Art et Internet : Appropriation, accumulation et recyclage du matériau photographique en ligne - ENS Louis-Lumière
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École nationale supérieure Louis-Lumière Juin 2012 Mémoire de fin d'études et de recherche appliquée dirigé par Madame Claire Bras, professeur à l'École Nationale Supérieure Louis-Lumière et à l'Université Paris I. Art et Internet : Appropriation, accumulation et recyclage du matériau photographique en ligne Mémoire et présentation de la partie pratique Rédigé par Caroline Lollo, Étudiante à l'École Nationale Supérieure Louis-Lumière, Section Photographie, promotion 2012 Membres du jury : Madame Claire Bras, Professeur à L'ENS Louis-Lumière et à l'Université Paris I Madame Françoise Denoyelle, Professeur des Universités Monsieur Pascal Martin, Maître de Conférences Monsieur Christophe Caudroy, Professeur à l'ENS Louis-Lumière ENS LOUIS-LUMIÈRE
École nationale supérieure Louis-Lumière Juin 2012 Mémoire de fin d'études et de recherche appliquée dirigé par Madame Claire Bras, professeur à l'École Nationale Supérieure Louis-Lumière et à l'Université Paris I. Art et Internet : Appropriation, accumulation et recyclage du matériau photographique en ligne Mémoire et présentation de la partie pratique Rédigé par Caroline Lollo, Étudiante à l'École Nationale Supérieure Louis-Lumière, Section Photographie, promotion 2012 Membres du jury : Madame Claire Bras, Professeur à L'ENS Louis-Lumière et à l'Université Paris I Madame Françoise Denoyelle, Professeur des Universités Monsieur Pascal Martin, Maître de Conférences Monsieur Christophe Caudroy, Professeur à l'ENS Louis-Lumière ENS LOUIS-LUMIÈRE
Remerciements Je souhaite tout d'abord remercier les membres du Jury pour leur lecture attentive, Madame Françoise Denoyelle, Monsieur Pascal Martin et Monsieur Christophe Caudroy. J'exprime ma profonde gratitude à Madame Claire Bras, pour l'intérêt qu'elle a porté à mon sujet de mémoire, pour ses précieux conseils, sa patience et sa disponibilité et enfn, pour ces trois années d'enseignement. Je tiens également à remercier Monsieur Franck Maindon et Florent Fajolle, pour m'avoir permis de considérer et de regarder mon travail de manière plus critique et plus construite. Je souhaite remercier tous mes professeurs de l'École Nationale Supérieure Louis-Lumière, pour leur patience et pour l'enseignement de qualité qu'ils m'ont apporté. Je remercie Madame Pascale Fulghesu, pour son accompagnement et son soutien. Je remercie aussi tous les membres du personnel administratif pour leur gentillesse et leur disponibilité. J'adresse un grand salut à mes camarades de promotion pour leur solidarité, et tout particulièrement à Nadège Abadie et Martyna Pawlak, pour leur complicité et leur sincère amitié. Je remercie chaleureusement Julie Dupuy et Guillaume Oury pour leurs conseils en menuiserie, pour leurs encouragements et leurs blagues. Je remercie aussi très sincèrement Raphaël Bastide, designer/hacker pour ses critiques constructives quant à mon mémoire. J'adresse une pensée amicale à Juliette Ranck de la promotion photographie 2002 pour m'avoir aider à préparer le concours de l'école et sans qui, je ne serais peut-être pas arrivée jusque là. Un grand merci aussi à Valentina Barriga et Dorian Teti de la promotion photographie 2011 pour leurs conseils et encouragements. Enfn, je tiens à remercier tout particulièrement Pierre Bertet et mes parents, pour leur amour, pour m'avoir soutenu et permis de faire ces études.
Résumé : Depuis quelques années, l'accès à la photographie numérique et aux logiciels d'édition d'image a permis l'émergence d'une importante communauté amateure, active sur des plateformes dédiées à la publication et au partage de contenus. Ainsi, les données visuelles, sonores et textuelles se sont mises à circuler et à se dupliquer dans un mouvement infini. Face à un tel flux continu d'images, de nombreux artistes inscrivent désormais leur démarche dans une logique de recyclage. S'appropriant le matériau photographique en ligne, ils composent leurs œuvres à partir de ce qu'ils trouvent sur la toile. Ces pratiques appropriationnistes soulèvent alors nombre de questions quant aux nouveaux statuts de l'œuvre d'art et de l'auteur.
Abstract : Art and Internet : Ownership, accumulation and recycling of the photographic material online Over the last few years, the access to digital photography and to image editing softwares generated the emergence of a large amateur community, very active on platforms dedicated to publication and sharing of contents. Therefore, visual, sound and textual data began to circulate and started being duplicated in an infinite movement. Faced with such a continuous flow of images, many artists, nowadays, place their process and approach into a logic of recycling. Appropriating the photographic material online, they compose their pieces of work with what they find on the Web. Those practices, based on appropriation, raise many questions about the new statuts for the work of art but also for the author.
Table des matières Remerciements.............................................................................................................................. 3 Résumé :..........................................................................................................................................4 Abstract : ........................................................................................................................................5 Introduction................................................................................................................................... 8 1. Le processus de création par appropriation......................................................................... 10 A. Un héritage des pratiques artistiques du XXème siècle............................................... 10 a. Les ready-made de Duchamp et la démarche dada..................................................10 b. Le surréalisme : un aspect ludique et désintéressé de la pensée.............................12 c. Anti-art et Internationale Situationniste : un héritage de la pensée anarchiste...14 d. Le pop art et la consommation de masse...................................................................15 B. Principe d'appropriation qui se développe de manière exponentielle avec les nouvelles pratiques liées à Internet........................................................................................................ 19 a. Internet : une nouvelle réalité en miroir du monde réel..........................................19 b. L'image fluide : un matériau photographique en ligne............................................ 24 2. Accumulation du matériau photographique en ligne........................................................ 34 A. L'Internet des images.........................................................................................................34 a. La reconnaissance de l'art amateur............................................................................. 34 b. Le mème (mimesis) comme principe d'appropriation............................................ 41 B. Esthétique de la surabondance.........................................................................................46 a. La banalité de la répétition........................................................................................... 46 b. Uniformisation de l'abondance................................................................................... 50 3. Recyclage et restitution du matériau photographique en ligne........................................56 A. Quand le collectionneur devient auteur.........................................................................57 a. Les nouveaux cabinets de curiosités........................................................................... 57 b. La toute-puissance de la série...................................................................................... 60 B. Le Web comme source principale de documentation au centre du processus artistique 64 a. Google Street, le nouveau réel......................................................................................64 b. Reconnaissance et institutionnalisation de l'art Internet photographique...........67 Conclusion................................................................................................................................... 75
Présentation de la partie pratique.............................................................................................77 Bibliographie................................................................................................................................80 Mots clés....................................................................................................................................... 86 Table des illustrations................................................................................................................. 87
Introduction Les premiers phénomènes à l'ère de la communication digitale employant indistinctement les images professionnelles ou amateures ont permis l'ouverture d'un nouveau genre « vernaculaire » de la photographie. Avec Internet et la révolution numérique, les données visuelles, sonores et textuelles se sont mises à circuler, à se dupliquer, à se reproduire dans un mouvement infni ; les territoires de l'image photographique se déplacent, ses outils se multiplient, son public devient acteur. Depuis quelques années, l'accès à la photographie numérique et aux logiciels d'édition d'image ont permis l'émergence d'une importante communauté amateure, désormais active depuis des plateformes web ou serveurs de blogs spécifquement dédiés à la publication et au partage de contenus. Ces nouveaux outils, accessibles et extrêmement simples à mettre en place comme à utiliser, constituent la pierre de touche d’une nouvelle écriture photographique en mouvement, plaçant l’image non plus au centre de l'histoire et de la narration mais parmi le vrac, le stock d'images et l'accumulation. Ce qui était jusqu'ici consigné dans des albums ou carnets personnels est désormais donné à vue sur les serveurs, accessible à tout le monde et perdu au milieu de milliers d'autres données. On assemble, on édite, on crée de « nouveaux objets » photographiques, sortes de readymades contemporains considérant ainsi l'image signifante issue d'un cadrage, d'un point de vue et d'une lumière choisie comme un matériau brut. Or, dans cette démocratisation véritable de la pratique photographique, quelles sont les modalités d'émergence d'un monde de l'art centré sur l'Internet ? Comment les réseaux sociaux interviennent dans la créativité ? Et quels sont alors les ressorts de la mise en œuvre d'art ? Que signife être auteur aujourd'hui ? 9
Il est intéressant de noter que la génération de photographes émergente articule désormais son travail de manière beaucoup plus ouverte qu'auparavant, se détachant de la prise de vue comme acte synonyme d'engagement personnel et d'autorité sur l'image. Parmi eux, nombreux sont ceux qui ne créent plus de « matériau brut » à proprement parler, et qui osent proposer des images collectées, transformées, recontextualisées. Si certains font acte d'appropriation du matériau photographique disponible en ligne, d'autres ont entamé une réflexion du « style internet », portés par la fascination pour son esthétique et sa facture si particulière. Ainsi Michael Wolf, dont les portraits de Google Street ont été récompensés d’une mention honorable par le World Press Photo de 2010, photographie directement son écran d'ordinateur. Ces diférentes façons d'explorer le potentiel créatif du média Internet peuvent alors s'accomplir successivement ou séparément. 10
1. Le processus de création par appropriation Le principe d'appropriation dans la création artistique n'est pas nouveau. À la veille du centenaire de l'invention du ready-made par Marcel Duchamp, de nombreux artistes se sont emparés de divers objets de la vie courante pour les introduire dans la sphère de l'art. Depuis les débuts de l'Art moderne, de Dada et du Surréalisme jusqu'à aujourd'hui en passant par le Pop Art, une multitude d'artistes de diférents mouvements ont expérimenté les innombrables ressources plastiques permises par la reconnaissance du geste d'appropriation dans l'acte artistique, devenue aujourd'hui une pratique où chacun, artiste, photographe ou amateur, peut s'exercer. A. Un héritage des pratiques artistiques du XXème siècle a. Les ready-made de Duchamp et la démarche dada En proposant en 1913 Roue de bicylette, son premier ready-made, Marcel Duchamp révolutionne la sphère artistique. Il défnit celui-ci comme « un objet usuel promu à la dignité d'objet d'art par le simple choix de l'artiste »1. Par le seul geste de trouver, de sélectionner un ou plusieurs objets du quotidien, de les assembler et de les positionner, Duchamp a remis en cause une multitude de croyances sur lesquelles reposaient l'Art, dont les plus signifcatives sont les notions de Image 1: Marcel Duchamp, Roue de savoir faire, de virtuosité et de technique d'où procèderaient la bicyclette, 1913. notion même d'œuvre d'art. Cette dernière résulte alors de l'exposition et de l'acte de nommer par cette afrmation « ceci est une œuvre d'art », tout 1 André BRETON et Paul ÉLUARD, Dictionnaire abrégé du Surréalisme, article ready-made, Paris, Gazette des Beaux-Arts, José Corti, 2005, p. 23. 11
objet trouvé peut désormais être érigé en objet d'art sous le regard et sa désignation par l'artiste. Le processus créatif repose désormais sur trois étapes fondamentales : la sélection, le changement de contexte et de statut par la désignation. C'est la première fois dans l'Histoire de l'Art que le concept prime sur l'œuvre originale et physique. En efet, le célèbre urinoir de Duchamp, Fontaine, présenté en 1917 a été difusé sous forme de représentations photographiques et les pièces exposées dans les musées sont des répliques certifées par l'artiste. En démultipliant ses œuvres et en exposant ses reproductions, quarante ans avant qu'Andy Warhol ne devienne la fgure marquante de la duplication avec ses sérigraphies, Marcel Duchamp abolit le terme d'original, au sens premier. Dans le même temps où Marcel Duchamp expose ses ready-made à New-York et dans le contexte de la Première Guerre mondiale, le mouvement dada se développe à peu près simultanément à Zurich, New York et Paris avant de gagner l'Allemagne. En Suisse, dont la neutralité politique est favorable au regroupement d'anarchisants, au Cabaret Voltaire, dans ce café-galerie-théâtre s'élabore ainsi une esthétique du scandale. Le dictionnaire consulté au hasard donne un nom à ce nouveau mouvement intellectuel, littéraire et artistique, dont l'un des fondements sera précisément la dérision par le hasard. La quête de la liberté sous toutes ses formes, la capacité de pouvoir créer de toutes les façons possibles et l'esprit irrespectueux, outrageant et léger sont les points communs entre ces artistes dadaïstes. En promouvant la provocation, le refus de la raison et de la logique, l'absurde, la dérision, l'humour et le jeu, Dada entend remettre en cause les conventions et les contraintes idéologiques, artistiques et politiques dominantes. Ainsi se construit une réflexion sur la désacralisation de l'œuvre d'art et par la même occasion sur le statut de l'artiste dans la société. Ce dernier est à considérer dès lors comme un acteur social faisant profession de manipuler des signes visuels et des mots pour produire du langage plus que des formes inédites faites à la main. 12
Les œuvres qui en découlent prennent alors diférentes formes et les photomontages1 et collages2 qui utilisent la photographie font leur apparition dans la création artistique. Dans la même lignée que le constructiviste russe Rodtchenko, les productions de John Heartfeld acquièrent un caractère spécifquement politique. Pour Image 2: Raoul Hausmann, réaliser ses photomontages-tracts, l'artiste allemand qui ne The Art Critic, 1919-1920, s'intéressait pas à la prise de vue, commandait ses 31 x 25 cm, Tate Gallery, London. éléments de montage à un photographe, relayé au rang de simple opérateur, fabriquant en quelque sorte un matériau brut, en vue d'être réemployé par la suite, participant à la construction d'une œuvre fnie. Après sept années, le mouvement dada se dissout à Paris, divisé entre artistes dadaïstes et artistes surréalistes. Il n'en reste pas moins que les pratiques de ces avant-gardistes chambouleront à jamais le domaine artistique, influençant en grande partie la production artistique des XXème et XXIème siècles. b. Le surréalisme : un aspect ludique et désintéressé de la pensée Initié par André Breton, le surréalisme est une fliation directe du mouvement dada et il est rare de parler de l'un sans évoquer l'autre. En efet, les artistes surréalistes continuèrent sur la lancée provocatrice et subversive amenée par les artistes dadaïstes qui se réclamaient anti-bourgeois, anticonformistes et contestataires. Il s'agit aussi ici d'un 1 Photomontage : En 1918, Raoul Hausmann crée le premier photomontage. Il s'agit de découpages de photographies collés sur une nouvelle photographie, ce qui modifie les jeux de perspective et les alternances de plans. www.raoul-hausmann.com 2 Collage : Œuvre obtenue en réunissant des matériaux et objets divers collés sur un support, en utilisant des découpages de journaux et d'illustrations de toutes sortes, de lettres typographiques, en y intégrant parfois des fragments photographiques. Ibid. 13
art décomplexé où la place est donnée à l'acte créatif spontané, sans recherche d'un perfectionnisme formel conventionnel. Il n'est donc pas étonnant de remarquer que les surréalistes ont adopté les techniques combinatoires expérimentées par leurs précurseurs, comme le collage, l'assemblage1 et le photomontage, ou inventées comme le ready-made, ou encore revisitées dans une fonction créative nouvelle comme la photographie sans appareil photo avec le photogramme 2: c'est le geste d'appropriation qui conserve ainsi sa valeur à l'acte. Dès lors, les diférentes utilisations de la photographie que l'on retrouve dans ces pratiques artistiques tels le collage, le photomontage et le photogramme ne sont plus considérées comme des trucages ou des déviations de la recherche photographique mais comme des moyens modifant de façon créative la perception de la réalité. Le rapport avec l'environnement quotidien et ses objets de toute nature et de toute forme, produits par le monde contemporain, sorte de base continue de l'expérience dada, est confrmé, en dehors des ready-made par ces nouvelles techniques d'appropriation. Objets de récupération, coupures de journaux, illustrations, photographies, peintures deviennent ainsi partie d'une même réalité soutenue par une même intentionnalité, dans des œuvres où il est possible de concevoir et de percevoir la beauté d'un quotidien réhabilité esthétiquement. C'est-à-dire que ce n'est pas la réhabilitation même d'un quotidien qui est en jeu mais que ces objets récupérés procèdent d'une démarche commune à la plupart des œuvres : en utilisant cette réalité comme source, vivier et seconde nature inspiratrice, c'est le beau qui est questionné, au sens académique, comme un critère esthétique, il se résorbe alors dans l'utile, la fonction d'usage et dans la primauté du sens sur la forme. Si le principe du hasard demeure comme empreinte constitutive des travaux surréalistes, les artistes ajouteront aux fondements du dadaïsme l'élément de pensée essentiel, la psychanalyse. Dans son manifeste, André Breton défnit alors le surréalisme comme un « automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute 1 Assemblage : Œuvre en volume, obtenue en associant et en collant des objets divers sur un support rigide. Ibid. 2 Photogramme : Photographie tirées en déposants des fragments de matériaux, des éléments découpés, des objets, sur la surface sensible d'une plaque ou d'un papier photosensible. Ibid. 14
préoccupation esthétique ou morale.Le surréalisme repose sur les croyances à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. »1. Le « jeu désintéressé de la pensée » est alors opposé à la pensée délibérée, intentionnelle et préméditée et par conséquent, selon Breton, freinée et frustrée. Celui-ci considère le surréalisme comme l'union du réel et de l'imaginaire inconscient. Le détournement et l'appropriation dans les diférentes techniques de création permettent ainsi une activité mentale de libre association. c. Anti-art et Internationale Situationniste : un héritage de la pensée anarchiste Prenant leur source dans le mouvement dada, ces concepts et attitudes visant à rejeter l'art sous toutes ses formes traditionnelles ont été regroupés sous le terme d'Anti-art 2, utilisé pour la première fois par Marcel Duchamp, qui conduit à un refus déterminé de l'autorité verticale, du marché de l'art et des normes artistiques conventionnelles en général. Avec l'intention de surpasser les tentatives révolutionnaires des avant-gardes artistiques du XXème siècle, l'Internationale Situationniste a été ofciellement créée en 1957, suite à la publication de son document fondateur3 rédigé par Guy Debord. Dans ce texte, l'auteur afrme tout d'abord la nécessité de « changer le monde »4 et le principal objectif de l'Internationale Situationniste était le dépassement de l'Art par une réappropriation du réel dans tous les domaines de la vie. Parmi les théories situationnistes, nous pouvons 1 Définition donnée par Breton, dans le Manifeste du surréalisme en 1924, conformément à un article de dictionnaire, en précisant d'abord son sens commun puis son sens particulier en philosophie. André BRETON, Manifestes du surréalisme, Éditions Gallimard, coll. Idées, Saint-Amand, 1969, p. 37. 2 Hans RICHTER, Dada Art & Anti-art, Bruxelles, Éditions de la Connaissance, 1965. 3 Guy Ernest DEBORD, Rapport sur la construction des situations et sur les conditions de l’organisation et de l’action de la tendance situationniste internationale, Paris, Éditions Mille et une nuits, 1957. 4 Ibid., Chapitre I, Révolution et contre-révolution dans la culture moderne,1ère phrase du texte. 15
retenir celles qui prônent le refus de toute activité artistique séparée du reste de la vie quotidienne : les artistes situationnistes luttent pour l'abolition de l'art contemplatif et réclament une pratique artistique collective et collaborative 1. Ces préceptes déjà présents dans la réflexion dadaïste et surréaliste sont récupérés par les situationnistes qui les poussent à l'extrême, allant jusqu'à l'abnégation de la propriété intellectuelle, considérée comme une « redoutable habitude faisant obstacle à la création »2. Cette mentalité issue directement de la pensée anarchiste a été reprise par les artistes situationnistes qui vantent l'usage du détournement dans leurs œuvres : « Tous les éléments, pris n'importe où, peuvent faire l'objet de rapprochements nouveaux. (…) Tout peut servir. »3. d. Le pop art et la consommation de masse L'expression pop art (contraction de popular art en anglais) a été formulée pour la première fois, au milieu des années 1950, par l'Independant Group, en Angleterre.4 Ce groupe d'intellectuels travaillant sur le rôle de la technologie dans la société avait pour mission d'apporter à l'art de nouvelles idées et une nouvelle culture, nourrie des médias de masse. Les discussions organisées à l'Institute of Contemporary Arts depuis 1952 portaient sur la culture populaire, le cinéma, les panneaux publicitaires, l'industrie et ses machines. Dans la branche européenne du pop art, on peut relever les travaux de Paolozzi utilisant des images de magazines populaires dans ses collages ainsi que les travaux d'Hamilton, qui après avoir étudié les œuvres de Duchamp, propose une série de projets mélangeant art académique et publicité. En s'appropriant des éléments issus de deux univers opposés, Hamilton expose un art de l'image pauvre, un sous-produit, sans valeur mais 1 Ibid., Chapitre IV, Plate-forme d'une opposition provisoire. 2 Guy Ernest DEBORD et Gil J. Wolman, Mode d'emploi du détournement, Les Lèvres Nues, n°8, mai 1956. Texte disponible en ligne sur le site de la Bibliothèque virtuelle, à cette adresse : http://sami.is.free.fr/Oeuvres/debord_wolman_mode_emploi_detournement.html 3 Ibid. 4 Le Pop Art, Centre Pompidou, dossiers pédagogiques, collections du musée : Un mouvement un période. Ressources en ligne à cette adresse : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-pop_art/ENS-pop_art.htm 16
un art qui est déjà une interprétation d'une réalité composée par la société de consommation. Dans ce collage, Richard Hamilton fait le parallèle avec le grand art qui est une interprétation de la nature à travers celle de l'Antiquité, autre Nature idéale. Le milieu naturel étant inaccessible au regard, c'est un milieu aménagé, revu et corrigé par les productions humaines et artistiques, nobles ou non, que propose Hamilton. Image 3: Richard Hamilton, Just What Is It That Makes Today's Homes So Different, Aux États-Unis, ce nouveau courant ft son entrée à So Appealing?, collage, 1956, collection privée, Thousand New-York, à la fn des années 50. Dans les travaux de Oaks. Rauschenberg, dès 1957, nous pouvons voir l'apparition d'objets , d'images et de formes issus de l'environnement quotidien peints ou directement disposés sur l'œuvre. Si à l'origine ces manipulations semblent en efet assimilables à la technique de l'assemblage, elles montrent des caractéristiques issues du langage publicitaire. Le critique Brian o'Doherty notait que la « beauté d'indiférence »1 que Duchamp recherchait pour ses ready-made caractérise également l'œuvre de Rauschenberg, qui « ne reconnaît pas les catégories du beau et du laid, s'intéresse seulement à ce qui est là »2. À ce propos, Marcel Duchamp disait que le choix de ces ready-made ne fut jamais dicté par quelque délectation esthétique. « Ce choix était fondé sur une réaction d'indiférence visuelle, assortie au même moment à une absence totale de bon ou de mauvais goût...en fait une anesthésie complète. 3 » Selon lui, dans le processus créatif entre en action une série d'étapes qui ne peuvent ni de doivent être pleinement conscientes, du moins sur le plan esthétique4. Tel son précurseur Marcel Duchamp, Andy Warhol qui développera à travers son art une stratégie de non engagement ainsi qu'une attitude désintéressée, restera sans nul doute l'artiste pop par excellence, d'une époque d'abondance où l'image est omniprésente, 1 Brian O'DOHERTY, American Masters : the Voice and the Myth, New York, Random House, 1974, p. 112 2 Calvin TOMKINS, Off the Wall : the Portrait of Robert Rauschenberg, New York, Picador, 2005, p. 105. 3 Marcel DUCHAMP sous la direction de Michel SANOUILLET, Duchamp du signe. Écrits, Paris, Flammarion, 1994, p.191. 4 Marcel DUCHAMP, Le processus créatif, Paris, L'Échoppe, 1987. 17
perçue par cet artiste et exprimée dans ses travaux à travers l'accumulation et la répétition. On observe alors chez ce dernier, et spécialement en ces années fondatrices de 1961 à 1964, une détermination à user de la répétition comme une forme en soi. Expression subjective, inspiration, talent, savoir-faire se voient systématiquement contestés par Warhol, qui leur oppose passivité, délégation et production industrielle. La démarche appropriationniste qui est cœur de la production artistique de Warhol participe ainsi à l'anéantissement du mythe de l'artiste inspiré. Les sources d'inspiration seront donc les aspects voyants jusqu'à l'outrance et les plus provocants pour le “bon goût” de la culture contemporaine : l'univers de la culture de masse et les images marquantes du langage commercial. Le décor du domaine domestique est présent dans l'iconographie utilisée par Warhol qui puise ses modèles dans l'environnement de la ménagère : boîte de lessive Brillo, de céréales Kellogg's, conserve de soupe Campbell's ou encore bouteille de Ketchup sont les sujets de sa première exposition en 1964. « Ce qui caractérise le pop art, c'est avant tout l'usage qu'il fait de ce qui est dévalorisé »1 afrmait alors Roy Lichtenstein. Ainsi tombent les barrières entre la vie et l'art ; la sphère artistique s'identife non seulement au monde tel qu'il se présente, mais également aux sous-produits de la culture. Le processus par lequel ces artistes consacrent les objets les plus ordinaires au rang d'œuvre d'art ne se fonde pas sur une critique de la société mais sur l'acceptation et l'embrassement de celle-ci. Les médias de masse ont assuré une difusion des images saisie par tous de la même façon et les artistes pop le confrment énergiquement en leur ofrant l'opportunité d'une reconnaissance dans leurs travaux artistiques. Immédiat et surtout accessible, l'art est présenté comme un simple produit à consommer : éphémère, jetable et bon marché. Il est amusant de noter que l'atelier de Warhol fut baptisé la Factory, ce qui en français signife l'usine et qui dans l'idéologie communiste est un lieu associé emblématiquement aux masses et à la chaîne de montage. Andy Warhol dira lui-même « La Factory n'est pas un plus mauvais nom qu'un autre. Une usine, c'est là où l'on construit des choses. C'est là que je fabrique ou que je construis mes œuvres. La Factory produit à la chaîne des 1 Lucy R. LIPPARD, Pop Art, Thames & Hudson Ltd, 3ème édition, 1967. 18
œuvres de qualité constante. »1. La technique de la sérigraphie2, dont Warhol se fait maître, permet un grand rendement à faible coût et semble alors la plus adaptée à ce productivisme3. Ce procédé issu de l'imprimerie remet en cause le principe d'unicité de l'œuvre et à ce propos, Warhol ajoutera « Je voulais quelque chose de plus fort qui donne l'impression d'avoir été réalisé sur une chaîne de montage. »4 puis, il afrmera « Les moyens mécaniques sont d'aujourd'hui. En les employant je peux apporter l'art à plus de gens. »5. De ce fait, la sérigraphie paraît être la seule technique capable d'ofrir une telle productivité et elle seule semble permettre d'accéder à l'utopie communiste de l'art. En ce sens Warhol déclarera « Le pop art est à tout le monde. Je ne crois pas que l'art devrait être réservé à une élite ; je pense qu'il doit s'adresser à la masse des Américains, qui, en général, l'acceptent assez bien. »6. De la production industrielle émane l'acceptation de la perte de qualité de la pièce unique, patiemment réalisée à la main. Dans les oeuvres produites en série par Warhol, cette perte de qualité se retourne miraculeusement dans une qualité spécifque au médium, lui conférant sa facture : la trame sérigraphique et les éventuelles bavures d'engorgement sont visibles au regard du spectateur. Ainsi, c'est une esthétique de l'image pauvre, autant dans le sujet représenté que dans la qualité de réalisation, qui se met en place. 1 Andy WARHOL, Underground Films : Art or Naughty Movies, entretien avec Douglas Arango, juin 1966. 2 Sérigraphie : Procédé d'impression où l'on utilise un écran ou une trame de soie dont on laisse libres les mailles correspondant à l'image qui doit être imprimée. Ce procédé fut développé au début du XXème à des fins commerciales. Définition donnée par le dictionnaire Larousse, 2009. 3 Productivisme : Tendance à rechercher systématiquement l'amélioration ou l'accroissement de la productivité. Ibid. 4 Andy WARHOL & Pat HACKETT, Popisme : Les années 1960 de Warhol, traduit par Alain Cueff, Paris, Flammarion, 2007, p. 48. 5 Entretien avec Douglas Arango, juin 1966. Op. cit. 6 Andy WARHOL, Entretiens 1962-1987, traduit par Alain Cueff, Paris, Grasset, 2006, p. 104. 19
B. Principe d'appropriation qui se développe de manière exponentielle avec les nouvelles pratiques liées à Internet a. Internet : une nouvelle réalité en miroir du monde réel Le Web se présente comme un espace virtuellement infni, une forme ouverte constituée de maillages où chacun est invité à participer à son étendue. Un espace où chacun est invité à enrichir de ses propres données, informations et images, pour en étendre le contour sans limite, prédéterminé à priori, mais toujours à partir de ce qui est là autour de lui, ce qui lui est donné à voir. En 2011, l'ITU comptabilisait 2,45 milliards d'internautes dans le monde 1. Un tiers de la population mondiale a donc accès au réseau Internet et participe activement au développement de la toile. On pourrait comparer ce phénomène à l'invention de l'imprimerie comme le premier grand bouleversement technologique qui a su apporter un immense avantage à la difusion de la culture. En ofrant diférents moyens de fournir de l'information2 à travers de nombreuses plateformes et avec une circulation et un déploiement par divers formats, Internet est un atout considérable pour le partage des idées et des images. Sans inertie, tout est disponible immédiatement et pour tout le monde3. Cette disponibilité des contenus est basée sur les notions de gratuité 4 et de libre5 circulation des informations. 1 International Telecommunications Unions, The World in 2011 : ITC Facts and Figures, Genève, 2011. 2 Information : cybernétique ; Mesure de la diversité des choix dans un répertoire de messages possibles. Définition donnée par le dictionnaire Larousse, 2009. 3 Grande prédominance de l'accès à Internet pour les internautes vivant dans les pays industrialisés : Asie:42,4 % ; Amérique :26 % ; Europe 23,6 % ; Afrique : 4,8 % ; Moyen-Orient : 3,2 % 4 Utilisation abusive du terme « gratuité », pas de notion de payant ou de gratuit à l'origine, Internet est un réseau neutre. 5 Le mot libre est souvent mal compris dans l'environnement médiatique, cela ne veut pas dire que tout doit être gratuit et bien souvent on fait cet amalgame. 20
La gratuité fait partie de l'architecture intrinsèque d'Internet, média entièrement autonome, d'homme à homme, qui favorise l'échange et le partage des ressources en ligne. Cette utopie du libre1, présente depuis la naissance du réseau, est mise en pratique par l'Open Source2 et par le concept de domaine public : la mise en commun, la distribution et la redistribution du contenu contribuent alors à une conversation mondiale sans fn, à un extraordinaire réservoir de connaissances et de compétences visibles sous forme d'images et de représentations dont chacun peut se saisir. Sans avoir nécessairement conscience de cette éthique d'Internet, nous pourrions simplement dire que ce réseau a modifé notre perception de la propriété. Avant Internet, nous n'aurions jamais pensé que notre domicile pouvait être photographié librement et accessible à la vue de toute personne dans le monde. Tout ce qui est publié sur le Web est universellement disponible et susceptible d'être vu et exploré à n'importe quel moment. Il s'agit de faire d'un bien, un bien commun. De ce principe de collectivisation des contenus découle désormais un nouvel état de l'image comme propriété commune, à l'image de tous, ou d'un tout qui présente l'état du monde, de la société et de l'environnement aujourd'hui. Dès lors, il appartient à tous et à chacun de récolter, d'identifer ce qu'il veut utiliser à ses propres fns. La toile a ainsi créée une écologie 3 de l'information de manière littérale et de manière fgurative. Ce nouvel environnement est déterminé par la présence d'Internet 4, du Web, des réseaux sociaux mais aussi par d'autres phénomènes importants liés entre eux comme la prolifération de caméras, la production massive d'images et par la circulation frénétique de ces images qui font désormais partie d'un paysage global. L'état du monde réel et son imaginaire social sont visibles depuis partout, captés et renvoyés comme un miroir décomposé et rassemblé sur la toile, et rendu accessible depuis un écran individuel. 1 Implique une obligation de redistribuer le contenu. 2 Appropriation d'un contenu sans contrainte de redistribution. 3 Écologie : Étude de la relation entre les organismes vivants, entre eux et entre leur environnement. 4 Les termes Internet et Web sont souvent utilisés pour parler du même concept, mais il convient de considérer Internet comme étant un réseau de connections (messagerie, mail, jeux mmorpg, etc...) et le web comme une interface graphique (affichage des pages web avec un navigateur web). 21
L'espace culturel mondialisé d'Internet représente une ouverture sur une réalité qui se compose et se construit au jour le jour, produit de notre civilisation contemporaine avec ses codes, ses références culturelles, son histoire et son imaginaire. Ce qui semble infni est en fait extensible mais non illimité et est un reflet d'une réalité mondialisée. De toute évidence, il y a une retombée du monde réel sur ce nouveau monde virtuel. Mais la réciprocité existe également. Nous avons pu constater que certains faits qui naissaient sur la toile prenaient des proportions considérables. Le meilleur exemple pour illustrer ce propos serait sans doute le modèle des révolutions arabes, dont les photographies des citoyens présents sur place ont proliféré sur la toile, mettant ces informations à disposition du grand public et provoquant un engouement planétaire pour ces événements. Ces deux mondes, réel et virtuel, débordent l'un sur l'autre, s'enchevêtrent, et il n'est plus rare de voir les médias traditionnels comme la presse écrite et la télévision répercuter ce qu'il se passe sur le Web. Désormais, les possibilités de communiquer et d'agir sont remarquables et nous vivons une époque où la collaboration et le partage sont plus que jamais favorisés et encouragés. Selon David Campbell1, ceci est dû à l'absence d'intermédiaire sur le réseau Internet. Cette démédiation2 a permis l'apparition de nouvelles formes de contribution, de communauté et de mobilisation de personnes autour d'idées pratiques, d'intérêts communs, de passions et de projets. Dans ce sens, les réseaux sociaux publient du contenu qui ne serait pas difusé par les médias traditionnels. Toute l'importance des réseaux sociaux réside dans la capacité à pouvoir montrer une réalité des choses à une audience plus large. C'est peut-être la vraie révolution culturelle apportée par Internet, que le fait de pouvoir parler, communiquer et répandre des informations très rapidement et facilement, de permettre une difusion sans structure pyramidale de la part des médias traditionnels ou des pouvoirs politiques en place. Ainsi les réseaux sociaux sont la nouvelle Une dans laquelle chaque individu va picorer son menu, sa ration d'informations, non plus à partir du formatage d'un 1 Consultant, écrivain et membre du Durham Centre for Advanced Photography Studies à la Durham University. 2 Terme employé par David Campell pour évoquer l'absence d'intermédiaire sur les réseaux. 22
rédacteur en chef ou responsable de la publication, mais à partir des sources qu'il a lui-même choisies et sélectionnées parmi ses amis ou les personnes en qui il a confance et qui lui font des recommandations de lecture de la même manière que lui en fait. Les recommandations de lecture ou de voyages et découvertes à travers la toile, les liens envoyés représentent des sources susceptibles de concerner la personne qui les reçoit, transmis par un cercle de connaissances qui partagent les mêmes centres d'intérêts. Ces recommandations sur les réseaux sociaux participent à cette nouvelle écologie de l'information et constitue une manière tout à fait inédite d'accéder aux ressources, sans aucune frontière entre la publicité, l'information d'actualité et la création artistique. Jean-Noël Jeanneney1 emploie deux vocables pour décrire les deux grands défs majeurs qui sont intrinsèquement liés à la nouveauté de la toile et qui sont particulièrement frappant dans le cas de la photographie : la “vitesse” et le “vrac”. La vitesse de circulation, la rapidité avec laquelle on accède à des photographies prises tout autour de la planète, nous emmène, en efet, très loin de l'époque de Capa et de la valise mexicaine dont il a fallu attendre soixante-dix ans pour en découvrir le contenu. Le vrac, l'immense désordre de tout, est selon cet historien le premier ennemi de l'organisation de la pensée au proft de l'essor culturel de chacun. Si nous tapons “Da Vinci” dans Google et qu'en premiers résultats de recherche nous avons des pages du Da Vinci Code et que Léonard arrive tardivement, cela ne sera pas sans conséquence sur la culture. Cet immense océan de connaissances c'est aussi, pour lui, le risque de ne rien connaître. Avec les nouvelles technologies, il n'y a plus d'unité d'information. Tous les éléments sont livrés au même niveau, sans hiérarchie et sont mobiles, volatiles et peuvent évoluer. L'idée de flux est fondamentale dans la manière de considérer le contenu en ligne et elle est à opposer à l'idée d'une commodité fxe, dans l'espace et dans le temps. C'est sur un flux quotidien d'informations que le Web s'enrichit continuellement. 1 Professeur des Universités à l'École des Sciences politiques de Paris, historien des médias « Photographie et Internet ». 23
Pour évoquer cette idée de flux et l'impression d'être inondé par les images, Clément Chéroux1 compare l'ordinateur et le réseau numérique à un robinet à images : « Eau, gaz & images à tous les étages.2 Le développement d'Internet, la multiplication des sites de recherche ou de partage d'images en ligne – Flickr, Photobucket, Facebook, Google Images, pour ne citer que les plus connus – permettent aujourd'hui une accessibilité aux ressources visuelles qui était encore inimaginable il y a 10 ans. C'est là un phénomène comparable à l'installation, au XIXe siècle, dans les immeubles des grandes villes, des réseaux d'eau courante puis de gaz. On sait combien ces nouvelles commodités de l'habitat moderne ont modifé en profondeur les modes de vie, le confort et l'hygiène. Nous avons désormais à domicile un robinet à images qui bouleverse tout aussi radicalement nos habitudes visuelles. » Clément Chéroux, L'or du temps, catalogue de l'exposition FROM HERE ON..., avril 2011. 1 Conservateur au Centre Pompidou - Musée national d'Art moderne, historien de la photographie et docteur en histoire de l'art. 2 D'après un texte de Paul VALÉRY, cité par Walter BENJAMIN dans L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité. 24
b. L'image fluide : un matériau photographique en ligne La révolution numérique a fait naître une fgure récente en photographie qu'André Gunthert1 appelle l'image fluide2. Cette fluidité est la nouvelle propriété, le nouvel état des images numériques traduisant une dématérialisation des contenus apportée par l'informatique et les nouvelles technologies. Elle a pour conséquence la disparition de la transition d'état par seuil en supprimant le négatif et le tirage. Le cadre et le format deviennent des paramètres souples, susceptibles d'évoluer. Cette nouvelle fgure est le caractère propre à toutes productions numériques et pour prendre conscience de ce phénomène, nous pouvons nous appuyer sur deux exemples qui représentent deux symptômes au début et à la fn de la révolution numérique. Il s'agit de deux publicités datant de 2004 pour la première et de 2011 pour la seconde, dans un intervalle d'un peu moins d'une dizaine d'années qui correspond à la chronologie de l'évolution. La publicité Kodak3 de 2004 annonce un slogan « Les photos nous manquent » : c'est le tout début, l'arrivée du numérique et nous avons déjà l'idée de quelque chose qui menace et qui est l'immatérialité de l'image. Dans ce clip publicitaire, nous avons une image qui se manifeste par la métaphore du cadre vide et la voix of enchérit « nos photos, on y tient ». Par tradition, une photographie est donc quelque chose qui est cadrée, qui est matérielle, que l'on peut toucher, qui est un objet avec un recto et un verso ; qui a toutes les caractéristiques que l'image numérique, que l'image fluide a perdu. Sept ans plus tard, dans la publicité de 20114, c'est spécifquement la disparition de la matérialité des photographies qui est devenue la caractéristique d'un nouvel état de 1 Enseignant-chercheur à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), directeur du Laboratoire d'histoire visuelle contemporaine (Lhivic), éditeur du site Culture Visuelle et du blog L'Atelier des icônes. 2 André GUNTHERT, L'image fluide, conférence L'Économie des images, colloque d'Arles, 6 juillet 2011. Disponible sur le site www.rencontres-arles.com à cette adresse : http://goo.gl/JCtSQ 3 Kodak Kiosk, clip publicitaire, version courte de 30 secondes, 2005, disponible sur le site de l'ina.fr à cette adresse : http://goo.gl/CC37n 4 MonAlbumPhoto, clip publicitaire pour www.monalbumphoto.fr, 15 secondes, 2011, disponible sur Youtube à cette adresse : http://goo.gl/9hMcm 25
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