VERS UNE ORTHOGRAPHE APPROPRIÉE DU TON POUR LE MOBA

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Série électronique de
              documents de travail,
                SIL Togo-Bénin

VERS UNE ORTHOGRAPHE APPROPRIÉE
        DU TON POUR LE MOBA

  Y5mb5me POUGUINIMPO, C5rin BOONE,
    N5k5ne MINDRI et D5vid ROBERTS

                      2022

 Série électronique de documents de tr5v5il,
        SIL To+o-Bénin, Numéro 16

             https://togo-benin.sil.org/
Série électronique de documents de travail, SIL Togo-Bénin                              Numéro 16

      VERS UNE ORTHOGRAPHE APPROPRIÉE
                       DU TON POUR LE MOBA

            Yambame POUGUINIMPO, Carin BOONE,
                 Nakane MINDRI et David ROBERTS

                                             2022

Éditeurs : Johannes MERZ et David ROBERTS

Résumé : Ce rapport est issu de l’atelier sur la graphie tonale, tenu à SIL Kara du 19 novembre au 6
décembre 2019 encadré par David ROBERTS (conseiller en linguistique, alphabétisation et
éducation, SIL International). Le rapport a été écrit par Yambame POUGUINIMPO (traducteur à
l’Association pour la Traduction, l'Alphabétisation et la Promotion des Écritures en Moba, ATAPEB),
Carin BOONE (Conseillère en linguistique en formation, SIL International), Nakane MINDRI
(traducteur et coordinateur du programme de traduction à l’ATAPEB) et David ROBERTS. Nous
tenons également à remercier Laré KANTCHOA (Coordonnateur de l’École Doctorale Pluri-
disciplinaire de l’Université de Kara), Joseph KOABIKE (coordinateur de la traduction à SIL Togo-
Bénin en retraite) et Jann RUSSELL (linguiste de SIL Togo-Bénin en retraite) pour leur participation
à une discussion sur le contenu de ce rapport par le biais de WhatsApp en aval de l’atelier.

Mots clés : langues gur, moba, orthographe, ton
                                                             © 2022, SIL Togo-Bénin, Lomé, Togo
Le but de la série électronique de documents de travail de SIL Togo et SIL Bénin est de mettre à
la disposition d’un public aussi large que possible des documents basés sur des recherches en
cours concernant les domaines de compétence de SIL, à savoir l’anthropologie et la linguistique
ainsi que leurs applications (ethnographie, contacts interculturels, alphabétisation, traduction).
Les données et les analyses présentées dans ces travaux sont toujours en cours de formulation,
d’où le nom « documents de travail ».
1 La langue moba1

       1.1 Situation géographique et génétique

La langue moba est parlée principalement au Togo (dans la Région des Savanes plus exactement
dans les préfectures de Tône, de Tandjoaré, de Cinkassé et dans le nord de la préfecture de l’Oti).
Elle est également parlée au Ghana (dans le district de Bunkpurugu) et au Burkina-Faso (dans la
région du Centre-Est, plus précisément dans les provinces de Koupélogo et de Boulgou). De façon
générale, la population moba occupe une aire dans l’Afrique occidentale comprise entre les
10°30’ et 11° de latitude nord et 0°15’ de longitude ouest et 0°25’ de longitude est. Que ce soit le
« moba » au Togo ou le « bimoba » au Ghana, chacun de ces deux termes désigne de son côté non
seulement le locuteur mais aussi la langue. La population en 2020 est estimée à environ 414 000
locuteurs2.

Langue à tradition orale, le moba est une langue du sous-groupe gurma de la branche oti-volta
de la famille gur (voltaïque) du phylum Niger-Congo, d’après la classification de Manessy (1971,
1975). Il comprend trois dialectes principaux, à savoir : le yanbann (parlé au sud de Dapaong)
le dagbann (parlé à l’ouest de Dapaong) et le benn (parlé au nord de Dapaong et au sein même
de cette ville). Les Gourmantché ont tendance à appeler « dagbanm » tous ceux qui résident à
l’ouest de chez eux et qui ne parlent pas leur langue, y compris les Moba. Mais lorsque les Moba
eux-mêmes utilisent ce terme, ils se réfèrent au moba de l’ouest. Ce dialecte du moba n’est pas à
confondre avec le dagbani qui est une langue à part entière parlée au Ghana (Laré Kantchoa et
Joseph Koabike, c. p.). Le benn à son tour se divise en benn du nord et benn du sud. La variété
du nord est le parler véhiculaire d’un grand nombre de Moba et c’est le seul dialecte moba qui
soit compris même par les Gourma. En conséquence, c’est ce dialecte qui a été choisi comme
standard.

       1.2 Recherches antérieures

Le moba a bénéficié de plusieurs études linguistiques en commençant avec Prost (1967) qui
analyse le statut phonologique de la voyelle neutre [ə]. Deux études précoces (Reinhard 2009
[1972] ; Russell 1983b) mentionnent déjà les tons. Russell (1983a) dresse une liste des sons
distinctifs. Selon elle, le moba dispose de 20 phonèmes consonantiques et de 7 phonèmes

1
    Nous tenons à remercier Jacques Nicole pour sa relecture attentive du manuscrit du point de vue d’un locuteur
natif du français.
2
    A partir de l’estimation de Gblem-Poidi et Kantchoa (2012), citée dans Eberhard et al. (2020), nous ajoutons 2.6%
par an, qui constitue le taux moyen de croissance annuelle pour le Togo depuis l’an 2000 (UNDESA 2019).

                                                                                                                    2
vocaliques. Reinhard s’aligne avec ce point de vue en ajoutant que « le statut phonologique [des]
voyelles nasales est encore à déterminer » (1984 : 5). Par la suite, Russell (1985) fait une étude
plus rigoureuse prenant en compte la phonématique et la tonématique et démontre le statut
phonologique des voyelles nasales. Une prochaine étude va jeter une lumière à ce sujet (Kantchoa
à paraître). Le même auteur a rédigé ses mémoires de maîtrise (1994) et de DEA (1996) ainsi
que sa thèse (2006) qui se complètent tous les trois pour faire une description générale de la
langue.

Reinhard (1984) met en exergue la structure du substantif et distingue 12 classes nominales
réparties en 8 genres. Bakpa et von Roncador (2012) présentent un résumé du système des classes
nominales. Nous citons également des recherches sur les variantes dialectales (Maire et De
Craene 1978), le syntagme interrogatif (Rialland 1985), la structure du discours (Foulds 1983),
les énoncés (Gangué 2001), la numération (Bakpa 2004), les emprunts (Kantchoa 2008 ;
Yambame 2013), les expressions idiomatiques (Lamboni 2013), et, dans le domaine de
l’anthropologie, une étude de la religion traditionnelle (Koabike 2003).

Le moba a bénéficié de plusieurs études comparatives avec d’autres langues gur, notamment sur
le système tonal (Rialland 1983), les marqueurs aspectuels (Takassi 2000a), la structure
syllabique et orthographe (Takassi 2000b), la ponctuation vocalique (Rialland 2001) les classes
nominales (Takassi 2003) et la mémoire lexicale du concept d’esclave (Pèrè-Kewezima 2010).

La première contribution en lexicologie est celle de Péraud et Reinhard (1967), suivi de Reinhard
(1972) qui nous offre un vocabulaire assez important de la langue. Les ouvrages de Kantchoa
(2006) et de Reinhard (2009 [1972]) comportent eux aussi des lexiques. Le dictionnaire de
Foulds (2008) qui contient 5450 mots et environ 400 expressions idiomatiques peut en outre être
consulté en ligne3.

      1.3 Développement de l’orthographe

Avant 1940, l’église des Assemblées de Dieu avait produit plusieurs documents en moba, dont
des traductions du livre de l’Apocalypse et d’un évangile (vraisemblablement celui de Marc). En
1940, l’église Catholique s’est mise à développer sa propre orthographe, et cette initiative a
ouvert le chemin pour l’élaboration du premier syllabaire (1942), un livret de catéchèse (1945)
et une traduction de l’Évangile de Jean (1966) dont les références exactes sont inconnues.

En 1968, un comité de langue moba a été constitué, et en 1970 le moba fut l’une des langues
(avec l’éwé, le kabiyè et le tem) retenues par le gouvernement togolais pour leur promotion dans

3
    https://www.webonary.org/moba/

                                                                                                3
l’éducation non formelle (Afeli 2003 : 6-7, 128). En 1977, un conseiller de l’UNESCO a travaillé
avec le comité de langue et la décision a été prise de ne plus représenter les voyelles nasales par
une lettre  postposée, à l’instar du français, mais par un circonflexe sur la voyelle.

Une équipe de SIL fut affectée à Dapaong en 19784. Au fil des années, elle a collaboré avec le
comité de langue pour régulariser plusieurs aspects de l’orthographe, dont les voyelles brèves et
longues, les diphtongues, les séquences vocaliques, les occlusives en position finale, entre
autres… Ces travaux ont abouti à la publication d’un guide d’orthographe (Russell 1991). Au fur
et à mesure de ces travaux, il a été constaté que l’emploi du circonflexe pour représenter des
voyelles nasales avait certains inconvénients non précédemment envisagés.

Un colloque a eu lieu en 1996 dans le but d’uniformiser les pratiques orthographiques (SIL 1996).
C’est lors de cette rencontre qu’il a été décidé d’incorporer la lettre  dans l’alphabet pour
l’écriture des noms propres étrangers. La question de l’écriture des voyelles nasales a été
également à l’ordre du jour, mais aucune décision n’a été prise sur ce point. En 2001, SIL a
organisé une expérience quantitative dans les classes d’alphabétisation qui évaluait plusieurs
stratégies possibles (Russell 2001). Les résultats n’ont pas été statistiquement significatifs, mais
la préférence des participants tendait nettement en faveur de l’ancienne graphie des voyelles
nasales, c’est à dire la lettre  postposée. Dans la même année, des représentants d’une
trentaine d’associations locales ont voté, avec 90% du scrutin, en faveur de ce choix.

Les publications pédagogiques les plus récentes sont un syllabaire en deux tomes (ATAPEB
2005a, 2005b), un guide de transition pour les lettrés en français (Koabike 2012), et un cours
destiné aux francophones et anglophones voulant apprendre le moba (Koabike 2005 [1995]).

       1.4 Décideurs et parties prenantes

De nos jours, il n’existe plus de structure spécifique désignée en matière de réforme
orthographique pour la langue moba. Au besoin, on peut réunir les parties prenantes suivantes,
entre autres :

      •   Ministère de l’Action Sociale et de l’Alphabétisation (MASA) par le biais de sa Direction
          Régionale ;
      •   Association pour la Traduction, l’Alphabétisation et la Promotion des Écritures en Ben
          (ATAPEB) ;
      •   ONG Communication pour un Développement Durable (CDD) ;

4
    L’équipe de SIL était d’abord composée de Jann Russell et Sylvia Foulds. Lim Sok Chin (ép. Koabike) l’a rejointe
en 1989.

                                                                                                                  4
•   ONG Cellule d’Appui des Productions Agricoles des Savanes (CEFAB) ;
      •   Association Tin Yal T Kua5 (ATYK, association d’alphabétisation) ;
      •   ONG Flambeau d’Alphabétisation des Ruraux (FAR) ;
      •   ONG Recherche, Appui et Formation aux Initiatives d’Autodéveloppement (RAFIA) ;
      •   ONG Jeunesse Agricole Rurale Catholique (JARC) ;
      •   Association Initiatives et Actions pour le Développement (INADEV) ;
      •   Dirigeants des différentes confessions religieuses (notamment Catholique, Assemblées de
          Dieu, Ministère International de Jésus, Pentecôte, Convention Baptiste, Église Évangélique
          Presbytérienne du Togo (EEPT), sans parler de nombreuses autres petites confessions
          situées à Dapaong ville) ;
      •   Enseignants-chercheurs s’intéressant au moba aux universités de Lomé et de Kara ;
      •   ONG SIL Togo.

       1.5 Conventions pour représenter le ton au Togo

Il n’existe pas de politique officielle pour l’écriture du ton au Togo. La majorité des langues qui
marquent le ton, que ce soit de façon intégrale ou partielle, utilise l’accent aigu (pour représenter
le ton haut) et l’accent grave (pour représenter le ton bas dans les langues à trois tons), car ces
diacritiques sont disponibles sur le clavier français utilisé partout au Togo. Le ton bas dans les
langues à deux tons et le ton moyen dans les langues à trois tons ne sont pas marqués en général.

2 Aperçu du système tonal

       2.1 Corpus et transcription des données

Deux corpus ont été préparés en amont de l’atelier, d’une part un corpus lexical contenant 300
substantifs et 300 verbes, chacun reproduit sur une fiche, et d’autre part un corpus textuel
composé de trois textes interlinéarisés, d’un total de 1207 mots. Les textes s’intitulent
(Tableau 1) :

          Tableau 1 : Titres des textes

          Kuasije laabaal           L’histoire de Kuasije
          Kom kan mal bimɔnŋ        La famine tue les mœurs
          Kunkul dii duol pann      La tortue s’est endettée chez le porc

Dans ce rapport, l’orthographe, qu’elle soit actuelle ou proposée, est représentée entre
, les formes phonétiques entre [crochets] et les formes phonémiques entre /barres

5
    Le nom de cette association veut dire « Épanouissons-nous ».

                                                                                                   5
obliques/. Dans les données phonétiques et phonémiques, les tons haut (H), moyen (M), et bas
(B), sont représentés respectivement par un accent aigu, un macron, et un accent grave surscrits.
Dans les formes phonétiques, la nasalité est représentée par un tilde souscrit [◌̰]. La numérotation
des classes nominales, ainsi que les transcriptions phonémiques, suivent celles de Foulds (2008).

    2.2 Objectifs

Notre objectif pendant l’atelier était de dégager les homographes, c’est-à-dire les ambiguïtés
écrites dans l’orthographe actuelle, et de proposer des stratégies pour les désambiguïser. Pour
atteindre cet objectif, nous avons consacré les premiers jours à relever les oppositions tonales de
surface au sein des substantifs et des verbes. Cette étape avait pour vocation de sensibiliser les
participants aux faits tonals de leur langue, plutôt que d’aboutir, dans un délai trop bref et avec
un corpus trop modeste, à une analyse linguistique du système tonal. Il sera néanmoins utile dans
ce rapport de donner un aperçu de ce dernier, et pour ce faire nous nous appuyons uniquement
sur les travaux antérieurs, notamment Russell (1985) et Kantchoa (2006).

    2.3 Ton de base

Il existe trois tons de base en moba qui constituent les tonèmes de la langue. Le tableau 2,
extrait de Russell (1985 : 165), démontre ces oppositions.

       Tableau 2 : Oppositions tonales dans les verbes et dans les substantifs

             Verbes                                               Substantifs
        H           /kúd́/   donner un coup de poing-PFI              /nánŋ̂/   haine/7
        M           /kūd́/   retirer la cale-PFI                      /nānŋ̂/   scorpion/7
        B           /kùd́/   préparer la pâte-PFI                     /nànŋ̂/   cuisse/7

Dans cette recherche nous considérons que l’unité porteuse de ton est la more, c’est-à-dire
l’unité minimale de longueur phonologique. En moba, toutes les voyelles constituent des mores,
ainsi que les consonnes en position de noyau et de coda syllabique. Tous ces éléments portent
des tons.

    2.4 Processus tonals

Le moba connait plusieurs processus tonals. Selon Russell (1985 : 169-170) la phrase
phonologique subit le downstep automatique, c’est-à-dire que la hauteur d’un ton H ou M est
rabaissée suivant un ton B, et en fait rabaisse le registre entier jusqu’à une pause ou à la fin de
la phrase. Russell mentionne également d’autres processus que Kantchoa (2006 : 43-46) décrit

                                                                                                        6
avec plus de détails. Dans un premier temps, il s’agit de la propagation du ton H sur un ton B
dans les trois contextes suivants :

Si le ton H précède un verbe à ton B (1) :

        1                      
            /nììb̀            kpààǹ/                    /nììb̀              ǵ           kpààǹ/
            [nììp   h
                              kpàà̰]                    [nììp   h
                                                                            ǵ           kpáà̰]
            humain/2          chercher.PFR              humain/2            NEG         chercher.PFR
            Les gens ont cherché.                       Les gens n’ont pas cherché.

Si le ton H est le dernier ton d’un verbe devant un complément d’objet direct à ton B (2) :

        2                     
            /ù          làà                        nììb/̀                  /ù           lāá              nììb/̀
            [ù          làà                        nììp̀ ]
                                                       h
                                                                           [ù           lāá              nííp̀h]
            PS3.SG      se moquer.IPFR             humain/2                PS3.SG       se moquer.IPFR   humain/2
            Il se moque des gens.                                          Il s’est moqué des gens.

Si le ton H est le dernier ton d’un nom déterminant un autre nom qui commence avec un ton B
(le ton M flottant du connectif génitival étant interposé entre les deux constituants) (3) :

        3                 
            /lààl             ̄       kpààùnŋ̀/              /sánbíɛ́n              ̄     kpààùnŋ̀/
            [lààl             ̄       kpààɔ̀ŋ
                                            ̰ ̀]                 ́ bíɛ̃́
                                                             [sãm                  ̄     kpááɔ̀ŋ
                                                                                                ̰ ̀]
            Laal        POSS          pintade/8              Sanbien            POSS      pintade/8
            La pintade de Laal                               La pintade de Sanbien

Dans un deuxième temps, il s’agit de l’assimilation du ton B au ton M si le ton B est le dernier
ton du substantif déterminant dans un syntagme génitival, à cause du ton M flottant du connectif
génitival (4) :

        4   
            /sàànŋ̀               ̄     lùànǹ/
            [sàà̰ŋ̄               ̄     lùà̰ǹ]
            karité/4      POSS          fruit/10
            Le fruit du karité

Selon Kantchoa, il existe de nombreux autres tons flottants qui pourraient être le résultat de la
chute de la voyelle finale du mot. Ceux-ci ont leur influence sur la réalisation des tons lexicaux.

Pour finir, Russell (1985 : 157-158) fait mention des clitiques dont les tons varient selon leur
environnement. Ainsi, par exemple, le ton du clitique  de la focalisation est une copie de

                                                                                                                    7
celui de la more précédente et l’interrogatif  semble recevoir un ton polaire, c’est à dire le
ton inverse au ton précédent.

3 Propositions pour améliorer la graphie tonale du moba

Le but du présent atelier a été de revoir l’analyse tonale du moba avec un regard particulier sur
les éventuelles sources d’ambiguïté dans la langue écrite, telle qu’elle est orthographiée à présent.
Vu l’aperçu général du système tonal que nous avons présenté dans la section 2, et en prenant
compte des expériences que nous avons faites avec la langue lors de notre atelier, nous procédons
maintenant à une présentation de quelques propositions pour améliorer certains aspects de
l’orthographe actuelle.

Notre approche distingue entre deux types d’ambiguïtés écrites. D’un côté, il s’agit de l’ambiguïté
relative, c’est-à-dire un mot orthographique ambigu pour lequel le lecteur peut arriver à la bonne
interprétation avec le support des contextes sémantique et syntactique, même si les tons ne sont
pas marqués. De l’autre côté, il s’agit de l’ambiguïté absolue, c’est-à-dire un mot orthographique
ambigu pour lequel le lecteur ne peut pas arriver à la bonne interprétation si le ton n’est pas
marqué, même à l’aide du support des contextes sémantique et syntactique.

    3.1 Graphie tonale existante

Les tons ne sont pas marqués dans l’orthographe existante, à une exception près, il s’agit de
l’accent aigu sur l’injonctif /ń/  (voir Section 3.3.5 pour plus de précisions).

Écrire le ton de façon intégrale en moba ne serait pas souhaitable pour au moins quatre raisons.
Premièrement, comme nous l’avons vu, il s’agit d’un système tonal mobile, c’est-à-dire que les
schèmes tonals des mots changent selon leur contexte, alors qu’il serait souhaitable de garder
une image fixe pour chaque mot orthographique. Deuxièmement, il existe des différences tonales
dialectales, donc une graphie tonale qui représente fidèlement le dialecte benn ne le ferait pas
forcément pour un autre dialecte. Troisièmement, le fait que les consonnes sont souvent porteuses
de ton pose un problème typographique fâcheux lorsqu’il s’agit d’ajouter des accents aux
consonnes à extensions graphiques verticales, à savoir . Quatrièmement, le
rendement fonctionnel du ton en moba ne semble pas suffisamment élevé pour mériter une
représentation intégrale du ton.

D’autres moyens de désambiguïsation sont déjà en vigueur dans la langue, à savoir les suivants :

   a) l’apostrophe, pour associer au verbe le pronom lorsqu’il assume la fonction de complément
       d’objet direct.

                                                                                                   8
b) le trait d’union, pour faire la distinction entre le suffixe de classe 3 /-nba/ et le pronom
      relatif /nba/ (5). Cette convention est efficace, car sans trait d’union le lecteur pourrait
      interpréter la première voyelle comme étant nasalisée. Pour les autres usages du trait
      d’union, voir la section 3.4.2.

               5           /báà-n̄bà/       pères
                           /báà n̄bá/       le père qui…

                         /cìcíé-n̄bà/     vélos
                         /cìcíé n̄bá/     le vélo qui…

                          /síjè-n̄bà/      soldats
                          /síjè n̄bá/      le soldat qui…

    3.2 Ton lexical

Nous avons pu répertorier 61 paires minimales tonales en feuilletant les substantifs et les verbes
du corpus lexical et du premier texte que nous avons analysé. Voici deux paires de substantifs
(6) et deux paires de verbes (7) en guise d’exemple, et voir aussi le triplet minimal de ton dans
la section 2.3 (Tableau 2).

        6        /pānǹ/     cuisse/10       /pànǹ/     dette/10
                 /dúnn̂/    genoux/10       /dùnǹ/     gémissement, grondement/10

        7       /kpáá/     clouer.PFR      /kpàà/     paître.PFR
                  /dēń/      sécher.PFR      /dèń/      adosser.PFR, s’adosser.PFR

Nous avons analysé trois textes comprenant 1207 mots au total. Pour cela, nous avons écrit
chaque mot unique des textes sur une fiche afin de pouvoir juger d’abord hors contexte.
Malheureusement quelques feuilles sur lesquelles les mots des textes 2 et 3 étaient notés ont été
perdues, ce qui fait que pour ces textes moins de mots uniques ont été analysés. Après avoir
déterminé si un mot était ambigu ou non, nous avons décidé s’il s’agissait d’une ambiguïté
relative (c.-à-d. qu’on peut déduire son sens du contexte) ou absolue (c.-à-d. que son sens ne peut
pas être déduit du contexte).

Le tableau 3 montre pour chaque texte le nombre des tokens, c’est-à-dire le nombre brut de mots
(colonne 2), le nombre des types, c’est-à-dire le nombre brut de mots uniques (colonne 3), le
nombre brut de mots non analysés (colonne 4), le nombre brut de mots uniques non ambigus
(colonne 5), le nombre brut de mots uniques ambigus si le ton n’est pas marqué (colonne 6), puis
les pourcentages d’ambiguïtés jugées relatives (colonne 7) et absolues (colonne 8).

                                                                                                 9
Tableau 3 : Taux d’ambiguïté

        Texte Tokens Types Non                       Non        Ambigus   % d’ambiguïtés   % d’ambiguïtés
                                      analysés       ambigus              relatives        absolues
        1           330      129                 -         51        78               76                2
                                                     (39.53%) (60.47%)          (97.44%)          (2.56%)
        2           417      157             8             75        74               72                2
                                       (5.10%)       (47.77%) (47.13%)          (97.30%)          (2.70%)
        3           460      124             3             63        58               57                1
                                       (2.42%)       (50.81%) (46.77%)          (98.28%)          (1.72%)

Cette analyse révèle clairement que, même si l’orthographe du moba comporte bien des
ambiguïtés si le ton n’est pas marqué, la vaste majorité d’entre elles sont des ambiguïtés relatives
pour lesquelles le lecteur peut donc déduire le sens avec le support du contexte. Les cas
d’ambiguïté absolue, en revanche, concernent en grande majorité des oppositions grammaticales
et c’est de celles-ci qu’il va être question maintenant.

    3.3 Ton grammatical

A partir des ambiguïtés brutes, nous avons parcouru à nouveau le corpus textuel pour retrouver
les cas d’ambiguïtés grammaticales. Nous avons ensuite vérifié si elles sont déjà désambiguïsées
soit par le contexte, soit par une stratégie dans l’orthographe existante. Le cas échéant, nous
avons proposé des stratégies de désambiguïsation. Nous passerons en revue les cas suivants : les
aspects perfectif et imperfectif (section 3.3.1) ; les particules prohibitive et durative (section
3.3.2) ; les conjonctions de coordination et de subordination, la particule négative, et le pronom
relatif (section 3.3.3) ; deux postpositions locatives (section 3.3.4) ; la particule injonctive et
subordonnante /ń/ ; le focalisateur /ǹ/ ; le pronom sujet et encore une particule locative /n̄/
(section 3.3.5) puis les conjonctions temporelle et itérative (section 3.3.6).

       3.3.1 Aspects perfectif et imperfectif

Les aspects perfectif et imperfectif sont distingués soit par un suffixe, soit par la longueur de la
voyelle, soit par une différence tonale, soit par une combinaison de ces marques (Kantchoa 2006 :
171-178). Selon Russell (1985 : 181), dans 41% des cas les aspects ne se distinguent que par le
ton et cette différence n’est pas marquée dans l’orthographe actuelle. Laré Kantchoa (c. p.)
considère que le pourcentage est beaucoup plus élevé, vers 80%. Les tons dans le tableau 4 sont
extraits de Foulds (2008).

                                                                                                        10
Tableau 4 : Graphie existante du perfectif et de l’imperfectif

            Perfectif réel                           /ù máád̀/           il a parlé
            Imperfectif réel                         /ù máád́/           il parle

            Perfectif réel                            /ù kúá/             il est entré
            Imperfectif réel            < u kua >            /ù kúà/             il entre

            Perfectif réel                           /ù lààd̀/           il est sorti de sa cachette
            Imperfectif réel            < u laad >           /ù lààd́/           il sort de sa cachette

            Perfectif réel                           /b̀ síéd̀/          ils s’en sont allés
            Imperfectif réel                         /b̀ sīēd́/          ils s’en vont

            Perfectif réel                            /n̄ dāá/            j’ai acheté
            Imperfectif réel                          /n̄ dàà/            j’achète

            Perfectif réel                           /n̄ fúúń/           j’ai balloté
            Imperfectif réel                        /n̄ fúúnd́/         je ballote

            Perfectif réel                            /n̄ kàl/̀           je me suis assis
            Imperfectif réel                         /n̄ kààl/̀          je m’assieds

            Perfectif réel                            /b̀ càĺ/            elles ont écrasé à moitié
            Imperfectif réel                         /b̀ cààl/̀          elles écrasent à moitié

            Perfectif réel                           /t ̄ súól/̀         nous avons attrapé
            Imperfectif réel                           /t ̄ sò/            nous attrapons

Ceci est de très loin l’ambiguïté la plus grave dans la langue écrite et il nous semble prioritaire
d’en trouver une solution. Nous proposons une stratégie orthographique qui met en exergue la
grammaire (le sens) plutôt que le ton (le son). Il s’agit de l’ajout de deux symboles placés en
position initiale de mot, le symbole 6 pour marquer l’imperfectif et le symbole 7 pour
marquer le perfectif. Cette stratégie n’a en effet rien d’original ; elle était déjà proposée par Jann
Russell il y a 25 ans lors de la dernière réforme (SIL 1996 : 8-9)8.

6
    Code Unicode : U+02D6 (Modifier letter plus sign). https://codepoints.net/U+02D6
7
    Code Unicode : U+A78A (Modifier letter short equals sign). https://codepoints.net/U+A78A
8
    Cependant, Jann Russell (c. p.) a changé d’avis dans l’intervalle. Maintenant elle opterait pour l’emploi des accents
sur les premières syllabes des verbes pour désambiguïser le perfectif de l’imperfectif. C’est une possibilité à laquelle
les décideurs devraient réfléchir, mais il faut que ce soit clairement compris que ces accents représenteraient la
grammaire (le sens) plutôt que le ton (le son), et qu’ils soient présentés ainsi dans les ouvrages pédagogiques.

                                                                                                                     11
Pendant l’atelier, nous avons discuté la possibilité d’écrire ces deux symboles en exposant, pour
éviter une éventuelle confusion avec des symboles mathématiques dans des cours de calcul. Mais
certains collègues informaticiens à SIL ont déconseillé cette stratégie, car elle exigerait une
pénible mise en forme manuelle qui ne serait même pas possible dans un logiciel à texte brut, et
ce serait difficile de créer un clavier adapté au besoin (David Rowe et Lorna Evans, c. p.).
Néanmoins, on pourrait toujours encourager cette pratique dans l’écriture manuelle.

Il convient de noter que cette stratégie s’appliquerait à tous les verbes au perfectif et à
l’imperfectif, pas seulement à ceux qui constituent des paires minimales de ton (Tableau 5). Le
raisonnement est qu’il est plus facile d’apprendre une règle qui s’applique régulièrement à travers
tout un paradigme grammatical que de mémoriser une liste aléatoire mémorisée de paires
minimales de ton.

      Tableau 5 : Graphie proposée du perfectif et de l’imperfectif

        Perfectif réel                          /ù máád̀/     il a parlé
        Imperfectif réel                        /ù máád́/     il parle

        Perfectif réel                           /ù kúá/       il est entré
        Imperfectif réel            < u ˖kua >           /ù kúà/       il entre

        Perfectif réel                          /ù lààd̀/     il est sorti de sa cachette
        Imperfectif réel            < u ˖laad >          /ù lààd́/     il sort de sa cachette

        Perfectif réel                          /b̀ síéd̀/    ils s’en sont allés
        Imperfectif réel                        /b̀ sīēd́/    ils s’en vont

        Perfectif réel                           /n̄ dāá/      j’ai acheté
        Imperfectif réel                         /n̄ dàà/      j’achète

        Perfectif réel                          /n̄ fúúń/     j’ai balloté
        Imperfectif réel                       /n̄ fúúnd́/   je ballote

        Perfectif réel                           /n̄ kàl/̀     je me suis assis
        Imperfectif réel                        /n̄ kààl/̀    je m’assieds

        Perfectif réel                           /b̀ càĺ/      elles ont écrasé à moitié
        Imperfectif réel                        /b̀ cààl/̀    elles écrasent à moitié

        Perfectif réel                          /t ̄ súól/̀   nous avons attrapé
        Imperfectif réel                          /t ̄ sò/      nous attrapons

                                                                                                     12
Dans l’orthographe actuelle, on peut lire l’exemple suivant, extrait du corpus textuel, de deux
manières. Lorsque le morphème de l’itératif /tu/ est suivi du verbe à l’imperfectif, il communique
un sens habituel qui se traduit souvent en français par « régulièrement » (8).

        8     
                   ḡ      bīīd́                ɲīɛ̄nà                  n̄               yáb̀           ì/
                   CNJ    partager-IPFR        voisinage/11            dans             ceux           FOC

                   puis partageait aux gens du voisinage.

En revanche, lorsque le même morphème est suivi du verbe au perfectif il communique un sens
ponctuel et répété qui se traduit souvent en français par « de temps en temps » (9).

        9    
                   ḡ      bīīd́                ɲīɛ̄nà             n̄            yáb̀       ì/
                   CNJ    partager-PFR         voisinage/11       dans          ceux       FOC

                   puis partageait aux gens du voisinage.

Notre proposition rendrait plus aisées la lecture et la compréhension de ces deux phrases, car
toute ambiguïté est effacée (10, 11).

        10    
              Il allait régulièrement au marché, achetait la boisson, puis partageait aux gens du voisinage.

        11    
              Il allait de temps en temps au marché, achetait la boisson, puis partageait aux gens du voisinage.

Ici encore, nous proposons de mettre les symboles devant chaque verbe dans de tels
exemples, même si son aspect est connu, pour être cohérent et pour prévenir les oublis.

                                                                                                                                          13
3.3.2 Particules prohibitive /dāā/ et durative /dáá/

Les particules /dāā/ du prohibitif et /dáá/ du duratif (Kantchoa 2006 : 184, 190) se confondent
facilement dans certains cas car elles occupent la même position syntactique dans la phrase et
elles s’utilisent toutes les deux en combinaison avec l’aspect imperfectif (12, 13).

            12   Graphie existante     
                 Forme phonémique      /ī      dāā       mɔ́ǵ    púób/̀
                                       pS2PL   IMP.NEG   avoir   femme/2
                                       N’ayez pas de femme !

            13   Graphie existante     
                 Forme phonémique      /ī      dáá       mɔ́ǵ          púób/̀
                                       pS2PL   DUR       avoir.IPFR    femme/2
                                       Vous avez encore (pour le moment) des femmes.

Nous proposons de désambiguïser ces particules en écrivant  pour le prohibitif et
pour le duratif. Cependant, il faudrait que les décideurs sachent que, à notre connaissance,
l’emploi du caron (circonflexe renversé) serait un premier dans une langue togolaise. Donc la
décision dépend en partie de savoir si les Moba préfèrent s’aligner aux pratiques de leurs
compatriotes ailleurs, ou s’ils souhaitent une distanciation pour montrer la différence.

Il existe trois autres sens du mot , à savoir : /dāà/ jours, /dāā/ acheter, et /dàà/ qui est
une marque de mise en relief en finale de phrase. Aucun de ces sens ne peut se confondre en
contexte naturels avec les marques du duratif et du prohibitif.

          3.3.3 Conjonctions de coordination /ḡ ~k/̄ et de subordination /ǵ ~ ḱ/, particule
                négative /ǵ ~ ḱ/ et pronom relatif /k/̀

Les conjonctions de coordination /ḡ ~k/̄ 9 (Kantchoa 2006 : 205-207) et de subordination /ǵ ~
ḱ/ (Kantchoa 2006 : 305, 307)10 sont des paires minimales de ton qui se prononcent chacune
voisées ou non voisées selon le dialecte. Puisque l’orthographe est basée sur le dialecte benn, on
écrit  devant un mot commençant par une voyelle et devant un pronom sujet11, et 

9
    La conjonction de coordination se traduit d’habitude en français par « et, puis », mais selon le contexte elle peut
également se traduire par « que, pour, ensuite, de ». Kantchoa (2006 : 207) l’appelle « morphème relateur ». Il est
également utilisé dans le relateur à valeur d’oppositif /k̄ ɲààn/ tandis que (Kantchoa 2006 : 401, 412).
10
     Kantchoa (2006 : 405) l’appelle « morphème de synthèse ». Il se traduit d’habitude en français par « que », mais
selon le contexte il peut également se traduire par « pour » (relateur à valeur destinatif, p. 408, 412).
11
     Selon SIL (1996 : 11), il se prononce également voisé devant des adverbes de manière.

                                                                                                                   14
partout ailleurs (Koabike 2012 : 22-23)12. Le morphème de négation /ǵ ~ ḱ/ (Kantchoa 2006 :
182-183, 312, 389-391), lui aussi, se prononce voisé ou non voisé selon le dialecte.
L’orthographe, basée sur le dialecte benn, l’écrit toujours voisé  (Koabike 2012 : 23-24).

Il existe également un pronom relatif /k/̀ (Kantchoa 2006 : 284, 410) (14)13.

            14   Graphie existante      
                 Forme phonémique       /bōnǹ         n̄bá   k̀    n̄    kpààǹ           ǹ     ɲán̄/
                                        chose/10      REL    REL   1SG   chercher.IPFR   FOC   voici
                                        Voici la chose que je cherche.

Koabike considère que « cela aiderait énormément de marquer… le connectif [c’est-à-dire la
conjonction de coordination] “g” ou “k” qui porte le ton haut » (2012 : 49), et nos travaux
pendant l’atelier viennent confirmer son souhait car trois de ces éléments (les deux conjonctions
et le morphème de négation) peuvent précéder le verbe. C’est pourquoi nous proposons d’écrire
les marqueurs de coordination et de subordination systématiquement avec la lettre , pour
le distinguer clairement du morphème de négation , puis de marquer la conjonction de
subordination avec un accent aigu  et le pronom relatif avec un accent grave   ̀
(Tableau 6).

       Tableau 6 : Graphie proposée des conjonctions, du pronom relatif et du morphème de la négation

                    conjonction de coordination
                   conjonction de subordination
              ̀
                    pronom relatif
                    morphème de négation

           3.3.4 Postpositions locatives /pó/ « vers » et /pō/ « sur »

Les postpositions locatives /pó/ vers14 et /pō/ sur15 (Kantchoa 2006 : 292, 367, 370, 517) forment
une paire minimale de ton et sont des homographes dans l’orthographe standard ; ils s’écrivent
tous les deux . Il s’agit d’une ambiguïté absolue, car le contexte n’aide pas au lecteur à

12
     Dans l’ancienne orthographe, la conjonction de coordination s’écrivait  partout. Mais selon SIL (1996 : 11)
l’expérience sur le terrain d’alphabétisation a montré que le lecteur moyen éprouve des difficultés à faire la
distinction entre les deux prononciations.
13
  Ce morphème est également utilisé en tant que relateur à valeur de simultané /k/̀ pendant que (Kantchoa 2006 :
403, 412) et est un des constituants dans le relateur à valeur justificatif /k̀ l ̀ màá/ parce que (Kantchoa 2006 : 408-
409).
14
     Ce mot est polysémique. Selon le contexte, il peut vouloir dire vers, chez, auprès de, dans, sous…
15
     Ce mot est polysémique. Selon le contexte, il peut vouloir dire sur, au-dessus de, limite de, à cause de, grâce à, dans
le but de, en faveur de…

                                                                                                                        15
faire le bon choix. Syntactiquement, ils apparaissent dans la même position suite au substantif ;
sémantiquement, ils apparaissent dans des situations semblables. C’est pourquoi nous proposons
l’ajout de la lettre  muette en position finale du locatif /pó/ vers (15) pour le désambiguïser
du locatif /pō/ sur qui, lui, resterait inchangé (16).

            15     Graphie existante :         
                   Graphie proposée :          
                   Forme phonémique :          /ŋùàb̀      sīé     bóbl ̂     pó/
                                               chèvre/6    être    jarre/10   vers
                                               La chèvre est vers la jarre.

            16     Graphie existante :         
                   Graphie proposée :          
                   Forme phonémique :          /ŋùàb̀      sīé     bóbl ̂     pō/
                                               chèvre/6    être    jarre/10   sur
                                               La chèvre est sur la jarre.

          3.3.5 Particule injonctive et subordonnante /ń/ ; focalisateur /ǹ/ ; pronom sujet et
                    particule locative /n̄/

Le terme /n/ comporte non moins de cinq sens différents (Tableau 7).

           Tableau 7 : Graphie existante et différents sens de la particule /n/

                                                                               Kantchoa (2006)
            /ń/          injonctif16                                        p. 88-90
            /ń/          subordonnant       17
                                                                               -
            /ǹ/          focalisateur  18
                                                                               p. 102-103, 108-109, 357, 375,
                                                                               379-380
            /n̄/         pronom personnel de la 1 personne du
                                                             e
                                                                               p. 299-301
                            singulier19
            /n̄/         postposition locative « dans »                     p. 369, 373

Parmi cette multiplicité de sens, ce sont l’injonctif /ń/ et le focalisateur /ǹ/ qui ont le plus fort
risque de se confondre lors de la lecture, surtout quand le sujet de la phrase est un nom, car ils

16
     Koabike (2012 : 23-24) appelle ce morphème « particule d’obligation ». Kantchoa (2006 : 88-90) l’appelle
« morphème de synthèse ».
17
     Kantchoa (2006) ne fait aucune référence à ce morphème. Nous l’avons trouvé dans Foulds (2008 : 187).
18
     Kantchoa (2006 : 102) transcrit ce morphème deux fois avec un accent aigu ; sans doute ce sont des fautes de
frappe.
19
     Ce pronom personnel jouit des fonctions de sujet (je), de complément d’objet (me, à moi) et de possessif (mon, ma,
mes) selon sa position syntactique.

                                                                                                                   16
occupent les mêmes positions dans la phrase. C’est vrai que l’orthographe standard met un accent
aigu sur l’injonctif  pour le désambiguïser (Koabike 2012 : 23-24 ; SIL 1996 : 7), mais il
n’est pas rare de rencontrer des textes dans lesquelles il s’écrit sans diacritique, soit par oubli soit
par non-maîtrise de la règle. C’est pourquoi nous proposons qu’on mette systématiquement un
accent grave sur le focalisateur , et il serait logique également de marquer l’injonctif avec
un point d’exclamation en position finale de phrase tout comme à l’impératif (voir Section 3.3.2).
Ainsi on arrive à désambiguïser les trois morphèmes, l’injonctif, le subordonnant, et le
focalisateur (Tableau 8).

       Tableau 8 : Graphie proposée de l’injonctif, du subordonnant, et du focalisateur

           /ń/             injonctif
           /ń/                 subordonnant
           /ǹ/                 focalisateur

En guise d’illustration, appliquons cette proposition aux exemples cités dans le rapport du
colloque (SIL 1996 : 7) (17 - 19).

           17    
                 /bád̀     ń          bààĺ        yèǹ       yàl ̀    ŋān̄/
                 chef/1    INJ        venir-PFI   avec      ce qui   être bon
                 Que le chef vienne avec ce qui est bon !

           18    
                 /bád̀     ń          bààl ̀      yèǹ       yàl ̀    ŋān̄/
                 chef/1    SUB        venir-PFR   avec      ce qui   être bon
                 Quand le chef est venu avec ce qui est bon...

           19    
                 /bád̀     ǹ          bààl ̀      yèǹ       yàl ̀    ŋān̄/
                 chef/1    FOC        venir-PFR   avec      ce qui   être bon
                 C’est le chef qui est venu avec ce qui est bon.

Mettre l’accent grave sur le focalisateur /ǹ/ aiderait également à le désambiguïser de la
postposition locative /n̄/  dans, qui peut parfois occuper la même position dans la phrase.

Pour ce qui est du pronom de la 1e personne du singulier /n̄/  je, mon, ma, mes, il ne peut
jamais se confondre avec les autres sens répertoriés dans le tableau 8 car, quelle que soit sa
fonction (de sujet ou de possessif), il n’occupe jamais la même position syntactique qu’eux (20,
21).

                                                                                                     17
20   
                /n̄      dāá                  bònŋ̀/
                PS1SG    acheter-PFR          âne/7
                J’ai acheté un âne.

           21   
                /n̄        bònŋ̀      lùòĺ
                PP1SG      âne/7      attacher-PFR
                Mon âne est attaché.

Le même pronom, lorsque sa fonction est de complément d’objet /n̄/ me, ne pose pas de problème
particulier non plus, car il s’écrit collé au verbe par une apostrophe  dans l’orthographe
actuelle (Koabike 2012 : 43-36) (22).

           22   
                /bònŋ̀      bèĺ n̄/
                âne/7       poursuivre-PFR-CO1SG
                L’âne m’a poursuivi.

          3.3.6 Conjonctions temporelle /yāān̄/ et itérative /yààń/

Les conjonctions temporelles /yāān̄/ quand et l’itérative /yààń/ de nouveau sont des paires
minimales de ton (Kantchoa 2006 : 189-190, 192-193) qui sont des homographes dans
l’orthographe actuelle. Ils peuvent se confondre dans des contextes tels les suivants (23 - 26).

           23
u              la             a         dɔnn.>
                   ù              lâ             ā         dɔ́nn̄/
                   PS3.SG         voir-PFR       PP2SG     ami/1
                   il a vu ton ami.

            25   
                 /lánn̂     ń          yāān̄   bààl/̀
                 Cela       SUB        quand   venir-PFR
                 Quand cela est arrivé encore…

            26   
                 /lánn̂     ǹ           yààń   bààl/̀
                 Cela       FOC         ITR    venir-PFR
                 C’est cela qui est arrivé de nouveau.

Avouons que ce genre d’ambiguïté est plutôt rare dans les textes, et qu’elle est souvent relative,
car la conjonction temporelle /yāān̄/ s’utilise uniquement dans des phrases complexes, alors que
l’itératif /yààń/ peut s’utiliser dans des phrases simples. Malgré cela, nous proposons d’écrire la
conjonction temporelle avec un circonflexe 21 et l’itératif avec un accent grave .

       3.4 Ambiguïtés non-tonales

Dans le courant de nos recherches, nous avons identifié trois cas potentiels d’ambiguïté qui ne
sont pas liés au système tonal mais que nous avons jugé bon d’inclure dans le rapport pour ne
pas qu’ils soient oubliés. Il s’agit des particules future, consécutive et ablative (section 3.4.1) ;
les digraphes et les séquences consonantiques (section 3.4.2) ; puis l’usage du trait d’union
(section 3.4.3).

          3.4.1 Particules future /tàǹ/, consécutive /tàǹ/, et ablative /tàǹ/

Le terme /tàǹ/  est un homophone homographe ayant trois sens, à savoir futur, consécutif
ou ablatif.

La particule temporelle /tàn/  marque le futur dans des contextes proche (27) ou lointain
(28) (Kantchoa 2006 : 186, 199-201).

21
     Proposer l’utilisation de l’accent circonflexe en moba est délicat, car il était utilisé dans l’ancienne orthographe
pour indiquer la nasalité. Il faudrait le tester pour voir son acceptabilité. Il serait peut-être plus simple d’employer
un accent aigu pour la conjonction temporelle /yāān/ .

                                                                                                                     19
27    Graphie existante              
              Forme phonémique               /dāājūōùg̀            t̄          tàǹ    bǔ        bààĺ          ŋààg̀/
                                             soir/8                PS1.PL      FUT    FUT       venir-PFI     maison/7
                                             Le soir nous viendrons à la maison.

        28    Graphie existante              
                                             bààĺ            ḡ          gááĺ             t̄            púò/
                                             venir-PFI       CNJ        prendre-PFI      PP1.PL        femme/1
                                                                        prendre notre femme.

Dans les exemples 27 et 28, les circonstanciels de temps  soir et  année
prochaine enlèvent toute ambiguïté entre le futur proche et le futur lointain. De plus, d’autres
mots dans le contexte, comme par exemple les actualisateurs – terminologie empruntée à
(Kantchoa 2006 : 180) –  /bǔ/ ou  /káń/, aident énormément à éviter toute
confusion.

Quant à la particule consécutive /tàǹ/, Kantchoa démontre qu’il s’agit d’un « morphème [qui]
permet d’indiquer que le moment du procès du verbe qu’il marque est consécutif à d’autres
procès » (2006 : 190) (29, 30).

       29    
                            k̄          ù    tàǹ                 yíè                  ’òg̀/
                            CNJ         il   CONS                refuser-PFR          lui
                            et elle l’a finalement refusé.

        30    
              /ù        bō         sìɛ̀ǹ              ì      ḡ          tàǹ    bāá/
              PS3.SG    PASS       courir-PFR         FOC    et         CONS   tomber-PFR
              Il courait et il est tombé.

Ce morphème ne peut jamais se confondre avec la marque du futur /tàǹ/. Les circonstanciels de
temps ainsi que le reste du contexte permettent d’éviter toute ambiguïté à l’écrit.

                                                                                                                         20
Pour ce qui est de l’auxiliaire ablatif /tàǹ/, il « indique que le procès exprimé par le verbe tend
vers une direction qui se situe dans la proximité de l’élocuteur » (Kantchoa 2006 : 200) (31).

            31     
                   /bààĺ            ḡ      tàǹ      gààĺ               bíg̀/
                   venir-IMP        CNJ    ABL      prendre-PFI        enfant/8
                   Viens prendre l’enfant !

Cet auxiliaire ne peut lui non plus se confondre avec la particule temporelle /tàǹ/ du futur, et
encore moins avec le consécutif /tàǹ/. Il est toujours utilisé à l’impératif perfectif.

Bref, bien que le terme  soit ambigu en isolement, il est toujours désambiguïsé soit par
l’ajout des circonstancielles, soit par le reste du contexte. Donc il n’est pas nécessaire de proposer
un changement dans l’orthographe.

           3.4.2 Digraphes vs séquences consonantiques

Dans l’orthographe existante, il existe deux digraphes qui risquent de se confondre avec les
séquences consonantiques correspondantes. D’une part, l’occlusive labio-vélaire /g͡b/ et la
séquence composée des occlusives vélaire et labiale /gb/ s’écrivent de la même manière 
(32). D’autre part, la nasale palatale /ɲ/ et la séquence consonantique composée d’une nasale
alvéolaire et une approximante palatale /ny/, elles aussi, s’écrivent de la même manière 
(33).

            32                  /g͡bènŋ̀/                         (être) gros
                       22
                                        /bɔ̀gbíg̀/ [bɔ̀g bíg̀ ]
                                                           ə       ə
                                                                          petit sac
                              /ɲɔ́gbínn̂/ [ɲɔ́g bin̰̂́ ]
                                                               ə
                                                                          comprimé

            33                 /cànyììǹ/ [cà̰yììǹ]               complètement
                                  /ɲám̀ /                           urine

La confusion est très rare entre /g͡b/ et /gb/ et encore plus rare entre /ɲ/ et /ny/, mais si le
besoin se fait ressentir23, on pourrait utiliser le tréma pour indiquer les séquences à l’instar de
l’orthographe française, qui l’utilise elle sur des voyelles, et ainsi obtenir . Nous
n’avons pas discuté cette possibilité en profondeur pendant l’atelier, mais on remarquera qu’elle
est utilisée avec succès en langues nawdm et tem au Togo. Nous ne trouvons pas d’exemples
d’ambiguïté ni entre /k͡p/ et /kp/ ni entre /ŋ͡m/ et /ŋm/.

22
     Joseph Koabike (c. p.) se demande si réellement ce terme est benn du nord.
23
     Jann Russell (c. p.) considère que cette stratégie est superflue.

                                                                                                   21
3.4.3 Trait d’union

En plus de son emploi pour distinguer entre les suffixes de classes et le pronom relatif (voir
Section 3.1), le trait d’union est également utilisé pour indiquer la réduplication partielle (34)24
pour séparer les éléments morphologiques au sein des noms propres (35)25 ainsi que certaines
notions précédemment inconnues (36) (Koabike 2012 : 48).

            34             /yìɛ̀lbīd̀bīd̀/            des petites maladies
                          /bōnjēnîjēnî/              des choses très courtes
                           /jāfàgd̀fàgd̀/             des hommes gigantesques

            35            /dāābén̄kūá/               Que je ne sois pas seul ! (lit. ne-
                                                                   pas être seul)
                          /káńpúàtálĝ/               Je n’exercerai pas ma force sur le
                                                                   faible (lit. ne-pas taper pauvre)
                         /bâǹ-lā-ǵ-cégd́ /          Qu’il voit et qu’il le sache (lit. ils-
                                                                   voir-pour-devenir sage )

            36   < Salg-yidkua >        /sálĝyíd́kūà/              sacrificateur (lit. sacrifice-offre-
                                                                   propriétaire)
                                                    case)

Si on écrivait les noms propres de façon disjointe sans trait d’union, ils risqueraient de se
confondre avec des phrases ordinaires, et si on les écrivait de façon conjointe sans trait d’union,
les mots polysyllabiques résultants pourraient entraver la lecture fluide.

       3.5 Résumé des propositions

Nous résumons nos propositions de réforme orthographique ainsi :

      1. Ajouter le symbole  pour marquer l’imperfectif et le symbole  pour marquer le
           perfectif en position initiale de verbe ;

24
     La réduplication totale, en revanche, s’écrit de façon disjointe, p. ex.  cinq cent francs par unité (lit.
cinq cent francs cinq cent francs),  petit à petit (lit. un peu un peu), tonm tonm vite vite (Koabike 2012 :
48). La raison pour cette distinction orthographique n’est pas claire.
25
     Contrairement aux autres mots composés qui, eux, s’écrivent de façon conjointe sans trait d’union, p. ex.
 harceleur (lit. homme coureur qui dégoûte),  calebasse de la prise
d’une nouvelle femme (lit. fiancé prendre calebasse).

                                                                                                                      22
2. Ajouter un caron (circonflexe renversé) sur la particule  du prohibitif et un accent
       aigu sur la particule du duratif  ;

   3. Ajouter un  muet au locatif /pō/  vers pour le distinguer du locatif /pó/ sur
        ;

   4. Ajouter un accent grave sur la particule focalisateur  pour mieux le distinguer de
       l’injonctif  et de la particule de subordination  ;

   5. Ajouter un accent circonflexe sur la conjonction temporelle /yāān̄/  un accent
       grave sur l’itératif /yààń/  ;

   6. À la limite, ajouter un tréma sur les séquences consonantiques  pour les
       distinguer des consonnes  respectivement.

En guise de conclusion, il faut souligner que ce rapport ne fait pas autorité. Il se limite à un
simple bilan de nos activités pendant l’atelier ainsi que de nos discussions ultérieures à distance
par le biais de WhatsApp. Il serait souhaitable de faire des expériences au sein de classes
d’alphabétisation pour tester la faisabilité de nos propositions du point de vue de la fluidité et de
la compréhension lors de la lecture. En fin de compte, il revient aux acteurs au sein de la
communauté moba de réfléchir sur le contenu de ce document et de décider quelles propositions
mériteraient d’être formellement adoptées.

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