ANESTHESIE LOCOREGIONALE ET FRACTURE DU COL FEMORAL : CONTRE
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Anesthésie locorégionale 167 ANESTHESIE LOCOREGIONALE ET FRACTURE DU COL FEMORAL : CONTRE L. Eyrolle, N. Rosencher, Service d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Cochin, 75014 Paris. INTRODUCTION La fracture du col du fémur est un véritable problème de santé publique. En effet, ce n’est pas simplement la conséquence d’une chute mais, le plus souvent, le témoin d’une maladie générale du patient âgé comme l’indiquent les chiffres de mortalité après fracture du col. La létalité est de 22 % à 3 mois, dont 7 à 18 % dans le premier mois, pour atteindre 28 à 40 % à un an [1, 2]. Parmi ceux qui survivent, près de la moitié n’est pas autonome à 1 an. Ces chiffres nous incitent à la modestie quant à la part de l’anesthésie dans le pronostic de cette fracture. MORTALITE-MORBIDITE La mortalité est effectivement plus fréquente en postopératoire notamment à partir du 3ème jour et jusqu’à 1 an [3]. Les causes retrouvées sur 581 autopsies de 1953 à 1992, par ordre de fréquence : broncho-pneumopathie, défaillance cardiaque, infarctus du myocarde, embolie pulmonaire [4]. En effet, le pronostic est principalement lié à des facteurs de comorbidité préexistant à la fracture et à l’intervention sous anesthésie : âge, degré d’autonomie [5], troubles psychiques, altérations des grandes fonctions sont les seuls facteurs corrélés à la mortalité [6]. Ni la technique opératoire, ni la technique anesthésique, n’ont pu démontrer un effet déterminant. Que ce soit la méta-analyse récente de Sorenson [7] sur 1 400 patients ou l’étude prospective récente portant sur 1 333 patients de Sutcliffe [8] comparant anesthésie générale (AG) versus anesthésie locorégionale (ALR) pour la chirurgie du col du fémur, aucune étude ne permet de prouver la supériorité d’une technique en terme de mortalité-morbidité. Entre 1980 et 1997, au moins 11 études prospectives et randomisées ont tenté de montrer la supériorité de l’ALR en terme de mortalité dans la chirurgie de la hanche : sans succès !!! La difficulté de randomisation et l’impossibilité de double aveugle rendent discutables ces études sur le plan méthodologique. Si AG et ALR sont comparables en terme de mortalité - morbidité, en revanche nous choisissons l’A.G. pour de multiples raisons qui seront rapportées tout au long de cet exposé : celles liées aux échecs de l’ALR et celles liées aux bénéfices de l’A.G.
168 MAPAR 1998 CAUSES D’ECHEC DE L’ALR Les blocs périphériques (Plexus lombaire) ne seront pas discutés ici car il n’existe aucune étude prospective montrant leur utilisation dans l’anesthésie pour chirurgie du col fémoral. L’anesthésie péridurale est reconnue techniquement difficile chez le sujet âgé et fracturé. Les nombreuses adhérences péridurales, associées au ligament interépineux calcifié entraînent un très important taux d’échec. C’est pourquoi, ce sont surtout des rachianesthésies qui sont pratiquées. Cependant, compte tenu du faible taux de céphalées à cet âge, il n’y a pas lieu de distinguer les effets de ces deux types d’anesthésie spinale, qui seront donc traités conjointement sous le terme d’ALR ce d’autant qu’elles peuvent être associées (Rachi-péridurale séquentielle). Les causes d’échec de l’ALR sont généralement classées selon trois critères, selon qu’elles sont liées au patient, à la chirurgie ou à l’anesthésiste. Dans les fractures du col du fémur tous ces critères d’échec des ALR sont réunis. 1. CAUSES D’ECHEC LIEES AU PATIENT 1.1. ABSENCE DE COOPERATION DU PATIENT Elle est extrêmement fréquente et est d’abord liée à un état de désorientation préopératoire, retrouvée chez 20 % à 33 % des patients. Cet état est soit déjà ancien (pré démence) soit lié au délai avant hospitalisation (patients impotents, isolés, déshydratés par l’attente des secours !) [9]. Les handicaps sensoriels, comme la cécité ou, surtout, l’hypoacousie majeure, sont encore plus fréquents chez les sujets âgés et sont un frein majeur à toute coopération. Les patients qui peuvent réellement donner un consentement libre et éclairé réclament le plus souvent une AG, du fait de leur douleur, de leur fatigue d’attendre (délai d’intervention = 3 à 4 jours) [7], et ce contrairement aux familles qui, elles, réclament une ALR pour leur parent, arguant de la fausse certitude que l’ALR entraînerait un plus faible taux de mortalité. Le grand public confond en effet volontiers ALR et anesthésie locale et déduit de ce choix une moindre gravité de l’acte. Le choix de l’ALR n’est donc généralement pas celui du patient et repose en fait sur des données médicales erronées, parfois entretenues par des spécialistes. L’anxiété «constitutionnelle» liée à la fracture constitue, à elle seule, une contre- indication à l’ALR, sous peine de voir le patient se transformer en «cible mouvante» [10]. 1.2. LE SUJET AGE EST UN SUJET A RISQUE En 1996, 298 patients ont été opérés d’une fracture du col du fémur à l’hôpital Cochin. L’âge de ces patients était supérieur à 85 ans dans 50 % des cas et à 90 ans dans 25 % des cas. Seuls 25 % avaient moins de 75 ans. Or la fréquence des sujets de classe 3 de l’ASA augmente avec l’âge, atteignant 16 à 32 % entre 65 et 90 ans [11]. Près de la moitié des sujets de plus de 65 ans ont une pathologie cardiovasculaire, dont 20 % de coronariens et 85 % des octogénaires [12]. Il est reconnu actuellement que l’ALR ne doit plus se substituer sans raison à l’AG chez les sujets à risque. 1.3. MODIFICATIONS PHYSIOLOGIQUES DE LA SENESCENCE Elles prédisposent à une altération des grandes fonctions [13].
Anesthésie locorégionale 169 1.3.1. ALTERATION DU COLLAGENE ET DE L’ELASTINE DU TISSU MYOCARDIQUE Le grand âge est associé à une altération du collagène et de l’élastine du tissu myocardique qui, avec la fréquente pathologie ischémique, est à l’origine de CMNO «mixtes». De plus, une altération de compliance et une dysfonction nodale font dépendre le débit cardiaque de la fréquence. Par ailleurs, le baroréflexe est modifié, les récepteurs bêta-adrénergiques se raréfient, le lit artériel est moins compliant et la perfusion coronaire menacée par l’athérome. 1.3.2. HYPOVOLEMIE Il existe aussi une tendance à l’hypovolémie, avec diminution du volume plasmatique et de l’eau totale, aggravée par la prolongation du jeûne (délai d’hospitalisation). Il en résulte une diminution du débit cardiaque au repos, une incapacité à amortir les à-coups de pré et de post-charge qui accroissent le travail ventriculaire, notamment lors des épisodes d’hypoxémie. 1.3.3 LA THERMOREGULATION EST PERTURBEE les frissons surviennent à un niveau inférieur de température centrale, par dérèglement du thermostat central, et sont moins productifs de chaleur. 1.3.4. FONCTION RENALE ALTEREE ET EXISTENCE D’ATROPHIE CEREBRALE Toutes ces modifications physiologiques rendent le sujet âgé très sensible à l’hypoxémie, mal contrôlée en cas d’ALR, et surtout à l’hypotension chez un patient hypovolémique, tribut majeur de l’ALR. 1.4. INTERROGATOIRE RAREMENT FIABLE II ne permet pas de connaître précisément les pathologies associées ni, surtout, les prises médicamenteuses, comme les anticoagulants qui contre-indiquent toute ALR, ou les vasodilatateurs et diurétiques qui aggravent l’hypovolémie. Chez ce patient fracturé, souvent difficile à interroger, l’AG, actuellement, n’a pratiquement pas de contre- indication. 1.5. RISQUE CARDIOVASCULAIRE 1.5.1. EFFETS CARDIOVASCULAIRES DE L’ANESTHESIE SPINALE Ils sont loin d’être bénéfiques et sont surtout aléatoires [14]. Les variations de vasomotricité splanchnique, associées au bloc sympathique ou induite par les adjuvants vasoconstricteurs entraînent une baisse ou une augmentation de la précharge, avec effondrement des RVS dont la résultante est imprévisible. L’anesthésie spinale peut donc à la fois améliorer les conditions de charges du VG mais aussi altérer la pression de perfusion coronaire : résultante imprévisible ! De plus, en cas d’insuffisance cardiaque, le blocage sympathique peut compromettre les possibilités d’adaptation du débit cardiaque aux variations rapides de la volémie et l’anesthésie rachidienne est contre-indiquée en cas d’obstacle à l’éjection ventriculaire [15]. 1.5.2. ALR VERSUS AG ET EFFETS CARDIOVASCULAIRES C’est pourquoi certains trouvent plus de complications cardiovasculaires après anesthésie spinale [16], d’autres ne trouvent aucune différence entre AG et ALR [17-19]. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’existe pas de bénéfice cardiovasculaire de l’anesthésie spinale et un éditorial récent d’Anesthesiology citant l’étude de Bode RH, se
170 MAPAR 1998 demandait s’il fallait continuer à multiplier les études cliniques randomisées comparant AG vs ALR en terme de risque cardiaque [20] ! 1.6. RISQUE RESPIRATOIRE Le problème respiratoire n’est pas essentiel dans cette chirurgie périphérique. Chez le sujet atteint d’une pathologie respiratoire préexistante, aucune étude n’a montré une moindre morbidité avec l’anesthésie spinale, a fortiori si l’ALR n’est pas suivie d’une analgésie péridurale efficace (avec de fortes doses d’Anesthésiques locaux) [21], ce qui n’est jamais le cas après fracture du col du fémur. Il convient de ne pas méconnaître l’effet néfaste sur la mécanique ventilatoire et la toux des blocs élevés imprévisibles (D1 à D4). Ainsi la notion préalable d’une pathologie bronchique obstructive, d’une obésité ont plus d’influence sur les complications pulmonaires postopératoires que la technique anesthésique. 1.7. RISQUE NEUROLOGIQUE Le risque de confusion mentale après chirurgie du col du fémur dépend essentiellement de facteurs pré-opératoires que sont l’anémie, l’insuffisance rénale, les antécédents neuro- psychiatriques et les traitements neuroleptiques et antidépresseurs [22]. Les seuls facteurs peropératoires retrouvés sont l’hypoxie et l’hypotension artérielle cérébrale [9]. Ces facteurs peropératoires sont mieux contrôlés sous AG. De nombreuses études ont étudié la fonction cognitive dans la population âgée soumise à la fracture du col du fémur. Le risque d’aggravation neuro-psychique est le même, quelle que soit la technique d’anesthésie en tout cas pas inférieur sous ALR [22-24]. 1.8. EN RESUME : LES BENEFICES DE L’AG SONT AILLEURS - L’AG permet à la fois le contrôle de la ventilation, donc de l’oxygénation, et un monitorage circulatoire et respiratoire facilement interprétable : le tensiomètre n’est pas soumis aux flexions incessantes du bras, l’oxymètre de pouls ne change pas de doigt toutes les 3 min ! - Les anesthésiques généraux actuels, du fait de leur maniabilité et de leur administration programmée (AIVOC), évitent d’aggraver la situation lors d’une altération soudaine d’une des grandes fonctions. - Ce patient âgé, fréquemment désorienté, voire confus et agité, ne se souvenant plus précisément du nom de tous ses médicaments (mais plutôt de la couleur des gélules !), ne tire aucun bénéfice cardiaque, respiratoire, neurologique d’une anesthésie rachidienne et, après l’attente dans l’angoisse et la douleur, il aspire fortement à dormir, et surtout à ne pas être mobilisé ! - Au nom de quoi, faudrait-il lui refuser l’incomparable confort de l’AG ? 2. CAUSES D’ECHEC LIEES A LA CHIRURGIE Un soir de garde le plus souvent en fin de programme, ce patient, fracturé, désorienté, douloureux va être conduit dans l’environnement froid, hostile et bruyant du bloc opératoire d’orthopédie. En face de lui : un chirurgien parfois peu expérimenté, faisant ses premières armes dans la chirurgie du col du fémur. Il existe 2 types d’intervention pour fracture du col du fémur : soit la prothèse dite de Moore ou intermédiaire pour les fractures sous-capitales, soit l’ostéosynthèse par vis ou clou-plaque pour les fractures trochantériennes.
Anesthésie locorégionale 171 2.1. CHIRURGIE DE LA PROTHESE (20 A 30 %) Elle pose essentiellement le problème des embolies (air, graisse et/ou fibrino- cruorique), qui sont constantes. L’échographie trans-œsophagienne a permis de les visualiser et d’expliquer ainsi les accidents hémodynamiques autrefois attribués «au ciment». Ces embols, provoqués par l’alésage et l’hyperpression dans le fût fémoral, donnent un retentissement clinique dix fois plus important si l’os est ostéoporotique, ou si une pathologie cardiaque est associée. Dans la fracture du col du fémur, les deux conditions sont réunies, ce qui explique que la fréquence des accidents est évaluée entre 1,5 et 10 % [25]. L’AG permet d’éviter le «vécu» en pleine conscience de l’accident et la mise en route immédiate des manœuvres de réanimation, offrant la possibilité d’optimiser les conditions d’oxygénation (augmentation de la FIO2, PEEP), facteur essentiel du pronostic cérébral et coronaire. 2.2. CHIRURGIE DE L’OSTEOSYNTHESE (70 A 80 %) 2.2.1. DUREE : FACTEUR D’ECHEC REDHIBITOIRE DE L’ALR La durée d’une ostéosynthèse est plus importante en raison de l’installation sur table orthopédique et de la réduction de la fracture sous amplificateur de brillance. Sur 298 fractures du col du fémur opérées à l’hôpital Cochin en 1996, environ 45 % des patients sont restés plus de 2 h 30 sur la table d’opération et 20 % sont restés plus de 3 h 30. Seuls 35 % des patients ont bénéficié d’une durée totale de la procédure inférieure à 2 h. Les extrêmes allaient de 1 h à 6 h ! On peut dire que le terme «patient» est un qualificatif parfaitement adapté à ce sujet fracturé opéré sous ALR ! 2.2.2. INSTALLATION ET POSITION L’installation et la position, en décubitus latéral, sur table orthopédique sont ressenties comme une agression mal comprise dans sa finalité. Les points de compression des appuis, le bras homolatéral surélevé (parfois attaché) favorisent le stress et l’anxiété du patient en cas d’ALR. 2.3. HYPOTHERMIE 2.3.1. TEMPERATURE DE LA SALLE D’ORTHOPEDIE Elle engendre une hypothermie et augmente les risques chez le sujet âgé. Frank et coll ont montré, chez le patient coronarien, que l’hypothermie était le meilleur signe prédictif d’une ischémie myocardique postopératoire [26] et cela même en l’absence de frisson. Il n’est pas sans intérêt de noter qu’ils avaient construit leur étude pour démontrer le bénéfice de l’ALR et que ce fut un échec de ce point de vue. Par la suite, cette équipe s’est d’ailleurs orientée vers la prévention de l’hypothermie plutôt que vers le débat ALR vs AG, montrant une moindre fréquence des arythmies ventriculaires postopératoires chez le patient normothermique [27]. 2.3.2. ANESTHESIE SPINALE L’hypothermie survient également sous anesthésie spinale : ainsi, le sujet âgé a un seuil de frisson diminué de 1° C en moyenne [28] et l’hypothermie est beaucoup plus importante que chez le sujet jeune. En effet, la thermorégulation est perturbée au cours de la sénescence par réduction de la masse musculaire, dérèglement du thermostat central et mauvais contrôle central de la thermolyse [29]. Certaines études ont montré une incidence supérieure de l’hypothermie sous ALR [30], sans compter qu’il n’est pas facile de maintenir la couverture chauffante sur un patient qui bouge !
172 MAPAR 1998 Par ailleurs les patients hypothermes ont un degré plus élevé de vasoconstriction, des taux importants de catécholamines circulantes, et une pression artérielle plus élevée pendant les 24 premières heures [27]. Ainsi la prévention de l’hypothermie péri-opératoire va éliminer en grande partie la réponse au stress imputée auparavant au seul stimulus chirurgical. 2.4. SEDATION ASSOCIEE A L’ALR L’inconfort, le stress, le froid, l’agression par les bruits de marteau et de scie, la «paralysie» angoissante des membres inférieurs associés à une perte des repères du sujet âgé provoquent fréquemment une agitation. La sédation associée à l’anesthésie spinale est dangereuse et peut provoquer un arrêt cardiaque [31]. De plus, aucun agent de sédation ne présente de sécurité absolue chez le sujet âgé. Il vaut mieux recourir à une AG avec contrôle des voies aériennes plutôt que se laisser entraîner dans l’escalade difficile à maîtriser : sédation, désorientation, agitation, accentuation de la sédation et accident cardiorespiratoire [32]. 2.5. SAIGNEMENT Les effets sur le saignement ne sont pas déterminants en raison de la perte modérée de sang peropératoire (≅ 500 mL) et du risque d’émergence particulièrement faible d’une maladie virale par transfusion homologue chez les sujets âgés. 3. CAUSES D’ECHEC DE L’ALR LIEES A L’ANESTHESIE 3.1. ECHECS DE PONCTION Le taux d’échec de ponction peut atteindre 17 % [33]. Celui-ci est lié : - à la position du patient qu’on recommande d’asseoir en cas de difficulté, ce qui est impossible en cas de fracture ! - L’importance de l’arthrose lombaire, qui augmente avec l’âge. - L’habileté du clinicien, qui peut être défaillante surtout si, seul en garde, il ne supporte pas longtemps les cris ou gémissements des patients douloureusement mobilisés pour les ponctionner. 3.2. RELATION DOSE-EFFET DES ANESTHESIQUES LOCAUX Elle n’est pas résolue dans le cas de la rachianesthésie du vieillard. En effet, le niveau atteint est parfois imprévisible chez le sujet âgé et ni la qualité de la solution (baricité, pH, température du produit injecté), ni la taille du sujet ne permettront avec certitude de fixer la dose adéquate, évitant les effets indésirables du bloc [34]. 3.3. SURVEILLANCE D’UN SUJET EVEILLE = FAUSSE SECURITE 3.3.1. INTERPRETATION DES PLAINTES FONCTIONNELLES L’interprétation des plaintes fonctionnelles chez un vieillard inquiet, mal installé, agressé, reste équivoque : une douleur thoracique peut-elle être étiquetée avec certitude comme sténocardique dans une position de décubitus latéral et de traction sur table orthopédique ? Un malaise, une dyspnée se traduisent trop fréquemment au travers d’une agitation ou au contraire d’une torpeur, sans signe d’orientation réelle chez un patient vite désorienté.
Anesthésie locorégionale 173 3.3.2. PERSISTANCE DE LA CONSCIENCE Elle peut être faussement rassurante et entraîner un allégement souvent de façon inconsidérée de la surveillance du réveil : arrêts cardiaques brutaux décrits 1 h à 1 h 30 après la fin de l’intervention de patients sous rachianesthésie. 3.4. THROMBOPROPHYLAXIE 3.4.1. ANESTHESIE SPINALE Elle diminue le risque thrombo-embolique de 30 % dans la chirurgie de la hanche [7]. Les HBPM diminuent ce risque de 80 % [35] et une seule étude a pu montrer le bénéfice de l’association des deux techniques [36]. En revanche, la décision de pratiquer une AG permet de commencer la thromboprophylaxie dès l’arrivée du patient. Ceci est d’autant plus intéressant que le délai moyen avant l’intervention est de 3 à 4 jours [7]. 3.4.2. MORTALITE - MORBIDITE La seule étude ayant noté une différence significative de mortalité entre l’AG et l’ALR a été réalisée sans aucune thromboprophylaxie et le taux moyen de mortalité sous AG atteignait 32 % en moyenne, avec des extrêmes de 49 % [37]. Dans la méta-analyse de Sorenson, on est surpris de lire qu’une thromboprophylaxie correcte par héparine n’a été réalisée que dans une seule étude et, malgré cette absence habituelle de thromboprophylaxie optimale, il n’existe pas de différence entre ALR et AG en terme de morbidité - mortalité. Compte tenu de la gravité de l’embolie pulmonaire chez le sujet âgé et de l’effet de thrombophylaxie de l’ALR en l’absence d’héparinothérapie, cette absence de différence ne masque-t-elle pas une surmortalité liée à d’autres causes que l’embolie pulmonaire après ALR, une surmortalité par embolie pulmonaire étant attendue après AG en l’absence d’héparinothérapie ? En d’autres termes, avec une thromboprophylaxie correcte, les résultats de l’AG ne seraient-ils pas supérieurs à ceux de l’ALR ? 3.5. «ADDITION» DES RISQUES Un échec d’ALR tardivement reconnu fait pratiquer une anesthésie générale dans des conditions parfois plus difficiles pour un anesthésiste moins aguerri (position, champ opératoire) additionnant les risques des 2 techniques. CONCLUSION L’anesthésie rachidienne a, certes, montré une réduction dans l’incidence et la sévérité de nombreuses perturbations physiologiques péri-opératoires. Toutefois, c’est à la condition d’être associée à une analgésie épidurale postopératoire avec des anesthésiques locaux [21]. En revanche l’association Plexus lombaire - AG permet d’associer le confort de l’AG à la qualité indiscutable de l’analgésie postopératoire. Cette technique non décrite dans la littérature nous parait une voie d’avenir. L’anesthésie rachidienne peut diminuer la réponse neuro-hormonale au stress. Mais la traduction de la réduction des taux de cortisol plasmatique ou d’autres marqueurs du métabolisme, en terme d’amélioration du pronostic à court ou moyen terme des fractures du col du fémur opérées, se fait toujours attendre, après des dizaines d’années de discours sur le sujet [38, 39]. Avant chaque ALR, il faut se poser la question du bénéfice réel que le patient peut tirer de cette technique et évoquer l’alternative qui est l’anesthésie générale [3]. Dans la chirurgie du col du fémur le bénéfice médical indiscutable de l’ALR
174 MAPAR 1998 n’existe pas, donc pourquoi refuser l’incomparable confort inhérent à l’AG ? De plus, il faudra établir sa supériorité face à une AG correctement conduite (AIVOC, réchauffement,) suivie d’une analgésie par morphiniques IV (PCA) et traitement adapté aux effets délétères de la chirurgie (thromboprophylaxie par HBPM, prévention de l’ischémie coronaire et de l’HTA par bêta-bloqueurs, calcibloqueurs etc...) En résumé, si vous avez à pratiquer une anesthésie pour fracture du col du fémur chez un patient âgé • présentant une démence sénile, • aveugle, sourd ou souffrant d’une hypoacousie, • sans mémoire précise de ses antécédents, • non coopérant, • anxieux, • avec arthrose lombaire importante, • craignant la douleur lors de la mobilisation, • nécessitant une sédation, • prenant un traitement interférant avec la coagulation, • prenant un traitement vasodilatateur ou autre hypotenseur, • dans une salle d’opération à 18° C avec flux laminaire, • avec un chirurgien lent (durée > à 2 h ), situation non quotidienne, mais réelle, surtout si l’on ne considère pas la sommation de tous ces problèmes, mais seulement la possibilité de l’un d’entre eux, vous pourrez pratiquer une AG qui lui procurera le confort. En effet, l’AG ne connaît aucune de ces contre-indications et reste «l’étalon - or». Elle est réalisée avec des médicaments de cinétique courte, tenant compte les altérations physiologiques de la sénescence notamment du risque hypothermique. Préférer l’AG, c’est être à l’écoute du patient, lui éviter d’augmenter son stress, s’adapter aux contraintes techniques du chirurgien dans le calme et la sérénité. En l’absence de démonstration d’un bénéfice médical de l’ALR, au nom de quoi ferait-on subir cette chirurgie en pleine conscience ? Ces patients en fin de vie ont droit à ce que nous leur fournissions confort et sécurité... comme les autres. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUE [1] Tiret L, Hatton F,. La fracture du col du fémur après 65 ans : morbidité, mortalité, létalité. Rev Epidém et santé publique 1987; 35 (INSERM):157-163 [2] Tonetti J, Couturier P, Remy A, Nicolas L, Merloz P, Franco A. Fracture de l’extrémité supérieure du fémur après 75 ans. Revue de Chirurgie Orthopédique 1997;83:636-44 [3] Roy RC. General versus regional anesthesia for the elderly patient. In: ASA, ed. Refresher Course Lecture. San Francisco: American Society of Anesthesiologists, 1997:5 [4] Perez JV, Warwick DJ, Case CP, Bannister CP. Death after proximal femoral fracture: an autopsy study. Injury 1995;26(4):237-40 [5] Katz S, Ford AB, Moskowitz RW, Jackson BA, Jaffe MW. Studies of illness inthe aged: the index of ADL: a standardized measure of biological and psychosocial function. JAMA 1963;185:914-919 [6] Svensson O, Stromberg L, Ohlen G, Lindgren U. Prediction of the outcome after hip fracture in elderly patients. J Bone J Surgery Br 1996;78(1):115-118
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