54 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève

 
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Avril — juin 2011 — adc / association pour la danse contemporaine

                 54
                 Journal de l’adc
                 Association pour la danse contemporaine
                 Genève

Dossier          Politique                                               À l’affiche

On achève bien   Un Pavillon de     Gilles Jobin
les carrières    la danse           Myriam Gourfink
                 en ville de Genève Eugénie Rebetez
                                    Rosalba Torres Guerrero
                                    La Ribot
2 / Journal de l’adc / avril — juin 2011                                                                                                                                                                                                                   Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 3

                                                                                                                             Dossier

                                                                                                                             04 - 07                         08 - 09
                                                                                                                             On achève bien                  Danser, et après ?
                                                                                                                             les carrières                   Interview de Karine Grasset
                                                                                                                             Quatre anciens danseurs         de l’association romande
                                                                                                                             reconvertis témoignent          pour la Reconversion des
                                                                                                                                                             danseurs professionnels

                                                                                                                             A l’affiche d’avril à juin      Films, livres, etc.                            Brèves                  Mémentos                 Histoires de corps

                                                                                                                             10 - 11                         26 - 27                                        30 - 32
                                                                                                                             Spider Galaxies                 La projection                                  Que font les            33                       35
                                                                                                                             Gilles Jobin                    du film Pina                                   danseurs genevois       Festival Extra 11        Un danseur
                                                                                                                                                             de Wim Wenders                                 et autres brèves        Bus en-cas de l’adc      se raconte en trois
                                                                                                                             12 - 13                         en 3D                                          de la danse                                      mouvements :
                                                                                                                             Choisir le moment                                                                                      34                       Gabor Varga
                                                                                                                             de la morsure                   Quelques                                                               Mémento
                                                                                                                             Myriam Gourfink                 acquisitions
                                                                                                                                                             du centre
                                                                                                                             14 - 15                         de documentation
                                                                                                                             Gina
                                                                                                                             Eugénie Rebetez                 La chronique
                                                                                                                                                             de Claude Ratzé
                                                                                                                             16 - 17
                                                                                                                             Pénombre
                                                                                                                             Rosalba Torres
                                                                                                                             Guerrero
                                                                                                                             et Lucas Racasse

                                                                                                                             18 - 19                                                                        Edito
                                                                                                                             PARAdistinguidas
                                                                                                                             La Ribot                        Association pour la danse
                                                                                                                                                             contemporaine (adc)
                                                                                                                                                                                                            Danser en scène et ensuite ?
                                                                                                                                                             Rue des Eaux-Vives 82–84                       On a déjà beaucoup dit et écrit sur l’évidence du don et la précocité
                                                                                                                                                             1207 Genève
                                                                                                                                                             tél. +41 22 329 44 00                          de la vocation du métier de danseur. Mais les choix qui conduisent le
                                                                                                                                                             fax +41 22 329 44 27
                                                                                                                                                             info@adc-geneve.ch                             danseur vers cette profession exigeante sont aussi guidés par son
                                                                                                                                                             www.adc-geneve.ch
                                                                                                                                                             Responsable de publication :                   milieu et son époque. Le génie est rarement solitaire.
                                                                                                                             Politique                       Claude Ratzé
                                                                                                                                                             Rédactrice en chef :                             Si le danseur répond à un appel, si pour lui le besoin de danser pré-
                                                                                                                                                             Anne Davier
                                                                                                                                                             Comité de rédaction :                          vaut sur les questions matérielles, il est également très impliqué
                                                                                                                             22 - 25                         Caroline Coutau, Anne Davier,
                                                                                                                                                             Thierry Mertenat, Claude Ratzé                 dans la gestion de sa carrière lorsqu’il revendique un statut social,
                                                                                                                             Un Pavillon de la               Secrétariat de rédaction :
                                                                                                                                                             Manon Pulver                                   une formation professionnelle, un salaire minimum et de meilleures
                                           Carte blanche à Gregory Batardon          danseur, et c’est également ce ballet   danse en ville de               Ont collaboré à ce numéro :
                                           Ancien danseur du Ballet
                                           du Grand Théâtre de Genève
                                                                                     que je remonte pour MaggioDanza
                                                                                     à Florence. Une autre sorte de          Genève                          Gregory Batardon, Anne Davier,                 conditions de travail.
                                                                                                                                                             Sylviane Dupuis, Paule Gioffredi,
                                           (1991- 2010) devenu aujourd’hui           reconversion pour moi !                 Interview                       Philippe Guisgand, Steeve Iuncker,               Ce numéro porte un regard particulier sur le danseur. Parce qu’il
                                           photographe de danse.                     Ayant été danseur moi-même, ce
                                                                                                                             avec Patrice Mugny,             Hélène Mariéthoz, Claude Ratzé,
                                           « Ce sont quatre photos du même
                                                                                     que j’aime capturer dans une photo                                      David Wagnières                                s’efface parfois devant la force d’une écriture chorégraphique, et res-
                                                                                     de danse est un moment furtif,          ainsi qu’avec les neuf          Graphisme : Silvia Francia, blvdr
                                           instant de Selon Désir, une création
                                           d’Andonis Foniadakis de 2004.
                                                                                     presque invisible pour l’œil, où        candidats annoncés aux          Impression : SRO Kundig                        te trop souvent encore une sorte de corps aveugle que le spectateur
                                                                                     l’action physique du danseur                                            Tirage : 8’500 exemplaires
                                           Cette image mélange folie, liberté                                                élections municipales           avril 2011                                     peine à identifier, à reconnaître. Pour commencer, nous lançons une
                                                                                     l’affecte dans sa propre expression.
                                           et mouvement, tout en étant très
                                                                                     Et cette photo illustre totalement      pour le Conseil administratif   Prochaine parution :
                                           rigoureuse dans son exécution,
                                                                                     mon propos. »                           de la Ville de Genève           septembre 2011                                 nouvelle rubrique, « Histoires de corps », dans laquelle un danseur est
                                           avec une exactitude de direction et                                                                               Ce journal est réalisé
                                                                                     Gregory Batardon
                                           de forme. Ces quatre photos                                                                                       sur du papier recyclé.                         invité à s’exprimer sur trois mouvements de son choix. Et surtout,
                                           s’inscrivent aussi dans un                                                                                        Photo de couverture :
                                           espace-temps : elles ont été prises à                                                                             Spider Galaxies de la Cie Gilles Jobin,        nous consacrons notre dossier à sa reconversion professionnelle,
                                           plusieurs années d’intervalle à New                                                                               Isabelle Rigat, Suzana Panadès Diaz,
                                           York, Paris, Caen et Perm en Russie.                                                                              Louis-Clément da Costa et Martin               une étape sensible mais essentielle lorsque la fin de sa carrière ap-
                                           C’est le ballet que j’ai préféré danser                                                                           Roehrich. Photo : Gregory Batardon
                                           durant mes dernières années de                                                                                    L’ADC bénéficie du soutien de la Ville de      proche. Car si le danseur suit jusqu’au bout sa vocation, son métier,
                                                                                                                                                             Genève, de la République et canton de Genève
                                                                                                                                                             et de la Loterie Romande.                      lui, s’achève souvent bien avant l’âge de la retraite. Anne Davier
4 / Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011                                                                                                                                                                                                 Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011 /   5

  Dossier                                                                                                                                                                                               Théâtre de Genève dès 2000. Il apprend vite, danse bien et est souvent choi-
                                                                                                                   Marc Hwang, loin de la danse, près du corps
  On achève bien
                                                                                                                                                                                                        si comme soliste. L’aventure de la danse durera dix ans. Il vit ces années
                                                                                                                   « Mats Ek m’a appris à exécuter un geste précis, simple,                             avec enthousiasme et énergie. C’est ce qui frappe chez ce jeune homme
                                                                                                                   propre et puissant. »                                                                que l’on rencontre à la sortie des examens en sciences actuarielles – les

  les carrières
                                                                                                                                                                                                        statistiques qui évaluent les risques pour les assurances et fonds de pen-
                                                                                                                                                                                                        sion. « Du fait que j’ai commencé tard à danser, commente-t-il, j’ai toujours
                                                                                                                                                                                                        été conscient de la reconversion. Je savais que mes années dans la danse
                                                                                                                   Elève de l’école pluridisciplinaire de Rosella Hightower, danseur chez Béjart,       seraient comptées puisque je connaissais le monde hors de la scène. Ceux
  Quatre anciens danseurs témoignent                                                                               chez Mats Ek, au Grand Théâtre de Genève, puis danseur indépendant, Marc             qui commencent plus jeunes restent peut-être dans l’illusion que la danse
                                                                                                                   Hwang quitte la scène il y a juste dix ans. Quand il raconte son parcours,           est un monde qu’ils ne quitteront jamais. »
                                                                                                                   il n’aime pas parler de reconversion, et lui préfère le mot continuité. Il dit            Il aurait pu continuer au-delà de ses 33 ans, mais il voulait garder suffi-
                                                     La carrière d’un danseur professionnel                        n’avoir jamais quitté la danse. Pour lui, passer de son statut d’interprète au       samment d’énergie pour la suite, préférant partir au sommet plutôt qu’être
                                                                                                                   massage traditionnel thaï, c’est encore de la danse. Impossible de rester            remercié ; et puis, à cet âge-là, on supporte moins d’obéir. Jamais il n’a son-
                                                     s’arrête souvent bien avant l’âge de
                                                                                                                   avec Marc Hwang dans un registre socio-professionnel qui le mettrait en              gé à rester dans la danse. Ni chorégraphe, ni pédagogue, il était interprète.
                                                     la retraite. Que se passe-t-il lorsque le                     avant. Il cherche à développer une réflexion plus personnelle au détour de           Il dit avoir de la chance, c’est l’excuse des clairvoyants qui travaillent sans
                                                     danseur quitte la scène ? Quels                               laquelle se découvre une définition de la danse.                                     compter et savent rester modestes. Il fait valider sa licence française pour
                                                     nouveaux horizons s’ouvrent à lui ?                                L’enseignement de Mats Ek y est pour beaucoup. « Il m’a enseigné                accéder au master de HEC à Lausanne et adresse son projet d’étude à l’as-
                                                     Nous avons demandé à quatre anciens                           des choses essentielles qui me servent encore aujourd’hui dans ma                    sociation pour la Reconversion des Danseurs Professionnels. Il obtient une
                                                     danseurs reconvertis leur témoignage.                         profession de masseur » explique-t-il. « La discipline de la danse qu’il             bourse pour deux ans. Il n’en menait pas large aux premiers examens. Il sort
                                                     Karine Grasset, de l’association                              m’a transmise tenait compte des enjeux de l’interprétation, de l’attitude            parmi les meilleurs. L’habitude de la perfection qu’exige la danse ? La disci-
                                                                                                                   juste en scène sur le plan mental. Il m’a appris comment exécuter un                 pline sans doute. La motivation, dit-il. « Je craignais de ne pas retrouver un
                                                     romande pour la Reconversion des
                                                                                                                   geste précis, simple, propre et puissant. Son enseignement m’a donné                 métier aussi enthousiasmant que la danse, de ne plus vivre l’émotion de la
                                                     danseurs professionnels, souligne                             une base et un modèle à suivre, tels que le respect de l’humain dans sa              scène. » A six mois de son master il cherche un stage avec une confiance
                                                     les enjeux essentiels de cette étape                          différence, sa capacité d’écoute et d’observation. »                                 joyeuse. Son cursus retient l’attention aux entretiens, on commente sa car-
                                                     délicate. Notre dossier.                                           Si Marc dit avoir appris au contact des autres danseurs les signes des          rière et relève les qualités qu’elle requiert. « C’est vrai qu’un danseur est
                                                                                                                   corps et une aisance à les interpréter, il dit aussi avoir appris à danser à         obéissant, ce qui donne lieu parfois à une vision peu valorisante de soi. On
                                                                                                                   travers les massages reçus durant ses années de scène. De fait, souli-               peut aussi se sentir infantilisé dans les grandes compagnies. De ce fait, le
                                                                                                                   gne-t-il, « on danse tout le temps, partout. » De la scène au cabinet de thé-        danseur a un pouvoir sur son corps qu’il n’applique pas au corps social, fau-
                                                                                                                   rapeute, Marc Hwang a gardé un lien organique avec la danse, puisqu’il y             te de contacts. »
                                                                                                                   est toujours question d’anatomie, d’espace, de dynamique et de relation.                  Difficile de lui demander sans sembler rabat-joie s’il est nostalgique…
                                                                                                                   « En tant que danseur, j’ai travaillé des techniques qui font appel au poids         Aucun regret dans sa réponse : « Le dernier spectacle ? C’était un mélange
                                                                                                                   du corps (la gravité), au centrage et à l’énergie et aux étirements, ce qui          de soulagement, d’émotion et d’excitation pour la suite. On se prépare au
                                                                                                                   requiert un état de concentration permanent. Le masseur travaille sur ces            dernier spectacle et le soir venu, on ne s’aperçoit plus que c’est le dernier.
                                                                                                                   mêmes qualités puisqu’il poursuit également une succession de mouve-                 L’adieu, c’est surtout par rapport à ceux que l’on quitte. » HM
                                                                                                                   ments dans le massage. » Marc Hwang ne voit qu’une différence, entre
                                                                                                                                                                                                        Bruno Roy dans le quartier des banques à Genève. Photo : David Wagnières
                                                                                                                   son ancienne profession et l’actuelle : le corps n’est plus en spectacle,
                                                                                                                   son but n’est plus artistique. Il y voit une similitude à travers la créativité.
                                                                                                                   On demande à l’une et l’autre profession une intuition développée qui
                                                                                                                   permette de décoder, de créer. S’il n’interprète plus aujourd’hui de parti-
                                                                                                                   tions chorégraphiques, Marc Hwang dit essayer de décoder les signes
                                                                                                                   des corps qu’il traite.
                                                                                                                        Dix ans après son dernier spectacle avec la chorégraphe espagnole
                                                                                                                   Olga Mesa, Marc Hwang a fait de sa connaissance pragmatique du corps
                                                                                                                   son métier. Son discours, son attitude racontent les énergies sur lesquelles
                                                                                                                   il travaille aujourd’hui pour traiter et qu’il utilisait dans son ancien métier de
                                                                                                                   danseur. Il lui a fallu se former, bien sûr. Mais pas de changement de compé-
                                                                                                                   tences, elles étaient là. Il a juste quitté quelques mètres carrés de scène et
                                                                                                                   constaté que la danse le suivait. Hélène Mariéthoz

                                                                                                                   Bruno Roy, mathématiques en tête
                                                                                                                   « Je craignais de ne pas retrouver un métier aussi passion-
                                                                                                                   nant que la danse. »

                                                                                                                   Bruno Roy, c’est le modèle idéal de la reconversion. Dons, détermination,
                                                                                                                   clairvoyance et travail lui ont permis à 21 ans de quitter l’école d’ingénieur
                                                                                                                   pour la danse. Attendre le diplôme à 23 ans, c’était trop long. Mais tout
                                                                                                                   abandonner sans avoir de débouché une fois sa carrière finie serait insen-
                                                                                                                   sé. Il passe donc une licence en mathématiques et débute en même temps
                                                                                                                   sa formation classique.
                                                                                                                       Une formation chez Rosella Hightower. Bruno Roy étudie le jour et mon-
                                                                                                                   te sur scène le soir, passe des auditions jusqu’au contrat qui le lie au Grand-
                                                     Marc Hwang sur sa table de massage. Photo : David Wagnières
6 / Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011                                                                                                                                                                                                                                                      Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011 /   7

                                                                                                                                                                      François Passard, la voie du routard                                                         teur ! » Il est en place depuis trois mois quand Hugues Gall le convoque et
                                                                                                                                                                      « Si un danseur réussit à mobiliser ce pour quoi il a été                                    l’interpelle sur une question de budget. François veut lui répondre que ce
                                                                                                                                                                      danseur, il réussit sa reconversion. »                                                       n’est pas encore son métier, puis se ravise. La situation lui rappelle la tour-
                                                                                                                                                                                                                                                                   née avec Béjart en Amérique du Sud. A peine arrivé, une gastro-entérite se
                                                                                                                                                                                                                                                                   déclare, il doit être sur scène le soir, va se plaindre au chorégraphe et en-
                                                                                                                                                                                                                                                                   tend : « Si la maladie est plus forte que la danse, ce n’est pas ton métier. »
                                                                                                                                                                      A chaque tournant, François Passard dit avoir été accompagné. A chaque                            Au Grand Théâtre, il aura passé quatre ans en tant que danseur, sept
                                                                                                                                                                      tournant, il a montré une grande détermination. Adolescent, il étudie la                     comme adjoint du directeur et six comme codirecteur avant de devenir
                                                                                                                                                                      danse pour suivre sa copine. A 18 ans, il part pour Bruxelles et participe à                 chargé de communication pendant huit ans. Quand il quitte l’institution, il
                                                                                                                                                                      un concours pour un projet avec Béjart. Il est retenu. Son père et son pro-                  ne regarde pas derrière lui, utilise les réseaux pour chercher du travail ou
                                                                                                                                                                      fesseur de l’école d’ingénieurs lui disent que c’est formidable. De 1972 à                   de l’argent et faire fonctionner pendant plus d’une année la communauté
                                                                                                                                                                      2009, il restera dans la danse. Il se souvient avec enthousiasme des an-                     d’Emmaüs et les 70 personnes qui en dépendent. Depuis le 1er mars, il réa-
                                                                                                                                                                      nées septante, des débuts de Jack Lang, du festival international de théâ-                   lise pour la Fondation d’Emmaüs des projets d’insertion individuelle. La dy-
                                                                                                                                                                      tre de Nancy, des Genevois qui vont y trouver une stimulation que la politi-                 namique est la même que lorsqu’il aidait les danseurs à réussir leur recon-
                                                                                                                                                                      que culturelle de Lise Girardin, alors Conseillère administrative de la Ville                version. En 1989, le directeur lui avait demandé de licencier des danseurs
                                                                                                                                                                      en charge du Département de la culture, accompagne avec force bourses,                       de la compagnie. Depuis, il n’a jamais eu de cesse de trouver des solutions
                                                                                                                                                                      subventions et formations. Il crée des dossiers, monte des budgets, se                       pour chacun. « Si un danseur réussit à mobiliser ce pour quoi il a été dan-
                                                                                                                                                                      familiarise avec l’administration. En 1977, il entre au Ballet du XXe siècle,                seur, il réussit sa reconversion », conclut-il. Dans la bouche de François Pas-
                                                                                                                                                                      puis passe deux ans à Cologne. Il apprend, rencontre des chorégraphes et                     sard, ce ne sont pas de vains mots. HM
                                                                                                                                                                      passe des auditions avec sa femme Kym. Oscar Araìz les engage au Grand
                                                                                                                                                                      Théâtre. « Les copains me disaient : tu dois nous représenter ! » Hugues
                                                                                                                                                                      Gall, le directeur général, le recevra chaque mois. Le danseur se penche sur
                                                                                                                                                                      la convention collective et commence, sur le tas, sa formation de délégué
                                                                                                                                                                      du personnel : défense des horaires continus, organisation de workshops,
                                                                                                                                                                      demande d’augmentation. Il n’obtiendra pas tout, mais on lui propose l’ad-
                                                                                                                                                                      ministration du théâtre.
                                                                                                                                                                           Il a 35 ans, il a mal à un genou. Lors d’une répétition, il tombe et se dit
                                                                                                                                                                      j’arrête. Factuel. Peu volontiers sentimental, François Passard esquive les
                                                                                                                                                                      émotions: « Payez-moi un stage à Boston et je deviens votre administra-

                                                                                                                                                                      François Passard dans les locaux de la Fondation des Compagnons d’Emmaüs. Photo : David Wagnières

Alessandra Mattana dans le hall d’Uni Dufour à Genève. Photo : David Wagnières

                                                                                   à la promotion et à l’administration. « Je ne sais pas si c’est comme ça pour
                                                                                   tous les danseurs, mais j’ai toujours en tête ce que je ferai après », dit-elle
Alessandra Mattana,                                                                comme pour s’excuser. Pédagogue en danse et en yoga, elle sait à 34 ans,
danseuse et universitaire                                                          qu’elle ne poursuivra pas dans la danse, à moins que cela entre dans des
« J’ai l’impression d’avoir l’expérience d’une femme de 80                         projets d’intégration des communautés, objet du master qu’elle poursuit.
                                                                                       « J’ai l’impression d’avoir l’expérience d’une femme de 80 ans : une car-
ans. En même temps, au moment de choisir la suite de mon
                                                                                   rière dans la danse, des voyages, des formations et une enfant. Mais au
parcours, j’hésite comme une adolescente. »                                        moment de choisir la suite de mon parcours, j’hésite comme une adoles-
                                                                                   cente. » L’association pour la Reconversion des danseurs lui apporte depuis
                                                                                   2010 un sérieux soutien, notamment par son aide financière sous la forme
Perfectionnisme ? Anxiété ? difficile de définir ce qui pousse Alessandra          d’une bourses et un coaching qui lui a permis de valoriser ses expériences.
Mattana à courir depuis toujours deux lièvres à la fois. Elle débute l’inter-      Le plus difficile pour Alessandra, au moment de s’asseoir sur les bancs
view à la pause d’une répétition et la poursuit entre deux cours à l’univer-       d’école, c’est précisément de rester assise et de se concentrer sur la ma-
sité. Les tournées avec la Cie Alias, elle les cale sur son programme de Bu-       tière à apprendre. « Je pensais ne jamais pouvoir y arriver », se souvient-elle,
siness Administration à Genève. L’ubiquité, les journées de 24 heures sont         « Physiquement, l’immobilité m’était pénible et je me rendais compte que
la norme chez cette danseuse brésilienne qui admet que « c’était plus facile       pendant des années, mon apprentissage avait été intuitif et abstrait. Je de-
au Brésil. Je dansais à l’Opéra de 9h à15h, puis allais à l’université de 18h      vais me mettre dans un autre schéma de pensée. La danse demande beau-
à 22h30». C’est à Belo Horizonte qu’elle passe sa licence en journalisme,          coup et s’en détacher, c’est se détacher du corps… »
pour se rassurer.                                                                      Entre une répétition et un cours, Alessandra se donne encore le temps
     Lorsqu’elle entre dans la compagnie brésilienne Grupo Corpo, elle pro-        de ne pas quitter la danse. Elle s’y sent chez elle, entière, mature. Pour elle
fite des tournées pour étudier le français et l’anglais. En 2000, invitée en Eu-   qui a toujours voyagé, le théâtre est une maison, une référence commune
rope avec la compagnie, elle décide d’y rester : Volksoper de Vienne, puis le      à tous les pays traversés. Petit à petit, elle s’en détachera et travaillera en
DV8 Physical Theater de Londres sous la direction de Lloyd Newson avant            coulisses, dit-elle, pour le compte d’organisations internationales. HM
de s’établir à Genève comme danseuse indépendante, il y a cinq ans. Elle
choisit ce statut pour alterner des mandats professionnels auprès d’organi-
sations internationales, et la scène, pour la Cie Alias, où elle collabore aussi
8 / Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011                                                                                                                                                                                                                                                                 Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011 /   9

                                                                                          Karine Grasset est responsable de l’association romande

Danser,                                                                                   pour la Reconversion des danseurs professionnels (RDP) depuis
                                                                                          2006. Avant cela, elle a été danseuse, en France d’abord puis
                                                                                          dans la Compagnie lausannoise de Philippe Saire.

et après ?                                                                                Pour l’avoir vécu, la jeune femme sait combien la reconversion
                                                                                          est une transition délicate dans la carrière d’un danseur,
                                                                                          classique comme contemporain.
                                                                                          Entretien.

                                                                                                                      d’autres compétences que le danseur ; le glis-                            l’organisation, sont quelques-unes des quali-        frais liés à la formation, et contribuent dans         travaillons aussi pour impliquer les pouvoirs
                                                         Que signifie pour un danseur quitter                         sement de la carrière de danseur à celle de                               tés propres aux danseurs et qui sont très va-        certains cas au frais de subsistance pendant           publics dans la prise en considération de
                                                         la scène ?                                                   chorégraphe est loin d’être évident ! Mais en                             lorisées sur le marché du travail.                   la durée de la formation. Notre domaine de             la reconversion du danseur comme faisant
                                                             Le moment juste pour quitter la danse est                vieillissant, la confrontation avec l’employabi-                                                                               compétence concerne la gestion de carrière             partie du parcours de l’artiste, au même ti-
                                                             propre à chacun. Quand j’ai commencé à dan-              lité sur le marché du travail, en tant que dan-                        Que faites-vous, concrètement, pour accom-              et à ce titre, nous proposons aussi des cours          tre que la formation initiale, la création et la
                                                             ser, enfant, c’était instinctif et c’est progressi-      seur, se pose forcément à un moment ou à un                            pagner cette phase de transition ?                      d’introduction à la vie professionnelle pour           diffusion d’œuvres. La politique de soutien
                                                             vement devenu absolu : la danse ou rien. Avec            autre.                                                                    Nous accompagnons les danseurs durant                préparer les jeunes danseurs au fonctionne-            à la danse sera complète et tout à fait cohé-
                                                             mon premier engagement professionnel, à 23                                                                                         leur transition professionnelle de l’instant où      ment de cette profession.                              rente lorsqu’elle englobera ce dernier maillon
                                                             ans, j’ai eu après le troisième jour de travail       Quels sont les atouts des anciens danseurs                                   ils commencent à y penser jusqu’au moment                                                                   qu’est la reconversion ! Dans certains cas,
                                                             en studio le sentiment d’avoir trouvé ma pla-         sur le marché de l’emploi ?                                                  où ils entament leur nouvelle activité. Nous      Quelles étapes traverse le danseur au                     nous pouvons aussi travailler avec les bour-
                                                             ce dans le monde. Pendant toute ma carrière              Ceux qui embrassent la carrière de danseur                                offrons par exemple des bilans de compé-          moment de sa reconversion ?                               ses d’études cantonales et les allocations
                                                             de danseuse, danser m’offrait la possibilité             développent des compétences transféra-                                    tences, nous aidons les danseurs à planifier        C’est un processus complexe qui dure en-                de formation, qui sont une prestation du
                                                             d’aller chercher en moi des ressources pro-              bles et parviennent à se maintenir dans cette                             et à définir leur nouveau projet professionnel.     tre trois et cinq ans. A 35 ans, il s’agit pour le      chômage permettant aux professionnels qui
                                                             fondes pour trouver la densité que nécessite             profession pendant de nombreuses années.                                  Nous animons aussi des ateliers pour sensi-         danseur de changer de vie. Il lui faut définir un       exercent des métiers obsolètes de se former
                                                             la présence scénique et pour nourrir l’inter-            L’autonomie, la concentration, la discipline, la                          biliser les danseurs à la reconversion. Et puis     nouveau projet et planifier le chemin à par-            à nouveau, mais uniquement pour des CFC.
                                                             prétation. La scène me donnait le sentiment              détermination, la faculté de résistance aux                               surtout, nous attribuons des bourses d’étude        courir ; trouver une formation adéquate ainsi           Pour la danse, il pourrait être envisagé que la
                                                             d’être intensément vivante, elle me reliait              pressions extérieures, la maîtrise du stress,                             qui couvrent entièrement ou en partie les           que son financement; suivre cette formation             notion « obsolète » ne soit pas appliquée au
                                                             aux racines de ma raison d’être ! En quittant                                                                                                                                          qui peut durer entre plusieurs mois et quatre           métier mais à l’exercice du métier. En ce sens,
                                                             la danse, j’avais le sentiment que j’allais met-                                                                                                                                       ans. Et enfin, trouver un emploi. Certaines de          le mot obsolète serait entendu de manière
Journal de l’adc : Pourquoi une association                  tre en sommeil cette partie essentielle et être                                                                                                                                        ces étapes peuvent s’initier alors que le dan-          différente.
comme la vôtre existe-t-elle ?                               condamnée à vivre à la surface de moi-même.                                                                                                                                            seur est encore en activité, ce qui permet un
   Karine Grasset : Selon les études menées                  Mais ce n’est pas un drame en soi. Cela m’a                                                                                                                                            enchaînement fluide, de la dernière danse à la       Quelques exemples de reconversion ?
   au niveau international, le profil d’une carrière         aussi permis de développer d’autres choses,                                                                                                                                            nouvelle formation. C’est le parcours idéal. Le        Certains sont restés proches du domaine
   de danseur serait le suivant : dix ans de for-            qui étaient en sommeil, et de grandir ailleurs.                                                                                                                                        flottement, l’indécision, le temps qui file sans       de compétences initial et du corps : profes-
   mation, quinze ans de carrière sur scène puis             L’enjeu, c’est de s’investir dans un nouveau                                                                                                                                           que rien de concret ne se passe rend plus dif-         seur de danse, de Pilates, de yoga, ou alors
   la fin de carrière entre l’âge de trente et qua-          projet.                                                                                                                                                                                ficile cette transition de carrière .                  physiothérapeute, masseur, acupuncteur.
   rante ans. Philippe Braunschweig, fondateur                                                                                                                                                                                                                                                             D’autres s’en éloignent mais restent dans le
   du célèbre Prix de Lausanne, a mis sur pied           L’usure du corps est-elle la seule raison qui                                                                                                                                            Combien de danseurs suivez-vous ?                        milieu culturel. Ce sont les administrateurs
   l’Organisation Internationale pour la Recon-          met fin à la carrière du danseur ?                                                                                                                                                         En 2010, nous avons attribué quatre bourses.           de compagnies, les techniciens, les photo-
   version des danseurs, à laquelle s’est rapide-            Elle existe, c’est certain. Certaines blessures                                                                                                                                        Nous avions quatorze danseurs en cours de              graphes, les programmateurs et tous ceux
   ment adjointe en 1993 notre antenne, la RDP.              ou douleurs chroniques restreignent défi-                                                                                                                                              formation dont douze boursiers de la RDP, et           qui ont suivi un enseignement de gestion
   Sa vision d’alors était la suivante : le parcours         nitivement l’amplitude de mouvement des                                                                                                                                                un peu plus de vingt danseurs en processus             culturelle. D’autres encore ont franchement
   d’un danseur commence par sa formation ini-               danseurs, d’autres s’avèrent dangereuses                                                                                                                                               de reconversion. Nous couvrons la Suisse               bifurqué et sont devenus journaliste, décora-
   tiale et s’achève au moment de sa reconver-               pour l’intégrité physique et n’autorisent pas                                                                                                                                          romande, qui compte environ 200 danseurs               teur, styliste, menuisier, restaurateur, juge…
   sion, cette dernière faisant partie intrinsèque           le retour à la danse professionnelle. Mais ces                                                                                                                                         professionnels, sur les 600 que dénombre la            et même aiguilleur du ciel, bel exemple d’un
   du parcours professionnel du danseur.                     cas sont fort heureusement rares et d’autres                                                                                                                                           Suisse, dont 400 indépendants soumis à l’in-           danseur qui a su transférer l’une de ses com-
                                                             motifs peuvent conduire le danseur à repen-                                                                                                                                            termittence et 200 engagés dans des compa-             pétences, la projection en trois dimensions
C’est donc aux alentours de 35 ans que le                    ser sa carrière professionnelle. L’envie de se                                                                                                                                         gnies institutionnelles comme le Béjart Ballet         d’un corps dans l’espace !
danseur range ses chaussons, alors qu’il lui                 stabiliser et éventuellement de fonder une fa-                                                                                                                                         Lausanne ou le Ballet du Grand Théâtre de               Propos recueillis par Anne Davier
reste encore trente ans d’activité profes-                   mille. La lassitude du nomadisme – je connais                                                                                                                                          Genève. La reconversion est mieux ancrée
sionnelle avant la retraite ?                                plusieurs danseurs qui voyagent tellement                                                                                                                                              aujourd’hui dans les milieux de la danse clas-
   C’est une moyenne. Mais la précocité de la fin            qu’ils n’ont même pas d’appartement. La pré-                                                                                                                                           sique, mais depuis quelques années, les dan-
   de carrière du danseur démontre l’enjeu de la             carité matérielle est également invoquée, tout                                                                                                                                         seurs contemporains se sentent de plus en
   reconversion : si cet instant n’est pas anticipé          comme la marginalité sociale. Pour certains,                                                                                                                                           plus concernés, eux aussi.
   et accompagné, il peut être si brutal qu’il ris-          il s’agit aussi de passer à autre chose, de se
   que de laisser l’ex-danseur dans la solitude              lancer un nouveau défi.                                                                                                                                                              D’où proviennent vos ressources
   et le désarroi. Il n’est pas rare que d’anciens                                                                                                                                                                                                financières ?
   danseurs professionnels aient basculé de              Cette fin de carrière prématurée est-elle                                                                                                                                                    Notre association a fait un bond en avant en
   la scène au chômage prolongé, ou à une si-            inéluctable ?                                                                                                                                                                                2008. Cette année-là, la Fondation Fernando
   tuation plus dramatique encore, faute d’avoir            La question se pose différemment pour un                                                                                                                                                  et Rose Invernis-Desarzens a souhaité finan-
   trouvé du soutien au moment de leur recon-               danseur classique, qui termine sa carrière                                                                                                                                                cer les bourses à hauteur de 120’000 francs
   version. Il s’agit là d’un gaspillage de talent re-      généralement plus tôt, que pour un danseur                                                                                                                                                par année, pendant trois ans. Pour compléter
   grettable qui, de plus, représente un coût non           contemporain. Certains continuent de tra-                                                                                                                                                 ce soutien – qui s’est par ailleurs réduit de-
   négligeable.                                             vailler bien après 35 ans. D’autres deviennent                                                                                                                                            puis – et comme toutes les associations à
                                                            chorégraphe, ce qui n’est pas sans difficulté                                                                                                                                             but non lucratif, nous cherchons continuelle-
                                                            non plus puisque le chorégraphe développe                                                                                                                                                 ment de nouveaux moyens financiers. Nous
                                                                                                                      Autoportrait de Gregory Batardon, ancien danseur devenu photographe.
10 / A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011                                                                                                                                                                                                     A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 /   11

                         A l’affiche

                                                                                                                                          Spider Galaxies – du 6 au 17 avril
                        D’avril à juin,                                                                                                   Gilles Jobin a présenté Spider Galaxies en avant-première
                        les spectacles                                                                                                    lors des Journées de danse contemporaine suisse, début mars
                                                                                                                                          à la Dampfzentrale de Berne. Sylviane Dupuis, écrivain,
                        présentés                                                                                                         était dans la salle.

                        par l’adc
                                                                                                                                                                           Son premier mot est : complexité.        quotidien : la convocation devenue               temps, il est issu à la fois (de son
                                                                                                                                                                           Quand il évoque le monde contem-         possible à tout moment, en un clic               propre aveu) de l’abstraction figura-
                                                                                                                                                                           porain, Gilles Jobin ne prétend ni le    de souris, de l’illimité des données             tive, du postmodernisme américain,
                                                                                                                                                                           juger, ni nous dire ce qu’il faut en     du savoir, de la mémoire, de l’art               des années soixante – et de l’âge
                                                                                                                                                                           penser. Il nous le montre. Il voudrait   et du visible par des logiciels de               d’Internet. Il dit qu’il sait de moins
                                                                                                                                                                           nous le faire éprouver. A nous d’en      recherche de plus en plus perfor-                en moins ce qu’il « veut dire », et
                                                                                                                                                                           tirer plus de conscience.                mants, parcourant instantanément                 que l’âge avançant, il se demande
                                                                                                                                                                              Dans ses Spider Galaxies, radi-       l’ensemble de la toile et zappant                avant tout pourquoi il est encore là
                                                                                                                                                                           calisant sa démarche – mais aussi        sans s’arrêter d’une source à l’autre            quand d’autres ont disparu, à quoi
                                                                                                                                                                           son exigence envers les danseurs,        (images du réel, textes, photos, do-             sert de créer, pourquoi il conti-
                                                                                                                                                                           actifs en continu sur le plateau sans    cumentaires, peinture, musique,                  nue. Il dit que le vivant lui apparaît
                                                                                                                                                                           jamais se répéter, il évacue toute       sons, vidéos, clips, etc. – dont les             comme de plus en plus complexe,
                                                                                                                                                                           forme, même esquissée, de narra-         «danseurs iconographes » se sont                 et que ce qui l’intéresse c’est de
                                                                                                                                                                           tion : « cassant » à chaque instant      nourris pour inventer). Ce qui a                 l’explorer avec précision, jusqu’à
                                                                                                                                                                           le fil des histoires que suggèrent       pour conséquence de mettre radi-                 exténuation du souffle.
                                                                                                                                                                           brièvement au spectateur, de ma-         calement en question (et peut-être,                 Et cela, aussi bien pour un pu-
                                                                                                                                                                           nière presque subliminale, tantôt un     à terme, en péril, si l’on songe à la            blic averti que pour tous ceux qui,
                                                                                                                                                                           geste, un son, un effet de lumière ou    confusion schizophrénique et litté-              étrangers à la danse, demandent
                                                                                                                                                                           une image saisie au vol, tantôt un       ralement affolante de la mémoire et              au sport ou à la performance de leur
                                                                                                                                                                           ou plusieurs points lumineux pro-        du réel dans Spider de Cronenberg)               offrir le même spectacle : celui de la
                                                                                                                                                                           jetés sur le corps des danseurs tel      notre expérience de la réalité.                  concentration et de la précison ex-
                                                                                                                                                                           un jeu de particules. – Et cela, non        Gilles Jobin avance depuis quinze             trême du mouvement.
                                                                                                                                                                           pas du tout dans une perspective         ans entre continuité organique et                Sylviane Dupuis, écrivain
                                                                                                                                                                           déceptive, devenue lieu commun           rupture, expérimentant toujours
                                                                                                                                                                           dans le domaine de la performance,       plus loin un même processus de
                                                                                                                                                                           et qui consisterait à nous retirer, au   recherche qui consiste à « convo-
                                                                                                                                                                           profit de la déconstruction du sens,     quer la technologie pour créer une
                                                                                                                                                                           le plaisir ou le confort de reconnaî-    nouvelle situation que la danse
                                                                                                                                                                           tre une histoire ou une référence ;      doit investir » (François Frimat dans
                                                                                                                                                                           ni par provocation. Il en va de la lo-   Qu’est-ce la danse contemporaine ?,
                                                                                                                                                                           gique même et de « l’idée » généra-      2010), en déployant sa galaxie de
                                                                                                                                                                           trice de cette nouvelle création.        possibles à partir d’une idée, d’ins-                      Repères biographiques
                                                                                                                                                                              Car cette fois, le paradigme à        tructions ou d’algorithmes de base                         Gilles Jobin suit une formation
                                                                                                                                                                                                                                                                               classique chez Rosella Hightower
                                                                                                                                                                           l’œuvre est l’irruption d’Internet, de   qui fonctionnent comme un « géné-                          à Cannes, puis au Ballet Junior de
                                                                                                                                                                           Google et de Youtube dans notre          rateur ». Fils de peintre, et fils de son                  Genève. En 1993, il est codirecteur
                                                                                                                                                                                                                                                                               du Théâtre de l’Usine à Genève.
                                                                                                                                                                                                                                                                               Il s’installe à Madrid en 1995 et crée
                                                                                                                                                                                                                                                                               trois soli : Bloody Mary (1995),
                                                                                                                                                                                                                                                                               Middle Suisse et Only You (1996).
                                                                                                                                                                                                                                      Spider Galaxies (2011)                   En 1997, rejoint à Londres la
                                                                                                                                                                                                                                      Chorégraphie : Gilles Jobin              structure Artsadmin. Sa première
                                                                                                                                                                                                                                      Direction musicale : Cristian Vogel      pièce de groupe, A+B=X (1997),
                                                                                                                                                                                                                                      Danse : Susana Panadès Diaz,             est créée à l’Arsenic de Lausanne où
                         Suzana Panadès Diaz et Louis-Clément da Costa. Photo : Gregory Batardon                                                                                                                                      Isabelle Rigat, Louis-Clément            il est artiste en résidence. Suivent
                                                                                                                                                                                                                                      da Costa, Martin Roehrich                Braindance (1999), The Mœbius
                                                                                                                                                                                                                                      Musique :Carla Scaletti                  Strip (2001), Under Construction
                                                                                                   Atelier du spectateur                                                                                                              et Cristian Vogel                        (2002), TWO-THOUSAND-AND-
                                                                                                   Vous aimez la danse ?                                                                                                              Lumière : Daniel Demont                  THREE (2003) pour le Ballet du
                                                                                                   Vous souhaitez aiguiser votre regard           Isabelle Rigat et Martin Roehrich. Photo : GB                                       Costumes : Karine Vintache               Grand Théâtre de Genève, Délicado
                                                                                                   sur ses créations ?                                                                                                                Assistante chorégraphique :              (2004) pour le Ballet Gulbenkian
                                                                                                   Echanger vos impressions vous                                                                                                      Margaux Monetti                          de Lisbonne, Steak House (2005),
                                                                                                   semble naturel ?                                                                                                                                                            Double Deux (2006), Mœbius Kids
                                                                                                   Alors l’atelier du spectateur                                                                                                                                               (2007), Text To Speech (2008),
                                                                                                   est fait pour vous !                                                                                                                                                        Black Swan (2009).
                                                                                                   Animé par Philippe Guisgand                                                                                                                                                 Le chorégraphe est installé
                                                                                                   lors de la représentation                                                                                                                                                   à Genève depuis 2004.
                                                                                                   du jeudi 14 avril                                                                                                                                                           www.gillesjobin.com
                                                                                                   Réservations indispensables
                                                                                                   sur www.adc-geneve.ch                                                                                                                                                       Salle des Eaux-Vives
                                                                                                   (plus d’infos sur l’atelier du                                                                                                                                              du 6 au 17 avril à 20h30
                                                                                                   spectateur dans les brèves page 32).                                                                                                                                        dimanche à 18h
                                                                                                                                                                                                                                                                               relâches lundi et mardi
                                                                                                                                                                                                                                                                               Rencontre avec l’équipe artistique
                                                                                                                                                                                                                                                                               à l’issue de la représentation
                                                                                                                                                                                                                                                                               du jeudi 7 avril.
                                                                                                                                                                                                                                                                               Réservations 022 320 06 06
                                                                                                                                                                                                                                                                               et www.adc-geneve.ch
12 / A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011                                                                                                                                                        A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 13

                                                                                                             Repères biographiques                     Choisir le moment
                                                                                                             Myriam Gourfink a été artiste en          de la morsure (2010)
                                                                                                             résidence à l’IRCAM en 2004-2005          Chorégraphie : Myriam Gourfink
                                                                                                             et au Fresnoy-studio national des         Danse : Déborah Lary, Myriam
                                                                                                             arts contemporains en 2005-2006.          Gourfink, Cindy Van Acker
                                                                                                             Elle est depuis janvier 2008 directrice   Composition musicale :
                                                                                                             du Programme de recherche et              Kasper Toeplitz
                                                                                                             de composition chorégraphiques            Lumières : Séverine Rième
                                                                                                             (PRCC) à la Fondation Royaumont.          Régie technique :
                                                                                                             Son œuvre s’inscrit dans une              Zakariyya Cammoun
                                                                                                             collaboration étroite avec le             Costumes : Kova
                                                                                                             compositeur Kasper Toeplitz               Administration : Sophie Pulicani
                                                                                                             (Marine, Rare, Contraindre,               Diffusion : Damien Valette
                                                                                                             L’Innommée, This is my house…).
                                                                                                             www.myriam-gourfink.com                   Salle des Eaux-Vives
                                                                                                                                                       les 21 et 22 avril à 20h30
                                                                                                             Dans le cadre du Festival Electron        réservation 022 320 06 06
                                                                                                             www.electronfestival.ch                   et www.adc-geneve.ch

                                                 Cela commence, d’urgence, sous la           nouveau se séparent. Cependant,                 L’appétit originel
                                                 pression d’une puissante vague au           les contours ne s’effacent pas, les             Choisir le moment de la morsure se
                                                 bord de son déferlement. Elles sont         différences se marquent, les distan-            tient au cœur, créateur, de la contra-
                                                                                                                                                                                          Déborah Lary, Cindy Van Acker, Myriam Gourfink. Photos : L. Paillier
                                                 trois pour accueillir, canaliser et faire   ces sont maintenues. Les regards                diction. Le spectateur assiste avec
                                                 circuler cette sauvagerie. D’emblée         des trois femmes ne se cherchent                stupéfaction à une danse aussi re-
                                                 et jusqu’au bout, leurs corps retien-       pas, ni ne convergent ; chaque inter-           tenue et élaborée qu’explosive et
                                                 nent un débordement, demeurant              prète déplace et transfère le poids             primitive. Les danseuses poussent
                                                 avec vigilance et ferveur au faîte de       de son corps, mais aucune ne s’en               une porte jusqu’ici précautionneu-
                                                 cette délicieuse menace.                    défait pour le reporter sur une autre.          sement maintenue fermée par la
                                                    Quelque chose va arriver; le désir       Choisir le moment de la morsure                 chorégraphe : elles s’aventurent sur
                                                 touche à son acmé. Premier signe            n’obéit pas à une pulsion fusionnelle.          le terrain du contact, tentant, entre
                                                 annonciateur de l’événement : la            Loin d’un appel à l’assimilation, à la          démarche exploratoire et disposi-
                                                 chorégraphe a bouleversé sa topo-           destruction des différences, la cu-             tion accueillante, la rencontre du
                                                 graphie habituelle. Les interprètes         riosité pour l’autre se fait tentative          corps de l’autre. Elles inventent une
                                                 entrent sur le plateau et se placent,       d’accès à ce qui le distingue.                  morsure qui renonce à déchiqueter,
                                                 ne laissant entre leurs corps que              Second signe annonciateur : les              broyer et assimiler la chair étran-
                                                 d’étroits interstices. Se regroupent-       visages grands ouverts. Une dan-                gère, pour en goûter plutôt les plus
                                                 elles pour se protéger ? Cette proxi-       seuse s’approche d’une autre,                   subtils effluves. A force de suspen-
                                                 mité ne risque-t-elle pas de les em-        s’avance, tend son cou, se laisse               dre, et par là d’entretenir et d’inter-
                                                 barrasser ? Dans le flux continu de         gagner par les chaudes exhalai-                 roger l’appel mutuel des corps qui
                                                 la musique et des mouvements, des           sons du corps qu’elle va toucher.               dansent, Myriam Gourfink en a dé-
                                                 jeux d’ombres soudent les mem-              Elle est mise en appétit. Comme une             celé l’origine et un principe moteur :
                                                 bres des trois danseuses, les agglo-        béance venue des profondeurs re-                le goût et l’appétit. Et indubitable-
                                                 mèrent, générant des êtres hybrides         monterait jusqu’au fond de la gorge.            ment, c’est un événement.
                                                 et éphémères, en perpétuelle trans-         Les narines se dilatent, les lèvres se          Paule Gioffredi
                                                 formation, qui s’étirent finalement         soulèvent et dévoilent les dents, les
                                                 jusqu’à la disjonction. Les corps           mâchoires s’écartent – le moment
                                                 s’enchevêtrent, se confondent et de         de la morsure est venu.

Choisir le moment de la morsure — les 21 et 22 avril
Pour cette dernière création Myriam Gourfink bouscule
sa topographie habituelle. Une stupéfiante révélation du goût
et de la voracité des corps qui dansent.
14 / A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011                                                                                                              A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 15

                                                          Eugénie Rebetez dans Gina
                                                          Photos : Augustin Rebetez

                                                          Gina revient– du 4 au 15 mai
                                                          Après les représentations de la saison précédente
                                                          qui ont connu un grand succès, la Salle
                                                          des Eaux-Vives accueille à nouveau la jeune diva
                                                          jurassienne Eugénie Rebetez.
                                                                                      Cela fait un an que Gina sillonne la         Gina fait rêver à tout âge
Repères biographiques                                                                 Suisse et l’Europe. Eugénie Rebe-            Gina s’est sculptée au gré des
Née à Genève en 1984, Eugénie
grandit dans le Jura. Elle suit une                                                   tez, qui a créé ce personnage et l’in-       nombreuses représentations. Ceux
formation de danse-étude à Louvain-                                                   carne sur scène, ne se lasse pas de          qui l’ont vue plusieurs fois la redé-
la-Neuve (Belgique) puis à ArtEZ
Arnhem en Hollande. Elle rentre                                                       la redécouvrir chaque soir de spec-          couvrent. Les scènes ne changent
en Suisse en 2008 et reçoit le Prix                                                   tacle… Nous non plus.                        pourtant pas, rodées durant les
PREMIO, prix d’encouragement aux
jeunes artistes. Elle joue dans Öper
                                                                                      Gina est une jeune femme qui a faim.         deux ans de préparation, mais l’exi-
Öpis de Zimmermann & de Perrot.                                                       Faim de gloire, de vie, de reconnais-        geante chorégraphe rectifie ici des
Gina est sa première pièce, créée en
2010. www.eugenierebetez.com
                                                                                      sance. Seule dans sa chambre, elle           rythmes, là, des micromouvements
                                                                                      s’imagine sur un podium devant un            pour incarner au plus près l’ima-
Gina (reprise)
Concept, chorégraphie, textes
                                                                                      public venu nombreux l’acclamer.             ginaire du personnage face à son
et interprétation : Eugénie Rebetez                                                   Elle est généreuse et infatigable            public. Eugénie s’étonne : « A la fin
Musique originale :                                                                   quand elle exerce son corps à repré-         d’une représentation, un vieux mon-
Pascale Schaer et Eugénie Rebetez
Création son : Pascale Schaer                                                         senter les rêves d’une jeune fille de        sieur est venu m’embrasser et me
Création lumières :                                                                   province, tantôt glorieuse, tantôt dé-       dire : ‘ vous avez représenté mes rê-
Tina Bleuler et Patrick Rimann
Styling : Franziska Born                                                              couragée. Dans sa jaquette à paillet-        ves ’… Plusieurs petites filles m’ont
                                                                                      tes, à la trompette ou affalée à terre,      dit vouloir devenir danseuses après
Salle des Eaux-Vives
du 4 au 15 mai à 20h30                                                                elle attendrit, transporte ou émeut.         avoir vu Gina. »
dimanche à 18h                                                                        « J’ai créé un personnage à travers          On peine à quitter ce one-woman-
réservation 022 320 06 06
et www.adc-geneve.ch                                                                  lequel je peux faire vivre mes rêves         show, ces scénettes méticuleuse-
dans le cadre                                                                         et mes émotions. » Depuis l’âge de           ment cousues sur le corps gour-
du festival Extra 11
                                                                                      12 ans, Eugénie Rebetez travaille            mand de la danseuse, ces situations
                                                                                      son corps pour mettre ses rêves en           qui évoquent Zouc et le music-hall.
                                                                                      scène : à 15 ans elle quitte famille         Eugénie Rebetez prépare déjà sa
                                                                                      et Jura natal pour une formation en          prochaine création, toujours sur le
                                                                                      danse en Belgique puis en Hollan-            fil de ses pensées profondes tein-
                                                                                      de. De retour en Suisse en 2008, elle        tées d’ironie. Elle y interrogera les
                                                                                      joue dans Öper Öpis des Suisses              états d’âme lorsque la gloire est là,
                                                                                      Zimmermann & de Perrot, s’ins-               l’adulation et l’immanquable décep-
                                                                                      talle à Zurich et crée en parallèle          tion. Pour autant, Eugénie garde
                                                                                      sa première pièce et son premier             la tête froide quand on lui parle de
                                                                                      personnage, Gina. « J’adore jouer            son succès. Elle ne se demande pas
                                                                                      ce spectacle. J’apprends beaucoup            si sa carrière de chorégraphe est
                                                                                      durant cette heure seule sur scène.          amorcée ; elle apprécie toujours de
                                                                                                                                                                                   Dégustation de vins
                                                                                      Parfois c’est difficile et déroutant. Le     danser sur scène sans porter toute              avant le spectacle :
                                                                                      public me porte, m’accompagne. Un            la responsabilité du spectacle. Elle            Ushanga Elebe propose une
                                                                                                                                                                                   dégustation de vins choisis en
                                                                                      soir, à Paris – c’était pourtant la qua-     rêve d’être l’interprète d’auteurs,             fonction du spectacle d’Eugénie
                                                                                      trième représentation – j’étais tota-        cite Christoph Marthaler ou James               Rebetez avant la représentation
                                                                                                                                                                                   du jeudi 5 mai. Les curieux
                                                                                      lement perdue. Le public était silen-        Thierrée , « et probablement d’autres           accomplissent leur premiers pas
                                                                                      cieux, il observait. Cette expérience        que je ne connais pas encore », puis            vers l’œnologie et les amateurs
                                                                                                                                                                                   confirmés partagent leur passion
                                                                                      m’a montré à nouveau la fragilité de         elle vous laisse pour aller travailler          des bons vins.
                                                                                      mon métier, mais aussi sa beauté.            son corps et sa voix.                           Réservations indispensables
                                                                                      Ce soir-là, j’étais très fragile mais j’ai   Hélène Mariéthoz                                sur www.adc-geneve.ch (plus d’infos
                                                                                                                                                                                   sur l’atelier du spectateur dans
                                                                                      trouvé mon chemin sur scène. »                                                               les brèves page 32).
16 / A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011                                                                                                                                                         A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 /   17

                                                                     Repères biographiques                     Pénombre (2011)                         Salle des Eaux-Vives                Atelier du spectateur
                                                                     D’origine franco-espagnole, Rosalba       Mise en scène, écriture, chorégraphie   du 18 au 28 mai à 20h30,            Vous aimez la danse ?
                                                                     Torres Guerrero est née en 1974 en        et interprétation :                     dimanche à 18h,                     Vous souhaitez aiguiser votre regard
                                                                     Suisse et a commencé sa formation         Rosalba Torres Guerrero                 relâches lundi et mardi             sur ses créations ?
                                                                     de danseuse au Conservatoire              Vidéo, illustration, performance live   réservations 022 320 06 06          Echanger vos impressions vous
                                                                     de musique. Elle est l’interprète         et coécriture : Lucas Racasse           et www.adc-geneve.ch                semble naturel ?
                                                                     entre autres de Bernardo Montet,          Actrice vidéo : Uiko Watanabe           Dans le cadre du festival Extra.    Alors l’atelier du spectateur
                                                                     Dominique Dupuis, Dominique               Dramaturgie : Hildegard De Vuyst                                            est fait pour vous !
                                                                     Bagouet, Philippe Découflé puis           Costumes et sculptures textiles :                                           Animé par Philippe Guisgand
                                                                     d'une douzaine de pièces d’Anne           Sara Judice de Menezes                                                      lors de la représentation
                                                                     Teresa De Keersmaeker. Dès 2005,          Scénographie et lumière :                                                   du jeudi 19 mai.
                                                                     elle rejoint Les Ballets C de la B avec   Shizuka Hariu                                                               Réservations indispensables
                                                                     qui elle danse VSPRS, Pitié ! et Out      Musique originale                                                           sur www.adc-geneve.ch
                                                                     of Context. Rosalba Torres Guerrero       et ambiance sonore : Sam Serruys                                            (plus d’infos sur l’atelier du
                                                                     présente ici, avec les Ballets C de la    Technique : Bart Uyttersprot                                                spectateur dans les brèves page 32).
                                                                     B, sa première pièce.                     Œil extérieur : Sara Jansen
                                                                                                               Responsable production :
                                                                                                               Iris Raspoet, Fien Ysebie

                                                                                                                                                                                                                                      Lucas Racasse et Rosalba Torres Guerrero

                                                                                                                         Mercredi 3 février 2011, centre-ville             Un désir de pièce                             au solo. De là est né le rôle de Uiko »,
                                                                                                                         de Gand. Les Ballets C de la B ac-                Ce « désir embryonnaire » va dès lors         précise Rosalba. En abordant les
Pénombre – du 18 au 28 mai                                                                                               cueillent la résidence de création de             entrer dans une longue gestation              qualités du processus, Lucas de-
                                                                                                                         Pénombre, un duo danse et vidéo                   que vient conforter une « maturité            vient admiratif : « Elle aime la len-
Rosalba Torres Guerrero, danseuse des Ballets C de la B et de                                                            imaginé par Rosalba Torres Guerre-                artistique » récemment ressentie.             teur, et la grande majorité du travail
                                                                                                                         ro et Lucas Racasse. Les deux com-                Rosalba décide de partager ces                se situe dans ce registre avec une
la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker, explore des territoires                                                       plices m’attendent à la porte, ciga-              empreintes marquantes avec un vi-             prédilection pour l’effleurement.
                                                                                                                         rette à la main et sourire aux lèvres.            déaste, ami de longue date, Lucas             C’est aux antipodes de toute la
ombrés dans Pénombre, une création très attendue cosignée avec                                                           Présentations rapides avant de                    Racasse. Mais les deux complices              dureté de mon travail graphique. »
                                                                                                                         s’abriter du froid glacial dans le                préviennent : « Il y a un fantasme ini-       Proximité, entremêlement, interpé-
le vidéaste Lucas Racasse. Rencontre avec Philippe Guisgand.                                                             grand studio : un écran barre le mur              tial de Rosalba au Japon, insiste Lu-         nétration sont les maîtres mots de
                                                                                                                         du fond, une structure blanche et                 cas, mais cette pièce n’est pas sur           la création. Ils s’appliquent égale-
                                                                                                                         mystérieuse s’étale sur le sol, pho-              le Japon. Bien d’autres choses sont           ment au rapport avec la scénogra-
                                                                                                                         tos et dessins de silhouettes fémi-               venues l’envelopper depuis. ». La             phe architecte, la sculpteuse-cos-
                                                                                                                         nines s’affichent sur les murs.                   pièce parle plutôt et surtout d’une           tumière ou le musicien. « Il faut
                                                                                                                            C’est à l’occasion d’une tournée               femme et de son voyage dans un                trouver comment peuvent respirer
                                                                                                                         au Japon avec Rosas, la compagnie                 entre-monde, entre la vie et la mort,         ensemble tous ces éléments et la
                                                                                                                         d’Anne Teresa De Keersmaeker                      que la pénombre désigne. Cette                manière dont ils se créent mutuel-
                                                                                                                         dont elle fut durant huit années une              zone mystérieuse, fantomatique,               lement des espaces », ajoute le vi-
                                                                                                                         des interprètes remarquées, qu’un                 immatérielle explique la présence             déaste.
                                                                                                                         déclic se produit en Rosalba Torres.              de la vidéo : « Elle était le seul mé-           Après deux ans de lente incuba-
                                                                                                                         Assaillie par de fortes émotions au               dium qui permettait de rendre                 tion et de rêveries nomades, on
                                                                                                                         contact du pays, elle dresse « un ca-             compte du déploiement de cette                sent encore Pénombre en amont
                                                                                                                         talogue d’impressions » qui cohabi-               idée et de cohabiter avec le corps            des choix définitifs et riche de nom-
                                                                                                                         te avec le sentiment qu’un cycle se               de la danseuse dans un véritable              breux possibles. Un fantôme de
                                                                                                                         termine auprès de la chorégraphe                  duo », explique le vidéaste.                  spectacle ? Non, tant je réalise, en
                                                                                                                         flamande. La rencontre avec Alain                                                               quittant ces deux-là, combien la
                                                                                                                         Platel et les trois pièces auxquelles             Un rêve de dialogue                           pièce est déjà intensément vivante
                                                                                                                         elle participe au sein des Ballets C              Comment créer une véritable rela-             dans les images de Lucas et le
                                                                                                                         de la B sont alors déterminantes. La              tion entre un corps vivant au plateau         corps de Rosalba.
                                                                                                                         danseuse confesse : « Il offrait un               et une image en deux dimensions ?             Philippe Guisgand
                                                                                                                         autre espace créatif, davantage de                « Il fallait créer un personnage vidéo
                                                                                                                         responsabilité pour l’interprète. Il              qui partage la scène avec la dan-
                                                                                                                         me permettait de faire un pas de                  seuse, et il ne fallait pas que ce per-
                                                                                                                         plus vers mes propres envies. ».                  sonnage soit moi sinon, on revenait
Rosalba Torres Guerrero. Photo : Sara Menezes
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