ANESTHESIE LOCOREGIONALE ET FRACTURE DU COL FEMORAL : CONTRE

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Anesthésie locorégionale               167

                              ANESTHESIE LOCOREGIONALE ET
                    FRACTURE DU COL FEMORAL : CONTRE

L. Eyrolle, N. Rosencher, Service d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Cochin,
75014 Paris.

INTRODUCTION
    La fracture du col du fémur est un véritable problème de santé publique. En effet, ce
n’est pas simplement la conséquence d’une chute mais, le plus souvent, le témoin d’une
maladie générale du patient âgé comme l’indiquent les chiffres de mortalité après fracture
du col. La létalité est de 22 % à 3 mois, dont 7 à 18 % dans le premier mois, pour atteindre
28 à 40 % à un an [1, 2]. Parmi ceux qui survivent, près de la moitié n’est pas autonome
à 1 an. Ces chiffres nous incitent à la modestie quant à la part de l’anesthésie dans le
pronostic de cette fracture.
MORTALITE-MORBIDITE
    La mortalité est effectivement plus fréquente en postopératoire notamment à partir du
3ème jour et jusqu’à 1 an [3]. Les causes retrouvées sur 581 autopsies de 1953 à 1992, par
ordre de fréquence : broncho-pneumopathie, défaillance cardiaque, infarctus du myocarde,
embolie pulmonaire [4].
    En effet, le pronostic est principalement lié à des facteurs de comorbidité préexistant
à la fracture et à l’intervention sous anesthésie : âge, degré d’autonomie [5], troubles
psychiques, altérations des grandes fonctions sont les seuls facteurs corrélés à la
mortalité [6]. Ni la technique opératoire, ni la technique anesthésique, n’ont pu démontrer
un effet déterminant. Que ce soit la méta-analyse récente de Sorenson [7] sur 1 400 patients
ou l’étude prospective récente portant sur 1 333 patients de Sutcliffe [8] comparant
anesthésie générale (AG) versus anesthésie locorégionale (ALR) pour la chirurgie du col
du fémur, aucune étude ne permet de prouver la supériorité d’une technique en terme de
mortalité-morbidité. Entre 1980 et 1997, au moins 11 études prospectives et randomisées
ont tenté de montrer la supériorité de l’ALR en terme de mortalité dans la chirurgie de la
hanche : sans succès !!! La difficulté de randomisation et l’impossibilité de double aveugle
rendent discutables ces études sur le plan méthodologique.
    Si AG et ALR sont comparables en terme de mortalité - morbidité, en revanche nous
choisissons l’A.G. pour de multiples raisons qui seront rapportées tout au long de cet
exposé : celles liées aux échecs de l’ALR et celles liées aux bénéfices de l’A.G.
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  CAUSES D’ECHEC DE L’ALR
      Les blocs périphériques (Plexus lombaire) ne seront pas discutés ici car il n’existe
  aucune étude prospective montrant leur utilisation dans l’anesthésie pour chirurgie du
  col fémoral.
      L’anesthésie péridurale est reconnue techniquement difficile chez le sujet âgé et
  fracturé. Les nombreuses adhérences péridurales, associées au ligament interépineux
  calcifié entraînent un très important taux d’échec. C’est pourquoi, ce sont surtout des
  rachianesthésies qui sont pratiquées. Cependant, compte tenu du faible taux de céphalées
  à cet âge, il n’y a pas lieu de distinguer les effets de ces deux types d’anesthésie spinale,
  qui seront donc traités conjointement sous le terme d’ALR ce d’autant qu’elles peuvent
  être associées (Rachi-péridurale séquentielle).
      Les causes d’échec de l’ALR sont généralement classées selon trois critères, selon
  qu’elles sont liées au patient, à la chirurgie ou à l’anesthésiste. Dans les fractures du col
  du fémur tous ces critères d’échec des ALR sont réunis.

  1. CAUSES D’ECHEC LIEES AU PATIENT
  1.1. ABSENCE DE COOPERATION DU PATIENT
      Elle est extrêmement fréquente et est d’abord liée à un état de désorientation
  préopératoire, retrouvée chez 20 % à 33 % des patients. Cet état est soit déjà ancien (pré
  démence) soit lié au délai avant hospitalisation (patients impotents, isolés, déshydratés
  par l’attente des secours !) [9]. Les handicaps sensoriels, comme la cécité ou, surtout,
  l’hypoacousie majeure, sont encore plus fréquents chez les sujets âgés et sont un frein
  majeur à toute coopération.
      Les patients qui peuvent réellement donner un consentement libre et éclairé réclament
  le plus souvent une AG, du fait de leur douleur, de leur fatigue d’attendre (délai
  d’intervention = 3 à 4 jours) [7], et ce contrairement aux familles qui, elles, réclament
  une ALR pour leur parent, arguant de la fausse certitude que l’ALR entraînerait un plus
  faible taux de mortalité. Le grand public confond en effet volontiers ALR et anesthésie
  locale et déduit de ce choix une moindre gravité de l’acte. Le choix de l’ALR n’est donc
  généralement pas celui du patient et repose en fait sur des données médicales erronées,
  parfois entretenues par des spécialistes.
      L’anxiété «constitutionnelle» liée à la fracture constitue, à elle seule, une contre-
  indication à l’ALR, sous peine de voir le patient se transformer en «cible mouvante» [10].
  1.2. LE SUJET AGE EST UN SUJET A RISQUE
      En 1996, 298 patients ont été opérés d’une fracture du col du fémur à l’hôpital Cochin.
  L’âge de ces patients était supérieur à 85 ans dans 50 % des cas et à 90 ans dans 25 % des
  cas. Seuls 25 % avaient moins de 75 ans. Or la fréquence des sujets de classe 3 de l’ASA
  augmente avec l’âge, atteignant 16 à 32 % entre 65 et 90 ans [11]. Près de la moitié des
  sujets de plus de 65 ans ont une pathologie cardiovasculaire, dont 20 % de coronariens et
  85 % des octogénaires [12]. Il est reconnu actuellement que l’ALR ne doit plus se substituer
  sans raison à l’AG chez les sujets à risque.
  1.3. MODIFICATIONS PHYSIOLOGIQUES DE LA SENESCENCE
     Elles prédisposent à une altération des grandes fonctions [13].
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1.3.1. ALTERATION DU COLLAGENE ET DE L’ELASTINE DU TISSU MYOCARDIQUE
     Le grand âge est associé à une altération du collagène et de l’élastine du tissu
myocardique qui, avec la fréquente pathologie ischémique, est à l’origine de CMNO
«mixtes». De plus, une altération de compliance et une dysfonction nodale font dépendre
le débit cardiaque de la fréquence.
     Par ailleurs, le baroréflexe est modifié, les récepteurs bêta-adrénergiques se raréfient,
le lit artériel est moins compliant et la perfusion coronaire menacée par l’athérome.
1.3.2. HYPOVOLEMIE
    Il existe aussi une tendance à l’hypovolémie, avec diminution du volume plasmatique
et de l’eau totale, aggravée par la prolongation du jeûne (délai d’hospitalisation). Il en
résulte une diminution du débit cardiaque au repos, une incapacité à amortir les à-coups
de pré et de post-charge qui accroissent le travail ventriculaire, notamment lors des épisodes
d’hypoxémie.
1.3.3 LA THERMOREGULATION EST PERTURBEE
    les frissons surviennent à un niveau inférieur de température centrale, par dérèglement
du thermostat central, et sont moins productifs de chaleur.
1.3.4. FONCTION RENALE ALTEREE ET EXISTENCE D’ATROPHIE CEREBRALE
    Toutes ces modifications physiologiques rendent le sujet âgé très sensible à
l’hypoxémie, mal contrôlée en cas d’ALR, et surtout à l’hypotension chez un patient
hypovolémique, tribut majeur de l’ALR.
1.4. INTERROGATOIRE RAREMENT FIABLE
    II ne permet pas de connaître précisément les pathologies associées ni, surtout, les
prises médicamenteuses, comme les anticoagulants qui contre-indiquent toute ALR, ou
les vasodilatateurs et diurétiques qui aggravent l’hypovolémie. Chez ce patient fracturé,
souvent difficile à interroger, l’AG, actuellement, n’a pratiquement pas de contre-
indication.
1.5. RISQUE CARDIOVASCULAIRE
1.5.1. EFFETS CARDIOVASCULAIRES DE L’ANESTHESIE SPINALE
    Ils sont loin d’être bénéfiques et sont surtout aléatoires [14]. Les variations de
vasomotricité splanchnique, associées au bloc sympathique ou induite par les adjuvants
vasoconstricteurs entraînent une baisse ou une augmentation de la précharge, avec
effondrement des RVS dont la résultante est imprévisible. L’anesthésie spinale peut donc
à la fois améliorer les conditions de charges du VG mais aussi altérer la pression de
perfusion coronaire : résultante imprévisible ! De plus, en cas d’insuffisance cardiaque,
le blocage sympathique peut compromettre les possibilités d’adaptation du débit cardiaque
aux variations rapides de la volémie et l’anesthésie rachidienne est contre-indiquée en
cas d’obstacle à l’éjection ventriculaire [15].
1.5.2. ALR VERSUS AG ET EFFETS CARDIOVASCULAIRES
    C’est pourquoi certains trouvent plus de complications cardiovasculaires après
anesthésie spinale [16], d’autres ne trouvent aucune différence entre AG et ALR [17-19].
Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’existe pas de bénéfice cardiovasculaire de
l’anesthésie spinale et un éditorial récent d’Anesthesiology citant l’étude de Bode RH, se
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  demandait s’il fallait continuer à multiplier les études cliniques randomisées comparant
  AG vs ALR en terme de risque cardiaque [20] !
  1.6. RISQUE RESPIRATOIRE
      Le problème respiratoire n’est pas essentiel dans cette chirurgie périphérique. Chez le
  sujet atteint d’une pathologie respiratoire préexistante, aucune étude n’a montré une
  moindre morbidité avec l’anesthésie spinale, a fortiori si l’ALR n’est pas suivie d’une
  analgésie péridurale efficace (avec de fortes doses d’Anesthésiques locaux) [21], ce qui
  n’est jamais le cas après fracture du col du fémur. Il convient de ne pas méconnaître
  l’effet néfaste sur la mécanique ventilatoire et la toux des blocs élevés imprévisibles (D1
  à D4). Ainsi la notion préalable d’une pathologie bronchique obstructive, d’une obésité
  ont plus d’influence sur les complications pulmonaires postopératoires que la technique
  anesthésique.
  1.7. RISQUE NEUROLOGIQUE
      Le risque de confusion mentale après chirurgie du col du fémur dépend essentiellement
  de facteurs pré-opératoires que sont l’anémie, l’insuffisance rénale, les antécédents neuro-
  psychiatriques et les traitements neuroleptiques et antidépresseurs [22]. Les seuls facteurs
  peropératoires retrouvés sont l’hypoxie et l’hypotension artérielle cérébrale [9]. Ces
  facteurs peropératoires sont mieux contrôlés sous AG. De nombreuses études ont étudié
  la fonction cognitive dans la population âgée soumise à la fracture du col du fémur. Le
  risque d’aggravation neuro-psychique est le même, quelle que soit la technique
  d’anesthésie en tout cas pas inférieur sous ALR [22-24].
  1.8. EN RESUME : LES BENEFICES DE L’AG SONT AILLEURS
  -   L’AG permet à la fois le contrôle de la ventilation, donc de l’oxygénation, et un
      monitorage circulatoire et respiratoire facilement interprétable : le tensiomètre n’est
      pas soumis aux flexions incessantes du bras, l’oxymètre de pouls ne change pas de
      doigt toutes les 3 min !
  -   Les anesthésiques généraux actuels, du fait de leur maniabilité et de leur administration
      programmée (AIVOC), évitent d’aggraver la situation lors d’une altération soudaine
      d’une des grandes fonctions.
  -   Ce patient âgé, fréquemment désorienté, voire confus et agité, ne se souvenant plus
      précisément du nom de tous ses médicaments (mais plutôt de la couleur des gélules !),
      ne tire aucun bénéfice cardiaque, respiratoire, neurologique d’une anesthésie
      rachidienne et, après l’attente dans l’angoisse et la douleur, il aspire fortement à dormir,
      et surtout à ne pas être mobilisé !
  -   Au nom de quoi, faudrait-il lui refuser l’incomparable confort de l’AG ?

  2. CAUSES D’ECHEC LIEES A LA CHIRURGIE
     Un soir de garde le plus souvent en fin de programme, ce patient, fracturé, désorienté,
  douloureux va être conduit dans l’environnement froid, hostile et bruyant du bloc opératoire
  d’orthopédie. En face de lui : un chirurgien parfois peu expérimenté, faisant ses premières
  armes dans la chirurgie du col du fémur.
     Il existe 2 types d’intervention pour fracture du col du fémur : soit la prothèse dite de
  Moore ou intermédiaire pour les fractures sous-capitales, soit l’ostéosynthèse par vis ou
  clou-plaque pour les fractures trochantériennes.
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2.1. CHIRURGIE DE LA PROTHESE (20 A 30 %)
    Elle pose essentiellement le problème des embolies (air, graisse et/ou fibrino-
cruorique), qui sont constantes. L’échographie trans-œsophagienne a permis de les
visualiser et d’expliquer ainsi les accidents hémodynamiques autrefois attribués «au
ciment». Ces embols, provoqués par l’alésage et l’hyperpression dans le fût fémoral,
donnent un retentissement clinique dix fois plus important si l’os est ostéoporotique, ou
si une pathologie cardiaque est associée. Dans la fracture du col du fémur, les deux
conditions sont réunies, ce qui explique que la fréquence des accidents est évaluée entre
1,5 et 10 % [25]. L’AG permet d’éviter le «vécu» en pleine conscience de l’accident et la
mise en route immédiate des manœuvres de réanimation, offrant la possibilité d’optimiser
les conditions d’oxygénation (augmentation de la FIO2, PEEP), facteur essentiel du
pronostic cérébral et coronaire.
2.2. CHIRURGIE DE L’OSTEOSYNTHESE (70 A 80 %)
2.2.1. DUREE : FACTEUR D’ECHEC REDHIBITOIRE DE L’ALR
    La durée d’une ostéosynthèse est plus importante en raison de l’installation sur table
orthopédique et de la réduction de la fracture sous amplificateur de brillance. Sur
298 fractures du col du fémur opérées à l’hôpital Cochin en 1996, environ 45 % des
patients sont restés plus de 2 h 30 sur la table d’opération et 20 % sont restés plus de
3 h 30. Seuls 35 % des patients ont bénéficié d’une durée totale de la procédure inférieure
à 2 h. Les extrêmes allaient de 1 h à 6 h ! On peut dire que le terme «patient» est un
qualificatif parfaitement adapté à ce sujet fracturé opéré sous ALR !
2.2.2. INSTALLATION ET POSITION
    L’installation et la position, en décubitus latéral, sur table orthopédique sont ressenties
comme une agression mal comprise dans sa finalité. Les points de compression des appuis,
le bras homolatéral surélevé (parfois attaché) favorisent le stress et l’anxiété du patient
en cas d’ALR.
2.3. HYPOTHERMIE
2.3.1. TEMPERATURE DE LA SALLE D’ORTHOPEDIE
    Elle engendre une hypothermie et augmente les risques chez le sujet âgé. Frank et coll
ont montré, chez le patient coronarien, que l’hypothermie était le meilleur signe prédictif
d’une ischémie myocardique postopératoire [26] et cela même en l’absence de frisson. Il
n’est pas sans intérêt de noter qu’ils avaient construit leur étude pour démontrer le bénéfice
de l’ALR et que ce fut un échec de ce point de vue. Par la suite, cette équipe s’est d’ailleurs
orientée vers la prévention de l’hypothermie plutôt que vers le débat ALR vs AG, montrant
une moindre fréquence des arythmies ventriculaires postopératoires chez le patient
normothermique [27].
2.3.2. ANESTHESIE SPINALE
    L’hypothermie survient également sous anesthésie spinale : ainsi, le sujet âgé a un
seuil de frisson diminué de 1° C en moyenne [28] et l’hypothermie est beaucoup plus
importante que chez le sujet jeune. En effet, la thermorégulation est perturbée au cours de
la sénescence par réduction de la masse musculaire, dérèglement du thermostat central et
mauvais contrôle central de la thermolyse [29]. Certaines études ont montré une incidence
supérieure de l’hypothermie sous ALR [30], sans compter qu’il n’est pas facile de maintenir
la couverture chauffante sur un patient qui bouge !
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      Par ailleurs les patients hypothermes ont un degré plus élevé de vasoconstriction, des
  taux importants de catécholamines circulantes, et une pression artérielle plus élevée
  pendant les 24 premières heures [27]. Ainsi la prévention de l’hypothermie péri-opératoire
  va éliminer en grande partie la réponse au stress imputée auparavant au seul stimulus
  chirurgical.
  2.4. SEDATION ASSOCIEE A L’ALR
      L’inconfort, le stress, le froid, l’agression par les bruits de marteau et de scie, la
  «paralysie» angoissante des membres inférieurs associés à une perte des repères du sujet
  âgé provoquent fréquemment une agitation. La sédation associée à l’anesthésie spinale
  est dangereuse et peut provoquer un arrêt cardiaque [31]. De plus, aucun agent de sédation
  ne présente de sécurité absolue chez le sujet âgé. Il vaut mieux recourir à une AG avec
  contrôle des voies aériennes plutôt que se laisser entraîner dans l’escalade difficile à
  maîtriser : sédation, désorientation, agitation, accentuation de la sédation et accident
  cardiorespiratoire [32].
  2.5. SAIGNEMENT
     Les effets sur le saignement ne sont pas déterminants en raison de la perte modérée de
  sang peropératoire (≅ 500 mL) et du risque d’émergence particulièrement faible d’une
  maladie virale par transfusion homologue chez les sujets âgés.

  3. CAUSES D’ECHEC DE L’ALR LIEES A L’ANESTHESIE
  3.1. ECHECS DE PONCTION
      Le taux d’échec de ponction peut atteindre 17 % [33]. Celui-ci est lié :
  -   à la position du patient qu’on recommande d’asseoir en cas de difficulté, ce qui est
      impossible en cas de fracture !
  -   L’importance de l’arthrose lombaire, qui augmente avec l’âge.
  -   L’habileté du clinicien, qui peut être défaillante surtout si, seul en garde, il ne supporte
      pas longtemps les cris ou gémissements des patients douloureusement mobilisés pour
      les ponctionner.
  3.2. RELATION DOSE-EFFET DES ANESTHESIQUES LOCAUX
      Elle n’est pas résolue dans le cas de la rachianesthésie du vieillard. En effet, le niveau
  atteint est parfois imprévisible chez le sujet âgé et ni la qualité de la solution (baricité,
  pH, température du produit injecté), ni la taille du sujet ne permettront avec certitude de
  fixer la dose adéquate, évitant les effets indésirables du bloc [34].
  3.3. SURVEILLANCE D’UN SUJET EVEILLE = FAUSSE SECURITE
  3.3.1. INTERPRETATION DES PLAINTES FONCTIONNELLES
      L’interprétation des plaintes fonctionnelles chez un vieillard inquiet, mal installé,
  agressé, reste équivoque : une douleur thoracique peut-elle être étiquetée avec certitude
  comme sténocardique dans une position de décubitus latéral et de traction sur table
  orthopédique ? Un malaise, une dyspnée se traduisent trop fréquemment au travers d’une
  agitation ou au contraire d’une torpeur, sans signe d’orientation réelle chez un patient
  vite désorienté.
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3.3.2. PERSISTANCE DE LA CONSCIENCE
    Elle peut être faussement rassurante et entraîner un allégement souvent de façon
inconsidérée de la surveillance du réveil : arrêts cardiaques brutaux décrits 1 h à 1 h 30
après la fin de l’intervention de patients sous rachianesthésie.
3.4. THROMBOPROPHYLAXIE
3.4.1. ANESTHESIE SPINALE
    Elle diminue le risque thrombo-embolique de 30 % dans la chirurgie de la hanche [7].
Les HBPM diminuent ce risque de 80 % [35] et une seule étude a pu montrer le bénéfice
de l’association des deux techniques [36]. En revanche, la décision de pratiquer une AG
permet de commencer la thromboprophylaxie dès l’arrivée du patient. Ceci est d’autant
plus intéressant que le délai moyen avant l’intervention est de 3 à 4 jours [7].
3.4.2. MORTALITE - MORBIDITE
    La seule étude ayant noté une différence significative de mortalité entre l’AG et l’ALR
a été réalisée sans aucune thromboprophylaxie et le taux moyen de mortalité sous AG
atteignait 32 % en moyenne, avec des extrêmes de 49 % [37]. Dans la méta-analyse de
Sorenson, on est surpris de lire qu’une thromboprophylaxie correcte par héparine n’a été
réalisée que dans une seule étude et, malgré cette absence habituelle de thromboprophylaxie
optimale, il n’existe pas de différence entre ALR et AG en terme de morbidité - mortalité.
Compte tenu de la gravité de l’embolie pulmonaire chez le sujet âgé et de l’effet de
thrombophylaxie de l’ALR en l’absence d’héparinothérapie, cette absence de différence
ne masque-t-elle pas une surmortalité liée à d’autres causes que l’embolie pulmonaire
après ALR, une surmortalité par embolie pulmonaire étant attendue après AG en l’absence
d’héparinothérapie ? En d’autres termes, avec une thromboprophylaxie correcte, les
résultats de l’AG ne seraient-ils pas supérieurs à ceux de l’ALR ?
3.5. «ADDITION» DES RISQUES
   Un échec d’ALR tardivement reconnu fait pratiquer une anesthésie générale dans des
conditions parfois plus difficiles pour un anesthésiste moins aguerri (position, champ
opératoire) additionnant les risques des 2 techniques.

CONCLUSION
    L’anesthésie rachidienne a, certes, montré une réduction dans l’incidence et la sévérité
de nombreuses perturbations physiologiques péri-opératoires. Toutefois, c’est à la
condition d’être associée à une analgésie épidurale postopératoire avec des anesthésiques
locaux [21]. En revanche l’association Plexus lombaire - AG permet d’associer le confort
de l’AG à la qualité indiscutable de l’analgésie postopératoire. Cette technique non décrite
dans la littérature nous parait une voie d’avenir.
    L’anesthésie rachidienne peut diminuer la réponse neuro-hormonale au stress. Mais
la traduction de la réduction des taux de cortisol plasmatique ou d’autres marqueurs du
métabolisme, en terme d’amélioration du pronostic à court ou moyen terme des fractures
du col du fémur opérées, se fait toujours attendre, après des dizaines d’années de discours
sur le sujet [38, 39]. Avant chaque ALR, il faut se poser la question du bénéfice réel que
le patient peut tirer de cette technique et évoquer l’alternative qui est l’anesthésie
générale [3]. Dans la chirurgie du col du fémur le bénéfice médical indiscutable de l’ALR
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  n’existe pas, donc pourquoi refuser l’incomparable confort inhérent à l’AG ? De plus, il
  faudra établir sa supériorité face à une AG correctement conduite (AIVOC, réchauffement,)
  suivie d’une analgésie par morphiniques IV (PCA) et traitement adapté aux effets délétères
  de la chirurgie (thromboprophylaxie par HBPM, prévention de l’ischémie coronaire et de
  l’HTA par bêta-bloqueurs, calcibloqueurs etc...)
      En résumé, si vous avez à pratiquer une anesthésie pour fracture du col du fémur chez
  un patient âgé
  • présentant une démence sénile,
  • aveugle, sourd ou souffrant d’une hypoacousie,
  • sans mémoire précise de ses antécédents,
  • non coopérant,
  • anxieux,
  • avec arthrose lombaire importante,
  • craignant la douleur lors de la mobilisation,
  • nécessitant une sédation,
  • prenant un traitement interférant avec la coagulation,
  • prenant un traitement vasodilatateur ou autre hypotenseur,
  • dans une salle d’opération à 18° C avec flux laminaire,
  • avec un chirurgien lent (durée > à 2 h ),
      situation non quotidienne, mais réelle, surtout si l’on ne considère pas la sommation
  de tous ces problèmes, mais seulement la possibilité de l’un d’entre eux, vous pourrez
  pratiquer une AG qui lui procurera le confort.
      En effet, l’AG ne connaît aucune de ces contre-indications et reste «l’étalon - or».
  Elle est réalisée avec des médicaments de cinétique courte, tenant compte les altérations
  physiologiques de la sénescence notamment du risque hypothermique. Préférer l’AG,
  c’est être à l’écoute du patient, lui éviter d’augmenter son stress, s’adapter aux contraintes
  techniques du chirurgien dans le calme et la sérénité.
      En l’absence de démonstration d’un bénéfice médical de l’ALR, au nom de quoi
  ferait-on subir cette chirurgie en pleine conscience ? Ces patients en fin de vie ont droit à
  ce que nous leur fournissions confort et sécurité... comme les autres.

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