54 Journal de l'adc Association pour la danse contemporaine Genève
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Avril — juin 2011 — adc / association pour la danse contemporaine 54 Journal de l’adc Association pour la danse contemporaine Genève Dossier Politique À l’affiche On achève bien Un Pavillon de Gilles Jobin les carrières la danse Myriam Gourfink en ville de Genève Eugénie Rebetez Rosalba Torres Guerrero La Ribot
2 / Journal de l’adc / avril — juin 2011 Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 3 Dossier 04 - 07 08 - 09 On achève bien Danser, et après ? les carrières Interview de Karine Grasset Quatre anciens danseurs de l’association romande reconvertis témoignent pour la Reconversion des danseurs professionnels A l’affiche d’avril à juin Films, livres, etc. Brèves Mémentos Histoires de corps 10 - 11 26 - 27 30 - 32 Spider Galaxies La projection Que font les 33 35 Gilles Jobin du film Pina danseurs genevois Festival Extra 11 Un danseur de Wim Wenders et autres brèves Bus en-cas de l’adc se raconte en trois 12 - 13 en 3D de la danse mouvements : Choisir le moment 34 Gabor Varga de la morsure Quelques Mémento Myriam Gourfink acquisitions du centre 14 - 15 de documentation Gina Eugénie Rebetez La chronique de Claude Ratzé 16 - 17 Pénombre Rosalba Torres Guerrero et Lucas Racasse 18 - 19 Edito PARAdistinguidas La Ribot Association pour la danse contemporaine (adc) Danser en scène et ensuite ? Rue des Eaux-Vives 82–84 On a déjà beaucoup dit et écrit sur l’évidence du don et la précocité 1207 Genève tél. +41 22 329 44 00 de la vocation du métier de danseur. Mais les choix qui conduisent le fax +41 22 329 44 27 info@adc-geneve.ch danseur vers cette profession exigeante sont aussi guidés par son www.adc-geneve.ch Responsable de publication : milieu et son époque. Le génie est rarement solitaire. Politique Claude Ratzé Rédactrice en chef : Si le danseur répond à un appel, si pour lui le besoin de danser pré- Anne Davier Comité de rédaction : vaut sur les questions matérielles, il est également très impliqué 22 - 25 Caroline Coutau, Anne Davier, Thierry Mertenat, Claude Ratzé dans la gestion de sa carrière lorsqu’il revendique un statut social, Un Pavillon de la Secrétariat de rédaction : Manon Pulver une formation professionnelle, un salaire minimum et de meilleures Carte blanche à Gregory Batardon danseur, et c’est également ce ballet danse en ville de Ont collaboré à ce numéro : Ancien danseur du Ballet du Grand Théâtre de Genève que je remonte pour MaggioDanza à Florence. Une autre sorte de Genève Gregory Batardon, Anne Davier, conditions de travail. Sylviane Dupuis, Paule Gioffredi, (1991- 2010) devenu aujourd’hui reconversion pour moi ! Interview Philippe Guisgand, Steeve Iuncker, Ce numéro porte un regard particulier sur le danseur. Parce qu’il photographe de danse. Ayant été danseur moi-même, ce avec Patrice Mugny, Hélène Mariéthoz, Claude Ratzé, « Ce sont quatre photos du même que j’aime capturer dans une photo David Wagnières s’efface parfois devant la force d’une écriture chorégraphique, et res- de danse est un moment furtif, ainsi qu’avec les neuf Graphisme : Silvia Francia, blvdr instant de Selon Désir, une création d’Andonis Foniadakis de 2004. presque invisible pour l’œil, où candidats annoncés aux Impression : SRO Kundig te trop souvent encore une sorte de corps aveugle que le spectateur l’action physique du danseur Tirage : 8’500 exemplaires Cette image mélange folie, liberté élections municipales avril 2011 peine à identifier, à reconnaître. Pour commencer, nous lançons une l’affecte dans sa propre expression. et mouvement, tout en étant très Et cette photo illustre totalement pour le Conseil administratif Prochaine parution : rigoureuse dans son exécution, mon propos. » de la Ville de Genève septembre 2011 nouvelle rubrique, « Histoires de corps », dans laquelle un danseur est avec une exactitude de direction et Ce journal est réalisé Gregory Batardon de forme. Ces quatre photos sur du papier recyclé. invité à s’exprimer sur trois mouvements de son choix. Et surtout, s’inscrivent aussi dans un Photo de couverture : espace-temps : elles ont été prises à Spider Galaxies de la Cie Gilles Jobin, nous consacrons notre dossier à sa reconversion professionnelle, plusieurs années d’intervalle à New Isabelle Rigat, Suzana Panadès Diaz, York, Paris, Caen et Perm en Russie. Louis-Clément da Costa et Martin une étape sensible mais essentielle lorsque la fin de sa carrière ap- C’est le ballet que j’ai préféré danser Roehrich. Photo : Gregory Batardon durant mes dernières années de L’ADC bénéficie du soutien de la Ville de proche. Car si le danseur suit jusqu’au bout sa vocation, son métier, Genève, de la République et canton de Genève et de la Loterie Romande. lui, s’achève souvent bien avant l’âge de la retraite. Anne Davier
4 / Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011 Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 5 Dossier Théâtre de Genève dès 2000. Il apprend vite, danse bien et est souvent choi- Marc Hwang, loin de la danse, près du corps On achève bien si comme soliste. L’aventure de la danse durera dix ans. Il vit ces années « Mats Ek m’a appris à exécuter un geste précis, simple, avec enthousiasme et énergie. C’est ce qui frappe chez ce jeune homme propre et puissant. » que l’on rencontre à la sortie des examens en sciences actuarielles – les les carrières statistiques qui évaluent les risques pour les assurances et fonds de pen- sion. « Du fait que j’ai commencé tard à danser, commente-t-il, j’ai toujours été conscient de la reconversion. Je savais que mes années dans la danse Elève de l’école pluridisciplinaire de Rosella Hightower, danseur chez Béjart, seraient comptées puisque je connaissais le monde hors de la scène. Ceux Quatre anciens danseurs témoignent chez Mats Ek, au Grand Théâtre de Genève, puis danseur indépendant, Marc qui commencent plus jeunes restent peut-être dans l’illusion que la danse Hwang quitte la scène il y a juste dix ans. Quand il raconte son parcours, est un monde qu’ils ne quitteront jamais. » il n’aime pas parler de reconversion, et lui préfère le mot continuité. Il dit Il aurait pu continuer au-delà de ses 33 ans, mais il voulait garder suffi- La carrière d’un danseur professionnel n’avoir jamais quitté la danse. Pour lui, passer de son statut d’interprète au samment d’énergie pour la suite, préférant partir au sommet plutôt qu’être massage traditionnel thaï, c’est encore de la danse. Impossible de rester remercié ; et puis, à cet âge-là, on supporte moins d’obéir. Jamais il n’a son- s’arrête souvent bien avant l’âge de avec Marc Hwang dans un registre socio-professionnel qui le mettrait en gé à rester dans la danse. Ni chorégraphe, ni pédagogue, il était interprète. la retraite. Que se passe-t-il lorsque le avant. Il cherche à développer une réflexion plus personnelle au détour de Il dit avoir de la chance, c’est l’excuse des clairvoyants qui travaillent sans danseur quitte la scène ? Quels laquelle se découvre une définition de la danse. compter et savent rester modestes. Il fait valider sa licence française pour nouveaux horizons s’ouvrent à lui ? L’enseignement de Mats Ek y est pour beaucoup. « Il m’a enseigné accéder au master de HEC à Lausanne et adresse son projet d’étude à l’as- Nous avons demandé à quatre anciens des choses essentielles qui me servent encore aujourd’hui dans ma sociation pour la Reconversion des Danseurs Professionnels. Il obtient une danseurs reconvertis leur témoignage. profession de masseur » explique-t-il. « La discipline de la danse qu’il bourse pour deux ans. Il n’en menait pas large aux premiers examens. Il sort Karine Grasset, de l’association m’a transmise tenait compte des enjeux de l’interprétation, de l’attitude parmi les meilleurs. L’habitude de la perfection qu’exige la danse ? La disci- juste en scène sur le plan mental. Il m’a appris comment exécuter un pline sans doute. La motivation, dit-il. « Je craignais de ne pas retrouver un romande pour la Reconversion des geste précis, simple, propre et puissant. Son enseignement m’a donné métier aussi enthousiasmant que la danse, de ne plus vivre l’émotion de la danseurs professionnels, souligne une base et un modèle à suivre, tels que le respect de l’humain dans sa scène. » A six mois de son master il cherche un stage avec une confiance les enjeux essentiels de cette étape différence, sa capacité d’écoute et d’observation. » joyeuse. Son cursus retient l’attention aux entretiens, on commente sa car- délicate. Notre dossier. Si Marc dit avoir appris au contact des autres danseurs les signes des rière et relève les qualités qu’elle requiert. « C’est vrai qu’un danseur est corps et une aisance à les interpréter, il dit aussi avoir appris à danser à obéissant, ce qui donne lieu parfois à une vision peu valorisante de soi. On travers les massages reçus durant ses années de scène. De fait, souli- peut aussi se sentir infantilisé dans les grandes compagnies. De ce fait, le gne-t-il, « on danse tout le temps, partout. » De la scène au cabinet de thé- danseur a un pouvoir sur son corps qu’il n’applique pas au corps social, fau- rapeute, Marc Hwang a gardé un lien organique avec la danse, puisqu’il y te de contacts. » est toujours question d’anatomie, d’espace, de dynamique et de relation. Difficile de lui demander sans sembler rabat-joie s’il est nostalgique… « En tant que danseur, j’ai travaillé des techniques qui font appel au poids Aucun regret dans sa réponse : « Le dernier spectacle ? C’était un mélange du corps (la gravité), au centrage et à l’énergie et aux étirements, ce qui de soulagement, d’émotion et d’excitation pour la suite. On se prépare au requiert un état de concentration permanent. Le masseur travaille sur ces dernier spectacle et le soir venu, on ne s’aperçoit plus que c’est le dernier. mêmes qualités puisqu’il poursuit également une succession de mouve- L’adieu, c’est surtout par rapport à ceux que l’on quitte. » HM ments dans le massage. » Marc Hwang ne voit qu’une différence, entre Bruno Roy dans le quartier des banques à Genève. Photo : David Wagnières son ancienne profession et l’actuelle : le corps n’est plus en spectacle, son but n’est plus artistique. Il y voit une similitude à travers la créativité. On demande à l’une et l’autre profession une intuition développée qui permette de décoder, de créer. S’il n’interprète plus aujourd’hui de parti- tions chorégraphiques, Marc Hwang dit essayer de décoder les signes des corps qu’il traite. Dix ans après son dernier spectacle avec la chorégraphe espagnole Olga Mesa, Marc Hwang a fait de sa connaissance pragmatique du corps son métier. Son discours, son attitude racontent les énergies sur lesquelles il travaille aujourd’hui pour traiter et qu’il utilisait dans son ancien métier de danseur. Il lui a fallu se former, bien sûr. Mais pas de changement de compé- tences, elles étaient là. Il a juste quitté quelques mètres carrés de scène et constaté que la danse le suivait. Hélène Mariéthoz Bruno Roy, mathématiques en tête « Je craignais de ne pas retrouver un métier aussi passion- nant que la danse. » Bruno Roy, c’est le modèle idéal de la reconversion. Dons, détermination, clairvoyance et travail lui ont permis à 21 ans de quitter l’école d’ingénieur pour la danse. Attendre le diplôme à 23 ans, c’était trop long. Mais tout abandonner sans avoir de débouché une fois sa carrière finie serait insen- sé. Il passe donc une licence en mathématiques et débute en même temps sa formation classique. Une formation chez Rosella Hightower. Bruno Roy étudie le jour et mon- te sur scène le soir, passe des auditions jusqu’au contrat qui le lie au Grand- Marc Hwang sur sa table de massage. Photo : David Wagnières
6 / Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011 Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 7 François Passard, la voie du routard teur ! » Il est en place depuis trois mois quand Hugues Gall le convoque et « Si un danseur réussit à mobiliser ce pour quoi il a été l’interpelle sur une question de budget. François veut lui répondre que ce danseur, il réussit sa reconversion. » n’est pas encore son métier, puis se ravise. La situation lui rappelle la tour- née avec Béjart en Amérique du Sud. A peine arrivé, une gastro-entérite se déclare, il doit être sur scène le soir, va se plaindre au chorégraphe et en- tend : « Si la maladie est plus forte que la danse, ce n’est pas ton métier. » A chaque tournant, François Passard dit avoir été accompagné. A chaque Au Grand Théâtre, il aura passé quatre ans en tant que danseur, sept tournant, il a montré une grande détermination. Adolescent, il étudie la comme adjoint du directeur et six comme codirecteur avant de devenir danse pour suivre sa copine. A 18 ans, il part pour Bruxelles et participe à chargé de communication pendant huit ans. Quand il quitte l’institution, il un concours pour un projet avec Béjart. Il est retenu. Son père et son pro- ne regarde pas derrière lui, utilise les réseaux pour chercher du travail ou fesseur de l’école d’ingénieurs lui disent que c’est formidable. De 1972 à de l’argent et faire fonctionner pendant plus d’une année la communauté 2009, il restera dans la danse. Il se souvient avec enthousiasme des an- d’Emmaüs et les 70 personnes qui en dépendent. Depuis le 1er mars, il réa- nées septante, des débuts de Jack Lang, du festival international de théâ- lise pour la Fondation d’Emmaüs des projets d’insertion individuelle. La dy- tre de Nancy, des Genevois qui vont y trouver une stimulation que la politi- namique est la même que lorsqu’il aidait les danseurs à réussir leur recon- que culturelle de Lise Girardin, alors Conseillère administrative de la Ville version. En 1989, le directeur lui avait demandé de licencier des danseurs en charge du Département de la culture, accompagne avec force bourses, de la compagnie. Depuis, il n’a jamais eu de cesse de trouver des solutions subventions et formations. Il crée des dossiers, monte des budgets, se pour chacun. « Si un danseur réussit à mobiliser ce pour quoi il a été dan- familiarise avec l’administration. En 1977, il entre au Ballet du XXe siècle, seur, il réussit sa reconversion », conclut-il. Dans la bouche de François Pas- puis passe deux ans à Cologne. Il apprend, rencontre des chorégraphes et sard, ce ne sont pas de vains mots. HM passe des auditions avec sa femme Kym. Oscar Araìz les engage au Grand Théâtre. « Les copains me disaient : tu dois nous représenter ! » Hugues Gall, le directeur général, le recevra chaque mois. Le danseur se penche sur la convention collective et commence, sur le tas, sa formation de délégué du personnel : défense des horaires continus, organisation de workshops, demande d’augmentation. Il n’obtiendra pas tout, mais on lui propose l’ad- ministration du théâtre. Il a 35 ans, il a mal à un genou. Lors d’une répétition, il tombe et se dit j’arrête. Factuel. Peu volontiers sentimental, François Passard esquive les émotions: « Payez-moi un stage à Boston et je deviens votre administra- François Passard dans les locaux de la Fondation des Compagnons d’Emmaüs. Photo : David Wagnières Alessandra Mattana dans le hall d’Uni Dufour à Genève. Photo : David Wagnières à la promotion et à l’administration. « Je ne sais pas si c’est comme ça pour tous les danseurs, mais j’ai toujours en tête ce que je ferai après », dit-elle Alessandra Mattana, comme pour s’excuser. Pédagogue en danse et en yoga, elle sait à 34 ans, danseuse et universitaire qu’elle ne poursuivra pas dans la danse, à moins que cela entre dans des « J’ai l’impression d’avoir l’expérience d’une femme de 80 projets d’intégration des communautés, objet du master qu’elle poursuit. « J’ai l’impression d’avoir l’expérience d’une femme de 80 ans : une car- ans. En même temps, au moment de choisir la suite de mon rière dans la danse, des voyages, des formations et une enfant. Mais au parcours, j’hésite comme une adolescente. » moment de choisir la suite de mon parcours, j’hésite comme une adoles- cente. » L’association pour la Reconversion des danseurs lui apporte depuis 2010 un sérieux soutien, notamment par son aide financière sous la forme Perfectionnisme ? Anxiété ? difficile de définir ce qui pousse Alessandra d’une bourses et un coaching qui lui a permis de valoriser ses expériences. Mattana à courir depuis toujours deux lièvres à la fois. Elle débute l’inter- Le plus difficile pour Alessandra, au moment de s’asseoir sur les bancs view à la pause d’une répétition et la poursuit entre deux cours à l’univer- d’école, c’est précisément de rester assise et de se concentrer sur la ma- sité. Les tournées avec la Cie Alias, elle les cale sur son programme de Bu- tière à apprendre. « Je pensais ne jamais pouvoir y arriver », se souvient-elle, siness Administration à Genève. L’ubiquité, les journées de 24 heures sont « Physiquement, l’immobilité m’était pénible et je me rendais compte que la norme chez cette danseuse brésilienne qui admet que « c’était plus facile pendant des années, mon apprentissage avait été intuitif et abstrait. Je de- au Brésil. Je dansais à l’Opéra de 9h à15h, puis allais à l’université de 18h vais me mettre dans un autre schéma de pensée. La danse demande beau- à 22h30». C’est à Belo Horizonte qu’elle passe sa licence en journalisme, coup et s’en détacher, c’est se détacher du corps… » pour se rassurer. Entre une répétition et un cours, Alessandra se donne encore le temps Lorsqu’elle entre dans la compagnie brésilienne Grupo Corpo, elle pro- de ne pas quitter la danse. Elle s’y sent chez elle, entière, mature. Pour elle fite des tournées pour étudier le français et l’anglais. En 2000, invitée en Eu- qui a toujours voyagé, le théâtre est une maison, une référence commune rope avec la compagnie, elle décide d’y rester : Volksoper de Vienne, puis le à tous les pays traversés. Petit à petit, elle s’en détachera et travaillera en DV8 Physical Theater de Londres sous la direction de Lloyd Newson avant coulisses, dit-elle, pour le compte d’organisations internationales. HM de s’établir à Genève comme danseuse indépendante, il y a cinq ans. Elle choisit ce statut pour alterner des mandats professionnels auprès d’organi- sations internationales, et la scène, pour la Cie Alias, où elle collabore aussi
8 / Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011 Dossier / Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 9 Karine Grasset est responsable de l’association romande Danser, pour la Reconversion des danseurs professionnels (RDP) depuis 2006. Avant cela, elle a été danseuse, en France d’abord puis dans la Compagnie lausannoise de Philippe Saire. et après ? Pour l’avoir vécu, la jeune femme sait combien la reconversion est une transition délicate dans la carrière d’un danseur, classique comme contemporain. Entretien. d’autres compétences que le danseur ; le glis- l’organisation, sont quelques-unes des quali- frais liés à la formation, et contribuent dans travaillons aussi pour impliquer les pouvoirs Que signifie pour un danseur quitter sement de la carrière de danseur à celle de tés propres aux danseurs et qui sont très va- certains cas au frais de subsistance pendant publics dans la prise en considération de la scène ? chorégraphe est loin d’être évident ! Mais en lorisées sur le marché du travail. la durée de la formation. Notre domaine de la reconversion du danseur comme faisant Le moment juste pour quitter la danse est vieillissant, la confrontation avec l’employabi- compétence concerne la gestion de carrière partie du parcours de l’artiste, au même ti- propre à chacun. Quand j’ai commencé à dan- lité sur le marché du travail, en tant que dan- Que faites-vous, concrètement, pour accom- et à ce titre, nous proposons aussi des cours tre que la formation initiale, la création et la ser, enfant, c’était instinctif et c’est progressi- seur, se pose forcément à un moment ou à un pagner cette phase de transition ? d’introduction à la vie professionnelle pour diffusion d’œuvres. La politique de soutien vement devenu absolu : la danse ou rien. Avec autre. Nous accompagnons les danseurs durant préparer les jeunes danseurs au fonctionne- à la danse sera complète et tout à fait cohé- mon premier engagement professionnel, à 23 leur transition professionnelle de l’instant où ment de cette profession. rente lorsqu’elle englobera ce dernier maillon ans, j’ai eu après le troisième jour de travail Quels sont les atouts des anciens danseurs ils commencent à y penser jusqu’au moment qu’est la reconversion ! Dans certains cas, en studio le sentiment d’avoir trouvé ma pla- sur le marché de l’emploi ? où ils entament leur nouvelle activité. Nous Quelles étapes traverse le danseur au nous pouvons aussi travailler avec les bour- ce dans le monde. Pendant toute ma carrière Ceux qui embrassent la carrière de danseur offrons par exemple des bilans de compé- moment de sa reconversion ? ses d’études cantonales et les allocations de danseuse, danser m’offrait la possibilité développent des compétences transféra- tences, nous aidons les danseurs à planifier C’est un processus complexe qui dure en- de formation, qui sont une prestation du d’aller chercher en moi des ressources pro- bles et parviennent à se maintenir dans cette et à définir leur nouveau projet professionnel. tre trois et cinq ans. A 35 ans, il s’agit pour le chômage permettant aux professionnels qui fondes pour trouver la densité que nécessite profession pendant de nombreuses années. Nous animons aussi des ateliers pour sensi- danseur de changer de vie. Il lui faut définir un exercent des métiers obsolètes de se former la présence scénique et pour nourrir l’inter- L’autonomie, la concentration, la discipline, la biliser les danseurs à la reconversion. Et puis nouveau projet et planifier le chemin à par- à nouveau, mais uniquement pour des CFC. prétation. La scène me donnait le sentiment détermination, la faculté de résistance aux surtout, nous attribuons des bourses d’étude courir ; trouver une formation adéquate ainsi Pour la danse, il pourrait être envisagé que la d’être intensément vivante, elle me reliait pressions extérieures, la maîtrise du stress, qui couvrent entièrement ou en partie les que son financement; suivre cette formation notion « obsolète » ne soit pas appliquée au aux racines de ma raison d’être ! En quittant qui peut durer entre plusieurs mois et quatre métier mais à l’exercice du métier. En ce sens, la danse, j’avais le sentiment que j’allais met- ans. Et enfin, trouver un emploi. Certaines de le mot obsolète serait entendu de manière Journal de l’adc : Pourquoi une association tre en sommeil cette partie essentielle et être ces étapes peuvent s’initier alors que le dan- différente. comme la vôtre existe-t-elle ? condamnée à vivre à la surface de moi-même. seur est encore en activité, ce qui permet un Karine Grasset : Selon les études menées Mais ce n’est pas un drame en soi. Cela m’a enchaînement fluide, de la dernière danse à la Quelques exemples de reconversion ? au niveau international, le profil d’une carrière aussi permis de développer d’autres choses, nouvelle formation. C’est le parcours idéal. Le Certains sont restés proches du domaine de danseur serait le suivant : dix ans de for- qui étaient en sommeil, et de grandir ailleurs. flottement, l’indécision, le temps qui file sans de compétences initial et du corps : profes- mation, quinze ans de carrière sur scène puis L’enjeu, c’est de s’investir dans un nouveau que rien de concret ne se passe rend plus dif- seur de danse, de Pilates, de yoga, ou alors la fin de carrière entre l’âge de trente et qua- projet. ficile cette transition de carrière . physiothérapeute, masseur, acupuncteur. rante ans. Philippe Braunschweig, fondateur D’autres s’en éloignent mais restent dans le du célèbre Prix de Lausanne, a mis sur pied L’usure du corps est-elle la seule raison qui Combien de danseurs suivez-vous ? milieu culturel. Ce sont les administrateurs l’Organisation Internationale pour la Recon- met fin à la carrière du danseur ? En 2010, nous avons attribué quatre bourses. de compagnies, les techniciens, les photo- version des danseurs, à laquelle s’est rapide- Elle existe, c’est certain. Certaines blessures Nous avions quatorze danseurs en cours de graphes, les programmateurs et tous ceux ment adjointe en 1993 notre antenne, la RDP. ou douleurs chroniques restreignent défi- formation dont douze boursiers de la RDP, et qui ont suivi un enseignement de gestion Sa vision d’alors était la suivante : le parcours nitivement l’amplitude de mouvement des un peu plus de vingt danseurs en processus culturelle. D’autres encore ont franchement d’un danseur commence par sa formation ini- danseurs, d’autres s’avèrent dangereuses de reconversion. Nous couvrons la Suisse bifurqué et sont devenus journaliste, décora- tiale et s’achève au moment de sa reconver- pour l’intégrité physique et n’autorisent pas romande, qui compte environ 200 danseurs teur, styliste, menuisier, restaurateur, juge… sion, cette dernière faisant partie intrinsèque le retour à la danse professionnelle. Mais ces professionnels, sur les 600 que dénombre la et même aiguilleur du ciel, bel exemple d’un du parcours professionnel du danseur. cas sont fort heureusement rares et d’autres Suisse, dont 400 indépendants soumis à l’in- danseur qui a su transférer l’une de ses com- motifs peuvent conduire le danseur à repen- termittence et 200 engagés dans des compa- pétences, la projection en trois dimensions C’est donc aux alentours de 35 ans que le ser sa carrière professionnelle. L’envie de se gnies institutionnelles comme le Béjart Ballet d’un corps dans l’espace ! danseur range ses chaussons, alors qu’il lui stabiliser et éventuellement de fonder une fa- Lausanne ou le Ballet du Grand Théâtre de Propos recueillis par Anne Davier reste encore trente ans d’activité profes- mille. La lassitude du nomadisme – je connais Genève. La reconversion est mieux ancrée sionnelle avant la retraite ? plusieurs danseurs qui voyagent tellement aujourd’hui dans les milieux de la danse clas- C’est une moyenne. Mais la précocité de la fin qu’ils n’ont même pas d’appartement. La pré- sique, mais depuis quelques années, les dan- de carrière du danseur démontre l’enjeu de la carité matérielle est également invoquée, tout seurs contemporains se sentent de plus en reconversion : si cet instant n’est pas anticipé comme la marginalité sociale. Pour certains, plus concernés, eux aussi. et accompagné, il peut être si brutal qu’il ris- il s’agit aussi de passer à autre chose, de se que de laisser l’ex-danseur dans la solitude lancer un nouveau défi. D’où proviennent vos ressources et le désarroi. Il n’est pas rare que d’anciens financières ? danseurs professionnels aient basculé de Cette fin de carrière prématurée est-elle Notre association a fait un bond en avant en la scène au chômage prolongé, ou à une si- inéluctable ? 2008. Cette année-là, la Fondation Fernando tuation plus dramatique encore, faute d’avoir La question se pose différemment pour un et Rose Invernis-Desarzens a souhaité finan- trouvé du soutien au moment de leur recon- danseur classique, qui termine sa carrière cer les bourses à hauteur de 120’000 francs version. Il s’agit là d’un gaspillage de talent re- généralement plus tôt, que pour un danseur par année, pendant trois ans. Pour compléter grettable qui, de plus, représente un coût non contemporain. Certains continuent de tra- ce soutien – qui s’est par ailleurs réduit de- négligeable. vailler bien après 35 ans. D’autres deviennent puis – et comme toutes les associations à chorégraphe, ce qui n’est pas sans difficulté but non lucratif, nous cherchons continuelle- non plus puisque le chorégraphe développe ment de nouveaux moyens financiers. Nous Autoportrait de Gregory Batardon, ancien danseur devenu photographe.
10 / A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 11 A l’affiche Spider Galaxies – du 6 au 17 avril D’avril à juin, Gilles Jobin a présenté Spider Galaxies en avant-première les spectacles lors des Journées de danse contemporaine suisse, début mars à la Dampfzentrale de Berne. Sylviane Dupuis, écrivain, présentés était dans la salle. par l’adc Son premier mot est : complexité. quotidien : la convocation devenue temps, il est issu à la fois (de son Quand il évoque le monde contem- possible à tout moment, en un clic propre aveu) de l’abstraction figura- porain, Gilles Jobin ne prétend ni le de souris, de l’illimité des données tive, du postmodernisme américain, juger, ni nous dire ce qu’il faut en du savoir, de la mémoire, de l’art des années soixante – et de l’âge penser. Il nous le montre. Il voudrait et du visible par des logiciels de d’Internet. Il dit qu’il sait de moins nous le faire éprouver. A nous d’en recherche de plus en plus perfor- en moins ce qu’il « veut dire », et tirer plus de conscience. mants, parcourant instantanément que l’âge avançant, il se demande Dans ses Spider Galaxies, radi- l’ensemble de la toile et zappant avant tout pourquoi il est encore là calisant sa démarche – mais aussi sans s’arrêter d’une source à l’autre quand d’autres ont disparu, à quoi son exigence envers les danseurs, (images du réel, textes, photos, do- sert de créer, pourquoi il conti- actifs en continu sur le plateau sans cumentaires, peinture, musique, nue. Il dit que le vivant lui apparaît jamais se répéter, il évacue toute sons, vidéos, clips, etc. – dont les comme de plus en plus complexe, forme, même esquissée, de narra- «danseurs iconographes » se sont et que ce qui l’intéresse c’est de tion : « cassant » à chaque instant nourris pour inventer). Ce qui a l’explorer avec précision, jusqu’à le fil des histoires que suggèrent pour conséquence de mettre radi- exténuation du souffle. brièvement au spectateur, de ma- calement en question (et peut-être, Et cela, aussi bien pour un pu- nière presque subliminale, tantôt un à terme, en péril, si l’on songe à la blic averti que pour tous ceux qui, geste, un son, un effet de lumière ou confusion schizophrénique et litté- étrangers à la danse, demandent une image saisie au vol, tantôt un ralement affolante de la mémoire et au sport ou à la performance de leur ou plusieurs points lumineux pro- du réel dans Spider de Cronenberg) offrir le même spectacle : celui de la jetés sur le corps des danseurs tel notre expérience de la réalité. concentration et de la précison ex- un jeu de particules. – Et cela, non Gilles Jobin avance depuis quinze trême du mouvement. pas du tout dans une perspective ans entre continuité organique et Sylviane Dupuis, écrivain déceptive, devenue lieu commun rupture, expérimentant toujours dans le domaine de la performance, plus loin un même processus de et qui consisterait à nous retirer, au recherche qui consiste à « convo- profit de la déconstruction du sens, quer la technologie pour créer une le plaisir ou le confort de reconnaî- nouvelle situation que la danse tre une histoire ou une référence ; doit investir » (François Frimat dans ni par provocation. Il en va de la lo- Qu’est-ce la danse contemporaine ?, gique même et de « l’idée » généra- 2010), en déployant sa galaxie de trice de cette nouvelle création. possibles à partir d’une idée, d’ins- Repères biographiques Car cette fois, le paradigme à tructions ou d’algorithmes de base Gilles Jobin suit une formation classique chez Rosella Hightower l’œuvre est l’irruption d’Internet, de qui fonctionnent comme un « géné- à Cannes, puis au Ballet Junior de Google et de Youtube dans notre rateur ». Fils de peintre, et fils de son Genève. En 1993, il est codirecteur du Théâtre de l’Usine à Genève. Il s’installe à Madrid en 1995 et crée trois soli : Bloody Mary (1995), Middle Suisse et Only You (1996). Spider Galaxies (2011) En 1997, rejoint à Londres la Chorégraphie : Gilles Jobin structure Artsadmin. Sa première Direction musicale : Cristian Vogel pièce de groupe, A+B=X (1997), Danse : Susana Panadès Diaz, est créée à l’Arsenic de Lausanne où Suzana Panadès Diaz et Louis-Clément da Costa. Photo : Gregory Batardon Isabelle Rigat, Louis-Clément il est artiste en résidence. Suivent da Costa, Martin Roehrich Braindance (1999), The Mœbius Musique :Carla Scaletti Strip (2001), Under Construction Atelier du spectateur et Cristian Vogel (2002), TWO-THOUSAND-AND- Vous aimez la danse ? Lumière : Daniel Demont THREE (2003) pour le Ballet du Vous souhaitez aiguiser votre regard Isabelle Rigat et Martin Roehrich. Photo : GB Costumes : Karine Vintache Grand Théâtre de Genève, Délicado sur ses créations ? Assistante chorégraphique : (2004) pour le Ballet Gulbenkian Echanger vos impressions vous Margaux Monetti de Lisbonne, Steak House (2005), semble naturel ? Double Deux (2006), Mœbius Kids Alors l’atelier du spectateur (2007), Text To Speech (2008), est fait pour vous ! Black Swan (2009). Animé par Philippe Guisgand Le chorégraphe est installé lors de la représentation à Genève depuis 2004. du jeudi 14 avril www.gillesjobin.com Réservations indispensables sur www.adc-geneve.ch Salle des Eaux-Vives (plus d’infos sur l’atelier du du 6 au 17 avril à 20h30 spectateur dans les brèves page 32). dimanche à 18h relâches lundi et mardi Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation du jeudi 7 avril. Réservations 022 320 06 06 et www.adc-geneve.ch
12 / A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 13 Repères biographiques Choisir le moment Myriam Gourfink a été artiste en de la morsure (2010) résidence à l’IRCAM en 2004-2005 Chorégraphie : Myriam Gourfink et au Fresnoy-studio national des Danse : Déborah Lary, Myriam arts contemporains en 2005-2006. Gourfink, Cindy Van Acker Elle est depuis janvier 2008 directrice Composition musicale : du Programme de recherche et Kasper Toeplitz de composition chorégraphiques Lumières : Séverine Rième (PRCC) à la Fondation Royaumont. Régie technique : Son œuvre s’inscrit dans une Zakariyya Cammoun collaboration étroite avec le Costumes : Kova compositeur Kasper Toeplitz Administration : Sophie Pulicani (Marine, Rare, Contraindre, Diffusion : Damien Valette L’Innommée, This is my house…). www.myriam-gourfink.com Salle des Eaux-Vives les 21 et 22 avril à 20h30 Dans le cadre du Festival Electron réservation 022 320 06 06 www.electronfestival.ch et www.adc-geneve.ch Cela commence, d’urgence, sous la nouveau se séparent. Cependant, L’appétit originel pression d’une puissante vague au les contours ne s’effacent pas, les Choisir le moment de la morsure se bord de son déferlement. Elles sont différences se marquent, les distan- tient au cœur, créateur, de la contra- Déborah Lary, Cindy Van Acker, Myriam Gourfink. Photos : L. Paillier trois pour accueillir, canaliser et faire ces sont maintenues. Les regards diction. Le spectateur assiste avec circuler cette sauvagerie. D’emblée des trois femmes ne se cherchent stupéfaction à une danse aussi re- et jusqu’au bout, leurs corps retien- pas, ni ne convergent ; chaque inter- tenue et élaborée qu’explosive et nent un débordement, demeurant prète déplace et transfère le poids primitive. Les danseuses poussent avec vigilance et ferveur au faîte de de son corps, mais aucune ne s’en une porte jusqu’ici précautionneu- cette délicieuse menace. défait pour le reporter sur une autre. sement maintenue fermée par la Quelque chose va arriver; le désir Choisir le moment de la morsure chorégraphe : elles s’aventurent sur touche à son acmé. Premier signe n’obéit pas à une pulsion fusionnelle. le terrain du contact, tentant, entre annonciateur de l’événement : la Loin d’un appel à l’assimilation, à la démarche exploratoire et disposi- chorégraphe a bouleversé sa topo- destruction des différences, la cu- tion accueillante, la rencontre du graphie habituelle. Les interprètes riosité pour l’autre se fait tentative corps de l’autre. Elles inventent une entrent sur le plateau et se placent, d’accès à ce qui le distingue. morsure qui renonce à déchiqueter, ne laissant entre leurs corps que Second signe annonciateur : les broyer et assimiler la chair étran- d’étroits interstices. Se regroupent- visages grands ouverts. Une dan- gère, pour en goûter plutôt les plus elles pour se protéger ? Cette proxi- seuse s’approche d’une autre, subtils effluves. A force de suspen- mité ne risque-t-elle pas de les em- s’avance, tend son cou, se laisse dre, et par là d’entretenir et d’inter- barrasser ? Dans le flux continu de gagner par les chaudes exhalai- roger l’appel mutuel des corps qui la musique et des mouvements, des sons du corps qu’elle va toucher. dansent, Myriam Gourfink en a dé- jeux d’ombres soudent les mem- Elle est mise en appétit. Comme une celé l’origine et un principe moteur : bres des trois danseuses, les agglo- béance venue des profondeurs re- le goût et l’appétit. Et indubitable- mèrent, générant des êtres hybrides monterait jusqu’au fond de la gorge. ment, c’est un événement. et éphémères, en perpétuelle trans- Les narines se dilatent, les lèvres se Paule Gioffredi formation, qui s’étirent finalement soulèvent et dévoilent les dents, les jusqu’à la disjonction. Les corps mâchoires s’écartent – le moment s’enchevêtrent, se confondent et de de la morsure est venu. Choisir le moment de la morsure — les 21 et 22 avril Pour cette dernière création Myriam Gourfink bouscule sa topographie habituelle. Une stupéfiante révélation du goût et de la voracité des corps qui dansent.
14 / A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 15 Eugénie Rebetez dans Gina Photos : Augustin Rebetez Gina revient– du 4 au 15 mai Après les représentations de la saison précédente qui ont connu un grand succès, la Salle des Eaux-Vives accueille à nouveau la jeune diva jurassienne Eugénie Rebetez. Cela fait un an que Gina sillonne la Gina fait rêver à tout âge Repères biographiques Suisse et l’Europe. Eugénie Rebe- Gina s’est sculptée au gré des Née à Genève en 1984, Eugénie grandit dans le Jura. Elle suit une tez, qui a créé ce personnage et l’in- nombreuses représentations. Ceux formation de danse-étude à Louvain- carne sur scène, ne se lasse pas de qui l’ont vue plusieurs fois la redé- la-Neuve (Belgique) puis à ArtEZ Arnhem en Hollande. Elle rentre la redécouvrir chaque soir de spec- couvrent. Les scènes ne changent en Suisse en 2008 et reçoit le Prix tacle… Nous non plus. pourtant pas, rodées durant les PREMIO, prix d’encouragement aux jeunes artistes. Elle joue dans Öper Gina est une jeune femme qui a faim. deux ans de préparation, mais l’exi- Öpis de Zimmermann & de Perrot. Faim de gloire, de vie, de reconnais- geante chorégraphe rectifie ici des Gina est sa première pièce, créée en 2010. www.eugenierebetez.com sance. Seule dans sa chambre, elle rythmes, là, des micromouvements s’imagine sur un podium devant un pour incarner au plus près l’ima- Gina (reprise) Concept, chorégraphie, textes public venu nombreux l’acclamer. ginaire du personnage face à son et interprétation : Eugénie Rebetez Elle est généreuse et infatigable public. Eugénie s’étonne : « A la fin Musique originale : quand elle exerce son corps à repré- d’une représentation, un vieux mon- Pascale Schaer et Eugénie Rebetez Création son : Pascale Schaer senter les rêves d’une jeune fille de sieur est venu m’embrasser et me Création lumières : province, tantôt glorieuse, tantôt dé- dire : ‘ vous avez représenté mes rê- Tina Bleuler et Patrick Rimann Styling : Franziska Born couragée. Dans sa jaquette à paillet- ves ’… Plusieurs petites filles m’ont tes, à la trompette ou affalée à terre, dit vouloir devenir danseuses après Salle des Eaux-Vives du 4 au 15 mai à 20h30 elle attendrit, transporte ou émeut. avoir vu Gina. » dimanche à 18h « J’ai créé un personnage à travers On peine à quitter ce one-woman- réservation 022 320 06 06 et www.adc-geneve.ch lequel je peux faire vivre mes rêves show, ces scénettes méticuleuse- dans le cadre et mes émotions. » Depuis l’âge de ment cousues sur le corps gour- du festival Extra 11 12 ans, Eugénie Rebetez travaille mand de la danseuse, ces situations son corps pour mettre ses rêves en qui évoquent Zouc et le music-hall. scène : à 15 ans elle quitte famille Eugénie Rebetez prépare déjà sa et Jura natal pour une formation en prochaine création, toujours sur le danse en Belgique puis en Hollan- fil de ses pensées profondes tein- de. De retour en Suisse en 2008, elle tées d’ironie. Elle y interrogera les joue dans Öper Öpis des Suisses états d’âme lorsque la gloire est là, Zimmermann & de Perrot, s’ins- l’adulation et l’immanquable décep- talle à Zurich et crée en parallèle tion. Pour autant, Eugénie garde sa première pièce et son premier la tête froide quand on lui parle de personnage, Gina. « J’adore jouer son succès. Elle ne se demande pas ce spectacle. J’apprends beaucoup si sa carrière de chorégraphe est durant cette heure seule sur scène. amorcée ; elle apprécie toujours de Dégustation de vins Parfois c’est difficile et déroutant. Le danser sur scène sans porter toute avant le spectacle : public me porte, m’accompagne. Un la responsabilité du spectacle. Elle Ushanga Elebe propose une dégustation de vins choisis en soir, à Paris – c’était pourtant la qua- rêve d’être l’interprète d’auteurs, fonction du spectacle d’Eugénie trième représentation – j’étais tota- cite Christoph Marthaler ou James Rebetez avant la représentation du jeudi 5 mai. Les curieux lement perdue. Le public était silen- Thierrée , « et probablement d’autres accomplissent leur premiers pas cieux, il observait. Cette expérience que je ne connais pas encore », puis vers l’œnologie et les amateurs confirmés partagent leur passion m’a montré à nouveau la fragilité de elle vous laisse pour aller travailler des bons vins. mon métier, mais aussi sa beauté. son corps et sa voix. Réservations indispensables Ce soir-là, j’étais très fragile mais j’ai Hélène Mariéthoz sur www.adc-geneve.ch (plus d’infos sur l’atelier du spectateur dans trouvé mon chemin sur scène. » les brèves page 32).
16 / A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 A l’affiche / Journal de l’adc / avril — juin 2011 / 17 Repères biographiques Pénombre (2011) Salle des Eaux-Vives Atelier du spectateur D’origine franco-espagnole, Rosalba Mise en scène, écriture, chorégraphie du 18 au 28 mai à 20h30, Vous aimez la danse ? Torres Guerrero est née en 1974 en et interprétation : dimanche à 18h, Vous souhaitez aiguiser votre regard Suisse et a commencé sa formation Rosalba Torres Guerrero relâches lundi et mardi sur ses créations ? de danseuse au Conservatoire Vidéo, illustration, performance live réservations 022 320 06 06 Echanger vos impressions vous de musique. Elle est l’interprète et coécriture : Lucas Racasse et www.adc-geneve.ch semble naturel ? entre autres de Bernardo Montet, Actrice vidéo : Uiko Watanabe Dans le cadre du festival Extra. Alors l’atelier du spectateur Dominique Dupuis, Dominique Dramaturgie : Hildegard De Vuyst est fait pour vous ! Bagouet, Philippe Découflé puis Costumes et sculptures textiles : Animé par Philippe Guisgand d'une douzaine de pièces d’Anne Sara Judice de Menezes lors de la représentation Teresa De Keersmaeker. Dès 2005, Scénographie et lumière : du jeudi 19 mai. elle rejoint Les Ballets C de la B avec Shizuka Hariu Réservations indispensables qui elle danse VSPRS, Pitié ! et Out Musique originale sur www.adc-geneve.ch of Context. Rosalba Torres Guerrero et ambiance sonore : Sam Serruys (plus d’infos sur l’atelier du présente ici, avec les Ballets C de la Technique : Bart Uyttersprot spectateur dans les brèves page 32). B, sa première pièce. Œil extérieur : Sara Jansen Responsable production : Iris Raspoet, Fien Ysebie Lucas Racasse et Rosalba Torres Guerrero Mercredi 3 février 2011, centre-ville Un désir de pièce au solo. De là est né le rôle de Uiko », de Gand. Les Ballets C de la B ac- Ce « désir embryonnaire » va dès lors précise Rosalba. En abordant les Pénombre – du 18 au 28 mai cueillent la résidence de création de entrer dans une longue gestation qualités du processus, Lucas de- Pénombre, un duo danse et vidéo que vient conforter une « maturité vient admiratif : « Elle aime la len- Rosalba Torres Guerrero, danseuse des Ballets C de la B et de imaginé par Rosalba Torres Guerre- artistique » récemment ressentie. teur, et la grande majorité du travail ro et Lucas Racasse. Les deux com- Rosalba décide de partager ces se situe dans ce registre avec une la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker, explore des territoires plices m’attendent à la porte, ciga- empreintes marquantes avec un vi- prédilection pour l’effleurement. rette à la main et sourire aux lèvres. déaste, ami de longue date, Lucas C’est aux antipodes de toute la ombrés dans Pénombre, une création très attendue cosignée avec Présentations rapides avant de Racasse. Mais les deux complices dureté de mon travail graphique. » s’abriter du froid glacial dans le préviennent : « Il y a un fantasme ini- Proximité, entremêlement, interpé- le vidéaste Lucas Racasse. Rencontre avec Philippe Guisgand. grand studio : un écran barre le mur tial de Rosalba au Japon, insiste Lu- nétration sont les maîtres mots de du fond, une structure blanche et cas, mais cette pièce n’est pas sur la création. Ils s’appliquent égale- mystérieuse s’étale sur le sol, pho- le Japon. Bien d’autres choses sont ment au rapport avec la scénogra- tos et dessins de silhouettes fémi- venues l’envelopper depuis. ». La phe architecte, la sculpteuse-cos- nines s’affichent sur les murs. pièce parle plutôt et surtout d’une tumière ou le musicien. « Il faut C’est à l’occasion d’une tournée femme et de son voyage dans un trouver comment peuvent respirer au Japon avec Rosas, la compagnie entre-monde, entre la vie et la mort, ensemble tous ces éléments et la d’Anne Teresa De Keersmaeker que la pénombre désigne. Cette manière dont ils se créent mutuel- dont elle fut durant huit années une zone mystérieuse, fantomatique, lement des espaces », ajoute le vi- des interprètes remarquées, qu’un immatérielle explique la présence déaste. déclic se produit en Rosalba Torres. de la vidéo : « Elle était le seul mé- Après deux ans de lente incuba- Assaillie par de fortes émotions au dium qui permettait de rendre tion et de rêveries nomades, on contact du pays, elle dresse « un ca- compte du déploiement de cette sent encore Pénombre en amont talogue d’impressions » qui cohabi- idée et de cohabiter avec le corps des choix définitifs et riche de nom- te avec le sentiment qu’un cycle se de la danseuse dans un véritable breux possibles. Un fantôme de termine auprès de la chorégraphe duo », explique le vidéaste. spectacle ? Non, tant je réalise, en flamande. La rencontre avec Alain quittant ces deux-là, combien la Platel et les trois pièces auxquelles Un rêve de dialogue pièce est déjà intensément vivante elle participe au sein des Ballets C Comment créer une véritable rela- dans les images de Lucas et le de la B sont alors déterminantes. La tion entre un corps vivant au plateau corps de Rosalba. danseuse confesse : « Il offrait un et une image en deux dimensions ? Philippe Guisgand autre espace créatif, davantage de « Il fallait créer un personnage vidéo responsabilité pour l’interprète. Il qui partage la scène avec la dan- me permettait de faire un pas de seuse, et il ne fallait pas que ce per- plus vers mes propres envies. ». sonnage soit moi sinon, on revenait Rosalba Torres Guerrero. Photo : Sara Menezes
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