#13 - URGENCE & RÉSILIENCE
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01 L’ÉDITO | P.3 RedessineR LE MoNDE DE DEMAIN Christine KOLB | Associée Fondatrice 02 LA TRIBUNE | P.4 L’AvENIR seRa ce que nous en feRons Jean-Guillaume PéLADAN | Directeur de la Stratégie Environnement 03 À LA DÉCOUVERTE DE L’ISR | P.7 LE CAPITAL HUMAIN, au coeuR de La ResiLience de L'enTRePRise Sabrina RITOSSA FERNANDEZ | Analyste, spécialiste ESG | P.7 ÉvoLUTIoN des modes de TRavaiL eT des maRques emPLoyeuRs Entretien avec Jérémy CLéDAT | Co-fondateur de Welcome to the Jungle | P.17 TRANSITIoN ÉCoLoGIqUE : La cRise saniTaiRe change-T-eLLe La donne ? Anne-Claire ABADIE | Gérante, spécialiste environnement | P.22 04 L’ANALYSE | P.30 LE LUxE face aux défis du monde de demain Entretien avec Frédéric PONCHON | Gérant associé 05 LES TWEETS ISR | P.38 06 LA LIBERTÉ DANS L’ENGAGEMENT | P.40 L’ISR BY SYCoMoRE 07 SYCOMORE ASSET MANAGEMENT | P.51 UNE SoCIÉTÉ DE GESTIoN ENGAGÉE 08 LES PLUS | P.54
01 L’ÉDITO REDESSINER LE MoNDE DE DEMAIN Christine KOLB | Associée Fondatrice “ La crise sanitaire que nous traversons est un véritable séisme pour notre société : elle fragilise les entreprises, bouleverse nos quoti- diens, affecte les plus démunis, creuse les inéga- lités et précarise l’avenir des jeunes. A l’urgence d’une reprise économique s’ajoute aujourd’hui l’absolue nécessité d’accélérer la transition éco- logique et solidaire. Nous assistons déjà à une transformation des com- portements pour un mode de vie plus responsable, croissance durable. Les entreprises doivent désormais apprendre à naviguer entre « durabilité » - conserva- tion des emplois, préservation de la biodiversité, di- minution du transport, … - et « innovation » - partenariats stratégiques inédits, technologie respon- sable, produits et services différenciés en réponse à des besoins émergents, rapports au travail améliorés - dans une logique de résilience. La crise sanitaire et ses conséquences ne sont qu’une illustration de plus des combats environnementaux, plus sobre, moins effréné, et les entreprises n’auront sociaux et sociétaux qu’il nous faut mener. Elle réaf- d’autre choix que de s’adapter et de faire preuve firme le rôle clé que jouent les entreprises dans ces d’agilité, voire même de repenser leur modèle éco- évolutions : chacune doit s’approprier les nouvelles nomique, pour assurer leur pérennité : revue de leur règles du jeu, se renouveler, mobiliser et donner de structure organisationnelle, prise en compte de l’im- nouvelles perspectives. Comme le disait Winston pact de leurs activités sur l’environnement, contri- Churchill, « mieux vaut prendre le changement par la bution sociétale de leurs produits et services, main, avant qu’il nous prenne par la gorge ». C’est relocalisation pour plus de proximité, de réactivité, aussi notre conviction. En tant qu’investisseurs enga- simplification des chaînes d’approvisionnement... gés, nous souhaitons être force de ce progrès et Aujourd’hui, des pans entiers de l’économie sont mis sommes plus que jamais sur le terrain pour accompa- à mal, à l’image du secteur du tourisme. Certains se- gner les entreprises qui ont compris que les succès ront amenés à se transformer radicalement ou tout de demain seront responsables ou ne seront pas. simplement à disparaître, non sans heurts. ” Bonne lecture ! Mais à chaque chose, malheur est bon. La crise inter- roge les entreprises sur leur capacité de résilience, leur aptitude à faire face à un traumatisme et à adop- ter les meilleures pratiques. Elle place sur le devant de la scène celles qui avaient d’ores et déjà trans- formé leurs organisations, celles qui s’étaient enga- gées dans des démarches plus responsables, plus sociales, celles qui s’étaient donné les moyens d’une Christine KOLB L’ISR Way - Urgence & résilience | 3
02 LA TRIBUNE L’AvENIR SERA CE qUE NoUS EN fERoNS Jean-Guillaume PéLADAN | Directeur de la Stratégie Environnement “ « Ce que nous vivons en ce moment n’est rien de moins qu’un véritable miracle sociologique. Quelque chose d’incroyable est en train de se pro- duire. Le monde ralentit », écrivait le philosophe Hartmut Rosa1 en plein confinement. Ce que nous enseigne la tragédie du Covid-19 est avant tout un élargissement fulgurant de notre champ des possibles. Ce qui était encore inenvisa- geable il y a encore quelques mois est devenu une réalité, à l’image de ces quelques exemples : • Une expérience forcée de sobriété engendrant une baisse drastique des pollutions d’origine hu- maine, et notamment des émissions de gaz à effet de serre. La pandémie du Covid-19 pourrait Changer La donne, en nous rappeLant tout d’abord à queL point notre ContrôLe sur Le monde est une iLLusion. • Une volonté forte de protéger la vie de person- et La profonde Crise éConomique nes vulnérables aux dépens de l’économie ; initiée ouvre La porte à des voies jusqu’iCi inexpLorées. • Une décroissance mondiale qui n’est pas sans rappeler celle des guerres mondiales ; Si la notion de business as usual doit être revisitée, • Un contexte inédit qui fait ressortir les inégalités notamment dans des secteurs pour lesquels la crise mais soulève par ailleurs un vent de solidarité ; a purement et simplement conduit à un arrêt com- plet de l’activité -restauration, hôtellerie, événemen- • Une prise de conscience mondiale qui milite tiel-, le télétravail a fait ses preuves, ses vertus ayant pour un comportement citoyen plus responsable convaincu même les plus sceptiques : plus grande et qui relance le débat d’une meilleure répar- flexibilité pour un meilleur équilibre vie privée / vie tition des richesses ; professionnelle, gain de temps de trajet, … Il est sou- haité, voire souhaitable dans nombre de métiers. • Une baisse des marchés boursiers en début Par ailleurs, l’e-commerce a explosé. Si d’aucuns l’ont 2020 plus rapide que l’effondrement de 1929… découvert, d’autres ne jurent que par lui et la survie suivie d’un rebond presqu’aussi rapide ; de nombre d’entreprises repose sur ce canal de 1 Tiré d'un article intitulé « Le miracle et le monstre - un regard sociologique sur le Coronavirus » du 10 mai 2020, Harmut Rosa, philosophe.
distribution désormais incontournable. Enfin, une Premièrement, des épisodes pandémiques se repro- chaîne d’approvisionnement plus courte est devenue duiront inévitablement. Nous avons organisé les un avantage compétitif. conditions de leur émergence plus fréquente et de leur propagation plus rapide3, notamment avec la Ainsi, de nouvelles façons de vivre se sont installées forte progression de la biomasse d’élevage qui repré- au moins temporairement, de nouvelles manières de sente aujourd’hui 14 fois la biomasse des mammifères travailler, plus immobiles, et de consommer, plus sauvages et 2 fois celle des humains4. Le récent rap- saines, plus simples, plus locales, en écho au mouve- port de la Fondation pour la Recherche sur la Biodi- ment slow food2 (https://slowfood.fr/) ou de la vie ra- versité précise de plus que « la science met en lentie - slow life ? – que nous avons expérimentée. évidence de façon croissante des corrélations entre changements environnementaux globaux, perte de biodiversité et des services de régulation associés, et émergence, ou augmentation, de la prévalence de maladies infectieuses. Le risque zoonitique peut être accru par l'érosion de la biodiversité via des facteurs écologiques, épidémiologiques, adaptatifs et évolu- tifs, et anthropiques5 ». L’érosion de la biodiversité étant la limite planétaire la plus largement dépassée, nous sommes bien loin d’inverser le rôle de ce facteur aggravant. Deuxièmement, le « retour à la normale » n’est pas sou- haité par une majorité de citoyens et de dirigeants, de par le monde entier, sous des formes très diverses, mais notamment chez les jeunes à la recherche de nou- veaux imaginaires, loin des inégalités que la crise am- plifie encore et des aberrations de nos modes de vie ou de la mondialisation. Ce monde où, très souvent, ceux qui ont les emplois les plus utiles sont les moins Source : Côté Loisirs News (http://coteloisirs-news.com) 16 avril 2020 : article « Slow Food France bien rémunérés, à l’instar du personnel soignant en pendant la période de confinement... » rédigé par Corinne Préteur et publié depuis Overblog. première ligne, comme le pointe l’anthropologue David Graeber6. Partout dans le monde, des voix Les plus cyniques nous disent que nous allons vite rat- s’élèvent pour ne plus refaire comme avant7. traper le temps perdu et que nous reprendrons rapi- dement notre course d’avant. Cependant, nous Troisièmement, nous avons assisté à la plus grande pensons que des transformations majeures s’opèrent expérience jamais conduite d’évaluation à l’échelle déjà et façonneront le monde de demain, et ce, pour mondiale de l’utilité sociétale des activités écono- trois raisons. miques. Chaque pays a classé ces activités entre 2 Mouvement né en Italie dans les années 1980 devenu mondial aujourd’hui, cf. https://www.slowfood.com/fr 3 Pour une vision vulgarisée du sujet dans un format vidéo très sympathique, voir Les futures épidémies que nous vivrons - DBY #68 sur https://youtu.be/VJNt1AQ8p2A 4 Estimation en poids d’atomes de Carbone, issue de The biomass distribution on Earth, 2018, https://www.pnas.org/content/115/25/6506 5 Rapport de la FRB paru 15 mai 2020, https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-35512-covid-19-biodiversite-frb.pdf 6 Bullshit jobs, éditions Les Liens qui Libèrent, 2018. 7 Sycomore AM a rejoint par exemple l’European Alliance for Green Recovery en mai 2020. L’ISR Way - Urgence & résilience | 5
celles qui pouvaient être arrêtées ou ralenties et celles qui devaient absolument être maintenues. Les résultats de cette expérience inédite laisseront des traces et elles nous sont d’ores et déjà très utiles Dans notre métier de la gestion d’actifs, la crise a pour évaluer la contribution sociétale des modèles révélé, en accéléré, la résilience des stratégies ISR économiques dans lesquels nous investissons. Les authentiques et la pertinence des thématiques so- métiers non prioritaires - transport aérien, tourisme, ciales, sociétales et environnementales que nous mode, automobile, beaucoup de formes de loisirs et portons. Jouera-t-elle le rôle de catalyseur pour une d’activités culturelles - ne peuvent plus revendiquer finance utile et responsable ? la même utilité sociétale que les activités jugées es- sentielles ou vitales, comme les utilities (énergie, eau, déchets, propreté), les télécommunications, l’alimentation, l’éducation ou la santé, et toutes les chaînes de sous-traitance qui les font tourner. Les En résumé, notre conviction est que cette crise métiers jugés de facto non prioritaires seront à nou- ouvre une opportunité historique pour dessiner un veau touchés par les prochains états d’urgence, monde plus agile, plus responsable, moins fébrile, qu’ils soient d’origine sanitaire, environnementale ou qui place le capital humain et le capital naturel au politique. Le confinement de l’économie va laisser cœur de ses arbitrages. Il est urgent de nous orienter des traces et, en tant qu’investisseur, nous avons collectivement vers des trajectoires différentes, loin beaucoup d’enseignements à tirer de ce stress-test du défunt business as usual et vers des sociétés plus mondial d’utilité. écologiques et solidaires. Contribuer à ce virage est au cœur de notre mission pour développer une éco- Contribuer à Ce virage est au Cœur de notre mission pour déveLopper une éConomie pLus durabLe et inCLusive et générer des impaCts “ nomie plus durable et inclusive et générer des impacts positifs pour l’ensemble de nos parties prenantes. Ainsi le monstre Covid pourrait nous ouvrir des oppor- tunités historiques vers plus de solidarité, moins de frénésie, plus de sérénité, moins d’aberrations environ- nementales, en un mot plus de résilience pour tous... A l’horizon, mirage ou miracle… l’avenir sera ce que positifs pour L’ensembLe de nos nous en ferons. parties prenantes. Source : Wallpapers Home
03 À LA DÉCOUVERTE DE L’ISR La crise sans précédent que nous traversons au- jourd’hui démontre l’interconnexion des enjeux so- ciétaux, sociaux, économiques et environnementaux. Elle interroge les entreprises sur leur capacité à faire face à une telle crise, ainsi que sur leur utilité, leur rai- son d’être et leurs leviers d’action pour relever les défis auxquels est confrontée la société. Elle met aussi en évidence l’urgence pour l’Etat, l’in- vestisseur, le consommateur, de privilégier ces entre- prises dont l’activité témoigne d’un fort impact social et/ou environnemental. Sabrina RITOSSA FERNANDEZ Analyste, spécialiste ESG Entretien avec Jérémy CLéDAT Co-fondateur de Welcome to the Jungle Anne-Claire ABADIE Gérante, spécialiste environnement L’ISR Way - Urgence & résilience | 7
LA CRISE, mIROIR DES DéfAILLAnCES ET DES LE CAPITAL fORCES En cette période de remise en question générale, HUMAIN et alors que les gouvernements ont été amenés à prendre des mesures d’une ampleur inédite, les entreprises ont plus que jamais dû endosser une AU CœUR DE responsabilité sociale et sociétale vis-à-vis de leurs parties prenantes. LA RÉSILIENCE Il y a eu une véritable menace pour celles dont la structure organisationnelle n’offrait pas la flexibi- DE L'ENTREPRISE lité nécessaire à la mise en œuvre de mesures ex- traordinaires, ou une opportunité à saisir pour les plus agiles, capables de s’adapter efficacement. Ces dernières ont réagi, guidées par l’impératif de réalité : modifier les conditions de travail, rééva- Chez Sycomore Am, nous avons depuis longtemps la luer des objectifs devenus obsolètes, le tout en conviction que le capital humain constitue un puissant s’appuyant sur l’engagement de chaque collabo- levier de création de valeur pour l’entreprise. La satisfac- rateur. tion et la loyauté de ses collaborateurs influencent sa pro- ductivité, ses rendements et sa performance boursière à Ces décisions de court terme qui affectent le ca- long terme1. C’est un phénomène qui s’étend d’ailleurs pital humain peuvent représenter des avantages au-delà de la sphère des entreprises. Chaque année, le concurrentiels sur le long terme et avoir des im- forum économique mondial de Davos publie, avec le plications durables, tant positives que négatives, cabinet de conseil RH Mercer, un rapport qui identifie « pour la santé de l’entreprise. Elles suscitent égale- les pays les mieux placés pour contribuer au dévelop- ment de nombreuses questions. Demain, sur quoi pement des salariés, et pour favoriser le potentiel de capitaliseront ces entreprises ? Qu’est-ce que la croissance et la réussite économique », et qui se fonde crise révèle de leurs modèles économiques et or- sur 4 piliers : l’éducation, la santé et le bien-être, l’emploi ganisationnels, de leurs modes de travail, de leurs et le travail ainsi que les facteurs permettant la transfor- valeurs ? Ce sont souvent les mouvements de rup- mation de ces atouts en performance économique. ture qui font véritablement avancer les choses. en tant qu’investisseurs responsabLes, nous nous gardons enCore de disCours trop idéaListes sur Le monde d’après et sommes très attentifs à L’évoLution des pratiques au sein des entreprises. pLus que jamais Ces dernières semaines, nous nous tenons au pLus près des dirigeants, pour évaLuer L’im- paCt de La Crise sur Leur aCtivité et Leur CapaCité à soutenir Leurs parties prenantes, en partiCuLier Les CoLLaborateurs, pendant La Crise ainsi que dans La phase de reprise. 1 Source : étude menée par le professeur Alex Edmans (https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=985735), appuyée par les analyses menées par Sycomore AM.
donneR des perspeCtives eT du sens Bien que l’on manque encore de recul pour l’évaluer, valeurs du groupe ? Les engagements pris pour pré- nous sommes convaincus que la manière dont l’en- server le capital humain seront-ils tenus ? Les recours treprise a traité ses collaborateurs en cette période aux dispositifs d’aides publiques ont-ils été cohérents de crise aura –a déjà- un impact direct sur leur ni- avec la situation de l’entreprise ? Les promesses des veau de satisfaction, de loyauté et d’engagement. équipes dirigeantes ont dû se traduire en actes pour Les précédentes crises l’ont déjà illustré : les struc- affirmer ou réaffirmer la volonté des entreprises de tures qui parviennent le mieux à maintenir ou relan- valoriser avant tout leurs collaborateurs. cer leur croissance sont souvent celles qui ont su créer une culture d’entreprise forte et l’utilisent En cela, l’engagement pour le maintien de l’emploi comme instrument de motivation interne. et des salaires a constitué selon nous un élément stratégique : il rappelle à l’ensemble des collabora- Ces périodes génèrent instabilité, anxiété, elles peu- teurs que l’entreprise compte sur eux pour traverser vent engendrer des réductions de coûts et/ou des ef- une période difficile, il ravive le sentiment d’appar- fectifs, des mesures pouvant remettre en cause le tenance, confirme la mission de chacun et maintient niveau de vie des salariés. Elles peuvent donc être à l’exigence de performance. l’origine d’un désengagement des collaborateurs. Le discours tenu par la direction est-il en ligne avec les Danone fait partie des entreprises qui ont fait du maintien de l’emploi une priorité. Le groupe a en effet communiqué dès la fin mars que les contrats de travail de ses 100 000 salariés seraient sécurisés jusqu’au 30 juin, avec des salaires garantis au niveau mondial. Les groupes Illiad, Chanel et Orange ont Les préCédentes Crises L’ont déjà iLLustré : quant à eux affirmé ne pas recourir au chômage par- Les struCtures qui parviennent Le mieux à tiel en mars et avril. L’Oréal a aussi maintenu 100 % maintenir ou reLanCer Leur CroissanCe de l’emploi et des salaires pour 13 400 employés, sont souvent CeLLes qui ont su Créer une dont plus de 3 000 étaient privés d’activité. CuLture d’entreprise forte et L’utiLisent Comme instrument de motivation interne. Aux Etats-Unis, Best Buy a autorisé tous les employés exprimant une réticence -motivée par la peur ou la maladie- à rester à leur domicile, en leur garantissant leur pleine rémunération. Quant aux employés sur L’ISR Way - Urgence & résilience | 9
le terrain, contraints de rester chez eux en raison de non seulement parce que le projet s’avère utile mais la cessation de leur activité, ils se sont vu verser leur aussi parce qu’il est fidèle aux valeurs de la marque. salaire basé sur la moyenne des heures travaillées au Même combat lorsque SAP décide de développer cours des 10 semaines précédant le confinement. des outils pour aider les gouvernements à présélec- Certains grands groupes de distribution américains tionner et à acheminer les patients atteints du virus Covid-19, de soutenir les professionnels de santé et de gérer le flux d’informations et de ressources vers les citoyens. « iL faut beauCoup de bonnes aCtions Non seulement de tels engagements renforcent l’image de marque, mais ils contribuent aussi à la fierté pour Construire des employés qui travaillent pour l’entreprise. Une une bonne réputation, étude réalisée par Optimy en 2017 suggère que : et une seuLe mauvaise pour La perdre » ont offert deux semaines de congés maladie à leurs 60% 71% des clients sont des Millennials employés, la plupart n’étant pas couverts par une as- prêts à payer préfèreraient surance jusqu’alors, quand d’autres détaillants ont plus cher pour travailler pour continué à verser les salaires malgré la fermeture des produits une entreprise complète de leurs magasins. provenant qui fait preuve d’entreprises d’un engagement Ces mesures ont souvent permis de maintenir le lien avec des marques fort envers social et de relancer la dynamique collective pour re- réputées et affichant sa communauté mettre les entreprises en activité. Une étude de la de belles valeurs Harvard Business Review de 2002 avait en effet ré- vélé qu’à la suite de licenciements, les employés qui avaient conservé leur poste connaissaient une baisse de satisfaction professionnelle de l’ordre de 41%, d’engagement organisationnel de 36% et de perfor- Si l’on en croit l’adage « il faut beaucoup de bonnes mances professionnelles de 20%. actions pour construire une bonne réputation, et une seule mauvaise pour la perdre », ces périodes de La mobilisation des dirigeants s’est également illus- crise peuvent faire basculer une marque. Elles rap- trée par leur capacité à réaffirmer la raison d’être de pellent l’importance pour chaque entreprise de leur entreprise, de plus en plus essentielle pour mo- construire une culture collective forte autour d’une biliser les collaborateurs au service de la mission du raison d’être précise et identifiable par tous, clients groupe. Quand Decathlon s’engage à transformer et collaborateurs. Charge à elle ensuite de se donner son masque de plongée en masque de protection, les moyens d’assurer la retranscription des discours le groupe fédère l’ensemble des parties prenantes, et promesses en actions tangibles.
déveLoPPeR La responsabiLité eT L’autonomie de ses coLLaboRaTeuRs La crise a mis en lumière l’importance de l’autonomie Il n’est pas surprenant que les entreprises ayant déjà ins- du collaborateur, indispensable à la mise en œuvre tauré une véritable culture du changement et des pra- et à l’efficacité du télétravail. Souplesse d’organisa- tiques de travail intelligentes aient fait preuve de plus tion, affaiblissement de la culture du présentéisme, de résilience. Celles qui s’étaient dotées, en amont, de confiance : de nombreuses organisations ont dû ap- capacités informatiques suffisantes, d’outils appropriés prendre à travailler différemment. Le confinement les et qui pratiquaient déjà le travail à distance ont su tirer a amenées à se concentrer davantage sur les résul- leur épingle du jeu. tats, à revoir les procédés pour offrir plus de latitude aux collaborateurs, leur permettant ainsi de trouver On retrouve parmi elles la société Orange, l’une des un mode de fonctionnement qui leur convient. premières entreprises à avoir nommé un référent télé- travail, qui assure son développement en France auprès de 80 000 personnes. Le groupe considère depuis longtemps que le travail à distance n’est pas qu’une af- dès Lors que son effiCaCité faire de RH, mais qu’il impacte l’intégralité de l’organi- est prouvée à pLusieurs sation du travail. Chez Renault aussi, la culture du télétravail est une pratique courante depuis quelques éCheLons de L’organisation, années. Elle a supposé de réinventer les modes de ma- Le téLétravaiL peut être une nagement, de mettre en place de nouveaux rituels d’animation des équipes pour rythmer le quotidien et soLution « gagnant/gagnant » compenser l’absence physique des collaborateurs. Si pour L’entreprise. elle a exacerbé les difficultés qui résultent d’une com- munication exclusivement verbale et a exigé de porter une plus grande attention aux attentes de chacun, elle a également encouragé l’empathie et l’écoute active. Contraints par la distanciation sociale, de nombreux managers, réticents au télétravail, ont vu ses bien- Le travail à distance offre de nombreux avantages, mais faits. Nombre d’entreprises – à l’instar d’Heineken, sa pratique au quotidien nécessite des formations ajus- Essity, Legal & General et SAP notamment – nous ont tées à la structure organisationnelle de l’entreprise. d’ailleurs confirmé avoir été convaincues de l’effi- Face à la généralisation forcée du travail à la maison cience du travail à distance et l’envisagent plus aisé- pour nombre de collaborateurs qui ne l’avaient pas en- ment dans la durée. core expérimenté, certaines entreprises ont eu ten- L’ISR Way - Urgence & résilience | 11
dance à renforcer le contrôle et à multiplier les repor- temps et a pu compter sur ses équipes qui se sont em- tings – charge de travail supplémentaire et méfiance ployées à la dématérialisation accélérée des procé- souvent mal perçues par les collaborateurs. Cela a été dures pour se réorganiser, inventant au fur et à mesure révélé dans certains centres d'appels notamment. le plan de continuité d’activité approprié. Nous sommes persuadés que l’autonomie, indissocia- Ainsi, davantage encore dans le contexte actuel, nous ble du télétravail et source de responsabilisation, est un cherchons à percevoir les climats de confiance et les facteur de performance, tant au niveau du collabora- modes d’organisation favorisant la subsidiarité. En effet, teur que de l’entreprise. L’autonomie répond aussi à un plus le changement est soudain, plus les décisions doi- besoin basique de reconnaissance qui nourrit l’estime vent être prises par les personnes directement concer- de soi. L’exemple de Zara France est parlant : l’entre- nées par cette action, à savoir les opérationnels. Il est prise, par nature peu coutumière du télétravail, a béné- ainsi nécessaire de faire en sorte que les personnes ficié de la culture de l’autonomie et de l’initiative compétentes se sentent légitimes et soient autorisées individuelle qu’elle cherche à instaurer depuis long- à prendre les décisions qui leur incombent. ET APRèS ? Les modes de travail vont continuer à se transformer et deviendront un facteur de différenciation pour les entreprises pour attirer les talents et les retenir, et maintenir la productivité. La flexibilité est le maître-mot de cette évolution. Plusieurs points d’attention cependant : la limitation des interactions sociales peut avoir des consé- quences sur l’épanouissement de certains collaborateurs et ainsi nuire à leur efficacité. A cela s’ajoute la perte de repères spatiaux : la sphère du privé n’est plus étanche et la salle à manger devient un bureau. Pour certains employés, le télétravail a aboli la frontière entre vie professionnelle et vie privée. C’est d’autant plus le cas lorsque l’entreprise s’appuie sur des outils de contrôle de la productivité très intrusifs pour surveiller ses employés. Avant d’envisager sa généralisation, le temps est au retour d’expérience : évaluer si la qualité du travail ne s’est pas détériorée, si les gens sont plus épanouis, plus motivés, si cela contribue au bien-être ; envisager toutes les formes possibles de télétravail pour ne pas renforcer les inégalités, développer de nouveaux systèmes de moni- toring qui ne sont pas trop invasifs… Attention également à ce que la généralisation du travail à distance ne donne pas l’idée à certains de se lancer dans le dumping social. Dans l’analyse de la gestion du capital humain, nous serons donc particulièrement attentifs aux conditions de mise en œuvre du travail à distance et aux bonnes pratiques en la matière : la distribution d’une prime au télé- travail pour compenser l’augmentation des dépenses personnelles lorsque l’on reste chez soi –c’est déjà le cas chez Workday par exemple, société spécialisée dans les applications cloud- ou la possibilité de travailler à distance depuis d’autres espaces lorsque le lieu de résidence ne permet pas de travailler dans de bonnes conditions. Re- nault, par exemple, donne, depuis 2019, la possibilité à ses collaborateurs de changer de lieu de travail, son do- micile, un bureau de proximité ou encore un espace de coworking.
RevaLoRiseR Les CompétenCes PouR déveLoPPeR L’empLoyabiLité Le capital humain met en évidence le rôle clé des sa- notamment celles présentes en Chine, ont su réagir voirs et des compétences des individus dans la per- plus vite que les entreprises locales. C’est le cas, par formance des entreprises. La complexité de la exemple, dans le secteur des maisons de retraite : situation actuelle a d’ailleurs parfois permis d’illustrer Orpéa, leader européen des Ehpad, a très tôt pris la la palette de compétences d’un individu et sa capa- mesure de la crise. Ses maisons de retraite ont été cité d’adaptation. relativement peu touchées par l’épidémie car l’en- treprise a fait preuve d’une grande agilité dans la En effet, afin d'éviter le chômage technique, cer- mise en œuvre de mesures pour limiter au maximum taines entreprises ont dû s'émanciper de leurs orga- les risques et a ainsi mieux résisté que certains de nigrammes et proposer à leurs salariés d’endosser ses concurrents. de nouveaux rôles, d’assumer des missions tempo- raires éloignées de leur métier initial et faisant appel à d’autres compétences. Cisco a par exemple développé une plateforme d'appels à participation à des projets internes pour ET APRèS ? permettre aux collaborateurs privés de leur emploi de rester en activité et d'acquérir de nouvelles com- La formation sera un élément détermi- pétences, et ce, quel que soit leur métier d'origine. nant, pour les managers comme pour Après avoir été contrainte de mettre 95% de ses col- les employés, pour répondre aux nou- laborateurs au chômage technique, la société Wart- velles préoccupations des clients, et s’adapter à des ner, spécialisée dans la blanchisserie des linges de modes de consommation toujours plus digitalisés. lits d'hôtels prestigieux, s'est quant à elle transfor- mée pour prendre en charge le pressing du person- Ce sera l’occasion d’innover et de trouver de nou- nel soignant des Hôpitaux de Paris. velles solutions pour mieux former des équipes sous pression, développer de nouveaux modes de travail, L’agilité, un concept souvent vague, se traduit ici en plus agiles, favoriser la montée en compétences, no- actions. Ce qui parfois prenait des mois à mettre en tamment sur les technologies de pointe, accélérer la place se décide en quelques jours. digitalisation des processus et accorder une place considérable au numérique. La formation au digital On note d’ailleurs, parmi les entreprises que nous sui- fait d’ailleurs l’objet de nombreuses mesures du plan vons de près, que celles exposées à l’international, de relance européen. L’ISR Way - Urgence & résilience | 13
accoRdeR au diaLogue muLtipartites L’imPoRTance qu’iL méRiTe Le climat social est plus que jamais un enjeu clé pour les cales tendues, à l’instar d’Amazon qui s’est opposé à ses entreprises. Cette période nous prouve le caractère es- syndicats sur les mesures de protection apportées aux sentiel d’un collectif, capable de s’unir face à la menace. salariés et a fini par fermer six de ses entrepôts français. Nous tentons donc d’évaluer, au travers de nos analyses et de nos rencontres, les fonctionnements des organi- Des discussions que nous avons menées ces der- sations syndicales et sociales. Poste Italiane, la poste ita- nières semaines, il ressort de façon assez marquée lienne, en est une bonne illustration : portée par de que les entreprises qui ont associé leurs salariés ou bonnes relations syndicales, les discussions construc- leurs représentants à la définition des Politiques de tives entre les différentes instances ont permis au Continuité d’Activité et, plus récemment, des plans groupe d’adapter rapidement ses opérations et garantir de déconfinement ont pu négocier des accords col- ainsi des services essentiels à ses clients ainsi qu’un sou- lectifs d’organisation d’urgence avec pragmatisme et tien fort au pays. Certaines entreprises se sont au flexibilité et se trouvent dans de meilleures disposi- contraire retrouvées piégées par des relations syndi- tions pour la reprise. ET APRèS ? notre attention se portera sur l’évolution des relations entre les différentes parties prenantes : • La qualité du dialogue et des négociations avec les représentants du personnel est un enjeu majeur dans l’analyse des forces et des faiblesses d’une entreprise sur le long terme. • La responsabilité des entreprises envers les fournisseurs ne doit pas être ignorée. Nous privilégierons naturellement les entreprises qui se sont donné les moyens de préserver au mieux les relations avec leurs fournisseurs pour ne pas mettre en péril leurs activités. En toutes circonstances, le maintien de relations équitables et non exploitantes avec les fournisseurs est un élément majeur de notre analyse. Lorsque Unilever offre 500 millions d’euros pour soutenir ses petits producteurs et fournisseurs durant la crise, c’est tout à fait représentatif de la qualité des relations que le groupe a su développer et animer avec son écosystème depuis des années. • Enfin, nous serons particulièrement sensibles à la création de valeur partagée et au maintien de ratios de salaires CEO/employés justes, des éléments clés de notre politique de vote depuis longtemps. Mentionnons d’ailleurs que la pression à la hausse des salaires minimum fait de la justesse salariale un enjeu économique : attention aux entreprises dont les modèles reposent sur un coût du travail excessivement bas…
donneR une vraie réponse aux nombReux défis de L’équité dans L’enTRePRise Une fois n’est pas coutume, cette crise a creusé le fossé des inégalités partout dans le monde, notam- ment dans les pays développés. Une récente étude de Citi indique que seuls 24% des métiers aux faCe à L’augmentation Etats-Unis peuvent être exercés à distance et qu’il existe une forte corrélation entre capacité de télé- des inégaLités qu’entraîne travail et haut niveau de rémunération. C’est le re- La Crise, nous sommes sensibLes flet d'une évolution technologique axée sur les compétences, où les progrès technologiques ont à Ce type de déCisions du top favorisé les travailleurs qualifiés. Les travailleurs à management puisqu’eLLes hauts revenus ont donc été moins touchés par le confinement car ils ont pu continuer à travailler, renvoient aux saLariés quand les métiers de services, de tourisme ou de La voLonté de construction notamment –les coiffeurs, les serveurs, les ouvriers par exemple– ont subi des pertes de re- « partager La douLeur ». venus importantes alors qu’ils ont déjà tendance à être moins bien rémunérés. tiers, enseignants, agents de propreté, etc. Ces mé- Cette période a d’ailleurs permis d’ouvrir les yeux tiers se sont révélés indispensables, voire d’une im- sur un phénomène social qui ne date pas d’hier : portance vitale et sont souvent mal rémunérés. une rémunération en inadéquation avec l’utilité so- ciale et économique de son métier. Certaines pro- Les grands distributeurs qui ont fait le choix de gar- fessions ont d’ailleurs échappé aux mesures de der leurs magasins ouverts pour répondre à des confinement ou ont garanti, même à distance, une besoins de première nécessité affirment avoir dû continuité d’activité car elles sont considérées dépenser des centaines de milliers d’euros pour in- comme essentielles : personnel médical évidem- vestir dans la sécurité des collaborateurs et des ment, mais également boulangers, employés de clients et soutenir la consommation en ligne. Ces supermarchés, pompiers ou encore bouchers, rou- chiffres comprennent notamment la distribution de L’ISR Way - Urgence & résilience | 15
primes exceptionnelles et l'augmentation des sa- Nombre de grandes entreprises ont aussi pris des laires des travailleurs de première ligne pour plus mesures fortes -primes, dons ou baisse des rémuné- de cohérence avec leur valeur sociale. Walmart, par rations des dirigeants par exemple- pour permettre exemple, a dépensé, au cours du trimestre, environ à leurs collaborateurs de traverser la crise plus serei- 900 millions de dollars en primes, augmentation de nement. Nexans a décidé de réduire les salaires de l'indemnité de maladie et protection sanitaire. Les ses principaux dirigeants de 30% en avril et mai et distributeurs s’attendent d’ailleurs à une augmen- offert une prime mensuelle de 750 euros pour les sa- tation de ces coûts le trimestre prochain. lariés qui continuaient de travailler sur des sites de production, de logistique et d'installation. Les diri- geants de Sodexo, suivis par d’autres, ont également décidé de réduire leur rémunération fixe pour aider leurs salariés les plus vulnérables… Face à l’augmen- tout Le monde peut déjà s’aCCorder tation des inégalités qu’entraîne la crise, nous à dire que sans L'engagement de Leurs sommes sensibles à ce type de décisions du top ma- CoLLaborateurs, nombre d’entreprises nagement puisqu’elles renvoient aux salariés la vo- n'aurait pas pu traverser Cette Crise. lonté de « partager la douleur ». si Le CapitaL humain est, en temps normaL, perçu Comme un avantage ConCurrentieL Dans la même logique, nous avons été particulière- et un Levier de Compétitivité et de perfor- ment sélectifs pendant cette saison de votes, dans manCe pour Les entreprises, La Crise du notre soutien ou non à la distribution de dividendes, convaincus que la rémunération immédiate des ac- Coronavirus a fait de Lui un atout tionnaires ne devrait pas porter atteinte à la rési- indispensabLe, qu’iL s’agira de préserver. lience de l’entreprise sur le long terme, ainsi qu’à la rémunération des autres parties prenantes, les sala- riés tout particulièrement.
inTeRvieW ÉvoLUTIoN DES MoDES DE TRAvAIL ET DES MARqUES EMPLoYEURS Jérémy Clédat Co-fondateur de Welcome to the Jungle Jérémy Clédat est le co-fondateur de Welcome to the Jungle, plateforme spécialisée dans le recrutement. Elle a déjà conquis la France avec des clients comme Doctolib, Carrefour, Louis Vuitton et 2 200 autres entreprises, et vient de lever 20 millions d’euros auprès de Gaia Capital Partners, d’actionnaires historiques (BPI France, XAnge et Jean-Paul Guisset) et de co-investisseurs comme MAIF Avenir, pour accélérer son développement en Europe et se positionner sur le marché des logiciels d’entreprise. Jérémy nous donne son point de vue sur les évolutions des modes de travail et des marques employeurs. L’ISR Way - Urgence & résilience | 17
inTeRvieW LE MONDE DU tRAVAIL VIENt DE CONNAîtRE UN QU’ESt-CE QUE CELA CHANGE EN MAtIèRE DE VéRItABLEMENt CHAMBOULEMENt. APRèS PLUS RECRUtEMENt – POUR LE CANDIDAt Et POUR LE DE DEUX MOIS DE CONFINEMENt, QUEL ESt LE RECRUtEUR ? BILAN POUR LE téLétRAVAIL ? Les mentalités sont en train d’évoluer dans le do- Avant la crise sanitaire et le confinement, on man- maine, tant côté candidat que recruteur. La plupart quait encore d’arguments pour inciter les entre- des entreprises étaient par exemple très réticentes prises à mettre en place le télétravail, ou à en élargir à embaucher à distance. L’entretien physique était le cadre. Je dirais même qu’il y a 6 mois, beaucoup jusqu’alors quasi sacré dans le processus de recru- se demandaient encore s’il était possible, et même tement. Beaucoup ont été contraintes de s’y mettre souhaité, pour le bon fonctionnement d’une organi- pour recruter, et même intégrer la nouvelle recrue à sation. Et puis voilà qu’en l’espace de quelques jours, distance pendant le confinement - un vrai challenge. des millions de personnes travaillent à distance. Un certain nombre de préjugés volent désormais en Force est de constater que c’était donc possible ! Et éclats, parce qu’on s’aperçoit que ça fonctionne, dif- bénéfique : la grande majorité des entreprises avec féremment, mais ça fonctionne. lesquelles nous discutons, et notamment celles qui avaient du mal à se positionner sur le sujet, obser- J’ai le sentiment qu’avec ce que nous venons de vent une augmentation moyenne de la productivité vivre, le télétravail est devenu, à une vitesse folle, un des équipes de l’ordre de 15 à 20%. Cette prise de véritable acquis social, au même titre que d’autres. conscience est de bon augure pour accélérer la ten- Dans les prochains mois, les entreprises qui n’auto- dance post-crise et convaincre les plus récalcitrants. riseront pas le travail à distance, et dans des condi- tions souples pour le collaborateur, ne seront plus D’autant qu’il y aussi un vrai argument financier qui du tout en phase avec le marché de l’emploi. Je suis milite pour plus de travail à distance. Plus encore en même convaincu que ce sera un frein très fort à leur période de crise, nombre d’entreprises a besoin de capacité d’attirer des talents, et de les retenir. réduire leurs coûts. Ces modes de travail plus hy- brides permettent de revoir à la baisse la surface de Le télétravail offre aussi une grande flexibilité dans bureaux nécessaire, de 20 à 30% environ… Ils parti- notre rapport au temps et il rend l’entreprise plus in- cipent aussi à réduire drastiquement les trajets do- clusive, lui permettant de recruter des profils aux- micile-travail, et ont donc un impact écologique fort quels elle n’avait pas accès avant. C’est un point - on l’a tous vu pendant le confinement- et un impact majeur pour les parents notamment : nombre indéniable sur le bien-être des collaborateurs. d’études l’ont démontré, beaucoup de mères s’im- posent des barrières énormes à postuler à certains Chez Welcome to the Jungle, nous sommes convain- postes ou dans certaines industries, parce qu’elles cus de l’intérêt du télétravail depuis les tout premiers considèrent que le rythme de travail n’est pas adapté jours de la création de l’entreprise. Avant même le à leur vie personnelle. Le télétravail élargit le champ confinement, 20% de nos équipes travaillaient 100% des possibles, pour le candidat et pour le recruteur. à distance et vivaient hors région parisienne. Notre charte donnait déjà la possibilité à l’ensemble de nos Par exemple, on parle beaucoup des talents digitaux collaborateurs de pouvoir passer 50% de leur temps et de la tech. Aujourd’hui, les entreprises ne peuvent de travail à distance. les « chasser » que dans un périmètre relativement
inTeRvieW restreint -Paris notamment en France- alors qu’il y a Ce phénomène soulève selon moi une probléma- des talents partout. Si l’on recrute sans se soucier de tique plus profonde : parviendra-t-on un jour à dé- la géographie, on se donne la possibilité de rencon- corréler la valeur du travail fourni et le lieu de trer plus de talents, et on leur offre leur chance. Dans travail/de résidence de la personne ? C’est certaine- notre équipe tech d’ailleurs, beaucoup de collabo- ment utopique, pourtant cela permettrait de déve- rateurs ne vivent pas en région parisienne, et ce n’est lopper les territoires, relocaliser certaines activités, absolument pas un frein à l’activité au quotidien. Je créer de nouveaux bassins d’emplois de grande suis convaincu que cette évolution sera très positive qualité. pour le monde du travail. SE DIRIGE-t-ON VERS UNE GéNéRALISAtION DU Y-A-t-IL, SELON VOUS, UN RISQUE DE DUMPING tRAVAIL à DIStANCE ? QUELS SONt LES DéFIS SOCIAL ? QUE CELA REPRéSENtE POUR L’ENtREPRISE ? Le récent discours de Mark Zuckerberg chez Face- Certes, le confinement a imposé l’urgence de mettre book -qui a annoncé généraliser le télétravail et sou- en place des choses qui auraient normalement né- haiter ajuster à terme les salaires en fonction du lieu cessité des mois d’adaptation. Pour autant, nous de résidence des collaborateurs- laisse effective- avons le sentiment que, pour instaurer une véritable ment présager la dérive vers un dumping social de culture du travail à distance, qui fonctionne pour certains acteurs. Sa forme serait d’ailleurs assez nou- tous et dans le temps, il faut prendre le temps d’y ré- velle : quand on pense dumping social, on l’imagine fléchir et procéder par étape. Se précipiter, c’est for- naturellement dans des industries très manufactu- cément dangereux. Je suis très étonné d’entendre rières, entre l’Europe/les états-Unis et l’Asie. Au- des entreprises annoncer qu’elles se séparent de jourd’hui, il pourrait être bien plus complexe, dans leurs bureaux et passent 100% en télétravail. Ces de nombreux secteurs, intra-pays (de San Francisco pratiques nécessitent un changement de culture très vers une ville dans le Wyoming par exemple, de Paris important, bouleversant. Elles supposent d’appré- vers Angoulême). Cela peut être très dangereux. hender une nouvelle manière de travailler, axée sur une communication asynchrone, dans laquelle l’écrit est essentiel, voire incontournable. Je ne pense pas non plus qu’instaurer le télétravail en mode réactif, pour satisfaire la demande des col- laborateurs, puisse fonctionner dans le temps et pour le groupe. Il faut nécessairement faire évoluer sa culture d’entreprise pour qu’elle fonctionne avec des salariés à distance : développer les bons outils, s’assurer que tous les managers sont convaincus et que cela ne représente pas une difficulté managé- riale supplémentaire. Le télétravail sanctuarise aussi le sujet de la confiance : il faut être certain de pou- voir faire confiance aux collaborateurs pour qu’ils tra- vaillent efficacement de chez eux. Source : Les Echos L’ISR Way - Urgence & résilience | 19
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