Adaptation et résilience Favoriser la recherche de sens chez les personnes atteintes de sclérose en plaques - Érudit
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Document generated on 05/25/2020 8:20 p.m. Frontières Adaptation et résilience Favoriser la recherche de sens chez les personnes atteintes de sclérose en plaques Christiane Couture Résilience et deuil Article abstract Volume 22, Number 1-2, Fall–Spring 2009–2010 Coping with multiple sclerosis (MS) is a challenge that must be faced every day. Conceptualizing the coping process for people with multiple sclerosis (MS) URI: https://id.erudit.org/iderudit/045024ar based on bereavement theories provides for reflection that leads to possible DOI: https://doi.org/10.7202/045024ar interventions. The specific characteristics of coping with MS are described so as to establish a connection between the principal steps in the process, its derivatives and its impasses, which are defined as coping problems. According See table of contents to recent literature, meaning is a decisive factor in the case of successful coping and resilience. Studies tend to demonstrate that people with MS experience fewer coping problems when they manage to give meaning to their disease. As Publisher(s) a result, facilitating coping through a search for meaning is pertinent. A group activity is presented to illustrate such a rehabilitation intervention. Université du Québec à Montréal ISSN 1180-3479 (print) 1916-0976 (digital) Explore this journal Cite this article Couture, C. (2009). Adaptation et résilience : favoriser la recherche de sens chez les personnes atteintes de sclérose en plaques. Frontières, 22 (1-2), 27–34. https://doi.org/10.7202/045024ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2010 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
A r t i c l e s ADAPTATION Résumé S’adapter à la sclérose en plaques (SEP) constitue un défi renouvelé au quoti- dien. La conceptualisation du processus ET RÉSILIENCE d’adaptation pour les personnes atteintes de SEP à partir des théories sur le deuil permet une réflexion ouvrant sur des pistes d’intervention. Les caractéristiques spécifiques de l’adaptation à la SEP sont décrites pour faire le lien entre les prin- cipales étapes du processus, ses dérives Favoriser la recherche de sens et ses impasses qui sont définies comme chez les personnes atteintes de sclérose en plaques des troubles de l’adaptation. Selon la lit- térature récente, le sens est déterminant dans l’adaptation réussie et la résilience. Des études tendent à démontrer que les troubles d’adaptation chez les personnes atteintes de SEP sont moins fréquents lorsqu’elles parviennent à donner un sens à leur maladie. D’où la pertinence de faciliter l’adaptation par la recherche de sens. La présentation d’une activité de groupe illustre une telle intervention en réadaptation. Mots clés : sclérose en plaques – adaptation – deuil – recherche de sens – résilience. Abstract Christiane Couture, M.Ps., dans le système nerveux qui donnent des Coping with multiple sclerosis (MS) is a psychologue, Programme des maladies neurologiques symptômes différents selon leur localisa- challenge that must be faced every day. évolutives, Centre de réadaptation Lucie-Bruneau. tion. Les troubles visuels et urinaires sont Conceptualizing the coping process for people with multiple sclerosis (MS) based fréquents mais aussi les déficits moteurs, on bereavement theories provides for LA SCLÉROSE EN PLAQUES cérébelleux et sensitifs. La fatigue en est reflection that leads to possible inter- La sclérose en plaques (SEP) est la le symptôme le plus courant et parfois le ventions. The specific characteristics of maladie neurologique la plus fréquente plus handicapant (Société canadienne de coping with MS are described so as to chez les adultes qui frappe principale- sclérose en plaques, 2009). Une fatigue establish a connection between the prin- ment les gens âgés entre 15 et 40 ans. sévère est d’ailleurs rapportée par 52 % à cipal steps in the process, its derivatives Au Canada, sa prévalence est de 240 cas 93 % des personnes diagnostiquées (Boërio and its impasses, which are defined as et al., 2006). Les atteintes cognitives sont pour 100 000 habitants. De 13 000 à coping problems. According to recent présentes dans 40 % à 70 % des cas ; elles se literature, meaning is a decisive fac- 18 000 Québécoises et Québécois en sont atteints dans une proportion de plus de manifestent principalement par le ralentis- tor in the case of successful coping and resilience. Studies tend to demonstrate deux femmes pour un homme (Société sement du traitement de l’information, les that people with MS experience fewer canadienne de sclérose en plaques, 2009). problèmes de mémoire récente, autant ver- coping problems when they manage to Décrite initialement par Charcot en 1873, bale que visuelle, les atteintes des fonctions give meaning to their disease. As a result, il s’agit d’une maladie auto-immune qui exécutives et du traitement des données facilitating coping through a search for entrave la conduction nerveuse en détrui- visuospatiales (Diaz-Olavarrieta et al., meaning is pertinent. A group activity is sant la gaine de myéline entourant les nerfs 1999). La capacité d’attention, soutenue presented to illustrate such a rehabilita- et pouvant provoquer éventuellement une et divisée, est fragile (Rogers et Panegyres, tion intervention. 2007). Les capacités verbales sont géné- perte axonale. L’étiologie en est encore Keywords : multiple sclerosis – coping – mal comprise. L’évolution se fait par pous- ralement mieux préservées, q uoique bereavement – search for meaning – sées-rémissions ou peut prendre une forme le manque du mot soit fréquent, ce qui resilience. progressive. Le pronostic en est imprévi- peut conduire à une sous-évaluation des sible. L’inflammation laisse des cicatrices limitations cognitives. AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010 27 FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2
réaction graduelle à l’épreuve de réalité de FIGURE 1 la perte, perte d’objet interne, y compris une partie de soi. LE PROCESSUS D’ADAPTATION* S’adapter à la SEP, c’est faire face à la perte graduelle de son intégrité physique et parfois cognitive, de ses rôles sociaux. La © Tous droits réservés. Couture, Berthiaume, Trekker, 2005, 2008. SEP, comme d’autres conditions médicales, Vivre mieux 8 engendre une reconstruction identitaire 1 Choc chez la personne atteinte mais aussi chez Lâcher prise 7 ses proches (Saint-Charles, 1998 ; Lefebvre 2 Incrédulité et Levert, 2005). Il peut être intéressant Refus de noter que le présent modèle, construit Pardon 6 Réappropriation initialement pour les personnes atteintes Désorganisation de la vie de SEP, a été soumis à leurs proches et à Sens 5 Réorganisation des personnes atteintes de sclérose latérale 3 Émotions amyotrophique ou d’encéphalopathies qui Bilan 4 en ont aussi reconnu la pertinence pour eux. ÉTAPES DU PROCESSUS * Inspiré de Monbourquette (1983) ; Lemieux (2002) ; St-Germain (1996). D’ADAPTATION Selon les auteurs consultés, l’adaptation Chez les gens atteints de SEP, les Compte tenu des caractéristiques se fait en quatre phases (Lemieux, 2002), manifestations psychopathologiques sont reliées à la SEP, qu’en est-il des questions en huit étapes (Monbourquette, 1994 ; beaucoup plus fréquentes que dans la d’adaptation, de résilience et de deuil ? Le Saint-Germain, 1996) ou plus encore population en général. Il est entendu que présent texte propose quelques réponses (Tremblay, 2001 ; Lefebvre et Levert, certains symptômes de la SEP peuvent à ces questions d’un point de vue théo- 2005). Quoi qu’il en soit, tous s’entendent être confondus avec des signes de troubles rique et clinique. Le processus d’adapta- pour dire que, dans un premier temps, la de santé mentale comme la fatigue, les tion, dans sa compréhension empruntée personne refuse le changement et tente troubles cognitifs, les tremblements. Tout du deuil, sera d’abord présenté avant de le de retourner à l’état initial pour éviter de même, les psychoses et les troubles considérer dans ses caractéristiques liées la désorganisation que va entraîner la bipolaires sont deux fois plus fréquents que à une maladie évolutive. Les impasses de nouvelle situation. Mais la réalité de la dans la population en général, l’euphorie l’adaptation seront ensuite abordées : deuil perte s’impose et avec elle, la personne va est observable chez 9 à 13 %, la dépression compliqué et deuil pathologique. La rési- entreprendre de se réorganiser avant de se est présente chez environ 20 % et l’anxiété lience sera abordée sous l’angle de l’adap- recréer une nouvelle existence. chez plus de 15 % (Chwastiak et Ehde, tation réussie et de la recherche de sens 2007). Plusieurs auteurs comprennent avant d’appliquer ces concepts à la SEP. LA PHASE DE NÉGATION CONSTITUE UNE cette forte comorbidité comme une indi- Un exemple d’intervention clinique en réa- TENTATIVE DE REFUSER LA SOUFFRANCE cation endogène : la SEP elle-même, par daptation sera offert en terminant sur les QUI SE DISTINGUE EN DEUX TEMPS. ses lésions au système nerveux central, défis que présente le soutien aux personnes D’abord l’état de choc s’installe, qui est créerait aussi les manifestations psychia- atteintes de SEP et leurs proches. une défense psychologique pour ne pas triques (Beiske et al., 2008). Une autre s’effondrer. Cette réaction initiale d’hébé- hypothèse, psychosociale celle-là, met en L’ADAPTATION tude, une sorte d’engourdissement émotif, évidence la réaction aux stress multiples Conceptualisé à partir des théories sert à protéger la personne de l’ampleur engendrés par l’évolution de la maladie sur le deuil, le processus d’adaptation est du déséquilibre induit par le changement. pour comprendre les réactions émotives expliqué dans un modèle linéaire comme Puis l’incrédulité survient. Il s’agit (Goldman Consensus Group, 2005) et un enchaînement d’étapes. Comme aussi d’une stratégie active de négation même la survenue des poussées de SEP l’illustre la figure 1, au fil de l’expérience de la réalité qui se manifeste de différentes (Buljevac et al., 2003). clinique, le vocabulaire a été adapté à la façons (Pitzele, 2000). Sur un plan cogni- Vivre avec la sclérose en plaques (SEP) sensibilité et à la compréhension du phé- tif, par l’oubli de l’information, l’évitement constitue donc un défi renouvelé au quo- nomène tel qu’il est expérimenté par les des lieux et des circonstances rappelant tidien. Non seulement l’évolution de la personnes atteintes de SEP qui ont réagi, la perte, comme fuir la vue du fauteuil maladie est-elle imprévisible, les pertes parfois avec véhémence, en comparant roulant. Ou au contraire par le rappel multiples et l’état variable, encore faut-il leur expérience au discours théorique constant de ce qui a été perdu, l’étalage s’attendre à une succession de change- qui leur était présenté. Le deuil leur est de photos et autres objets qui rappellent le ments qui peuvent survenir à un rythme expliqué comme une réaction progressive « bon vieux temps », un discours répétitif qui dépasse les capacités d’adaptation. naturelle d’accommodation à une situa- sur cet âge d’or antérieur. Chez ceux qui Sans oublier que les proches sont aussi tion qui provoque une remise en question ne se permettent pas d’avoir d’émotions, affectés par la maladie. De plus, dans un de leur équilibre habituel. L’ampleur de la la négation se fait par la substitution, le contexte culturel où la performance et la réaction est en lien avec l’importance de remplacement rapide par un autre objet, réussite sont souvent des bases importantes ce qui est perdu. Les circonstances de la ou la banalisation des conséquences sur sa de l’identité, la maladie chronique, évolu- perte peuvent avoir une influence sur la vie. Mais nier la réalité ne la supprime pas tive de surcroît, constitue une épreuve à façon dont le deuil va se dérouler. Freud et elle finira par s’imposer d’elle-même. Et l’âge adulte. (1986) déjà considérait le deuil comme la alors surviendra la désorganisation. FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2 28 AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010
LA PHASE DE DÉSORGANISATION continuité et le plaisir associé. Le bilan accepter la réalité actuelle et la façon VIENT AVEC LA PRISE DE CONSCIENCE permet enfin de formuler de nouveaux dont elle s’est installée. Certains se GRADUELLE DE LA RÉALITÉ DE LA PERTE. objectifs, de reprendre le fil des activités rebiffent à cette idée, qui prend pour IL S’AGIT ESSENTIELLEMENT et des intérêts délaissés, d’en développer de eux la connotation de perdre espoir, D’UNE ÉTAPE ÉMOTIVE. nouveaux. Le risque ici est de jeter le bébé baisser les bras. « Accepter ? Jamais ! », Les émotions surgissent lors de la avec l’eau du bain. Pour ne pas renoncer disent-ils alors dans un élan amer. confrontation à la nouvelle réalité qui rend hâtivement à ses anciens centres d’intérêt, Mais tourner la page, renoncer à tout caducs les repères habituels. Elles peuvent la personne atteinte a besoin de procéder contrôler, n’est pas non plus approuver être de tout ordre, être changeantes et à un processus de résolution de problèmes (Comte-Sponville, 2006). varier en intensité. La confusion et la déso- au cours duquel l’équipe de réadaptation • Ultimement, la personne est disposée rientation, l’ambivalence sont fréquentes. propose des alternatives aux anciennes à « vivre mieux ». Dans le deuil, cette La sensation de perdre le contrôle peut façons de faire. À cette étape, la personne étape se nomme l’héritage. Elle est la survenir. La révolte est caractérisée par peut commencer à changer ses valeurs reprise de la continuité de l’histoire le « Pourquoi moi ? ». Elle indique que la et ses priorités, expérimenter les adapta- et de l’identité personnelles, la projec- personne commence à se mobiliser. La tions proposées, appliquer les principes tion dans l’avenir. On y est si on peut négociation et le marchandage constituent d’économie d’énergie enseignés. répondre à la question : Que vais-je faire des tentatives de s’en tirer avec moins de La recherche de sens est une étape du reste de ma vie avec les capacités contraintes (Keirse, 2000). cruciale de l’adaptation. Trouver un sens que j’ai développées, avec cette nouvelle Il convient de se rappeler que l’émotion à la perte, c’est répondre aux questions personne que je suis devenue ? est liée à l’énergie. L’exprimer, comme s’en suivantes : Comment la maladie s’inscrit- Le deuil est considéré résolu s’il est couper, nolise une partie de nos ressources elle dans mon histoire de vie ? Qu’est-ce envisagé avec un minimum d’émotions et cognitives comme en témoigne une étude que j’ai appris ? Qu’est-ce que j’ai changé ? est devenu une occasion de croissance. mettant en évidence des déficits mnésiques Qu’est-ce que je comprends mieux ? À ce stade, la personne assume la mala- lorsque l’émotion est sollicitée (Bonanno Quelles sont les ressources que j’ai déve- die, son attitude en est une active autant et al., 2004). L’émotion doit être ressentie, loppées ? Comment ma vision des choses que réaliste. La complétude du processus acceptée comme sienne. D’abord se donner a-t-elle changé ? Quelle connaissance de d’adaptation sonne l’heure de célébrer le le droit d’être émotif, pour ensuite choisir moi ai-je acquise ? Il convient de voir aussi changement et de l’approfondir. Quelle de l’exprimer ou non, et enfin décider sur les deuils secondaires, c’est-à-dire consi- cérémonie symbolique peut en consacrer quelle modalité le faire. Il semble que la dérer les conséquences de la perte sur le le passage ? Peu de rituels existent pour flexibilité entre exprimer ou contenir soit reste de la vie et profiter de l’occasion pour soutenir sa conclusion. D’ailleurs, dans un meilleur gage de résolution du deuil régler les deuils anciens qui refont surface. une culture où le déni de la mort est la que le partage comme tel (Bonanno et al., Pour certains auteurs, le deuil peut être norme et, avec lui, le rejet de la faiblesse 2004). L’expression d’émotions, lorsqu’elle considéré achevé avec la découverte du et de la vulnérabilité, la personne qui ne est consentie, peut se faire en trouvant sens. Un deuil complété permet un retour peut guérir dérange. Elle porte la honte de quelqu’un avec qui les partager, en les de l’énergie et de la créativité, une ouverture ne pouvoir triompher de ses limites. « Si je transformant en une activité artistique1, au monde. Les prochaines étapes relèvent veux, je peux », dit l’adage. Si je ne peux en prenant soin de soi. d’une démarche spirituelle en trois temps. pas, je ne vaux rien ? Et je suis condamnée Ultimement, le sentiment de la perte, à la perte d’estime de soi et à la dépres- la tristesse, met en contact avec l’ampleur LA PHASE DE RÉAPPROPRIATION DE sion (Atchley, 1982) ? L’anthropologue de la perte. La pleine conscience permet LA VIE EST ASSOCIÉE AU FAIT DE REFAIRE Michel Desjardins (2002) a mis en évi- la reconnaissance des conséquences. La LA CONTINUITÉ DE SON EXISTENCE dence la mise en marge sociale subtile peine profonde qui s’ensuit, sans désor- ET DE RÉAPPRENDRE À AIMER LA VIE. des personnes souffrant de déficiences ganisation et sans honte, peut nécessiter Lefebvre et Levert (2005) nomment intellectuelles dans notre culture. Les per- un repli sur soi permettant de passer aux cette étape ultime, la transformation. Elles sonnes qui ont des limitations physiques ne étapes suivantes. La perte d’intérêt pour l’illustrent par un processus circulaire trouvent pas non plus nécessairement leur le monde extérieur est normale à ce stade en forme de spirale qui rend bien l’effet place dans la société de consommation et (Tremblay, 2001). En cela, le deuil res- dynamique et récurrent de l’adaptation. de vitesse où l’on cultive l’espoir de vivre semble à la dépression, la perte d’estime • Pardonner signifie la fin de la culpabilité « sans vieillir »2�. Au contraire, philosophe, de soi en moins (Freud, 1986). et du blâme. D’une part, développer de lui-même atteint de paralysie cérébrale, l’indulgence pour la personne imparfaite Jollien (2002), citant Valéry, clame « je LA PHASE DE RÉORGANISATION que je suis, se pardonner à soi d’être vaux ce que je veux » et fait de son combat PERMET DE S’ADAPTER À SON NOUVEL malade, cesser de se considérer comme au quotidien avec sa condition assumée, ENVIRONNEMENT EN DEUX DÉMARCHES un fardeau ou de chercher ce qu’on a « le métier d’homme ». COGNITIVES, CELLES DU BILAN bien pu faire pour mériter un pareil sort, ET DE LA RECHERCHE DE SENS. renoncer à croire qu’on gâche la vie des CARACTÉRISTIQUES DU DEUIL Le bilan consiste à faire l’inventaire ; autres ou qu’on leur impose une réa- LIÉES À UNE MALADIE ÉVOLUTIVE voir ce qu’on perd, ce qu’on gagne. Cette lité qu’ils ne veulent pas. D’autre part, La sclérose en plaques présente des étape permet de faire le point, de clore il s’agit aussi de pardonner aux autres caractéristiques spécifiques qui influent ce qui doit l’être, de reconnaître ce qui d’être en santé, de continuer leur vie en sur le processus d’adaptation. ne sera plus, d’exprimer du regret sans dehors de nous. Pour le détail de cette Soulagement. Le diagnostic peut ame- la détresse, d’envisager les risques et étape, voir les douze étapes du pardon ner un soulagement au lieu du choc initial les contraintes inhérents aux choix de dans Monbourquette (2007). parce qu’il est la confirmation pour eux vie. Kalb (2004) souligne la pertinence • Lâcher prise équivaut à cesser de se et pour l’entourage que quelque chose ne de repérer aussi ce qui reste intact (MS battre pour l’inaccessible, se sentir prêt va pas, enfin un savoir concret après tant free zone) où perdurent l’accalmie de la à abandonner l’ancienne image de soi, d’incertitude, la fin du doute sur la santé AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010 29 FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2
mentale, l’arrêt de l’angoisse associée à qui nous aiment, ceux qui nous aident »�, LES IMPASSES DE L’ADAPTATION : des symptômes inexpliqués (Pitzele, 2000). sont aussi en deuil (Pitzele, 2000 ; Lefebvre LE DEUIL COMPLIQUÉ Déni. La SEP favorise le déni en phase et Levert, 2005). Le deuil compliqué peut prendre dif- de rémission. Pourquoi faire un deuil Espoir. Il convient de distinguer la férentes formes : deuil absent ou retardé, quand on peut récupérer ? nature de l’espoir qui alimente la moti- deuil intensifié, deuil inachevé. Le deuil Imprévisibilité. Comment prévoir à vation et la projection vers l’avenir, por- compliqué mime en l’accentuant les étapes quoi s’adapter quand il n’y a aucune certi- tée par les progrès de la recherche par du processus d’adaptation normale. Pour tude, ni sur la symptomatologie, ni sur le exemple, de la pensée magique, qui relève se rétablir, il peut faire l’objet d’un sou- rythme d’évolution, ni sur l’efficacité des plus du déni, générant des attentes irréa- tien de type communautaire : proche traitements ? listes et empêchant de s’investir dans l’ac- ayant une bonne capacité d’écoute, groupe Spécificité de chaque perte. Chaque tion concrète au présent (Hétu, 1989). d’entraide, etc. perte engendre son propre processus et L’espoir fait vivre mais sur la corde raide Le deuil peut être absent ou retardé. Il se dépend de la valeur subjective de ce qui a (Valéry), car le corollaire de l’espoir est la manifeste alors par l’indifférence, c’est-à- été perdu. Par exemple, le petit doigt de la peur (Comte-Sponville, 2006). dire un détachement inapproprié dans sa main gauche pour un pianiste. Ces caractéristiques de l’adaptation à la durée ou son ampleur. L’angoisse en est un Multiplicité. Trop d’adaptations pour SEP justifient souvent que les capacités et signal. Le déni est une forme active de fuite une même personne, ou à un rythme ressources personnelles soient submergées par la prise de risques indus et le recours trop rapide, peut surcharger la capacité par l’ampleur de la demande d’adaptation à la pensée magique qui vont provoquer d’adaptation. Voir aussi l’accumulation et engendrent des réactions pathologiques l’effondrement du mécanisme (Lacroix et possible par effet domino : perte fonc- qui nécessiteront une intervention profes- Assal, 1998). Certains auteurs soulignent tionnelle qui résulte en perte d’emploi sionnelle en santé mentale. Les troubles de que l’absence de détresse peut être le fait de qui signifie perte de revenu qui entraînera l’adaptation peuvent se décliner en deuil gens plus pragmatiques qui résolvent leur la vente de la maison et, qui sait, l’échec compliqué et en deuil pathologique, ce deuil sans débordement émotif sans que ce du couple… dernier rejoignant les troubles de santé soit pathologique pour autant (Wortman Douleur et fatigue. Faire son deuil mentale. et Silver, 1989). prend de l’énergie, comme en témoigne Le deuil compliqué est caractérisé par Au contraire, le deuil peut être intensi- l’expression « travail du deuil ». Comment une perturbation du travail de deuil qui fié et envahissant. Les émotions prennent faire quand on en manque justement ne s’engage pas ou qui ne parvient pas alors des proportions et des colorations qui à cause de la fatigue neurologique ? La à son terme. Le deuil pathologique est enveniment le quotidien. Une gamme de douleur gruge aussi. caractérisé par la survenue de troubles réactions allant de l’angoisse au désespoir Capacité de résolution de problèmes psychiatriques durant la période du deuil en passant par la culpabilité et la dévalo- et troubles cognitifs. S’adapter, c’est aussi (de Montigny, 2002). Il est parfois néces- risation va entacher l’image et l’estime de concrètement régler des problèmes, les saire d’obtenir de l’aide professionnelle soi. Il peut alors être utile de revisiter l’his- uns après les autres. Or, pour une certaine pour distinguer le normal du patholo- toire des deuils anciens pour comprendre proportion de la clientèle, la SEP limite gique. Comme contribution originale, la l’ampleur de la réaction actuelle. l’efficacité cognitive. figure 2 illustre par une courbe parallèle Le deuil peut rester inachevé et se tra- Les proches des personnes atteintes comment la psychopathologie peut être duire par la résignation qui est une forme ont leur propre processus d’adaptation à conçue comme un trouble de l’adaptation, de soumission conduisant à la rumina- faire, à leur rythme. Les familles, « ceux l’exacerbation d’un processus normal. tion, à l’amertume et à l’apitoiement. La personne malade se retire socialement et devient dépendante, jamais loin du désespoir. La résignation signifie qu’elle FIGURE 2 subit dès lors sa maladie comme un destin LE PROCESSUS D’ADAPTATION1 inexorable, s’en remettant entièrement aux ET SES IMPASSES2 soignants ou à son entourage (Lacroix et Assal, 1998). Événement LES IMPASSES SÉVÈRES Vivre mieux 8 DE L’ADAPTATION : 1 Choc © Tous droits réservés. Couture, Berthiaume, Trekker, 2005, 2008. Indifférence LE DEUIL PATHOLOGIQUE Lâcher prise 7 Toxicomanie Le deuil est dit pathologique s’il 2 Incrédulité engendre des troubles de santé mentale REFUS Déni Pardon 6 RÉAPPROPRIATION pouvant nécessiter une intervention pro- DÉSORGANISATION DE LA VIE fessionnelle. L’évaluation et le diagnostic Angoisse Sens 5 RÉORGANISATION différentiel sont complexes, étant donné les recoupements entre les symptômes Troubles 3 Émotions typiques de la SEP et ceux attribuables anxieux Bilan 4 à la psychopathologie comme l’illustre la Troubles figure 3. de l’humeur Résignation TOXICOMANIE Désespoir L’abus de substances, que ce soit de l’al- cool, de la drogue, des médicaments ou 1. Inspiré de Monbourquette (1983) ; Lemieux (2002) ; St-Germain (1996). des activités compulsives comme le jeu, 2. Inspiré de Lacroix et Assal (1998) ; De Montigny (2002). l’internet ou la sexualité servent à entretenir FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2 30 AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010
l’autonomie, capacité de faire la différence FIGURE 3 ente le rêve et la réalité. Or pour cet auteur et pour d’autres (Mikulincer et Shaver, RECOUPEMENT DE LA SYMPTOMATOLOGIE SEP 2007), la capacité réflexive, la mentalisa- ET DE LA PSYCHOPATHOLOGIE ASSOCIÉE tion, s’acquiert au sein d’un attachement sécure, qui permet d’intégrer un regard positif sur soi et sur la vie, pouvant être Anxiété développé précocement ou acquis par un panique, cheminement thérapeutique. Pour d’autres généralisée, auteurs, et sans que ce soit nécessairement TOC trouble Dépression antithétique avec la vision précédente, la bipolaire résilience est le résultat d’un processus dynamique qui conduit à une adaptation douleur fatigue positive malgré l’adversité (Luthar et al., 2000). Il peut s’agir de « la rencontre d’une atteintes : personne signifiante […] qui transfigure la lenteur visuelles souffrance… et fait germer le désir de s’en inertie Sclérose sensitives sortir » (Cyrulnik, 2004, p. 225). Que ce indécision en plaques motrices soit le fait de dispositions antérieures ou irritabilité urinaires d’une rencontre significative, la question de donner un sens positif à l’expérience impulsivité paraît centrale pour comprendre la capa- rigidité © Tous droits réservés. Couture, 2008. euphorie cité de résilience. Le détachement, le deuil, désinhibition manque d’empathie se ferait à l’aune de l’attachement ? Psychose pauvre sociabilité perfectionnisme LA RECHERCHE DE SENS La question du sens est aussi déter- minante dans la résolution du deuil Personnalité (Neimeyer, 2000). Il semble qu’elle le soit de même dans l’adaptation à la maladie. Déjà, en 1987, le Dr Burnfield, un psy- chiatre atteint de SEP, soulignait l’impor- un écran pour éviter de faire face à la réa- Consensus Group, 2005). Dans un échan- tance de donner un sens à une expérience lité. Ce faisant, il est courant que la per- tillon fréquentant une clinique spécialisée aussi absurde que la maladie pour en faire sonne s’enfonce davantage. Entre autres, de SEP, 79 % en présentent certains signes une occasion de croissance personnelle. l’alcoolisme est associé à plus de dépression (Diaz-Olavarrieta et al., 1999). Le risque Il faisait référence à Frankl, un autre psy- et d’anxiété et augmente le risque suici- suicidaire est augmenté du double chez les chiatre ayant traversé l’adversité des camps daire (Goldman Consensus Group, 2005 ; gens atteints de SEP et explique 15 % des de concentration et qui y a survécu en se Korostil et Feinstein, 2007). Par ailleurs, le décès des patients fréquentant une clinique donnant la mission de témoigner de son recours à la marijuana pour contrôler les spécialisée (Turner et al., 2006). expérience. La logothérapie qu’il a créée spasmes, l’ataxie et la douleur est invoqué Comment concevoir la résilience dans est expliquée dans plusieurs ouvrages chez une minorité de personnes atteintes de un tel contexte ? phares (Frankl, 1985 [1959], 1970, 1973, SEP, généralement plus jeunes. La comor- 1993). Frankl estime que la quête de sens bidité psychiatrique est alors fréquente et le LA RÉSILIENCE se fait à travers la conscience que l’homme ralentissement du traitement de l’informa- La résilience est un concept qui a gagné développe de sa liberté face à ses condi- tion, accentué (Ghaffar et Feinstein, 2008). en popularité depuis les années 1970. Il fait tionnements, en tenant compte de ses référence à « la capacité à réussir à vivre et responsabilités. Pour lui, le bonheur ne TROUBLES ANXIEUX à se développer positivement de manière constitue pas une fin en soi mais passe par L’anxiété est diagnostiquée chez plus socialement acceptable en dépit du stress la recherche d’une raison d’être heureux, du tiers des personnes atteintes de SEP ou d’une adversité qui comporte normale- à partir de laquelle le bonheur survient de au cours de leur existence, qu’elle prenne ment le risque grave d’une issue négative » soi. Le but de l’existence est de se réaliser, une forme panique ou généralisée ou celle (Cyrulnik, 2002, p. 8). Les recherches sur se dépasser, en se mettant au service d’une d’un trouble obsessionnel-compulsif. Les la résilience se sont jusqu’à présent plus mission. Le sens ne peut être donné, il préoccupations sont souvent liées aux souvent intéressées à la perspective déve- s’agirait alors de moralisation, il doit plu- symptômes, l’incontinence par exemple, loppementale et aux enfants soumis à des tôt être découvert. Frankl explique que la et à l’évolution de la maladie, comme la conditions de vie difficiles (Luthar et al., volonté de signification revient apparem- peur de finir en fauteuil roulant ou dans 2000). ment à la saisie d’une « forme » au sens un centre d’hébergement. L’anxiété peut Selon certains auteurs, la résilience est de la théorie de la gestalt. La souffrance donc générer des scénarii du pire et engen- le fait de caractéristiques personnelles spé- devient donc une occasion parmi d’autres drer des comportements d’évitement qui cifiques comme la régulation émotionnelle de régler un problème existentiel inhérent conduiront à l’isolement social. et la capacité d’attachement, l’intelligence, à la condition humaine. l’optimisme, l’altruisme, etc. (Charney, TROUBLES DE L’HUMEUR 2004). Dans le même sens, Fonagy (2004) SENS ET RÉSILIENCE DANS LA SEP La dépression est fréquente chez les gens pose quelques marqueurs de la résilience : Des études récentes (Pakenham, 2007, atteints de SEP. Au moins 50 % en seront cohérence, capacité réflexive, recherche 2008) viennent étayer cette théorisation du affectés au cours de leur vie (Goldman efficace de soutien, sens de l’identité et de processus d’adaptation et de la résilience AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010 31 FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2
pour la SEP. Parmi un échantillon de près SENS, RÉSILIENCE Les recherches se font encore rares qui de quatre cents personnes atteintes et de ET RÉADAPTATION EN SEP vérifient comment la résilience s’inscrit plus de deux cents proches soignants, 53 % La résilience rejoint la perspective du dans la vie de tous les jours des personnes ne peuvent trouver un sens à leur maladie. deuil résolu. Car l’adaptation est pos- handicapées par la SEP. Les données Chez les autres, une analyse factorielle per- sible pour un peu plus du quart (28 %) récentes vont dans le sens d’une amélio- met de faire émerger six façons principales d’un échantillon qui ne présente aucune ration des capacités ou à tout le moins de de donner un sens qui ensemble expliquent manifestation psychopathologique malgré la qualité de vie des participants à un pro- un peu plus de 55 % de la variance : don- l’avancée de la maladie et près de la moitié gramme de réadaptation. Dans la logique ner un nouveau sens à sa vie (24,77 %), qui évitera la dépression au cours de son d’une condition évolutive ayant des impli- considérer la perspective spirituelle existence (Joffe et al., 1987). Cette propor- cations dans toutes les sphères de la vie, (9,09 %), faire des attributions causales tion semble correspondre aux données de l’intervention se doit d’être multidiscipli- (6,5 %), changer ses valeurs et ses priori- Pakenham (Pakenham, 2007, 2008) pour naire et concertée (Khan, Pallant et al., tés (6,44 %), accepter (4,78 %) et invoquer ceux qui trouvent un sens positif à la SEP. 2008 ; Khan, Turner-Stokes et al., 2008). le hasard (4,06 %). Parmi les 44 % qui ont Alors même que Meyer et Eckert (2002) Comment vivre avec la SEP et mainte- trouvé un sens, la dépression était moins croient le « deuil impossible », il semble nir une qualité de vie ? Le programme des présente et la satisfaction de vie plus grande donc que plus du tiers soit capable de rési- maladies évolutives au Centre de réadap- chez les personnes qui avaient profité de lience face à l’adversité et parvienne à faire tation Lucie-Bruneau (CRLB) travaille en la maladie pour redéfinir l’orientation de de la maladie « un moyen pour acquérir de ce sens. Une approche interdisciplinaire leur existence ou qui l’avaient acceptée. À la maturité » (Burnfield, 1987). Au plan soutient la recherche d’un nouvel équilibre l’inverse, la dépression était importante et comportemental, il a été établi que la façon entre la personne atteinte et son environ- l’état d’esprit positif faible chez celles qui de faire face aux changements de vie sera nement. Les aménagements physiques et n’y voyaient que l’effet du hasard. Les gens associée à plus ou moins de dépression ; fonctionnels font l’objet d’interventions qui avaient changé leurs valeurs étaient la fuite et l’évitement émotif seront moins spécifiques en lien avec une démarche anxieux, souvent en début de maladie, efficaces que la résolution de problèmes psychosociale où le bien-être psycholo- ce qui apparaissait à l’auteur comme une par exemple (Goldman Consensus Group, gique, la gestion d’énergie et le soutien des étape intermédiaire du processus d’adap- 2005 ; Wallin et al., 2006). Et comme les proches sont concomitants. tation. À noter que l’autonomie fonction- manifestations psychiatriques diminuent L’activité de groupe est privilégiée, et nelle constituait la variable qui prédisait le avec le temps, les chercheurs y voient l’in- ce, dès l’accueil dans le programme. Car mieux l’adaptation ; plus grande elle était, dice du développement de stratégies effi- les échanges entre pairs permettent l’en- plus les gens étaient satisfaits de leur vie. caces avec l’avancée de la maladie (Beiske traide, brisent l’isolement, normalisent Donc moins ils étaient affectés physique- et al., 2008). les diverses réactions en multipliant les ment par la maladie, plus ils parvenaient à L’altruisme, la réciprocité et l’habileté à exemples de façons de composer avec la donner un sens positif au fait d’avoir la SEP. attirer et à utiliser le soutien social sont des maladie, offrant ainsi des points de vue Dans le même ordre d’idées, une autre caractéristiques de la résilience (Charney, alternatifs qui ouvrent des horizons. étude établit un lien entre la dépression, 2004). L’altruisme et l’empathie sont aussi Apprendre à demander et accepter de l’affect positif, l’optimisme et la capacité considérés comme des marqueurs de la l’aide, à reconnaître et à respecter ses de trouver des avantages à la SEP (Hart compétence sociale. Or, certaines études propres besoins mais aussi ceux de ses et al., 2008). Une thérapie téléphonique mettent en évidence des traits de person- proches sont d’autres avenues explorées d’une durée de seize semaines, selon deux nalité qui peuvent expliquer l’insatisfac- par le programme des maladies évolutives modalités thérapeutiques, cognitive et tion chronique qui caractérise certaines du CRLB tout au long du séjour en réadap- existentielle, permet d’observer des corré- personnes atteintes de SEP et leur isole- tation. Ultimement le programme permet lations dans la fluctuation de ces variables. ment social. Entre autres, la réduction de à la personne atteinte non pas d’accepter Peu importe la forme de thérapie, l’allége- l’empathie et la perte de la sociabilité sont la maladie mais de s’accepter avec la mala- ment de la dépression est associé à un plus de ceux-là. Le perfectionnisme fait aussi die. Les proches sont aussi intégrés à la grand optimisme et à un élargissement de la partie du tableau (Benedict et al., 2001 ; démarche. Car ils ont aussi à se redéfinir réponse teintée d’affect positif. Les auteurs Merkelbach et al., 2003). face aux contraintes de la SEP et donc à considèrent ces facteurs comme des média- Charney (2004) identifie certains cir- entreprendre un processus d’adaptation teurs aidant à entrevoir des bénéfices à leur cuits neuronaux comme vecteur important parallèle à celui de la personne atteinte expérience. Le modèle mathématique ne de la régulation émotionnelle et de la capa- de SEP. permet cependant pas d’établir une chrono- cité de résolution de problèmes de haut logie et encore moins une causalité entre les niveau qui permettraient de s’extraire des VIVRE EN DÉSÉQUILIBRE variables ; elles apparaissent somme toute réponses automatiques en attribuant une L’activité « Vivre en déséquilibre » comme des vases communicants. Hart et signification aux stimuli environnemen- s’inscrit dans ce contexte et amorce la ses collaborateurs estiment que l’améliora- taux. Or, le défaut de conscience et l’extra- démarche de réadaptation. Elle vise la tion de l’humeur et de l’attitude est une voie version sont associés à l’atrophie cérébrale normalisation de la réponse d’adaptation vers la résilience. Ils soulignent toutefois et pourraient expliquer certains change- et la gestion du stress. À travers la réflexion qu’ils ignorent si le changement d’attitude ments de personnalité observables chez autour de l’adaptation, les participants, au se traduit concrètement dans la vie quoti- les personnes atteintes de SEP (Benedict nombre de 5 à 12, vont mieux comprendre dienne ou s’il ne demeure qu’une vision de et al., 2008). Il y a lieu de se demander si et accepter leurs réactions à la maladie l’esprit pour ceux qui le rapportent. les atteintes cognitives associées à la SEP et celles de leurs proches. L’acquisition Qu’est-ce qui distingue ceux qui par- viennent entraver l’adaptation en affec- d’informations pertinentes, l’autoéva- viennent à une adaptation créative de ceux tant la base neuronale de la coopération luation et les échanges entre pairs sont qui s’enlisent ? Qu’est-ce qui caractérise sociale, minant ainsi la capacité réflexive favorisés au cours des huit semaines que ceux qui résolvent leur problème un à un et les habiletés relationnelles. Et si oui, dure l’activité. La gestion de l’énergie en de ceux qui sombrent dans le désespoir ? comment intervenir ? lien avec la fatigue spécifique à la SEP et FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2 32 AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010
la gestion du stress, à cause de leur effet regard de l’ampleur des défis à relever BENEDICT, R.H.B., A. SHAPIRO, R. délétère sur la santé, sont deux théma- pour s’adapter. Faire preuve de résilience PRIORE, C. MILLER, F. MUNSCHAUER tiques importantes abordées parallèlement et vivre mieux avec la SEP demeurent des et L. JACOBS (2000). « Neuropsychologi- cal counseling improves social behavior au processus d’adaptation. Pour créer une enjeux de taille lorsque l’épreuve est récur- in cognitively-impaired multiple sclerosis disposition physique, mentale et affective rente et que les capacités fonctionnelles patients », Multiple Sclerosis, vol. 6, p. 391. favorable aux échanges, pour expérimenter et l’énergie diminuent. Des recherches BOËRIO, D., J.P. LEFAUCHEUR, J.Y. diverses formes de détente en lien avec les seront nécessaires pour déterminer dans HOGREL et A. CRÉANGE (2006). « Phy- principes d’économie d’énergie enseignés quelle mesure on peut compter sur l’amé- siopathologie et traitement de la fatigue dans ailleurs, pour minimiser l’impact du stress lioration des capacités relationnelles et la sclérose en plaques », Revue neurologique, sur la santé, chaque rencontre débute par comportementales de la personne présen- vol. 162, p. 311-320. une période de relaxation. Le processus tant des limitations cognitives. Une étude BONANNO, G.A., A. PAPA, K. LALANDE, de résolution de problème peut aussi faire récente laisse croire au potentiel de cette M. WESTPHAL et K. COIFMAN (2004). partie de l’approche éducative en lien avec avenue (Benedict et al., 2000). Jusqu’à « The importance of being flexible », Psycho- la gestion du stress. quel point et de quelle façon faut-il viser logical Science, vol. 15, p. 482-487. L’activité n’a pas encore donné lieu la compensation par les proches ? BULJEVAC, D., W.C.J. HOP, W. REEDEKER, à une démarche évaluative formelle. Il convient de se rappeler que vivre A. JANSSENS, F.G.A. VAN DER MECHE, Cependant, des observations cliniques et avec la SEP s’inscrit aussi dans un con- P.A. VAN DOORN et al. (2003). « Self repor- ted stressful life events and exacerbations les témoignages des participants nous per- texte social qui rend la tâche d’adaptation in multiple sclerosis : Prospective study », mettent d’ores et déjà de rendre compte encore plus complexe. Lorsque son exis- British Medical Journal, vol. 327, p. 646. du cheminement de certains. De plus, un tence même témoigne de la face occultée BURNFIELD, A. (1987). « La sclérose en outil maison offre la possibilité de faire un de l’expérience humaine, qu’elle réintro- plaques : un moyen d’acquérir de la matu- histogramme illustrant les étapes caracté- duit la vulnérabilité, l’austérité et le tra- rité ? », SP Québec. ristiques, ce qui permet à chacun de visua- gique, qu’elle oblige à faire le deuil de soi CHARNEY, D.S. (2004). « Psychobiological liser son avancée dans le processus. L’outil tout en étant toujours là, qu’elle s’inscrit en mechanisms of resilience and vulnerability maison fournit une série d’énoncés dont faux contre le diktat de la performance, la implications for successful adaptation to plusieurs rejoignent l’étude de Pakenham SEP ne remet-elle pas en question sa place extreme stress », American Journal of Psy- (2007). La comparaison entre les choix de et son rôle dans la société ? Le milieu de chiatry, vol. 161, p. 195-216. phrases effectués lors de la première et de la réadaptation fournit un nouveau milieu CHWASTIAK, L.A. et D.M. EHDE (2007). la dernière semaine de l’activité indique d’appartenance, permet l’éclosion et la « Psychiatric issues in multiple sclerosis », l’amorce d’un cheminement et favorise un redéfinition d’une nouvelle norme sociale. The Psychiatric Clinics of North America, début de recherche de sens. Mais offrons-nous, ce faisant, un monde vol. 30, p. 803-817. En quelque huit semaines, une usagère a parallèle de référence dont les personnes COMTE-SPONVILLE, A. (2006). L’esprit ainsi progressé. Lors de la présentation ini- atteintes ont du mal à s’extraire et qui de l’athéisme, Introduction à une spiritua- tiale, elle racontait : « J’ai développé la SEP confirme leur mise en marge ? Ou, dans lité sans Dieu, Paris, Albin Michel. après le décès de mon mari que j’ai vécu cette serre, un tuteur à la résilience et une CYRULNIK, B. (2002). Un merveilleux très difficilement » et a choisi l’énoncé : « Je occasion de répondre à certaines questions malheur, Paris, Odile Jacob. ne pourrai plus jamais séduire ou plaire ». existentielles incontournables, qui servi- CYRULNIK, B. (2004). Les vilains petits Quelques semaines plus tard, elle nuan- ront de ferment à l’émergence d’une société canards, Paris, Odile Jacob. çait : « En fait, je ne voudrais imposer cela plus équilibrée et intégratrice de toutes CYRULNIK, B. (2008). « Résilience, pra- à personne », pour réviser après quelque ses forces vives ? Et si oui, comme nous tiques d’intervention », conférence donnée temps : « Je suis agréable à fréquenter. » l’espérons, nous avons encore à préciser le lors du congrès « Résilience, intervention en Rougissant un peu lors de la dernière ren- soutien nécessaire à la personne atteinte contexte d’adaptation et de réadaptation », Montréal, 25 et 26 février 2008. contre, elle a déclaré : « Je crois qu’un voi- de SEP et à ses proches pour favoriser sin s’intéresse à moi. » l’émergence de cette résilience. DE MONTIGNY, J. (2002). « Quand le deuil Rechercher le sens, le plaisir et le se complique », Psychologie Québec, vol. 19, p. 19-22. contrôle dans le respect de ses énergies Bibliographie permet de retrouver l’espoir, celui qui DESJARDINS, M. (2002). Le jardin d’ombre, ATCHLEY, R.C. (1982). « The aging self », La poétique et la politique de la rééducation porte vers l’avenir. Reprendre contact avec Psychotherapy : Theor y, Research, and sociale, Québec, Presses de l’Université du ses compétences et ses intérêts sont des P ractice, vol. 19, p. 388-396. Québec. moyens de se voir positivement dans l’œil BEISKE, A.G., E. SVENSSON, B. CZU- DIAZ-OLAVARRIETA, C., J.L. CUMMINGS, de l’autre. Constater la résilience chez des JKOE, E.D. PEDERSENA, J.H. AARSETHF J. VELAZQUEZ et C. GARCIA DE AL pairs stimule la capacité d’y croire pour et K.M. MYHRF (2008). « Depression and CADENA (1999). « Neuropsychiatric mani- soi. En lui-même, le cheminement proposé anxiety among multiple sclerosis patients », festations of multiple sclerosis », Journal of European Journal of Neurology, vol. 15, par l’activité « Vivre en déséquilibre », en Neuropsychiatry and Clinical Neurosiences, p. 239-245. permettant l’auto-évaluation du proces- vol. 11, p. 51-57. BENEDICT, R.H.B., S. HUSSEIN, J. sus d’adaptation et le soutien par les pairs, FONAGY, P. (2004). Théorie de l’attache- ENGLERT, M.G. DWYER, N. ABDELRA- donne un sens à l’expérience et permet une HMAN, J.L. COX et al. (2008). « Cortical ment et psychanalyse, Paris, Érès. avancée observable vers la réorganisation3. atrophy and personality in multiple sclero- FRANKL, V.E. (1985 [1959]). Man’s Search sis », Neuropsychology, vol. 22, p. 432-441. for Meaning, Boston, Pocket Books. RECHERCHE DE SENS, BENEDICT, R.H.B., R.L. PRIORE, C. FRANKL, V.E. (1970). La psychothérapie DÉFIS ET ESPOIRS MILLER, F. MUNSCHAUER et L. JACOBS et son image de l’homme, Paris, Éditions Il reste beaucoup à comprendre pour (2001). « Personality disorder in multiple Resma. « souffler sur la braise de la résilience » sclerosis correlates with cognitive impair- FRANKL, V.E. (1973). The Doctor and the (Cyrulnik, 2008). La SEP représente ment », Journal of Neuropsychiatry and Soul : From Psychotherapy to Logotherapy, C linical Neurosciences, vol. 13, p. 70. un champ d’investigation pertinent en New York, Vintage Books. AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010 33 FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2
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