2020 SOMMAIRE Seul face au mal-logement PREMIER CAHIER Le mal-logement à l'épreuve des municipales - Fondation Abbé Pierre
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2020 #25 SOMMAIRE PREMIER CAHIER Seul face au mal-logement DEUXIÈME CAHIER Le mal-logement à l’épreuve des municipales TROISIÈME CAHIER Mal-logement comment sortir de l’impasse QUATRIÈME CAHIER Les chiffres du mal-logement BON DE COMMANDE
PREMIER CAHIER Seul face au mal-logement 2020 #25
PREMIER CAHIER Seul face au mal-logement Personnes âgées, jeunes en début de carrière et de parcours résidentiel, personnes migrantes, célibataires, couples séparés… Tout le monde peut vivre seul à un moment dans sa vie, comme c’est le cas désormais de 35 % des ménages en France. L a montée en puissance de la mono-ré- tout dans le parc social qui vise traditionnellement sidentialité est portée par trois évolutions les familles) et plus chers au mètre carré (surtout démographiques majeures : le report par les dans le parc privé). Avec un taux d’effort plus élevé jeunes des engagements dans la vie adulte et dans que la moyenne, la moindre évolution défavorable 2 l’établissement conjugal, les ruptures conjugales ou dépense imprévue entraîne le risque de perdre plus fréquentes et enfin le vieillissement des po- son logement. À ces difficultés, s’ajoute parfois pulations qui laisse souvent des personnes seules un fort isolement social qui complique le recours pendant de longues années. Le phénomène n’est aux aides. Les personnes isolées sont plus vulné- pas récent, mais il gagne en ampleur et aggrave la rables en cas de difficultés, en l’absence de proches distorsion entre le besoin de logements abordables en capacité de les héberger temporairement ou de et l’offre disponible. Il est en grande partie à l’ori- les soutenir financièrement ou moralement, et ont gine de la pénurie de logements dont souffre moins recours à leurs droits. notre pays dans les zones tendues. Le mal-logement est également lui-même une cause d’isolement : impossibilité ou honte à Cette solitude croissante, qu’elle soit momen- l’idée de recevoir chez soi, séparation des membres tanée ou habituelle, choisie ou subie, expose par- de la famille ou éloignement de son réseau imposé ticulièrement les personnes les plus vulné- par les réponses institutionnelles et les difficultés rables au mal-logement. Seul, on dispose de d’accès au logement… revenus plus faibles, on s’oriente vers de plus petits Encore insuffisamment pris en compte dans logements, moins nombreux sur le marché (sur- les politiques publiques et par les acteurs, le mal-logement des personnes seules fait principale- ment l’objet de solutions expérimentales. Or, il est temps que les politiques de l’habitat mais aussi les politiques sociales s’adaptent à la mono-résidentialité et prennent en compte son pendant fréquent qu’est l’isolement social. Seul face au mal-logement.
2020 R A P P O RT A N N U E L # 2 5 DES PERSONNES VIVANT SEULES Les travailleurs saisonniers, par exemple, ren- TOUCHÉES PAR LE MAL-LOGEMENT contrent des difficultés particulières pour accéder à un logement adapté. Avec des salaires faibles et Plus d’un tiers des ménages français des contrats courts, ils travaillent dans des terri- sont composés d’une seule personne toires où les marchés du logement sont le plus sou- vent tendus (espaces transfrontaliers, territoires La part des personnes seules a fortement progres- côtiers, zones touristiques…). Le mal-logement sé dans la population. Entre 1962 et 2013, elle des saisonniers demeure un sujet assez peu explo- est passée de 20 à 35 % de l’ensemble des ré, pourtant il existe bel et bien : camping sauvage, ménages. logement dans des camions ou véhicules, coloca- Les personnes vivant seules présentent certaines tions dans des petits logements sur-occupés, etc… caractéristiques : les femmes sont davantage Pour d’autres, la mobilité isole sur le long terme, représentées (20 % de l’ensemble des ménages, comme les personnes ayant immigré seules en contre 15 % d’hommes seuls) ; les jeunes femmes France, à l’instar des « chibanis », par exemple, vivent plus souvent seules car elles quittent plus souvent logés dans des hôtels meublés ou rési- tôt le foyer parental, mais entre 24 et 46 ans les dences sociales, disposant de peu de ressources. 3 hommes sont plus nombreux à loger seuls ; les sé- niors vivent davantage seuls, surtout les femmes, DÉCOHABITATION, SÉPARATION, qui se remettent moins souvent en couple après VEUVAGE… : SE RETROUVER SEUL APRÈS une séparation ou une fois veuves. UNE RUPTURE FAMILIALE Les ménages composés d’un seul adulte sont Les divorces et séparations coïncident souvent particulièrement touchés par la pauvreté, qui avec une baisse du niveau de vie, une multiplica- affecte 20 % des personnes seules de moins tion des démarches, une souffrance psychologique de 65 ans. et une organisation quotidienne qui fragilisent et rendent difficile la recherche d’un nouveau loge- Se retrouver seul : ment ou le paiement, seul, du loyer du logement de ruptures et mal-logement l’ancien couple. D’après la DREES, « 12 % des mé- nages qui ont connu une séparation au cours des QUAND LA MOBILITÉ GÉOGRAPHIQUE quatre dernières années ont AMÈNE À VIVRE SEUL Un premier facteur de rupture avec sa situation ré- connu des retards de loyer « Je l’ai quitté en 2012. les deux années précédant Je voulais le quitter en 1987. sidentielle précédente et avec son environnement l’enquête ». À l’époque, j’étais très isolée, social et familial est celui de la mobilité des per- La crainte de ne pas pouvoir j’avais besoin d’aide mais sonnes. Il concerne des situations et publics variés : se loger seul peut pousser je ne savais pas la demander, jeunes qui décohabitent pour leurs études, per- des couples à renoncer ou à soit j’ai le courage de dormir sonnes qui déménagent pour un emploi, recherche retarder leur séparation et dans la rue, soit j’abdiquais de meilleures conditions de vie ou opportunités… la décohabitation, y com- et j’allais vivre avec La recherche d’un nouveau logement peut s’avérer plus ou moins aisée, selon leurs ressources, la sta- pris dans des cas critiques, mon compagnon. comme en cas de violences [ Sylvie 59 ans ] » bilité de leur situation, leur réseau sur place… intrafamiliales. 31 JANVIER 2020 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
Le veuvage est un autre cycle consécutif d’une rup- ture douloureuse, qui touche 4 à 5 millions de per- sonnes. Le veuvage constitue la majorité des situa- tions de mono-résidentialité dans le grand âge et, comme la démographe Michèle Dion le rappelle, « La pauvreté des retraités est concentrée sur les personnes âgées de plus de 75 ans et vivant seules, souvent des veuves ». Que ce soit suite à une séparation ou à un veu- vage, les femmes connaissent des baisses L’offre insuffisante de petits logements et la diver- de niveaux de vie plus importantes que les sité des publics isolés créent une forme de concur- hommes et sont plus exposées à la précari- rence dans l’accès au logement, au détriment des té. À titre d’exemple, suite à un divorce, 20 % des personnes seules les plus précaires. La faiblesse femmes basculent dans la pauvreté contre 8 % des du nombre de petits logements abordables dans le hommes. parc social est d’autant plus pénalisante que, pour les demandeurs en attente logés dans le parc pri- Les difficultés d’accès et de maintien vé, qui propose davantage de petits logements, les dans le logement rencontrées loyers sont beaucoup plus élevés au m². 4 par les personnes seules HORS PARC SOCIAL, PEU D’OPPORTUNITÉS UNE OFFRE DE PETITS LOGEMENTS DE SE LOGER À UN COÛT ABORDABLE ABORDABLES INSUFFISANTE POUR LES MÉNAGES MODESTES La réduction de la taille moyenne des ménages de- DANS LES GRANDES VILLES puis 40 ans a nécessité à elle seule la production de La question du logement des « petits ménages » près de sept millions de logements. Parallèlement, prend toute sa signification lorsque l’on examine l’augmentation de la part des petits logements concrètement la situation de ménages isolés dont le (T1 et T2) dans le parc est beaucoup plus lente. revenu est compris entre les minima sociaux et 1,4 En 2016, seulement 18,6 % des logements étaient SMIC, dans six grandes agglomérations, comme composés d’une ou de deux pièces (+ 0,5 point par le montrent nos simulations à Clermont-Ferrand, rapport à 2011). De plus, si les petits logements re- Lille, Bordeaux, Toulouse, Paris et Aubervilliers. présentent une part importante du parc loca- tif privé (55 %), ils ne constituent que 25 % du parc locatif social, alors que près de « On accompagne les gens dans leurs la moitié (918 000) des demandes Hlm demandes de logement, des logements émanent de personnes seules. de petites tailles, pour de petites ressources Les professionnels qui accompagnent les il n’y en a quasiment pas, on a beaucoup demandeurs de petits logements sociaux ob- de gens qui ont plein de points dans servent ainsi, dans les territoires tendus, des le système de cotation, un Dalo, etc., délais d’accès au logement social parti- et qui n’obtiennent rien… culièrement longs, y compris pour les [ Hôte de la Pension de famille » personnes reconnues prioritaires Dalo. des Thermopyles ] Seul face au mal-logement.
2020 R A P P O RT A N N U E L # 2 5 Des T1 et T2 inaccessibles dans le parc locatif privé Situation des isolés vis-à-vis du marché locatif libre (en tenant compte des aides au logement) à Clermont-Ferrand, Lille, Bordeaux, Toulouse, Paris et Aubervilliers Loyers possibles Types Clermont Aubervil- Revenus (33 % de de Toulouse Bordeaux Lille Paris Ferrand liers taux logement d’effort) Loyer libre pour un T2 (m²) 12,3 € 13,8 € 15,5 € 15,5 € 18 € 31 € Famille monoparentale, au 1 437 € 474 € Oui SMIC, 1 enfant T2 Non Famille monoparentale, 1 059 € 349 € Non au RSA, 1 enfant Loyer libre pour un T1 (m²) 14,5 € 18,4 € 22,1 € 20,7 € 26 € 36 € Personne âgée à la retraite/ 1 496 € 494 € Isolé en emploi (1,3 Smic) Oui Personne seule au Smic 1 321 € 436 € Jeune en alternance 1 028 € 339 € T1 Non 5 Personne âgée au minimum 868 € 287 € vieillesse Non Personne seule au RSA 551 € 182 € L’accession à la propriété : des choix qui se resserrent Situation des isolés vis-à-vis de l’accession à Clermont-Ferrand, Lille, Bordeaux, Toulouse, Paris et Aubervilliers Mensualités autorisées Types de Clermont Aubervil- Revenus (33 % de Lille Bordeaux Toulouse Paris logement Ferrand liers taux d’effort) Prix du m 2 pour un T2 en accession libre 1 823 € 3 270 € 4 700 € 2 800 € 10 500 € 4 000 € Famille monoparentale, au 1 437 € 474 € T2 Oui SMIC, 1 enfant Oui Non Non Famille monoparentale, au 1 059 € 349 € T2 Non RSA, 1 enfant Prix du m2 pour un T1 en accession libre 2 155 € 3 500 € 5 000 € 3 600 € 11 880 € 4 400 € Personne à la retraite/Isolé 1 496 € 494 € T1 en emploi (1,3 Smic) Oui Non Oui Non Oui Personne seule au SMIC 1 321 € 436 € T1 Oui Jeune en alternance 928 € 339 € T1 Personne âgée au minimum Non 868 € 287 € T1 vieillesse Personne seule au RSA 551 € 182 € T1 Non Surfaces retenues pour les simulations : T1 : 27 m² (et pour Paris et Aubervilliers : 22 m²) - T2 : 42 m² (et pour Paris et Aubervilliers : 37 m²). 31 JANVIER 2020 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
DES TAUX D’EFFORT PLUS ÉLEVÉS En raison de leurs ressources moindres, de leur ment plus touchés par le mal-logement que accès limité au parc social et du coût élevé des pe- la moyenne. Malgré l’urgence de leur situation, tits logements dans le parc privé, les ménages iso- les personnes seules accèdent plus difficilement lés consacrent une part plus importante de leurs au logement social (taux d’attribution annuel de revenus à leur logement. 13 % des 19 %, contre 26 % pour les personnes vivant seules et 19 % « Comme ils sont jeunes et ménages de deux ou trois des familles monoparentales su- célibataires, ils ne sont jamais pris personnes). bissent un effort financier exces- en charge. On leur dit d’appeler En 2012, les personnes vi- sif pour se loger (au sens où elles le 115 tous les jours mais ça ne vant seules représentaient ont un taux d’effort net supérieur répond pas. Et si ça répond, quand 65 % des personnes à 35 % et un reste-pour-vivre in- ils disent qu’ils sont hommes sans domicile. Elles célibataires, ce n’est même pas la » férieur à 650 €/mois/uc). sont plus souvent sans- Les personnes vivant seules et peine. abri (88 % de personnes 6 les familles monoparentales sont [ Association AADJAM ] seules) ou en héber- par conséquent davantage ex- gement collectif que les posées aux impayés de loyers et au risque familles et les couples, qui accèdent davantage aux d’une expulsion locative. En 2018, les hommes hôtels ou aux logements procurés par une associa- seuls représentaient 26 % des ménages surendet- tion. L’analyse des appels au 115 montre que du- tés et les femmes seules 21 %. rant l’hiver 2016-2017, la moitié des hommes seuls n’ont jamais été hébergés suite à leur DE MAUVAISES CONDITIONS D’HABITAT demande. L’enquête Logement 2013 de l’Insee montre que les ménages unipersonnels sont relative- ISOLEMENT ET MAL-LOGEMENT : DEUX PHÉNOMÈNES SOUVENT LIÉS QUI SE RENFORCENT MUTUELLEMENT «créent Les faibles salaires de l’isolement, Des publics précaires et vulnérables plus sentent 26 % de la population, mais 34 % des isolés. Au contraire, les personnes percevant un on n’a pas les moyens concernés par l’isolement revenu mensuel supérieur à 2 500 euros repré- de sortir, d’aller boire sentent 20 % de la population et seulement 12 % un verre, de payer L’isolement relationnel est des isolés. La situation professionnelle influence une salle de sport… » [ Hôte de la Pension de en partie lié à des facteurs socio-économiques. Les indi- également l’isolement relationnel, qui concerne particulièrement les chômeurs et les inactifs non famille des Thermopyles ] vidus percevant des bas reve- étudiants. Les personnes à bas revenus doivent nus, inférieurs à 1 200 euros par mois, sont arbitrer en permanence entre le financement ainsi surreprésentés parmi les personnes isolées d’activités favorisant leur vie sociale et la gestion au sens de la Fondation de France : ils repré- des dépenses contraintes. Seul face au mal-logement.
2020 R A P P O RT A N N U E L # 2 5 « Sur les facteurs de l’isolement, la barrière de la langue ou de l’écriture joue beaucoup, on a beaucoup L’isolement l’isolement des personnes qui en sont victimes. Les de gens qui viennent relationnel difficultés de logement peuvent aussi compliquer dans nos accueils parce qu’ils est également ou rendre impossible la garde alternée des enfants ne comprennent » corrélé au en cas de séparation des parents. pas leurs courriers. handicap, à [ Association Imanis ] la maladie ou à la perte d’autonomie, qui peuvent mener à un « Une autre personne ne fait entrer personne chez elle. Sa famille et ses amis retrait de la vie culturelle et des pratiques de loi- ne viennent plus. » sirs. L’isolement des personnes âgées est souvent [ Soliha Vendée ] renforcé par un délitement des liens familiaux lié à la mobilité des différents membres d’une famille… DES RÉPONSES INSTITUTIONNELLES Une arrivée récente en France, la non-maîtrise QUI RENFORCENT L’ISOLEMENT de la langue française ou les obstacles dans l’accès aux droits peuvent également renforcer La faible prise en compte de l’isolement et de son l’isolement. impact se retrouve dans les réponses apportées 7 Si les occasions d’échanger sont moins nom- aux personnes en difficulté de logement. Celles-ci breuses en milieu rural, elles se concrétisent plus peuvent en effet parfois renforcer leur isolement, difficilement en ville. Néanmoins, les personnes vi- en les déplaçant loin de leurs réseaux, en séparant vant éloignées de toute offre de transport, de com- des familles, en ne leur permettant pas d’accueillir merces, services ou lieu d’animation et de sociali- leurs proches… sation, ou des autres habitations, connaissent aussi Plus encore que d’autres publics, les isolés font un isolement important. Plusieurs professionnels face, dans leurs démarches d’accès à un logement, signalent par ailleurs que la « veille » exercée par à de nombreuses injonctions à la mobilité, les habitants d’une commune rurale les uns sur les vers des territoires moins tendus afin d’avoir accès autres peut aussi représenter un frein au recours à un logement plus grand, moins cher ou adapté à aux dispositifs d’aide et d’accompagnement social, leurs besoins. par crainte d’être stigmatisés. Le maintien des liens avec l’entourage est d’autant moins pris en compte que les personnes Quand le mal-logement vivent seules à la rue, dans des bidon- crée de l’isolement villes ou des centres d’hébergement, même lorsqu’elles y trouvent une forme de sociabilité L’IMPOSSIBILITÉ OU LA HONTE importante. D’après Édouard Gardella, au-delà du DE RECEVOIR CHEZ SOI rejet des conditions d’hébergement, « le refus de Face au mauvais état ou à l’étroitesse de leur loge- l’hébergement d’urgence par de nombreux sans- ment, de nombreuses personnes font part d’un sen- abri exprime l’intensité de leur attachement à des timent de honte à l’idée de montrer leur logement collectifs d’appartenance » et non seule la désocia- à leur proches et se résignent à ne plus recevoir lisation de ces publics. chez elles. La précarité énergétique est une forme Un déménagement vers une zone moins tendue de mal-logement qui tend également à renforcer peut se révéler source de difficultés dans l’accès à 31 JANVIER 2020 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
l’emploi, aux services, commerces et lieux d’ani- L’ISOLEMENT DES PERSONNES SANS DOMICILE mation, particulièrement importantes pour les personnes isolées. Si les personnes seules sont L’enquête Sans-domicile 2012 de l’Insee décrit surreprésentées dans les quartiers centraux, c’est des personnes sans domicile bien plus isolées que qu’elles sont caractérisées par « un attachement la moyenne : 36,8 % d’entre elles n’ont pas eu de fort au quartier qui leur offre des services et des contact depuis au moins un an avec leur famille lieux de sociabilité publique». (soit 20 fois plus que la moyenne de la popula- Le règlement intérieur de certaines solutions de lo- tion) et 23,1 % avec leurs amis (huit fois plus que gement ou d’hébergement dédiées aux personnes la moyenne)… vivant seules peut aussi contribuer à leur isolement Si l’isolement précède souvent la perte du loge- en encadrant strictement les horaires de retours le ment, le passage à la rue a un fort effet dé- soir, en interdisant la visite et l’hébergement des socialisant, que l’on retrouve chez les per- proches. sonnes sans abri plus âgées. Dans son étude L’inadaptation des politiques de mise à l’abri aux sur les personnes à la rue à Paris, la nuit du 15-16 8 personnes entretient l’isolement ou perpétue février 2018, l’APUR observe que les jeunes de les ruptures. Comme l’indique ce représentant moins de 25 ans (16 % de la population enquêtée) de l’APUR, « c’est d’abord la mise à l’abri qui ont davantage de liens avec leur réseau fa- prime, et non pas le lien de sociabilité. On met à milial, amical ou communautaire. A contra- l’abri d’un point de vue physique sans prendre rio, les jeunes sont plus touchés par une en compte le réseau social. Par exemple pour les forme d’« isolement institutionnel » liée au couples, tout est fait pour les séparer. De même non-recours, alors que les personnes en situation pour les familles ». de rue les plus âgées sont davantage accompagnées Le cloisonnement des compétences, des finance- par des travailleurs sociaux (18 % parmi les plus de ments et des dispositifs fragmente la réponse en 55 ans). Contrairement aux jeunes, qui expriment autant de solutions dédiées à des « publics » pré- très fortement un besoin de logement (87 % contre définis, quitte à désunir les couples et les familles. 59 % des personnes âgées de 55 ans ou plus), les C’est le cas des fratries ou couples composés personnes sans domicile les plus âgées expriment d’un mineur (dont la prise en charge dépend de avant tout un besoin d’accès aux soins et d’écoute, l’Aide sociale à l’enfance) et d’un jeune majeur. un lien social. Les facteurs d’isolement des personnes sans do- micile sont multiples. Certaines ont le sentiment d’avoir été abandonnées par leurs proches et « Dans les fratries avec un mineur et un majeur, la séparation est faite rompent définitivement les liens. D’autres expri- ment également un sentiment de honte à l’idée de mécaniquement par l’ASE car parler de leurs difficultés à leur entourage, qui n’est le majeur n’est pas pris en charge. [ Représentant de France Terre d’Asile ] » de ce fait pas toujours informé de leur situation. Seul face au mal-logement.
2020 R A P P O RT A N N U E L # 2 5 « Toutes mes relations, je ne les ai plus contactées, ils ne sont pas au courant. Je ne fréquente plus les anciennes L’accès au logement, personnes. J’ai rompu avec le passé, définitivement. » surtout au logement so- cial, peut être particu- [ Georges, 60 ans ] lièrement long et com- plexe, et décourageant Isolé face au mal-logement : lorsque, bien que menée avec diligence, quand l’absence de liens empêche aucune tentative n’aboutit. D’autres difficul- de sortir de la spirale de l’exclusion tés comme le numérique et la dématérialisation se posent pour les personnes plus âgées. Le mal-logement renforce l’isolement mais l’iso- Enfin, le phénomène de non-recours des personnes lement peut également être une source de difficul- isolées peut également s’expliquer par une forme tés pour se loger ou se maintenir dans le logement. d’intériorisation des critères de priorité Il peut retarder ou empêcher le repérage, établis dans l’accès aux dispositifs d’aide. l’engagement de démarches, le recours Certaines personnes isolées pensent ainsi à tort aux prestations ou aux services d’aides… Au que certains droits et logements sont réservés aux 9 contraire, le lien social joue un rôle fondamental familles. On observe ainsi, chez les hommes isolés dans le parcours vers de meilleures conditions de à la rue, « un découragement et un non-recours logement. au 115 » particulièrement importants et si ces Par leur situation, les personnes seules en diffi- derniers sont largement surreprésentés parmi les culté financière et/ou de logement, et isolées, sont publics rencontrés par les maraudes, ils sont pro- moins susceptibles d’être repérées et orien- portionnellement moins nombreux à demander tées vers des travailleurs sociaux, au risque de un hébergement d’urgence. voir leur situation s’aggraver. Dans le parc social, Si l’absence d’entourage les prive d’une chance les situations d’isolement et de réclusion les plus d’être soutenues dans l’accès au logement (acces- importantes sont « le plus souvent découvertes à sion à la propriété, caution locative…), c’est aussi l’occasion d’actes de gestion courants du bailleur » d’aide en cas de rupture, d’accident de la ou repérées à travers des impayés de loyers. Leur vie ou de dépense imprévue dont les per- repérage est d’autant plus complexe dans les loge- sonnes seules manquent, qu’elle soit finan- ments privés. cière ou morale, de pouvoir être hébergées tem- Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phéno- porairement, de pouvoir s’appuyer sur un réseau mène de non-recours particulièrement amical et familial... important chez les personnes isolées. Tout d’abord, elles sont moins susceptibles d’être informées sur les droits auxquels elles ont accès par leur entourage. Quand elles ont connaissance de leurs droits, certaines personnes rencontrent des difficultés à engager les démarches né- cessaires, complexes à surmonter en l’absence de proches pour les accompagner et les conseiller. 31 JANVIER 2020 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
PRINCIPES D’INTERVENTION ET PISTES D’ACTIONS POUR UNE « ENTRÉE EN POLITIQUE » DU LOGEMENT DES ISOLÉS Le logement des isolés : associations, organismes Hlm est encourageante, une question émergente, elle doit s’inscrire dans un cadre qui demeure à des approches segmentées construire pour donner plus d’ampleur à l’action en faveur du logement des personnes seules. Lorsque l’on interroge aujourd’hui les acteurs lo- caux, le thème du logement des « petits ménages » Agir sur l’offre de logements et surtout celui des isolés revient systématique- ment. Leur émergence comme « nouveau public- PRODUIRE DES LOGEMENTS PLUS PETITS cible » est appuyée par la montée en compétence ET DES LOGEMENTS ABORDABLES des intercommunalités pour la structuration de Certaines collectivités affichent aujourd’hui leur l’offre de logements et les attributions Hlm. intention de travailler la question des « petits lo- 10 Dès lors, certains territoires ont fait du logement gements » à loyers abordables pour les ménages des « isolés » une cible de leur action. Par exemple, modestes après avoir identifié et caractérisé les dans le Calvados, les partenaires du PDALHPD besoins sur leurs territoires. ont commandité une étude en 2015-2016 sur les be- Dans le Calvados, dans le cadre du PDALHPD soins en petits logements. Les élus et responsables 2017-2022, la DDTM a introduit une bonification de la Ville et de la Communauté urbaine de du PLAI pour les petits logements. La communauté Dunkerque sont également sensibilisés, en rai- urbaine Caen la mer a également inscrit dans son son d’un parc immobilier très déficitaire en petites PLH des aides financières aux programmes qui typologies. L’adjoint au maire en charge du loge- intègrent au moins 30 % de PLAI, dont la moitié de ment explique ainsi qu’« un demandeur sur deux petits logements. La localisation de ces logements est une personne isolée. On a négocié avec les opé- sera étudiée, les demandes de petits logements rateurs pour qu’ils construisent une majorité de concernant particulièrement le centre urbain mé- petits logements mais la réactivité nous amène à tropolitain. devoir gérer la pénurie aujourd’hui. » L’élu sou- De même, la Ville de Dunkerque comme la Com- ligne les faibles ressources des isolés (72 % des munauté urbaine (CUD) ont mis en œuvre toute demandeurs isolés ont des ressources inférieures une série de mesures favorables à la production au SMIC). de petits logements : incitation à introduire une Les actions des acteurs sociaux les plus investis se part de T2 dans chaque programme immobilier au déploient à travers leur prisme d’intervention, com- moment de l’instruction des permis de construire ; posant au total un système de prise en charge par- convention avec les bailleurs sociaux pour qu’ils ne ticulièrement fragmenté. Or, si l’engagement des vendent pas leurs petits logements ; cotation qui acteurs de terrain, services et organismes sociaux, priorise les demandes de mutation des familles en surpeuplement dans de petits logements, pour réserver ces petites typologies aux petits ménages. Seul face au mal-logement.
2020 R A P P O RT A N N U E L # 2 5 HABITAT PARTICIPATIF, INCLUSIF, Soliha Landes mobilise, avec Nomad, plateforme COLOCATIONS, PENSIONS DE FAMILLE… : de l’emploi saisonnier, les chambres de l’inter- DES FORMES D’HABITAT PARTAGÉ nat d’un lycée à des loyers maîtrisés pour les sai- C’est tout l’environnement du logement qu’il faut sonniers du Pays Landes Nature Côte d’Argent. interroger, mais aussi les rapports entre résidents Pour les personnes ayant connu des parcours pour une adaptation aux aspirations des ménages d’une grande précarité et vivant sans enfants, les unipersonnels qui souhaiteraient éviter de rester pensions de famille proposent des solutions de isolés dans un logement. Afin de sortir de la stan- vrais logements pérennes individuels, associés à dardisation des façons d’habiter, deux logiques des espaces collectifs. sont alors mises en œuvre. Dès la conception d’un Dans cette même logique, se développent pour les ensemble immobilier, on peut chercher à faciliter personnes âgées ou en situation de handi- la coexistence et à faciliter les rencontres, à ména- cap des solutions d’« habitat inclusif » entre ger des espaces de convivialité, à proposer des ser- le placement en établissements et le main- vices adaptés (chambres d’amis, espaces de récep- tien à domicile. L’habitat inclusif consiste en un tion, buanderie commune…). Une seconde logique mode d’habitation regroupée (meublée ou non) et 11 consiste à proposer des modes d’occupation diffé- assortie d’un projet de vie sociale, partagée entre rents des logements « ordinaires » (colocations, plusieurs personnes (interventions d’animateurs, présence d’un tiers, moments institués de vie col- accompagnement individualisé par les services lective, etc.). sociaux et médico-sociaux…). Par exemple, Val de On trouvera ici des « arrangements » concernant Cher Services, association créée en 1971, propose les typologies proposées dans le parc social pour un habitat inclusif pour seniors à Vallon-en-Sully recevoir ses enfants, là il s’agira de proposer des dans l’Allier. Le principe est de mettre à disposi- logements meublés avec des baux spécifiques pour tion sept logements adaptés aux personnes âgées des actifs en mobilité ou en double résidence, des dépendantes avec des espaces de vie communs, un solutions pour les saisonniers… espace santé et d’autres services partagés. Le modèle des Pensions de famille : « Vivre chez soi mais pas tout seul... » Les Pensions de famille représentent une forme particulière de résidence sociale, destinées à accueillir « des personnes à faible niveau de ressources, dans une situation d’isolement ou d’exclusion lourde, et dont la situation sociale et psychologique, voire psychiatrique, rend impossible à échéance prévisible leur accès à un logement ordinaire ». Près 850 pensions de famille existent aujourd’hui. La Pension de famille permet de redonner aux habitants une stabilité et une autonomie, en leur offrant un cadre à la fois émancipateur et sécurisant sur les plans matériel et affectif. Elles articulent des logements individuels privatifs avec des espaces partagés gérés collectivement par les habitants. Cette vie en collectivité est structurée par la présence d’hôtes qui mettent en œuvre un accompagnement de proximité. « La Pension de famille leur apporte la stabilité qui permet à certains de renouer avec leurs proches. On a l’exemple d’une dame, une ancienne prostituée, qui s’est séparée de son fils quand il était très jeune, et ce dernier l’a retrou- vée, ils se voient aujourd’hui régulièrement. » [ Hôte ] 31 JANVIER 2020 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
pour des personnes pauvres. Beaucoup sont devenues bénévoles, pour se sentir « utiles », « occupées » ou moins isolées, dans une logique de pair-aidance. « Moi je suis bénévole, je viens Rompre l’isolement des personnes donner un coup de main. (…) Ici c’est comme une mal-logées grande famille, il y a toujours quelqu’un pour écouter, pour se faire écouter et se faire entendre. » Agir en faveur du logement des personnes isolées (Michel, 54 ans, logé dans un foyer) peut aussi passer par un soutien et des actions qui Imaginées par Habitat et Humanisme dans le permettent de rompre avec l’isolement. Deux re- Rhône à partir de 2018, les Escales solidaires, gistres d’actions ont pu être repérés : prévenir, lieux ouverts sur le quartier, créent du lien à partir parmi les plus exposées, comme les per- du repas comme vecteur de rencontres, de convi- sonnes âgées ou sans-domicile, l’apparition vialité et de lien social. Bénévoles comme « passa- du sentiment d’abandon et de solitude, en gers » des Escales sont impliqués dans la prépara- favorisant le lien avec les autres ; aller au-devant tion de ces repas cuisinés à partir de denrées de la des personnes en situation de non-recours pour Banque alimentaire. 12 leur permettre de sortir de leur isolement. « ALLER-VERS » LES PERSONNES ISOLÉES PRÉVENIR L’ISOLEMENT SOCIAL Dans de nombreux territoires diverses associa- Afin de rompre l’isolement des personnes tions ou institutions parlent de « zones âgées, des modes d’accompagnement sont mises blanches » en matière d’action sociale. Cer- en œuvre et diffusées aussi bien dans des établis- tains de ces acteurs proposent donc des services qui sements de type EHPAD que dans le diffus. Ces ex- permettent de pallier les défauts du maillage des périences sont largement portées par des associa- interventions. Avec des moyens souvent limités, ces tions et parfois soutenues par les bailleurs sociaux. initiatives voient le jour un peu partout pour « aller- La prévention de l’isolement passe aussi par le vers » les personnes et au-devant des besoins. Cette développement et le soutien des accueils de démarche consistant à « faire le premier pas » et jour. Les professionnels qui agissent aux cotés des à se mettre à l’écoute des personnes isolées dému- personnes sans domicile ont développé un certain nies trouve divers développements consistant, par nombre d’outils permettant de rompre avec l’iso- exemple, à mobiliser les réseaux de voisinage, en lement des personnes à la rue, mais également des créant des réseaux d’aidants qui interviennent dans personnes isolées ayant intégré un logement. À une logique d’« entourage bienveillant ». On peut la boutique solidarité de Gagny, certaines citer l’initiative du Centre de Ressources Itinérant personnes accueillies sont des « habituées » autour du Logement (CRIL), créé en 2015 en Ar- de la structure et continuent à la fréquenter, y com- dèche, qui propose un « service itinérant » en direc- pris après avoir retrouvé une situation de logement tion des personnes défavorisées qui rencontrent plus stable. Leur motivation peut être économique, des problèmes de logement en milieu rural. la boutique offrant des services d’aide alimentaire L’aller-vers peut devenir une démarche réflexive et de laverie qui représentent des vraies solutions où ce sont les personnes en difficulté qui sont mises en situation de rompre par elles- mêmes leur isolement en leur donnant l’oc- casion d’aller vers les autres… Seul face au mal-logement.
2020 R A P P O RT A N N U E L # 2 5 La Cloche et l’initiative « le Carillon » « Le Carillon », a été initié en décembre 2015. Il s’agit d’un réseau de solidarité de proximité qui rassemble des habitants avec ou sans domicile et des commerçants qui ouvrent leurs portes aux personnes sans domicile pour leur donner accès à une diversité de services (boissons, repas, wifi, toilettes, chargeur de portable, etc.). Au-delà d’une aide matérielle, ce projet cherche à améliorer le lien social à l’échelle locale. À ce jour, près de 900 commer- çants de huit grandes villes en France sont membres du réseau. De plus, la sociabilité développée au sein du réseau de La Cloche, ouverte, horizontale et égalitaire, permet aux personnes sans domicile de retrouver un sentiment de dignité. Certaines peuvent en effet se remotiver à faire des démarches en fréquentant l’association, ou encore avoir des « coups de pouce » via le réseau de bénévoles (solu- tions pour l’hébergement, le travail). Cette démarche de l’aller-vers et de l’ouverture d’intervention très divers : des jeunes, des séniors, rompt avec la logique habituelle de l’intervention des personnes migrantes, des femmes victimes de sociale qui réclame des justificatifs et des engage- violence, des personnes sans domicile, des per- ments de la part des personnes avant de pouvoir sonnes handicapées, etc., que l’on voit confrontés bénéficier de toute aide. Ces initiatives activent un à des difficultés d’accès et de maintien dans le loge- facteur essentiel pour retrouver de l’autonomie : la ment, à la possibilité de bénéficier de services à la 13 confiance en soi qui repose sur le sentiment d’être personne et de structures dédiées (EHPAD, FJT, reconnu et compris. Elle offre le moyen de « s’en Pensions de familles…). sortir » en s’appuyant sur un réseau d’aidants, Les « bonnes pratiques » rendent compte de la voire de pair-aidance. manière dont certains acteurs du logement et de L’idéal étant évidemment de pouvoir articuler lutte l’habitat se saisissent d’ores et déjà de la ques- contre l’isolement et accès au logement, travail so- tion du logement des isolés. Les initiatives, cial professionnel, bénévolat et travail-pair, à l’ins- lorsqu’elles sont adossées à un droit com- tar de ce que fait l’association Solidarités nouvelles mun outillé et responsable, peuvent créer pour le logement (SNL) en Île-de-France. un « écosystème » permettant d’améliorer les réponses sur les territoires. Mais l’enjeu est désormais de dépasser le stade expérimental L’importance numérique de la mono-ré- de ces actions pour les inscrire dans des politiques sidentialité, le caractère structurel de locales de l’habitat de droit commun. l’écart entre leurs besoins et les réponses Pour conclure, le dernier obstacle à surmonter existantes, le caractère aggravant de l’iso- consiste donc à faire « entrer en politique » lement lorsque les difficultés de logement les personnes seules. Trop souvent en effet les apparaissent et le sentiment de mal-être, personnes seules semblent des priorités de second d’abandon et de solitude que la mono-rési- rang en comparaison des familles. Ce chapitre, en dentialité peut générer doivent inciter l’État et donnant la parole aux personnes vivant seules, les intercommunalités, à qui incombe la respon- dans leur grande diversité, est donc un appel à sabilité des politiques du logement et de l’habitat, déstandardiser les politiques du logement, à intensifier leur attention vis-à-vis des publics pour que celles-ci s’adaptent aux modes de vie de d’« isolés ». moins en moins unifiés de la population, et non Néanmoins, il faudra faire face au caractère l’inverse, en prenant en compte leurs contraintes fragmenté de ce public, qui relève de secteurs et aspirations n 31 JANVIER 2020 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
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DEUXIÈME CAHIER Le mal-logement à l’épreuve des municipales 2020 #25
DEUXIÈME CAHIER Le mal-logement à l’épreuve des municipales Les élections municipales seront-elles utiles aux mal-logés ? Leur proximité en mars 2020 représente une opportunité pour mettre en débat la question du logement, préoccupation majeure de la population mais dont la politique apparaît parfois lointaine et très technique. L a Fondation Abbé Pierre plaide pour faire de en moyenne à leur doublement, mettant toujours la question de l’habitat un enjeu majeur des plus de ménages sous pression financière pour se prochaines élections municipales et inter- loger. Après une légère correction en 2008, les prix communales, puisque le vote désigne non seule- sont repartis à la hausse de manière très divergente 2 ment les conseillers municipaux mais aussi, par un selon les territoires : la décennie 2010 a vu les plus scrutin fléché peu lisible, ceux qui siègeront dans chers devenir encore plus chers et les inégalités les instances communautaires. territoriales s’enraciner dans une « métropolisa- Les difficultés qui font obstacle à une meilleure tion » qui concentre les richesses dans les grandes prise en charge du mal-logement peuvent-elles aires urbaines, en particulier les plus attractives. être surmontées ? Dans ce chapitre, les respon- Mais le mal-logement n’épargne aucun ter- sables locaux pourront venir puiser autant de ritoire. On retrouve partout différentes bonnes pratiques, très concrètes et à la mesure de de ses dimensions avec une intensité et leurs responsabilités, pour construire leurs pro- des formes variables. De façon schématique, grammes et leur mandature à venir, au service de vivre en zones tendues entraîne des taux d’effort toute leur population, en particulier les personnes supérieurs, des risques d’expulsion accrus et une mal logées. difficulté très forte d’accès au logement, qui se tra- L’action locale contre le mal-logement est indis- duisent par des phénomènes de sans-abrisme et de pensable pour faire face aux inégalités territoriales bidonville. En zones détendues, si les taux d’effort face aux prix de l’immobilier, qui se double d’une sont moindres, la prévalence de la précarité éner- l’implication très inégale des collectivités. gétique et de l’habitat indigne reste forte, avec la particularité d’être bien moins visible qu’en ville LES MAL-LOGÉS FACE AUX INÉGALITÉS et de disposer de moins de dispositifs publics pour TERRITORIALES repérer et combattre ces phénomènes. L’immobilier creuse des fractures nouvelles. Les inégalités et les ségrégations spatiales se jouent La hausse des prix a d’abord été assez uniforme au sein des territoires, de manière bien plus subtile dans l’Hexagone, la décennie 2000 aboutissant qu’à travers des oppositions binaires entre « les zones rurales » et « les métropoles », par exemple. Les collectivités ont donc un rôle crucial à remplir pour les résorber. Le mal-logement à l’épreuve des municipales.
2020 R A P P O RT A N N U E L # 2 5 UNE DÉCENTRALISATION FAVORABLE À LA PRISE EN CHARGE DU MAL-LOGEMENT AU NIVEAU LOCAL organismes Hlm, etc., freinent l’action publique. POUR DES RÉSULTATS CONTRASTÉS. L’État oriente les politiques locales de l’habitat, Depuis près de 40 ans, la territorialisation de l’ac- fixe un cadre d’intervention et impose des objec- tion publique s’est imposée pour rendre plus effi- tifs et des indicateurs parfois déconnectés des cace la politique de l’habitat, prenant appui sur le territoires et sans avoir les moyens d’intervention renforcement de la coopération intercommunale nécessaires à leur accompagnement et à la garan- et l’élargissement des compétences des collectivi- tie de l’égalité territoriale. Le décalage entre les tés en matière d’habitat. objectifs ambitieux fixés au niveau national Celles-ci ne s’en sont pas toutes saisies. Certaines et les moyens alloués est systématiquement villes s’emparent de la question du logement depuis soulevé par les acteurs locaux. Les règles na- plusieurs mandats, utilisent les outils à leur dis- tionales sont souvent vécues comme « aveugles » position et se dotent d’une administration compé- aux spécificités locales. Les décalages sont d’autant tente qui porte le sujet au-delà des alternances poli- plus prégnants que la politique du logement se tiques. D’autres intercommunalités, comme celles caractérise par une succession ininterrompue de de Marseille et Paris, sont trop empêtrées dans des réformes, sans être vraiment accompagnées. Mais égoïsmes communaux pour mener une politique la critique récurrente de « l’État » est aussi souvent 3 solidaire et cohérente à l’échelle de la métropole. mise en avant pour justifier l’immobilisme et la Soumis à des inégalités territoriales fortes, les mal- défense des égoïsmes locaux. logés subissent donc également une impli- On pourrait donc adapter les normes et les cation très inégale de la part de leurs élus. dispositifs à la diversité des situations lo- Le paysage est particulièrement contrasté avec des cales : maintenir un cadre national clair, en ren- collectivités pionnières qui peuvent se mobiliser forçant les obligations mais aussi les moyens d’agir rapidement et efficacement ; des collectivités peu localement, de la régulation des plates-formes de sensibles aux questions de l’habitat ou dont l’his- location touristique aux aides fiscales à l’investis- toire les empêche de concevoir une politique locale sement locatif. pertinente à l’échelle intercommunale ; des zones Le premier message de la Fondation Abbé Pierre blanches où la question n’est pas portée, par indif- s’adresse donc à l’État : maintenir et amplifier férence ou par absence de services et d’opérateurs les responsabilités des EPCI en matière en capacité de révéler les besoins et d’intervenir. d’habitat et associer action immobilière et action sociale pour prêter attention aux UNE GOUVERNANCE LOCALE ménages prioritaires, aux attributions et à AU MILIEU DU GUÉ la mixité. Mais les intercommunalités ne pour- À ce stade de la décentralisation, le logement ront pas s’imposer comme l’acteur de référence reste une compétence éclatée dans un « mille- des politiques du logement sans une véritable légi- feuille » institutionnel, dans lequel les responsa- timité démocratique, qui lui fait encore défaut. bilités se diluent. Il en résulte aussi des zones Le deuxième message est adressé aux collectivités : de flou sur certains sujets majeurs et une segmen- coopérer pour dépasser l’émiettement des tation de l’action publique chronophage. Pour compétences. Elles trouveront dans ce chapitre produire des logements sociaux, pour loger les un aperçu, loin d’être exhaustif, des outils à leur personnes sans-abri, ne serait-ce que les héberger, disposition sur 15 grandes questions liées au mal- pour traiter l’habitat indigne… les renvois de balles logement, pour peu qu’ils soient volontaristes, entre municipalité, département, État, Justice, inventifs, constants et courageux. 31 JANVIER 2020 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
1 RECONNAÎTRE ET RESPECTER LA DÉCLARATION DES PERSONNES SANS ABRI N ous avons tous des droits fondamen- De leur côté, les arrêtés anti-mendicité, anti-bi- taux censés garantir un minimum vi- vouac, anti-glanage… et le mobilier urbain anti- tal et de sécurité, en particulier lorsque SDF violent la liberté d’aller et venir, de s’installer l’on vit à la rue. Ces droits, en premier lieu le droit au dans l’espace public et le droit aux pratiques de sur- logement, ont été rappelés et réaffirmés dans la Dé- vie, sanctionnent des comportements auxquels les claration des droits des personnes sans abri, personnes sans abri sont acculées. rédigée par la Fondation Abbé Pierre et la FEANT- SA. Les collectivités ont le devoir de les faire res- FOURNIR LES SERVICES DE BASE 4 pecter en assumant leurs responsabilités sociales. Les communes et les intercommunalités sont com- pétentes en matière de lutte contre la pauvreté et RESPECTER LE « DOMICILE » pour porter secours aux personnes à la rue. Le mi- DES « SANS DOMICILE FIXE » nimum en matière d’hygiène et d’accès à l’eau doit Juridiquement, un abri constitue le domicile être assuré par des services de base (toilettes, bains- des personnes qui l’occupent. Son caractère douches, laveries, fontaines publics et gratuits). inviolable doit donc être reconnu et respecté en tant Vivre à la rue rend particulièrement vulné- que tel. Aucune expulsion ou évacuation ne peut se rable. Il faut apporter une aide inconditionnelle et faire sous la menace ou la contrainte, sans déci- immédiate à ceux qui le demandent, en particulier sion de justice ou administrative, et sans prendre en matière d’hébergement. Toute collectivité doit en compte la situation et les perspectives offertes pouvoir accueillir en urgence des personnes sans aux personnes. Les effets personnels des personnes abri dans ses immeubles vides ou dans des loge- sans abri doivent être protégés : ne pas être confis- ments réquisitionnés à cet effet. qués ou détruits et elles doivent pouvoir les conser- La participation des personnes sans abri ver et les mettre en sécurité dans les lieux dédiés. à la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques qui les concernent, et au NE PLUS BANNIR, OUVRIR AUX DROITS fonctionnement des services qu’elles fréquentent, Les communes ont une fonction centrale dans la est encore la meilleure façon de se rapprocher des mise en œuvre des droits des personnes sans abri, réponses adaptées. à commencer par la domiciliation. Les CCAS et Adopter la Déclaration des droits des personnes sans CIAS doivent offrir une adresse administrative aux abri, c’est reconnaître leur dignité et engager personnes présentes sur la commune afin qu’elles sa responsabilité pour la préserver par des actions puissent exercer leurs droits. concrètes, budgétées et évaluées collectivement.n Le mal-logement à l’épreuve des municipales.
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