Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin

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Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
Tableaux, dessins
et sculpture
du XVe au XIXe siècle

Galerie Hubert Duchemin
Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
Tableaux,
   dessins
 & sculpture
du XVe au XIXe siècle

            Catalogue
         Amélie du Closel
       Ambroise Duchemin
      Maxime Georges Métraux

   Galerie Hubert Duchemin
   8, rue de Louvois | 75002 Paris
    www.hubertduchemin.com
Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
C                                         T
                                                                                                       ette année nous voguons vers              his year we are sailing further
                                                                                                       des horizons plus larges que              afield than we do usually,
                                                                                                       d’habitude, du XVe à la fin               from the 15th to the late 19th
                                                                                               du XIXe siècle. Mais comme toujours,      century. But as always, seven of the
                                                                                               sept objets sur huit sont inédits.        eight objects are new discoveries.
                                                                                               Seul le dessin de Doyen était connu       Only the drawing by Doyen was already
                                                                                               (il avait marqué les esprits par sa       known (it had attracted attention for its
                                                                                               beauté et son prix retentissant           beauty and its impressive price at auction
                                                                                               obtenu aux enchères en 1989).             in 1989).
                                                                                               Le marbre de Gregorio di Lorenzo          The marble by Gregorio di Lorenzo and
                                                                                               et les portraits de Firmin Massot ont     the portraits of Firmin Massot were
                                   Remerciements                                               été acquis comme « anonymes » par         acquired as “anonymous” by those who
                                                                                               ceux qui nous les ont apportés...         brought them to us…
                       Que soient ici vivement remerciés de leur aide,
                      de leur écoute patiente et de leurs conseils avisés :                    Le petit Fragonard, nous l’avons          As for the little Fragonard, we spotted
                                                                                               débusqué à l’hôtel Drouot, présenté       it at the Hôtel Drouot, presented as a
             Stéphane Barbier-Mueller, Élisabeth Bastier, Antoine Béchet et son équipe,        comme une miniature : il s’agit           miniature: it is in fact a small painting!
         Pr. Alfredo Bellandi, Julian Bondroit, Pierre Bucat, David Champion, Pierre Curie,    en fait d’un petit tableau !              The two Delacroix heads arrived with
 Isabella Donadio du Harvard Art Museum, Emmanuel Ducamp, Marie-Anne Dupuy-Vachey,             Les deux têtes de Delacroix sont          us after having travelled around (we
        Éric Fallas, Susana Garcia du M.A.H. de Genève, Roman Herzig, Christophe Janet,        arrivées chez nous après avoir tourné     have not held this admitted lack of taste
     Pr. Stefan Körner, François de Lannoy, Marie-Caroline Le Guen, Valérie Louzier-Gentaz,    ailleurs (nous n’avons pas tenu rigueur   against their owners!).
          Jane MacAvock, Pierre Morin, Patrick Noon, Jan Ortmann, Benjamin Peronnet,           à leurs propriétaires respectifs pour     The Dulac pastel was handed over by a
      Béatrice Peyret-Vignals, Marie-Christelle Poisbelaud, Louis-Antoine Prat, Alice Pujol,   cette faute de goût avouée !).            collector and it is published here for the
Dr. Rosenauer, Stéphane Rouvet, Marine Sangis, Dominique Sauvegrain du musée Pincé d’Angers,
                                                                                               Le pastel de Dulac nous a été confié      first time...
              Olivier Scherberich, le studio Sebert, Arlette Sérullaz, Lilas Sharifzadeh,
                                                                                               par un collectionneur et il est           As for the still life, we had a great
    Henrique Simoes du musée des Beaux-Arts de Lyon, Sylvie Tailland, Christophe Trembley,
                                                                                               publié ici pour la première fois...       surprise: bought at Drouot by Ambroise
                   Jean-Pascal Viala, Edwart Vignot, Gabriel et Yvonne Weisberg.
                                                                                               Quant à la nature morte, nous eûmes       with the intuition that it may be by
                                                                                               une bonne surprise : achetée par          Dagnan-Bouveret, we uncovered the
                                                                                               Ambroise à Drouot avec l’intuition        signature on the edge when we took it out
                                                                                               qu’elle puisse être de Dagnan-Bouveret,   of its frame!
                                                                                               nous avons découvert la signature
                                                                                               sur la tranche en la décadrant !
                                  Traduction : Jane MacAvock

                            © Galerie Hubert Duchemin, Paris, 2018.                                                    Hubert Duchemin
Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
Sommaire

                  Gregorio di Lorenzo                    8   Gabriel François Doyen                18
                  Apôtre                                     Apothéose de saint Grégoire

                  Jean-Honoré Fragonard                 30   Firmin Massot                         36
                  Portrait d’enfant au chapeau               Paire de portraits

                  Eugène Delacroix                      52   Eugène Delacroix                      62
                  Étude de tête d’homme barbu                Portrait d’Oriental au turban

Une sculpture,
cinq tableaux
& trois dessins   Pascal Adolphe Jean Dagnan-Bouveret
                  Nature morte aux pêches
                                                        76   Charles-Marie Dulac
                                                             Le Grand-Rocher (Fontaine-de-Vaucluse)
                                                                                                    82
Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
Gregorio di Lorenzo,
Apôtre (saint Jean ?),
ca. 1460 – 1470,
bas-relief en marbre,

                                   Gregorio
47,2 x 34,9 x 9,7 cm.

                                  di Lorenzo
                           (Florence ca. 1436-ca. 1504 Forlì)

                                  Apôtre (saint Jean ?)

                         N
                                  ouvelle addition à l’œuvre de                           Middeldorf 4 et John Pope-Hennessy5.
                                  Gregorio di Lorenzo1, notre                             Il a également fait l’objet de plusieurs
                                  bas-relief représente un ajout                          tentatives d’identification à Tommaso
                         significatif à la connaissance de la                             Fiamberti, Domenico Rosselli ou
                         production de ce sculpteur italien                               encore Giovanni Ricci. Le mystère du
                         du Quattrocento. Longtemps resté                                 « Maître des Madones de marbre »
                         inconnu, cet artiste n’a été redécouvert                         est finalement percé en 2001 par
                         que récemment à la suite d’un travail                            Alfredo Bellandi qui parvient à relier
                         considérable mené par différents                                 avec certitude ce nom de commodité
                         historiens de l’art depuis la fin du                             à l’artiste Gregorio di Lorenzo6.
                         XIXe siècle. Gregorio di Lorenzo est en                          Formé dans l’atelier de Desiderio
                         effet longuement resté caché derrière                            da Settignano7, ce sculpteur a
                         le nom de convention du « Maître des                             principalement réalisé des bas-reliefs
                         Madones de marbre2 ». Forgée en 1886 par                         mariaux ainsi que des bustes représentant
                         Wilhem von Bode3, cette dénomination                             l’Ecce Homo. Gregorio di Lorenzo
                         est créée suite à la constitution d’un                           ouvre son propre atelier sur la Piazza
                         corpus gravitant autour de l’œuvre de                            di San Giovanni à Florence en 1461 et
                         Mino da Fiesole et Antonio Rossellino.                           rencontre un certain succès. Il a ainsi
                         Malgré son anonymat, le « Maître des                             reçu plusieurs commandes prestigieuses
                         Madones de marbre » a suscité l’intérêt de                       dont celle d’un bassin pour la sacristie de                         11
                         nombreux historiens de l’art dont Ulrich                         Badia Fiesolana. Son activité artistique

                                                                                          4. Ulrich Middeldorf, « Un Ecce Homo del Maestro delle
                                                                                          Madonne di marmo », in Arte illustrata, VII, 57, 1974, pp. 2-9.
                                                                                          5. John Pope-Hennessy avec l’assistance de Ronald Lightbown,
                                                                                          Catalogue of Italian Sculpture in the Victoria and Albert
                                                                                          Museum, Londres, H.M.’s Stationery Office, 1964, pp. 151-156.
                                                                                          6. Alfredo Bellandi, « Master of the Marble Madonnas »,
                         1. Voir Alfredo Bellandi, Expertise de l’Apôtre (saint Jean ?)   in Masterpieces of Renaissance art Eight Rediscoveries,
                         par Gregorio di Lorenzo, datée du 15 octobre 2017.               dir. Andrew Butterfield et Anthony Radcliffe, New York,
                         2. Alfredo Bellandi, Gregorio di Lorenzo : il maestro delle      Salander-O’Reilly Galleries, 2001, pp. 34-40.
                         madonne di marmo, Morbio Inferiore, Selective Art, 2010,         7. Voir Desiderio da Settignano : la scoperta della grazia nella
                         pp. 3-81.                                                        scultura del Rinascimento, dir. Marc Bormand, Beatrice
                         3. Wilhem von Bode, « Die Italienischen Skulpturen               Paolozzi Strozzi et Nicholas Penny (cat. exp. Paris, musée du
                         der Renaissance in den Königlichen Muzeen zu Berlin              Louvre, 27 octobre-22 janvier 2007, Florence, Museo nazionale
                         Die Florentiner Marmorbildner in der zweite Hälfte des           del Bargello, 21 février-3 juin 2007, Washington, National
                         Quattrocento », in Jahrbuch der königlichen Preussischen         Gallery of Art, 1er juillet-8 octobre 2007), Milan, 5 Continents,
                         Kunstsammlungen, VII, 1886, pp. 29-32.                           Paris, musée du Louvre, 2007.
Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                                                                 GREGORIO DI LORENZO, Apôtre

     ill. 1 : Gregorio di Lorenzo,                                      ill. 2 : Gregorio di Lorenzo,              ill. 3 : Gregorio di Lorenzo,               ill. 4 : Gregorio di Lorenzo,
     Vierge à l’Enfant, ca. 1460,                                       Ecce Homo, ca. 1475,                       Christ couronné d’épines, ca. 1470-1480,    Mater dolorosa, ca. 1470-1480,
     marbre, 118 x 83 cm,                                               marbre, 48 cm de hauteur,                  marbre, 40,5 x 29,5 cm,                     marbre, 40,5 x 29,5 cm,
     Urbino, Galleria Nazionale delle Marche.                           Berlin, Staatliche Museen.                 Berlin, Staatliche Museen.                  Berlin, Staatliche Museen.

     est en outre attestée dans la capitale de                          Mattia Corvino où il a séjourné de         dans la Vierge à l’Enfant de la Galleria
     la République florentine par diverses                              1475 à 1490. En 1502, Gregorio di          Nazionale delle Marche d’Urbino (ill. 1)
     sources archivistiques datées entre                                Lorenzo est à Forlì où il collabore        dont la réalisation par Gregorio di
     1455 et 14978. Qualifié de « sculpteur                             avec Giovanni Ricci et Tommaso             Lorenzo est estimée autour des années
     itinérant9 » par Alfredo Bellandi,                                 Fiamberti à la réalisation du monument     1460. Il rapproche également notre
     Gregorio di Lorenzo a notamment                                    sépulcral de Luffo Numai dans l’église     bas-relief d’autres sculptures comme
12   travaillé pour les tribunaux de Naples                             de Santa Maria dei Servi. Il décède        l’Ecce Homo (ill. 2) du Staatliche Museen                                            13
     et de Ferrare pour lesquels il a créé                              probablement dans cette ville vers 1504.   de Berlin ou encore d’un diptyque
     deux séries de Douze Césars10. Il a                                Alfredo Bellandi propose de dater la       conservé dans ce même musée et qui
     aussi réalisé des sculptures à Viségra                             création de notre sculpture durant         représente respectivement une Mater
                                                                                                                                                               ill. 5 : détail de notre sculpture.
     et Buda pour la cour hongroise de                                  les années 1460-147011. Il souligne        Dolorosa et un Ecce Homo (ill. 3 et 4).
                                                                        à juste titre que le modelé presque        L’attribution de notre œuvre au sculpteur
                                                                        « métallique » du marbre, la forme très    Gregorio di Lorenzo se fonde sur la
     8. Alfredo Bellandi, op. cit., 2010, pp. 434-441.
     9. Alfredo Bellandi, op. cit., 2010, p. 82.                        spécifique des yeux ainsi que le menton    forme extrêmement caractéristique des
     10. Francesco Caglioti, « Fifteenth-Century Reliefs of Ancient     fuyant de notre œuvre se retrouve aussi    yeux de certains de ses modèles qui
     Emperors and Empresses in Florence: Production and
     Collecting », in Studies in the History of Art, Symposium Papers
                                                                                                                   sont reconnaissables à une paupière
     XLVII: Collecting Sculpture in Early Modern Europe, vol. 70,
     2008, pp. 66-109.                                                  11. Alfredo Bellandi, op. cit., 2017.
Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                                              GREGORIO DI LORENZO, Apôtre

     ill. 6 : Gregorio di Lorenzo,                                      ill. 7 : Gregorio di Lorenzo,
     Christ couronné d’épines, ca. 1470-1480,                           Christ couronné d’épines, ca. 1470-1480,
     marbre et traces de dorures, 38 x 27 x 7 cm,                       marbre, 47 x 36 cm,                                                                ill. 8 : détail de notre sculpture.
     Budapest, Szépmuvészeti Múzeum.                                    Paris, musée Jacquemart-André.

     mi-close ainsi qu’à leurs sillons malaires12                       tragus13 au relief marqué sont typiques
     et palpébraux inférieurs très fortement                            de la manière dont Gregorio di Lorenzo
     marqués (ill. 5). Ces éléments spécifiques                         sculpte cette partie du visage (ill. 8).
     et propres au style de Gregorio di                                 La comparaison la plus éloquente
     Lorenzo se retrouvent notamment                                    proposée par Alfredo Bellandi est
     dans le Christ couronné d’épines                                   certainement celle avec le Christ couronné
     (ill. 6) du Szépmuvészeti Múzeum de                                d’épines (ill. 9) provenant de la célèbre
14   Budapest mais aussi dans un bas-relief                             collection d’Alphonse Kann. Outre les                                                                                    15
     sur le même sujet conservé au musée                                similitudes frappantes du vêtement et
     Jacquemart-André à Paris (ill. 7) et dont                          de la pose, cette œuvre témoigne de la
     les dimensions sont équivalentes à celles                          manière identique dont le sculpteur
     de notre œuvre. De plus, le pavillon                               accuse les masses musculaires et les
     de l’oreille et plus particulièrement le                           os pour faire ressortir artificiellement
                                                                        les parties saillantes du visage.
                                                                                                                                            ill. 9 : Gregorio di Lorenzo,
     12. « Sillon qui sépare la partie externe de la paupière           13. « Saillie du pavillon de l’oreille dont le sommet est tourné    Christ couronné d’épines, ca. 1480-1490,
     inférieure des téguments de la face, il correspond au rebord       vers l’arrière et qui protège l’orifice du conduit auditif          marbre (?), dimensions inconnues,
     orbitaire », d’après l’entrée « Malaire » du Trésor de la Langue   externe », d’après l’entrée « Tragus » in Jacky Gauthier, Chaînes   ancienne collection Alphonse Kann,
     Française informatisé, consulté le 25 septembre 2018, url :        musculaires : Étirement et renforcement : De la théorie à la        lieu de conservation actuel inconnu.
     www.cnrtl.fr/definition/malaire.                                   pratique, Paris, Amphora, 2016, p. 233.
Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                                       GREGORIO DI LORENZO, Apôtre

     Notre bas-relief est un ajout notable au
     corpus de Gregorio di Lorenzo puisqu’il
     s’agit actuellement du seul exemple de
     buste de profil représentant un apôtre.
     Alfredo Bellandi suggère de l’identifier
     plus précisément à saint Jean en raison
     de la jeunesse du modèle sculpté.
     Gregorio di Lorenzo étant principalement
     connu pour des bas-reliefs figurant
     des empereurs romains et le Christ
     couronné d’épines, notre sculpture
     laisse supposer que la production de
     l’artiste comprenait également des effigies
     apostoliques. Il s’est notamment retrouvé
     confronté à ce sujet iconographique à
     la fin de sa carrière puisqu’il a exécuté            ill. 10 : Gregorio di Lorenzo,
     avec Tommaso Fiamberti et Giovanni                   Tommaso Fiamberti et Giovanni Ricci,
                                                          Apôtre (saint Jean ?), ca. 1500-1510,
     Ricci une série de six têtes d’apôtres à             marbre, 42 x 33 cm,
     Pievequinta, près de Forlì (ill. 10).                Pievequinta, église dei Santi Pietro e Paolo.

     À la suite d’Ulrich Middeldorf, Alfredo
16   Bellandi souligne l’intérêt de Gregorio                                                                                                                                  17
     di Lorenzo pour la peinture flamande
     en rapprochant notre bas-relief et toute
     une partie de sa production de certaines
     œuvres picturales d’Albrecht Bouts
     et Hans Memling dont l’artiste serait
     l’interprète en sculpture14 (ill. 11).

                                                                                                          ill. 11 : Albrecht Bouts,
                                                                                                          Christ couronné d’épines, ca. 1495,
                                                                                                          huile sur bois, 37 x 28 cm,
     14. Alfredo Bellandi, op. cit., 2010, pp. 205-233.                                                   Dijon, musée des Beaux-Arts.
Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle

                                                      ill. 12 : Desiderio da Settignano,
                                                      Jésus et saint Jean-Baptiste enfants,
                                                      dit Tondo Arconati Visconti, ca. 1455-1457,
                                                      marbre, 40 cm de diamètre,
                                                      Paris, musée du Louvre.

     Le cadrage resserré à mi-buste et                Dans le sillage des expérimentations de
     l’expressivité des modèles témoignent            Donatello et de Desiderio da Settignano16,
     assurément d’une certaine filiation              Gregorio di Lorenzo est parvenu à se
     ou inspiration commune. De même,                 distinguer en s’éloignant de la délicatesse
     Alfredo Bellandi note que le style et la         joyeuse de son maître au profit d’une
     technique de notre œuvre trahissent              expression plus mordante et exacerbée
     la leçon de Desiderio da Settignano15.           dont notre bas-relief compte sans
     Il compare la bouche entrouverte qui             doute parmi les plus belles réalisations.
     laisse apparaître un début de dentition à        Témoignage unique de son audace et de sa
     celles du Tondo Arconati Visconti (ill. 12).     dextérité, cette œuvre atteste de la place
     Il trouve également que la manière               éminente de Gregorio di Lorenzo, malgré
18   virtuose dont les cheveux sont sculptés          sa redécouverte tardive, dans le creuset
     dans notre bas-relief est analogue à             effervescent qu’a été le milieu artistique
     celle du maître de Gregorio di Lorenzo.          de la sculpture italienne du Quattrocento.
     L’artiste représente son modèle avec
     des mèches stylisées et désordonnées
     qui rythment la composition et                                            Maxime Georges Métraux
     produisent un effet pictural semblable
     aux chevelures de Verrocchio.

                                                      16. Voir Le printemps de la Renaissance : La sculpture et les arts
                                                      à Florence (1400-1460), dir. Marc Bormand et Beatrice Paolozzi
                                                      Strozzi (cat. exp., Florence, Palazzo Strozzi, 23 mars-18 août
                                                      2013, Paris, musée du Louvre, 26 septembre-6 janvier 2014),
     15. Alfredo Bellandi, op. cit., 2017.            Paris, Louvre, 2013.
Gabriel François
                                                                                        Doyen
                                                                                           (Paris 1726-1806
                                                                                          Saint-Pétersbourg)

                                                                                    Apothéose de saint Grégoire

                                                                                                                                 G
                                                                                    Inscription, signature et date                         abriel François Doyen se forme
                                                                                    (en bas à gauche) :                                    auprès de Carle van Loo dès l’âge
                                                                                    « Pensée pour la chapelle / St Grégoire.               de douze ans, avant de suivre
                                                                                    La calotte / est à 90 pieds de haut elle /   les cours de l’École royale des élèves
                                                                                    a 60 p. de circonférence et 6 pieds /        protégés, dont il fait partie de la première
                                                                                    de flèche / G. François Doyen / 1767 ».      promotion. Il est reçu second au Grand
                                                                                    Inscription (en bas à droite) :              Prix en 1748. En décembre 1750, Doyen
                                                                                    « apothéose de / St Grégoire le / grand.     arrive à Rome. Il copie inlassablement
                                                                                    Siècle de 400 ».                             les œuvres du Dominiquin, Michel-Ange,
                                                                                                                                 Jules Romain, Lanfranco, Cortone, et
                                                                                    Provenance :
                                                                                                                                 Carrache. Les grands décors baroques
                                                                                    Vente Ader-Picard-Tajan, Paris, Drouot,
                                                                                                                                 de la galerie Farnèse le marquent
                                                                                    Importants dessins anciens,
                                                                                                                                 profondément. Doyen se rend également
                                                                                    29-30 novembre 1989, n° 67.
                                                                                                                                 à Naples, où il découvre les œuvres de
                                                                                    Bibliographie :                              Solimena et de Giordano, et visite les
                                                                                    Le Baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre       villes du nord de la péninsule : Venise,       21
                                                                                    des églises parisiennes au XVIIIe siècle,    Bologne, Parme, Plaisance et Turin.
                                                                                    dir. Christine Gouzi, Christophe             De retour en France en 1756, il est agréé
                                                                                    Leribault (cat. exp., Paris, Petit Palais,   à l’Académie deux ans plus tard avec
                                                                                    21 mars-16 juillet 2017), Paris Musées,      plusieurs ouvrages, dont La Mort de
Gabriel François Doyen,
                                                                                    Petit Palais, 2017, p. 218, fig. 1.          Virginie, acquise par le duc de Parme.
Apothéose de saint Grégoire,                                                                                                     Au Salon de 1759, il expose Hébé versant
projet pour la calotte de la coupole de la chapelle Saint-Grégoire aux Invalides,
sanguine, craie blanche, pierre noire, lavis brun,                                                                               le nectar à Jupiter qui lui vaut d’être
crayon et encre noire sur une feuille de papier vergé collée sur un carton,                                                      reçu à l’Académie. Doyen répond à
506 x 506 mm (dimensions de la feuille),
578 x 578 (dimensions du carton).
                                                                                                                                 d’importantes commandes pour divers
                                                                                                                                 amateurs, notamment Watelet, le duc
                                                                                                                                 de Choiseul et le prince de Turenne.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                              GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire

     Le Miracle des Ardents, exposé au Salon          L’exécution de notre dessin, daté de 1767,
     de 1767 et destiné à l’église Saint-Roch où      est contemporaine de la réalisation du
     il se trouve toujours en place, lui vaut un      célèbre Miracle des Ardents pour l’église
     succès remarquable et reste de nos jours         Saint-Roch. Il offre un témoignage des
     son tableau le plus célèbre. La Couronne         recherches de Doyen pour l’exécution du
     le sollicite pour la chapelle de Bellevue        décor de la chapelle Saint-Grégoire aux
     en 1772 et pour la salle à manger du Petit       Invalides, achevé en 1773, dans lequel le
     Trianon en 1773. Ses décors témoignent           peintre déploie ses talents de décorateur,
     de la connaissance de Rubens conjuguée           alors qu’il est au faîte de sa gloire.
     à l’expérience des grands maîtres                La chapelle Saint-Grégoire est l’une
     italiens. Cette période d’activité intense       des quatre chapelles d’angle placées
     culmine avec la réalisation du décor de          autour de la coupole centrale de l’église
     la chapelle Saint-Grégoire aux Invalides.        du Dôme des Invalides construite par
     Les honneurs se succèdent : il est nommé         Jules Hardouin-Mansart à partir de
     premier peintre du comte d’Artois et du          1691. Chacune des chapelles conserve
     comte de Provence en 1773 et 1775, et            aujourd’hui la sépulture d’un illustre
     professeur à l’Académie en 1776. En 1779,        personnage : elles abritent les tombeaux
     il expose des tableaux d’inspiration             des maréchaux Foch et Lyautey,
                                                      commandants en chef de la Première                                                                 ill. 1 : Michel II Corneille,
     anacréontique et bachique, mais le succès                                                                                                           Apothéose de saint Grégoire,
                                                      Guerre mondiale, et ceux des rois                                                                  esquisse pour la calotte de la chapelle
     finit par se démentir et ses œuvres sont
                                                      Joseph et Jérôme Bonaparte. Elles sont                                                             Saint-Grégoire, vers 1690,
     sévèrement jugées par la critique. À la                                                                                                             100 x 100 cm,
                                                      dédiées à quatre docteurs de l’Église :                                                            Paris, musée Carnavalet.
     Révolution, il accompagne Alexandre
                                                      saint Augustin, saint Ambroise, saint
     Lenoir pour inventorier les toiles
                                                      Grégoire et saint Jérôme. La chapelle
     destinées au dépôt des Petits-Augustins.
                                                      Saint-Grégoire est décorée de six scènes
     En 1791, il répond favorablement à
                                                      retraçant des épisodes de la vie du saint,
22   l’invitation de Catherine II de Russie,                                                                                                                                                       23
                                                      placées tout autour d’une coupolette         La réalisation du premier décor de la          de commander de nouvelles fresques.
     qui le nomme premier peintre et adjoint          centrale illustrant son ascension. Érudit,   chapelle Saint-Grégoire est confiée en         Carle van Loo, nommé depuis peu
     au directeur de l’Académie impériale             théologien et philosophe, Grégoire le        1702 à Michel Corneille (1642-1708), élève     peintre du roi, est chargé de refaire
     des beaux-arts de Saint-Pétersbourg.             Grand (540-604), élu pape en 590, a mené     de Charles Le Brun, qui achève l’ensemble      les peintures de la chapelle et réalise
     Il forme de nombreux artistes et                 d’importantes réformes en matière de         en 1706. Cependant, une infiltration d’eau     plusieurs études préparatoires, mais
     contribue ainsi au rayonnement de l’art          liturgie. Ses écrits ont profondément        provoque des dommages irréparables.            il décède avant l’exécution des décors.
     français en Russie. Il peint plusieurs           marqué la pensée médiévale. Il est           Les décors de Corneille nous sont              Ses esquisses, qui obtiennent un grand
     compositions plafonnantes, notamment             également célèbre pour avoir propagé         restitués par des gravures de Cochin, et       succès au salon de 1765, sont gravées.
     au palais d’Hiver et au château Saint-           l’ordre bénédictin, perfectionné le          par une esquisse pour la calotte centrale      Il subsiste à ce jour quelques dessins,
     Michel. Il ne reverra jamais la France et        chant ecclésiastique, et envoyé des          conservée au musée Carnavalet (ill. 1).        ainsi que deux projets peints pour la
     s’éteindra en 1806 à Saint-Pétersbourg.          missionnaires en Angleterre.                 En 1760, le marquis de Marigny décide          composition centrale, conservés dans
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                                           GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire

     la collection Motais de Narbonne à                   Loo, il reprend Saint Grégoire retiré
     Paris (ill. 2) et au musée de l’Ermitage             sous la voûte d’un rocher ainsi que Saint
     à Saint-Pétersbourg. À sa mort en 1765,              Grégoire ordonne une procession pour
     Jean-Baptiste Pierre offre de reprendre              conjurer la peste de Rome. Il s’inspire de
     la commande, mais c’est finalement                   Corneille pour La Mort de saint Grégoire.
     Doyen, apprécié pour ses immenses                    Il conserve le thème abordé par les
     tableaux d’histoire au tempérament                   deux peintres pour la composition
     puissant, et considéré comme « le fils               centrale, l’Apothéose de saint Grégoire.
     spirituel de van Loo », qui est pressenti            Il crée également de nouvelles scènes
     pour exécuter cette tâche (ill. 3).                  qui se prêtent parfaitement à la grande
     Doyen reste en partie fidèle au plan                 peinture décorative : Saint Grégoire
     iconographique préalablement défini                  soigne les blessés au siège de Rome, Saint
     par ses prédécesseurs, tiré des Acta                 Grégoire reçoit l’hommage du roi des
     Sanctorum, dont il existait alors des                Goths d’Espagne, et Saint Grégoire fait
     éditions courantes en français. À van                construire l’église Saint-Pierre de Rome.

24                                                                                                                                                                                                        25

                                                                                                       ill. 3 : Décor de la coupole de la chapelle Saint-Grégoire aux Invalides
                                                                                                       construite par Jules Hardouin-Mansart entre 1676 et 1690 et peinte par Doyen entre 1765 et 1771.

                             ill. 2 : Carle van Loo, Apothéose de saint Grégoire,
                   esquisse pour la calotte de la chapelle Saint-Grégoire, vers 1762-1764,
                                       huile sur toile, 69 cm de diamètre,
                                      Paris, collection Motais de Narbonne.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                                                                             GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire

                                                                                                                              ill. 5 : Gabriel François Doyen,
                                                                                                                         Saint Grégoire faisant reconstruire
                                                                                                                              l’église Saint-Pierre de Rome,
                                                                                                                                         plume et encre brune,
                                                                                                                                       lavis brun, pierre noire,
                                                                                                                                                228 x 309 mm,
                                                                                                                            Angers, musée des Beaux-Arts.

                                                       La conception de ce cycle monumental                                 Fogg Art Museum d’Harvard (ill. 4) ; un
                                                       a sans doute donné lieu à un long                                    dessin à la plume et au lavis préparatoire
                                                       travail de préparation de la part de                                 au Saint Grégoire faisant reconstruire
                                                       l’artiste. Dans son article consacré à la                            l’église Saint-Pierre de Rome, conservé
     ill. 4 : Gabriel François Doyen,
     Saint Grégoire est appelé au pontificat,          chapelle Saint-Grégoire, Marc Sandoz                                 au musée Pincé d’Angers, et authentifié
     sanguine et rehauts de craie blanche,             affirme qu’il « ne reste pas de dessins                              comme Doyen par Holger Schulten
     490 x 360 mm,
     Harvard, Fogg Art Museum.
                                                       ni d’esquisses peintes par Doyen pour                                avant 1994 (ill. 5). Il subsiste également
                                                       cet immense travail ; il dut cependant                               une étude à l’huile représentant Saint
                                                       en exister, un travail de cette ampleur                              Grégoire priant pour la fin de la peste à
                                                       ne pouvant être entrepris sans que                                   Rome2, non localisée à ce jour, qui laisse
                                                       l’artiste ait avec précision déterminé ses                           supposer l’existence probable d’une
                                                       compositions et décidé des partis pris à                             série d’esquisses peintes comparables
                                                       adopter ; de plus il fallait certainement                            à celles de van Loo (ill. 6). Enfin, nous
                                                       faire accepter en haut lieu un nouveau                               pouvons signaler l’existence d’un dessin
26                                                     projet1 ». Depuis la publication de                                  à la pierre noire très abouti attribué à                                                                                  27
                                                       l’article en 1971, quelques dessins                                  l’atelier de Doyen, illustrant, à l’instar
                                                       préparatoires ont refait surface : notre                             de notre sanguine, l’Apothéose de saint
                                                       sanguine, première pensée pour la calotte                            Grégoire (ill. 7). Il s’agit d’une reprise
                                                       centrale, redécouverte dans une vente                                de la composition finale, probablement
                                                       à Drouot en 1989 ; une autre sanguine                                pour une gravure non exécutée.
                                                       préparatoire au Saint Grégoire est appelé                                                                                                                   ill. 6 : Gabriel François Doyen,
                                                       au pontificat, acquise en 1993 par le                                                                                                          Saint Grégoire priant pour la fin de la peste
      ill. 7 : Atelier de Gabriel François Doyen,                                                                                                                                                   à Rome, esquisse, huile sur toile, dimensions
                                                                                                                            2. Autrefois dans la galerie Chéreau, Paris, en 1982. Signalée             inconnues, localisation actuelle inconnue.
      Apothéose de saint Grégoire,                                                                                          par Pierre Rosenberg et reproduite dans : G. Kazerouni, in
      pierre noire, rehauts de craie blanche,                                                                               Le Baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre des églises parisiennes
      520 mm de diamètre,                              1. Marc Sandoz, « The drawings of Gabriel François Doyen             au XVIIIe siècle (cat. exp., Paris, Petit Palais, 21 mars-16 juillet
      collection particulière.                         (1726-1806) », The Art Quarterly, 1971, vol. 34, no. 2, p. 137.      2017), Paris, Paris Musées, Petit Palais, 2017, p. 222, fig. 1.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                                                GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire

     Notre sanguine (ill. 8) montre le
     cheminement intellectuel de l’artiste,
     qui s’inspire de l’esquisse de la collection
     Motais de Narbonne peinte quelques
     années plus tôt par van Loo (ill. 9),
     pour aboutir à une composition plus
     personnelle et élaborée dans le décor final
     achevé en 1773 (ill. 10). Comme dans
     l’esquisse de van Loo, saint Grégoire est
     représenté les bras ouverts et les paumes
     de ses mains tournées vers le ciel, dans
     une attitude évoquant l’ouverture et
     le don de soi. Doyen conserve l’élan
     ascensionnel, tout en accentuant l’effet de
     légèreté du groupe, moins compact que
     dans l’esquisse de van Loo : Grégoire le
     Grand, en lévitation, n’est plus soutenu
     que par deux anges, et il porte un large         ill. 9 : Carle van Loo, Apothéose de saint Grégoire,
                                                      esquisse pour la calotte de la chapelle Saint-Grégoire,
     manteau flottant dans les airs. Dans             vers 1762-1764, huile sur toile, 69 cm de diamètre,
     le décor final, le peintre met au point          Paris, collection Motais de Narbonne.

     une composition plus complexe : une
     cohorte de putti, concentrés sur les
     bords de la toile, émergent des nuages et
     portent les attributs du pape (la croix et
     la tiare pontificales, le recueil de chants
     grégoriens). Le saint, défiant les lois de
     l’apesanteur, s’élève seul au milieu des
                                                                                                                ill. 10 : Gabriel François Doyen, Apothéose de saint Grégoire,
     nuées, sans avoir recours à l’aide des                                                                     huile sur toile, calotte centrale de la chapelle Saint-Grégoire, église Saint-Louis-des-Invalides.
     anges. Comme le souligne justement
28                                                                                                                                                                                                                   29
     Marc Sandoz : « Les anges reçoivent le
     dépôt de cette grande âme à la dimension                                                                   moins sensible chez Corneille et chez                   science du trompe-l’œil, dont les effets
     du monde, qui a renouvelé l’Église,                                                                        van Loo, afin d’arracher le fidèle au                   sont saisissants depuis le sol. Le décor
     reconstitué l’État, œuvré pour la gloire                                                                   monde terrestre et de rendre tangible                   de Doyen témoigne de la virtuosité
     du ciel. Tout cela est exprimé dans une                                                                    la réalité du divin. En réaction au                     d’un artiste très habile dans l’exercice
     véhémence incroyable d’oppositions de                                                                      scepticisme ambiant, l’Église use alors                 difficile de la grande décoration murale
     lumières et d’ombres, de mouvements                                                                        de tous les moyens qui avaient réussi                   et plafonnante. Considéré en son temps
     ascensionnels, d’actions humaines et                                                                       à l’art de la Contre-Réforme un siècle                  comme le restaurateur du grand goût,
     célestes3. » Doyen renforce la perspective                                                                 plus tôt : reviviscence des coupoles                    le peintre prouve ainsi sa capacité à
                                                      ill. 8 : Gabriel François Doyen,
     di sotto in su et l’effet dramatique,            notre dessin préparatoire pour la calotte                 peintes et des baldaquins, enfilades de                 donner un nouveau souffle à la peinture
                                                      de la chapelle Saint-Grégoire aux Invalides.              chapelles, richesse des matériaux et                    religieuse dans les années 1760-1770.
     3. Marc Sandoz, op. cit., 1971, p. 140.
GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire

On retrouve, dans notre dessin, l’emphase        du futur tableau (soixante pieds soit dix-
et le dynamisme qui caractérisent                neuf mètres cinquante de circonférence,
la production peinte de Doyen. En                soit plus de six mètres de diamètre),
effet, l’énergie du tracé et l’élan de la        la hauteur sous plafond une fois la
composition sont révélateurs de son style.       toile placée dans la chapelle (quatre-
Les protagonistes sont esquissés d’un            vingt-dix pieds soit vingt-neuf mètres
trait rapide et flou. L’ensemble vibrant         de haut), et la taille de la « flèche »,
suggère la légèreté et le mouvement. Les         c’est-à-dire la courbure de la voûte4
effets de lumière sont rendus grâce à une        (six pieds soit près de deux mètres).
utilisation judicieuse de la craie blanche,      Le caractère exceptionnel de notre
et les raccourcis sont parfaitement              dessin réside également dans son effet
maîtrisés. Le lyrisme de la composition,         illusionniste. Au premier regard, la
le naturalisme des figures et la capacité        composition, de format circulaire,
d’invention de peintre s’illustrent              semble avoir été placée dans un montage
parfaitement dans notre sanguine.                indépendant : habile supercherie de
Notre œuvre constitue probablement               la part du peintre, qui prend soin de
un modello présenté aux mécènes afin             dessiner, sur une seule et même feuille
de gagner leur approbation avant de              de format carré, la scène centrale à la                              31
commencer à travailler sur la toile finale.      sanguine, et l’encadrement du montage à
L’inscription de la main de l’artiste            la plume, à l’encre et au lavis, aboutissant
en bas à gauche permet d’imaginer les            ici à un savant effet de trompe-l’œil.
proportions monumentales

                                                                                         Amélie du Closel

                                                 4. La flèche correspond à la différence de hauteur entre le bas et
                                                 le haut de la coupole.
Jean-Honoré
                                      Fragonard
                                  (Grasse 1732-1806 Paris)

                                        Portrait d’enfant
                                          au chapeau

                                Inscription sur une étiquette collée au dos
                                du panneau : « Pe (…) / par Fragona (…) »
                                Provenance :
                                Ernest Gimpel (1858-1907).
                                Collection Ernest Cronier (1850-1905).
                                Sa vente, Paris, Galerie Georges Petit,
                                4-5 décembre 1905, n° 9, comme « Jean-
                                Honoré Fragonard, Portrait de fillette ».

                                N
                                          otre petit tableau constitue un     commissions permettant la création
                                          rare exemple de la production       des collections du musée du Louvre.
                                          tardive de Fragonard. En effet,     La fin de la carrière de l’artiste est
                                peu d’œuvres de l’artiste réalisées après     marquée par la réalisation de quelques
                                1780 sont documentées ou datées.              portraits aux modelés adoucis, qui
                                À partir de cette époque, Fragonard           diffèrent significativement des figures
                                renonce aux audaces picturales des            aux gestes expressifs et aux drapés
                                années précédentes et se consacre, d’une      vigoureux des années 1760-1770, brossées
                                part, à des scènes de genre raffinées, très   largement. Fragonard se consacre
                                finies, dans le goût des petits maîtres       principalement aux portraits d’enfants,       33
                                hollandais du XVIIe siècle, parfois           de petites dimensions. La naissance,
                                en collaboration avec sa belle-sœur           en 1780, de son fils Alexandre-Évariste
                                Marguerite Gérard, et, d’autre part, à des    Fragonard, surnommé Fanfan, lui
                                allégories nocturnes. En 1788, le décès       donne l’occasion de se livrer à l’un de
                                de sa fille, Rosalie, anéantit l’artiste.     ses exercices favoris, la représentation de
                                Ce dernier quitte Paris avec sa femme et      l’enfance : dans les nombreuses effigies de
                                sa belle-sœur pour s’installer à Grasse       bambins exécutées à cette époque (ill. 1),
                                au début des années 1790, chez leur           l’artiste rend hommage aux peintres
 Jean-Honoré Fragonard,
Portrait d’enfant au chapeau,
                                cousin Alexandre Maubert. De retour           nordiques, en privilégiant une palette
     huile sur panneau,         à Paris en 1791, Fragonard, chargé de         presque monochrome et l’utilisation
         7,8 x 6,7 cm.
                                nombreuses missions, participe à diverses     d’un clair-obscur rembranesque.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                         JEAN-HONORÉ FRAGONARD, Portrait d’enfant au chapeau

                                                            Les miniatures longtemps attribuées à
                                                            l’artiste s’inscrivent dans cette lignée,
                                                            et représentent quasi exclusivement
                                                            des portraits d’enfants en costume
                                                            espagnol ou déguisés en Pierrot. Peintes
                                                            à la gouache et à l’aquarelle sur ivoire,
                                                            ces miniatures ont fait le bonheur des
                                                            collectionneurs de la fin du XIXe et du
                                                            début du XXe siècle. Les catalogues de
                                                            vente, inventaires ou expositions du
                                                            XXe siècle les ont toujours données au
                                                            maître, malgré parfois quelques réserves.
                                                            Dans un article de 1996, De qui sont
                                                            les miniatures de Fragonard ?1, Pierre
                                                            Rosenberg fait le point sur la question et
                                                            rend cet ensemble à la femme du peintre :
                                                            Marie-Anne Fragonard (1745-1823).
                                                            Reconnue comme une miniaturiste
                                                                                                                                      ill. 2 : notre œuvre taille réelle.
                                                            de talent de son vivant, son nom s’est
                                                            progressivement effacé au profit de
                                                            celui, plus lucratif, de Jean-Honoré à sa
                                                            mort. Les compositions de Marie-Anne
                                                            dérivant souvent de celles de son mari,
                                                            quand elles ne le copient pas directement,
                                                            on comprend que la méprise ait été facile.

                                                            Notre petite huile sur panneau, bien
34                                                                                                                                                                              35
                                                            que d’un format proche de celui des
                                                            miniatures, est un véritable tableau
                                                            (ill. 2). Il n’existe d’ailleurs aucune
                                                            peinture de Marie-Anne. Elle a souvent
                                                            copié ou pastiché les œuvres de son
     ill. 1 : Jean-Honoré Fragonard,                        époux en intégrant quelques variantes,
     Enfant en Pierrot,                                     notamment dans une miniature sur
     huile sur toile, 61 x 51 cm,
     Londres, Wallace Collection.                           ivoire dérivant de notre tableau (ill. 3).
                                                                                                                                      ill. 3 : Marie-Anne Fragonard,
                                                                                                                                       Portrait d’enfant au chapeau,
                                                            1. Pierre Rosenberg, « De qui sont les miniatures de                gouache et aquarelle sur ivoire, 80 x 60 mm,
                                                            Fragonard ? », Revue de l’Art, n° 111, 1996, pp. 66-76.            vente Paris, palais Galliéra, 3 décembre 1966.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle

     ill. 4 : Jean-Honoré Fragonard,                                     ill. 5 : Jean-Honoré Fragonard,
     La Liseuse,                                                         Le Billet doux,
     huile sur toile, 82 x 65 cm,                                        huile sur toile, 83 x 67 cm,
     Washington, National Gallery of Art.                                New York, Metropolitan Museum of Art.

     La technique est celle de Jean-Honoré                               Notre tableau a appartenu à Ernest
     Fragonard : touche nerveuse et rapide                               Cronier (1850-1905). Il figure au
     dans la chevelure, pose aérienne des                                numéro 92 de la vente de sa collection
     draperies au mouvement sinueux, coups                               en 1905. Cet industriel, directeur de
     de brosse plus denses dans les chairs.                              la raffinerie de sucre Say, possédait
     Dans ses portraits tardifs, Fragonard                               plusieurs œuvres majeures de Fragonard
     emploie généralement une lumière                                    dont La Liseuse (ill. 4) et Le Billet doux
     colorée très douce, faite de camaïeux                               (ill. 5). L’exclusivité de sa collection
36
     de brun et de caramel blond qu’on                                   avait été constituée auprès du marchand
     retrouve dans les zones d’ombre de notre                            Ernest Gimpel (1858-1907) qui dut
     tableau. Sa matière est alors plus fine,                            lui vendre notre petit tableau3.
     posée par petites touches aiguisées et
     jouant sur la transparence des glacis.
                                                                                                          Ambroise Duchemin

     2. Décrit dans la vente comme : « Portrait de fillette. Vue de      3. « L’homme qui a peut-être le plus servi à édifier notre
     face, jusqu’à la poitrine, corsage vert décolleté, chapeau de       fortune fut Ernest Cronier, dont mon père fit toute la collection   verso de notre panneau
     paille jaune garni de rubans bleus. Le chapeau est posé en          et dont la vente eu lieu en 1905 », René Gimpel, Journal d’un
     arrière sur la tête et découvre des cheveux blonds bouclés, que     collectioneur, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 1963, p. 309.
     retient un ruban bleu. Petite peinture ovale. Haut., 7 1/2 cent.;
     larg., 6 cent. 1/2. » Annotation manuscrite dans la marge du
     catalogue conservé à la BnF : « 3800 M. Panhart ».
Firmin Massot,
Portraits présumés du prince Paul Antoine III Esterházy (1786-1866)
et de sa femme la princesse Maria Theresa Esterházy née von Thurn und Taxis (1794-1874),
paire d’huiles sur panneaux,
44 x 36 cm chacun.
FIRMIN MASSOT, Paire de portraits

       Firmin Massot
     (Genève 1766-1849 Genève)

          Portraits présumés
      du prince Paul Antoine III
         Esterházy (1786-1866)
      et de sa femme la princesse
       Maria Theresa Esterházy
       née von Thurn und Taxis
              (1794-1874)

     Inscriptions manuscrites sur                Provenance :
     des étiquettes collées au dos des           Nathalie de Mainau, comtesse de Caimo
     panneaux (illisible pour le portrait        (1836-vers 1876), Lilienberg, Ermatingen.
     féminin. Voir la retranscription            Sa vente, Lilienberg Ermatingen, 1876.
     p. 42 pour le portrait masculin).
                                                 Collection privée, Zurich.
                                                 Vente Zofingue, Auktionshaus Zofingen,
                                                 2 juin 2018, n° 1676, comme « école
                                                 autrichienne du XIXe siècle ».

                                                                                             ill. 1 : Wolfgang-Adam Töpffer, Jacques-Laurent Agasse, Firmin Massot,
                                                                                             Portrait des demoiselles Mégevand, Jeanne-Françoise Élisabeth et
                                                                                             Anne-Louise, future épouse de Firmin Massot,
                                                                                             1793-1794, huile sur carton, 68,5 x 56,5 cm,
                                                                                             Genève, musée d’art et d’histoire, dépôt de la fondation Gottfried Keller, Berne, 1946,

     F
                                                                                             inv. 1946-0008.
              irmin Massot est issu d’une        Louis-Ami Arlaud-Jurine et de François
40                                                                                                                                                                                                41
              famille d’artisans et horlogers    Ferrière, miniaturistes suisses formés
              originaire des Ardennes,           par le Français Joseph-Marie Vien.
     réfugiée en Suisse pour des motifs          Entre novembre 1787 et juin 1788, il        animalier Jacques-Laurent Agasse (ill. 1).             des étrangers comme Juliette Récamier
     religieux. Sa sœur aînée Jeanne-Pernette    accompagne le conseiller François           Ces trois artistes nouent des liens étroits            (ill. 2), l’impératrice Joséphine (ill. 3)
     Schenker-Massot, miniaturiste, devient      Jallabert en Italie. Il expose au premier   et donnent naissance à une véritable école             et sa fille Hortense de Beauharnais. En
     son premier maître. Il entre en 1778, à     Salon de Genève en 1789. À partir du        de peinture genevoise. Malgré quelques                 novembre 1794, il séjourne et travaille
     l’âge de onze ans, à l’École de dessin de   début des années 1790, jusqu’en 1800,       conflits et polémiques, ils s’influencent              à Mézery, près de Lausanne, auprès de
     Genève. Il est l’élève de Jean-Étienne      Firmin Massot peint de nombreux             mutuellement en échangeant conseils,                   Madame de Staël. Nommé directeur des
     Liotard à l’École de dessin d’après         portraits inspirés des maîtres anglais,     procédés et « recettes ». Parmi les                    Écoles de dessin de la ville de Genève en
     nature fondée par la Société des Arts.      en collaboration avec le paysagiste         mécènes de Massot, figurent des notables               1799 et membre de la Société des arts de
     Il suit également l’enseignement de         Wolfgang-Adam Töpffer et le peintre         genevois et vaudois, mais également                    Genève en 1800, le peintre acquiert de son
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                                                                                FIRMIN MASSOT, Paire de portraits

                                                                                                                                                                                    ill. 4 : Firmin Massot,
                                                                                                                                                                                    Portrait de Jacques-Antoine Odier-Cazenove,
                                                                                                                                                                                    vers 1805,
                                                                                                                                                                                    huile sur toile, 48 x 36 cm,
     ill. 2 : Firmin Massot,                          ill. 3 : Firmin Massot,                                                                                                       collection particulière.
     Portrait de Juliette Récamier, 1807,             Portrait de l’impératrice Joséphine, 1812,
     huile sur toile, 29,5 x 24,5 cm,                 huile sur toile, 74 x 66 cm,
     Lyon, musée des Beaux-Arts.                      Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage.

                                                                                                                 Nos deux portraits, inédits, viennent                           souvent usité par l’artiste au début
                                                                                                                 enrichir le corpus de Firmin Massot                             du XIXe siècle. Massot fait poser ses
     vivant une solide réputation. Il donne des       François Richard à Lyon. Ils le retrouvent                 défini par Valérie Louzier-Gentaz, qui                          modèles, habituellement représentés
     leçons particulières et forme notamment          l’année suivante à Aix-les-Bains. Firmin                   situe leur exécution dans les premières                         assis, le corps tourné de profil ou de
     Nancy Mérienne et Amélie Munier-                 Massot séjourne en Angleterre et en                        années du XIXe siècle. Entre 1790 et 1820,                      trois-quarts et le visage de face, dans
     Romilly. En automne 1807, il se rend en          Écosse entre 1828 et 1829. À Londres,                      les aristocrates genevois et étrangers de                       un intérieur bourgeois (il s’agit le plus
     France en compagnie de Töpffer et fait la        il se lie avec Thomas Lawrence. Dans                       passage dans la ville se pressent dans                          souvent de son propre atelier, comme
42                                                                                                                                                                                                                                43
     connaissance de François Gérard et Jean-         les années 1830, Massot, influencé par                     l’atelier du peintre, qui connaît alors un                      dans le Portrait de Jacques-Antoine
     Baptiste Isabey à Paris. En 1812, les deux       les fancy pictures anglaises, se consacre                  important succès. Il propose différents                         Odier-Cazenove cité plus haut), ou,
     peintres genevois rencontrent Fleury             davantage à la peinture de genre1.                         prix, proportionnels aux formats adoptés                        à l’instar de notre paire de portraits,
                                                                                                                 (en buste, jusqu’aux genoux et en pied).                        devant un écrin de verdure destiné à
                                                                                                                 Le cadrage « jusqu’aux genoux » de                              les mettre en valeur (ill. 3, 14 et 15).
                                                                                                                 nos deux œuvres, que l’on retrouve par                          Les paysages sont occasionnellement
                                                                                                                 exemple dans le Portrait de Jacques-                            confiés au paysagiste Töpffer, mais
                                                                                                                 Antoine Odier-Cazenove2 (ill. 4), est                           selon Valérie Louzier-Gentaz, il est
                                                                                                                                                                                 fort probable que Massot ait exécuté
                                                      1. Valérie Louzier-Gentaz, Firmin Massot, SIK ISEA,
                                                      1998, réactualisé en 2016, www.sikart.ch/KuenstlerInnen.   2. Valérie Louzier-Gentaz, Portrait de Jacques-Antoine Odier-
                                                                                                                                                                                 lui-même les fonds de nos portraits.
                                                      aspx?id=4022930, consulté en septembre 2018.               Cazenove, vers 1805, dossier d’expertise, septembre 2012.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                                                                                FIRMIN MASSOT, Paire de portraits

                                                                                                          la Française Marie Louise Plaideux3,
                                                                                                          dont il fait la connaissance à Paris
                                                                                                          en juillet 1810. Le prince, qui tombe
                                                                                                          immédiatement sous le charme de sa
                                                                                                          nouvelle compagne, l’installe au château
                                                                                                          de Pottendorf. La seule effigie connue
                                                                                                          de la jeune femme est un buste en plâtre
                                                                                                          réalisé par le sculpteur suédois Berthel
                                                            ill. 5 : inscription manuscrite               Thorvaldsen (ill. 7) sur commande du
                                                            au verso de notre portrait masculin.
                                                                                                          prince Esterházy en 1818. De leur union
                                                                                                          naissent trois enfants : Nathalie en 1811,
                                                                                                          Virginie en 1812, suivi de Nicolas en
     Des étiquettes collées au revers de nos          enfants. Il se démarque par son goût du             1814, qui obtiennent le titre de barons
     panneaux indiquent la provenance                 faste et sa passion pour l’art. Il développe        de Mainau, du nom de l’île située sur le
     des œuvres (ill. 5). Nous pouvons                l’une des plus grandes collections                  lac de Constance, achetée une somme
     déchiffrer l’inscription manuscrite              européennes, en accumulant dans                     considérable par le prince Esterházy pour
     figurant au dos du portrait masculin :           ses propriétés des œuvres anciennes,                son fils. La famille illégitime du prince
     « Dieses Porträt kauften wir an der              essentiellement des écoles italienne et             Esterházy, rejetée par la société viennoise,
     Cämmerversteigerung (?) von Gräfin               allemande, et devient un mécène de                  est amenée à voyager fréquemment en                                ill. 7 : Berthel Thorvaldsen,
     Caimo 1876 ca : es stellt den Grossvater         premier plan pour les plus grands artistes          Europe et particulièrement en Italie.
                                                                                                                                                                             Buste présumé de Marie Louise Plaideux,
                                                                                                                                                                             vers 1817, plâtre, 55,3 cm de hauteur,
     den Natalie von Mainau (später Gfin              de son temps. La vie privée du prince               Selon l’inscription sur l’étiquette, nos                           Thorvaldsens Museum.
     Caimo) den / Fürsten Nikolaus von                est tumultueuse : parmi ses nombreuses              panneaux ont appartenu à Nathalie de
     Esterhazy (sic) von / Galantha dar               maîtresses, il favorise particulièrement            Mainau (née en 1836), épouse de Jean                               les traits du prince Nicolas II Esterházy,
     & ist nach / Herr von Petzold, dem                                                                   Liévin Louis Caimo, fille de Nicolas de                            âgé de quarante-cinq ans en 1810 (ill. 6).
     Kunstkritiker höchst warscheinlich                                                                   Mainau et petite-fille du prince Nicolas II                        Pourrait-il s’agir, comme le suggère
     gemalt von dem tiroler Maler Lampi                                                                   Esterházy. Jusqu’à leur vente vers 1876,                           Stefan Körner, d’un autre amant de Marie
     s. z. Hofmaler / von Katherina II von                                                                nos deux portraits ornaient les murs                               Louise Plaideux ? Elle entretient, à la
     Russland » que l’on peut traduire par :                                                              de la villa Lilienberg à Ermatingen,                               même époque, une relation avec Vito
     « Nous avons acheté ce portrait à la                                                                 propriété des Caimo entre 1861 et 1871,
44                                                                                                                                                                           Marija Bettera-Vodopic (1771-1841).                                45
     comtesse Caimo vers 1876. Il représente                                                              située au bord du lac de Constance.                                Originaire de Raguse (Dubrovnik),
     le grand-père de Nathalie de Mainau
                                                                                                          En dépit de l’inscription, et d’une possible                       cet espion de Talleyrand, à l’esprit
     (plus tard comtesse Caimo), le prince
                                                                                                          ressemblance de notre modèle féminin                               calculateur, arrive à Eisenstadt en
     Nicolas Esterházy. D’après le critique
                                                                                                          avec le buste de Marie Louise Plaideux                             compagnie des Plaideux le 27 juillet 1810.
     d’art Herr von Petzold il a certainement
                                                                                                          (ill. 7), nous ne reconnaissons pas,                               La rédaction d’un pamphlet contre le
     été peint par Lampi, peintre de la
                                                                                                          dans notre portrait de jeune homme,                                prince en 1823 entraînera sa disgrâce4.
     cour de Catherine II de Russie ».
     Nicolas II Esterházy (1765-1833) (ill. 6),
                                                                                                          3. Voir à ce sujet : François de Lannoy, Une branche naturelle
     dont il est question ici, épouse en 1783,                                                            des princes Esterházy : les barons de Mainau, Castres, 2015,       4. Veit Maria de Bettera-Wodopich, Exposé des Réclamations de
                                                      ill. 6 : Joseph Lanzedelli, Nicolas II Esterházy,
     à l’âge de dix-huit ans, Marie, princesse        vers 1804, miniature sur ivoire,
                                                                                                          et Dr. Stefan Körner, Nikolaus II. Esterházy (1765-1833) und die   M. de Bettera Wodopich contre le Prince Régnant d’Esterházy et
                                                                                                          Kunst : biografie eines manischen Sammlers, Vienne, Cologne,       ses Contestations sur cet objet avec le Prince Paul Esterházy de
     de Liechtenstein qui lui donnera trois           Vienne, collection particulière.                    Weimar, Bölhau, 2013, pp. 238-239.                                 Galanta, Londres, 1823.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle                                                                                                                      FIRMIN MASSOT, Paire de portraits

     Nos portraits pourraient plus                                                                                     en amande, les sourcils bien dessinés
     vraisemblablement représenter le premier                                                                          et le nez fin et droit. Firmin Massot
     fils légitime de Nicolas II Esterházy, le                                                                         la représente dans la plénitude de sa
     prince Paul Antoine III Esterházy                                                                                 jeunesse. La jeune femme, aux joues
     (1786-1866) et sa femme la princesse                                                                              légèrement rosées, fixe le spectateur avec
     Maria Theresa Esterházy née von                                                                                   un air de mélancolie douce et rêveuse.
     Thurn und Taxis (1794-1874), âgés                                                                                 Sa tenue témoigne de la diffusion des
     respectivement de vingt-six et dix-huit                                                                           modes françaises en Europe. Elle est
     ans au moment de leur mariage, célébré                                                                            vêtue d’une simple robe à la grecque,
     le 18 juin 1812 à Ratisbonne. En 1810,                                                                            à taille haute et manches courtes. Un
     Paul Antoine est chargé d’aller au-devant                            ill. 8 : Adam Brenner,                       élégant châle en cachemire orange, bordé
     du prince Berthier, envoyé par                                       Princesse Maria Theresia Esterházy,          de motifs floraux, recouvre son épaule
                                                                          née von Thurn und Taxis,
     Napoléon Ier pour demander la main                                   huile sur toile, dimensions inconnues,       gauche et retombe négligemment jusqu’à
     de l’archiduchesse Marie Louise. Peu                                 fondation Esterházy, château d’Eisenstadt.   ses pieds. Marie Léopoldine Esterházy,
     de temps après, il part pour La Haye en                                                                           sœur de Nicolas II, porte un modèle
     qualité d’ambassadeur auprès de la cour                                                                           similaire dans le portrait peint par
     de Hollande. En 1814, il se voit confier                                                                          Gérard vers 1806 (ill. 10). Cet accessoire
     une nouvelle mission auprès du souverain                                                                          indispensable dans la garde-robe
     pontife Pie VII. Allié par sa femme à                                                                             d’une femme de qualité, figure dans de
     la famille régnante d’Angleterre, il est                                                                          nombreux portraits féminins de Massot,         ill. 10 : François Gérard,
     désigné en 1815 ministre plénipotentiaire                                                                         et notamment dans l’effigie en pied de         Maria Leopoldina, princesse Grassalkovich
                                                                                                                                                                      de Gyarak, née Esterházy (1776-1884), détail,
     de la cour de Londres. L’année suivante,                                                                          Joséphine (ill. 3), l’une des premières        1806, huile sur toile, 214 x 140 cm,
     il est à Paris en qualité d’ambassadeur                                                                           femmes à recevoir des châles exotiques         signé « F.s Gérard »,
                                                                                                                                                                      Eisenstadt, fondation Esterházy.
     d’Autriche5. Paul Antoine III, qui mène                                                                           rapportés de la campagne d’Égypte par
     une carrière diplomatique, est donc                                                                               Bonaparte. La coiffure « à la Titus »
     amené à voyager fréquemment en Europe.                                                                            témoigne de la réminiscence des coupes
     Une visite à Genève vers 1810, où il aurait                                                                       à l’antique à partir des années 1790,
     pu fréquenter l’atelier de Firmin Massot                                                                          jusque dans les années 1815 : on privilégie
     en compagnie de sa jeune fiancée, semble                                                                          alors les cheveux naturels, courts ou mi-
46                                                                                                                                                                                                                    47
     par conséquent tout à fait envisageable.                                                                          longs, à l’imitation des bustes romains.
     Notre modèle féminin présente des traits                                                                          J.-N. Palette, un coiffeur français, fait
     communs avec les autres effigies connues                                                                          publier en 1810 un Éloge de la coiffure à la
                                                                          ill. 9 : Ernst Lafite,
     de Maria Theresa von Thurn und Taxis,                                Princesse Maria Theresia Esterházy,          Titus pour les dames, vantant le désordre
     réputée pour sa beauté (ill. 8 et 9) : le
                                                                          née von Thurn und Taxis,                     savamment étudié de cette coupe qui
                                                                          huile sur panneau ovale, 24,5 x 20,5 cm,
     visage rond, un peu large, de grands yeux                            collection particulière.
                                                                                                                       « donne l’air jeune, remplace tous les
                                                                                                                       ornements, les bijoux et les plumes ».

     5. Antoine Vincent Arnault et al., Biographie nouvelle des
     contemporains, ou dictionnaire historique et raisonné de tous
     les hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis
     de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou
     leurs crimes, soit en France, soit dans les pays étrangers, Paris,
     La Librairie historique, 1822, vol. VI, p. 410.
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