LE MULTILATERALISME Etat des lieux d'un concept mis à mal - Infoguerre

La page est créée Catherine Dupond
 
CONTINUER À LIRE
LE MULTILATERALISME Etat des lieux d'un concept mis à mal - Infoguerre
LE MULTILATERALISME
                            Etat des lieux d’un concept mis à mal

M1 RIE 2
Sous la direction de Christian Harbulot
LE MULTILATERALISME Etat des lieux d'un concept mis à mal - Infoguerre
Les coordinateurs souhaitent remercier pour leur travail les responsables des groupes
(Morgan, Enzo et Cédric), les relecteurs (Alexandre et Manon) et plus particulièrement Maëva
pour son travail de correction et de mise en page.

                                      Rédacteurs :
                                         AIDI Amélie
                                         AYER Ryan
                                   BERRAMDANE Enzo
                                  BOUGROUM Soufiane
                                BOURGEOIS-PACI Jonathan
                                    BOURGUIN Florian
                                        BOVE Kaitlyn
                                    CANELLA Alexandre
                                       CANTE Aurore
                               CHOPARD-GUILLAUMOT Ulysse
                                      COULON Cédric
                                    DELAUNAY Maëva
                                   DUMEYNIOU Clément
                                      FERRIA Haroun
                                      FRIGGERI Jade
                                      GALLEE Amélie
                                     GAZEAU Benjamin
                                      LE GOAS Hoëlle
                                        HUE Mathilde
                                        ICHAC Basile
                                 JOSEPH-EUGENE Jessie
                                     KERRIC Morgane
                                      LAMBERT Théo
                                    LEMERCIER Manon
                                    MEZZANO Grégoria
                                    MEZZANO Médéric
                                     MODOL Robinson
                                      PELLETIER Paul
                                      RAGOT Nicolas
                                RAHMATI-GEORGES Adrien
                                     RAVAUD Mathieu
                                      RIBEAUX Tangi
                                     ROMAN Benjamin
                                 SOVICHE Jean-Théophane
                                       VACHEL Julien
                                      WASELI Mickael
SOMMAIRE
SOMMAIRE .............................................................................................................................................. 1
INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 3
PARTIE 1 : HISTOIRE DU MULTILATERALISME ......................................................................................... 4
   Chapitre 1 : l’émergence de deux entités superpuissantes ................................................................ 4
       I/ L’état des acteurs en 1945 ........................................................................................................... 4
       II/ La guerre froide : entre opposition et coopération .................................................................... 5
   Chapitre 2 : Le reste du monde entre indépendantisme, terrain d'affrontement et troisième bloc . 7
       I/ Constitution du tiers monde ........................................................................................................ 7
       II/ Terrains d’affrontements économiques ..................................................................................... 9
PARTIE 2 : L’AXE MODERNE DU MULTILATERALISME ........................................................................... 12
   Chapitre 1 : Le multilatéralisme depuis la Seconde Guerre mondiale comme outil de résolution des
   conflits mondiaux et régionaux ......................................................................................................... 12
       I/ Le multilatéralisme occidental : résolution des conflits ............................................................ 12
       II/ Le multilatéralisme est-il un échec dans la résolution des conflits ?........................................ 13
   Chapitre 2 : Le multilatéralisme comme outil d’intégration économique ........................................ 17
       I/ Le multilatéralisme comme vecteur de développement économique et d’intégration à un
       espace régional : le cas des Tigres, des Dragons asiatiques et du Brésil....................................... 17
       II/ Les firmes transnationales, concurrentes à la coopération étatique ....................................... 19
       III/ Les ONG dans le multilatéralisme ............................................................................................ 20
   Chapitre 3 : Le multilatéralisme comme moyen de création d’une sphère d’influence ................... 21
       I/ La Chine, ou la création d’une sphère d’influence via les nouvelles routes de la soie et les
       investissements chinois en Afrique ............................................................................................... 21
       II/ La Russie, ou l’entretien d’une arrière-cour au sein de l’Etranger Proche ............................... 22
PARTIE 3 : AXE IMMATERIEL .................................................................................................................. 25
   Chapitre 1 : La démocratisation de l’accès à l’espace ....................................................................... 25
       I/ D’un modèle étatique à un modèle Public / Privé ..................................................................... 25
       II/ De la Militarisation vers l’arsenalisation de l’espace ................................................................ 25
   Chapitre 2 : Le champ de bataille 2.0 ................................................................................................ 28
       I/ La Géopolitique du Cyberespace ............................................................................................... 28
       II/ L’équilibre géopolitique dans le cyberespace ........................................................................... 30
       III/ Qu’en est-il aujourd’hui ? ........................................................................................................ 35
   Chapitre 3 : Doctrine militaire / Hard power - Soft Power................................................................ 38
       I/ Soft Power .................................................................................................................................. 38
       II/ Smart Power.............................................................................................................................. 38
       III/ Soft law .................................................................................................................................... 39
Conclusion ............................................................................................................................................. 42
Lexique .................................................................................................................................................. 43
Bibliographie.......................................................................................................................................... 45
INTRODUCTION
                                  « Le Multilatéralisme est mort »
                         Geoffroy Roux de Bézieux, Président du Medef, 2018

Le multilatéralisme est un concept présent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans les
domaines de la politique, de l’économie, de la défense et des relations internationales. Il a été utilisé
pour décrire les rapports de force interétatiques durant la guerre froide, à l’heure où les affrontements
armés directs n’étaient plus la solution adéquate. Avec l’émergence de nouvelles puissances et le
développement technologique, la validité de ce concept est remise en question.

C’est dans ce contexte que notre promotion RIE 02 s’est employée à analyser ce concept qu’est le
multilatéralisme. Fort de nos diverses expériences et formations, nous avons décidé de faire un état
des lieux et d’imaginer de possibles implications futures pour cette notion. Pour cela, nous avons
appliqué une grille de lecture d’intelligence économique afin d’identifier tous les acteurs participant à
ce rapport de force, puis de donner les clefs de compréhension sur l’état actuel des relations
internationales et les enjeux de demain.

Face au postulat annoncé par le président du Medef, le parti pris de ce rapport est d’analyser
chronologiquement ce concept, en comprenant les aspects historiques du multilatéralisme, pour
appréhender les enjeux contemporains et anticiper les conflits futurs.
Cette étude nous permettra ainsi d’apporter des éléments de réponses à cette problématique : le
multilatéralisme est-il un concept dépassé ou en pleine mutation ?

                                                   3
PARTIE 1 : HISTOIRE DU MULTILATERALISME
Chapitre 1 : l’émergence de deux entités superpuissantes

I/ L’état des acteurs en 1945
La Seconde Guerre mondiale, conflit le plus meurtrier de l’Histoire, se termine le 02 Septembre 1945.
Les belligérants sont affaiblis. L’Axe (Allemagne, Italie, Japon) dénombre des pertes de plus de
11 538 000 hommes, contre plus de 42 509 900 pour les Alliés (Chine, États-Unis, France, Royaume-
Uni et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS))1. Sur le total de victimes recensées, au
nombre de 64 781 162, 58 % sont des civils alliés, contre 6 % pour l’Axe.
Le bilan économique est catastrophique pour les pays d’Eurasie. Plusieurs villes comme Varsovie,
Berlin ou Dresde sont complètement détruites. L’agriculture et le potentiel industriel de l’Europe sont
diminués de moitié. Malgré la fin de la guerre, la pénurie alimentaire se fait encore ressentir à travers
les tickets de rationnement. Les pouvoirs publics veulent la contrer grâce à “la productivité du matériel
végétal et animal et celui des surfaces des exploitations agricoles.” Cette productivité passe, entre
autres, par la création de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), en 1946 ou encore
via le Plan Marshall, à partir de 1948, introduisant les maïs hybrides et les machines agricoles
motorisées.2
Les pertes matérielles varient entre les pays. L’URSS a perdu 80 % de ses moyens de transports ainsi
que plus de mille villes. Les destructions urbaines ne touchent cependant pas les Etats-Unis, ni une
grande partie de l’Afrique, au contraire de l’Europe, créant un chaos financier sur le
continent. L’inflation et l’endettement ralentissent la reconstruction des pays. C’est ainsi que les prix,
en France ont connu une hausse de 24 % dès 1949.3
Les Alliés expriment leur volonté de rétablir un équilibre au sein des différentes nations. Aussi,
s’organise la conférence de Dumbarton Oaks entre août et septembre 1944 pour la création de
l’Organisation des Nations Unies (ONU), remplaçant ainsi la Société Des Nations (SDN). Cette nouvelle
organisation internationale a pour but principal de préserver la paix et la sécurité dans le monde de la
diplomatie.
La conférence permet aux membres présents de s’accorder sur les fondements des quatre points
définis pour la création de l’ONU, à savoir l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Secrétariat
général et la Cour internationale de justice. Ces deux faits marquent le début du multilatéralisme
moderne.
En juillet 1944, les accords de Bretton Woods restructurent un ordre monétaire et financier
international. Cet ordre est dès lors basé sur la prépondérance du dollar, la seule monnaie convertible
en or.4 Afin d’aider les autres pays en difficulté financière, le Fonds Monétaire International (FMI) et la
Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) sont créés.
La conférence de Yalta, en février 1945, accorde aux Alliés la possibilité de mettre en place un plan
géostratégique. Roosevelt accepte certaines faveurs aux soviétiques comme l’annexion des pays Baltes
ou une modification des frontières russo-polonaises. Un communiqué de la conférence rapporte ainsi :
« Nous croyons qu'une telle organisation est essentielle pour empêcher de nouvelles agressions et
éliminer les causes politiques, économiques et sociales de guerre, au moyen d'une collaboration étroite
et permanente de tous les peuples pacifiques. (...) »5.
Les Etats-Unis et l’URSS ont libéré l’Europe du nazisme. Cette suprématie les mène au rang
d’hyperpuissance. Malgré leur volonté de paix mondiale par la mise en place de l’ONU afin de faire

1 REPERES Partenariat éducatif GRUNDTVIG 2009-2011 « Bilan de la Seconde Guerre mondiale (en chiffres) », 09/06/2011
2 Jean-Claude Flamant « Une brève histoire des transformations de l’agriculture au XXe siècle », Publication de la Mission
Agrobiosciences, 11/2010, P. 11.
3 apprendrelabourse.org « Inflation - France : données historiques depuis la guerre », apprendrelabourse.org, 13/06/2009
4 DANCER, M. « Il y a 70 ans les accords de Bretton Woods créaient le FMI », lacroix.com, 22/07/2014.
5 J.V. Staline, W.S. Churchill, F.D. Roosevelt, « Seconde Guerre mondiale – 1945 : les accords de Yalta », L’étudiant.fr.

                                                            4
valoir le droit international par le procès de Nuremberg, la conférence de Yalta montre leur intérêt
pour dominer le monde, en redessinant les frontières au sein de l’Europe et ainsi gagner des alliés.
Petit à petit, deux blocs se forment, et le président Harry Truman prend la décision, en 1945, de l’arrêt
de la loi du Prêt-Bail. Ce geste est mal perçu par les soviétiques, qui y voient un geste de défiance.
Les Etats-Unis ont réussi à affaiblir le Japon grâce à l’URSS et possèdent l’arme nucléaire. Les
occidentaux, quant à eux, reprochent aux soviétiques d’avoir mis main basse sur la Roumanie et la
Bulgarie. Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki font capituler les japonais. L’Axe étant
définitivement anéanti, les tensions internationales s’apaisent temporairement.
Le traité de paix est officiellement annoncé le 10 février 1947. Le tribunal de Nuremberg juge les
criminels nazis dont la première sentence est prononcée le 1er octobre 1946, avec plus de dix
condamnations à mort. Ce tribunal est composé d’un jury international, montrant la volonté d’une
coopération interétatique face aux criminels de guerre.
Malgré les diverses conférences et réunions, les négociations entre vainqueurs n’aboutissent pas sur
le sujet de l’Allemagne, qui est finalement divisée en quatre régions sous tutelles. Ces contrôles sont
différents, empêchant de ressouder le pays et permettant de le contenir.
Les conflits internationaux s’exacerbent sur le sort du territoire turc. En effet, les soviétiques
souhaitent une rectification des frontières et de nouveaux accords sur les détroits. Quant aux
américains, ils font preuve de fermeté en envoyant l’armée et ne cédant pas aux exigences de l’URSS.
Enfin, la politique de « Containment », lancée le 12 mars 1947 par le Général Georges Marshall, vise à
endiguer la croissance du communisme dans le monde. Au même moment, en Chine, ce mouvement
politique s’impose au pouvoir. Le président Truman expose la politique extérieure des Etats-Unis, qui
se définit par la défense des libertés des peuples, affichant ainsi un anticolonialisme profond, par la fin
du protectionnisme américain et par l’endiguement de la poussée communiste grâce à un soutien
financier.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, des conflits d’intérêts géostratégiques émergent. Les
différentes conférences et accords ont pour but de trouver un nouvel équilibre mondial, mais
favorisent davantage de nouveaux jeux de puissances, avec une Allemagne divisée en quatre blocs.

II/ La guerre froide : entre opposition et coopération

A/ La conquête spatiale
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe, ruinée, bombardée et divisée en deux, se remet
difficilement de ce conflit. L’Europe de l’Ouest est placée sous l’autorité du Plan Marshall, tandis que
l’Est est placé sous le joug stalinien à partir de 1947.
L’URSS a pour objectif la diffusion du communisme à l’échelle internationale, entrainant une réaction
des Etats-Unis et la scission du monde en deux blocs ; en 1947, les alliances de la guerre sont remises
en question et mises à mal. Le conflit Est-Ouest émerge, confrontant le bloc capitaliste des Etats-Unis
et le bloc communiste de l’URSS, chacun d’eux espérant éviter la propagation de l’autre.6
L’année 1947 devient une année charnière dans le déclenchement de la guerre froide. Les pactes et
organisations jusque-là internationaux, se géolocalisent, renforçant la séparation du monde en deux
blocs distincts.
Ce conflit fait émerger des enjeux militaires et politiques, notamment avec l’apparition d’une volonté
commune entre l’URSS et les Etats-Unis : la conquête spatiale. Cette ambition va vite se transformer
en une course à l’espace. Le multilatéralisme temporaire d’après-guerre est alors, par cet exemple,
remis en question, montrant la volonté unilatérale de chacune des deux parties à s’imposer comme
leader à l’échelle mondiale.
L’URSS prend rapidement la tête et envoie dix ans après le début de la guerre froide, en octobre 1957,
le premier satellite artificiel (Spoutnik 1), mettant à défaut les Etats-Unis dans le domaine aérospatial.7

6   BISCHOF, D., DESAUTELS, E., RIVET, M.A. « Est vs Ouest - Affrontement culturel, politique et militaire », guerrefroide.net.
7   VILLAIN, J. « ESPACE (CONQUÊTE DE L') - L'espace et l'homme », universalis.fr.

                                                                 5
La pression politique et militaire amène les Etats-Unis à développer ce secteur afin de faire face aux
soviétiques en cas d’attaque par missile. L’avance de l’URSS est confirmée par le lancement, le 12 avril
1961, du premier engin piloté par un homme à son bord. Dû à la pression liée à la possibilité d’une
attaque par missile et une compétition certaine face à la souveraineté mondiale, le président Kennedy
déclare : « Je crois que cette nation devrait se donner comme objectif, avant que cette décennie ne se
termine, d'envoyer un Homme sur la Lune, et le ramener sain sauf sur Terre »8, permettant ainsi le
déblocage de fonds pour ce domaine. A ce moment précis, les Etats-Unis rattrapent leur retard
technologique9 face aux russes, plus développés sur ce domaine.

B/ Développement des accords malgré le réchauffement des conflits
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les deux grands vainqueurs tentent de rallier le reste du monde
à leurs idées, tant politiques que militaires.
A travers cette volonté, un certain nombre d’accords sont signés entre pays, notamment avec les Etats-
Unis ou l’URSS, afin de permettre à ces derniers de maintenir une pression géographique forte, et ainsi,
de maintenir et élever leur puissance respective.
Malgré la volonté d’une paix internationale, la mise en place d’un nouvel ordre mondial repose sur une
hiérarchie issue de la guerre, dont les vainqueurs se placent en haut de la pyramide, en chefs de file,
suivis par leurs alliés. Cinq pays se détachent alors : les Etats-Unis, l’Union soviétique, Le Royaume-Uni,
la Chine et la France, malgré sa collaboration avec le régime de Vichy. Des tensions régionales
apparaissent alors par cette nouvelle organisation, dont l’idée émane du reste du monde que l’ONU a
été créée pour servir les cinq « Grands ».10
A partir de ce moment, les relations se dégradent, se transposant également sur les accords. Ainsi,
malgré les bonnes intentions du monde pour établir la paix, l’individualisme national réapparait avec
le General Agreement on Tariffs and Trade (GATT)11, pensé et mis sur pied par les Etats-Unis dans le
but d’établir la définition du libre-échange, dont la finalité est de faire valoir le dollar au rang
international12 et de valider les inégalités de puissance, face à la concentration des richesses.13
De plus, cette politique de libre-échange n’est pas respectée par les pays européens, et ce, par la mise
en place de douanes, quotas et fixation des prix.
En 1949, l’Organisation Transatlantique Nord (OTAN) est créée et regroupe les Etats alliés des États-
Unis. « L'OTAN est ouverte à tout autre Etat européen susceptible de favoriser le développement des
principes du présent traité et de contribuer à la sécurité de la région de l'Atlantique Nord »14.
L’objectif est de maintenir les forces européennes dans le camp occidental et de créer une force
politique et militaire face à l’Union soviétique.
En réponse à cette organisation, le bloc de l’Est, mené par l’Union soviétique, signe le pacte de Varsovie
en 1955, destiné à contrer les Etats-Unis et leurs alliés. Cette alliance militaire rassemble ainsi l’URSS,
la Pologne, l’Albanie, la République Démocratique Allemande (RDA), la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, la
Roumanie et la Hongrie.
Ainsi, à ce moment précis, malgré la volonté de maintenir une paix mondiale, les vainqueurs de la
Seconde Guerre mondiale souhaitent assouvir leur pouvoir dans des domaines stratégiques, tels que
militaires, économiques et politiques.
A travers ces accords signés au lendemain de la guerre, une réelle volonté d’éviter les conflits directs
internationaux émane, menée par les vainqueurs.
Les accords signés entre 1945 et 1947 ont donc permis de stabiliser les conflits et actions militaires,
mais ont initié des conflits politiques, sociologiques et technologiques entre les deux hyperpuissances,

8 DECOURT, R. « Le discours de Kennedy qui a décroché la Lune », Futura Sciences, 15/07/2019, [en ligne].
9 BISCHOF, D., DESAUTELS, E., RIVET, M.A. « Course vers l'espace - But scientifique ou militaire ? », guerrefroide.net
10 Ministère des armées, « La création de l'ONU », Cheminsdemémoire.gouv.fr.
11 BAUD-BABIC, M.F. « G.A.T.T. (General Agreement on Tariffs and Trade) ou ACCORD GÉNÉRAL SUR LES TARIFS DOUANIERS

& LE COMMERCE », universalis.fr.
12 CHAVAGNEUX, C., « 1944-1947 : les accords de Bretton Woods et le Gatt », Alternatives Économiques [en ligne].
13 ROBERT A.C. Interview sur le multilatéralisme.
14 ANONYME. « Adhésion à l'OTAN », OTAN.int.

                                                          6
qui vont ainsi s’affronter dans tous les domaines, entraînant avec eux le reste du monde vers une
guerre idéologique.
Les pays du Sud, quant à eux, signent des accords avec ces mêmes “Grands”. C’est ainsi que le Pacte
de Rio fut signé en 1947 par une majorité de pays du continent américain, promettant dans le
paragraphe 1 de l’article 3 :
« Les hautes parties contractantes sont d’accord pour décider qu’une attaque armée de la part de
n’importe quel Etat contre un Etat américain sera considérée comme une attaque contre tous les Etats
américains et que chacune desdites parties contractantes s’engage à aider à faire front à cette attaque,
en exercice du droit immanent de légitime défense individuelle ou collective reconnue par l’article 51
de la charte des Nations unies. »15
L’objectif est ainsi d’instaurer une solidarité militaire sur le continent américain grâce à ce pacte
d’assistance mutuelle et d’entraide.
En ce qui concerne l’Asie et l’Afrique, ce sont surtout des accords de décolonisation qui vont être signés
avec les pays du Nord concernés, tels que les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni ou encore le
Portugal et les Pays-Bas. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le nombre de colonies diminue
progressivement, tout d’abord avec la République populaire du Vietnam, le 2 septembre 1945, par la
France16, puis l’Inde par l’empire britannique en août 1947. La décolonisation de l’Afrique intervient
plus tard, dans les années 1950 et 196017.

Chapitre 2 : Le reste du monde entre indépendantisme, terrain d'affrontement et
troisième bloc

I/ Constitution du tiers monde
En 1952, Alfred Sauvy évoque pour la première fois la notion de Tiers-Monde, qui se définit comme
l’ensemble des pays en voie de développement dans l’hémisphère sud, en contradiction avec
l’hémisphère nord (clivage Nord-Sud). L’hémisphère nord est en ce temps tiraillé lui-même par la
bipolarisation du monde Est-Ouest.
C’est alors une période fragile pour l’Europe, qui connaît un déclin au sortir de la guerre. En Asie, le
Japon colonise une partie de la Corée et de la Chine durant le conflit mondial. Une tendance
indépendantiste émerge et la décolonisation va alors débuter véritablement à partir de 1945, aidée
par l’URSS18 qui va soutenir et aider un groupe afro-asiatique représenté par l’Inde et l’Egypte, en les
défendant à l’ONU. La question des colonies va alors se poser et beaucoup souhaitent leur
indépendance aussi bien étatique qu’économique.
Cette division du monde en deux blocs Est-Ouest va ainsi permettre aux pays concernés de se libérer
principalement des puissances colonisatrices de l’époque, que sont le Royaume-Uni et la France, ou
encore la Belgique et l’Italie sur l’Afrique et l’Asie

A/ Les décolonisations françaises et britanniques
La première étape de la décolonisation va commencer en Asie entre 1945 et 1955. Elle se poursuit en
Afrique entre 1954 et 1962. Le Royaume-Uni va ainsi connaître une première vague
d’indépendantisme entre 1947 et 1950. Cependant, les britanniques préserveront quelques-unes de
leurs colonies grâce au Commonwealth signé en 1949, qui réunit encore à ce jour 53 Etats, tous
d’anciens territoires coloniaux britanniques. Le Royaume-Uni a géré ses décolonisations plutôt
pacifiquement à l’exception de quelques répressions comme au Kenya, où 11.000 kenyans suspectés

15   JANIERES, H., « Pacte de Rio : Une alliance fondée surtout sur un engagement moral des Etats-Unis », monde-
diplomatique.fr.
16 MICHEL, N. « Ho Chi Minh proclame l’indépendance du Vietnam », jeuneafrique.com, 30/08/2004.
17 ANONYME. « La décolonisation : émancipation de l’Afrique », ladocumentationfrancaise.fr.
18
   BERSTEIN, S., MILZA, P. « Histoire du XXe siècle – Tome 2 – Le monde entre guerre et paix », Hatier, 01/01/1996, p146.

                                                           7
d’appartenir à un mouvement de résistance armé indépendantiste (Le Mau Mau) ont été tués lors de
la répression du mouvement.19 A l’inverse, la décolonisation française a été plus violente, comme le
prouve la guerre d’Indochine puis d’Algérie.
Deux causes sont possibles à ces décolonisations : les causes internes, puis externes. Du point de vue
interne, les pays colonisés ont pu profiter d’une aide sanitaire et ont donc d’un recul de la mortalité.
Le 8 mai 1945 est la date de la capitulation de l’Allemagne nazie et la victoire des Alliés. C’est également
le jour où le drapeau algérien est présent pour la première fois lors de manifestations pour
l’indépendantisme de leur pays. Ce 8 mai, plusieurs manifestations20 ont lieu dans trois villes d’Algérie
(Sétif, Guelma et Kherrata principalement) et vont durer plusieurs semaines, faisant environ 30 000
victimes21 alors que la Seconde Guerre mondiale prend fin.
La Conférence de Brazzaville organisée à la fin de la guerre, le 30 avril 1944, par le Comité Français de
Libération Nationale (CFLN), met fin au code de l’indigénat, mais affirme cependant un statut de
colonisation définitive et d’assimilation des territoires colonisés à la France. La déclaration finale
rejette toute possibilité de constitution et de gouvernement propres.22 Cette conférence montre le
souhait de l’Etat français de conserver les colonies.
Pendant la guerre d’Indochine (1946-1954), la France devait signer un accord instituant le Vietnam
comme Etat libre et le faire entrer dans la Fédération indochinoise et l’Union française, représentée
par un ensemble de territoires et pays associés à la France. Cependant, une action militaire est
préférée pour conserver le territoire cochinchinois, interdisant tout accord bilatéral entre la France et
les belligérants indépendantistes. En 1949, des troupes chinoises s’installent le long de la frontière du
Vietnam pour soutenir les troupes d’Hô Chi Minh. Par ailleurs, l’URSS et la Chine soutiennent son
armée, tandis que la France est soutenue par les Etats-Unis. La guerre, jusqu’alors une lutte pour la
décolonisation du pays, prend un tournant d’affrontement indirect entre capitalistes et communistes.
Avec la défaite de Dien Bien Phu en 1954, la France se retire du conflit et laisse place à la guerre du
Vietnam, sans accords passés avec le nouveau gouvernement vietnamien.23
La guerre d’Algérie va commencer, au lendemain de la guerre d’Indochine (1954-1962) menée par le
Front de Libération National (FLN), hostile à l’emprise de la France en Algérie. En 1955, l’ONU
commence à débattre de la question algérienne. S’ensuit des années de conflit, avec des attentats
contre l’Etat français du général de Gaulle, qui reçoit les pleins pouvoirs en 1958. Après plusieurs visites
et discours en Algérie, la même année, l’ONU rejette le droit de l’Algérie à l’indépendance. Il faut
attendre 1960 pour que l’organisation internationale revienne sur cette décision et reconnaisse le droit
à l’indépendance algérien, montrant une hésitation du multilatéralisme sur cette question. L’Algérie
deviendra indépendante à la suite des accords d’Evian en 1962.24

B/ L'échec franco-britannique à Suez
Nasser incarne la figure nationaliste arabe contre les français en Algérie et contre les britanniques au
Moyen-Orient. En 1956, il fait nationaliser le canal de Suez, dirigé par des actionnaires franco-
britanniques. Il veut l’indépendance et des moyens pour développer l’Egypte. Cette nationalisation
n’est pas du goût des français et des britanniques, qui interviennent avec les israéliens en octobre et
novembre 1956 sur la région de Suez, infligeant ainsi au Raïs une grave défaite militaire.
Cependant, l’URSS et les Etats-Unis interviennent pour que les trois alliés se retirent, ce qu’ils feront
après menace atomique des soviétiques sur l’Europe25. L’Égypte sort diplomatiquement vainqueur de
ce conflit et les européens admettent que leur hégémonie africaine est révolue.

19 VANLERBERGHE, C. « Le Royaume-Uni confronté à son passé colonial », lefigaro.fr, 08/04/2011.
20
   Dissidence.fr « 8 mai 1945 : Massacre de Sétif », rebellyon.info, 8/05/2019.
21 COCHET, F., FAIVRE, M., PERVILLE, G. et VETILLARD, R. « Mai 1945, l'émeute de Sétif », La Nouvelle Revue d'histoire, n° 79,

juillet-août 2015, p. 32.
22 CHAMPION, J.M. « BRAZZAVILLE conférence de (1944) », universalis.fr.
23 cvce.eu. « La décolonisation de l’Indochine française », cvce.eu, 01/03/2017.
24 Cvce.eu. « Chronologie des événements en Algérie », cvce.eu, 01/03/2017.
25 CHAIGNE-OUDIN A-L. « Crise de Suez de 1956 », lesclesdumoyenorient.com, 09/03/2010 ;

                                                              8
C/ La conférence de Bandung
La conférence de Bandung, en Indonésie, tenue en 1955, est un exemple d’indépendantisme, alors
qu’aucun pays européen, les Etats-Unis ou encore l’Union soviétique n’est présent. L’objectif de cet
événement est de faire entendre la voix des pays décolonisés. Ce rassemblement est ainsi l’émergence
réelle et concrète de la notion de « pays du Tiers-Monde ». Lors de cette conférence, l’ensemble des
dirigeants de ces 29 états africains et asiatiques, parmi lesquels l’Egypte, l’Inde ou encore la Chine,
vont acter leur refus d’adhérer à un bloc dans un monde devenu bipolaire. Elle contribue à
l'accélération du processus de décolonisation. Soekarno, premier président indonésien, lors du dernier
discours de cette conférence, déclare : « Nous sommes unis par une commune détestation du
colonialisme, quelle que soit sa forme ».
En 1961 le mouvement des non-alignés est créé lors de la Conférence de Belgrade, dans la continuité
de la conférence de Bandung. Ce mouvement va ainsi regrouper la quasi-totalité de l’Afrique, une
partie Nord-Ouest de l’Amérique latine et la partie Sud de l’Asie. Le déclin du Tiers-Monde débute avec
le choc pétrolier de 1973. La signature de la convention de Lomé va ainsi diviser l’unicité qui existait
jusqu’alors au sein des pays adhérents. Ils se renomment peu à peu « Pays en voie de développement ».
En 1963, la charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) est ratifiée. Elle repose sur la volonté
d’éliminer sous toutes ses formes le colonialisme en Afrique.

D/ Désillusions politiques du Tiers-Monde
Le principe de non-alignement fait que le Tiers-Monde cherche à sortir de la domination coloniale et à
ne pas se placer sous celle d'un des deux blocs, soviétique ou américain. La charte de l'OUA affirme
« une politique de non-alignement à l'égard de tous les blocs ». Mais les tensions extrêmes liées à la
guerre froide avec, notamment, la crise de Cuba, aboutissent à la satellisation de certains pays du Tiers-
Monde par les Etats-Unis et l’URSS26.
Économiquement, les pays du Tiers-Monde ont progressivement pris conscience de leur état en tant
que pays en développement à partir d’un triple constat : l’explosion démographique, les clivages socio-
économiques internes et la dépendance envers le pays riches.
La population du Tiers-Monde a doublé entre 1965 et 1995, particulièrement en Afrique
subsaharienne, en Asie du Sud et au Moyen-Orient27. Cette explosion de l’accroissement
démographique est supérieure à la production de richesses, si bien que dans de nombreux pays, le
revenu par habitant a diminué.
Les clivages au sein des pays du Tiers-Monde illustrent le contraste entre un secteur rentable (matières
premières) et tourné vers l’extérieur (héritage de la colonisation), et le reste du pays mal intégré au
commerce international. De même, ce clivage est visible sur la pyramide sociétale des pays du Tiers-
Monde : une fraction de pays est enrichie, et une majorité de la population est en situation de
précarité28.
Le Tiers-Monde reste dépendant des pays du Nord, tant en termes d’exportations que
d’investissements. De nombreux pays du Tiers-Monde sont dépendants d’un seul produit qui
représente plus de 50 % de leurs exportations. C’est le cas des pays de l’Organisation des Pays
Exportateurs de Pétrole (OPEP), l’uranium pour le Niger, le cuivre pour la Zambie, le café pour
l’Ouganda, le Burundi, l’Éthiopie, etc.

II/ Terrains d’affrontements économiques
Durant la guerre froide, le processus de décolonisation du Tiers-Monde est soutenu par les Etats-Unis
et l’URSS, opposés tous deux au colonialisme européen. Le déclin des puissances européennes est

26 AISER, K., ROCHEFORT, D. «Les grandes puissances au XXIe siècle », Politique étrangère, vol. automne, no. 3, 2007, pp. 619-
632 ;
27 TABUTIN, D. « La population du Tiers monde : évolution depuis 1950 et perspectives », dossier pédagogique, n° 2, 1985, p.

641-648 ;
28 BAIROCH, P. « Du Tiers-Monde aux Tiers-Mondes : convergences et clivages », PERSEE, 1992, p. 1485-1503 ;

                                                              9
l’opportunité pour les deux supergrands d’exercer et de consolider leur domination mondiale. Les
soutiens politiques, financiers ou militaires sont déployés aux peuples qui s’émancipent.
Dès leur indépendance, les pays du Tiers-Monde sont affaiblis et ne disposent pas de moyens pour
couvrir les dépenses liées à leur développement. Au sortir d’une longue période de colonialisme et de
dépendance, les pays du Sud ont besoin de soutiens géopolitiques, en l’occurrence dans le cadre de
conflits régionaux. En 1949, la Chine devient communiste et dépend du soutien économique de l’URSS.
En 1950, éclate la guerre de Corée, divisant ainsi la Corée en deux. La république de Corée est sous
influence américaine tandis que la république populaire et démocratique de Corée (RPDC) est sous
influence soviétique.
Inquiétés par la montée en puissance des communistes en Asie du Sud-Est, notamment par la guerre
du Vietnam, les Etats-Unis soutiennent la France dans ce conflit, qui l’oppose au mouvement
communiste vietnamien, soutenu et financé par l’URSS. Le Kremlin est à l’origine indirecte de
l’endiguement de la politique expansionniste américaine, grâce à ses accords et actions avec les pays
nouvellement communistes. L’Université Patrice-Lumumba à Moscou, destinée à former les élites du
Tiers-Monde, compte parmi ses rangs des figures publiques du combat communiste, tel que Ilich
Ramirez Sanchez (Carlos), qui fut l’un des grands protagonistes de défense de la cause palestinienne
et de l’anti-impérialisme américain.
Le conflit Israélo-arabe marque des enjeux régionaux de plus en plus influencés par une dynamique de
guerre froide. D’un côté, le projet sioniste dispose, à partir des années 1950, d’un appui solide des
Etats-Unis et du Royaume-Uni. En face, les Russes présents en Palestine depuis 1882 par la Société
Impériale Orthodoxe de Palestine (IPPO), soutiennent la cause Palestinienne.
Malgré la crise de Suez, qui marque une défaite pour Israël, ce pays devient le principal allié des Etats-
Unis au Proche-Orient et est entretenu financièrement, et surtout militairement, par les américains.
Cette protection est associée à des actions diplomatiques. Les Etats-Unis posent systématiquement
leur droit de veto pour faire obstacle à toutes les condamnations de l’Etat Israélien au conseil de
sécurité des Nations Unies. La guerre du Kippour souligne ostentatoirement le soutien américain à
l’Etat hébreu, qui n’aurait pas réussi à repousser l’attaque de l’Égypte et de la Syrie sans l’aide
étasunienne29.
Affichant un soutien redoutable aux pays arabes, les pays de l’OPEP augmentent promptement et
considérablement le prix du pétrole. C’est la période du premier choc pétrolier. L’état d’avancement
de la guerre israélo-palestinienne aujourd’hui reflète parfaitement la victoire remportée par les Etats-
Unis sur le mouvement communiste. Ces conflits transforment les pays du Tiers-Monde en un espace
privilégié d’affrontement entre le bloc communiste et le bloc capitaliste.
La crise des missiles de Cuba en 1962 est la confrontation paroxystique de la guerre froide. Des missiles
nucléaires soviétiques sont pointés en direction des Etats-Unis depuis l’île de Cuba. Cette crise a mené
les deux superpuissances au bord d’une troisième guerre mondiale. Un accord entre les soviétiques et
le gouvernement Kennedy est dès lors adopté. L’URSS retire ses missiles, en contrepartie du retrait de
certains missiles américains en Turquie et en Italie. L’accord engage également les Etats-Unis à ne plus
envahir Cuba.
Un téléphone rouge reliant l’exécutif de Washington et du Kremlin est installé afin de faciliter la
communication entre les deux superpuissances, qui donne lieu à la période dite de « Détente ».

A/ La place du Tiers-Monde dans les conflits des années 1990
Quand la guerre froide prend fin en 1991, les revendications identitaires et d’ordre ethniques, voire
raciales, se multiplient comme en témoigne le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994.
Ces revendications sont également religieuses ou idéologiques, comme en témoignent les Forces
Armées Révolutionnaires en Colombie (FARC). Elles aboutissent le plus souvent à des conflits dont les
populations sont les premières victimes.
Le Tiers-Monde, né de la décolonisation, voit ses principes de non-alignement, d'anticolonialisme,
d'unité et de pacifisme s’effondrer. C’est l'échec du neutralisme, la montée du néocolonialisme, le

29   CHAIGNE-OUDIN, A.L. « Guerre du Kippour (6 octobre – 16 octobre 1973) », lesclesdumoyenorient.com, 09/03/2010.

                                                           10
triomphe de la diversité et la multiplication des conflits en son sein30. Pour autant, le Tiers-Monde a su
s'imposer comme un nouvel acteur des relations internationales.

B/ Les ressources stratégiques au service de l’autonomie et de l’influence des Etats
Par la densité pétrolière dont ils disposent, le Moyen-Orient, le golfe de Guinée, la mer Caspienne,
l’Afrique centrale ainsi que la mer de Chine méridionale apparaissent comme des régions où les
fractures ethniques, religieuses et culturelles offrent des leviers de déséquilibre et d’influence.
Concentrés au Moyen-Orient, qui dispose de 80 % des réserves, les principaux pays producteurs de
pétrole sont à l’origine de l’OPEP, qui produit plus 50 % du pétrole mondial avant la crise pétrolière de
197331. Le panarabisme a notamment été la victime collatérale de cette manne pétrolière.
Du point de vue des grandes puissances consommatrices, il était hors de question de voir émerger un
super-Etat arabe disposant unilatéralement d’une telle concentration de pouvoir énergétique. La
dépendance des pays développés envers le pétrole est facteur de conflit chez les pays producteurs.
Les intérêts divergents entre pays consommateurs et pays producteurs sont visibles sur toute la chaîne
d’approvisionnement : les pays producteurs cherchent à conserver, via le réseau d’oléoducs, le
contrôle de la distribution. Pour les pays consommateurs, il est vital que l’approvisionnement en
pétrole ne transite pas par des zones insécurisées.
Ainsi, la concentration des conflits dans les zones de production témoigne des leviers d’influence mis
au service des intérêts des acteurs concernés. Entre les années 1990 et 2000, le contrôle étatique du
secteur énergétique n’a cessé de se renforcer au détriment des actions sans restriction des acteurs
privés. Une vague de renationalisation du secteur a lieu dans les pays producteurs, qu’ils soient
souverains comme la Russie ou anciennement dominés par les Etats-Unis notamment, comme le
Venezuela32.
En outre, la souveraineté des îles Senkaku (Diaoyu en Chinois) est facteur de conflits entre le Japon et
la Chine depuis les années 1970. La découverte de réserves importantes de pétrole fait de ce territoire
un théâtre d’affrontements entre la Chine, le Japon et Taiwan. L’accès aux ressources de la zone fait
écho avec les griefs historiques entre ces trois pays.

30
   LE BILLON, P. « Matières premières, violences et conflits armés », Revue Tiers Monde, vol. 174, 2003, n° 2, pp. 297-321.
31 connaissancedesenergies.org. « OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) », connaissancedesenergies.org,
18/02/2019.
32 SCHMIT, S. « Les énergies, moteur de l’économie latino-américaine, mais à quel prix ? », diploweb.com, 15/04/2018

                                                           11
PARTIE 2 : L’AXE MODERNE DU MULTILATERALISME
Dans un système où les interactions entre Etats se sont densifiées depuis la Seconde Guerre mondiale,
la nouvelle Division Internationale du Travail (DIT) a permis la résurgence d’anciennes puissances et
l’apparition de nouveaux Etats sur la scène mondiale. Etats périphériques au cours du XXe siècle, leur
inclusion dans le jeu multilatéral, soit l’institutionnalisation des relations de coopération entre Etats
par le biais d’organisations internationales, leur a permis de trouver une place dans l’échiquier
géopolitique, qui n’est toutefois pas toujours proportionnelle à leur puissance réelle. Si certains de ces
nouveaux acteurs se sont progressivement tournés vers des organisations régionales, avec pour
objectif le développement et l’inclusion politique, d’autres, comme la Russie ou la Chine, voient à
travers le multilatéralisme un moyen d’asseoir leur sphère d’influence et de concurrencer les
puissances occidentales.
A la suite de la guerre froide, les acteurs privés, auparavant peu présents, prennent également une
importance grandissante, tant dans l’économie que dans la prise de décision politique, en imposant,
par exemple, leurs conditions aux Etats à travers des coopérations multilatérales. Cadre institutionnel
légitimant et source de coopération, le multilatéralisme est un moyen de parvenir à des fins politiques,
économiques, juridiques, etc.
Ainsi, comment les acteurs du système international usent-ils du multilatéralisme pour défendre leurs
intérêts ?
Cette question sera analysée en trois temps. D’abord, le multilatéralisme sera vu comme outil de
résolution des conflits mondiaux et régionaux, ensuite, comme moyen d’intégration économique et
enfin, comme levier de création d’une sphère d’influence.

Chapitre 1 : Le multilatéralisme depuis la Seconde Guerre mondiale comme outil de
résolution des conflits mondiaux et régionaux

En avril 1945, la création de l’ONU par la conférence de Dumbarton Oaks instaure un nouvel ordre
international, dans lequel la résolution des conflits doit désormais passer par le multilatéralisme. Son
effectivité est toutefois à nuancer.

I/ Le multilatéralisme occidental : résolution des conflits
A l’origine, le multilatéralisme a pour vocation de créer un cadre propice à la résolution des conflits
par la facilitation du dialogue entre les belligérants et la mise en avant d’intérêts communs à la
cessation des hostilités, qui est le principe fondateur lors de la création de l’ONU. Ceci est vérifié par
bon nombre d’exemples.
En effet, par la suite, la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), instituée par le
Traité de Paris du 18 avril 1951, avait pour but d’assurer la stabilité et la paix sur le continent européen,
en promouvant une solidarité économique favorable à la France et à l’Allemagne dans les secteurs
stratégiques du charbon et de l’acier.
Néanmoins, par sa forme institutionnelle, le multilatéralisme peut également servir à légitimer des
interventions à l’étranger, au nom du respect du droit international. A travers des opérations
préventives ou de la norme de Responsability to Protect (R2P), le respect du droit international et
humanitaire devient une raison suffisante à l’intervention de coalitions ou d’Etats. Ce fut le cas lors de
la guerre du Golfe, durant laquelle le Conseil de sécurité de l’ONU, s’appuyant sur le chapitre VII de la
Charte des Nations-Unies, décida d’intervenir (L’article VII est consacré aux actions en cas de menace
contre la paix, de rupture contre la paix et d’actes d’agression). George Bush dira ainsi devant le

                                                     12
congrès en septembre 1990 : « De cette période difficile, un nouvel ordre mondial peut voir le jour. Un
monde où la primauté du droit remplace la loi de la jungle »33.
Ce paradigme, où intérêts personnels et respect du droit international peuvent se confondre, est
toutefois remis en cause par les puissances émergentes qui n’hésitent pas à faire appel à la Russie et
à la Chine, détentrices d‘un droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) pour faire
primer le principe de non-ingérence.

II/ Le multilatéralisme est-il un échec dans la résolution des conflits ?
Malgré le postulat du multilatéralisme dans sa mission, qui est d’harmoniser les relations entre les
différents acteurs sur la scène internationale, des échecs dans l’apaisement ou la résolution de
tensions entre les Etats est notable. Par les différences politiques, économiques, sociales et culturelles,
qui séparent ces derniers, des conflits (armés ou non) peuvent s’amorcer, malgré les alliances. Celles-
ci peuvent entrer en jeu pour soutenir des Etats partenaires contre un ennemi commun. Egalement,
elles peuvent être la source même d’un litige international, régional ou national. Le multilatéralisme
serait donc l’origine ou la conséquence de conflits de toutes natures.
Un tel processus d’accords interétatiques provoque l’exacerbation des déséquilibres militaires,
territoriaux ou encore économiques entre les Etats.
A l’échelle régionale, on peut prendre l’exemple de la création d’une alliance, telle que la Ligue arabe,
le 22 mars 1945 au Caire. Elle a pour but de consolider les relations entre les Etats membres en raison
de leurs interdépendances ou leur panarabisme. Mais son bilan est mitigé. Aucune infrastructure
institutionnelle n’a appliqué les résolutions prises. De multiples problèmes internes, politiques ou
économiques ont aggravé les relations entre les Etats de cette région.
Dans le même cas de figure, la coopération entre la Syrie, la Turquie et l’Iraq pour la gestion des eaux
de L’Euphrate et du Tigre fut un échec à la suite des barrages installés par la Turquie pour assécher les
terres de ces deux autres pays.
Le multilatéralisme peut donc être la source d’un conflit international, régional ou national, mais avoir
également une répercussion directe et négative pour leur résolution.

A/ Le cas Qatari
L'Arabie saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis, trois voisins du Qatar dans le Golfe, ainsi que
l'Égypte ont rompu, le 5 juin 2017, leurs relations diplomatiques avec Doha, l'accusant de soutenir "le
terrorisme" et de se rapprocher de l'Iran, bête noire de Ryad.
L’embargo total (commercial, aérien, maritime et humanitaire) vise à faire plier Doha, comprenant,
entre autres, la fermeture de la chaîne TV Al-Jazeera, l’arrêt des aides aux Frères musulmans qualifiés
de « groupe terroriste », l’expulsion des opposants, la fermeture de la base militaire turque ; le tout
associé à des contrôles et des pénalités.
Le Koweït a tenté une médiation infructueuse. Plusieurs autres pays, dont les Etats-Unis, la Turquie, la
France et la Russie ont proposé leurs ingérences, dont un accord « stratégique » Paris-Doha a été signé,
notamment sur la « sécurité régionale ».
La France et le Qatar renforcent leurs liens diplomatiques. Le pays du Golfe, isolé dans la région, a
conclu un accord de coopération, notamment militaire et économique avec Paris. Cependant, les
Emirats arabes unis ont déjà prévenu que l'isolement du Qatar peut durer des années si les désaccords
persistent.
A travers cet exemple, il convient d’évoquer les nouveaux composants de l’ordre et de la sécurité
internationale. Il existe des luttes de pouvoir et de conflits d’intérêts au niveau régional. Il est
également nécessaire d’analyser les conflits interétatiques croissants qui étouffent l’idée optimiste
d’une émergence « d’un nouvel ordre mondial » multilatéral. Les perspectives du multilatéralisme
régional et la création d’institutions communautaires promettent l’amélioration de la sécurité
humaine.

33Ecole de politique appliquée. « Nouvel ordre mondial », discours du président américain George Bush,
Perspective.usherbrooke.ca, 11/09/1990.

                                                           13
Vous pouvez aussi lire