BarBara soprano & direction - des concerts - Cadences
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César franck le bicentenaire L’ AC T UALI T E D E S CO N C ERTS E T D E L’ O PE R A Christian zacharias piano © Christophe Abramowitz Le calendrier des concerts à Paris et en Île-de-france [ n° 356-357 Sept./oct. 2022 ] Barbara Hannigan soprano & direction
sommaire Anniversaire © Elgar Collection / Bridgeman Images L eS d o s s i e rs César Franck, le bicentenaire 2 Rameau, Zoroastre 12 © Philippe Quaisse Chostakovitch, 11 symphonie 18 e Il y a 240 ans… Thomas Ospital 14 Naissait Niccolò Paganini, le 27 octobre 1782 à Gênes. Interprète et compositeur emblématique du début du xixe siècle, il initia © Sergi Jasanada l e s c o n c e rt s un tournant dans l’histoire du violon en à paris 22 concevant une nouvelle manière de jouer. et en île-de-france Ses si virtuoses 24 Caprices constituent aujourd’hui encore un véritable défi pour tout Joyce DiDonato 8 CD 34 violoniste, réunissant toutes les difficultés imaginables des techniques de jeu. Paganini à P a ri s U n a rt i s t e … marqua les esprits de son temps mais aussi Portrait 10 U N DIS Q U E 36 des générations futures, de multiples Barbara Hannigan compositeurs lui ayant rendu hommage dans leurs œuvres, comme Brahms avec ses L’actualité des concerts 6 Variations sur un thème de Paganini, Hillary Hahn, Lakmé, DiDonato… Rachmaninov avec sa Rhapsodie sur un thème de Paganini, ou Liszt qui composa orgue 14 plusieurs œuvres pour piano en s’inspirant Thomas Ospital © Bob Handelman des Caprices. Les témoignages abondent Piano 16 de la virtuosité époustouflante de Paganini, Christian Zacharias et du mythe qui se construisit autour d'elle : le musicien aurait passé un pacte avec Festivals d'automne 20 Boris Berman 36 le Diable qui l'aurait doté de sa technique inhumaine, lors d’un séjour en prison pour crime… (en réalité Paganini fut bien enfermé www.philippemaillardproductions.fr quelques jours, mais en raison d’une intrigue amoureuse malencontreuse, car l’artiste B E E T H OV E N multipliait volontiers les aventures). La peau MEDTNER N OV très pâle et la grande maigreur du musicien RACHMANI ne manquèrent pas d’alimenter l’histoire… qui prit de telles proportions qu’il n’eut pas droit à un enterrement religieux ! De nombreuses 3 gravures l’illustrant en train de jouer en prison O C: 3T0 20 ont immortalisé la légende. E.G. LE SAL E AU G AV Cadences • ISSN 1760 - 9364 • édité par les Concerts Parisiens • SARL au capital de 10 000 euros • 21, rue Bergère 75009 Paris • Tél. 01 48 24 40 63 • Fax 01 48 24 16 29 • Siret 44156960500013 • Directeur de la publication : Philippe Maillard • Publicité : tél. 01 48 24 40 63, publicite@cadences.fr • Rédacteur en chef : Yutha Tep • Chef de rubrique : Élise Guignard • Ont participé à ce numéro : Michel ER Fleury, Michel Le Naour, Pierre Verdier • Conception N D graphique : Astrada design • Diffusion : Sophie A ALEX OFEEV Borgès, sborges@cadences.fr • Impression : RPN- Groupe Prenant, Vitry-sur-Seine • Tirage : 40 000 exemplaires • Abonnement : 9 nos 40 € MAL PIANO R É S E R VAT I O N S www.centre-chopin.com 01 48 24 16 97 septembre/octobre 2022 cadences Le plus grand choix de pianos acoustiques & numériques en exposition permanente et en essai libre 1
dossier César Franck le bicentenaire La personnalité fascinante de Franck tient au caractère Sujet à controverses énigmatique d’une œuvre et d’un personnage éludant les investigations. Une fondamentale ambiguïté entre spiritualité et sensualité l’a mis sur la voie du Sublime P our parfaites qu’elles soient, les grandes œuvres de Franck trahissent une quête, un effort, une prise de conscience, une volonté à en musique. l’œuvre. Elles évoluent de l’ombre et de l’incer- L titude vers la lumière et l’accomplissement : à e cas de César Franck l’image de la tardive maturité d’un génie qui ne est singulier : tenu se révéla que passé la cinquantaine, ne s’ache- par les histoires de minant que graduellement vers l’apothéose de la musique pour l’un ses dernières années. Franck a été contré par des acteurs essentiels du re- la vie : en 1842, son père, impatient de rentabi- nouveau de la musique fran- liser les dons prodigieux de son fils, interrompt çaise à la fin du xixe siècle, il un brillant cursus d’études au Conservatoire est aujourd’hui relativement de Paris et l’oblige à entamer une carrière de négligé par le programme des pianiste-virtuose, jugée plus lucrative. Une concerts et la production dis- fois affranchi de cette tyrannie par le mariage, cographique. Ignoré du grand pour assurer les ressources de son foyer, il public, il éveille un respect mène l’existence routinière d’un musicien voilé de condescendance : il d’église et d’un professeur de musique cou- serait académique, pompier rant le cachet. Ces tâches alimentaires ne lui et « saint-sulpicien ». Juge- laissent que peu de temps pour composer. ment hâtif, opposé à celui de Sa nomination aux orgues de Sainte-Clotilde ses contemporains qui l’ont en 1859, marque un tournant : sur cet orgue © D.R. tenu à l’écart précisément aux ressources symphoniques, il trouve dans en raison de ses audaces. Il l’improvisation la voie appropriée pour l’ex- connut cependant ensuite une gloire post mor- Génie puissant et novateur, pression d’une nature à la fois mystique et tem, véritable culte franckiste entretenu par César Franck est l’initiateur contemplative, ainsi qu’un banc d’essai pour une phalange de disciples… Puis s’installa un du renouveau musical les idées et les formes de ses futures composi- effacement d’autant plus injuste que, par ses français à la fin du xixe siècle tions. En 1872, il est nommé professeur d’orgue œuvres autant que par son enseignement, il au conservatoire. Moins pressé par des tâches a joué un rôle central dans le développement alimentaires, il trouve plus de temps pour com- en France d’une musique sérieuse, émancipée poser. Stimulé par ses disciples et par l’envi- de la facilité qui avait trop longtemps marqué ronnement de la Société Nationale de musique de son sceau une vie musicale dominée par dont il est l’un des membres influents, il livre le grand opéra et l’opéra bouffe. Un paradoxe ses premières grandes œuvres (Rédemption, de plus : le chef de la Société Nationale de mu- Béatitudes, Quintette). Dans la dernière décen- sique était de souche allemande. Son père, de nie, il s’impose comme le maître français de nationalité néerlandaise, était issu des confins la musique moderne, guidant avec sûreté ses du Limbourg et de la Prusse rhénane ; sa mère disciples (les franckistes) par la venue d’une était une Allemande d’Aix-la-Chapelle ; sa gerbe de chefs-d’œuvre. Il est loin cependant langue maternelle était l’allemand et il n’acquit de faire l’unanimité : au conservatoire, on lui la nationalité française qu’en 1872, pour pou- reproche de transformer sa classe d’orgue en voir devenir professeur au Conservatoire. classe de composition et d’empiéter ainsi sur 2 cadences septembre/octobre 2022
paris Les Variations symphoniques C'est l'œuvre de Franck qui résume le mieux ses innovations de langage © Janis Deinats et de forme. C’est par ailleurs l’une des plus caractéristiques sur le plan © Harald Hoffmann _ Sony Music de l’inspiration : dialectique fondée sur l’opposition d’idées fortement Andris Poga dirigera l’Orchestre contrastée, évolution de l’ombre National de France le 3 novembre, vers la lumière comportant une avec Adam Laloum (à droite) au piano. incursion prolongée dans la sphère du Sublime, gamme étendue de sen- les prérogatives des autres enseignants. Le mo- timents, de la résignation et de la dernisme et la passion trop sensuelle de sa mu- plainte à l’héroïsme guerrier, de la sique déroutent Madame Franck qui ne cache méditation à l’effusion lyrique, du pas sa réprobation pour le Quintette, la Sonate mystère surnaturel à l’oraison sublime, avant la liesse débridée saluant la ou Psyché. Dans sa tardive notoriété, il reste victoire de la joie sur le doute et l’inquiétude. Chez Franck, la synthèse est controversé. Travailleur infatigable, il meurt à un mot clé du processus de création et la grande variation est par nature un l’automne 1890 des séquelles d’un accident de cadre idéal pour mettre en œuvre une telle démarche. fiacre mal soigné. le plus beau concerto romantique Une force tranquille Il ne s’agit pas de variations au sens strict du terme, mais plutôt d’une fan- cheminant vers taisie pour piano et orchestre d’une forme à la fois très élaborée et très libre, organisée en trois parties : la première est basée sur deux idées op- la lumière posées, l’une, menaçante, de l’orchestre, l’autre la réponse suppliante du piano à cette injonction. Comme souvent chez Franck, la musique « se fait » A dversité aussi nécessaire que providen- tielle : s’il avait eu la carrière facile d’un brillant prix de Rome, il se serait sans doute peu à peu, comme en une libre improvisation ; le thème des variations s’ébauche à l’orchestre, puis surgit au piano, à la fin de cette première par- tie, au terme d’échanges exquis entre piano et orchestre qui semblent s’être enfermé dans le conformisme d’un musicien réconciliés. La partie centrale débute ici : une idée proche d’un choral, à la de théâtre, et serait certainement aujourd’hui fois élégiaque et méditative, sereine et résignée. S’enchaînent alors les sept oublié. Le génie de Franck est une prise de variations : tour à tour caressantes et affectueuses (variations 1 et 2), puis conscience progressive de soi-même, que les s’animant (3) jusqu’à des fanfares guerrières (4), s’apaisant (5) avant que ne obstacles ont stimulée. Effacé, affable, réser- s’ouvrent « ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invi- vé, le musicien était cependant convaincu de sible » (6 : vers le mystère) ; la septième touche au sublime, les arpèges exta- sa valeur, et du caractère unique du message tiques du piano s’élevant peu à peu jusqu’aux cieux, au-dessus des soupirs qu’il avait à délivrer. Il avait la sérénité et la résignés des violoncelles… Un trille prolongé du soliste dans le ciel où nous force tranquille de l’homme juste et droit et n’a avons rencontré l’éternité nous ramène sur terre, dans la confiance, la joie jamais douté de lui-même. Dans sa vie comme et la plénitude que célèbre alors le final. Danses énergiquement scandées dans son célèbre système de composition (le ou d’une légèreté ailée nous mènent à l’aveuglante clarté de la coda, la sup- « cyclisme ») il tâtonne dans la certitude de plication originelle transfigurée en un carillonnement triomphal, bouquet trouver la lumière. Rien ne le résume mieux étincelant d’un feu d’artifice rayonnant de joie. que la clarté inondant progressivement son Synthèse miraculeuse de la grande variation et de la forme sonate, invo- Choral n° 1, dont il disait : « Vous verrez, le vrai quant même, au passage, le choral, cette œuvre magistrale permet d’appré- choral n’est pas le choral ; il se fait au courant hender les multiples facettes du génie de Franck. Adversaires sans merci du morceau. » – de même que le grand musi- ou au contraire partenaires enlacés dans un dialogue affectueux, piano cien qu’il était s’était fait au cours de la vie. et orchestre y sont également les acteurs d’un magnifique concerto pour La légende s’est emparée du personnage pour piano romantique : les Variations ont longtemps été un cheval de bataille en faire une figure mythique : celle du pater du grand répertoire. Espérons qu’avec ce bicentenaire, nombre de jeunes seraphicus, saint de la musique – voire martyre pianistes prennent la relève de leurs aînés pour leur permettre, à nouveau, de son idéal, totalement voué à un art tourné de faire le tour du monde. vers le ciel et exposé à la vindicte et aux conspi- septembre/octobre 2022 cadences 3
dossier 5 CD essentiels rations des forces du mal – en l’occurrence ses 13 octobre – Maison adversaires et ses concurrents (Saint-Saëns de la Radio Orchestre National de France. lui voua une haine motivée par la jalousie). Dir. : C. Măcelaru. D’Indy, qui se voulait le disciple préféré, a joué Franck, Psyché. un rôle central dans cette « béatification ». En réalité, le « père Franck », homme d’une mé- Symphonie en ré mineur, Variations 16 octobre – Théâtre diocre culture, d’une absolue droiture, naïf à symphoniques *. des Champs-Élysées Alexis Weissenberg (piano) *, Orch. de Paris, Berliner l’occasion, montrait beaucoup plus de nuances B. Grosvenor, piano. Philharmoniker *, dir. Herbert von Karajan. Franck, Prélude, choral et fugue. que le portrait tracé par le crayon réducteur de 1 CD EMI d’Indy. Sa foi catholique, indéniable, était sen- Profonde et dramatique, animée d’un large et généreux 21 octobre – Salle Cortot timent plus que dogme ou raison. Une sensuali- souffle, cette sublime version de la symphonie laisse P. Kolesnikov, piano. té marquée imprègne des pages profanes telles toujours le souffle coupé. Franck, Prélude, choral et fugue. que Psyché, et les harmonies voluptueuses dont abondent Hulda, la Sonate ou Prélude, 3 novembre - Maison Aria et Finale trahissent un tempérament aussi de la Radio Orchestre National de France. passionné que sensuel. La progression vers la Dir. : A. Poga. A. Laloum, piano. lumière affirmée par la construction tonale Franck, Variations symphoniques, des œuvres et l’élévation spirituelle des codas Les Béatitudes. Rédemption, Les Djinns. représentent une victoire remportée sur ces Maîtrise Gächinger de Stuttgart, Orch. symph. de la Radio zones d’ombre. La phrase franckiste retrace les de Stuttgart SWR, dir. Helmut Rilling. péripéties de ce combat : visant à s’élever vers 2 CD Hännsler L’une des pages les plus grandioses de toute la musique, Dieu, elle s’appuie sur des harmonies si équi- rendue avec la générosité, la ferveur et l’élévation requises. voques et si « glissantes » qu’elle retombe sou- vent au sol avant de prendre son essor. Franck est un romantique tardif, un sensuel et un décadent qui s’ignore. Il annonce les « serres chaudes » et les délices de la Belle Époque (De- bussy lui doit beaucoup). Son langage très personnel a suscité bien des Prélude, Choral et Fugue, Prélude, Aria et Final, Variations symphoniques *. repères émules. La richesse et l’imagination de son Jorge Bolet (piano), Orch. du Concertgebouw, harmonie préfigurent Debussy et l’impression- 1822 : naissance le 10 décembre dir. Riccardo Chailly *. à Liège nisme. Le chromatisme est pour lui un mode 1 CD DECCA d’expression naturel ; il l’enrichit de résolu- 1837-42 : études au conservatoire Plénitude et rondeur du timbre et expression large et tions exceptionnelles et, occasionnellement, de Paris généreuse se conjuguent pour sculpter dans le marbre 1846 : Ruth ; Ce qu’on entend sur ajoute une touche modale en accord avec le une référence absolue. la montagne sentiment religieux ou l’atmosphère exotique 1848 : mariage avec l’une de ses élèves (Rebecca, Choral n° 3). La richesse de la poly- 1859 : titulaire du grand orgue phonie est à la mesure de celle de l’harmonie. de Ste-Clotilde Surtout, un sens inné et très personnel de la 1872 : Rédemption forme lui permet d’ordonner et de structurer 1871-1879 : Les Béatitudes ce riche matériau dans le cadre d’édifices aux Quintette avec piano, Quatuor à cordes. proportions à la fois larges, harmonieuses et Muza Rubackyte (piano), Quatuor à cordes de Vilnius. 1876 : Les Éolides originales. Parallèlement à Wagner, Franck a 2 CD Brilliant 1879 : Quintette pour piano et Un tempo suffisamment large pour mettre en valeur cordes recherché une totale unité de composition. Cha- la richesse sonore de ces partitions, abordées avec 1880-1884 : Hulda (opéra) cune de ses œuvres repose ainsi sur quelques un chaleureux lyrisme. motifs conducteurs qui déterminent les autres 1882 : Le Chasseur maudit idées, celles-ci s’ordonnant en fonction d’une 1884 : Les Djinns ; Prélude, choral et fugue logique tonale élaborée, se combinant et assu- 1885 : Variations symphoniques rant par leur retour l’unité de l’univers sonore. Ces techniques complexes, progressivement 1886 : Sonate pour piano et violon élaborées, sédimentées et affinées tout au long 1887 : Prélude, aria et final L’œuvre pour orgue. d’une vie de labeur, lui ont permis de traduire, 1888 : Symphonie en ré mineur ; Jean Langlais à Sainte Clotilde. en une expérience sonore sans équivalent, le Psyché 3 CD Arion sentiment du Sublime, dont il était, plus que 1889 : Quatuor à cordes Sur l’orgue somptueux de Franck lui-même, une approche tout autre, imprégné. inspirée et généreuse, en parfaite empathie avec l’esprit 1890 : Trois chorals • Michel Fleury du Maître, nous élève vers de sublimes sphères. 1890 : meurt à Paris le 8 novembre 4 cadences septembre/octobre 2022
ORCHESTRE NATIONAL D’ÎLE-DE-FRANCE DIRECTION MUSICALE CASE SCAGLIONE 22 23 JOUEZ ! Belleville 2022 © Christophe Urbain Concerts à la Philharmonie de Paris, dès 8 € la place ! rés. 01 43 68 76 00 orchestre-ile.com
les concerts à l'affiche Coup de cœur Yan Levionnois, violoncelle Hilary Hahn, violon Ryutaro Suzuki, piano Dvořák, Concerto pour violon Le 21 septembre (Musée Guimet) Le 3 octobre (Théâtre des Champs-Élysées) La saison des Pianissimes met tou- jours un point d’honneur à nous faire découvrir les étoiles de demain, dans une atmosphère conviviale. Elle © Natacha Colmez s’ouvre cet automne avec un concert réunissant deux jeunes talents diplô- més du conservatoire supérieur de Paris, dans un programme essentielle- ment consacré à la musique française (Debussy). Le violoncelliste Yan Levionnois s’est notamment fait remarquer dans plusieurs grands concours internationaux (Rostropovitch, Reine Elisabeth…). Sa rencontre avec le pia- © Dana van Leeuwen-Decca niste japonais Ryutaro Suzuki annonce un concert mémorable. Orchestre National d’Île-de-France Gershwin, Concerto en fa Le 23 septembre (La Seine Musicale) Le premier programme de l’Orchestre Parmi les concertos de Dvořák, on entend beaucoup parler National d’Île-de-France cette saison de celui pour violoncelle que les interprètes semblent una- nous emmène à la croisée du classique nimement apprécier. Celui pour violon n’est pas aussi sou- et du jazz avec le Concerto en fa de © Ralph Steckelbach vent joué, et pourtant il recèle des qualités superlatives : Gershwin. La partition brille par son les deux premiers mouvements (Allegro ma non tropppo inventivité et ses couleurs, d’autant et Adagio ma non troppo) s’enchainent de manière fluide, plus que le compositeur l’orchestra séduisant l’oreille par leur expressivité et leur richesse mé- lui-même contrairement à sa Rhap- lodique. Bien que très techniques pour le soliste, ils ne sont sody in Blue. Le pianiste allemand jamais inutilement virtuoses, l’inventivité musicale restant Frank Düpree pourra y déployer tout son talent car il est un toujours au premier plan. Le troisième et dernier mouve- habitué de ce répertoire. Il entrainera l’orchestre dans son uni- ment, Allegro giocoso ma non troppo, est construit sur un vers, placé sous la direction de Georg Köhler. En seconde par- rythme de « furiant », danse tchèque à trois temps. Avec tie, on entendra la Symphonie n° 6 de Tchaïkovski une « doumka » mélancolique en ré mineur en son centre, il est empreint d’un folklore coloré. Dvořák avait commen- cé à composer son œuvre en 1879, souhaitant la faire créer Alexandre Kantorow, piano par le violoniste Joseph Joachim. Mais après des différends entre les deux artistes et deux révisions de la partition (en Daniel Lozakovitch, violon 1880 et 1882), le compositeur choisit finalement František Le 26 septembre (Fondation Vuitton) Ondříček pour la création de son concerto (en 1883). De son On aura la chance d’entendre deux so- côté, Joseph Joachim ne le joua jamais. C’est aujourd’hui listes d’exception à la Fondation Vuit- Hilary Hahn qui nous propose son interprétation de la ton. Révélé à 22 ans par son triomphe © Jean-Baptiste Millot partition au Théâtre des Champs-Élysées. Connue pour sa au Concours Tchaïkovski en 2019, virtuosité et son imagination sans limite depuis ses débuts véritable coup d’éclat qui a ébranlé sur les scènes internationales à seulement 14 ans, la violo- le milieu pianistique, Alexandre Kan- niste américaine connait déjà bien le concerto de Dvořák et torow se produit déjà partout dans le vient aisément à bout de ses traits les plus difficiles. Elle est monde. Il trouve un talent à sa me- entourée du Rotterdams Philharmonisch Orkest, brillante sure en la personne de Daniel Lozako- phalange placée maintenant sous la direction du jeune chef vitch : surnommé le « nouveau Menuhin », le jeune virtuose israélien Lahav Shani (qui succède ainsi à Yannick Nézet- de l’archet est déjà l’invité des plus grands chefs et brille dans Séguin). Le programme du concert comprend aussi Con les répertoires les plus divers. Les deux interprètes unissent Brio de Widmann et la Symphonie n° 1 op. 68 de Brahms. leurs forces pour magnifier des sonates de Brahms, Schumann et Franck. Une rencontre au sommet ! 6 cadences septembre/octobre 2022
paris Lakmé Ensemble Pygmalion Du 28 septembre au 8 octobre (Opéra Comique) C’est le 14 avril 1883 que fut 2023 créé Lakmé à l’Opéra Comique, sur un livret d'Edmond Gon- dinet et Philippe Gille. L’opéra nous conte l’histoire de la fille d’un brahmane et son amour © Fabien Monthubert impossible pour un lieute- nant européen inconstant, qui la mènera à sa mort. Delibes LE VOYAGE composa sur cette intrigue DANS LA LUNE une musique pleine de raffine- JACQUES OFFENBACH ment et de couleurs qui dépeint l’Inde par ses mélismes et ses harmonies. Le public de l’époque fut immédiatement conquis L’INONDATION par le cadre orientaliste choisi et la richesse mélodique de la FRANCESCO FILIDEI partition, d’autant plus que les deux rôles principaux (Lakmé JOËL POMMERAT et Gérald) étaient tenus par des stars de l’Opéra Comique : la soprano Marie van Zandt et le ténor Talazac. Aujourd’hui on LE BOURGEOIS connait surtout l’œuvre pour le très virtuose « Air des clo- GENTILHOMME chettes » chanté par Lakmé qui a fait les heures de gloire des MOLIÈRE plus grandes sopranos coloratures, ou encore le « Duo des JEAN-BAPTISTE LULLY fleurs » entre Lakmé et Malika, mais l’opéra dans son ensemble mérite qu’on y porte une attention plus poussée pour sa poé- CARMEN GEORGES BIZET sie, son tableau saisissant d’un choc des cultures et le très beau portrait de femme qu’il esquisse. Raphaël Pichon met en lumière toutes les subtilités de la mu- BREAKING sique à la tête de l’orchestre et du chœur Pygmalion. Sabine THE WAVES MISSY MAZZOLI Devieilhe retrouve quant à elle l’un des premiers rôles-titres ayant fait son triomphe il y a quelques années. Le reste de la distribution (Frédéric Antoun, Ambroisine Bré, Stéphane ZÉMIRE ET AZOR ANDRÉ-ERNEST-MODESTE GRÉTRY Degout…) est tout autant enthousiasmante et saura sublimer l’œuvre de Delibes dans la mise en scène de Laurent Pelly. Françoise Tillard, piano Tailleferre, Bartók… Le 2 octobre (L’Entrepôt) Tout au long de l’année, l’association Parole et Musique propose une série LA SAISON Licence E.S. 1-1088384 ; 2-1088385 ; 3-1088386 - Création graphique : de concerts en petit effectif : musique de chambre, récitals et opéras « de EST OUVERTE poche » se succèdent, avec une belle Abonnements > 19.09 place accordée à la mélodie française Cartes de réduction > 3.10 et au Lied. L’occasion d’apprécier Places à l’unité > 10.10 © D.R. toutes les subtilités des différents répertoires choisis dans un cadre inti- opera-comique.com miste charmant. La saison s’ouvrira le 2 octobre : chant (Karine 01 70 23 01 31 Godefroy), violon (Simon Milone), clarinette (Francis Prost) et piano (Françoise Tillard) se mêlent pour nous faire découvrir ou redécouvrir des pépites de Charles Ives, Germaine Taille- ferre ou encore Béla Bartók. septembre/octobre 2022 cadences 7
les concerts à l'affiche Coup de cœur Gaspard Thomas, piano Joyce DiDonato, mezzo Schubert, Chopin… Eden Le 6 octobre (Petit Palais, Auditorium) Le 5 octobre (Théâtre des Champs-Élysées) Parmi les brillants musiciens en dé- but de carrière qu’on peut entendre cet automne dans la saison Jeunes Talents, le pianiste Gaspard Thomas se démarque déjà par un parcours exemplaire. Ayant étudié au conser- vatoire supérieur de Paris auprès de © D.R. Claire Désert, il a notamment été lau- réat de la Fondation Royaumont. On a aussi pu prendre la mesure de son talent lors de sa participa- tion à l’Académie Jaroussky en 2021. Le musicien nous ouvre ici les portes des salons parisiens du xixe siècle, où les concerts intimistes et l’improvisation avaient la part belle. Stéphane Fuget, direction © Sergi Jasanada Monteverdi, L’Orfeo Le 18 octobre (Château de Versailles) Fils d’Apollon, poète-musicien La mezzo américaine Joyce DiDonato est une personnalité envoûtant de sa lyre aussi à part dans le milieu lyrique. Aimant mélanger les disci- bien les hommes que les dieux, plines et casser les cadres, elle met une originalité infinie capable d’émouvoir les bêtes et un engagement total dans ses choix artistiques, le tout sauvages et même d’arracher appuyé d’une technique vocale époustouflante. Elle a des larmes aux pierres, époux conçu de nouveau un de ces programmes fascinants et loin endeuillé fidèle même par- des sentiers battus dont elle a le secret, intitulé Eden. Déjà © Pascal Lemee delà la mort, Orphée insuffla enregistré pour Erato, il est donné lors d’une vaste tournée aux compositeurs des pages de concerts qui se poursuivra jusqu’en 2024 dans le monde sublimes qui jalonnèrent plus entier. Innovant et théâtral, Eden met la nature au cœur du de quatre siècles d’histoire de spectacle, porteuse des émotions les plus fines et des sen- la musique. L’Orfeo de Monteverdi en est l’un des premiers sations les plus saisissantes. La mezzo nous convie à « une exemples, et des plus frappants. Le librettiste, Alessandro soirée célébrant la majesté, la puissance et le mystère de la Striggio, conçut un texte dans la veine humaniste et ce dès le Nature à travers le pouvoir transformateur de la musique ». Prologue où la Musique clame son pouvoir sur les cœurs. La Elle souhaite ainsi nous inviter à retourner aux sources de version originale du livret prévoyait de suivre le texte de Vir- la vie et à porter un nouveau regard sur le monde, dans gile et de faire mourir Orphée déchiré par les Bacchantes en un message d’espoir salvateur en notre époque troublée. furie. Mais Monteverdi privilégia une fin moins tragique, dans Symboles d’un avenir meilleur à construire, des graines à la lignée de celle d’Ovide : Apollon invite Orphée au ciel où planter seront même distribuées au public. Côté musique, il retrouvera les traits d’Eurydice dans les étoiles. En cela, le le programme mêle audacieusement les époques et les livret s’inscrit dans l’esprit de la Contre-Réforme : après avoir cultures : Marini, Ives, Gluck, Wagner, Mysliveček… On y connu les joies puis les peines d’une vie de mortel, le héros trouve du Lied (certains des sublimes Rückert-Lieder de renonce à ce monde de passions et de douleurs pour retrouver Mahler composés en même temps que la Symphonie n° 5), l’harmonie au ciel. des airs d’opéras (tirés par exemple de Theodora de Hän- Sur ce livret, Monteverdi crée une musique exceptionnelle, del, ou de La Calisto de Cavalli), quelques pièces instru- mêlant avec art les formes anciennes et nouvelles, polyphonie mentales et même une nouvelle œuvre commandée spécia- des chœurs et mélodies accompagnées, exploitant un orchestre lement par Joyce DiDonato, The First Morning of the World à la palette de timbres riche et variée, usant d’harmonies auda- de Rachel Portman, compositrice récompensée aux Oscars. cieuses et de dissonances. L’ensemble Il Pomo d’Oro accompagne avec enthousiasme Dirigeant l’ensemble Les Épopées, Stéphane Fuget donne vie la chanteuse dans ce voyage aux confins de la terre, au au chef-d’œuvre entouré d’une distribution de haut vol (Julian rythme des saisons et des siècles. Prégardien, Gwendoline Blondeel, Marie Perbost, Eva Zaïcik…). 8 cadences septembre/octobre 2022
paris Riccardo Muti, direction Mendelssohn, Respighi… Le 20 octobre (Maison de la Radio) À la tête de l’Orchestre National de France, le maestro dirige un pro- gramme consacré en première par- tie au célèbre Concerto pour violon de Mendelssohn, qui nous emmène au sommet du romantisme allemand (avec Julia Fisher en soliste). La se- © D.R. conde partie du programme rend hommage à la ville de Rome, avec deux œuvres : la Symphonia Roma de Bizet, fantaisie sympho- nique que le compositeur écrivit après avoir vécu des jours heureux dans la ville italienne, et les Pins de Rome de Respighi, poème symphonique qui dépeint quatre tableaux de la ville. Pavel Kolesnikov, piano Hommage à Proust Le 21 octobre (Salle Cortot) Peut-être parce qu’il a également étu- dié le violon, Pavel Kolesnikov tire du clavier des lignes magnifiques. Dans le cadre des Nuits du Piano dont c’est © Eva Vermandel la première saison à la Salle Cortot, il propose un programme aux univers savamment imbriqués. Kolesnikov se fera peintre dans les clairs-obscurs de Schubert, caressera amoureusement le cantabile lumineux de Hahn, les fines textures de Fauré ou encore l’élégance de Louis Couperin. Cela ne l’empêchera nullement de déployer toute la largeur sonore et la virtuosité éblouissante requise par le Prélude, Choral et Fugue de Franck. Yo-yo Ma, violoncelle Bach Le 21 octobre (Philharmonie) Star adulée du public depuis de très nombreuses années, le violoncelliste Yo-Yo Ma a toujours nourri une véri- table passion pour Bach, et notam- ment pour les Suites pour violoncelle. Il les a enregistrées trois fois : une pre- © Jason Bell mière fois autour de ses vingt ans, une seconde fois autour de ses quarante ans et il les réenregistre aujourd’hui dans sa soixantaine, renouvelant chaque fois sa vision du chef- d’œuvre. Pour le musicien d’origine chinoise, ces pièces sont de véritables « points de repère » dans sa vie. Pour le concert à la Philharmonie, on sait que les fans seront au rendez-vous ! septembre/octobre 2022 cadences 9
portrait Barbara Hannigan charismatique peu d'artistes jouissent d'une aura comparable. l'étoile de nécessité de rester en bonne forme tout le temps barbara hannigan illumine tout autant le monde du chant et surtout – c’est sans doute la plus grande angoisse de tout chanteur –, préserver la santé que celui de la baguette. le philharmonique de radio de son instrument. La vie d’une cheffe contient france a eu la main heureuse, qui a noué avec elle une d’autres défis et il faut travailler très dur, mais collaboration étroite et fructueuse. rencontre. j’aime cela. Il faut montrer un leadership aussi bien logistique que psychologique, comprendre 8 octobre – Maison la psychologie d’un groupe important et de ce de la Radio fait, assumer la pression qui retombe sur cette B. Hannigan (direction), A. Patoulidou fonction ». Il ne s'agit nullement de paroles en (soprano), B. Chamayou (piano), T. Lacôte l'air : « Il y a peu, j’étais aux Pays-Bas et la veille (orgue), Philharmonique de Radio France. du concert, nous avons perdu 5 musiciens sur Vivier, Haydn, Messiaen. les 23 que nous avions – et pas à cause du Covid. 9 octobre – Maison Nous avons dû faire la répétition générale et le de la Radio concert avec les 5 remplaçants ! À la direction, B. Hannigan (soprano), D. Williams j’ai dû totalement changer mes points de focali- (baryton), L. Dollat (orgue), Musiciens sation : quand on a répété de manière normale du Philharmonique de Radio France. une partition qu’on connaît bien, on sait sur quel Ysaÿe, Buxtehude, Adams, Pärt, Barnson. point porter son attention et à l’inverse, quel © Abramowitz Christophe musicien on peut « oublier » temporairement. Quand les fondamentaux changent soudaine- du tac au tac ment, le "focus" change lui aussi, et on s’installe Quel est votre bruit préféré ? Les dans un état que j’appellerais celui de perma- bruits de la nature autour de flex, dans lequel on doit être souple comme un ma maison dans le Finistère. élastique. J’aurais pu devenir déprimée ou aga- Le compositeur que vous voudriez cée mais j’étais confrontée au défi de garder un défendre ? Claude Vivier, le I compositeur franco-canadien. état d’esprit positif, d’emmener tout le monde au l n'est guère exagéré d'écrire que Bar- Votre œuvre pour une île déserte ? bout de cette épreuve. J’en ris maintenant mais bara Hannigan a atteint le statut de véri- Toutes les symphonies sur le moment cela a été tellement difficile ». table icône, égérie de compositeurs aussi de Haydn ! illustres que Pascal Dusapin ou George Benjamin, interprète fabuleuse des labyrinthes Quelle est la partition que vous auriez rêvé de créer ? Lulu de Berg ! Haydn, un petit ami sonores de la fin du xixe siècle ou du xxe siècle. Et j'aimerais en diriger une production complète. âgé de deux cents ans Peu d'artistes ont su habiter avec autant d'in- I Quelle est la personnalité (culture, tensité les œuvres de Berg ou Webern, par- l faut espérer que ses deux concerts du mois politique, science…) qui vous inspire titions parfois jugées arides mais qui, avec le plus ? Sarina Wagner, d'octobre à la Maison de la Radio seront elle, trouvent un ancrage tant dans le corps entraîneuse dans le football plus sereins. Pour sa part, Barbara Hannigan que, pour reprendre ses mots, dans l'âme. Ces féminin. entend fermement en tirer le plus grand plai- dernières années, cette dimension a pris une L’objet qui ne vous quitte jamais. sir, même si la charge de travail s'avérera de épaisseur supplémentaire depuis que Barba- Mes chaussures de course. nouveau considérable : « Le 9 octobre, je n’ai ra Hannigan a endossé la casquette de cheffe Si vous deviez vous réincarner, en quoi que les pièces vocales à travailler. En revanche, d'orchestre. Rien qui effraie ce véritable bour- ou qui le voudriez-vous ? le concert du 8 octobre sera très intense, avec Mon chat Monty, qui est reau de travail : « La vie d’une chanteuse est notamment Oiseaux exotiques de Messiaen que parti tragiquement avant difficile : il faut tout mémoriser, chanter dans son premier anniversaire. je ferai pour la première fois, et aussi Lonely différentes langues, il y a les mises en scène, la Child de Guy Vivier qu’en revanche je connais 10 cadences septembre/octobre 2022
en couverture proposer des master class, des conférences, etc. Étant de toute façon déjà mentor de plusieurs artistes, j’ai voulu « officialiser » cette activité et lancer une manière d’association pour gui- der les jeunes artistes, en invitant également d’autres célébrités à prodiguer leurs conseils – Daniel Harding, Natalie Dessay, Laurent Naouri, Franz Helmerson, etc. Tant d’entre eux sont venus s’exprimer ! Le programme a collaboré avec de très nombreux orchestres 3 CD comme les Philharmonique de Radio France, © Marco Borggreve Luxembourg, Munich ou Vienne, le London Sym- phony Orchestra, etc. Cela a été incroyable ». Comme on le devine aisément, Barbara Han- nigan ne pouvait rester de marbre face aux immenses difficultés suscitées par la crise fort bien, aussi bien comme chanteuse que sanitaire : « Le programme Momentum est né comme chef. De même, je connais bien la Sym- de la pandémie. Je me consacrais aux artistes phonie n° 26 de Haydn pour l’avoir déjà dirigée Vienna : fin de siècle d’Equilibrium du mieux possible, avec des confé- plusieurs fois. Je suis amoureuse de Haydn, il est B. Hannigan (soprano), rences par Zoom, et ils me disaient tous qu’ils pour moi comme un petit ami âgé de deux cents R. de Leeuw, piano. perdaient leur élan, parce qu’ils n’avaient plus Schönberg, Webern, Berg, ans. Sa perfection d’écriture est patente et il y a de travail, ne montaient plus sur scène. J’ai donc Zemlinsky… un théâtre incroyable dans ses œuvres. L’autre 1 CD Alpha Classics pris mon téléphone pour appeler les musiciens jour, je me disais que Ligeti et Haydn étaient renommés que je connaissais, en leur suggérant deux compositeurs très similaires dans leur de joindre nos forces pour emmener des jeunes énergie musicale, leur passion, leur capacité à artistes avec nous sur scène. Beaucoup de mes être drôle – et il est très difficile d'être drôle en collègues comme Natalie Dessay et Daniel Har- musique –, leur dramatisme, mais aussi parfois ding de nouveau, mais aussi Bryn Terfel et Fran- une pointe de colère ». çois-Xavier Roth ont joué le jeu. Quand George Benjamin a accepté de participer au projet, cela Crazy Girl Crazy Une générosité B. Hannigan (soprano & direction), Ludwig Ensemble. faisait six mois que nous subissions la pandémie et nous n’avions aucune idée de ce que l’art allait sans limite Berio, Berg, Gershwin. devenir. Il a dit : « J’espère que dans quelques an- 1 CD Alpha Classics. nées, Momentum n’aura plus besoin d’exister ». D ans la magnifique déploration de Guy Vivier, Barbara Hannigan apportera un soutien affectueux au soprano radieux d'Aph- À l’heure actuelle, Momentum connaît un cer- tain ralentissement, ce qui est une bonne chose parce que les concerts reviennent ». rodite Patoulidou. Une entente d'autant plus si- Il ne faut guère s'étonner de la solidité des liens gnificative que la chanteuse grecque est passée tissés par Barbara Hannigan avec les forma- par Equilibrium, le programme de soutien aux tions qu'elle dirige – voire galvanise –, au pre- jeunes artistes créé par la cheffe d'orchestre. La Passione mier rang desquels figure le Philharmonique La générosité sans limite qu'elle déploie sur B. Hannigan (soprano & direction), de Radio France. Les concerts d'octobre consti- scène se manifeste tout autant ici : « Equili- Ludwig Ensemble. tueront des soirées entre amis. Nono, Haydn, Grisey. brium est né d'une réelle nécessité. À partir de • Yutha Tep 1 CD Alpha Classics. 2017, on m’approchait fréquemment pour me septembre/octobre 2022 cadences 11
Dossier Rameau Zoroastre Avec Zoroastre, Jean-Philippe milieu culturel. On retrouvait Rameau signe une œuvre déjà le personnage dans Sémi- mêlant la mode de l’exotisme ramis de Destouches et Mozart à une réflexion philosophique y ferait référence avec son Sarastro de la Flûte enchantée nourrie des idéaux de la franc- quelque temps plus tard. maçonnerie. Au Théâtre des Champs-Élysées, on pourra entendre la première version Lumière © Josef Aved – Musée des Beaux-Arts de Dijon de l’œuvre. et ténèbres Z L oroastre fut la quatrième tragédie ly- e zoroastrisme pouvait rique de Rameau, fruit d’une nouvelle séduire au xviiie siècle car collaboration avec le librettiste Louis il recoupait certains idéaux de de Cahusac. Les deux hommes avaient l’époque. Les Francs-maçons déjà travaillé ensemble sur plusieurs ouvrages le prenaient pour modèle, par- lyriques, notamment Les Fêtes de Polymnie, tageant une même vision de Naïs créé quelques mois avant Zoroastre, Les l’opposition entre la lumière Fêtes de l’Hymen et de l’Amour et Zaïs. On per- et les ténèbres, de la connais- cevait déjà le thème maçonnique dans les deux sance face à l’ignorance et dernières œuvres nommées, thème qui serait l’obscurantisme. Le zoroas- présent une nouvelle fois avec Les Boréades. On ne sait pas si Rameau trisme pouvait se rattacher aussi aux idées des Le synopsis de Zoroastre oppose deux duos de était franc-maçon, philosophes des Lumières, en particulier à la personnages. Du côté de la vertu se trouvent mais il fréquentait des croyance que Dieu a créé le monde mais n’in- Zoroastre, instituteur des mages, et Amélite, cercles d’intellectuels et terfère pas dans son déroulement, l’homme héritière légitime du trône de la Bactriane, qui d’artistes qui l’étaient. étant responsable de la bonne marche des sont amoureux l’un de l’autre. Le côté sombre choses et devant assurer le triomphe du bien est représenté par Abramane, délaissé par par la raison. Cahusac, grand intellectuel qui 16 octobre – Théâtre des Amélite, et Erinice, princesse éprise de Zo- Champs-Elysées rédigea de très nombreux articles de l’Encyclo- roastre, qui souhaitent se venger de ceux qui Version concert. Chœur de chambre pédie et fut secrétaire des Commandements du les éconduisent en mettant Erinice sur le trône. de Namur, Les Ambassadeurs. Dir. : A. grand maitre de la Grande Loge, était intéressé Après bien des péripéties, le bien triomphe… Kossenko. Avec J. Devos, V. Gens, R. Van par ces réflexions. Il reprit plusieurs piliers du Mechelen, T. Christoyannis, M. Vidal… Historiquement, Zoroastre (ou Zarathoustra) zoroastrisme dans son livret, comme la lutte fut un prêtre qui réforma la religion mazdéenne entre bien et mal mais aussi le culte du soleil iranienne, à une date inconnue à ce jour, don- et le cadre géographique de la Bactriane, pour nant ainsi naissance au zoroastrisme. Au cœur faire passer ses propres convictions. Il y colla de ses croyances se trouve le combat du bien aussi d’autres idées des Lumières comme un contre le mal, le premier incarné par Ahura éloge de l’innocence, de la paix, de la beauté de Mazda, le second par Ahriman (dans l’opéra, la nature à l’image de la bienveillance de Dieu, Abramane est « Grand-Prêtre d'Ariman »). Au amenant ainsi le thème du « bon sauvage » qui xviiie siècle, on ne pouvait avoir en France une serait rendu célèbre quelques années plus tard connaissance poussée du zoroastrisme, mais par le Discours sur les fondements de l’inégalité on en avait un aperçu grâce à quelques textes parmi les hommes de Rousseau. et aux récits de voyageurs, et de fait, Zoroastre Sur le livret de Cahusac, Rameau composa était une figure historique très présente dans le une musique mettant en relief l’opposition 12 cadences septembre/octobre 2022
paris A R T MOZ U I E M RE © Aurélie Remy JOSQUIN DESP REZ NYMPHES DES B OIS LOUIS ANDRIE SSEN Alexis Kossenko dirigera le Chœur M AY de chambre de Namur et (EN HOMMAGE l’orchestre des Ambassadeurs- À F R A N S B RÜ G G EN) La Grande Écurie. du bien et du mal, et ce, dès l’ouverture, qui est la première ouverture « à programme » dans une tragédie lyrique. Dans tout l’opéra, l’harmonie, l’orchestration et les choix de tes- situres accompagnent le message de l’œuvre : les ténèbres sont figurées par des instruments 14 graves comme les bassons, et Abramane a une O C T0 voix profonde de basse-taille. À l’inverse, la lu- 20:3 SE mière est illustrée par les flûtes et Zoroastre a ÉGLI OCH SA I N T- R une voix brillante de haute-contre. La partition mêle savamment sections instrumentales, bal- lets et pantomimes, les récitatifs s’enchainant aux airs de manière parfaitement fluide. Il faut dire que, Rameau ayant commencé sur le tard A CAPPELL à composer des tragédies lyriques, il était alors AM au sommet de sa gloire et avait atteint sa pleine AMSTERD maturité artistique. À sa création en 1749 à l’Académie Royale de www.philippemaillardproductions.fr Musique, Zoroastre reçut pourtant un accueil RE ORCHEST E mitigé, une partie du public et de la critique e SIÈCL adhérant d’office à l’art de Rameau si admiré V I I I à l’époque (Jean Le Rond d'Alembert consi- dérait même Zoroastre comme l’un des plus DU X grands chefs-d’œuvre de Rameau), une autre R E UE CST I OSN DANIEL partie restant déroutée par l’absence de pro- logue chanté et l’abandon des thèmes antiques usuels, sans parler des intrigues amoureuses DIR laissées au second plan. Beaucoup de specta- teurs virent d’un meilleur œil le Carnaval du NE DAIN K AT H A R I Parnasse de Mondonville, un ballet héroïque au sujet bien plus badin donné en même temps SOPRANO LLAND E AT E K I E -SOPRANO que Zoroastre. Rameau retravailla avec Cahu- I A N N E B MAR sac sur une deuxième version de son opéra MEZZO WA L K E R plus conforme aux attentes du public, modi- fiant trois actes sur cinq. Créée en 1756, celle- THOMAS TÉNOR ci connut davantage de succès. Tombée dans ERNDT l’oubli quant à elle, la première version est TOBIAS B BASSE sortie de l’ombre depuis peu et mérite d’être redécouverte. • Élise Guignard PRIX DES PLACES R É S E R VAT I O N S 60 40 25 € 01 48 24 16 97 septembre/octobre 2022 cadences 13
orgue Thomas Ospital orgue et création On ne le dira jamais assez : notamment dans la calligra- la prestigieuse école française phie des idéogrammes chinois. de l’orgue maintient avec brio Par exemple, l’un de ses procé- une excellence qui rayonne à dés de composition s’inspire de l’écriture même des mots. Le travers le monde, tant pour les tracé du pinceau sur la page interprètes que les compositeurs. est un guide pour la forme de Thomas Ospital en est un jeune et sa pièce. C’est le cas de Shēng, superbe représentant. Rencontre. pièce qui donne le titre de notre P disque, une pièce a cappella our ce concert de Saint-Eustache, il pour six voix de femmes et dont peut paraître injuste d’isoler notre la symbolique tourne autour de organiste tant le programme imbrique la voix ». Le disque consacré à les gestes créateurs du trio qu’il forme Grégoire Rolland mentionné avec deux autres organistes-compositeurs, ci-dessus sortira sous étiquette Grégoire Rolland et Christopher Gibert, par Anima Nostra. © Philippe Quaisse ailleurs fondateur du Chœur de chambre Dulci Les partitions d’autres com- Jubilo. La musique de Grégoire Rolland forme positeurs seront également toutefois le cœur de la soirée, une musique que portées par Dulci Jubilo : Thomas Ospital connaît parfaitement : « Gré- « Nous avons décidé de varier goire et moi, nous nous sommes rencontrés sur le programme de ce concert : les bancs du Conservatoire National Supérieur Depuis 2021, Thomas Ospital certaines des œuvres sont au programme de de Musique et de Danse de Paris où nous avons enseigne au Conservatoire nos prochains disques qui seront enregistrés à tissé une réelle amitié. Depuis cette époque, nous Supérieur de Paris aux Saint-Eustache même – c’est une parfaite oppor- avons collaboré pour la création d'Audite Cæli côtés d’Olivier Latry. tunité de les confronter au public. Nous pensons qu’il a composée dans le cadre du concours de déjà également au futur des pièces de Grégoire composition de la Cathédrale d'Évreux puis Rolland, avec l’espoir de les voir appropriées d'Omoï pour un concert que nous avons orga- par de nombreux interprètes et associées à nisé ensemble en soutien aux sinistrés de la d’autres compositeurs dans des programmes catastrophe de Fukushima. Son univers trouve ambitieux et passionnants. Elles seront entou- refuge dans le monde des songes et du souvenir. rées de pièces de Duruflé et Poulenc qui permet- Sa gestion du temps y est toute particulière, don- tront au public de découvrir la qualité de Dulci nant l'impression d'une suspension du moment Jubilo dans l’exigence du chant a cappella. Dans présent, avec des harmonies nimbées de lumière 10 octobre – Église Saint- la lignée de Poulenc, Christopher Gibert a écrit et d'espace. Son écriture pour orgue s'inscrit Eustache Ensemble vocal Dulci Jubilo. un Salve Regina dont le solo sera interprété par pleinement dans la filiation des compositeurs Dir. : C. Gibert. T. Hospital, orgue. Clémence Garcia (soprano) et dont je tiendrai la français contemporains, mais avec un langage Rolland, Poulenc, Duruflé… partie d’orgue. Enfin, aussi exigeants que fasci- très personnel aux multiples sources ». nants tant pour le chœur que l’orgue, les motets Donné à Saint-Eustache, Omoï reflète l’attache- de Thierry Escaich résonneront en préparation ment profond de Grégoire Rolland aux tradi- de nos prochaines créations ». tions extrême-orientales : « Omoï est basée sur Ce concert rappellera, en outre, les spécificités un chant traditionnel japonais, Furusato, qui de l’orgue de Saint-Eustache, dont Thomas Os- apparaît par fragment tout au long de la pièce. pital est le brillant titulaire depuis 2015. La musique de Grégoire puise souvent son ins- • Yutha Tep piration dans l'intimité de la culture asiatique, 14 cadences septembre/octobre 2022
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