Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.

 
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Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
DEJ6000‐A11 |Concepts fondamentaux des jeux

Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à
              l’analyse des effets du contenu violent.

                               Présenté à

                            Louis‐Martin Guay

                           Véronique Bussière

                               Produit par

                              Pascal Nataf

                      Montréal, le 21 décembre 2011
Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
Avant‐propos
Depuis quelques années, la psyché des joueurs de jeux vidéo est disséquée et analysée sous la
loupe inquisitrice de la neuropsychologie. Des jeux éducatifs au serious gaming, en passant par
les jeux gratuits en ligne qui vous font dépenser des fortunes, ces apprentis sorciers, rejetons de
l'ère technologique, ne laissent aucun élément de leur design au hasard. Par des mécaniques
subtiles et ingénieuses, ils tentent de s’insinuer dans l'esprit du joueur, et pour le meilleur
comme (trop souvent) pour le pire, il cherche à l’influencer, le sensibiliser, l’éduquer. D’un côté,
il y a les initiatives d’une compagnie comme Shuffle Brain1 qui cherche à ludifier intelligemment
les interactions sociales afin de rapprocher les gens, de l’autre les possibles dérives de ces
méthodes à des fins vénales ou pire encore, de propagandes…

En fait, le game design fait à ce jour figure d’enfant pauvre dans la grande famille de la
conception et de la création. Expliquons‐nous; le design industriel apprend à travailler à partir
de matériaux bruts, le design de mode à partir de tendance et de style, le design graphique à
partir de forme et d’image… le design de jeux lui ignore presque tout du matériel sur lequel il
travaille, soit le cerveau du joueur. Fort de la certitude que la ludification de la société en
général est un processus inexorable, il est à parier qu’au cours des prochaines années l’univers
du game design soit de plus en plus poussé vers les sciences cognitives et les neurosciences.

Qu’il nous soit permis cette dernière réflexion; plusieurs grands stades de l'évolution
humaine ont été permis par l'impact de certaines innovations purement techniques qui ont
modifié des processus neurobiologiques et ont entraîné une modification durable de notre
façon de concevoir et d'appréhender notre univers. Par exemple, Friedrich Engel a proposé que
l'apparition du langage ait suivi l'invention et le perfectionnement d'outils de base [1]. Le
cerveau humain est un objet d'une plasticité étonnante, il se modèle selon des interactions
complexes avec son environnement et sa façon de le percevoir. Nous ne sommes pas la fin de
l'histoire. Au contraire, peut‐être que point à l'horizon l'aube d'une nouvelle révolution des
esprits. La surexposition à des univers « virtualisés » de plus en plus intégrés et réalistes aura
peut‐être un impact sur des processus cérébraux importants et à terme sur notre capacité de
comprendre et de concevoir le monde.

1
     Compagnie fondée par la neuropsychologue et game designer Amy Jo Kim et dont la mission est de produire des
    jeux « intelligent » pour les réseaux sociaux.

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Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
Table des matières
Introduction ..................................................................................................................................... 5
1‐Une histoire abrégée de la neurophysiologie .............................................................................. 6
   1.1‐Systéme limbique et la gestion des émotions ...................................................................... 8
   1.2 — Les Machines (voir aussi section 4a en annexe) .............................................................. 8
       1.2.1 — l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)...................................... 8
   1.3 – La psychologie à l’appui ...................................................................................................... 9
       1.3.1‐ Le GAM ou “General Model of Agression”[3] (annexe 5a‐1) ........................................ 9
       1.3.2‐ Le CM ou «The Catalyst model»[4] (annexe 5a‐2) ........................................................ 9
2‐ Le contexte, les études et les métaanalyses ............................................................................. 10
   2.1‐ Les études alléguant des effets négatifs au jeu vidéo violent ........................................... 11
       2.1.1‐ Études établissant un lien de causalité directe. .......................................................... 11
       2.1.2‐ Études concluant que les jeux vidéo violents désensibilisent face à la violence ........ 12
       2.1.3 –Études traitant de l’interactivité et du réalisme de la violence dans les jeux vidéo. . 13
   2.2‐ Les études qui relativisent l’impact négatif du jeu vidéo violent....................................... 13
       2.2.1‐ Critique de l’acharnement politique et scientifique ................................................... 14
       2.2.2‐ Critique des paradigmes et méthodologies expérimentaux ....................................... 14
       2.2.3‐ les aspects positifs de jeux vidéo violents ................................................................... 14
   2.3‐ Résumé de l’ensemble de la littérature ............................................................................. 15
3‐Les neurosciences en renfort! .................................................................................................... 15
   3.1‐ Les jeux vidéo violents et les effets sur le système nerveux autonome ............................ 16
   3.2‐ Les effets neurophysiologiques de la violence dans les jeux vidéo. .................................. 16
   3.3‐Désensibilisation fonctionnelle du néocortex ..................................................................... 17
   3.4‐ La chimie du cerveau, la dopamine et les mécanismes de récompense. .......................... 18
   3.5‐Résumé de la littérature neuroscientifique ........................................................................ 18
4‐ Recommandation appliquée au design de jeux vidéo .............................................................. 19
   4.1‐ Est‐il éthique d’avoir recours à la violence pour vendre un jeu vidéo s’il s’avère qu’elle a
   des effets permanents et dommageables sur le cerveau et le comportement ? ..................... 19
   4.2‐Existe‐t’il un niveau de violence dans les jeux vidéo tolérable, voir souhaitable ? ............ 20
   4.3‐ Existe‐t’il des formes de violence dans les jeux vidéo tolérable, voire souhaitable ? ....... 21
   4.4 –WoW : exemple de jeu vidéo incorporant des éléments de violences ............................. 22
5‐Conclusion .................................................................................................................................. 23

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Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
6‐Bibliographie .............................................................................................................................. 25
   6.1‐Littérature scientifique ........................................................................................................ 25
   6.2 Livre ..................................................................................................................................... 27
   6.3 Site Internet ......................................................................................................................... 27
Annexes ......................................................................................................................................... 29
   Annexe 1a‐ Histoire‐supplément............................................................................................... 29
   Annexe 2a‐ Structure et Neurotransmetteur ............................................................................ 30
   Annexe 3a‐ systèmes limbiques‐suppléments .......................................................................... 31
   Annexe 4a‐ les machines‐suppléments ..................................................................................... 32
       4a.1‐La tomographie par émission de positons (TEP) ........................................................... 32
       4a.2‐ La technologie biomédicale et le futur des jeux vidéo…principles of a brain‐computer
       interface (BCI) based on real‐time functional magnetic resonance imaging (fMRI) ............. 33
   Annexe 5a – La psychologie à l’appui ........................................................................................ 34
       5a.1‐ Le GAM ou “General Model of Agression”[3] .............................................................. 34
       5a.2‐ Le CM ou «The Catalyst model»[4] .............................................................................. 34

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Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
Introduction
L'industrie du jeu vidéo est en pleine expansion2. La violence est l'une des recettes appliquées le
plus fréquemment afin de faire mousser les ventes. En effet, un très grand nombre de jeux vidéo
propose aux joueurs de prendre part à des situations de conflits3. Le débat s’intéressant aux
effets à long terme des conséquences d’une exposition soutenue à des univers vidéoludiques
violents s'est intensifié au cours des dernières années. Deux écoles de pensées ont émergé du
tumulte ambiant et tentent de rallier à leurs idées l’opinion publique : d’une part, Craig
Anderson4 affirme que les jeux vidéo violents engendrent l’agressivité et les comportements
délinquants des joueurs, de l’autre Christopher Ferguson5 dédramatise les effets nocifs des jeux
et fait valoir leur pendant positif.

Il est vrai que chaque innovation technologique de masse dérange toujours l'ordre établi. Dans
les années 80, on a attribué à la violence dans les films tous les maux de la société. Puis dans les
années 90, ce fut aux paroles d’un certain type de musique d’être sur le banc des accusés. Or, il
semble à propos de rappeler que ces produits culturels sont à l’image de la société qui les
engendre. La réflexion sur la production et les effets rétroactifs de la violence dans les médias se
doit d’être globale, holistique et systémique si elle veut produire des résultats probants et
crédibles. Dans cette optique, afin de permettre au débat de s’enrichir de nouvelles
perspectives et de s’élever au‐dessus des lieux communs et des guerres de clocher, nous nous
proposons d’apporter un nouvel éclairage en utilisant une approche neuroscientifique.

Il nous semble opportun de réitérer l’importance des facteurs neuropsychologique dans le game
design. À cet égard, Hopson [2] affirme que les sciences cognitives peuvent aider le game
designer à appréhender le comportement du joueur, et donc mieux conduire l’expérience
ludique. L’objectif de cette recherche est donc à partir des enseignements que l’on peut dégager
de la littérature scientifique attenante des sciences cognitives et neurophysiologiques proposer
des pistes de réflexions sur la nature de l’élément de violence dans les systèmes vidéoludiques
afin d’orienter la pratique du game design dans une perspective d’efficacité et d’éthique.

Nous orienterons notre recherche autour de trois axes de questionnement; 1) Il nous semble
nécessaire et évident d’aborder ce sujet par une réflexion d’ordre éthique. Le débat de la
violence dans les jeux vidéo est idéologique, politique et économique tout à la fois. Mais dans
une optique pure du design la question se doit d’être posée : Est‐il éthique d’avoir recours à la
violence pour vendre un jeu vidéo s’il s’avère qu’elle a des effets permanents et
dommageables sur le cerveau et le comportement ? 2) Il semble ensuite que d’un point de vue
design, il serait pertinent de parler quantitatif. Existe‐t‐il des moyens de quantifier la violence
dans les jeux vidéo? Existe‐t’il un niveau en deçà duquel les conséquences sur le comportement
du joueur sont négligeables ? En définitive : Existe‐t’il un niveau de violence dans les jeux vidéo
tolérable, voir souhaitable ? 3) Finalement, il serait mal avisé de se borner à limiter notre

2
  Selon les chiffres de l’Agence Française pour le Jeu Vidéo le marché mondial a affiché des profits de 25 G en 2003,
45 G en 2008 et devrait rapporter dans les 70 G à l’orée 2013.
3
  On n’a qu’a pensé à des titres comme Call Of Duty : Modern Warfare ou la série des Grand Theft Auto
4
  Ph.D. en psychologie clinique à l’University of Central Florida
5
  Ph.D. en psychologie clinique à l’University of Central Florida
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Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
analyse à des données quantitatives, celles‐ci prennent toujours un sens lorsqu’elles sont
orientées par une réflexion de nature plus qualitative. La question se pose d’elle‐même : Existe‐
t’il des formes de violence dans les jeux vidéo tolérables, voir souhaitables ?

Nous orchestrerons notre étude en quatre temps. Dans la première section, nous proposons un
bref historique des neurosciences. Nous tenons à préciser que les annexes ont été conçues afin
de clarifier les notions de base, ainsi que les techniques et appareils utilisés dans la recherche
neurophysiologique. Les figures présentées dans le texte sont également décrites dans les
annexes. Nous vous encourageons à les consulter afin de mieux comprendre certaines notions
abordées dans le texte. La deuxième partie sera consacrée à une revue de la littérature
pertinente afin de camper notre sujet. Les métaanalyses proposées par différents auteurs
permettront de clarifier les deux positions qui s’affrontent et d’en ressortir les éléments les plus
importants. Ensuite, nous examinerons de plus près les conclusions qui peuvent être dégagées
des études neuropsychologiques publiées dans les dernières années. Finalement, nous
énoncerons des intentions de design à partir des faits dégagés par notre analyse de la littérature
et réfléchirons aux implications des résultats neuropsychologiques dans la pratique du game
design.

1‐Une histoire abrégée de la neurophysiologie
La neurophysiologie est l'étude des fonctions du système nerveux et par extension
principalement du cerveau, reposant sur tous les niveaux d’organisation, du niveau moléculaire
jusqu'au niveau le plus intégré des réseaux neuronaux. C'est une science jeune qui s’est
développée grâce aux apports d'autres sciences biologiques (anatomie, endocrinologie,
pharmacologie, etc.) et comportementales (psychologie, psychiatrie).

L’idée que le cerveau est le siège des pensées
complexes et des émotions n’est pas nouvelle6.
Il est quand même bon de rappeler une étude
de cas qui a bouleversé notre façon de
comprendre cet incroyable outil. Le 13
septembre 1848, Phineas Gage travaille à la
construction d'une ligne de chemin de fer. Par
malchance, une explosion propulse une barre
de fer qui lui perfore le crâne, en le traversant
complètement et provoquant des dommages
aux lobes frontaux de son cerveau. Malgré la
                                                      Figure 1— Lésion des lobes préfrontaux
gravité apparente de la blessure, il survécut. Il
                                                       Reconstruction du trajet de la barre de fer.
était jusqu’à son accident considéré comme
quelqu’un de sociable et fiable, mais cette blessure a eu des effets négatifs sur son
comportement émotionnel, social et personnel, le laissant dans un état instable et asocial. Le

6
 Hippocrate considéré comme le père de la médecine proposait déjà aux 4ieme siècle av. J.‐C. l’implication du cerveau
dans le processus cognitif.
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Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
Dr Harlow (1819‐1907) qui le soigne pendant de longs mois note que si son état physique
semble ne pas avoir changé (il ne souffre d’aucune paralysie), son humeur est devenue
changeante, son tempérament grossier et capricieux. Il meurt 12 ans dans une grande crise
d'épilepsie. Ce cas fut le premier d’une longue série d’expériences et d’incidents qui
confirmèrent le rôle du cerveau dans les processus cognitifs et la gestion des émotions.

L'anatomiste français Paul Broca proposa en 1878 la notion de système limbique. Il remarqua
que certaines régions des hémisphères cérébraux étaient étroitement liées à l'hypothalamus.
Or, on sait depuis que l'expression des émotions dépend considérablement du système nerveux
sympathique, sous contrôle de l'hypothalamus. Bien que le cerveau entier contribue aux
activités sociales, certaines parties des hémisphères cérébraux sont particulièrement
concernées. Par exemple, on sait depuis la fin du 18e siècle que l’opération de leucotomie
(opération consistant à couper la substance blanche qui relie les lobes frontaux au thalamus)
provoquait chez le patient une disparition de toute inhibition habituelle et socialement exigée,
ceux‐ci semblaient obéir à la première impulsion venue.

En 1937, James Papez propose dans un article intitulé A proposed mechanism of emotion qu’un
ensemble de structures nerveuses du cerveau est impliquées dans le contrôle des émotions.
L’idée que le cerveau fonctionne comme un système intégrer (plutôt qu’en fonction de structure
isolée) est assez novatrice pour l’époque.

                                      Figure 2— Le circuit de Papez
Le circuit de Papez est constitué de différentes structures du système limbique situées sur la face médiane
du cerveau comprenant le cortex cérébral temporal et cingulaire, le thalamus, l'hypothalamus.

                                                    7
Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
1.1‐Systéme limbique et la gestion des émotions
Le cerveau humain est considéré comme le
résultat évolutif de trois tendances successives
localisées anatomiquement de manière
concentrique :       le     cerveau        reptilien
(correspondant au tronc cérébral), le cerveau
paléomammalien (correspondant au système
limbique) et le cerveau néomammalien
(correspondant au néocortex). Comme on peut
le voir sur la figure ci‐contre, les trois couches
sont fonctionnalisées, la couche reptilienne est
impliquée dans les réflexes et les fonctions
motrices, la couche limbique dans la gestion des
émotions entre autres et le néocortex dans la                 Figure 3— les « trois cerveaux »
pensée abstraite et rationnelle. Comme nous
                                                     Théorie du cerveau triunique représente trois cerveaux
partageons plusieurs structures cérébrales distincts apparus successivement au cours de l’évolution
communes des deux premières couches avec                             de l'espèce humaine
certains animaux, l’expérimentation sur ces
cobayes permet de faire évoluer nos connaissances. Aujourd’hui, le concept du cerveau
triunique est contesté. On parle plutôt de Latéralisation, autrement dit, le cerveau agit comme
une multitude de systèmes intégrés. On parle de réseaux neuronaux et de cycle de
réverbérance, concept qui explique que plusieurs neurones qui s’ « activent » ensemble en
même temps s’intégreront en circuit de plus en plus efficace plus ils seront « activés »
simultanément (processus impliqué dans l’apprentissage, la mémoire et peut‐être même le
renforcement des comportements). Pour les besoins de la présente recherche, nous nous
intéresseront particulièrement aux structures associées au système limbique qui sont
directement impliquées dans la gestion de l’émotion.

1.2 — Les Machines (voir aussi section 4a en annexe)

1.2.1 — l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)

C’est une application de l'imagerie par résonance magnétique permettant de visualiser, de
manière indirecte, l'activité cérébrale. Il s'agit d'une technique d'imagerie utilisée pour l'étude
du fonctionnement du cerveau. Elle consiste à enregistrer des variations hémodynamiques
(variation des propriétés du flux sanguin) cérébrales locales minimes, lorsque ces zones sont
stimulées. Cette technique ne présente aucun danger connu pour la santé des sujets. La
localisation des zones cérébrales activées est basée sur l'effet BOLD (Blood Oxygen Level
Dependant), lié à l’aimantation de l’hémoglobine contenue dans les globules rouges du sang.
Malheureusement, la machinerie utilisée est encore lourde et pas trop pratique, mais
                                                    8
Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
représente une évolution importante par apport à l’imagerie par émission de positron (voir
annexes).

                                             Figure 4 –IRMf
                   à gauche machine IRM, à droite exemple d’image obtenues grâce à IRMf

1.3 – La psychologie à l’appui
Les modèles comportementaux influencés par le néobéhaviorisme ont également largement
contribué au débat. Deux grands systèmes psychologiques ont émergé au cours de la dernière
décennie pour expliquer la genèse des comportements violents et agressifs. Comme la plupart
des auteurs qui traitent de la violence dans les jeux vidéo réfèrent à l’un ou l‘autre des modèles,
qu’ils basent leurs paradigmes expérimentaux sur des aspects de ces théories ou encore qu’ils
cherchent à confirmer ou infirmer certains aspects de ces modèles cognitifs, je les présente ici
sommairement.

1.3.1‐ Le GAM ou “General Model of Agression”[3] (annexe 5a‐1)

Le modèle général d’agression ou GAM en anglais avance que les jeux vidéo ont une influence
réelle sur les joueurs. Il propose que les pensées, les émotions et la stimulation physique
(arousal) sont grandement affectées par la violence simulée. Ces effets à terme altèrent le
jugement et la perception du joueur quant aux actes violents ou aux comportements agressifs.
Selon le GAM, les effets nocifs des jeux vidéo influent tant le court que le long terme. Anderson
et Bushman qui ont affiné le modèle, affirment que les jeux vidéo violents font la promotion des
comportements et des attitudes violents et attribuent ces effets à la désensibilisation des
joueurs face à la violence et l’agressivité en général

1.3.2‐ Le CM ou «The Catalyst model»[4] (annexe 5a‐2)

Le modèle des catalyseurs motivationnels ou CM (« Catalyst model ») est la réponse adressée au
GAM. Il parut en 2008 sous la plume du psychologue Ferguson. Le modèle incorpore plusieurs
des éléments des critiques faites au GAM et synthétise de nombreuses connaissances de
psychologie acquise depuis la parution du modèle d’Anderson en 2002. Le CM affirme qu’une
réaction agressive est la résultante combinatoire de facteurs de risques génétiques couplés à
des facteurs environnementaux prédisposant à de tels actes. Le modèle affirme que le stress
                                                    9
Une approche neurophysiologique du design de jeux vidéo appliquée à l'analyse des effets du contenu violent.
ressenti par un individu lié à une personnalité antisociale sont les éléments qui mènent à la
genèse de la violence. Le CM reconnait que tous les facteurs de risque sociaux (par exemple
famille et les pairs) ont une influence sur l’agressivité. Cependant, il précise que l’influence des
médias est trop faible et trop distante pour avoir des conséquences significatives au niveau de
l’agressivité individuelle. En extrapolant le modèle, on dira que quelqu’un qui a écouté le film
The Matrix ne va pas aller s’acheter des fusils d’assaut. Toutefois, si cet individu a une
personnalité agressive, vient d’un milieu dysfonctionnel et est marginalisé dans son
environnement social (autant de catalyseur motivationnel), il est possible que l’imaginaire du
film déteigne sur ce dernier et qu’il développe un goût pour les longs impers noirs et les fusils à
canon tronqué !

2‐ Le contexte, les études et les métaanalyses

La première recherche sur l’exposition à la violence dans les médias fut conduite aux États‐Unis
par l’Institut national de la santé mentale. Les conclusions de cette première étude furent que
l’exposition durant l’enfance à la violence dans les médias augmente les comportements
violents des enfants. Durant les années 80, cette théorie se diffusa et fut généralement admise
comme vraie par l’ensemble du corps social. D’autant plus que le nombre de crimes violents est
en constante augmentation de la fin des années 60 jusqu’au milieu d’années 90.

Les années 90 marquèrent un tournant. Plusieurs études s’intéressèrent au processus
psychologique qui résultait d’une exposition à la violence, aux situations d’abus ou d’agressivité
en général. D’une part, plusieurs de ces études démontrèrent que les enfants ne réagissent pas
de la même manière face à la violence réelle ou celle des médias. D’autre part, le taux de crime
qui s’était stabilisé au début des années 90 se mit à décroitre dès 1995, alors même que la
violence dans les médias culminait entre autres avec la popularisation de la musique hip‐hop et

                                       Figure 4— Taux de criminalité
            Variation du taux de Victime de Crime violent par tranche de 1000 citoyens entre 1970 et
                                                 2005 aux USA
                                                      10
l’amélioration de la qualité graphique des consoles de jeux vidéo. Ce fut l’une des premières
fissures qui apparut dans la théorie de simple causalité entre violence dans les médias et
comportement violent chez l’enfant.

Les jeux vidéo intéressent particulièrement les chercheurs depuis un peu plus d’une décennie vu
leur nature particulièrement violente et leur interactivité. Le joueur contrôle sont avatar, il porte
la responsabilité de ses actions. La plupart des jeux violents tendent à récompenser le joueur
pour son habileté à tuer, à intimider ou pour ses actes criminels. Plusieurs jeux ont fait l’objet
d’une grande controverse; par exemple Mortal Kombat, Doom, Grand Theft auto. On reproche
à ces jeux de contenir une violence trop réaliste. Dans les années 1990, le sénateur Joe
Liebermann a dirigé des audiences publiques sur ce sujet. Il se dégage de ses audiences que les
jeux vidéo violents conduisaient à des comportements violents chez les jeunes, induisaient des
pensées et des réactions agressives et augmentaient la délinquance. Suite à cette mauvaise
presse, l’industrie des jeux vidéo décida de s’auto‐policé en fondant en 1994 le Entertainment
Software Rating Board (ESRB) afin d’évaluer le contenu violent des jeux vidéo et à quel publique
il s’adresse. Le problème lié à l’étiquetage a fait l’objet de nombreuses études. L’une [5] d’elles
révèle que le classement « adulte » ou encore « mature » à des effets paradoxaux : elle sert de
guide pour les parents d’une part, mais sert aussi d’éléments incitatifs et excitants pour les
jeunes qui réussissent souvent à se les procurer par des moyens détournés.

Il est quand même bon de noter ici que la controverse entourant la
violence dans les jeux vidéo transcende le débat. Et quoi qu’encore
aujourd’hui des sénateurs américains s’indignent des effets des jeux
violents sur la jeune génération, en parallèle on sait qu’à l'initiative de
l'armée américaine, le jeu America's Army sur PC (entre autres) est
utilisé comme un vecteur de promotion du recrutement militaire…
Aux mains de l’état, la violence est souvent associée au droit, le
problème ne réside peut‐être pas où on le croit.
                                                                              Figure 5 America’s Army
                                                                       Développé afin d'améliorer l'image
                                                                       de l'US Army et d'inciter les gens à
                                                                       s'enrôler.

2.1‐ Les études alléguant des effets négatifs au jeu vidéo violent
Les études qui tendent à démontrer un effet généralement négatif des jeux violent sur les
comportements humains se regroupent grossièrement sous trois thèmes; 1) celles qui
établissent une corrélation entre jeux violents et comportements violents 2) celles qui
démontrent que les jeux violents conduisent à une désensibilisation du joueur face à la violence
en générale et finalement 3) celles qui associent l’interactivité des jeux violents et leur réalisme
à un transfert cognitif durable.

2.1.1‐ Études établissant un lien de causalité directe.
Le Dr Anderson est un des théoriciens qui a le plus contribué à médiatiser le débat sur la
violence dans les jeux vidéo. Comme mentionné plus haut, son témoignage devant la
                                                11
commission sénatoriale présidée par Joe Lieberman a eu beaucoup d’échos aux États‐Unis. Dans
un article publié [6] par la APA (American Psychological Association) il résume les grandes idées
qu’il retire de ces quarante années de recherche dans le champ de la psychologie
comportementale. Selon lui, les jeux vidéo violents altèrent la perception de l’agressivité par le
joueur ce qui conséquemment fait qu’une provocation même légère pourra être interprétée par
celui‐ci comme un acte d’hostilité. De plus, l’exposition fréquente à des univers violents
augmente la croyance ou l’impression qu’une solution agressive est simple et efficace.
Finalement en dédramatisant l’impact et les effets de la violence, elle habitue le joueur à utiliser
ces stratégies dans la vie réelle, sans en assumer pleinement les conséquences.

Dans une étude publiée en 2001 [7], Anderson affirme que le potentiel éducatif des jeux vidéo
associés à des univers déployant une violence hyperréaliste aboutit à un transfert cognitif
important et durable. Cette vision des choses fut confortée par une étude [8] réalisée
conjointement aux États‐Unis et au Japon, utilisant la même méthodologie et aboutissant à des
résultats similaires; jouer à des jeux vidéo violents pendant l’enfance conduit à adopter des
comportements violents plus fréquemment à l’âge adulte.

Plusieurs études réalisées sur des cohortes plus ou moins grandes sur des périodes également
plus ou moins importantes tendent à établir un lien de causalité directe entre le niveau de
consommation de produits vidéoludiques violents et des comportements agressifs, voire
violents ou encore délinquants. En 2007, Douglas Gentile réalise une étude [9] sur plus de 2000
jeunes et adolescents. Son hypothèse expérimentale est que le jeu vidéo intègre dans son
design plusieurs techniques pédagogiques extrêmement efficaces; par exemple, il mise sur les
motivations intrinsèques du joueur, il propose des courbes d’apprentissages adaptées, centre
l’apprentissage sur un élément à la fois, permet rapidement un niveau de maîtrise intéressant,
intègre des systèmes de récompenses et de renforcements adaptés, etc. Ainsi spéculent les
auteurs, si les jeux ont le potentiel d’être de si bons enseignants, les leçons qu’ils enseignent ont
le potentiel d’être apprises. Sans surprise, leur étude confirme leur hypothèse de départ, les
jeunes qui jouent régulièrement aux jeux violents adoptent des comportements agressifs plus
spontanément (cette étude évalue le comportement agressif par une revue des dossiers de
comportement scolaire, la confrontation avec les enseignants et le nombre de bagarres avec
d’autres élèves, etc.). Dans une autre étude [10] sur une cohorte plus petite, le même auteur
établit une corrélation entre la consommation de jeux violents à l’enfance, le rendement
académique et la délinquance à l’adolescence. Ces résultats il va sans dire s’intègrent dans le
cadre théorique du GAM.

2.1.2‐ Études concluant que les jeux vidéo violents désensibilisent face à la violence
Anderson et Bushman [11] en utilisant un protocole expérimental tout simple ont établi un lien
entre la violence dans les jeux vidéo et la désensibilisation face à la violence. Dans leur
expérience, des participants jouaient pendant une période de temps d’une demi‐heure à des
jeux vidéo violents, puis on leur présentait des films montrant des scènes de violence diverse
(de modéré à extrême, mais toujours réaliste). Pendant le visionnement on enregistrait
différentes variables liées aux réactions viscérales (arousal) telles que; la fréquence cardiaque, le
niveau de sudation et la dilatation des pupilles. Leurs résultats montrent que le groupe

                                                 12
expérimental (ayant joué à des jeux vidéo violents avant le visionnement) réagissait moins aux
images violentes que le groupe témoin (qui avait joué à des jeux non‐violents).

 De nombreuses études confirment les résultats obtenus par Anderson et Bushman. Plus
intéressant peut‐être, une collaboration anglo‐autrichienne [12] tente d’expliquer les
mécanismes mentaux par lesquelles la désensibilisation face à la violence opère. Leurs résultats
s’orchestrent en deux parties. Dans un premier temps, elle affirme que le jeu vidéo violent
entraîne une déshumanisation du joueur face à l’autre, ensuite que la déshumanisation de
l’autre entraîne une augmentation des comportements agressifs et hostiles à son égard.

2.1.3 –Études traitant de l’interactivité et du réalisme de la violence dans les jeux vidéo.
C’est ici qu’il nous faudra porter une attention toute particulière, car ces thèmes sont
intimement liés au design même des jeux et touchent à la forme spécifique que prend le jeu
plutôt qu’à son fond. Plusieurs études nous offrent des pistes de réflexion intéressantes.

Polman [13] de l’Université d’Utrecht à démontrer que l’aspect d’interactivité des jeux vidéo à
des conséquences comportementales plus importantes que celle d’êtres simples spectateurs.
Dans son expérience, une soixante de jeune âgé de 10 et 13 ans se décompose en deux groupes
expérimentaux; l’un joue à un jeu vidéo violent, l’autre est spectateur. Dans l’évaluation qui a
suivi, les jeunes qui avaient joué au jeu étaient plus agressifs que ceux qui avaient été
spectateurs. Fait très important à noter, cette corrélation était significative pour les jeunes
garçons seulement, l’effet n’était pas notable chez les jeunes filles. C’est l’une des premières
études à ma connaissance qui démontre un effet de genre.

Une étude réalisée par l’université de l’Iowa [14] a démontré que les jeux vidéo contenant des
éléments de violences réalistes stimulaient de façon plus importante l’agressivité des joueurs et
leurs niveaux d’excitations physiques que les jeux comportant des éléments de violence
surréaliste ou fantastique. Une partie de la réponse nous vient d’une recherche hollandaise [15].
Leur étude a démontré que le potentiel de transfert de comportement agressif est plus grand
pour les jeux vidéo où le joueur peut s’identifier à l’avatar (donc un avatar crédible, idéalisé et
héroïsé).

D’ailleurs à cet effet, nous nous permettons ici de mentionner l’excellent article [16] de Marcus
Schulke qui approfondit le thème des types de violence que l’on retrouve dans les jeux vidéo. Il
porte le débat à un autre niveau celui de l’éthique et s’attarde à réfléchir sur le message porteur
de ces différents types de violences qui peuplent les univers ludiques. Que retirer comme
message, intellectuellement, moralement ou socialement de la violence ironique et amorale
d’un GTA, ou celle guerrière, gratuite, mais morale, d’un Call of Duty ?

2.2‐ Les études qui relativisent l’impact négatif du jeu vidéo violent
Depuis quelques années, plusieurs voix essaient de mettre en perspective l’impact négatif
qu’auraient les jeux vidéo violents. Sans faire nécessairement l’apologie de la violence, ces
penseurs ou chercheurs essaient de recentrer le débat souvent sur des thèmes plus
fondamentaux ou sociaux. L’essentiel des critiques qu’ils adressent aux études qui dénoncent la
violence dans les jeux vidéo se regroupe sous deux thèmes; 1) Une critique d’un acharnement

                                                13
politique sur ces jeux en particulier et surtout 2) une critique des paradigmes et méthodologie
expérimentale utilisée. Finalement, certains auteurs trouvent même des vertus à la violence
dans les jeux vidéo…

2.2.1‐ Critique de l’acharnement politique et scientifique
L’auteur et scénariste de bande dessinée Gerard Jones dans son livre Killing Monsters, Why
children need Fantasy, super heroes, and make‐believe violence [17] s’attaque à l’hystérie
collective qui entoure la violence dans les médias en général et dénonce particulièrement
l’acharnement des autorités scientifiques et des dirigeants américains à propager l'idée que la
violence diffusée par les médias rend les enfants plus violents. Selon lui, la plupart des critiques
et des experts sur le sujet ne sont eux même pas des joueurs et méconnaissent grandement les
univers qu’ils pourfendent. Il poursuit en affirmant que notre attention doit être reportée sur
l’enfant et ses besoins et fait valoir qu’une grande part de son développement émotionnel passe
par des univers fantastiques et imaginaires. Je le laisse lui‐même être avocat de ses propres
idées : “When a child is joyfully killing a friend who loves being killed, we don’t make things
clearer for them by responding with an anxious, ‘You shouldn’t shoot people!’ Instead we blur
the very boundaries that they’re trying to establish”.

2.2.2‐ Critique des paradigmes et méthodologies expérimentaux
Plusieurs chercheurs ont sonné la réplique et ont tenté de modérer les résultats tirés par les
études les plus alarmistes. Le fer de lance de cette mouvance est probablement Christopher
Ferguson. Il réalisa une métaanalyse [18] qui recouvrait tous les articles publiés entre 1998 et
2008 et retrouvés dans le moteur de recherches PsycINFO grâce à des mots clefs. Sa
métaanalyse visait à vérifier les biais méthodologiques liés à l’échantillonnage, les méthodes
utilisées pour mesurer l’agressivité et les comportements violents. Sa conclusion démontre que
l’état de la littérature actuelle ne permet pas de déterminer statistiquement une relation de
causalité entre la violence dans les médias et la genèse de comportement violent.

Une étude canadienne [19] en utilisant un paradigme expérimental différent arrive à des
conclusions similaires, c’est‐à‐dire que les jeux violents peuvent induire des comportements
agressifs, mais avec une explication différente; ça serait la compétition entre les joueurs qui
serait responsable de cette agressivité plutôt que la violence. Cette étude démontre qu’un jeu
violent sans aspects compétitifs n’entraine pas de comportements significativement violents par
rapport à un jeu non violent qui exige un haut niveau de compétition entre les joueurs ou avec
le jeu.

2.2.3‐ les aspects positifs de jeux vidéo violents
Dans une autre métaanalyse [20], Ferguson recense les aspects positifs de la violence dans les
jeux vidéo (the good), les aspects négatifs (the bad), et les aspects nocifs et non éthiques (the
ugly), publié dans la littérature scientifique. Les conclusions de son étude sont que les jeux vidéo
ne peuvent être associés avec une augmentation de l’agressivité et que même s’il faut être
prudent avec une partie de la population plus à risque d’être influencé par l’aspect violent des
jeux, il est temps de recentrer le débat sur les aspects bénéfiques potentiels de ce type de jeu. Il

                                                14
cite l’exemple d’une étude réalisée sur le jeu Re‐Mission7 qui utilise la violence, mais qui a eu
des effets positifs sur des jeunes aux prises avec un cancer. Ces jeunes avaient une plus grande
connaissance de leur maladie, une plus grande implication dans leur traitement et plus
d’autonomie et de confiance face à leur avenir que ceux du groupe témoins n’ayant pas joué au
jeu.

Patrick Kierkegaard, de l’université d’Essex prétend qu’il n’y a aucun lien statistique entre le taux
de criminalité, les comportements violents et les jeux vidéo violent. Son étude parue en 2008
[21] épluche les statistiques des États‐Unis et d’Angleterre. Sa conclusion, la relation entre le
taux de criminalité dans ces pays est inversement proportionnelle au nombre de jeux vidéo
violent disponible sur le marché. Il termine avec cette question; le jeu vidéo réduirait donc les
comportements violents ?

2.3‐ Résumé de l’ensemble de la littérature
Donc, en résumé les jeux vidéo violents pourraient induire une augmentation de la délinquance
et une augmentation générale des comportements agressifs et violents. Cette corrélation
pourrait s’expliquer en partie par le fait que les jeux vidéo sont des outils pédagogiques efficaces
qui apprennent aux joueurs par association et mécanisme de renforcement à privilégier des
actions violentes afin de régler des situations conflictuelles. Une autre possibilité est que le
joueur est désensibilisé face au phénomène violent ou encore qu’il apprend à déshumaniser ces
victimes. Finalement, le réalisme de la violence et l’interactivité que permet le jeu vidéo
semblent renforcer la relation existante entre jeux violents et comportement violent.

D’autre part certains auteurs mettent en garde; le débat est biaisé selon eux à cause d’un
agenda idéologique des autorités ou encore par les biais des méthodes scientifiques utilisées.
Selon eux, il est impossible à l’heure actuelle d’établir de relation de causalité entre jeux vidéo
violent et comportement violent. Certains proposent même de pousser le débat plus loin et de
s’interroger sur les effets potentiellement bénéfiques de ces jeux.

3‐Les neurosciences en renfort!

Il est temps de voir maintenant si les neurosciences peuvent jeter un éclairage nouveau au
débat afin de privilégier des avenues de réflexions. Le corpus de connaissance est encore
rudimentaire, mais depuis les dernières années on assiste à une profusion de nouvelles études.
D’une part, une génération de jeunes chercheurs enthousiastes qui ont grandi avec les jeux
vidéo et qui n’ont pas les mêmes préjugés négatifs s’attaque à repousser les frontières
nébuleuses du terra incognita. D’autre part, la technologie permettant l’imagerie cérébrale est
de plus accessible et moins dispendieuse. Il a fort à parier que les prochaines années seront
fertiles en découvertes passionnantes. L’ensemble des études que nous vous présentons se

7
  Re‐Mission est un jeu de shoot où l'on incarne un nanorobot nommé Roxxi, qui doit batailler contre les
cellulescancereuses et les infections bactériologiques, tout en gérant les effets secondaires associés au cancer. Le jeu
est offert gratuitement en ligne depuis 2007 par la compagnie Cigna.
                                                          15
regroupe en trois thèmes : 1) Les effets sur le système autonome 2) les effets sur le système
limbique et 3) les effets de désensibilisation.

3.1‐ Les jeux vidéo violents et les effets sur le système nerveux autonome
Une étude parue en 2009 [22] s’intéressait aux effets des jeux vidéo violents joués le soir sur la
qualité du sommeil. Les conclusions de l’étude sont que les jeux violents engendraient des
réactions du système nerveux parasympathique8 différentes de celle provoquée par des jeux
non violents, ce qui suggère une gestion des émotions par le système nerveux central. Fait
notable, l’étude souligne qu’aucun sujet des deux groupes expérimentaux n’a perçu
subjectivement de différence quant à sa qualité de sommeil.

3.2‐ Les effets neurophysiologiques de la violence dans les jeux vidéo.
René Weber et Klaus Matthiak9 ont montré dans une étude
parue en 2005 [23] le cerveau des joueurs de jeux violents
réagit comme si la violence était réelle. Leur étude portait
sur 13 jeunes hommes allemands de 18 à 26 ans, jouant
chacun aux jeux vidéo, depuis qu'ils ont environ 12 ans, en
moyenne 15 heures par semaine. Les résultats ont démontré
que dès qu'une action violente devenait imminente, les aires
cognitives du cerveau devenaient toutes actives, et que
pendant un combat, on distinguait la fermeture des parties
émotionnelles du cerveau (comme l'amygdale) et des parties
du cortex cingulaire antérieur. Comme on peut le voir à la
figure 13, le schéma d’activité neuronale (simulée en vert)
est le même que celui observé chez des sujets mis en
situation de violence réelle (en bleu) et vécue note les
auteurs. Les auteurs restent prudents toutefois et
n’affirment pas que les jeux violents rendent les joueurs plus
violents. On est devant le paradoxe de l’œuf et la poule; les
joueurs de jeux vidéo violents ont‐ils été rendus plus
agressifs par leurs jeux, ou aiment‐ils jouer à de tels jeux
parce que, à la base, ce sont déjà des personnes agressives ?
La question reste ouverte.                                                       Figure 6— Violence Réelle Vs Anticipé.
                                                                                 Tracé d’électrocardiogramme de la violence
                                                                                 imminente (en violet) vs réelle (en vert)

8
 Système parasympathique ou autonome, ici on parle de la variabilité et de la fréquence des rythmes cardiaques et
les mouvements spasmodiques durant le sommeil.
9
  Klaus Matthiak de l’Université de Aachen en Allemagne est un des pionniers de la neurophysiologie appliquée à
l’étude des effets des jeux vidéo.

                                                        16
Dans une autre étude [24] ont a demandé à des adolescents âgés de 13 à 17 ans n'ayant jamais
eu de problème de comportement, de jouer pendant 30 minutes, soit à un jeu vidéo violent
présentant un avatar réaliste dans un combat militaire très violent, soit à un jeu non violent,
mais engagent. Les résultats comparatifs ont montré que les adolescents ayant joué au jeu
violent ont montré une plus grande activité neuronale au niveau de l'amygdale et moins
d'activité dans les régions proximales du cortex préfrontal (lié au contrôle de soi, de l'attention
et de la concentration).

3.3‐Désensibilisation fonctionnelle du néocortex
Une étude première étude menée par le Dr Bartholow [25] et effectuée par
électroencéphalogramme (mesure d’onde cérébrale) établit un lien entre une consommation
régulière de jeux vidéo violents et la désensibilisation de certaine fonction cognitive. Dans la
première partie de l’expérience, des joueurs réguliers de jeu violent sont exposés à des scènes
de la vie réelle entrecoupées d'images (ou de scènes) violentes, ou négatives, mais sans
violence, tandis que leurs électroencéphalogrammes étaient enregistrés. Dans la deuxième
partie de l’expérience, ces mêmes joueurs ont eu la possibilité de punir un adversaire simulé
dans un jeu vidéo. Il a été remarqué que, pour les sujets ayant le plus d'expérience des jeux
vidéo violents, les réponses P300 (qui accompagnent normalement les réactions d'aversion des
individus face aux scènes agressives) aux images violentes étaient plus petites et plus tardives
que pour les moins expérimentés. Elles étaient cependant normales en ce qui concernait les
scènes négatives sans violence. Pour la seconde partie de l'expérience, il se trouve que les
joueurs ayant eu la plus grande réduction de réponses P300 (les plus expérimentés, donc) ont
infligé les punitions les plus sévères. Dans une étude plus récente [26], le même Dr Bartholow
s’est livré au même type d’expérience sur un échantillon plus grand et est arrivé à des
conclusions similaires. L’étude explique enfin qu’il existe une corrélation entre le niveau
d’agressivité des sujets et leur sensibilité cérébrale à la violence. Plus le cerveau est
désensibilisé, plus les joueurs augmentent le volume du bruit durant la dernière phase de
l’expérience, reflétant une agressivité plus importante.

Finalement, une étude [27] par imagerie cérébrale (IRMf) supporte les résultats obtenus par
Bartholow. Dans cette étude, on montra des images classées en quatre catégories à un groupe
de joueurs masculin; soit agréable, désagréable, neutre et Counterstrike. Les images étaient
présentées aléatoirement et en groupe de cinq. La tâche du participant était d’appuyer sur un
témoin lorsqu’il croyait identifier une image présente dans un des groupes précédents. Les
résultats de l’étude démontrent une activité significativement moins importante des noyaux
amygdaliens lorsqu’on leur présente des images liées à un potentiel émotionnel négatif (image
désagréable). Dans un deuxième temps, une activité plus importante des lobes frontaux et
temporaux a été observée lorsqu’on présenta aux joueurs des images violentes du jeu
Counterstrike. L’hypothèse des chercheurs est que l’activité du cortex préfrontal explique un
mécanisme de protection face à des images qui ont un potentiel négatif en inhibant l’activité du
système limbique. Bref, les résultats de cette étude pointent également dans le sens d’une
désensibilisation du cerveau face à la violence (par une réduction de l’activité des structures
limbiques face à des images violentes.
                                                17
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