Événementiel sportif et attractivité urbaine et touristique des territoires L'Exposition universelle de Paris en 1900 - Érudit

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Téoros
Revue de recherche en tourisme

Événementiel sportif et attractivité urbaine et touristique des
territoires
L’Exposition universelle de Paris en 1900
Alice Cartier and Yves Morales

Méga-événements sportifs                                                             Article abstract
Volume 33, Number 1, 2014                                                            En procédant à l’analyse des concours d’exercices et de sport de l’Exposition
                                                                                     universelle de 1900, cet article propose une réflexion sur la façon dont
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1036717ar                                        l’événement sportif peut être utilisé à des fins de valorisation touristique des
DOI: https://doi.org/10.7202/1036717ar                                               espaces, de mise en scène des progrès humains, de diffusion des valeurs
                                                                                     associées aux loisirs corporels et de mode de cohésion sociale. L’étude conduit
                                                                                     à montrer que les concours d’exercices et de sports ont été organisés en
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                                                                                     privilégiant la dimension universelle d’événements prenant une diversité de
                                                                                     formes : festives, sportives et utilitaires ; tout en rejetant le modèle olympique,
                                                                                     en germe à cette période. La controverse entre les positions des organisateurs
Publisher(s)                                                                         de l’Exposition et les représentants du mouvement olympique met en évidence
                                                                                     des visions différentes de la culture physique et de son intérêt politique ou
Université du Québec à Montréal
                                                                                     économique. L’analyse du corpus confirme que les concours internationaux de
                                                                                     1900, tant dans leur diversité que dans leur dispersion dans le temps et l’espace
ISSN                                                                                 des fêtes proposées, répondent au projet de valoriser les progrès humains,
0712-8657 (print)                                                                    d’offrir des distractions aux touristes et de rassembler les populations, mais ne
1923-2705 (digital)                                                                  souscrivent que modérément au modèle plus restreint du sport de compétition
                                                                                     basé sur l’amateurisme et un « universalisme » olympique circonscrit.
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Cartier, A. & Morales, Y. (2014). Événementiel sportif et attractivité urbaine et
touristique des territoires : l’Exposition universelle de Paris en 1900. Téoros,
33(1), 32–40. https://doi.org/10.7202/1036717ar

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                                                                                    https://www.erudit.org/en/
32            MÉGA-ÉVÉNEMENTS SPORTIFS

Événementiel sportif
et attractivité urbaine et touristique des territoires
L’Exposition universelle de Paris en 1900
Alice CARTIER                                                                         Yves MORALES
Chercheure associée                                                                   Maître de Conférences
CRHXIX – Centre d’histoire du XIXe siècle (EA3550)                                    Laboratoire PRISSMH – EA4561 Équipe SOI
Universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne                                                 Faculté des sciences du sport et du mouvement humain
et Paris 4 Sorbonne                                                                   Université Paul Sabatier, Toulouse III

RÉSUMÉ : En procédant à l’analyse des concours d’exercices et de sport de l’Exposition universelle de 1900, cet article pro-
pose une réflexion sur la façon dont l’événement sportif peut être utilisé à des fins de valorisation touristique des espaces,
de mise en scène des progrès humains, de diffusion des valeurs associées aux loisirs corporels et de mode de cohésion
sociale. L’étude conduit à montrer que les concours d’exercices et de sports ont été organisés en privilégiant la dimension
universelle d’événements prenant une diversité de formes : festives, sportives et utilitaires ; tout en rejetant le modèle olym-
pique, en germe à cette période. La controverse entre les positions des organisateurs de l’Exposition et les représentants
du mouvement olympique met en évidence des visions différentes de la culture physique et de son intérêt politique ou
économique. L’analyse du corpus confirme que les concours internationaux de 1900, tant dans leur diversité que dans leur
dispersion dans le temps et l’espace des fêtes proposées, répondent au projet de valoriser les progrès humains, d’offrir des
distractions aux touristes et de rassembler les populations, mais ne souscrivent que modérément au modèle plus restreint
du sport de compétition basé sur l’amateurisme et un « universalisme » olympique circonscrit.

Mots-clés : Exposition universelle, concours, gouvernance, rayonnement touristique, controverses.

Au moment où la France envisage de promouvoir la candi-                               possible d’interroger la façon dont s’est créé le lien entre
dature de Paris pour l’organisation des Jeux olympiques de                            la mise en scène de l’exploit physique, le dynamisme de la
2024 et de se positionner simultanément pour l’organisation                           population, et, plus généralement, la capacité d’innovation
de l’Exposition universelle de 2025 (François Hollande,                               du pays hôte et son inscription dans une démarche de pro-
2014), de nombreux observateurs s’interrogent sur les                                 grès économique et social.
retombées positives espérées de ces méga-événements inter-                                En portant un tel regard rétrospectif, le questionnement
nationaux, notamment pour l’image de la France, tout en                               nous paraît pouvoir gagner en profondeur et mettre en pers-
s’inquiétant du coût de manifestations jugées dispendieuses.                          pective des processus devenus parfois trop habituels pour
La réflexion sur le rapport bénéfice-coût de telles opérations                        faire sens. Parallèlement, l’histoire de ces grandes manifesta-
n’est d’ailleurs pas nouvelle et est exprimée dès le début du                         tions montre qu’elles sont régulièrement le sujet de contro-
XXe siècle. Un détour par l’histoire peut ainsi s’avérer utile                        verses relatives à la mise en scène du corps, à la récupération
pour mieux comprendre comment a pu s’envisager la repré-                              politique des victoires et, plus généralement, aux intérêts
sentation d’une relation positive entre l’événement sportif,                          économiques que génère le sport. L’Exposition universelle
la mise en évidence du progrès et l’attractivité des territoires.                     de Paris en 1900, à travers l’organisation de concours d’exer-
Nous montrerons que la ville de Paris n’a organisé les Jeux                           cices physiques de jeux et de sports, n’échappe pas à ces
olympiques qu’en 1924, donc une seule fois dans l’histoire                            tensions qui traduisent des projets différents pouvant par-
de ces manifestations sportives (Cartier, 2010). En centrant                          fois se conjuguer, mais aussi s’opposer. Notre objectif vise
l’analyse sur l’organisation de l’Exposition universelle de                           ainsi à trouver dans l’étude du passé, à travers l’exemple de
Paris en 1900 et en observant l’intégration, relativement iné-                        « Paris 1900 » (Prochasson, 1999), si ce n’est des réponses cer-
dite par son ampleur, d’épreuves sportives, il nous semble                            taines, au moins une compréhension accrue des problèmes

TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 32-40 © 2014
Alice CARTIER et Yves MORALES : Événementiel sportif et attractivité urbaine et touristique des territoires   33

du présent. Comme le rappelle Pierre Bourdieu (1997 : 217),               un système éthique recouvrant des valeurs telles que la
cette perspective est essentielle au travail scientifique : « La          quête de record, le désir de vaincre et de se dépasser, mais
science sociale, qui est condamnée à la rupture critique avec             aussi l’équité et la loyauté, dans le cadre d’une institution
les évidences premières, n’a pas de meilleure amie pour l’opé-            internationale autonome (le CIO) au fonctionnement rela-
rer que l’historicisation qui permet de neutraliser, au moins             tivement homogène. Les résultats de l’étude montrent que
dans l’ordre de la théorie, les effets de la naturalisation ».            les organisateurs de l’Exposition universelle privilégient un
    Plusieurs études ont évoqué, sous l’angle d’approche                  imaginaire relatif à la mise en scène de la force et du progrès
d’histoire culturelle, les manifestations sportives organisées            corporel qui repose sur une culture physique diversifiée, ce
lors de l’Exposition universelle de 1900. Pour le Comité                  que traduisent la variété des modalités de pratiques valori-
international olympique (CIO), ces épreuves sont reconnues                sées, la diversité des personnalités réunies dans les comités
officiellement en tant que « second Jeux olympiques » de                  d’organisation, l’hétérogénéité des mises en œuvre adoptées
l’histoire contemporaine. Selon André Drevon (2000), ces                  ainsi que les aménagements de l’espace relativement limités.
Jeux olympiques « oubliés » ont un caractère énigmatique                  De toute évidence, l’idéal olympique de la performance et
et sont marqués par le conflit opposant Coubertin et Alfred               de l’excellence sportive n’apparaît pas encore comme un
Picard, commissaire général de l’Exposition universelle.                  modèle dominant en matière de progrès humain. Quatre
Georges Vigarello (2002) est plus engagé lorsqu’il dénonce                axes d’analyse conduisent donc la réflexion dans la présen-
de « faux » jeux olympiques. Cette analyse est partagée par               tation adoptée. Ils conceptualisent et structurent la discus-
Clastres, Dietschy et Laget (2004), qui analysent les Jeux de             sion autour des principales données issues des archives des
l’Expo : Paris 1900 en montrant que le programme compo-                   concours de 1900 lors de l’Exposition universelle de Paris :
site des concours de l’Exposition n’est à aucun moment pré-               tout d’abord, la dimension culturelle des pratiques diffusées
senté comme étant la IIe Olympiade. La thèse d’Alice Cartier              et leur légitimité, puis, la gouvernance dans l’organisation
(Cartier, 2010), soutenue en Sorbonne, détruit définitive-                des épreuves, ensuite, la mise en scène privilégiée et, enfin, la
ment le mythe olympique en lien avec le rétablissement de                 dimension financière ainsi que les logiques d’aménagement
l’Exposition universelle de Paris 1900, en étudiant les mythes            de l’espace accompagnant cet événement.
et les réalités qui accompagnent ces événements sportifs.
C’est dans cette perspective que s’inscrit notre étude qui vise           Méthodologie
à mieux identifier le cadre organisationnel des épreuves et à             Pour mener à bien ce sujet et surmonter sa complexité,
accorder une attention soutenue aux discours mobilisateurs                nous avons retenu le principe d’associer à la fois une
des responsables des concours tout en mettant en œuvre                    méthode quantitative et qualitative constituée d’archives
une réflexion associant histoire des représentations (Ory,                et d’un corpus bibliographique, provenant d’une thèse de
2004) et démarche pragmatique (Lepetit, 1995). Il s’agit de               doctorat soutenue et d’années de recherches constituant
chercher, derrière les gens et les dispositifs d’encadrement,             l’expertise conjointe. La réflexion théorique s’appuie sur
les mécanismes mis en œuvre et, au-delà des discours, les                 un recueil d’articles publiés dans des revues nationales et
valeurs et les enjeux diffusés justifiant les formes de pratique.         internationales. Les axes d’études privilégiées renvoient à
Les concours sportifs, fêtes et spectacles de l’Exposition uni-           l’analyse des expositions et des grands événements, du sport,
verselle de 1900, prennent leurs racines dans l’Exposition.               du corps et des territoires. Les archives proviennent de divers
                                                                          centres : Archives nationales (ANF), Archives historiques de
Problématique                                                             la police (AHP), Archives du ministère des Affaires étrangères
La principale question de recherche conduisant cette étude                (AMAE, notamment la correspondance diplomatique de
repose sur l’analyse de l’adaptation de l’événement sportif               l’État français), Archives de Paris (AP), Archives du Racing
aux logiques de l’Exposition universelle de 1900 à partir                 Club de France (ARCF), archives de la presse, les sources
des objectifs visés par les organisateurs. Il s’agit plus spéci-          imprimées (rapports, documents officiels, mémoires, etc.) et
fiquement d’observer la façon dont les pratiques physiques                Archives du CIO (ACIO, Suisse). Pour croiser les documents
et sportives vont être mobilisées de façon inédite dans le                d’archives de natures diverses, afin de les analyser selon
cadre de manifestations festives d’envergure internationale,              les mêmes procédures, nous avons choisi d’utiliser le logi-
planifiées dans l’optique de renforcer l’attractivité urbaine             ciel Zotero. Nous étudions le discours des responsables de
et touristique de Paris tout en valorisant la dimension du                l’Exposition (rapports officiels, courriers), des personnalités
progrès ainsi que les préoccupations républicaines d’identité             impliquées (politiques et sportives), ainsi que la couverture
nationale. Ainsi, l’Exposition universelle de 1900 constitue              de l’événement diffusée par les médias. C’est par ce biais
un exemple particulier d’affrontement de conceptions sur                  que nous accédons aux représentations sociales : idéologies,
le rôle de l’exercice physique et du sport dans la valorisa-              imaginaires (mythes et fantasmes) et aux représentations
tion du territoire. L’analyse révèle notamment une mise en                d’usage. Les indicateurs privilégiés renvoient principale-
tension entre une démarche œcuménique, caractérisant les                  ment aux formes d’institutionnalisation des concours, aux
responsables de l’Exposition universelle dans la mise en                  argumentaires et rhétoriques mobilisés, aux modèles de pra-
évidence de toutes les formes de culture physique présentes               tiques valorisés, corrélés aux justifications morales énoncées,
en France, et une position plus restrictive, adoptée par les              aux modalités d’aménagement mises en œuvre et aux débats
tenants de l’olympisme, consistant à privilégier le modèle                et controverses accompagnant l’événement dans la presse
exclusif du sport de compétition amateur caractérisé par                  spécialisée.

                                                                                                    TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 32-40 © 2014
34          Alice CARTIER et Yves MORALES : Événementiel sportif et attractivité urbaine et touristique des territoires

Expositions universelles et attractivité                                    d’ensemble des concours d’exercices physiques et de sports
de la culture physique et sportive                                          à l’Exposition de 1900 constitue un fait sans précédent dans
Les Expositions ont été définies, de façon ironique, par                    l’histoire des expositions. L’idée de ce groupement revient au
Gustave Flaubert comme un « sujet de délire du XIXe siècle »                Commissaire général de l’Exposition et son origine remonte
(1913). L’un de leurs intérêts, néanmoins, se situe au niveau               à 1894 » (Mérillon, 1901-1902, tome 1 : 7). Un arrêté du
du processus par lequel elles apparaissent simultanément                    ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des
comme des « villes idéales » (Portis et Harris, 1993), conçues              Télégraphes, Alexandre Millerand, en date du 2 septembre
en pleine révolution industrielle pour mettre en valeur les                 1894, confirme cette proposition dans son article premier :
innovations techniques et artistiques tout en magnifiant les                « une Commission est instituée à l’effet d’étudier le pro-
progrès humains (Aimone et Olmo, 1993). La montée de la                     gramme général des concours se rattachant aux exercices
mondialisation, corrélée à une logique d’échanges écono-                    physiques ». Comme l’exprime Georges Vigarello (2006 :
miques, de libre concurrence et d’évolutions technologiques,                343) : « Tout montre l’adéquation de cette scène (sportive)
accompagne ces manifestations qui prennent une dimension                    avec son univers économique, politique et social ». Le temps
internationale dès 1798, à Paris, s’interrompant entre 1939                 du sport, c’est bien le temps du record perçu comme une
et 1949, puis reprenant en 1958. Prémices de la mondiali-                   évidence du progrès, mais c’est aussi le culte du corps et la
sation (Bouilloud, 2000), liées aux révolutions industrielles,              valorisation de la santé et du bien-être dans la promotion
au commerce international et au progrès technique, les                      d’un « corps-capital » (Queval, 2011), c’est, enfin, un véhi-
Expositions universelles sont indéniablement des méga-                      cule de communication qui peut rapporter des moyens
événements internationaux. Elles rejoignent les définitions                 financiers, de la notoriété et du rayonnement touristique
proposées par Getz (2007) et Augier (2009 : 4) : « manifes-                 (Andreff, 2010).
tation qui, concernant principalement un secteur d’activité                     On comprend donc mieux l’ambition affichée par
(sport, culture, économie), a des répercussions territoriales               Coubertin dès janvier 1894, consistant à utiliser le rayonne-
de tous ordres (création de valeur, effet d’image, facteur de               ment de l’Exposition universelle de Paris 1900 pour organi-
cohésion sociale, divertissement) et, à un titre ou à un autre,             ser des Jeux olympiques modernes en France, à la suite de
un impact international […] bénéfique pour le pays ou le                    ceux d’Athènes programmés en 1896. Il s’agit de donner ainsi
territoire d’accueil ».                                                     une plus grande portée à cet événement sportif approuvé
    « Manifestation ouverte à tous les domaines de l’activité               en juin 1894 lors du congrès de l’Union des sociétés fran-
humaine, où sont présentés des produits provenant de toutes les             çaises de sports athlétiques (USFSA) (Coubertin, 1909).
nations » (Sirinelli, 2007 : 392), les Expositions universelles             Une démarche de mutualisation de ressources (Ghertman et
intègrent des pratiques physiques dès la fin du XVIIIe siècle.              Isnard, 1999) est engagée par Coubertin qui souhaite béné-
En 1798, quelques concours d’exercices physiques et de gym-                 ficier de la caisse de résonnance de l’Exposition universelle
nastique participent aux animations proposées. En 1867, des                 pour promouvoir son modèle de pratique. Dans le cas étudié,
épreuves de voile sont organisées. En 1889, une démonstra-                  l’événement majeur est l’Exposition dont la portée univer-
tion de gymnastique et des concours scolaires de sports sont                selle semble, dans l’esprit de Coubertin, pouvoir aisément se
proposés dans le cadre du Congrès des exercices physiques de                conjuguer avec l’olympisme. Elle permettrait de légitimer ce
l’Exposition de Paris. Pierre de Coubertin est alors secrétaire             mouvement international, de servir de vitrine et de symbole
général de ce Congrès dont l’ambition est multiple. Il s’agit               permettant d’asseoir sa communication (Dumas, 2010).
d’insister sur la nécessité de l’hygiène physique, notamment                    La proposition est cependant rejetée par Alfred Picard,
à destination des scolaires, mais il s’agit également de mettre             commissaire de l’Exposition universelle, la considérant
en évidence la force collective de la Nation en utilisant la                comme un « néologisme excentrique et superflu » (Coubertin,
gymnastique et les concours sportifs comme vitrine de cette                 1989 : 37). Coubertin ne désarme pas et s’évertue à trouver
force vive (Gounod et al., 2007).                                           des appuis politiques en France et à l’étranger. Parallèlement,
    Une rupture s’observe ainsi en cette fin de siècle, dans la             en tant que secrétaire général de l’USFSA et président du
mesure où les Expositions universelles tendent désormais à                  CIO, il contribue à l’essor de l’olympisme avec un certain
façonner un « paysage » d’innovations créatives très diversifié             succès puisque l’édition de Jeux olympiques d’Athènes valide
et très attractif pour les visiteurs et les touristes (Bennett,             une première fois l’idéal universaliste de la confrontation
2005 ; Chaudoir, 2007), où « le caractère festif devient ainsi              sportive internationale (Clastres, 2008). En 1897, le projet
une composante essentielle de la manière de faire et de vivre               de Jeux olympiques pour Paris est porté par un comité privé
la ville contemporaine : on assiste à un glissement progressif              présidé par le Vicomte de La Rochefoucauld (Coubertin,
vers la cité du loisir, vers la ville qui devient divertissement »          1909). Mais, en novembre 1898, l’Union des sociétés fran-
(Burgel, 1993, cité dans Barthon et al., 2007 : 56-57). C’est               çaises de sports athlétiques se désolidarise de ce comité. Elle
dans ce cadre qu’il faut comprendre la nécessité nouvelle                   offre son appui à toute organisation entreprise exclusivement
d’intégrer au programme de l’Exposition universelle de                      dans le cadre de l’Exposition universelle de la ville de Paris
1900 (ou « réintégrer », ayant une « préexistence » en 1798),               et de l’État (ce qui revient finalement à rejeter toute ingé-
un ensemble de pratiques physiques et sportives représen-                   rence olympique). Aussitôt, le comité de La Rochefoucauld
tatives de l’importance que prennent à la fois le culte du                  est dissous. Désormais, seuls Coubertin et quelques proches
corps, la préoccupation d’hygiène publique, mais aussi la                   vont continuer d’essayer de donner un label olympique aux
compétition sportive : « L’institution d’une organisation                   épreuves sportives programmées dans le cadre des Concours

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internationaux d’exercices physiques et de sports de l’Expo-               France) dans leurs orientations plus ou moins utilitaires,
sition universelle de Paris (Cartier, 2010). Il est possible de            touristiques ou compétitives. À cela s’ajoutent plusieurs fédé-
comprendre le désaccord entre Alfred Picard et Coubertin                   rations ou groupements autonomes vis-à-vis de l’USFSA,
à travers le prisme du conflit d’intérêts dans l’organisation              développant la natation, les sports nautiques (aviron, voile,
des épreuves. De fait, la volonté d’une implication du mou-                etc.), l’escrime, la boxe française, l’alpinisme, les sports auto-
vement olympique dans le cadre de l’Exposition universelle                 mobiles et les différentes formes de culture physique. On ne
peut être perçue comme une forme d’ingérence, mais l’ana-                  saurait mieux exprimer le constat d’un mouvement associatif
lyse montre que le débat dépasse largement cette perspective               éclaté dans le domaine des exercices corporels. Cette situation
pour traduire une divergence fondamentale entre la dimen-                  confirme des modèles de pratiques différents, tant dans les
sion restrictive du modèle sportif porté par le mouvement                  objectifs visés, dans les normes diffusées, que dans les publics
olympique naissant et la volonté des responsables de l’Expo-               accueillis. Les groupements les plus influents, tels que l’USGF
sition universelle d’embrasser toutes les formes de pratiques              ou l’USFT, rejettent le modèle sportif et recherchent de
physiques présentes en France et pouvant donner lier à des                 façon prédominante des formes d’exercices dont l’ambition
concours attractifs pour les visiteurs. De toute évidence, la              conjugue robustesse, maîtrise, discipline des corps, cohésion
définition d’une culture physique légitime est un enjeu de                 sociale autour de l’idéal républicain et désir de revanche
lutte en ce tournant de siècle, ce qui se traduit par un paysage           avec l’Allemagne (Carol, 1995). À l’inverse, l’USFSA, créée
associatif éclaté de représentations différentes du développe-             autour de l’idéal de compétition et de record selon les règles
ment corporel (Tétart, 2007).                                              de l’amateurisme, cherche à rassembler différents adeptes des
    Les données chiffrées concernant le mouvement asso-                    sports athlétiques dans le cadre de championnats. Elle appa-
ciatif révèlent effectivement que le modèle du sport de                    raît à cette époque comme une structure attirant un public
compétition proposé par l’USFSA est loin d’être dominant                   plutôt bourgeois (Defrance, 1987).
en 1900. Si l’on en croit Alfred Picard : environ 350 sociétés                 Face à l’hétérogénéité de la culture physique, les organi-
seulement sont affiliées à cette structure fédérale omnisports             sateurs de l’Exposition universelle choisissent de conserver
pour 37 000 membres alors que la très patriotique Union des                tous les exercices jugés représentatifs de l’esprit français qui
sociétés de gymnastique de France (USGF) regroupe environ                  vont ainsi composer le programme officiel des « Concours
650 sociétés pour 66 000 gymnastes, que l’Union des sociétés               Internationaux d’exercice physique et de sports de l’Expo-
françaises de tir (USFT) accueille 1000 sociétés rassemblant               sition universelle de Paris ». Ils sont classés en 12 sections :
150 000 tireurs et que les Sociétés d’instruction militaire                sports athlétiques, gymnastique, escrime, tir, équitation,
comprennent 180 sociétés pour 25 000 membres (Picard,                      vélocipédie, sports nautiques, sauvetage, aérostation, exer-
1907, Tome 5 : 388-390). La description des activités phy-                 cices militaires préparatoires, auxquels s’ajoutent également
siques réalisée de façon très succincte (en 3 pages) par Picard            dans un second temps l’automobile et les concours scolaires.
(1907) dans son Bilan des Expositions universelles (1801-                  Ainsi, la mise en scène du spectacle des corps apparaît comme
1900) comprenant 2687 pages, témoigne de l’intérêt limité                  un élément incontournable de l’événement (Vigarello,
qu’il éprouve à l’égard des exercices corporels. Toutefois, elle           2006), tout en se présentant comme un support d’éducation
révèle aussi la fracture profonde dans la société entre les exer-          et d’enseignements (Pociello, 1997). L’importance donnée
cices de gymnastiques, de tir et d’instruction militaire légi-             à l’automobile, à l’aérostation ou au sauvetage, confirme le
timés par le développement corporel des populations dans                   constat selon lequel l’accent peut être mis sur l’innovation
une perspective nationaliste, et le sport marqué par la quête              technologique, sa valorisation, sans négliger l’utilité sociale.
du record. De ce point de vue, on constate qu’une définition               Le discours officiel évoque d’ailleurs un triple objectif : « On
stricte du sport s’opère à travers la démarcation réalisée avec            faisait à l’Exposition un cortège de belles fêtes d’un caractère
les pratiques physiques utilitaires et patriotiques, ou encore             incontestable d’utilité publique et de patriotisme, on donnait
avec les loisirs et les jeux divertissants. Le modèle sportif              à une quantité de sociétés et d’hommes dévoués qui sacri-
valorisé par l’olympisme est celui de la compétition, impo-                fient leur temps au bien public une consécration officielle
sant la création d’espaces normalisés, agencé par un calen-                qu’ils ont considérée comme une haute récompense de leurs
drier qui révèle une temporalité propre, soumis à un corps                 travaux et de leurs peines et enfin on imprimait à des œuvres
de règlements visant à permettre une pratique « universelle »              destinées à améliorer la force physique et l’énergie morale
et caractérisé par un système éthique recouvrant des valeurs               du pays un prodigieux élan, en démontrant par les concours
telles que l’équité, le désir de vaincre, la loyauté, et ce, dans le       internationaux l’importance et l’utilité de ces exercices et en
cadre d’institutions au fonctionnement relativement homo-                  leur donnant une large publicité » (Mérillon, 1901-1902 :
gène (Guttmann, 1979). Ce modèle n’est que partiellement                   12). L’organisation consiste à « réunir dans une splendide
intégré dans le cadre de l’Exposition universelle.                         manifestation toutes les branches de l’activité humaine en
    La définition du sport, qui tend à se préciser de façon                les plaçant autant que possible sous leur aspect pratique »
relativement uniforme à travers l’USFSA et l’olympisme,                    (Ibid.). Les loisirs corporels tendent ainsi à devenir support
n’empêche pas durant la période d’avant-guerre une réelle                  efficace de divertissements publics et activités productrices
diversité du mouvement « sportif » associatif. Celle-ci s’ob-              d’exploits qui prennent un caractère universel. S’il est vrai
serve à travers la concurrence que se livrent, notamment, les              que Picard utilise les « festivités » pour que l’Exposition soit
différentes sociétés vélocipédiques (Touring Club de France,               un véritable succès pour la France et la Ville de Paris, pour la
Union vélocipédique de France ou encore Union cycliste de                  consommation et le tourisme avec toutes les attractions que

                                                                                                     TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 32-40 © 2014
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propose l’Exposition, il le fait en républicain et haut fonc-              La priorité est donnée à l’aspect festif des événements orga-
tionnaire. L’intérêt de la France est le seul bien commun qui              nisés. Aucune pratique physique n’est exclue à partir du
favorise l’acceptabilité sociale dont il a besoin (Bicaïs, 2002).          moment où l’on trouve des organisateurs compétents et des
                                                                           concurrents efficaces pouvant attirer des spectateurs poten-
Gouvernance des concours et co-construction                                tiels. Il s’agit d’offrir des distractions variées devant aiguiser
de l’événementiel sportif                                                  la curiosité des visiteurs face aux exploits accomplis, par
Pour mieux comprendre les différentes conceptions accom-                   exemple en aérostation, en courses automobiles, en cyclisme,
pagnant les manifestations sportives de l’Exposition de 1900               en sports athlétiques, tout en activant, par ailleurs, le senti-
et les effets espérés en matière de retombées touristiques,                ment d’identité républicaine à travers les démonstrations de
culturelles, économiques et politiques, il convient d’engager              gymnastique, les concours de tir, les défilés de gymnastes, les
l’analyse en prêtant attention à l’organisation institutionnelle           exercices militaires préparatoires, les assauts d’escrime, etc.
retenue, notamment pour les décisions visant l’opérationna-                Des sous-commissions sont créées dans chacune des 12 sec-
lisation des épreuves (Vigarello, 2002 ; Gounot et al., 2007 ;             tions d’exercices afin d’assurer la mise en œuvre effective des
Tétart, 2007). L’étude ne peut donc faire l’économie d’une                 épreuves organisées. La démarche adoptée consiste à confier
réflexion sur la notion de gouvernance (Pierre et Peters,                  « autant que possible aux grandes associations ou aux socié-
2000 ; Gerbaux et al., 2004 ; Le Galès, 2011) et sur la façon              tés déjà prêtes pour cette œuvre, l’exécution des différents
dont l’événement observé s’inscrit dans une visée politique.               concours ressortant de leur compétence » (Mérillon, 1901-
Selon le modèle mis en évidence pour l’Exposition univer-                  1902 : 51). Représentant en tout 35 comités d’organisation
selle de 1867 (Michaïlesco, 2011), la légitimation de l’action             ayant en charge des épreuves, fêtes et concours différents,
du Comité d’organisation s’appuie sur une démarche ration-                 l’ensemble témoigne d’une forme de construction conjointe
nelle conduisant à une répartition des pouvoirs entre l’État               de l’événement, situation traduisant une grande hétérogé-
et les membres nommés afin d’encadrer la prise de décision                 néité des événements et une autonomie très relative du mou-
et d’assurer l’efficience de l’action. L’Exposition univer-                vement sportif (Marchand, 1996).
selle de 1900 révèle ainsi un processus de co-construction                     Le dispositif global est piloté par le Commissariat de
(Vaillancourt, 2008) imposé par le système politique français              l’Exposition qui veut conserver la maîtrise des concours.
de la IIIe République et validé lors des débats à la Chambre,              Il prend certaines libertés avec les règlements fédéraux,
au Sénat et au Conseil municipal de la Ville de Paris. Le mode             diversifie les catégories et instaure des systèmes de récom-
de gouvernance, tel qu’il apparaît dans l’organisation des                 penses comprenant des prix en espèces, des œuvres d’art,
fêtes sportives, témoigne d’une inscription de l’événement                 des médailles. On comprend alors mieux pourquoi l’ingé-
dans une politique publique attentive prioritairement à la                 rence du jeune mouvement olympique n’est pas jugée
valorisation économique et sociale de Paris et plus largement              souhaitable. Sa contribution s’observe néanmoins à travers
de la France.                                                              la participation de quelques membres du CIO à différents
    Officiellement, le ministère du Commerce, de l’Indus-                  jurys et s’opérationnalise quelque peu à travers la contribu-
trie, des Postes et Télégraphes pilote l’ensemble des mani-                tion des athlètes de Racing Club de France, de l’USFSA ou
festations proposées en coordination avec le président                     de délégations étrangères proches de ce mouvement, telles
de la République, les services de l’État et la Ville de Paris.             que les délégations américaines, suédoises et norvégiennes.
En réalité, c’est surtout Alfred Picard (commissaire géné-                 Cependant, dans un contexte où le système sportif n’est pas
ral de l’Exposition universelle de 1900 nommé dès 1893)                    encore institué selon une logique de partenariat entre l’État
qui élabore les projets de lois et tranche entre les projets               et les grandes structures sportives, les groupements sportifs,
festifs selon leurs philosophies (Cartier, 2010). Par l’arrêté             dont certains sont par ailleurs en concurrence sur l’organi-
du 2 septembre 1894, une commission consultative, dite                     sation des mêmes pratiques, n’apparaissent pas, aux yeux du
Commission supérieure des Exercices physiques et des                       commissaire général de l’Exposition, comme des interlocu-
Sports puis Service des Sports, est instituée afin d’étudier le            teurs obligés. C’est donc une démarche de sous-traitance qui
programme général des concours se rattachant aux exercices                 caractérise le fonctionnement des concours en confiant à des
physiques. Daniel Mérillon (ancien député et président de                  opérateurs associatifs l’exécution technique et la gestion des
l’Union française des sociétés de tirs) est placé à sa tête comme          épreuves sur instructions du Service des sports de l’Exposi-
délégué général adjoint. Il prend la direction d’un groupe                 tion. Par exemple, le Racing Club de France prend en charge
composé de 77 membres, partagés entre des personnalités                    les épreuves de sports athlétiques, la Société de sport de l’île
politiques : sénateurs, députés, conseillers municipaux, des               de Puteaux se voit confier les tournois de tennis.
militaires, des physiologistes auxquels s’ajoutent les prési-
dents de la plupart des fédérations développant les exercices              Mise en scène hétérogène privilégiant
physiques et les sports en France. La volonté de rassembler                la distraction des visiteurs
de façon large est forte et conduit à une commission rela-                 et l’édification républicaine
tivement hétéroclite ou se côtoient, par ailleurs, des prota-              Le constat général relatif à la gouvernance de l’Exposition
gonistes qui s’opposent violemment à propos des formes de                  universelle de 1900 implique une gestion et une organisa-
pratiques physiques qu’ils veulent promouvoir. Le modèle de                tion centralisées des concours qui reposent sur un dispositif
gouvernance est donc très centralisé. Mérillon traite les prin-            hétérogène, éparpillé dans le temps (épreuves sur plusieurs
cipaux dossiers puis Picard prend les décisions importantes.               mois, du 14 mai au 28 octobre 1900) et diversifié, tant dans

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les finalités recherchées que dans les modèles de pratiques               des principes proches de ceux de Coubertin à propos d’un
proposés (70 spécialités pour 35 concours différents). En                 sport pensé comme « moyen d’émulation et d’enseignement »
observant les ressources mobilisées, les espaces investis et              (Demy, 1907 : 606), il considère avant tout les épreuves spor-
les mises en scène retenues, l’analyse des épreuves donne                 tives de l’Exposition comme une « attraction », un moment
également à réfléchir sur les effets attendus en termes de                festif pour le public (Cartier, 2010). Il estime, par ailleurs,
rentabilité économique, d’aménagement du territoire,                      que l’olympisme n’est pas adapté à la situation politique et
mais aussi d’améliorations sociales, de divertissement voire              aux tensions internationales, notamment avec l’Allemagne.
d’éducation des populations en interaction avec les imagi-                Les Jeux olympiques de 1900 n’ont donc pas réellement eu
naires sociaux (Agulhon, 1979 ; Clastres, 2008). Traduisant               lieu comme en témoigne Le sport universel illustré, en 1901 :
à la fois une perspective éclectique et l’esprit de catalogue             « Les jeux olympiens, tenus pour la première fois en 1896 à
de l’époque (Clastres et al., 2004), la démarche retenue par              Athènes, supprimés en 1900, par suite de leur coïncidence avec
les Concours d’exercices physiques et de sports de l’Expo-                les fêtes sportives organisées par le commissariat de l’Exposi-
sition universelle projette l’ambition œcuménique d’une                   tion universelle, seront donnés pour la seconde fois en 1904 »
diversité des robustesses, sans exclusivité, dans une logique             (1901 : 488) La reconnaissance opérée ultérieurement par le
de célébration des prouesses physiques (et technologiques)                CIO en validant l’existence de « Jeux olympiques » en 1900
dont l’objectif prioritaire réside dans le divertissement des             est donc purement symbolique. Elle s’appuie sur le caractère
visiteurs et spectateurs, voire leur édification.                         international de certaines épreuves de sports athlétiques, le
    Plusieurs perspectives s’articulent pour caractériser au              relevé des performances et l’implication du Racing Club de
mieux le projet économique et social et sa mise en scène :                France, mais elle ne repose pas sur une réelle participation
l’une valorise l’exploit, à travers la confrontation sportive             du mouvement olympique dans l’organisation des concours
(jeux athlétiques, sports hippiques, vélocipédie, sports                  d’exercices physiques et de sports de l’Exposition universelle.
scolaires, etc.) ou l’ingéniosité technologique (automobile,              En définitive, la présence de personnalités politiques et les
aérostation) ; l’autre traduit l’importance d’affirmer la                 discours patriotiques accompagnant les épreuves, le carac-
vigueur de la population et sa capacité à défendre la Nation              tère diversifié des activités proposées, le choix de modali-
dans un contexte politique marqué par l’idée de revanche                  tés de pratiques associées à un esprit français et le prestige
(fêtes gymniques, tir, escrime, etc.). De même, de nombreux               recherché, sont autant d’éléments valorisant cette République
concours ont une dimension très utilitaire (transports de                 conquérante, démocratique et sociale que les responsables de
colis, concours de secours au blessé, de pompes à incendie,               l’Exposition universelle veulent présenter (Prochasson, 1999 ;
de tir au canon, de sauvetage sur l’eau, etc.). Il s’agit sur-            Dumas, 2010).
tout d’exhibitions envisagées comme un moyen d’informer
la population sur certaines innovations, au même titre que                Logique financière et ambitions modérées
le but de l’Exposition universelle est de montrer au public               d’aménagement des espaces
les avancées industrielles et scientifiques (Portis et Harris,            L’analyse de l’impact espéré par les organisateurs de l’Expo-
1993 ; Cartier, 2010 : 439-440). L’idéologie nationaliste,                sition universelle, dans l’intégration des concours d’exercices
très présente en ce début de siècle (Anderson, 1983 ; Weber,              et de sports, implique une réflexion sur les moyens consentis
1986), valorise l’organisation des exercices de tir et des fêtes          et les aménagements envisagés (Toussaint et Zimmermann,
fédérales de gymnastique, dont la XXVIe édition inaugure les              1998). Il convient d’indiquer que le montage financier global
concours en mettant en valeur « l’œuvre très française, très              de l’Exposition universelle provient d’une contractualisation
patriotique et très éducatrice de l’USGF » (conseil municipal             entre l’État et la Ville de Paris, engagée par décret en 1895 à
de la ville de Paris, 1902 : 7). La logique du progrès accom-             parts égales de subventions de 20 millions de francs d’époque
pagne la célébration du génie industriel que l’on retrouve                chacune, fixant la planification et les aménagements néces-
dans les courses automobiles (Paris-Toulouse), les épreuves               saires (Chambre des députés, 1895 : 37-45). De plus, les
cyclistes et les concours d’aérostation, associant technicité,            conventions financières signées avec cinq établissements
innovation et exploit.                                                    financiers procurent 60 millions de recettes grâce à la vente
    L’orientation générale des concours, privilégiant le                  au public de bons (Cartier, 2010). L’État fait appel également
divertissement et le spectacle, n’est pas toujours adaptée à la           à l’épargne des Français pour financer l’Exposition dont le
rigueur nécessaire aux compétitions sportives. Les journa-                succès est lié au nombre de visiteurs et aux entrées payantes.
listes de La Vie au grand air en dénoncent régulièrement les              La logique financière des concours sportifs de l’Exposition
lacunes ou les incohérences, telles que des espaces mal adaptés           va donc être essentiellement dépendante des moyens alloués
aux épreuves, des concours ajoutés à la demande des athlètes,             par les gestionnaires de l’Exposition. La Commission supé-
comme le saut en hauteur sans élan à la suite d’une requête               rieure des exercices physiques et des sports souligne claire-
des Américains, etc. (La Vie au grand air, 1900 ; Cartier, 2010).         ment que les concours sont un mode de communication et
L’idéal olympique peine à s’imposer dans le paysage culturel              un moyen de rayonnement qui doit générer un faible coût.
français et son modèle d’organisation n’est pas adopté dans les               L’organisation a prévu initialement de centraliser les
concours de l’Exposition universelle. Ainsi, les championnats             concours en une seule annexe délimitée et aménagée à
d’athlétisme ou de tennis comportent à la fois des épreuves               Vincennes, mais il est établi qu’un tel établissement « entraî-
professionnelles et des épreuves amateurs, ce qui va à l’en-              nerait des frais de construction élevés et ne répondrait pas
contre des règlements olympiques. Bien que Picard défende                 au but poursuivi » (Mérillon, 1901-1902 : 10). Comme

                                                                                                    TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 32-40 © 2014
38         Alice CARTIER et Yves MORALES : Événementiel sportif et attractivité urbaine et touristique des territoires

l’exprime Mérillon : « l’exagération risquerait de compro-                 pelouse, deux tribunes provisoires de 600 places sont instal-
mettre le succès précieux (des concours) que leur assure,                  lées pour permettre aux 3000 spectateurs, se succédant sur
en les maintenant dans de sages limites, la reconnaissance                 le site, d’assister aux courses et aux sauts. Envisagés comme
officielle des pouvoirs publics, trop longtemps indifférents »             des manifestations accolées à l’Exposition universelle, les
(Ibid.). L’investissement consenti va donc être limité. Au total,          concours n’impliquent donc pas encore, à l’exception du
les dépenses effectuées par l’Exposition pour les concours de              vélodrome, une réelle valorisation de l’espace, accompa-
sports s’élèvent à 1 045 300 francs (967 300 F de subventions,             gnant l’intégration du sport dans la ville (Augustin, 1995 ;
67 800 F de garanties et 10 200 F de dotation exceptionnelle),             Jean et Vanier, 2008). Les ambitions d’aménagement des
soit seulement 1 % du budget global de l’Exposition. Les prin-             espaces et d’aménagement des territoires dédiés au sport
cipaux efforts se portent sur la construction du vélodrome                 pour l’Exposition de 1900 ont donc été modestes. Il faut sou-
(d’un montant de 300 000 F), du parc aérostation, des instal-              ligner que, fin 1905, le résultat total des comptes de l’Expo-
lations pour l’escrime dans la salle des fêtes et sur les réamé-           sition universelle de 1900 établit pourtant un bénéfice total
nagements du lac (un franc en 1900 vaut environ 2,37 € de                  d’environ 5,5 millions de francs. Le résultat financier global
2006. Au total, les dépenses effectuées par l’Exposition pour              des concours de sports est d’ailleurs considéré comme une
les concours de sports s’élèvent à 1 045 300 francs soit envi-             réussite, puisque les organisateurs n’ont pas utilisé la totalité
ron 2 477 361 € de 2006 [967 300 F de subventions donc                     du montant de la garantie qui leur avait été accordé (Cartier,
environ 2 292 501 € de 2006, 67 800 F de garanties donc envi-              2010). Retenons que les données communiquées dans les
ron 160 686 € de 2006 et 10 200 F de dotation exceptionnelle               bilans de l’Exposition universelle annoncent un total de
soit environ 24 174 € de 2006], soit seulement 1 % du budget               58 731 participants aux concours d’exercices et de sports
global de l’Exposition. Les principaux efforts se portent sur la           en 1900, dont 1567 athlètes étrangers venus de 30 pays. Ils
construction du vélodrome [d’un montant de 300 000 F, soit                 n’étaient que 300 athlètes, dont 81 étrangers aux Jeux olym-
environ 711 000 174 € de 2006]). L’exemple du vélodrome est                piques de 1896. Certes, le déroulement des épreuves sur
instructif sur les logiques d’aménagement (Jean et Vannier,                plusieurs mois ainsi que la diversité des pratiques proposées
2008). Les frais sont consentis parce que le cyclisme a un lien            expliquent ce nombre important de « sportifs » impliqués à
direct avec l’industrie du cycle et qu’elle se prête à une mise            Paris. Il est difficile d’évaluer précisément le nombre de spec-
en scène spectaculaire attirant les spectateurs. Cette installa-           tateurs présents sur la totalité des événements, avec un succès
tion est donc assurée d’une viabilité ultérieure.                          de 65 millions de tickets d’entrée vendus pour l’enceinte de
    Par ailleurs, le vélodrome va également accueillir les                 cette Exposition. Reste que cette manifestation, inédite à
démonstrations très républicaines de gymnastique en exer-                  une telle échelle dans le cadre d’une Exposition universelle,
cices aux agrès, pyramides humaines, sauts, courses, combat                a rencontré un succès d’estime important, enclenchant la
de canne et tir, dans le cadre des fêtes fédérales organisées le           représentation d’une relation positive entre l’événement
dimanche de Pentecôte, accueillant 466 sociétés de gymnas-                 sportif, la mise en évidence du progrès humain et l’attracti-
tique sur les 650 qui adhèrent à l’USGF. Dans le cadre bud-                vité touristique des territoires.
gétaire adopté, le projet de construction d’un stade sportif
à Courbevoie ne sera pas mené à terme. Comme l’exprime                     Conclusion
Mérillon (1901-1902 : 59) : « il fallut renoncer au séduisant              D’une manière générale, l’analyse confirme que les concours
projet de doter Paris d’une installation sportive modèle à la              internationaux de l’Exposition universelle de 1900, tant
faveur de l’Exposition ». Les sports athlétiques ne sont pas               dans leur diversité que dans leur dispersion dans le temps et
encore en France des spectacles de masse pouvant attirer des               l’espace des fêtes proposées, répondent au projet, inédit en ce
spectateurs de toutes conditions sociales, dans la mesure où               début de XXe siècle, de mettre en scène les progrès humains,
une majorité des pratiquants est issue de la classe bourgeoise             d’offrir des distractions aux visiteurs et de rassembler les
(Vigarello, 2006 ; Cartier, 2010 : 559-568).                               populations autour des idéaux républicains. Ils contribuent
    Les multiples concours de l’Exposition universelle vont                à la mise en valeur touristique de l’événement et du territoire
être répartis sur des territoires étendus (principalement                  et ne souscrivent que partiellement au modèle du sport de
entre le Bois de Vincennes et le Bois de Boulogne, sur la                  compétition, basé sur l’amateurisme et un « universalisme »
Seine et sur la Marne, dans l’enceinte principale de l’Exposi-             olympique circonscrit, dont l’influence est encore discutée
tion, mais également à Versailles, Meulan et même jusqu’au                 en France. L’organisation des exercices et des concours a été
Havre) (Cartier, 2013). Certaines épreuves sont ainsi placées              réalisée à la façon d’un catalogue représentatif des pratiques
parfois en périphérie, parfois dans l’enceinte principale de               sociales considérées comme légitimes, articulant l’éclectisme
l’Exposition (terrasse des Tuileries, place Breteuil et jardin             des pratiques avec une mise en scène des progrès humains
du Luxembourg), et peuvent alors être utilisées comme valo-                sous forme d’épreuves et d’exhibitions attractives. Dès l’ori-
risation touristique des espaces (Roncayolo, 2001 ; Allain,                gine, le spectacle des corps « performants » est passé au filtre
2004 ; Rydell, 2007). Dans le cas des sports athlétiques, les              des usages sociaux et des préoccupations politiques. En miroir
épreuves sont organisées au Pré Catelan dans les instal-                   de la société, mais aussi en étant réinterprétés par les organi-
lations du Racing Club de France. Le lieu est aménagé de                   sateurs de l’Exposition, selon une démarche de co-construc-
façon sommaire et peu adapté à certaines spécialités, telles               tion avec les partenaires du monde associatif, les épreuves et
que les lancers, gênés par la présence des arbres (La Vie au               événements proposés révèlent une mosaïque subtile de mises
grand air, 1900). Des couloirs sont tracés à la chaux sur la               en scène fondées sur des valeurs de distractions, d’édification

TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 32-40 © 2014
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