue Demande en eau depuis des sources, le groupe 6 irrigue à l’aide de motopompes puisant dans Demande globale en eau l’oued, et le groupe 7 pratique l’épan- Si demande Si demande dage de crue. < offre eau > offre eau Le déroulement d’un tour de jeu suit plusieurs étapes (figure 2). À l’automne, chaque groupe de jou- Pas Surexploitation eurs-agriculteurs détermine sa surface de surexploitation cultivée en hiver et la taille de ses troupeaux ovins et bovins. On consi- Ajustement des rendements Rendements dère que l’aléa climatique se résume à des cultures irriguées la quantité de pluie tombée pendant Agrégation des productions l’hiver, laquelle permet de remplir les retenues et de recharger la nappe. Au Prix du marché Revenu printemps, selon les niveaux des retenues et de la nappe, le joueur gestionnaire de barrage établit en Figure 2. Les différentes étapes du jeu AquaFej. concertation avec les joueurs agricul- teurs, une politique de lâchers. Des Figure 2. Different stages of the AquaFej game. « quotas » d’eau sont alors alloués aux 108 Cah Agric, vol. 20, n81-2, janvier-avril 2011
remplacés. Nous avions prévu une séance de jeu sur deux journées avec un représentant du gestionnaire du barrage (CRDA) et des représentants de chaque exploitation type. Mais au dire de l’Administration, mobiliser les agriculteurs plus d’une journée était impossible. Résultats : le déroulement de la séance de jeu Figure 3. Les agriculteurs pendant le jeu de simulation. Une dizaine d’agriculteurs du GDA Figure 3. Farmers playing the AquaFej game. d’El Fej ont été invités à l’automne 2008 par le CRDA de Kairouan pour une séance de jeu (figure 3). Aucun sept groupes d’usagers. Cette poli- permet d’ajuster les prix selon une loi lâcher d’eau n’avait eu lieu depuis tique de lâchers et ces quotas font offre-demande. Le revenu de chaque 2006 et une forte tension existait entre l’objet de négociations entre les jou- exploitation type peut ensuite être GDA et CRDA. Pour les agents du eurs. Les joueurs agriculteurs décident calculé sur la base de sa production et CRDA, le remplissage insuffisant des ensuite des surfaces cultivées et irri- selon le niveau des prix agricoles. retenues était la cause de cet absence guées, en respectant ou non les quotas On peut faire autant de tour de jeu que de lâchers. Pourtant, le modèle hydro- qui leur ont été alloués. Les surfaces souhaité ; tout dépend de la disponi- logique d’AquaFej montrait un rem- des cultures irriguées déterminent les bilité des joueurs. Multiplier les tours plissage correct avec la pluviométrie besoins en eau de chaque exploitation de jeu permet par exemple d’observer enregistrée en 2007-2008 – et donc la type. Ces besoins sont agrégés à « l’apprentissage » des joueurs et possibilité d’effectuer des lâchers – et l’échelle du territoire et comparés l’évolution de la ressource en eau. l’observation directe du remplissage aux ressources disponibles. En cas des retenues confirmait ce résultat de surexploitation, les rendements simulé. Le jeu AquaFej – conçu autour sont ajustés en fonction du déficit Préparation de la séance de la gestion de ces lâchers – semblait hydrique et les joueurs discutent de de jeu avec les acteurs alors inadapté pour rendre compte de l’établissement ou non d’une taxe de la situation que vivaient les agricul- surexploitation. Les productions des La séance de jeu a eu lieu en 2008, teurs, et réaliser une séance réunissant exploitations types sont ensuite agré- alors que les agents du CRDA à GDA et CRDA était difficilement gées sur l’ensemble du territoire ; cela l’origine de la demande avaient été envisageable. Tableau 4. Choix des assolements selon les deux scénarios avec ou sans lâchers d'eau. Table 4. Cropping patterns chosen by farmer-players according to the water allocation. Scénario 1 : sans lâchers Scénario 2 : avec lâchers Cultures d'hiver Maraichage Cultures d'hiver Maraichage (ha) (ha) (ha) (ha) Types Surface irriguée pluviale irriguée pluviale d'exploitations (ha) Puits proches 1 7 4 3 3,5 3,25 Puits proches 2 20 7 5 6 4 4 10 loigne Puits e s 1 7 4 3 (-) 4 (+) 3 (+) loigne Puits e s 2 30 8 5 7 (-) 9 5 6 (+) Source 50 8 35 1 5 38 1 Groupe motopompe 23 8 5 11 3 5 Épandage 13 7,5 3 5 Les signes (+) et (-) indiquent une conduite plus ou moins intensive. Cah Agric, vol. 20, n8 1-2, janvier-avril 2011 109
Étant donné le peu de temps dispo- nouvelle gouvernance suppose la nible pour les séances de jeu et les Discussion et mobilisation de tous les acteurs non tensions entre acteurs, nous avons seulement pendant la construction du choisi de tester avec les agriculteurs conclusion jeu, mais surtout lors de son utilisation. seuls deux scénarios sous les mêmes En 2005, la motivation de certains conditions de pluviométrie hivernale Les éléments qui constituent la base de agents du CRDA a permis de lancer la (350 mm, correspondant à une plu- notre jeu de simulation ont été validés démarche ; leur démotivation en 2008 viométrie moyenne), avec un seul tour lors des séances collectives avec les l’a empêché d’aboutir. de jeu pour chacun. Le scénario 1, sans agriculteurs. Ces derniers ont rapide- Cette démarche fondée sur un jeu de lâcher d’eau permet d’exploiter ment accepté la représentation du simulation est « lourde », puisque qu’elle 1,2 million de m3 d’eau, dont la moitié système, c’est-à-dire les éléments du nécessite la construction de modèles. disponible dans la nappe ; le scéna- modèle hydrologique et les représen- Peut-être qu’une démarche fondée sur rio 2, avec des lâchers d’eau, permet tations des systèmes de production l’usage de jeux de rôles, plus légère, d’exploiter 1,7 million de m3 d’eau, (nombres d’agriculteurs, types définis, aurait été mieux adaptée à cette dont les trois quarts dans la nappe. cultures et marges proposées. . .). Au situation. En effet, le Collectif Après une présentation du jeu et des cours des discussions pendant la ComMod (2006) souligne que le jeu modèles mobilisés, les agriculteurs ont séance de jeu, il est apparu qu’un de rôle vise à révéler la dissymétrie commencé à jouer. Les choix d’asso- agriculteur « bien placé » avait installé d’information et à instaurer des rela- lement des différents groupes sont une station de pompage dans les tions entre les divers acteurs ayant des rassemblés dans le tableau 4. Lorsqu’il retenues pour irriguer ses cultures points de vue divergents, sans les y a des lâchers d’eau, les groupes maraı̂chères. Pour les agriculteurs, confronter à une vision externe du motopompe et épandage qui exploi- c’est ce qui expliquait l’absence de fonctionnement de leur système, via tent l’oued peuvent irriguer des céréa- lâchers depuis 2006 malgré le rem- des modèles très contextualisés. Néan- les. En absence de lâcher, un faible plissage des retenues. moins, quel que soit le type de jeu débit demeure dans l’oued et permet Les deux catégories d’acteurs ont retenu, la démarche requiert une pré- au groupe motopompe de faire un peu montré deux comportements opposés sence importante des concepteurs sur de maraı̂chage irrigué. Le groupe vis-à-vis du jeu. D’un côté, les agricul- le terrain afin de maintenir le lien avec source, quant à lui, a toujours de teurs du GDA étaient très intéressés car tous les acteurs et entretenir leur l’eau disponible. Mais le débit des ce jeu leur permettait de corriger en motivation. sources étant lié au remplissage des leur faveur le déséquilibre d’informa- Les approches participatives sont retenues, cette disponibilité décroı̂t tions ; de l’autre, les agents du CRDA attractives pour la discussion entre lorsqu’il y a des lâchers. Il est donc perdaient de leur pouvoir puisque le acteurs (Castella et al., 2005) mais sont logique que ce groupe réduise la jeu proposait une gestion des retenues étroitement liées au contexte et à la surface irriguée dans le scénario 2. négociée avec les agriculteurs. diversité des acteurs impliqués, et sont En absence de lâcher (scénario 1), les Kuper et al. (2009) soulignent qu’une extrêmement aléatoires (Kooiman, groupes qui disposent de puits main- meilleure gouvernance de l’eau néces- 2003). Même quand on constate un tiennent des cultures irriguées (maraı̂- site d’associer les agriculteurs aux succès, il est nécessaire de vérifier sa chage et céréales). Cela permet processus de coordination et/ou de durabilité au-delà du projet de recher- d’assurer la rentabilité des investisse- négociation de manière à accroı̂tre che, comme pour les recherches- ments (forage et matériels d’irrigation leurs capacités d’adaptation face aux actions (Fung, 2003 ; Pahl-Wostl, au goutte à goutte) même si cela changements socio-économiques et 2002). & conduit à surexploiter la nappe. En cas environnementaux à l’échelle du sys- de lâchers, ils augmentent largement tème global à gérer. Dans le même la surface irriguée, en accroissant et en esprit, ce jeu avait été conçu à la Remerciements intensifiant le maraı̂chage au détri- demande d’agents de l’Administration Ce travail a été réalisé dans le cadre de deux ment des céréales. Les agriculteurs ont pour réfléchir aux modalités d’une projets européens du 6e Programme cadre montré un grand intérêt pour ce jeu et gestion concertée de la ressource de recherche et de développement techno- ont déclaré leur souhait de réfléchir à entre CRDA et GDA. Cette expérience logique (PCRDT) AquaStress coordonné en l’avenir avec cette approche par démontre que la coopération des Tunisie par Zohra Lili Chabaane (Institut simulation. agents de l’Administration – qui peu- agronomique de Tunis, Inat) et Wademed Le lendemain, nous avons présenté le vent changer sur le territoire – est coordonné en Tunisie par Mohamed Salah jeu ainsi que son déroulement de la indispensable à ce processus. Bachta (Inat). Nous remercions les agricul- veille avec les agriculteurs du GDA, Une démarche fondée sur un jeu avec teurs et agents du CRDA de Kairouan qui aux agents du CRDA. Nous souhai- les acteurs nécessite un travail impor- ont participé au jeu AquaFej. tions que les agents du CRDA mon- tant et long, et la coopération de tous trent le même intérêt que les les acteurs. La motivation de certains agriculteurs afin qu’ils s’approprient d’entre eux, agriculteurs et/ou agents le jeu et reproduisent des séances avec de l’Administration, tout au long du les agriculteurs des GDA. Malheureu- processus est un gage de succès Références sement, les agents du CRDA n’ont pas (Imache et al., 2009 ; Bouarfa et al., Affisco JF, 2000. My experiences with simulation/ montré beaucoup d’intérêt ni pour le 2011). Utiliser le jeu AquaFej pour gaming – 5 years further down the road. Simulation jeu ni pour les modèles mobilisés. préparer la mise en place d’une & Gaming 31 : 42-7. 110 Cah Agric, vol. 20, n81-2, janvier-avril 2011
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