Aliénation, identité et travail interculturel - European ...
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Webpage: ec.europa.eu/ran twitter | facebook | linkedin | youtube 12/12/2019 ARTICLE EX-POST RAN Protection sanitaire et sociale– « Aliénation, identité et travail interculturel » 23-24 octobre 2019, Helsinki, Finlande Aliénation, identité et travail interculturel L'objectif général de cet article ex post est d'identifier les facteurs de risque, ainsi que des modèles et propositions pratiques pour travailler sur la prévention de la radicalisation en adoptant une perspective interculturelle. Des recherches psychosociales et criminologiques contemporaines ont fourni la preuve que l'aliénation, comprise comme un sentiment d'exclusion sociale et de marginalisation, peut devenir un facteur contributif de l'extrémisme violent. Dans le contexte de nos sociétés, nous devons donc prêter attention aux personnes confrontées aux processus de migration et/ou d'acculturation, car elles risquent d'être particulièrement vulnérables. Le modèle 3N (needs, narratives and networks : besoins, récits et réseaux) est utilisé comme cadre de référence. Il s'agit d'une approche psychosociale qui prend en compte trois facteurs essentiels pour expliquer le processus de radicalisation : les besoins, les récits et les réseaux. De la même façon, nous aborderons des notions connexes telles que l'identité, l'acculturation, le stress acculturatif, les préjugés, la discrimination et les contacts intergroupes. À partir de ce cadre, des propositions et recommandations pratiques seront proposées aux professionnels travaillant avec les réfugiées, les immigrants et leurs descendants. Une production du Centre d’excellence du RAN Rédigé par Manuel Moyano, Université de Cordoue.
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) Introduction Les mouvements migratoires et les flux de réfugiés sont une priorité mondiale. Le nombre de personnes fuyant les guerres, les conflits et les persécutions politiques a dépassé les 70 millions en 2018, le plus haut niveau de déplacement jamais observé (1). Parmi elles, environ 26 millions de personnes sont des réfugiés et plus de la moitié ont moins de 18 ans. Dans le contexte européen, l'arrivée en 2015 de plus d'un million de demandeurs d'asile et d'immigrants a mis en évidence les difficultés du système ainsi que la nécessité de s'adapter à de nouveaux problèmes. Pour répondre à la crise migratoire, les institutions européennes ont pris des mesures visant à améliorer le régime d'asile et formuler des politiques plus justes et plus efficaces (2). Parallèlement, les discours politiques favorisant les préjugés et les discriminations à l'encontre des immigrants, des réfugiés et d'autres groupes minoritaires se sont intensifiés. Différents mouvements sociaux et partis politiques, généralement populistes et opposés à l'immigration et/ou d'extrême droite, font ouvertement la promotion du rejet de ces minorités. Selon une étude du Centre de recherche Pew (3), un pourcentage élevé des Européens considèrent les réfugiés comme un fardeau économique et les associent à la criminalité. Ce rapport a également établi que 59 % des Européens estiment que l'arrivée de réfugiés aggraverait le risque de terrorisme dans leur pays. Les immigrants et leurs descendants, les réfugiés, ainsi que d'autres minorités ethniques continuent à subir des situations de harcèlement, de préjugés et de discrimination dans tous les aspects de leur existence. D'autre part, les victimes et témoins d'actes racistes et/ou haineux en informent rarement les autorités (4). Ces indicateurs de préjugés et de discriminations peuvent également être constatés dans les difficultés d'accès aux droits fondamentaux, dont la protection sanitaire et sociale (5). Certains des obstacles perçus par les immigrants et les réfugiés pour accéder aux services sanitaires et sociaux peuvent être regroupés dans les catégories suivantes (6) : • Obstacles socioculturels. Ceux-ci sont associés à certaines perceptions de naturelle culturelle faisant que les problèmes sociaux et/ou mentaux sont perçus comme une faiblesse ou un sujet de honte. Les personnes concernées peuvent également avoir une vision déformée de ce qu'implique une approche psychologique de leurs problèmes. Elles se tournent alors vers d'autres formes alternatives d'aide enracinées dans leur culture d'origine (en général non scientifiques). On peut citer par exemple les croyances dans le vaudou ou les djinns, qui pourraient pousser certaines personnes à chercher une aide auprès de guérisseurs plus ou moins douteux. • Obstacles contextuels-structurels. Il s'agit principalement : (1) du manque de ressources appropriées prenant en compte la perspective culturelle (langue, caractéristiques des minorités, personnel) ; et (2) du fait que les immigrants et les réfugiés n'ont pas connaissance des services et ressources existants. Les immigrants non informés sont d'autre part confrontés à des défis supplémentaires (p. ex. la peur d'une expulsion) et ignorent qu'il leur est possible d'accéder à certains services sanitaires et sociaux. • Obstacles relatifs aux interventions. Il s'agit de l'absence de services sanitaires et sociaux adaptés aux différences culturelles, aux possibles préjugés des professionnels et aux problèmes de communication. Ces aspects culturels peuvent affecter le processus d'intervention et représentent des obstacles conséquents entre les professionnels et les bénéficiaires. Le scénario décrit a d'importantes implications dans les États membres de l’UE. Cet article ex post passera en revue différents aspects relatifs à la vulnérabilité à la radicalisation de ces groupes (refugiés, immigrants et leurs descendants) dans le contexte des sociétés européennes. Pour cela, des questions relatives au processus d'acculturation pouvant amener des personnes à ressentir un sentiment d'aliénation seront prises en compte. Le modèle de radicalisation 3N, une approche basée sur la suggestion qui a des effets (1) UNHCR. Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. (2019). Global Trends. Forced displacement in 2018. Source https://www.unhcr.org/globaltrends2018/ (2) Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne. (2019). Rapport sur les droits fondamentaux 2019. Source https://fra.europa.eu/fr/publication/2019/rapport-sur-les-droits-fondamentaux-2019-avis-de-la-fra (3) Pew Research Center. (2016). Spring 2016 Global Attitudes Survey. Source https://www.pewresearch.org (4) Réseau européen contre le racisme. (2017). Racism & discrimination in employment in Europe. 2013-2017. Source https://www.enar-eu.org/IMG/pdf/shadowreport_2016x2017_long_final_lowres.pdf (5) Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne. (2019). Rapport sur les droits fondamentaux 2019. Source https://fra.europa.eu/fr/publication/2019/rapport-sur-les-droits-fondamentaux-2019-avis-de-la-fra (6) American Psychological Association. (2013). Working with immigrant-origin clients. An update for mental health professionals. Source https://www.apa.org/topics/immigration/immigration-report-professionals.pdf Page 2 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) pratiques, sera utilisée en tant que cadre intégrateur. Ce document formulera enfin certaines recommandations pouvant être utiles aux praticiens de première ligne dans le domaine sanitaire et social. Identité et culture : l'acculturation Les relations entre les immigrants et les membres de la société d'accueil, ainsi que la dynamique psychosociale du phénomène migratoire, peuvent influencer la polarisation sociale et l'extrémisme violent. Il est nécessaire de ce point de vue d'évoquer le concept d'acculturation, qui fait référence aux changements culturels se produisant lorsque deux groupes (ou plus) ayant des cultures différentes entrent en contact. Au cours des dernières décennies, différents modèles théoriques ont été développés à ce sujet. L'un des plus répandus est le modèle proposé par John Berry et ses collègues (7). Selon cette perspective, quatre orientations d'acculturation sont identifiées sur la base de deux dimensions : le degré du contact conservé par une personne avec sa culture d'origine ; et le degré des liens établis avec d'autres groupes sociaux. Ce modèle est résumé dans la figure 1. Les tendances vers l'acculturation développer des relations avec la Considère-t-on qu'il est utile de Assimilation Intégration société au sens large ? OUI Marginalisation Séparation NON NON OUI Considère-t-on qu'il est important de conserver sa propre culture d'origine ? Figure 1 : Schéma du modèle d'acculturation (adapté de Berry, 2001) • Assimilation. Lorsque les membres de groupes minoritaires ne conservent pas leur identité culturelle et cherchent à interagir avec les autres groupes culturels. Les individus ont alors tendance à rejeter leur culture d'origine et choisissent de devenir des membres à part entière de la nouvelle culture. • Séparation. Lorsque les membres des groupes minoritaires conservent leur identité culturelle et évitent les interactions avec les autres groupes culturels. • Intégration. Lorsqu'ils ressentent un intérêt à conserver leur culture d'origine, tout en cherchant activement à interagir avec d'autres groupes culturels. Cela implique de nouer de nouveaux contacts et de découvrir la nouvelle culture. • Marginalisation. Lorsqu’ils ne ressentent aucun intérêt à conserver leur culture d'origine et qu'ils n'entretiennent aucune relation avec d'autres groupes culturels. Une autre approche de l'acculturation est le modèle ABC de contact culturel (8). Cette proposition met l'accent sur le rôle actif que jouent les individus pour s'adapter à de nouveaux environnements culturels, en distinguant trois composants : Affect (stress et adaptation), Behaviour (comportement)(apprentissage culturel) et Cognition (identité sociale). Ce modèle considère que l'acculturation est un processus dynamique et (7) Berry, J. W. (1997). Immigration, acculturation, and adaptation. Applied Psychology: An International Review, 46, 5-34; Berry, J. W. (1999). Intercultural relations in plural societies. Canadian Psychology, 40, 12-21; Berry, J. W. (2001). A psychology of immigration. Journal of Social Issues, 57, 615-631. (8) Ward, C., Bochner, S., & Furnham, A. (2001). The psychology of culture shock. Sussex: Routledge. Page 3 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) interactif. Dans ce processus, la tâche principale consiste à développer des stratégies efficaces pour faire face au stress et acquérir des compétences socioculturelles utiles pour s'adapter. Cela impliquera des réponses émotionnelles, comportementales et cognitives, à la fois pour la gestion du stress et pour l'acquisition de compétences socioculturelles. Si cet objectif est atteint de façon optimale, on obtiendra un ajustement psychologique et une adaptation socioculturelle. Voici d'autres points importants devant être pris en compte dans le processus d'acculturation : • Le processus d'acculturation peut échouer si la personne éprouve des difficultés à ajuster son identité, à s'intégrer dans la société d'accueil et à parvenir à un équilibre émotionnel au cours du processus. En fait, le processus d'acculturation peut être stressant et générer des problèmes d'estime de soi et de santé mentale. Il est prouvé que la marginalisation est l'orientation la plus stressante de l'acculturation. L'intégration est quant à elle l'orientation la moins stressante, et donc la plus favorable à la santé mentale (9). • Différents groupes sociaux et culturels peuvent montrer différentes tendances à l'acculturation. En conséquence, sur la base de variables telles que la langue, les coutumes et les pratiques culturelles, on peut observer une tendance plus ou moins marquée vers l'intégration sociale. • Le rôle de la société d'accueil est essentiel pour que l'intégration se fasse de façon positive. En ce sens, les préjugés et la discrimination risquent de faire obstacle au processus d'acculturation. Plus précisément, le développement des mouvements sociaux d'extrême droite au sein de la société d'accueil favorise la stigmatisation des minorités et la polarisation sociale. Ce scénario représente un obstacle important à l'intégration sociale. L'aliénation comme facteur contributif de l'extrémisme violent La radicalisation menant à l'extrémisme violent est un processus multidimensionnel, pouvant être influencé par de nombreux facteurs contributifs. Selon les recherches psychosociales et criminologiques, l'une des variables proposées comme facteur contributif est l'aliénation, un concept étroitement lié à l'identité sociale et à la culture. Lors du processus d'acculturation, certaines personnes peuvent donc éprouver des difficultés à s'adapter de façon positive et se sentir exclues et discriminées. Étudié depuis des décennies dans le cadre des sciences sociales (10), le concept d'aliénation fait essentiellement référence à un état de détachement vis-à-vis de la société. Cet état psychologique peut devenir un facteur de risque pour l'extrémisme violent, car il encourage certains individus à trouver dans les groupes extrémistes un moyen de répondre à leur besoin d'affiliation et à leur recherche de sens. De ce fait, les individus et groupes aliénés risquent d'être particulièrement vulnérables à l'extrémisme violent, ainsi qu'au recrutement à visée terroriste. Cette approche est cohérente avec le point de vue développé plus haut. Plus précisément, il a été démontré qu'une discrimination perçue constitue un facteur de risque pour soutenir la violence politique, dans le cadre d'études réalisées sur des musulmans européens et américains (11). Dans le même ordre d'idées, une méta- analyse de la frustration relative a montré que lorsque des personnes se sentent injustement traitées, elles ont plus tendance à s'impliquer dans des mobilisations collectives pour lutter contre une injustice perçue (12). D'autres recherches ont établi un lien entre la frustration relative (13) et l'oppression perçue (14) et l'extrémisme violent dans des échantillons d'immigrants musulmans se trouvant dans des contextes vulnérables. Toujours dans des (9) Yoon, E., Chang, C. T., Kim, S., Clawson, A., Cleary, S. E., Hansen, M., ... & Gomes, A. M. (2013). A meta-analysis of acculturation/enculturation and mental health. Journal of Counseling Psychology, 60, 15. (10) Giffin, K. (1970). Social alienation by communication denial. Quarterly Journal of Speech, 56, 347-357; Lystad, M. H. (1972). Social alienation: A review of current literature. The Sociological Quarterly, 13, 90-113; Williams, K. D. (2007). Ostracism. Annual Review of Psychology, 58, 425-452. (11) Victoroff, J., Adelman, J. R., & Matthews, M. (2012). Psychological factors associated with support for suicide bombing in the Muslim diaspora. Political Psychology, 33, 791-809. (12) Smith, H. J., Pettigrew, T. F., Pippin, G. M., & Bialosiewicz, S. (2012). Relative deprivation: A theoretical and meta-analytic review. Personality and Social Psychology Review, 16, 203-232. (13) Moyano, M., Bélanger, J. J., Lobato, R. M., & Trujillo, H. M. (en cours d'examen). Risk of jihadist radicalization in urban environments: The case of El Puche. (14) Lobato, R. M., Moya, M., Moyano, M., & Trujillo, H. M. (2018). From oppression to violence: The role of oppression, radicalism, identity, and cultural intelligence in violent disinhibition. Frontiers in Psychology, 9, 1505; Moyano, M., & Trujillo, H. M. (2014). Intention of activism and radicalism among Muslim and Christian youth in a marginal neighbourhood in a Spanish city. International Journal of Social Psychology, 29, 90-120. Page 4 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) échantillons d'immigrants musulmans, on a constaté que la marginalisation est positivement corrélée à la perte de sens (c.à.d. à une faible estime de soi et/ou à l'absence de sens personnel), elle-même positivement corrélée à un soutien à l'Islam radical et des groupes terroristes. Plus récemment, d'autres travaux portant sur des échantillons issus de cultures différentes ont également montré que l'aliénation sociale (15) et l'exclusion sociale (16) sont des facteurs contributifs du processus de radicalisation. L'aliénation, prise au sens large, peut ainsi constituer un facteur de risque pour l'extrémisme violent. Mais comment ce processus se produit-il ? Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ? Le modèle 3N de la radicalisation Le modèle 3N de la radicalisation (17) est un cadre théorique utilisé pour comprendre le rôle de l'aliénation dans le processus de radicalisation. L'utilisation de ce modèle présente plusieurs avantages : 1) il adopte une vision multifactorielle du processus de radicalisation ; 2) il suppose que la radicalisation est fondamentalement la conséquence d'interactions entre l'individu et le groupe ; 3) il a été validé par des preuves scientifiques de grande qualité ; et 4) il a des implications pratiques destinées à contrer l'extrémisme violent et à prévenir la radicalisation. En résumé, le modèle (voir la figure 2) explique le processus de radicalisation par la conjonction de trois facteurs fondamentaux : Needs (besoins), Narratives (récits) et Networks (réseaux). Ces trois facteurs contribuent à la radicalisation de façon dynamique et interactive. Nous allons les examiner plus en détail, en expliquant Figure 2 : Le modèle 3N de la radicalisation comment l'aliénation peut être reliée au modèle 3N. BESOINS Au fil des années, différentes motivations des extrémistes violents ont été évoquées (p. ex. l'humiliation, les injustices, la vengeance, les avantages économiques ou le besoin de filiation). Mais le modèle 3N suggère qu'il existe une motivation commune regroupant toutes ces motivations : la quête de sens personnel. Ce concept se rapporte au besoin essentiel de se sentir utile, d'être quelqu'un, d'être respecté et digne d'estime. Fondamentalement, la quête de sens peut être déclenchée de deux façons : • La perte de sens. Celle-ci se produit lorsque des situations injustes d'humiliation, de déshonneur ou de honte font qu'un individu ou un groupe se sent insignifiant. • La possibilité de gagner du sens. Cela fait référence au surcroît de sens personnel qu'un individu ou un groupe peut obtenir en réalisant des actes extrémistes (p. ex. en commettant une attaque), quelque chose qui en ferait des « martyrs » ou des « héros ». De ce point de vue, le processus de radicalisation commence avec un évènement déclencheur qui active la motivation liée à la quête de sens personnel. Une fois la quête de sens activée, la personne explorera différents moyens de répondre à cette motivation, y compris des options qui, si les circonstances s'y prêtent, pourraient comprendre l'extrémisme violent. Il est nécessaire de souligner que l'aliénation peut être considérée comme un état émotionnel de perte de sens personnel, risquant d'encourager certains individus ou groupes à restaurer ce sens en se tournant vers des options telles que l'extrémisme violent. (15) Bélanger, J. J., Moyano, M., Bangash, H., Richardson, L., Lafrenière, M-A., McCaffery, P., … & Nociti, N. (2019). Radicalization leading to violence: A test of the 3N model. Frontiers in Psychiatry, 10, 42. (16) Pretus, C., Hamid, N., Sheikh, H., Ginges, J., Tobeña, A., Davis, R., ... & Atran, S. (2018). Neural and behavioral correlates of sacred values and vulnerability to violent extremism. Frontiers in Psychology, 9, 2462. (17) Kruglanski, A. W., Bélanger, J. J., & Gunaratna, R. (2019). The three pillars of radicalization: Needs, narratives and networks. Oxford : Oxford University Press; Kruglanski, A. W., Gelfand, M. J., Bélanger, J. J., Sheveland, A., Hetiarachchi, M., & Gunaratna, R. (2014). The psychology of radicalization and deradicalization: How significance quest impacts violent extremism. Political Psychology, 35, 69-93. Page 5 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) RECITS Dans le modèle 3N, les récits font référence à l'idéologie ou à l'ensemble des croyances partagées par un groupe particulier. Cette idéologie et son récit peuvent varier quant à leur contenu et être associés à différentes tendances de nature religieuse, politique ou ethnique-nationaliste (18). Quel que soit son contenu, l'idéologie établit un moyen pouvant être utilisé pour gagner un sens personnel. Une idéologie radicale offre ainsi une interprétation de la réalité définissant ce qui doit être fait pour atteindre un sens personnel de façon légitime, utile et honorable. L'idéologie repose d'autre part sur un récit clair faisant la distinction entre « nous et eux » et nourrit un mode de pensée manichéen. Elle fournit ainsi des réponses aux questions ou aux doutes que quelqu'un pourrait avoir et lui permet de donner un sens à son existence. RESEAUX Le troisième composant du modèle fait référence aux réseaux sociaux et/ou à la dynamique de groupe. Le rôle des réseaux est essentiel, et ce pour plusieurs raisons. Les réseaux facilitent la satisfaction de certains besoins de base (comme l'appartenance, le statut, le sens personnel) ; les réseaux sont ensuite un canal de transmission de l'idéologie radicale ; enfin, ils apportent une forme de validité à l'idéologie justifiant le terrorisme. En ce sens, dans le contexte des idéologies extrémistes, le groupe peut en arriver à admirer et respecter ceux qui commettent des actes violents, car il considère qu'ils sont méritants et même honorables (p. ex. des martyrs, des héros). Il est nécessaire d'insister sur le fait que la perte de sens personnel (p. ex. l'aliénation) est une vulnérabilité pouvant facilement être exploitée par des manipulateurs et des recruteurs pour légitimer la violence politique et inoculer des griefs, la perception d'une injustice et une frustration relative chez les recrues potentielles. Quelques implications pratiques Une fois le modèle 3N exposé, certaines recommandations pratiques peuvent en être tirées, comme celles qui suivent. COMMENT INTERVENIR SUR LES BESOINS ? Lorsqu'une personne est dans une situation de perte de sens (p. ex. aliénation), il est nécessaire de répondre au déséquilibre motivationnel. Pour cette raison, les professionnels des services sociaux et en santé mentale doivent identifier les besoins et le soutien dont un enfant, un jeune ou une famille peut avoir besoin, ainsi que le meilleur moyen de lui apporter une aide. On peut trouver un bon exemple de la façon dont ces besoins peuvent être identifiés et satisfaits dans le guide « Right Help Right Time » du partenariat Coventry Safeguarding Children. Lorsque l'on s'attache aux besoins, il est important d'offrir des alternatives vitales et de répondre à des besoins tels que la sécurité, l'identité, la formation, les occupations, l'emploi et les activités de loisirs (19). Il est prévisible que le fait d'agir sur ces aspects améliore l'estime de soi et le sens personnel des personnes vulnérables. Des expériences traumatisantes qui favorisent la perte de sens et d'autres problèmes de santé mentale, comme les troubles de l'anxiété, la dépression ou le syndrome de stress post-traumatique, peuvent être subies tout au long du processus de migration. Certaines de ces expériences sont associées à la discrimination, à la stigmatisation, à la violence des gangs et de réseaux manipulateurs, à la persécution et à la méfiance à l'égard des autorités, au séjour dans des camps de réfugiés, à l'expulsion et/ou la déportation, à la séparation des Le projet METS (Method for the Empowerment of Trauma and Torture Survivors) L'objectif de ce projet était de promouvoir les bonnes pratiques dans différents centres de réhabilitation de l'UE, afin d'autonomiser les survivants de tortures et d'améliorer leur capacité à s'intégrer dans les pays d'accueil. Dans le cadre de cette entreprise, une intervention transdiagnostique intitulée « Recovery Oriented Survivor Empowerment Strategies » (7ROSES) a été développée aux Pays-Bas. Fondamentalement, (19) Bélanger, J. J., Nociti, N., Chamberland, P.-E., Paquette, V., Gagnon, D., Mahmoud, A., … & Eising, C. (2015). Bâtir une 7ROSES vise à améliorer le sentiment d'efficacité personnelle des réfugiés cherchant un traitement aux communauté résiliente dans un Canada multiculturel : Trousse de renseignements sur l'extrémisme violent. Université du facteurs Québec de stress à Montréal. post-migratoires. Source Applicable http://trev.uqam.ca/; par M., Moyano, des(2019). travailleurs sociauxterrorista. Radicalización non spécialisés, il peut Gestión del être riesgo utilisé de y modelos à grande. échelle, intervención Madrid : et enrichir ainsi les possibilités de fournir un soutien et une aide psychosociale. Le modèle Síntesis. adopte une approche positive cherchant à renforcer le sens personnel des bénéficiaires. Page 6 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) familles, à la torture et à des expériences de violence politique et/ou interpersonnelle. En plus de ces expériences traumatisantes, le processus de migration peut entraîner d'autres circonstances négatives au sein de la société d'accueil. Celles-ci aggravent encore la difficulté à faire face à la perte de sens et aux problèmes de santé mentale (p. ex. le chômage, la pauvreté, l'absence d'aide sociale). Sur le plan des interventions, il est essentiel que les professionnels aient un minimum de notions sur les aspects culturels associés à ces réalités dramatiques (20), afin d'ajuster et contextualiser autant que possible leurs interventions. Les difficultés à obtenir un sens personnel peuvent avoir des répercussions importantes sur le processus d'adaptation des immigrants et des réfugiés. Plus précisément, le manque de travail et/ou de formation peut contribuer à un état affectif négatif et à l'aliénation sociale. Selon le modèle 3N, l'emploi et la formation peuvent contribuer au processus d'ajustement des immigrants, et ce des façons suivantes : 1) réduction de la perte de sens ; 2) opportunités de construire un nouveau récit personnel (apprentissage de la culture et de la langue) ; et 3) contribution à la construction de nouveaux réseaux sociaux et liens d'amitié. Proposer des conseils, des directives et des opportunités aux personnes présentant un risque d'aliénation est donc une priorité. Dans l'UE, on trouve différentes pratiques visant à promouvoir l'inclusion des immigrants et de leurs descendants. À titre d'exemple, le gouvernement néerlandais a ainsi conçu le programme « Further Integration into the Labour Market programme (2018-2021) ». Cette initiative comporte plusieurs actions différentes destinées à prévenir l'exclusion sociale et se penche sur des problèmes tels que la discrimination, l'éducation des groupes les plus vulnérables et la participation des familles. Le programme est basé sur une approche fondée sur des preuves et tente de créer des synergies entre les employeurs et les autorités locales (21). Il existe d'autre part différents plans locaux de prévention de la radicalisation qui ont privilégié les besoins en tant qu'axe stratégique ; voir l'exemple ci-dessous. Le « plan transversal pour la coexistence et la prévention de la radicalisation violente dans la ville de Malaga » est un projet qui, en plus d'être un exemple de travail interinstitutionnel, hiérarchise différentes actions telles que le dialogue interreligieux, la création d'espaces pour le partage d'expériences et l'expression des besoins, et la médiation interculturelle. De cette façon, les professionnels en intervention psychosociale disposent de différents scénarios les aidant à répondre à certains besoins essentiels des personnes vulnérables. L'objectif est de bâtir une société résiliente et solidaire qui évite l'aliénation sociale, quelque chose qui sera un facteur de protection contre l'extrémisme violent. (20) PROTECT. Processus de reconnaissance et d’orientation des victimes de torture dans les pays européens afin de faciliter l’accompagnement et l’accès aux soins. Source http://protect-able.eu/wp-content/uploads/2013/01/protect-global-french.pdf; Van Heemstra, H. E., Scholte, W. F., Haagen, J. F. G., & Boelen, P. A. (2019). 7ROSES, a transdiagnostic intervention for promoting self-efficacy in traumatized refugees: A first quantitative evaluation. European Journal of Psychotraumatology, 10(1), Art. 1673062. (21) Voir : https://ec.europa.eu/social/main.jsp?langId=en&catId=1047&newsId=9428&furtherNews=yes Page 7 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) COMMENT PEUT-ON INTERVENIR SUR LES RECITS ? Intervenir sur les récits nécessite d'aborder l'aspect idéologique. Le fait de déconstruire les stéréotypes et les préjugés et de proposer des ressources pour avoir une vision plus ouverte de la réalité doit être pris en compte. Dans le contexte d'interventions thérapeutiques et psychosociales, l'idéologie peut être abordée par le dialogue et la communication. Occasionnellement, il faut travailler sur certains biais et distorsions cognitifs, et également évoquer certains aspects de la biographie personnelle de l'individu afin de le restructurer et lui donner les moyens de mieux s'adapter aux situations qu'il rencontre. Utilisation du dialogue Pour intervenir sur l'aspect idéologique, plusieurs approches peuvent être envisagées : • encourager des discussions interculturelles et interconfessionnelles qui mettent en avant les valeurs communes ; • encourager les personnes à examiner un problème selon différents angles, en demandant en quoi consiste le problème, quels sont les arguments mis en avant, ce qu'ils laissent entendre et comment ils sont manipulés. Pour plus de conseils et de méthodes relatives à ce type de conversations, référez-vous au document d'analyse du RAN de 2018 intitulé « Aborder les tabous et les questions controversées ». Le manuel intitulé « The contribution of youth work to preventing marginalisation and violent radicalisation »de la Direction générale de l'éducation, de la jeunesse, du sport et de la culture de la Commission européenne est une boîte à outils pratique destinée aux animateurs socio-éducatifs. Cette boîte à outils propose différentes approches pour prévenir la marginalisation et la radicalisation conduisant à l'extrémisme violent. Naturellement, le récit peut également être diffusé dans la société d'accueil, en particulier pour contrer les idéologies qui encouragent une vision réductionniste de la réalité et favorisent la stigmatisation des minorités. Il est également important de noter que dans les contextes d'intervention, nous pouvons rencontrer des personnes qui sympathisent de manière ouverte avec les idéologies de l'extrémisme violent (22). Face à ces situations, il est nécessaire de promouvoir des attitudes critiques à l'égard des idéologies violentes ainsi que d'exposer et de promouvoir les récits alternatifs non violents. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une tâche aisée, ces actions provoqueront une dissonance cognitive et généreront des attitudes critiques envers la pensée unique et exclusive. En relation étroite avec ce qui précède, les aspects communicatifs sont essentiels, particulièrement lorsqu'il existe des différences culturelles entre les professionnels et les bénéficiaires. Pour minimiser les incompréhensions et faciliter le processus d'intervention, il est recommandé : (1) d'écouter et comprendre les bénéficiaires ; (2) d'établir des relations basées sur la confiance ; et (3) de maintenir des lignes de communication ouvertes et honnêtes. Au-delà des différences culturelles, il est utile dans des contextes thérapeutiques d'insister sur les aspects qui nous unissent et sur les besoins communs des personnes de toutes les cultures. De la même façon, il est recommandé de minimiser les biais ethnocentriques et les attentes erronées qui procèdent parfois de stéréotypes relatifs à certains groupes culturels. Dans certaines situations, la collaboration de médiateurs interculturels, de traducteurs et d'interprètes facilitant les communications de base avec les bénéficiaires s'avèrera nécessaire. Des actions, campagnes de communication et interventions Le discours d'Obama au Caire (« Un destinées à combattre les préjugés et la discrimination adoptent nouveau départ ») peut être considéré des approches contextualisées et un caractère local, l'appui des comme un exemple type de institutions et des administrations s'avérant crucial. De ce point de communication politique visant à vue, le rôle des attitudes et du discours des responsables délégitimer le terrorisme et à politiques est essentiel pour générer un environnement favorable décrédibiliser ses propos. Il représente à la conduite d'actions globales destinées à lutter contre les également une tentative pour réduire préjugés. Enfin, il est nécessaire de démonter et de contrer les les préjugés intergroupes entre les pays campagnes et les fausses informations qui établissent un lien occidentaux et le monde arabo- entre l'immigration et certains problèmes sociaux en diffusant des musulman. données manipulées et biaisées. (22) Canters, F., & van de Donk, M., Building bridges, article ex post. Prague, République tchèque : Centre d’excellence du RAN, 2019. Page 8 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) COMMENT PEUT-ON INTERVENIR SUR LES RESEAUX ? L'objectif fondamental est que les personnes vulnérables reçoivent un soutien social (et le perçoivent). Pour cela, les liens avec des réseaux sociaux constructifs tournés vers l'intégration sociale doivent être encouragés et/ou renforcés. De la même façon, il faut faire obstacle aux liens sociaux unissant les gens à des individus et groupes radicalisés ou présentant des tendances opposées à l'intégration. Intervenir sur les réseaux signifie également prendre en compte les amis, les proches et la communauté en général. Tout ceci est fait pour que les personnes vulnérables à l'aliénation sentent qu'elles sont les bienvenues dans la société d'accueil et que, même si certains de ses éléments expriment un rejet, elles bénéficient d'un soutien solide de la part des institutions et de la société dans son ensemble. Certains exemples de bonnes pratiques ont été développés dans les domaines des sports et des activités de loisirs , de l'éducation, de la communication (récompenses attribuées à des valeurs prosociales, journées contre les discrimination, conférences, campagnes), et au sein des autorités locales et des communautés . Les préjugés et la discrimination, intimement liés aux réseaux sociaux, ont également d'importantes implications sur la santé mentale et l'ajustement psychosocial. Pour contrecarrer leurs effets négatifs, il est conseillé de renforcer les ressources personnelles d'adaptation des personnes vulnérables à l'aliénation. Pour traiter ce problème social, il peut être utilise d'utiliser comme référence le modèle 3N. D'un point de vue social et communautaire, ce modèle est également pratique pour développer des interventions destinées à lutter contre les préjugés dans la société d'accueil. En ce sens, il existe des preuves établissant qu'il est possible de lutter contre les préjugés grâce à un contact intergroupe positif (23). Pour optimiser ce contact intergroupe, les conditions suivantes doivent être mises en avant : • favoriser l'égalité de statut des groupes ; • définir des objectifs communs ; et • surtout, rechercher l'appui des institutions. Différents programmes, recherches et pratiques pour la paix ont déterminé qu'un contact positif entre les groupes est associé à une diminution des préjugés entretenus par des groupes opposés. Ce phénomène a même été confirmé par des expériences menées dans des contextes ayant subi et/ou subissant une violence politique, comme en Bosnie-Herzégovine et en Croatie, en Irlande du Nord, en Israël, au Rwanda et au Sri Lanka (24). Le rôle des projets Erasmus+ dans le développement de réseaux positifs réunissant les jeunes, les communautés et les pays Le projet Erasmus+ KA229 « Nous sommes Européens, nous sommes égaux » (2018-2020) est un projet de 2 ans sur l'inclusion sociale, mené en partenariat avec trois établissements (3e Gymnase de Naoussa, D’Alessandro Vocino et IES Guadalquivir) respectivement situés dans des zones défavorisées de Grèce, d'Italie et d'Espagne. En étudiant sept thèmes qui favorisent le développement du sens personnel, le projet vise à éduquer les jeunes sur les valeurs de citoyenneté relatives à la diversité culturelle, ethnique et religieuse. Ce projet intervient de façon transversale avec les services sanitaires et sociaux, la communauté locale et les ONG. Parmi les bénéficiaires, on trouve des groupes d'immigrants et de réfugiés vulnérables à l'aliénation et qui pourraient devenir vulnérables à la radicalisation. La route vers le travail interculturel L'approche des facteurs contribuant à l'extrémisme violent, dans ce cas spécifique l'aliénation, est un processus complexe, d'autant plus lorsque les bénéficiaires des interventions n'appartiennent pas à la même culture que celle des professionnels. Vous trouverez ci-dessous certains éléments utiles devant être pris en compte par les praticiens de première ligne. Ces suggestions sont applicables à tout type d'approche psychosociale et clinique, mais nous essaierons de mettre l'accent sur la sensibilisation interculturelle et sur les bénéficiaires potentiels (immigrants et leurs descendants, réfugiés, minorités) dont nous nous occupons. (23) Pettigrew, T. F., & Tropp, L. R. (2006). A meta-analytic test of intergroup contact theory. Journal of Personality and Social Psychology, 90, 751-783. (24) Al Ramiah, A., & Hewstone, M. (2013). Intergroup contact as a tool for reducing, resolving, and preventing intergroup conflict: Evidence, limitations, and potential. American Psychologist, 68, 527-542. Page 9 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) PERSPECTIVE CULTURELLE DANS L'EVALUATION ET LES DIAGNOSTIC DES CAS Toute intervention doit se baser sur une évaluation et un diagnostic appropriés. Pour cela, il est nécessaire de disposer d'éléments qui soutiennent le processus de prise de décision et minimisent les biais personnels. En règle générale, il serait souhaitable que cette évaluation soit basée sur des connaissances empiriques et des preuves scientifiques, et non sur des intuitions et des spéculations. Ceci exige la prise en compte de certaines variables culturelles dans le processus d'évaluation, et donc dans les instruments d'évaluation (25). Certains des problèmes pouvant être abordés sont, entre autres, le sexe, la famille et les conflits intergénérationnels, les conflits identitaires, l'absence de soutien social (solitude, isolement), et les aspects idéologiques (p. ex. culture de l'honneur, religion). D'un autre côté, les professionnels peuvent faire preuve de partis pris ethnocentriques, et il est donc important qu'ils examinent d'un œil critique leurs propres préjugés et attentes afin d'atténuer leurs effets, autant que faire se peut. Un moyen d'atténuer les risques associés à ces préjugés consiste à organiser une intervision ou une supervision entre professionnels. Ces structures de soutien ne sont pas seulement bénéfiques pour atténuer les partis pris ethnocentriques, elles le sont aussi pour le bien-être global des professionnels de santé travaillant sur la prévention et la lutte contre l'extrémisme violent. DETECTION DE L'EXTREMISME VIOLENT Dans le contexte d'interventions avec des personnes socialement aliénées (ou risquant de le devenir), il est nécessaire d'avoir des connaissances et une formation de base pour détecter les indicateurs possibles de l'extrémisme violent. En fait, dans certains pays tels que le Royaume-Uni, les professionnels de la santé, du travail social ou de l'éducation ont été solidairement rendus responsables de la détection et du signalement des premiers indices de radicalisation (26). Cependant, en de nombreuses occasions, les stéréotypes peuvent gêner les interventions. On peut ainsi mentionner une enquête portant sur 329 employés du NHS au Royaume-Uni et destinée à évaluer l'efficacité du module de formation officiel du gouvernement en matière de prévention. Cette enquête a révélé que les professionnels montraient des partis pris importants lorsqu'il s'agissait de faire la distinction entre des comportements normaux et les indicateurs liés au processus de radicalisation (27). La prudence est donc de mise concernant les possibles préjugés risquant d'influencer la conduite des évaluations, car il est possible que des stéréotypes répandus dans la culture populaire influencent la façon dont la radicalisation est perçue. Même s'il existe différents instruments pouvant contribuer à la prise de décision, ils doivent tous faire l'objet d'une vérification plus approfondie et d'une validation empirique (28). Parmi les ressources disponibles, nous pouvons mentionner à la fois des instruments psychométriques d'évaluation du risque comme VERA-2R (29) et un autre type de baromètres pratiques (30) qui fournissent des indicateurs répondant aux besoins. COMPETENCES CULTURELLES DES PROFESSIONNELS La compétence culturelle ne se limite pas à connaître les stéréotypes relatifs à certaines cultures, dont un grand nombre peuvent être erronés et biaisés. Dans les contextes de diversité culturelle, les interventions sociales et psychologiques exigent des compétences spécifiques. La compétence culturelle implique, entre autres aspects, les connaissances culturelles des professionnels, une connaissance des attitudes et des croyances, et les (25) Yeh, C. J., & Kwan, K. (2010). Advances in multicultural assessment and counseling with adolescents: An ecological perspective. In L. A. Suzuki, Casas, J. M., Alexander, C. M., & Ponterotto, J. G. (Eds.), Handbook of multicultural counseling (pp. 637-648). Thousand Oaks, CA: Sage. (26) Heath-Kelly, C., & Strausz, E. (2019). The banality of counterterrorism “after, after 9/11”? Perspectives on the Prevent Duty from the UK health care sector. Critical Studies on Terrorism, 12, 89-109. (27) Heath-Kelly, C., & Strausz, E. (2018). Counter-terrorism in the NHS. Evaluating Prevent Duty safeguarding in the NHS. Source https://warwick.ac.uk/fac/soc/pais/research/researchcentres/irs/counterterrorisminthenhs/ (28) Scarcella, A., Page, R., & Furtado, V. (2016). Terrorism, radicalisation, extremism, authoritarianism and fundamentalism: A systematic review of the quality and psychometric properties of assessments. PloS ONE, 11(12), Art. e0166947. (29) Voir https://www.vera-2r.nl/. (30) Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV). Baromètre des comportements. Comment reconnaître les comportements de radicalisation menant à la violence. Source https://info-radical.org/fr/comment-reconnaitre/ Page 10 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) compétences pour développer des interventions appropriées sur le plan culturel (31). Il est intéressant à cet égard d'introduire le concept d'intelligence culturelle, qui est étroitement lié aux compétences décrites. L’intelligence culturelle est une extension des approches modernes de l'intelligence et qui complète d'autres perspectives s'attachant essentiellement à des aspects cognitifs et/ou académiques. Elle peut être définie comme la capacité de s'adapter efficacement à des situations caractérisées par la diversité culturelle (32). L'intelligence culturelle favorise en outre la capacité d'adaptation, et ce à différents niveaux (métacognitifs, cognitifs, motivationnels et comportementaux). Ces compétences culturelles pourraient être prises en compte dans les programmes de formation et l'évaluation des positions et responsabilités dans un contexte d'intervention interculturel (33). Observations finales Les sociétés européennes sont caractérisées par leur diversité culturelle. Les interventions sociales et psychologiques doivent donc nécessairement adopter une perspective interculturelle. Dans l'ensemble du rapport, nous avons passé en revue des modèles et des recommandations pratiques pour les professionnels des services sociaux et en santé mentale travaillant avec les immigrants et leurs descendants, les réfugiés et d'autres minorités ethniques. Les institutions publiques et les administrations doivent développer des stratégies et des interventions tenant compte des personnes vulnérables à l'aliénation, et qui doivent permettre d'empêcher ces personnes de basculer dans la radicalisation conduisant à l'extrémisme violent. À cette fin, il est important de réduire la dynamique des préjugés et de la discrimination, d'apporter aux gens un sens personnel pour faire face à une réalité pouvant être hostile, et de favoriser l'intégration sociale. Enfin, même si le présent rapport s'est attaché au concept d'aliénation en tant que facteur de risque, nous ne devons pas oublier que les migrants et les réfugiés font en général preuve d'une force remarquable. Le plus souvent, ils sont fortement motivés pour apprendre la langue et la culture des sociétés d'accueil et présentent des niveaux élevés de participation sociale. Une meilleure cohésion familiale et la disponibilité d'un soutien de la part de la communauté peuvent contribuer aux possibilités de guérison et de résilience. Il est donc essentiel d'autonomiser ces groupes dans le processus des interventions sociales et psychologiques, de leur donner un rôle actif (et non passif), et de mettre en valeur les histoires personnelles ayant débouché sur une intégration positive et réussie. À mesure que nous nous rapprocherons de ces objectifs, nous pourrons construire des société plus résilientes et cohésives. (31) American Psychological Association. (2002). Guidelines on multicultural education, training, research, practice, and organizational change for psychologists. Source https://www.apa.org/about/policy/multicultural-guidelines-archived.pdf (32) Earley, P. C., & Ang, S. (2003). Cultural intelligence: Individual interactions across cultures. Palo Alto, CA: Stanford University Press. (33) Fang, F., Schei, V., & Selart, M. (2018). Hype or hope? A new look at the research on cultural intelligence. International Journal of Intercultural Relations, 66, 148-171; Moyano, M., Tabernero, C., Melero, R., & Trujillo, H. M. (2015). Spanish version of the Cultural Intelligence Scale. International Journal of Social Psychology, 30, 182-216. Page 11 sur 12
ARTICLE EX-POST RAN H&SC 23-24 OCTOBRE 2019, Helsinki (FI) Suggestions de lecture American Psychological Association. (2013). Working with immigrant-origin clients. An update for mental health professionals. Source https://www.apa.org/topics/immigration/immigration-report-professionals.pdf Bélanger, J.J., Moyano, M., Bangash, H., Richardson, L., Lafrenière, M-A., McCaffery, P., Framand, K., & Nociti, N. (2019). Radicalization Leading To Violence: A Test of the 3N Model. Frontiers in Psychiatry, 10:42. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyt.2019.00042/full. Kruglanski, A. W., Bélanger, J. J., & Gunaratna, R. (2019). The three pillars of radicalization: Needs, narratives and networks. Oxford : Oxford University Press. Lenos, S., Haanstra, W., Keltjens, M., & van de Donk, M., Manuel du RAN pour la gestion de la polarisation, article ex post. Amsterdam, Pays-Bas : Centre d’excellence du RAN, 2017. Lyons-Padilla, S., Gelfand, M. J., Mirahmadi, H., Farooq, M., & van Egmond, M. (2015). Belonging nowhere: Marginalization & radicalization risk among Muslim immigrants. Behavioral Science & Policy, 1, 1-12. https://behavioralpolicy.org/wp-content/uploads/2017/05/BSP_vol1is2_-Lyons-Padilla.pdf Smit, Q., & Meines, M., Atelier du RAN sur les politiques et les pratiques - Discours et stratégies des extrémistes islamistes et de droite, article ex post. Amsterdam, Pays-Bas : Centre d’excellence du RAN, 2019. Trujillo, H. M., & Moyano, M. (2018). Towards the study and prevention of the recruitment of jihadists in Europe: A comprehensive psychological proposal. In I. Marrero y H. M. Trujillo (Eds.), Jihadism, Foreign Fighters and Radicalisation in the European Union: Psychosocial, Legal, Political and Functional Responses. Londres : Routledge, Taylor & Francis Group. Page 12 sur 12
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