Tableaux, dessins et sculpture - du XVe au XIXe siècle - Galerie Hubert Duchemin
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Tableaux, dessins & sculpture du XVe au XIXe siècle Catalogue Amélie du Closel Ambroise Duchemin Maxime Georges Métraux Galerie Hubert Duchemin 8, rue de Louvois | 75002 Paris www.hubertduchemin.com
C T ette année nous voguons vers his year we are sailing further des horizons plus larges que afield than we do usually, d’habitude, du XVe à la fin from the 15th to the late 19th du XIXe siècle. Mais comme toujours, century. But as always, seven of the sept objets sur huit sont inédits. eight objects are new discoveries. Seul le dessin de Doyen était connu Only the drawing by Doyen was already (il avait marqué les esprits par sa known (it had attracted attention for its beauté et son prix retentissant beauty and its impressive price at auction obtenu aux enchères en 1989). in 1989). Le marbre de Gregorio di Lorenzo The marble by Gregorio di Lorenzo and et les portraits de Firmin Massot ont the portraits of Firmin Massot were Remerciements été acquis comme « anonymes » par acquired as “anonymous” by those who ceux qui nous les ont apportés... brought them to us… Que soient ici vivement remerciés de leur aide, de leur écoute patiente et de leurs conseils avisés : Le petit Fragonard, nous l’avons As for the little Fragonard, we spotted débusqué à l’hôtel Drouot, présenté it at the Hôtel Drouot, presented as a Stéphane Barbier-Mueller, Élisabeth Bastier, Antoine Béchet et son équipe, comme une miniature : il s’agit miniature: it is in fact a small painting! Pr. Alfredo Bellandi, Julian Bondroit, Pierre Bucat, David Champion, Pierre Curie, en fait d’un petit tableau ! The two Delacroix heads arrived with Isabella Donadio du Harvard Art Museum, Emmanuel Ducamp, Marie-Anne Dupuy-Vachey, Les deux têtes de Delacroix sont us after having travelled around (we Éric Fallas, Susana Garcia du M.A.H. de Genève, Roman Herzig, Christophe Janet, arrivées chez nous après avoir tourné have not held this admitted lack of taste Pr. Stefan Körner, François de Lannoy, Marie-Caroline Le Guen, Valérie Louzier-Gentaz, ailleurs (nous n’avons pas tenu rigueur against their owners!). Jane MacAvock, Pierre Morin, Patrick Noon, Jan Ortmann, Benjamin Peronnet, à leurs propriétaires respectifs pour The Dulac pastel was handed over by a Béatrice Peyret-Vignals, Marie-Christelle Poisbelaud, Louis-Antoine Prat, Alice Pujol, cette faute de goût avouée !). collector and it is published here for the Dr. Rosenauer, Stéphane Rouvet, Marine Sangis, Dominique Sauvegrain du musée Pincé d’Angers, Le pastel de Dulac nous a été confié first time... Olivier Scherberich, le studio Sebert, Arlette Sérullaz, Lilas Sharifzadeh, par un collectionneur et il est As for the still life, we had a great Henrique Simoes du musée des Beaux-Arts de Lyon, Sylvie Tailland, Christophe Trembley, publié ici pour la première fois... surprise: bought at Drouot by Ambroise Jean-Pascal Viala, Edwart Vignot, Gabriel et Yvonne Weisberg. Quant à la nature morte, nous eûmes with the intuition that it may be by une bonne surprise : achetée par Dagnan-Bouveret, we uncovered the Ambroise à Drouot avec l’intuition signature on the edge when we took it out qu’elle puisse être de Dagnan-Bouveret, of its frame! nous avons découvert la signature sur la tranche en la décadrant ! Traduction : Jane MacAvock © Galerie Hubert Duchemin, Paris, 2018. Hubert Duchemin
Sommaire Gregorio di Lorenzo 8 Gabriel François Doyen 18 Apôtre Apothéose de saint Grégoire Jean-Honoré Fragonard 30 Firmin Massot 36 Portrait d’enfant au chapeau Paire de portraits Eugène Delacroix 52 Eugène Delacroix 62 Étude de tête d’homme barbu Portrait d’Oriental au turban Une sculpture, cinq tableaux & trois dessins Pascal Adolphe Jean Dagnan-Bouveret Nature morte aux pêches 76 Charles-Marie Dulac Le Grand-Rocher (Fontaine-de-Vaucluse) 82
Gregorio di Lorenzo, Apôtre (saint Jean ?), ca. 1460 – 1470, bas-relief en marbre, Gregorio 47,2 x 34,9 x 9,7 cm. di Lorenzo (Florence ca. 1436-ca. 1504 Forlì) Apôtre (saint Jean ?) N ouvelle addition à l’œuvre de Middeldorf 4 et John Pope-Hennessy5. Gregorio di Lorenzo1, notre Il a également fait l’objet de plusieurs bas-relief représente un ajout tentatives d’identification à Tommaso significatif à la connaissance de la Fiamberti, Domenico Rosselli ou production de ce sculpteur italien encore Giovanni Ricci. Le mystère du du Quattrocento. Longtemps resté « Maître des Madones de marbre » inconnu, cet artiste n’a été redécouvert est finalement percé en 2001 par que récemment à la suite d’un travail Alfredo Bellandi qui parvient à relier considérable mené par différents avec certitude ce nom de commodité historiens de l’art depuis la fin du à l’artiste Gregorio di Lorenzo6. XIXe siècle. Gregorio di Lorenzo est en Formé dans l’atelier de Desiderio effet longuement resté caché derrière da Settignano7, ce sculpteur a le nom de convention du « Maître des principalement réalisé des bas-reliefs Madones de marbre2 ». Forgée en 1886 par mariaux ainsi que des bustes représentant Wilhem von Bode3, cette dénomination l’Ecce Homo. Gregorio di Lorenzo est créée suite à la constitution d’un ouvre son propre atelier sur la Piazza corpus gravitant autour de l’œuvre de di San Giovanni à Florence en 1461 et Mino da Fiesole et Antonio Rossellino. rencontre un certain succès. Il a ainsi Malgré son anonymat, le « Maître des reçu plusieurs commandes prestigieuses Madones de marbre » a suscité l’intérêt de dont celle d’un bassin pour la sacristie de 11 nombreux historiens de l’art dont Ulrich Badia Fiesolana. Son activité artistique 4. Ulrich Middeldorf, « Un Ecce Homo del Maestro delle Madonne di marmo », in Arte illustrata, VII, 57, 1974, pp. 2-9. 5. John Pope-Hennessy avec l’assistance de Ronald Lightbown, Catalogue of Italian Sculpture in the Victoria and Albert Museum, Londres, H.M.’s Stationery Office, 1964, pp. 151-156. 6. Alfredo Bellandi, « Master of the Marble Madonnas », 1. Voir Alfredo Bellandi, Expertise de l’Apôtre (saint Jean ?) in Masterpieces of Renaissance art Eight Rediscoveries, par Gregorio di Lorenzo, datée du 15 octobre 2017. dir. Andrew Butterfield et Anthony Radcliffe, New York, 2. Alfredo Bellandi, Gregorio di Lorenzo : il maestro delle Salander-O’Reilly Galleries, 2001, pp. 34-40. madonne di marmo, Morbio Inferiore, Selective Art, 2010, 7. Voir Desiderio da Settignano : la scoperta della grazia nella pp. 3-81. scultura del Rinascimento, dir. Marc Bormand, Beatrice 3. Wilhem von Bode, « Die Italienischen Skulpturen Paolozzi Strozzi et Nicholas Penny (cat. exp. Paris, musée du der Renaissance in den Königlichen Muzeen zu Berlin Louvre, 27 octobre-22 janvier 2007, Florence, Museo nazionale Die Florentiner Marmorbildner in der zweite Hälfte des del Bargello, 21 février-3 juin 2007, Washington, National Quattrocento », in Jahrbuch der königlichen Preussischen Gallery of Art, 1er juillet-8 octobre 2007), Milan, 5 Continents, Kunstsammlungen, VII, 1886, pp. 29-32. Paris, musée du Louvre, 2007.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle GREGORIO DI LORENZO, Apôtre ill. 1 : Gregorio di Lorenzo, ill. 2 : Gregorio di Lorenzo, ill. 3 : Gregorio di Lorenzo, ill. 4 : Gregorio di Lorenzo, Vierge à l’Enfant, ca. 1460, Ecce Homo, ca. 1475, Christ couronné d’épines, ca. 1470-1480, Mater dolorosa, ca. 1470-1480, marbre, 118 x 83 cm, marbre, 48 cm de hauteur, marbre, 40,5 x 29,5 cm, marbre, 40,5 x 29,5 cm, Urbino, Galleria Nazionale delle Marche. Berlin, Staatliche Museen. Berlin, Staatliche Museen. Berlin, Staatliche Museen. est en outre attestée dans la capitale de Mattia Corvino où il a séjourné de dans la Vierge à l’Enfant de la Galleria la République florentine par diverses 1475 à 1490. En 1502, Gregorio di Nazionale delle Marche d’Urbino (ill. 1) sources archivistiques datées entre Lorenzo est à Forlì où il collabore dont la réalisation par Gregorio di 1455 et 14978. Qualifié de « sculpteur avec Giovanni Ricci et Tommaso Lorenzo est estimée autour des années itinérant9 » par Alfredo Bellandi, Fiamberti à la réalisation du monument 1460. Il rapproche également notre Gregorio di Lorenzo a notamment sépulcral de Luffo Numai dans l’église bas-relief d’autres sculptures comme 12 travaillé pour les tribunaux de Naples de Santa Maria dei Servi. Il décède l’Ecce Homo (ill. 2) du Staatliche Museen 13 et de Ferrare pour lesquels il a créé probablement dans cette ville vers 1504. de Berlin ou encore d’un diptyque deux séries de Douze Césars10. Il a Alfredo Bellandi propose de dater la conservé dans ce même musée et qui aussi réalisé des sculptures à Viségra création de notre sculpture durant représente respectivement une Mater ill. 5 : détail de notre sculpture. et Buda pour la cour hongroise de les années 1460-147011. Il souligne Dolorosa et un Ecce Homo (ill. 3 et 4). à juste titre que le modelé presque L’attribution de notre œuvre au sculpteur « métallique » du marbre, la forme très Gregorio di Lorenzo se fonde sur la 8. Alfredo Bellandi, op. cit., 2010, pp. 434-441. 9. Alfredo Bellandi, op. cit., 2010, p. 82. spécifique des yeux ainsi que le menton forme extrêmement caractéristique des 10. Francesco Caglioti, « Fifteenth-Century Reliefs of Ancient fuyant de notre œuvre se retrouve aussi yeux de certains de ses modèles qui Emperors and Empresses in Florence: Production and Collecting », in Studies in the History of Art, Symposium Papers sont reconnaissables à une paupière XLVII: Collecting Sculpture in Early Modern Europe, vol. 70, 2008, pp. 66-109. 11. Alfredo Bellandi, op. cit., 2017.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle GREGORIO DI LORENZO, Apôtre ill. 6 : Gregorio di Lorenzo, ill. 7 : Gregorio di Lorenzo, Christ couronné d’épines, ca. 1470-1480, Christ couronné d’épines, ca. 1470-1480, marbre et traces de dorures, 38 x 27 x 7 cm, marbre, 47 x 36 cm, ill. 8 : détail de notre sculpture. Budapest, Szépmuvészeti Múzeum. Paris, musée Jacquemart-André. mi-close ainsi qu’à leurs sillons malaires12 tragus13 au relief marqué sont typiques et palpébraux inférieurs très fortement de la manière dont Gregorio di Lorenzo marqués (ill. 5). Ces éléments spécifiques sculpte cette partie du visage (ill. 8). et propres au style de Gregorio di La comparaison la plus éloquente Lorenzo se retrouvent notamment proposée par Alfredo Bellandi est dans le Christ couronné d’épines certainement celle avec le Christ couronné (ill. 6) du Szépmuvészeti Múzeum de d’épines (ill. 9) provenant de la célèbre 14 Budapest mais aussi dans un bas-relief collection d’Alphonse Kann. Outre les 15 sur le même sujet conservé au musée similitudes frappantes du vêtement et Jacquemart-André à Paris (ill. 7) et dont de la pose, cette œuvre témoigne de la les dimensions sont équivalentes à celles manière identique dont le sculpteur de notre œuvre. De plus, le pavillon accuse les masses musculaires et les de l’oreille et plus particulièrement le os pour faire ressortir artificiellement les parties saillantes du visage. ill. 9 : Gregorio di Lorenzo, 12. « Sillon qui sépare la partie externe de la paupière 13. « Saillie du pavillon de l’oreille dont le sommet est tourné Christ couronné d’épines, ca. 1480-1490, inférieure des téguments de la face, il correspond au rebord vers l’arrière et qui protège l’orifice du conduit auditif marbre (?), dimensions inconnues, orbitaire », d’après l’entrée « Malaire » du Trésor de la Langue externe », d’après l’entrée « Tragus » in Jacky Gauthier, Chaînes ancienne collection Alphonse Kann, Française informatisé, consulté le 25 septembre 2018, url : musculaires : Étirement et renforcement : De la théorie à la lieu de conservation actuel inconnu. www.cnrtl.fr/definition/malaire. pratique, Paris, Amphora, 2016, p. 233.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle GREGORIO DI LORENZO, Apôtre Notre bas-relief est un ajout notable au corpus de Gregorio di Lorenzo puisqu’il s’agit actuellement du seul exemple de buste de profil représentant un apôtre. Alfredo Bellandi suggère de l’identifier plus précisément à saint Jean en raison de la jeunesse du modèle sculpté. Gregorio di Lorenzo étant principalement connu pour des bas-reliefs figurant des empereurs romains et le Christ couronné d’épines, notre sculpture laisse supposer que la production de l’artiste comprenait également des effigies apostoliques. Il s’est notamment retrouvé confronté à ce sujet iconographique à la fin de sa carrière puisqu’il a exécuté ill. 10 : Gregorio di Lorenzo, avec Tommaso Fiamberti et Giovanni Tommaso Fiamberti et Giovanni Ricci, Apôtre (saint Jean ?), ca. 1500-1510, Ricci une série de six têtes d’apôtres à marbre, 42 x 33 cm, Pievequinta, près de Forlì (ill. 10). Pievequinta, église dei Santi Pietro e Paolo. À la suite d’Ulrich Middeldorf, Alfredo 16 Bellandi souligne l’intérêt de Gregorio 17 di Lorenzo pour la peinture flamande en rapprochant notre bas-relief et toute une partie de sa production de certaines œuvres picturales d’Albrecht Bouts et Hans Memling dont l’artiste serait l’interprète en sculpture14 (ill. 11). ill. 11 : Albrecht Bouts, Christ couronné d’épines, ca. 1495, huile sur bois, 37 x 28 cm, 14. Alfredo Bellandi, op. cit., 2010, pp. 205-233. Dijon, musée des Beaux-Arts.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle ill. 12 : Desiderio da Settignano, Jésus et saint Jean-Baptiste enfants, dit Tondo Arconati Visconti, ca. 1455-1457, marbre, 40 cm de diamètre, Paris, musée du Louvre. Le cadrage resserré à mi-buste et Dans le sillage des expérimentations de l’expressivité des modèles témoignent Donatello et de Desiderio da Settignano16, assurément d’une certaine filiation Gregorio di Lorenzo est parvenu à se ou inspiration commune. De même, distinguer en s’éloignant de la délicatesse Alfredo Bellandi note que le style et la joyeuse de son maître au profit d’une technique de notre œuvre trahissent expression plus mordante et exacerbée la leçon de Desiderio da Settignano15. dont notre bas-relief compte sans Il compare la bouche entrouverte qui doute parmi les plus belles réalisations. laisse apparaître un début de dentition à Témoignage unique de son audace et de sa celles du Tondo Arconati Visconti (ill. 12). dextérité, cette œuvre atteste de la place Il trouve également que la manière éminente de Gregorio di Lorenzo, malgré 18 virtuose dont les cheveux sont sculptés sa redécouverte tardive, dans le creuset dans notre bas-relief est analogue à effervescent qu’a été le milieu artistique celle du maître de Gregorio di Lorenzo. de la sculpture italienne du Quattrocento. L’artiste représente son modèle avec des mèches stylisées et désordonnées qui rythment la composition et Maxime Georges Métraux produisent un effet pictural semblable aux chevelures de Verrocchio. 16. Voir Le printemps de la Renaissance : La sculpture et les arts à Florence (1400-1460), dir. Marc Bormand et Beatrice Paolozzi Strozzi (cat. exp., Florence, Palazzo Strozzi, 23 mars-18 août 2013, Paris, musée du Louvre, 26 septembre-6 janvier 2014), 15. Alfredo Bellandi, op. cit., 2017. Paris, Louvre, 2013.
Gabriel François Doyen (Paris 1726-1806 Saint-Pétersbourg) Apothéose de saint Grégoire G Inscription, signature et date abriel François Doyen se forme (en bas à gauche) : auprès de Carle van Loo dès l’âge « Pensée pour la chapelle / St Grégoire. de douze ans, avant de suivre La calotte / est à 90 pieds de haut elle / les cours de l’École royale des élèves a 60 p. de circonférence et 6 pieds / protégés, dont il fait partie de la première de flèche / G. François Doyen / 1767 ». promotion. Il est reçu second au Grand Inscription (en bas à droite) : Prix en 1748. En décembre 1750, Doyen « apothéose de / St Grégoire le / grand. arrive à Rome. Il copie inlassablement Siècle de 400 ». les œuvres du Dominiquin, Michel-Ange, Jules Romain, Lanfranco, Cortone, et Provenance : Carrache. Les grands décors baroques Vente Ader-Picard-Tajan, Paris, Drouot, de la galerie Farnèse le marquent Importants dessins anciens, profondément. Doyen se rend également 29-30 novembre 1989, n° 67. à Naples, où il découvre les œuvres de Bibliographie : Solimena et de Giordano, et visite les Le Baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre villes du nord de la péninsule : Venise, 21 des églises parisiennes au XVIIIe siècle, Bologne, Parme, Plaisance et Turin. dir. Christine Gouzi, Christophe De retour en France en 1756, il est agréé Leribault (cat. exp., Paris, Petit Palais, à l’Académie deux ans plus tard avec 21 mars-16 juillet 2017), Paris Musées, plusieurs ouvrages, dont La Mort de Gabriel François Doyen, Petit Palais, 2017, p. 218, fig. 1. Virginie, acquise par le duc de Parme. Apothéose de saint Grégoire, Au Salon de 1759, il expose Hébé versant projet pour la calotte de la coupole de la chapelle Saint-Grégoire aux Invalides, sanguine, craie blanche, pierre noire, lavis brun, le nectar à Jupiter qui lui vaut d’être crayon et encre noire sur une feuille de papier vergé collée sur un carton, reçu à l’Académie. Doyen répond à 506 x 506 mm (dimensions de la feuille), 578 x 578 (dimensions du carton). d’importantes commandes pour divers amateurs, notamment Watelet, le duc de Choiseul et le prince de Turenne.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire Le Miracle des Ardents, exposé au Salon L’exécution de notre dessin, daté de 1767, de 1767 et destiné à l’église Saint-Roch où est contemporaine de la réalisation du il se trouve toujours en place, lui vaut un célèbre Miracle des Ardents pour l’église succès remarquable et reste de nos jours Saint-Roch. Il offre un témoignage des son tableau le plus célèbre. La Couronne recherches de Doyen pour l’exécution du le sollicite pour la chapelle de Bellevue décor de la chapelle Saint-Grégoire aux en 1772 et pour la salle à manger du Petit Invalides, achevé en 1773, dans lequel le Trianon en 1773. Ses décors témoignent peintre déploie ses talents de décorateur, de la connaissance de Rubens conjuguée alors qu’il est au faîte de sa gloire. à l’expérience des grands maîtres La chapelle Saint-Grégoire est l’une italiens. Cette période d’activité intense des quatre chapelles d’angle placées culmine avec la réalisation du décor de autour de la coupole centrale de l’église la chapelle Saint-Grégoire aux Invalides. du Dôme des Invalides construite par Les honneurs se succèdent : il est nommé Jules Hardouin-Mansart à partir de premier peintre du comte d’Artois et du 1691. Chacune des chapelles conserve comte de Provence en 1773 et 1775, et aujourd’hui la sépulture d’un illustre professeur à l’Académie en 1776. En 1779, personnage : elles abritent les tombeaux il expose des tableaux d’inspiration des maréchaux Foch et Lyautey, commandants en chef de la Première ill. 1 : Michel II Corneille, anacréontique et bachique, mais le succès Apothéose de saint Grégoire, Guerre mondiale, et ceux des rois esquisse pour la calotte de la chapelle finit par se démentir et ses œuvres sont Joseph et Jérôme Bonaparte. Elles sont Saint-Grégoire, vers 1690, sévèrement jugées par la critique. À la 100 x 100 cm, dédiées à quatre docteurs de l’Église : Paris, musée Carnavalet. Révolution, il accompagne Alexandre saint Augustin, saint Ambroise, saint Lenoir pour inventorier les toiles Grégoire et saint Jérôme. La chapelle destinées au dépôt des Petits-Augustins. Saint-Grégoire est décorée de six scènes En 1791, il répond favorablement à retraçant des épisodes de la vie du saint, 22 l’invitation de Catherine II de Russie, 23 placées tout autour d’une coupolette La réalisation du premier décor de la de commander de nouvelles fresques. qui le nomme premier peintre et adjoint centrale illustrant son ascension. Érudit, chapelle Saint-Grégoire est confiée en Carle van Loo, nommé depuis peu au directeur de l’Académie impériale théologien et philosophe, Grégoire le 1702 à Michel Corneille (1642-1708), élève peintre du roi, est chargé de refaire des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Grand (540-604), élu pape en 590, a mené de Charles Le Brun, qui achève l’ensemble les peintures de la chapelle et réalise Il forme de nombreux artistes et d’importantes réformes en matière de en 1706. Cependant, une infiltration d’eau plusieurs études préparatoires, mais contribue ainsi au rayonnement de l’art liturgie. Ses écrits ont profondément provoque des dommages irréparables. il décède avant l’exécution des décors. français en Russie. Il peint plusieurs marqué la pensée médiévale. Il est Les décors de Corneille nous sont Ses esquisses, qui obtiennent un grand compositions plafonnantes, notamment également célèbre pour avoir propagé restitués par des gravures de Cochin, et succès au salon de 1765, sont gravées. au palais d’Hiver et au château Saint- l’ordre bénédictin, perfectionné le par une esquisse pour la calotte centrale Il subsiste à ce jour quelques dessins, Michel. Il ne reverra jamais la France et chant ecclésiastique, et envoyé des conservée au musée Carnavalet (ill. 1). ainsi que deux projets peints pour la s’éteindra en 1806 à Saint-Pétersbourg. missionnaires en Angleterre. En 1760, le marquis de Marigny décide composition centrale, conservés dans
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire la collection Motais de Narbonne à Loo, il reprend Saint Grégoire retiré Paris (ill. 2) et au musée de l’Ermitage sous la voûte d’un rocher ainsi que Saint à Saint-Pétersbourg. À sa mort en 1765, Grégoire ordonne une procession pour Jean-Baptiste Pierre offre de reprendre conjurer la peste de Rome. Il s’inspire de la commande, mais c’est finalement Corneille pour La Mort de saint Grégoire. Doyen, apprécié pour ses immenses Il conserve le thème abordé par les tableaux d’histoire au tempérament deux peintres pour la composition puissant, et considéré comme « le fils centrale, l’Apothéose de saint Grégoire. spirituel de van Loo », qui est pressenti Il crée également de nouvelles scènes pour exécuter cette tâche (ill. 3). qui se prêtent parfaitement à la grande Doyen reste en partie fidèle au plan peinture décorative : Saint Grégoire iconographique préalablement défini soigne les blessés au siège de Rome, Saint par ses prédécesseurs, tiré des Acta Grégoire reçoit l’hommage du roi des Sanctorum, dont il existait alors des Goths d’Espagne, et Saint Grégoire fait éditions courantes en français. À van construire l’église Saint-Pierre de Rome. 24 25 ill. 3 : Décor de la coupole de la chapelle Saint-Grégoire aux Invalides construite par Jules Hardouin-Mansart entre 1676 et 1690 et peinte par Doyen entre 1765 et 1771. ill. 2 : Carle van Loo, Apothéose de saint Grégoire, esquisse pour la calotte de la chapelle Saint-Grégoire, vers 1762-1764, huile sur toile, 69 cm de diamètre, Paris, collection Motais de Narbonne.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire ill. 5 : Gabriel François Doyen, Saint Grégoire faisant reconstruire l’église Saint-Pierre de Rome, plume et encre brune, lavis brun, pierre noire, 228 x 309 mm, Angers, musée des Beaux-Arts. La conception de ce cycle monumental Fogg Art Museum d’Harvard (ill. 4) ; un a sans doute donné lieu à un long dessin à la plume et au lavis préparatoire travail de préparation de la part de au Saint Grégoire faisant reconstruire l’artiste. Dans son article consacré à la l’église Saint-Pierre de Rome, conservé ill. 4 : Gabriel François Doyen, Saint Grégoire est appelé au pontificat, chapelle Saint-Grégoire, Marc Sandoz au musée Pincé d’Angers, et authentifié sanguine et rehauts de craie blanche, affirme qu’il « ne reste pas de dessins comme Doyen par Holger Schulten 490 x 360 mm, Harvard, Fogg Art Museum. ni d’esquisses peintes par Doyen pour avant 1994 (ill. 5). Il subsiste également cet immense travail ; il dut cependant une étude à l’huile représentant Saint en exister, un travail de cette ampleur Grégoire priant pour la fin de la peste à ne pouvant être entrepris sans que Rome2, non localisée à ce jour, qui laisse l’artiste ait avec précision déterminé ses supposer l’existence probable d’une compositions et décidé des partis pris à série d’esquisses peintes comparables adopter ; de plus il fallait certainement à celles de van Loo (ill. 6). Enfin, nous faire accepter en haut lieu un nouveau pouvons signaler l’existence d’un dessin 26 projet1 ». Depuis la publication de à la pierre noire très abouti attribué à 27 l’article en 1971, quelques dessins l’atelier de Doyen, illustrant, à l’instar préparatoires ont refait surface : notre de notre sanguine, l’Apothéose de saint sanguine, première pensée pour la calotte Grégoire (ill. 7). Il s’agit d’une reprise centrale, redécouverte dans une vente de la composition finale, probablement à Drouot en 1989 ; une autre sanguine pour une gravure non exécutée. préparatoire au Saint Grégoire est appelé ill. 6 : Gabriel François Doyen, au pontificat, acquise en 1993 par le Saint Grégoire priant pour la fin de la peste ill. 7 : Atelier de Gabriel François Doyen, à Rome, esquisse, huile sur toile, dimensions 2. Autrefois dans la galerie Chéreau, Paris, en 1982. Signalée inconnues, localisation actuelle inconnue. Apothéose de saint Grégoire, par Pierre Rosenberg et reproduite dans : G. Kazerouni, in pierre noire, rehauts de craie blanche, Le Baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre des églises parisiennes 520 mm de diamètre, 1. Marc Sandoz, « The drawings of Gabriel François Doyen au XVIIIe siècle (cat. exp., Paris, Petit Palais, 21 mars-16 juillet collection particulière. (1726-1806) », The Art Quarterly, 1971, vol. 34, no. 2, p. 137. 2017), Paris, Paris Musées, Petit Palais, 2017, p. 222, fig. 1.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire Notre sanguine (ill. 8) montre le cheminement intellectuel de l’artiste, qui s’inspire de l’esquisse de la collection Motais de Narbonne peinte quelques années plus tôt par van Loo (ill. 9), pour aboutir à une composition plus personnelle et élaborée dans le décor final achevé en 1773 (ill. 10). Comme dans l’esquisse de van Loo, saint Grégoire est représenté les bras ouverts et les paumes de ses mains tournées vers le ciel, dans une attitude évoquant l’ouverture et le don de soi. Doyen conserve l’élan ascensionnel, tout en accentuant l’effet de légèreté du groupe, moins compact que dans l’esquisse de van Loo : Grégoire le Grand, en lévitation, n’est plus soutenu que par deux anges, et il porte un large ill. 9 : Carle van Loo, Apothéose de saint Grégoire, esquisse pour la calotte de la chapelle Saint-Grégoire, manteau flottant dans les airs. Dans vers 1762-1764, huile sur toile, 69 cm de diamètre, le décor final, le peintre met au point Paris, collection Motais de Narbonne. une composition plus complexe : une cohorte de putti, concentrés sur les bords de la toile, émergent des nuages et portent les attributs du pape (la croix et la tiare pontificales, le recueil de chants grégoriens). Le saint, défiant les lois de l’apesanteur, s’élève seul au milieu des ill. 10 : Gabriel François Doyen, Apothéose de saint Grégoire, nuées, sans avoir recours à l’aide des huile sur toile, calotte centrale de la chapelle Saint-Grégoire, église Saint-Louis-des-Invalides. anges. Comme le souligne justement 28 29 Marc Sandoz : « Les anges reçoivent le dépôt de cette grande âme à la dimension moins sensible chez Corneille et chez science du trompe-l’œil, dont les effets du monde, qui a renouvelé l’Église, van Loo, afin d’arracher le fidèle au sont saisissants depuis le sol. Le décor reconstitué l’État, œuvré pour la gloire monde terrestre et de rendre tangible de Doyen témoigne de la virtuosité du ciel. Tout cela est exprimé dans une la réalité du divin. En réaction au d’un artiste très habile dans l’exercice véhémence incroyable d’oppositions de scepticisme ambiant, l’Église use alors difficile de la grande décoration murale lumières et d’ombres, de mouvements de tous les moyens qui avaient réussi et plafonnante. Considéré en son temps ascensionnels, d’actions humaines et à l’art de la Contre-Réforme un siècle comme le restaurateur du grand goût, célestes3. » Doyen renforce la perspective plus tôt : reviviscence des coupoles le peintre prouve ainsi sa capacité à ill. 8 : Gabriel François Doyen, di sotto in su et l’effet dramatique, notre dessin préparatoire pour la calotte peintes et des baldaquins, enfilades de donner un nouveau souffle à la peinture de la chapelle Saint-Grégoire aux Invalides. chapelles, richesse des matériaux et religieuse dans les années 1760-1770. 3. Marc Sandoz, op. cit., 1971, p. 140.
GABRIEL FRANÇOIS DOYEN, Apothéose de saint Grégoire On retrouve, dans notre dessin, l’emphase du futur tableau (soixante pieds soit dix- et le dynamisme qui caractérisent neuf mètres cinquante de circonférence, la production peinte de Doyen. En soit plus de six mètres de diamètre), effet, l’énergie du tracé et l’élan de la la hauteur sous plafond une fois la composition sont révélateurs de son style. toile placée dans la chapelle (quatre- Les protagonistes sont esquissés d’un vingt-dix pieds soit vingt-neuf mètres trait rapide et flou. L’ensemble vibrant de haut), et la taille de la « flèche », suggère la légèreté et le mouvement. Les c’est-à-dire la courbure de la voûte4 effets de lumière sont rendus grâce à une (six pieds soit près de deux mètres). utilisation judicieuse de la craie blanche, Le caractère exceptionnel de notre et les raccourcis sont parfaitement dessin réside également dans son effet maîtrisés. Le lyrisme de la composition, illusionniste. Au premier regard, la le naturalisme des figures et la capacité composition, de format circulaire, d’invention de peintre s’illustrent semble avoir été placée dans un montage parfaitement dans notre sanguine. indépendant : habile supercherie de Notre œuvre constitue probablement la part du peintre, qui prend soin de un modello présenté aux mécènes afin dessiner, sur une seule et même feuille de gagner leur approbation avant de de format carré, la scène centrale à la 31 commencer à travailler sur la toile finale. sanguine, et l’encadrement du montage à L’inscription de la main de l’artiste la plume, à l’encre et au lavis, aboutissant en bas à gauche permet d’imaginer les ici à un savant effet de trompe-l’œil. proportions monumentales Amélie du Closel 4. La flèche correspond à la différence de hauteur entre le bas et le haut de la coupole.
Jean-Honoré Fragonard (Grasse 1732-1806 Paris) Portrait d’enfant au chapeau Inscription sur une étiquette collée au dos du panneau : « Pe (…) / par Fragona (…) » Provenance : Ernest Gimpel (1858-1907). Collection Ernest Cronier (1850-1905). Sa vente, Paris, Galerie Georges Petit, 4-5 décembre 1905, n° 9, comme « Jean- Honoré Fragonard, Portrait de fillette ». N otre petit tableau constitue un commissions permettant la création rare exemple de la production des collections du musée du Louvre. tardive de Fragonard. En effet, La fin de la carrière de l’artiste est peu d’œuvres de l’artiste réalisées après marquée par la réalisation de quelques 1780 sont documentées ou datées. portraits aux modelés adoucis, qui À partir de cette époque, Fragonard diffèrent significativement des figures renonce aux audaces picturales des aux gestes expressifs et aux drapés années précédentes et se consacre, d’une vigoureux des années 1760-1770, brossées part, à des scènes de genre raffinées, très largement. Fragonard se consacre finies, dans le goût des petits maîtres principalement aux portraits d’enfants, 33 hollandais du XVIIe siècle, parfois de petites dimensions. La naissance, en collaboration avec sa belle-sœur en 1780, de son fils Alexandre-Évariste Marguerite Gérard, et, d’autre part, à des Fragonard, surnommé Fanfan, lui allégories nocturnes. En 1788, le décès donne l’occasion de se livrer à l’un de de sa fille, Rosalie, anéantit l’artiste. ses exercices favoris, la représentation de Ce dernier quitte Paris avec sa femme et l’enfance : dans les nombreuses effigies de sa belle-sœur pour s’installer à Grasse bambins exécutées à cette époque (ill. 1), au début des années 1790, chez leur l’artiste rend hommage aux peintres Jean-Honoré Fragonard, Portrait d’enfant au chapeau, cousin Alexandre Maubert. De retour nordiques, en privilégiant une palette huile sur panneau, à Paris en 1791, Fragonard, chargé de presque monochrome et l’utilisation 7,8 x 6,7 cm. nombreuses missions, participe à diverses d’un clair-obscur rembranesque.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle JEAN-HONORÉ FRAGONARD, Portrait d’enfant au chapeau Les miniatures longtemps attribuées à l’artiste s’inscrivent dans cette lignée, et représentent quasi exclusivement des portraits d’enfants en costume espagnol ou déguisés en Pierrot. Peintes à la gouache et à l’aquarelle sur ivoire, ces miniatures ont fait le bonheur des collectionneurs de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Les catalogues de vente, inventaires ou expositions du XXe siècle les ont toujours données au maître, malgré parfois quelques réserves. Dans un article de 1996, De qui sont les miniatures de Fragonard ?1, Pierre Rosenberg fait le point sur la question et rend cet ensemble à la femme du peintre : Marie-Anne Fragonard (1745-1823). Reconnue comme une miniaturiste ill. 2 : notre œuvre taille réelle. de talent de son vivant, son nom s’est progressivement effacé au profit de celui, plus lucratif, de Jean-Honoré à sa mort. Les compositions de Marie-Anne dérivant souvent de celles de son mari, quand elles ne le copient pas directement, on comprend que la méprise ait été facile. Notre petite huile sur panneau, bien 34 35 que d’un format proche de celui des miniatures, est un véritable tableau (ill. 2). Il n’existe d’ailleurs aucune peinture de Marie-Anne. Elle a souvent copié ou pastiché les œuvres de son ill. 1 : Jean-Honoré Fragonard, époux en intégrant quelques variantes, Enfant en Pierrot, notamment dans une miniature sur huile sur toile, 61 x 51 cm, Londres, Wallace Collection. ivoire dérivant de notre tableau (ill. 3). ill. 3 : Marie-Anne Fragonard, Portrait d’enfant au chapeau, 1. Pierre Rosenberg, « De qui sont les miniatures de gouache et aquarelle sur ivoire, 80 x 60 mm, Fragonard ? », Revue de l’Art, n° 111, 1996, pp. 66-76. vente Paris, palais Galliéra, 3 décembre 1966.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle ill. 4 : Jean-Honoré Fragonard, ill. 5 : Jean-Honoré Fragonard, La Liseuse, Le Billet doux, huile sur toile, 82 x 65 cm, huile sur toile, 83 x 67 cm, Washington, National Gallery of Art. New York, Metropolitan Museum of Art. La technique est celle de Jean-Honoré Notre tableau a appartenu à Ernest Fragonard : touche nerveuse et rapide Cronier (1850-1905). Il figure au dans la chevelure, pose aérienne des numéro 92 de la vente de sa collection draperies au mouvement sinueux, coups en 1905. Cet industriel, directeur de de brosse plus denses dans les chairs. la raffinerie de sucre Say, possédait Dans ses portraits tardifs, Fragonard plusieurs œuvres majeures de Fragonard emploie généralement une lumière dont La Liseuse (ill. 4) et Le Billet doux colorée très douce, faite de camaïeux (ill. 5). L’exclusivité de sa collection 36 de brun et de caramel blond qu’on avait été constituée auprès du marchand retrouve dans les zones d’ombre de notre Ernest Gimpel (1858-1907) qui dut tableau. Sa matière est alors plus fine, lui vendre notre petit tableau3. posée par petites touches aiguisées et jouant sur la transparence des glacis. Ambroise Duchemin 2. Décrit dans la vente comme : « Portrait de fillette. Vue de 3. « L’homme qui a peut-être le plus servi à édifier notre face, jusqu’à la poitrine, corsage vert décolleté, chapeau de fortune fut Ernest Cronier, dont mon père fit toute la collection verso de notre panneau paille jaune garni de rubans bleus. Le chapeau est posé en et dont la vente eu lieu en 1905 », René Gimpel, Journal d’un arrière sur la tête et découvre des cheveux blonds bouclés, que collectioneur, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 1963, p. 309. retient un ruban bleu. Petite peinture ovale. Haut., 7 1/2 cent.; larg., 6 cent. 1/2. » Annotation manuscrite dans la marge du catalogue conservé à la BnF : « 3800 M. Panhart ».
Firmin Massot, Portraits présumés du prince Paul Antoine III Esterházy (1786-1866) et de sa femme la princesse Maria Theresa Esterházy née von Thurn und Taxis (1794-1874), paire d’huiles sur panneaux, 44 x 36 cm chacun.
FIRMIN MASSOT, Paire de portraits Firmin Massot (Genève 1766-1849 Genève) Portraits présumés du prince Paul Antoine III Esterházy (1786-1866) et de sa femme la princesse Maria Theresa Esterházy née von Thurn und Taxis (1794-1874) Inscriptions manuscrites sur Provenance : des étiquettes collées au dos des Nathalie de Mainau, comtesse de Caimo panneaux (illisible pour le portrait (1836-vers 1876), Lilienberg, Ermatingen. féminin. Voir la retranscription Sa vente, Lilienberg Ermatingen, 1876. p. 42 pour le portrait masculin). Collection privée, Zurich. Vente Zofingue, Auktionshaus Zofingen, 2 juin 2018, n° 1676, comme « école autrichienne du XIXe siècle ». ill. 1 : Wolfgang-Adam Töpffer, Jacques-Laurent Agasse, Firmin Massot, Portrait des demoiselles Mégevand, Jeanne-Françoise Élisabeth et Anne-Louise, future épouse de Firmin Massot, 1793-1794, huile sur carton, 68,5 x 56,5 cm, Genève, musée d’art et d’histoire, dépôt de la fondation Gottfried Keller, Berne, 1946, F inv. 1946-0008. irmin Massot est issu d’une Louis-Ami Arlaud-Jurine et de François 40 41 famille d’artisans et horlogers Ferrière, miniaturistes suisses formés originaire des Ardennes, par le Français Joseph-Marie Vien. réfugiée en Suisse pour des motifs Entre novembre 1787 et juin 1788, il animalier Jacques-Laurent Agasse (ill. 1). des étrangers comme Juliette Récamier religieux. Sa sœur aînée Jeanne-Pernette accompagne le conseiller François Ces trois artistes nouent des liens étroits (ill. 2), l’impératrice Joséphine (ill. 3) Schenker-Massot, miniaturiste, devient Jallabert en Italie. Il expose au premier et donnent naissance à une véritable école et sa fille Hortense de Beauharnais. En son premier maître. Il entre en 1778, à Salon de Genève en 1789. À partir du de peinture genevoise. Malgré quelques novembre 1794, il séjourne et travaille l’âge de onze ans, à l’École de dessin de début des années 1790, jusqu’en 1800, conflits et polémiques, ils s’influencent à Mézery, près de Lausanne, auprès de Genève. Il est l’élève de Jean-Étienne Firmin Massot peint de nombreux mutuellement en échangeant conseils, Madame de Staël. Nommé directeur des Liotard à l’École de dessin d’après portraits inspirés des maîtres anglais, procédés et « recettes ». Parmi les Écoles de dessin de la ville de Genève en nature fondée par la Société des Arts. en collaboration avec le paysagiste mécènes de Massot, figurent des notables 1799 et membre de la Société des arts de Il suit également l’enseignement de Wolfgang-Adam Töpffer et le peintre genevois et vaudois, mais également Genève en 1800, le peintre acquiert de son
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle FIRMIN MASSOT, Paire de portraits ill. 4 : Firmin Massot, Portrait de Jacques-Antoine Odier-Cazenove, vers 1805, huile sur toile, 48 x 36 cm, ill. 2 : Firmin Massot, ill. 3 : Firmin Massot, collection particulière. Portrait de Juliette Récamier, 1807, Portrait de l’impératrice Joséphine, 1812, huile sur toile, 29,5 x 24,5 cm, huile sur toile, 74 x 66 cm, Lyon, musée des Beaux-Arts. Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage. Nos deux portraits, inédits, viennent souvent usité par l’artiste au début enrichir le corpus de Firmin Massot du XIXe siècle. Massot fait poser ses vivant une solide réputation. Il donne des François Richard à Lyon. Ils le retrouvent défini par Valérie Louzier-Gentaz, qui modèles, habituellement représentés leçons particulières et forme notamment l’année suivante à Aix-les-Bains. Firmin situe leur exécution dans les premières assis, le corps tourné de profil ou de Nancy Mérienne et Amélie Munier- Massot séjourne en Angleterre et en années du XIXe siècle. Entre 1790 et 1820, trois-quarts et le visage de face, dans Romilly. En automne 1807, il se rend en Écosse entre 1828 et 1829. À Londres, les aristocrates genevois et étrangers de un intérieur bourgeois (il s’agit le plus France en compagnie de Töpffer et fait la il se lie avec Thomas Lawrence. Dans passage dans la ville se pressent dans souvent de son propre atelier, comme 42 43 connaissance de François Gérard et Jean- les années 1830, Massot, influencé par l’atelier du peintre, qui connaît alors un dans le Portrait de Jacques-Antoine Baptiste Isabey à Paris. En 1812, les deux les fancy pictures anglaises, se consacre important succès. Il propose différents Odier-Cazenove cité plus haut), ou, peintres genevois rencontrent Fleury davantage à la peinture de genre1. prix, proportionnels aux formats adoptés à l’instar de notre paire de portraits, (en buste, jusqu’aux genoux et en pied). devant un écrin de verdure destiné à Le cadrage « jusqu’aux genoux » de les mettre en valeur (ill. 3, 14 et 15). nos deux œuvres, que l’on retrouve par Les paysages sont occasionnellement exemple dans le Portrait de Jacques- confiés au paysagiste Töpffer, mais Antoine Odier-Cazenove2 (ill. 4), est selon Valérie Louzier-Gentaz, il est fort probable que Massot ait exécuté 1. Valérie Louzier-Gentaz, Firmin Massot, SIK ISEA, 1998, réactualisé en 2016, www.sikart.ch/KuenstlerInnen. 2. Valérie Louzier-Gentaz, Portrait de Jacques-Antoine Odier- lui-même les fonds de nos portraits. aspx?id=4022930, consulté en septembre 2018. Cazenove, vers 1805, dossier d’expertise, septembre 2012.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle FIRMIN MASSOT, Paire de portraits la Française Marie Louise Plaideux3, dont il fait la connaissance à Paris en juillet 1810. Le prince, qui tombe immédiatement sous le charme de sa nouvelle compagne, l’installe au château de Pottendorf. La seule effigie connue de la jeune femme est un buste en plâtre réalisé par le sculpteur suédois Berthel ill. 5 : inscription manuscrite Thorvaldsen (ill. 7) sur commande du au verso de notre portrait masculin. prince Esterházy en 1818. De leur union naissent trois enfants : Nathalie en 1811, Virginie en 1812, suivi de Nicolas en Des étiquettes collées au revers de nos enfants. Il se démarque par son goût du 1814, qui obtiennent le titre de barons panneaux indiquent la provenance faste et sa passion pour l’art. Il développe de Mainau, du nom de l’île située sur le des œuvres (ill. 5). Nous pouvons l’une des plus grandes collections lac de Constance, achetée une somme déchiffrer l’inscription manuscrite européennes, en accumulant dans considérable par le prince Esterházy pour figurant au dos du portrait masculin : ses propriétés des œuvres anciennes, son fils. La famille illégitime du prince « Dieses Porträt kauften wir an der essentiellement des écoles italienne et Esterházy, rejetée par la société viennoise, Cämmerversteigerung (?) von Gräfin allemande, et devient un mécène de est amenée à voyager fréquemment en ill. 7 : Berthel Thorvaldsen, Caimo 1876 ca : es stellt den Grossvater premier plan pour les plus grands artistes Europe et particulièrement en Italie. Buste présumé de Marie Louise Plaideux, vers 1817, plâtre, 55,3 cm de hauteur, den Natalie von Mainau (später Gfin de son temps. La vie privée du prince Selon l’inscription sur l’étiquette, nos Thorvaldsens Museum. Caimo) den / Fürsten Nikolaus von est tumultueuse : parmi ses nombreuses panneaux ont appartenu à Nathalie de Esterhazy (sic) von / Galantha dar maîtresses, il favorise particulièrement Mainau (née en 1836), épouse de Jean les traits du prince Nicolas II Esterházy, & ist nach / Herr von Petzold, dem Liévin Louis Caimo, fille de Nicolas de âgé de quarante-cinq ans en 1810 (ill. 6). Kunstkritiker höchst warscheinlich Mainau et petite-fille du prince Nicolas II Pourrait-il s’agir, comme le suggère gemalt von dem tiroler Maler Lampi Esterházy. Jusqu’à leur vente vers 1876, Stefan Körner, d’un autre amant de Marie s. z. Hofmaler / von Katherina II von nos deux portraits ornaient les murs Louise Plaideux ? Elle entretient, à la Russland » que l’on peut traduire par : de la villa Lilienberg à Ermatingen, même époque, une relation avec Vito « Nous avons acheté ce portrait à la propriété des Caimo entre 1861 et 1871, 44 Marija Bettera-Vodopic (1771-1841). 45 comtesse Caimo vers 1876. Il représente située au bord du lac de Constance. Originaire de Raguse (Dubrovnik), le grand-père de Nathalie de Mainau En dépit de l’inscription, et d’une possible cet espion de Talleyrand, à l’esprit (plus tard comtesse Caimo), le prince ressemblance de notre modèle féminin calculateur, arrive à Eisenstadt en Nicolas Esterházy. D’après le critique avec le buste de Marie Louise Plaideux compagnie des Plaideux le 27 juillet 1810. d’art Herr von Petzold il a certainement (ill. 7), nous ne reconnaissons pas, La rédaction d’un pamphlet contre le été peint par Lampi, peintre de la dans notre portrait de jeune homme, prince en 1823 entraînera sa disgrâce4. cour de Catherine II de Russie ». Nicolas II Esterházy (1765-1833) (ill. 6), 3. Voir à ce sujet : François de Lannoy, Une branche naturelle dont il est question ici, épouse en 1783, des princes Esterházy : les barons de Mainau, Castres, 2015, 4. Veit Maria de Bettera-Wodopich, Exposé des Réclamations de ill. 6 : Joseph Lanzedelli, Nicolas II Esterházy, à l’âge de dix-huit ans, Marie, princesse vers 1804, miniature sur ivoire, et Dr. Stefan Körner, Nikolaus II. Esterházy (1765-1833) und die M. de Bettera Wodopich contre le Prince Régnant d’Esterházy et Kunst : biografie eines manischen Sammlers, Vienne, Cologne, ses Contestations sur cet objet avec le Prince Paul Esterházy de de Liechtenstein qui lui donnera trois Vienne, collection particulière. Weimar, Bölhau, 2013, pp. 238-239. Galanta, Londres, 1823.
Tableaux, dessins et sculpture du xve au xixe siècle FIRMIN MASSOT, Paire de portraits Nos portraits pourraient plus en amande, les sourcils bien dessinés vraisemblablement représenter le premier et le nez fin et droit. Firmin Massot fils légitime de Nicolas II Esterházy, le la représente dans la plénitude de sa prince Paul Antoine III Esterházy jeunesse. La jeune femme, aux joues (1786-1866) et sa femme la princesse légèrement rosées, fixe le spectateur avec Maria Theresa Esterházy née von un air de mélancolie douce et rêveuse. Thurn und Taxis (1794-1874), âgés Sa tenue témoigne de la diffusion des respectivement de vingt-six et dix-huit modes françaises en Europe. Elle est ans au moment de leur mariage, célébré vêtue d’une simple robe à la grecque, le 18 juin 1812 à Ratisbonne. En 1810, à taille haute et manches courtes. Un Paul Antoine est chargé d’aller au-devant ill. 8 : Adam Brenner, élégant châle en cachemire orange, bordé du prince Berthier, envoyé par Princesse Maria Theresia Esterházy, de motifs floraux, recouvre son épaule née von Thurn und Taxis, Napoléon Ier pour demander la main huile sur toile, dimensions inconnues, gauche et retombe négligemment jusqu’à de l’archiduchesse Marie Louise. Peu fondation Esterházy, château d’Eisenstadt. ses pieds. Marie Léopoldine Esterházy, de temps après, il part pour La Haye en sœur de Nicolas II, porte un modèle qualité d’ambassadeur auprès de la cour similaire dans le portrait peint par de Hollande. En 1814, il se voit confier Gérard vers 1806 (ill. 10). Cet accessoire une nouvelle mission auprès du souverain indispensable dans la garde-robe pontife Pie VII. Allié par sa femme à d’une femme de qualité, figure dans de la famille régnante d’Angleterre, il est nombreux portraits féminins de Massot, ill. 10 : François Gérard, désigné en 1815 ministre plénipotentiaire et notamment dans l’effigie en pied de Maria Leopoldina, princesse Grassalkovich de Gyarak, née Esterházy (1776-1884), détail, de la cour de Londres. L’année suivante, Joséphine (ill. 3), l’une des premières 1806, huile sur toile, 214 x 140 cm, il est à Paris en qualité d’ambassadeur femmes à recevoir des châles exotiques signé « F.s Gérard », Eisenstadt, fondation Esterházy. d’Autriche5. Paul Antoine III, qui mène rapportés de la campagne d’Égypte par une carrière diplomatique, est donc Bonaparte. La coiffure « à la Titus » amené à voyager fréquemment en Europe. témoigne de la réminiscence des coupes Une visite à Genève vers 1810, où il aurait à l’antique à partir des années 1790, pu fréquenter l’atelier de Firmin Massot jusque dans les années 1815 : on privilégie en compagnie de sa jeune fiancée, semble alors les cheveux naturels, courts ou mi- 46 47 par conséquent tout à fait envisageable. longs, à l’imitation des bustes romains. Notre modèle féminin présente des traits J.-N. Palette, un coiffeur français, fait communs avec les autres effigies connues publier en 1810 un Éloge de la coiffure à la ill. 9 : Ernst Lafite, de Maria Theresa von Thurn und Taxis, Princesse Maria Theresia Esterházy, Titus pour les dames, vantant le désordre réputée pour sa beauté (ill. 8 et 9) : le née von Thurn und Taxis, savamment étudié de cette coupe qui huile sur panneau ovale, 24,5 x 20,5 cm, visage rond, un peu large, de grands yeux collection particulière. « donne l’air jeune, remplace tous les ornements, les bijoux et les plumes ». 5. Antoine Vincent Arnault et al., Biographie nouvelle des contemporains, ou dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes, soit en France, soit dans les pays étrangers, Paris, La Librairie historique, 1822, vol. VI, p. 410.
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