1998-2008: dix ans de dévolution Le Royaume-Uni à l'heure de la décentralisation
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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon 1998-2008: dix ans de dévolution Le Royaume-Uni à l'heure de la décentralisation Laure ANTONIOTTI Séminaire : La construction européenne à la croisée des chemins: entre approfondissement et élargissement Sous la direction de Laurent GUIHERY Soutenance du 1er septembre 2008 Jury: L. GUIHERY et L. BAUMSTARK
Table des matières Remerciements . . 5 Introduction . . 6 I/ La dévolution au Royaume-Uni: incitations et réalisations . . 12 A) Les motivations du Royaume-Uni . . 12 1. Cadrage théorique: pourquoi et comment décentraliser? . . 12 2. La décentralisation: réponse aux challenges du monde actuel et du Royaume- Uni . . 20 B) Les réalisations: une dévolution asymétrique . . 25 1. La dévolution législative en Écosse . . 25 2. La dévolution exécutive au Pays de Galles . . 28 II/ Premier bilan de la dévolution après une décennie: un succès en attente de confirmation .. 31 A) Un gain d'autonomie indéniable pour l'Écosse et le Pays de Galles . . 31 1. Des vies politiques indépendantes . . 31 2. Des politiques publiques autonomes et innovantes . . 37 B) Les limites de la réforme, des dangers potentiels pour l'avenir . . 41 1. Un mode de financement inadapté . . 42 2. Le manque d'ajustement au centre . . 47 3. L'échec de la réconciliation avec le public . . 55 III/ L'avenir de la dévolution et du Royaume-Uni . . 59 A) Vers l'éclatement du Royaume-Uni? . . 59 1. Le retour du SNP . . 59 2. Le SNP au gouvernement: où l'on reparle de l'indépendance . . 62 3. L'indépendance de l'Écosse, un scénario envisageable? . . 65 B) Continuer sur la route de la dévolution . . 70 1. Un processus et non un évènement . . 70 2. Approfondir et améliorer la dévolution, perspectives pour l'avenir . . 70 3. L'avenir du Royaume-Uni . . 73 Conclusion . . 74 Annexes . . 75 N° 1: Carte du Royaume-Uni . . 75 N° 2 : Carte du Pays de Galles . . 76 N° 3: Carte de l'Écosse . . 76 N° 4: Résultats du référendum de 1979 en Écosse . . 77 N° 5: Résultats du référendum de 1979 au Pays de Galles . . 78 N° 6: Évolution de la population britannique (en milliers) . . 78 N° 7: Régime des dépenses publiques au Parlement écossais . . 78 N° 8: Régime des dépenses publiques à l'assemblée nationale galloise . . 79 N° 9: Balance fiscale de l'Écosse . . 80 Bibliographie . . 82 Sources primaires . . 82
Ouvrages . . 83 Articles . . 85 Sites web . . 89 Tables des illustrations . . 89 Résumé . . 90
Remerciements Remerciements Je tiens tout d'abord à remercier Laurent Guihéry pour sa disponibilité et ses précieux conseils. Je remercie les professeurs H. Drake et P. Byrne de l'université de Loughborough pour leur aide. Je remercie mes parents pour leur patience et leurs conseils. Je remercie enfin mes amis pour leur soutien et leurs talents de correcteur. Antoniotti Laure - 2008 5
1998-2008: dix ans de dévolution Le Royaume-Uni à l'heure de la décentralisation Introduction 1 « I tell you that devolution will be, and is, the salvation of the United Kingdom » . T. Blair, premier ministre britannique, s'est adressé en ces mots lors de la conférence de son parti en 1999, quelques mois après les premières élections au Parlement écossais et à l'Assemblée galloise. Le Royaume-Uni s'est lancé en 1997 dans une réforme constitutionnelle d'envergure connue aujourd'hui sous le nom de dévolution. La dévolution consiste en « un transfert de pouvoirs de décision en matière économique, sociale et culturelle du Parlement vers une assemblée régionale élue au suffrage universel, nantie de moyens politiques et 2 administratifs étendus » . Elle est donc une forme de décentralisation dans le sens où elle opère un transfert de pouvoir du gouvernement central vers un échelon inférieur de 3 gouvernement. Il existe trois formes de dévolution : - la dévolution administrative qui consiste à transférer des responsabilités du gouvernement central vers des ministères territoriaux - la dévolution exécutive qui consiste en un transfert de pouvoir d'exécution des lois du gouvernement central vers un gouvernement décentralisé - la dévolution législative qui est un transfert de pouvoir législatif, c'est à dire celui de faire la loi, du Parlement national vers une instance élue décentralisée. Le Royaume-Uni était jusqu'alors un État unitaire centralisé dont le régime politique est un régime parlementaire. Le Royaume-Uni est d'ailleurs souvent présenté comme un modèle du genre. Son parlement se trouve à Londres et siège à Westminster. Il se compose de deux chambres, la chambre des communes et la chambre des Lords. Le Royaume- Uni présente la particularité de ne pas avoir de constitution écrite, il ne dispose que d'une constitution coutumière et de différents textes de lois et déclarations tels que la Magna Carta de 1215 et le « Bill of rights » de 1688-89. Le Parlement n'a donc aucun texte suprême auquel se conformer comme c'est le cas en France; il est souverain. Le Parlement peut prendre les lois qu'il veut, aucune autorité ne pourra venir le contredire. Ainsi que le déclarait W. Blackstone, un juriste du XVIIIe, « [the Parliament] can do everything that is not naturally 4 impossible » . L'adhésion du Royaume-Uni à l'Union Européenne a quelque peu atténué ce principe mais il demeure valide à l'heure actuelle. L'autre spécificité du Royaume-Uni réside dans le fait qu'il est un État multinational. Il est en effet composé de quatre nations distinctes: l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Écosse et l'Irlande du Nord. L'Angleterre fut la première à achever son unification peu avant 1066 et l'invasion du territoire par Guillaume le Conquérant. A partir de cette date, l'Angleterre a cherché à mettre sous sa coupe les trois autres nations. Le Pays de Galles n'a jamais connu une unité parfaite mais il était néanmoins indépendant jusqu'à l'arrivée des Anglais 1 Blair, in Linklater (a), Wendy Alexander reveals gap on notion of Scotland going it alone 2 Breuillard, Le processus de dévolution et de régionalisation en Grande-Bretagne, p. 32 3 Leeke et al., An introduction to devolution on the UK, p.7, traduction personnelle 4 Leach et al., British politics, p. 171 6 Antoniotti Laure - 2008
Introduction au moment de la conquête normande. Cette occupation sera officiellement reconnue en 1536 par un acte d'union qui lie le Pays de Galles à l'Angleterre. Il est soumis aux lois 5 anglaises et les premiers députés gallois font leur entrée à Westminster . L'Écosse a connu une première période d'occupation anglaise jusqu'à la victoire de Robert Bruce à la fin du XIIIe siècle. S'ensuivirent deux siècles d'indépendance pendant lesquels la nation écossaise s'est construite. Les deux nations furent ensuite associées par la fusion des deux couronnes en 1603 mais chacune garda son Parlement et ce jusqu'en 1707 date de l'acte d'Union. Le Parlement écossais fut aboli et Westminster accueillit ses premiers députés écossais. 6 Toutefois, l'Écosse conserva son Église et son propre système juridique . Cette union des trois nations marque la naissance de la Grande-Bretagne. Il faudra attendre 1800 pour assister à la formation du Royaume-Uni, date à laquelle l'Irlande signa l'acte d'union avec la Grande-Bretagne. Le Royaume-Uni a donc été crée par étapes successives pour aboutir à une Union placée sous la souveraineté de Westminster. Les quatre nations ont depuis 1800 été gouvernées depuis Londres, une centralisation qui s'est rapidement heurtée à des oppositions, ou tout du moins à des mécontentements. Bien qu'elles soient réunies au sein d'un seul et même État, les quatre nations n'en ont pas moins conservé leurs particularités, notamment les trois nations de ce qu'on appelle la périphérie celte. En Irlande, c'est la présence des catholiques, beaucoup plus importante qu'en Angleterre qui marque cette différence. L'Écosse est, elle, restée très attachée à son identité nationale, maintenue notamment via son Église et son système juridique. Quant aux Gallois, c'est à leur culture et tout particulièrement à leur langue qu'ils sont restés attachés. Mais comment faire valoir ces différences quand le gouvernement se trouve à Londres, bien loin de toutes ces préoccupations? Le XIXe siècle aura été celui de la montée du nationalisme. Le mot peut sembler fort mais c'est bien de cela qu'il s'agit. Les premiers à s'être manifestés sont les Irlandais, notamment les catholiques qui ont obtenu leur émancipation en 1829. La terrible famine qui va toucher l'Irlande dans les années 1840 sera un facteur très important dans le détachement des Irlandais vis-à-vis de l'Union. La mauvaise gestion de la crise par le gouvernement britannique exacerbe les tensions. On assiste alors à la naissance des premiers mouvements nationalistes qui réclament le rétablissement d'un Parlement à Dublin, une idée notamment défendue par la « Home rule association » qui milite pour 7 le « pouvoir à la maison », c'est à dire un transfert de pouvoir de Londres vers Dublin . Les libéraux arrivent au pouvoir à Londres en 1868 avec à leur tête W. Gladstone qui prend très vite conscience de la nécessité de mettre en place « une gestion nationale qui 8 prend en compte les différences de l'Union » . Mais les premiers projets de « Home rule » sont rejetés par le Parlement, il faut attendre 1912 pour qu'une loi soit votée mais son application est repoussée du fait du début de la guerre. Un Parlement révolutionnaire est constitué en 1919 par le Sinn Féin et l'IRA (Irish Republican Army) est créée. S'ensuit une guerre d'indépendance qui aboutit en 1921 à la partition de l'Irlande: le Sud du pays obtient 9 son indépendance et le Nord reste dans l'Union tout en ayant un Parlement à Belfast . Les projets de « Home rule » sont considérés aujourd'hui comme ayant été la première tentative de dévolution que le pays ait connu. La tentation du « Home rule » a également 5 Pilkington, Devolution in Britain today, p. 24, 6 Ibid. p. 27-28 7 Pilkington, op. Cit., p. 37-38 8 Jones, Le Royaume désuni-Angleterre, Irlande, Ecosse, Pays de Galles, introduction à la dévolution, p. 33 9 Ibid., p. 35 Antoniotti Laure - 2008 7
1998-2008: dix ans de dévolution Le Royaume-Uni à l'heure de la décentralisation existé en Écosse mais avec beaucoup moins d'intensité. Un projet de loi visant la création d'un Parlement écossais a été envisagé mais abandonné au début de la guerre de 1914. En revanche, un secrétariat d'État écossais, le « Scottish office » a été mis en place au sein du gouvernement en 1885, instaurant ainsi une forme de dévolution administrative. Le secrétaire d'État écossais était chargé de faire valoir les intérêts de l'Écosse auprès du gouvernement. En Écosse, les partisans de la dévolution ont repris leurs activités dans les années 30 suite à la crise économique et ont crée en 1933 le SNP (« Scottish National 10 party ») . L'engouement pour une forme de dévolution a été plutôt faible au Pays de Galles. Les Gallois ont obtenu d'être séparés de l'Église anglicane en 1920 mais n'ont pas cherché à 11 obtenir d'autres traitements différenciés . Le parti nationaliste gallois « Plaid Cymru » fut crée en 1925 mais ses revendications étaient essentiellement basées sur la reconnaissance de la langue galloise. Les activités de ces deux partis et de leurs membres sont restées limitées du fait de l'éclatement de la seconde guerre mondiale et de la période de reconstruction et d'avènement de l'État providence qui a suivie. Le seul progrès réalisé dans la période de l'après guerre fut la création, si souvent repoussée, du secrétariat d'État gallois en octobre 12 1964 . Une forme de dévolution administrative existait maintenant en Écosse et au Pays de Galles. Le renouveau des partis autonomistes s'est engagé durant les années soixante où l'on a commencé à observer une volatilité accrue de l'électorat qui a bénéficié à ces partis. Un député du SNP est élu pour la première fois à Westminster en 1970 et aux élections de 1974, 13 c'est au tour de deux députés du Plaid Cymru de faire leur entrée au Parlement britannique . Ces partis parlent alors peu d'indépendance mais sont les représentants des identités nationales de chaque nation et c'est en cela qu'ils parlent aux électeurs. Les revendications concernant la langue galloise se font par exemple beaucoup plus pressantes à partir des années soixante-dix. Le SNP fait quant à lui valoir que le pétrole récemment découvert en mer du Nord appartient à l'Écosse et que l'argent devrait lui revenir. Ce renouveau a également été entrainé par l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union Européenne en 1973. Les politiques de l'Union Européenne ont en effet encouragé le développement des régions et la reconnaissance de leurs identités au sein des États membres. Les autres partis s'inquiètent du succès grandissant de ces adversaires peu ordinaires et c'est le parti travailliste, alors au pouvoir en 1968, qui décide de prendre les choses en main en mettant en place une commission constitutionnelle présidée par Lord Kilbrandon 14 qui rend son rapport en 1973 au gouvernement conservateur de E. Heath . Ce rapport conseille la mise en place d'une forme de dévolution législative pour l'Écosse mais le projet de loi qui en découlera et qui concernera également le Pays de Galles sera rejeté par le Parlement en 1977. Ce premier échec a eu pour effet de renforcer le soutien au SNP en Écosse. Le gouvernement décide alors de rédiger deux nouveaux projets de lois, un pour chaque nation, et de les soumettre à la population par référendum. Les référendum, qui se sont tenus en 1979, ont été des échecs. Pour que les lois soient acceptées, il fallait que le 10 Jones, op., cit., p. 54-55 11 Pilkington, op. Cit., p. 45-46 12 Ibid., p. 58 13 Jones, op. Cit., p. 61 et 81 14 Ibid., p. 62 8 Antoniotti Laure - 2008
Introduction « oui » représente 40% de l'électorat et non des votants. En Écosse le « oui » l'a emporté à 51,6% des votants mais ne représentait que 32,9% de l'électorat. Au Pays de Galles, 15 c'est le non qui l'a emporté à 79,8% avec une abstention s'élevant à 41,7% . Les premiers référendum sur la dévolution ont donc été des échecs retentissants pour le gouvernement, essentiellement par défaut de participation et donc d'intérêt pour la question de la part de la population. L'échec de ce projet a coïncidé avec la fin du gouvernement travailliste de J. Callaghan et l'arrivée au pouvoir de M. Thatcher qui décide d'annuler les projets de dévolution. L'ère Thatcher sera une époque difficile pour les nations de la périphérie car son gouvernement, imprégné d'une idéologie néo-libérale, a à cœur de réduire le rôle du gouvernement et d'opérer une forte centralisation, ce qui va à l'encontre de la dévolution et des aspirations écossaises et galloises. Le gouvernement devient vite impopulaire dans la périphérie et le soutien à la dévolution augmente. En 1989 se met en place une convention constitutionnelle écossaise qui rendra deux rapports formulant des recommandations et un projet de dévolution pour l'Écosse. Ce sont les projets de cette Convention qui seront repris en 1997 par le gouvernement travailliste nouvellement élu. T. Blair, nouveau premier ministre, s'était engagé lors de la campagne à mettre en œuvre la dévolution. Il a tenu parole en organisant dès 1997 quatre référendum, qui cette fois-ci précédaient la rédaction des lois et ne comportaient aucune clause concernant un taux minimal de participation requis. Ces consultations furent organisées en vue de créer un Parlement en Écosse et en Irlande du Nord, une assemblée au Pays de Galles et pour la région du Grand Londres qui se verrait aussi donner un maire élu, conformément aux différents livres blancs publiés par le parti travailliste pour exposer 16 ses projets . Le premier référendum fut celui organisé en Écosse le 11 septembre 1997 sur la base du livre blanc du gouvernement intitulé « Scotland's parliament ». A la question : « I agree/ don't agree that there should be a Scottish parliament », 74,3% des Ecossais ont répondu qu'ils souhaitaient avoir leur propre Parlement. A la suite de cette première question, 63,5% des votants se sont également déclarés favorables à ce que le Parlement ait un pouvoir fiscal. La campagne pour le double « oui » avait été particulièrement forte et ce d'autant plus que le SNP avait fini par se rallier aux travaillistes et aux libéraux démocrates, les 17 promoteurs historiques de la dévolution . Une semaine plus tard, le 18 septembre 1997, c'est au tour des gallois de se prononcer sur le projet du gouvernement intitulé « A voice for Wales » prévoyant la création d'une assemblée galloise. A la proposition « I agree/don't agree that there should be a Welsh assembly », seulement 50,1% des votants ont voté pour la création de l'assemblée. Celle- ci est donc acceptée de justesse par les Gallois qui ont été, comme en 1979, très peu nombreux à se déplacer. C'est avec peu d'enthousiasme que la dévolution est acceptée au Pays de Galles. Malgré une campagne pour le « oui » dynamique, le Pays de Galles est resté très divisé sur la question et les opposants à la dévolution ont pu se faire entendre 18 ce qui explique les résultats du référendum mais aussi la très faible participation . Le gouvernement Blair avait également un projet pour Londres présenté dans son livre vert « New leadership for London » et prévoyant l'élection d'un maire pour Londres. Londres n'est évidemment pas une région, comme les trois autres. Le rétablissement d'un maire 15 Jones, op. Cit., p. 64 et 90 16 Pilkington, op. Cit. , p. 96 17 Jones, op. Cit., p. 65 18 Ibid., p. 91 Antoniotti Laure - 2008 9
1998-2008: dix ans de dévolution Le Royaume-Uni à l'heure de la décentralisation élu pour la capitale faisait néanmoins partie de la démarche de décentralisation et de modernisation de la vie politique britannique entreprise par T. Blair. La proposition fut 19 soumise à l'approbation des Londoniens le 7 mai 1998 et fut adoptée à 72% . Enfin, ce fut au tour des Irlandais du Nord de se prononcer. Après la signature du « Good Friday agreement » en avril 1998 qui marque la reprise du processus de paix, un référendum concernant la création d'une assemblée à Belfast a été organisé. La consultation s'est tenue 20 le 22 mai 1998 et 71,1% des Nord-Irlandais ont accepté cette proposition . Les quatre projets de dévolution ayant été acceptés par les populations concernées, ceux-ci ont ensuite été transférés au Parlement pour être votés. Les projets de loi relatifs à l'Écosse et au Pays de Galles sont déposés au Parlement en décembre 1997. Le Scotland Act est voté au cours de l'année 1998, il est promulgué en Novembre 1998 après avoir reçu l'assentiment de la Reine (« royal assent »). Le « Government of Wales Act » reçoit lui cet 21 assentiment le 31 juillet 1998 . C'est au cours de cette même année qu'est promulgué le Northern Ireland Act. A la fin de l'année 1998, la dévolution est donc lancée en Écosse, au Pays de Galles et en Irlande du nord. Il faudra ensuite attendre le 11 novembre 1999 pour que le « Greater London Authority act » reçoive l'assentiment royal et soit promulgué. Il sera 22 mis en œuvre par une série de dispositions prises entre décembre 1999 et juillet 2000 . Un an à peine après l'arrivée des travaillistes au pouvoir, les réformes promises ont été adoptées à la fois par le peuple et le Parlement et sont prêtes à être mises en œuvre. La décentralisation britannique est lancée avec comme but principal de rendre aux trois nations de la périphérie un certain degré d'autonomie dans la conduite de leurs affaires publiques reflétant leurs identités et donc leurs aspirations, souvent différentes de celles de Londres. Il y a aujourd'hui dix ans que les lois de dévolution ont été votées et promulguées. Ces dix années correspondent également à la présence au pouvoir de T. Blair, père de la dévolution, qui a quitté son poste de Premier Ministre en juin 2007, laissant la place à G. Brown. Après une décennie d'existence, il semble que le temps soit venu de dresser un premier bilan de la dévolution, bilan qui vient se mêler à l'évaluation des réalisations de Blair et de son gouvernement. De plus, 2007 a également été l'année du 300è anniversaire de l'acte d'Union entre l'Angleterre et l'Écosse, marquant la naissance de la Grande-Bretagne. Cet anniversaire aura été l'occasion de s'intéresser à l'état actuel de l'Union et de réfléchir à son avenir, mettant ainsi la dévolution en lumière. Cette date anniversaire a coïncidé avec les troisièmes élections au Parlement écossais et à l'Assemblée galloise qui ont marqué un tournant pour la dévolution puisque le SNP a remporté ces élections en Ecosse et a pris la tête du gouvernement. Pour la première fois en dix ans, le parti travailliste n'est pas au pouvoir dans un des gouvernements du Royaume-Uni et ce changement ouvre une nouvelle phase pour la dévolution. La dévolution au Royaume-Uni a donc fait l'objet de nombreuses attentions dans l'actualité récente qui justifient de s'y intéresser d'un peu plus près. Cette étude de la dévolution se concentrera exclusivement sur les réalisations mises en place en Écosse et au Pays de Galles. La cas de l'Irlande du Nord ne sera pas traité ici car il nécessiterait à lui seul un travail entier. La dévolution y est en effet étroitement liée au processus de paix de 1998 et s'intègre dans le cadre plus vaste des tensions religieuses 19 Pilkington, op. Cit., p. 174 20 Jones, op. Cit., p. 39 21 Pilkington, op. Cit., p. 149 22 Ibid., p. 174 10 Antoniotti Laure - 2008
Introduction ayant marqué l'histoire de la nation. De plus, un regain des tensions est survenu en 2000. Le désarmement des différents groupes, prévu par l'accord de 1998 comme condition préalable à toute négociation, n'a pas eu lieu et a amené le secrétaire d'État irlandais à prononcer la suspension de l'Assemblée irlandaise le 12 février 2000. Après un court rétablissement, 23 elle a de nouveau été suspendue en octobre 2002 pour n'être rétablie qu'en mai 2007 . L'assemblée n'a donc pas fonctionné pendant cinq ans ce qui ne permet pas de l'inclure dans cette étude. Tant que le processus de paix n'aura pas abouti, la situation en Irlande du Nord restera instable et fragile. La question de la Haute autorité Londonienne ne sera que brièvement abordée à la fin de ce document car elle fait partie de la problématique plus vaste de la dévolution en Angleterre qui ne sera pas traitée ici. La dévolution appliquée à l'Écosse et au Pays de Galles a -t-elle été un succès? A-t- elle atteint les objectifs qu'elle s'était fixée? A-t-elle été, comme Blair l'affirmait, la planche de salut du Royaume-Uni? Telles sont les questions que l'on peut se poser aujourd'hui à l'heure du premier bilan. Cette étude se propose ainsi de voir pourquoi et comment s'est mise en place la dévolution en Écosse et au Pays de Galles et de dresser le bilan de ces dix premières années en cherchant à voir si elle a pu atteindre ses objectifs. Ce travail sera également l'occasion de se tourner vers l'avenir et d'essayer de voir quels sont les scénario envisageables dans le futur pour le Royaume-Uni. Sans toutefois prétendre à l'exhaustivité, ce travail de recherche se veut général dans le sens où il entend donner une vision globale de la dévolution, de son fonctionnement et de son avenir. Après avoir vu les raisons qui ont poussé le Royaume-Uni à entreprendre cette réforme en lien avec la théorie de la décentralisation, il conviendra d'étudier le fonctionnement de la dévolution pour en dresser un bilan avant d'en envisager l'avenir et les évolutions. 23 Jones, op. Cit., p. 46 Antoniotti Laure - 2008 11
1998-2008: dix ans de dévolution Le Royaume-Uni à l'heure de la décentralisation I/ La dévolution au Royaume-Uni: incitations et réalisations A) Les motivations du Royaume-Uni 1. Cadrage théorique: pourquoi et comment décentraliser? Dans son célèbre ouvrage De la Démocratie en Amérique qui date de 1835, A. de Tocqueville vantait déjà les mérites de la décentralisation du pouvoir, l'idée n'est donc pas nouvelle. La décentralisation est un processus qui consiste en un transfert des « compétences 24 exercées par le pouvoir central en faveur de gouvernements locaux » . Il s'agit donc pour l'État de se décharger d'un certain nombre de ses missions en les confiant à des entités infra étatiques. Nombre d'États comme la France et le Royaume-Uni ont eu une forte tradition centralisatrice. La majorité du pouvoir se trouvait entre les mains de l'État central. Les administrations locales n'étaient que des maillons chargés de faire appliquer ses décisions. Pour adopter une organisation décentralisée, il faut que celle-ci présente des avantages pour les États. C'est pourquoi la théorie de la décentralisation insiste sur les vertus supposées du processus qui sont autant de facteurs incitatifs. Le premier avantage de la décentralisation se situe au niveau politique. La 25 décentralisation serait « une école de participation et de démocratie » . En rapprochant le lieu de la prise de décision des citoyens, la décentralisation permet à ces derniers de se sentir et d'être par la suite effectivement plus impliqués dans la vie politique locale. La décentralisation peut également être perçue, toujours au niveau politique, comme un moyen efficace de contrôler les gouvernants ou fonctionnaires responsables à l'échelon local. Les responsables locaux se trouvent sous le regard des citoyens qui ont alors la possibilité de leur faire part de leur mécontentement. Cette diffusion du pouvoir permet donc 26 de développer le « sens des responsabilités » des élus locaux . Est aussi contrôlée par 27 ce biais la « fourniture des services publics » . En raccourcissant les circuits de prise de décision et en rendant plus lisible les responsabilités de chacun, les citoyens peuvent plus aisément mettre en œuvre leur droit de regard. De cette possibilité de contrôle, ou pour le moins de « supervision », découle un autre bénéfice attendu de la décentralisation, une meilleure efficacité et une meilleure efficience de l'action publique. 24 Greffe, La Décentralisation, p.32 25 Ibid., p. 35 26 Baguenard, La Décentralisation, p. 86 27 Greffe, La Décentralisation, p. 36 12 Antoniotti Laure - 2008
I/ La dévolution au Royaume-Uni: incitations et réalisations La théorie de la décentralisation met en avant une rhétorique de la proximité qui consiste à dire que les actions mises en œuvre sont d'autant plus efficaces qu'elles le sont à l'échelle locale. La proximité permet de connaître plus facilement les besoins et les attentes de la population et d'adapter les réponses qui vont y être apportées. La décentralisation permet de rendre « compatible un intérêt collectif national avec des caractéristiques 28 spécifiques locales » . C'est le théorème de la décentralisation développé par Oates: « l'offre décentralisée d'un service public local est plus efficace, à coûts d'information donnés, qu'une offre centralisée, car elle permet la prise en compte 29 des disparités locales de préférences concernant les services publics locaux » . Être proche des citoyens donne la possibilité aux dirigeants et décideurs locaux d'être 30 mieux informés, ils bénéficient alors d'une « rente informationnelle » qui va conduire à une meilleure adéquation entre les politiques menées et les besoins de la population. La simple existence de goûts et préférences différents entre les populations justifie la mise en place d'actions décentralisées. De plus mettre en place une organisation décentralisée au sein d'un État crée une situation de concurrence entre les différentes collectivités territoriales. Les individus et les entreprises, face à des collectivités proposant des services différents vont être amenés à choisir celle qui correspond le plus à leurs besoins et leurs envies. Les responsables locaux sont alors incités à maximiser leur offre, à gérer plus efficacement leur collectivité afin de la rendre la plus attractive possible. La décentralisation présenterait donc l'immense avantage d'obliger les gestionnaires locaux à plus de responsabilité et d'efficacité dans leur gestion. Il faut bien sur pour cela que les dirigeants des collectivités locales recherchent l'intérêt 31 général et non la satisfaction des intérêts particuliers . L'efficacité, en lien avec la proximité géographique et le respect des désirs particuliers de chaque population est ainsi un des bénéfices escomptés d'une organisation décentralisée. Cet aspect peut être rapproché de l'argument du « localisme » qui voudrait qu'existent « des élites locales désintéressées et des responsables politiques soucieux d'intérêt général 32 et d'équité » . Ces derniers pourraient ainsi optimiser les politiques locales et participer à une approche « bottom-up » des politiques publiques, c'est à dire favoriser la diffusion de décisions prises par la base. Un autre effet attendu d'une organisation décentralisée est l'efficacité économique. Ces arguments sont, entre autres, tirés de la théorie du fédéralisme fiscal (ou budgétaire) qui étudie le « partage des compétences et des ressources budgétaires entre niveaux 33 de pouvoir dans un État fédéral » . La décentralisation permettrait tout d'abord de limiter les dépenses publiques et par conséquent les déficits publics. En effet, en décentralisant certaines compétences à des niveaux de gouvernement infra-étatique, le gouvernement central se décharge de certaines dépenses sur les collectivités qui ont elles une obligation d'équilibre budgétaire qui les pousse à gérer plus efficacement leurs ressources. Cet 28 Ibid. p. 36 29 Oates, in Marchand, L'économie de la décentralisation, un enjeu financier pour les collectivités territoriales p. 25 30 Ibid., p. 26 31 Marchand, op. Cit., p. 26 32 Ibid., p. 26 33 Denil et al., Le fédéralisme fiscal- Leçons de la théorie économique et expérience de quatre États fédéraux, p. 12 Antoniotti Laure - 2008 13
1998-2008: dix ans de dévolution Le Royaume-Uni à l'heure de la décentralisation argument est repris par l'école du « public choice » pour qui la concurrence fiscale créée 34 par la décentralisation constitue un « remède à la taxation excessive » . Les collectivités locales, soumises à la concurrence, seront dans l'obligation de gérer plus efficacement leurs ressources ce qui conduira à une meilleure allocation de l'argent public. D'une manière plus générale, la décentralisation peut contribuer à améliorer la situation économique. Les collectivités locales ont un rôle à jouer dans le domaine du développement économique mais aussi dans celui de l'emploi. Les théories économiques ont longtemps considéré que la régulation économique était l'apanage de l'État central et que les collectivités locales n'avaient aucun rôle à jouer en la matière. Pourtant, les théories de la décentralisation montrent désormais que les entités infra-étatiques peuvent jouer un rôle économique important. Les collectivités locales ont des « fonctions d'employeurs, de 35 maîtres d'ouvrage et d'aménageurs bâtisseurs » qui leur donnent un pouvoir considérable en terme de développement économique. Les économies actuelles sont caractérisées par 36 la « variété permanente » ce qui pousse les entreprises à toujours créer de nouveaux produits et services, inventer de nouveaux biens. Les grandes entreprises sont relativement bien armées pour faire face aux transformations issues de ces nouveaux processus de production. Il faut être inventif et réactif. Les petites entreprises sont elles plutôt défavorisées dans un tel contexte et la décentralisation peut permettre d'atténuer certaines de leurs difficultés. Elle constitue une forme d'organisation propice au développement économique à travers deux effets attendus. Tout d'abord, la décentralisation « instaure des réseaux de 37 communication » qui mettent en valeur les ressources spécifiques de la collectivité. Cette mise en valeur est essentielle dans le cadre d'une économie de marché et elle nécessite du temps et des moyens que seule des entités proches du territoire sont en mesure de posséder. Il sera d'autant plus aisé de détecter les ressources et les compétences et de les faire communiquer que l'échelle territoriale est réduite. Ensuite, la décentralisation permet la 38 création de « réseaux de partenaires » . Pour mener à bien une politique, plusieurs acteurs doivent intervenir en coordonnant leurs actions pour assurer l'efficacité de la mesure. Une telle coopération est plus facilement obtenue dans le cadre d'un territoire limité. Comme le note X. Greffe, « La décentralisation peut ainsi devenir un atout pour tirer profit d'une économie de marché et stimuler le développement, là où la centralisation inhibe les initiatives et en permet pas de déboucher sur les partenariats qui permettront de 39 créer de nouvelles activités » . Une autre incitation à la décentralisation se situe dans les bénéfices attendus d'une telle transformation sur l'emploi. Les politiques ayant trait à l'emploi sont longtemps restées centralisées mais aujourd'hui, la théorie tend à insister sur les avantages que présente la décentralisation dans la « bataille » pour l'emploi. Plusieurs raisons ont été avancées pour justifier l'intérêt de la décentralisation au regard de l'emploi. Premièrement, elle permet aux États de se décharger de l'exécution concernant les politiques de protection qui sont extrêmement coûteuses. Une deuxième raison réside une fois de plus dans la prise en 34 Ibid., p. 17 35 Marchand, op. Cit., p.28 36 Greffe, op. Cit., p. 37 37 Ibid., p. 38 38 Ibid. p.38 39 Greffe, op. Cit., p.39 14 Antoniotti Laure - 2008
I/ La dévolution au Royaume-Uni: incitations et réalisations compte des particularismes locaux. Les marchés de l'emploi peuvent être très différents d'une localité à une autre et une politique de l'emploi, si elle veut être efficace, se doit de prendre en considération ces spécificités. Les problèmes ayant trait à l'emploi sont aussi liés à une multitude d'autres facteurs comme la formation, l'éducation, la santé. C'est l'environnement global des acteurs qui joue un rôle et il est plus facile à appréhender au niveau local. Il faut aussi tenir compte de la « volatilité du marché de l'emploi ». Elle entraine des ajustements toujours plus rapides qui nécessitent l'existence de réseau d'information et de communication performants. Or cette performance est plus facile à atteindre au niveau local. Enfin, une organisation décentralisée est la plus adaptée à la mise en œuvre de politiques de l'emploi dites « actives », c'est à dire celles qui ont vocation à modifier le 40 comportement des acteurs sur le marché du travail . Comme le note X. Greffe: « La décentralisation des dispositifs en faveur de l'emploi devient donc le moyen de replacer les initiatives dans la perspective d'une association entre le 41 développement économique, l'emploi et l'insertion sociale » . La décentralisation présente donc, en théorie, de nombreux avantages pour les États qui vont gagner en efficacité et en efficience tout en renforçant leur caractère démocratique. Pour que ces bénéfices puissent apparaître, encore faut-il savoir ce qu'il faut décentraliser et comment. Dans une économie de marché, on s'attend logiquement à ce que, par le jeu de la « main invisible », l'optimum économique soit assuré sans aucune intervention d'un acteur tiers. L' État n'aurait donc aucun rôle à remplir. Cependant, cette idée reste purement théorique et la réalité montre que le marché seul ne suffit pas à assurer le bien-être économique et social d'une société. Il faut alors que les pouvoirs publics interviennent, l'action publique venant pallier les défaillances du marché. 42 Selon Musgrave , on peut classer les activités des pouvoirs publics en trois catégories: la « fonction d'affectation ou d'allocation, la fonction de redistribution et la fonction de stabilisation ». La fonction d'affectation de l'État et des collectivités a pour but de « suppléer les carences et les défaillances du marché par la fourniture de biens et services à la 43 collectivité » . Cette fonction a pris une place de plus en plus importante au sein de l'action publique. La fonction de redistribution consiste elle à redistribuer des ressources aux individus dans une optique de justice sociale et de solidarité. Il s'agit ici de réduire les inégalités entre agents par le biais de transferts. Enfin, la fonction de stabilisation vise elle à améliorer les mécanismes du marché eux-mêmes en intervenant par le biais de politiques économiques. Ces trois fonctions sont celles pour lesquelles l'intervention publique est non seulement tolérée mais aussi encouragée. Les pouvoirs publics en charge de ces différentes missions peuvent être l'État ainsi que les collectivités territoriales et pour organiser la décentralisation, il faut déterminer, parmi les différentes fonctions, quelles sont celles qui seront déléguées au niveau infra-étatique. Afin de répondre à cette question, il faut tout d'abord se référer 44 aux travaux de Samuelson et à sa théorie des biens publics . Celle-ci est en effet utile 40 Ibid., p. 41-43 41 Ibid, p. 43 42 Musgrave, in Marchand, op. Cit. , p. 20 43 Marchand, op. Cit., p. 20 44 Ibid, p.23 Antoniotti Laure - 2008 15
1998-2008: dix ans de dévolution Le Royaume-Uni à l'heure de la décentralisation pour déterminer quels biens et services doivent être fournis par les collectivités. Les biens publics dits « purs » sont « des biens consommés collectivement, en commun, financés sur 45 fonds publics et gérés sous le contrôle d'une institution publique » . Ils présentent plusieurs caractéristiques: leur consommation est indivisible, personne ne peut être exclu de leur consommation et tout nouvel usager peut avoir accès au bien pour un coût marginal nul. Néanmoins, une fois encore, ces éléments s'avèrent plus théoriques que réels et, dans la pratique, il est très rare de trouver un bien réunissant ces différentes caractéristiques. Il est très difficile de trouver un bien dont l'indivisibilité ou la non exclusion dans la consommation soit totale. L'indivisibilité, tout d'abord, est clairement mise en cause au delà d'un certain nombre d'usagers ou pour des raisons spatiales. Ensuite, l'impossibilité d'exclusion est bien souvent irréalisable, il existe quasiment toujours des obstacles à l'accès d'un bien. Dans ces cas là, on ne parle plus de biens collectifs purs mais de biens collectifs « impurs » ou 46 « mixtes » . Il existe ainsi deux types de biens collectifs ou publics, les purs et les « impurs ». C'est grâce à cette distinction que peut s'opérer une répartition entre les différents niveaux de gouvernement. « A l'État central revient la production des biens publics purs [...]. Aux 47 collectivités décentralisées revient la production des biens collectifs mixtes » . Les biens mixtes deviennent alors des biens publics locaux. Ces derniers ont une indivisibilité limitée, dont les effets se font sentir au sein d'aires géographiques délimitées. Ce sont par exemple les infrastructures de transport, les équipements sportifs et les jardins publics. Cette répartition rejoint celle préconisée par l'ONU. Selon le principe consacré par les Nations Unies, les compétences décentralisées doivent être celles qui touchent aux besoins locaux ou font appel à des acteurs locaux et sont laissées au niveau central les compétences qui « mettent en cause l'indépendance de l'État, l'environnement général des 48 personnes ou des principes fondamentaux » . Les compétences décentralisées sont donc celles qui donnent lieu à des activités s'inscrivant dans un cadre local bien délimité. En ce qui concerne la deuxième fonction des pouvoirs publics, la redistribution, une organisation centralisée reste préférable par souci d'équité. Cette mission a pendant longtemps été confiée aux autorités publiques locales supposées mieux connaître les besoins des citoyens mais cette situation créait des inégalités entre les différentes collectivités. En effet, toutes les collectivités ne disposent pas des mêmes ambitions ni des mêmes moyens. Une collectivité disposant d'un généreux système redistributif attirera les agents souhaitant en bénéficier mais pourra rebuter ceux qui craindraient d'être trop taxés pour financer ce mécanisme. Dès lors l'assiette fiscale de cette collectivité se trouverait réduite du fait de la « fuite » des individus. Il y aurait alors une trop grande différence 49 entre les collectivités, poussant au « vote avec les pieds » . Cela signifie que les individus vont choisir leur lieu d'établissement en fonction de ce que la collectivité leur assure en terme de redistribution ou d'imposition. C'est pourquoi une organisation centralisée de la fonction redistributive semble préférable pour assurer l'égalité et l'équité entre les individus. Toutefois, un degré de décentralisation peut être envisagé si la mobilité des 50 agents est imparfaite. En conséquence, ils ne peuvent pas « voter avec les pieds » . Il 45 Ibid, p. 23 46 Marchand, op. Cit. p.24 47 Ibid., p.24 48 Greffe, op.cit., p. 44 49 Marchand, op. Cit., p.27 50 Ibid., p. 28 16 Antoniotti Laure - 2008
I/ La dévolution au Royaume-Uni: incitations et réalisations existe également une autre approche qui consiste en une décentralisation de l'action sociale 51 seulement, qui serait plus efficace au niveau local . La fonction de stabilisation de l'économie quant à elle, longtemps laissée entre les mains du pouvoir central, est aujourd'hui de plus en plus investie par les autorités publiques locales. Elles-mêmes agents économiques, elles sont jugées plus à même de pouvoir agir en faveur du développement économique local. Une fois que les compétences à décentraliser ont été identifiées, il faut choisir le niveau de décentralisation le plus adapté. A qui faut-il transférer ces différentes compétences? Le « vote avec les pieds » théorisé par Tiebout, va agir comme un « révélateur 52 des préférences individuelles » des agents . L'information ainsi obtenue va permettre aux collectivités de faire les choix nécessaires en terme de décisions politiques et de budget. Les caractéristiques des activités décentralisées vont définir le degré optimal de décentralisation. Il faut enfin réaliser les des changements dans la structure institutionnelle du pays et mettre en place un cadre régissant les relations entre le gouvernement central et les entités décentralisées. Ils auront besoin de nouveaux mécanismes de coordination pour pouvoir 53 travailler ensemble sans que des tensions ou des conflits apparaissent . Le transfert de compétences opéré par la décentralisation ne saurait être efficace sans financement approprié. A tout transfert de compétences doit correspondre un transfert de ressources équivalent. Si ce principe n'est pas respecté, la décentralisation sera un échec et la nouvelle situation pourra même être pire que la situation de départ. Les collectivités ne disposeraient pas des moyens de leurs compétences rendant ainsi leurs actions inefficaces et inutiles. De plus, les risques de gaspillage augmenteraient tout comme la pression fiscale 54 sans qu'il y ait de correspondance avec de nouveaux services pour les citoyens . Le transfert de ressources peut s'opérer de deux manières différentes: - il peut être fiscal lorsque « l'État transfère l'organisation et le prélèvement de certains 55 impôts » aux collectivités. Les entités décentralisées bénéficient alors d'un pouvoir fiscal. - il peut être budgétaire lorsque l'État transfère aux collectivités les ressources qu'il utilisait auparavant, dans l'organisation centralisée, pour financer leur fonctionnement. Le financement fiscal est une « pièce incontournable du puzzle financier local ». La fiscalité doit fournir aux collectivités une autonomie suffisante pour qu'elles puissent exercer leurs compétences. Elle doit également fournir une « information sur le coût des services 56 offerts » et doit favoriser un certain degré d'équité et d'équilibre enter les différentes collectivités. Les objectifs de la décentralisation fiscale sont donc d'assurer l'autonomie et l'efficacité économique des collectivités et l'équilibre entre ces dernières. Pour assurer une certaine autonomie, l'impôt semble être l'instrument le plus approprié. L'autonomie fiscale se définit d'ailleurs comme suit: « Les entités fédérées ont le pouvoir de prélever leurs propres 51 Denil et al. , op. Cit. , p. 21 52 Marchand, op. Cit., p. 30 53 OCDE, Devolution and globalisation, Implications for local decision-makers, p. 29 54 Greffe, op. Cit., p. 47 55 Ibid., p. 48 56 Marchand, op. Cit. p. 33 Antoniotti Laure - 2008 17
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