Cardiopathies et grossesse - MISE AU POINT
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Réanimation (2009) 18, 215—222 MISE AU POINT Cardiopathies et grossesse Cardiac diseases and pregnancy J. Faivre , N. Verroust , S. Ghiglione , A. Mignon ∗ Département d’anesthésie—réanimation, hôpital Cochin, AP—HP, université René-Descartes-Paris-5, 25—27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France Disponible sur Internet le 27 février 2009 MOTS CLÉS Résumé L’incidence des cardiopathies au cours de la grossesse est stable. La morbimortalité Cardiopathies ; semble en diminution tout en restant préoccupante, ainsi que l’indique les deux derniers rap- Grossesse ; ports triennaux anglais sur la mortalité maternelle. La prise en charge des cardiopathies au Cardiopathie cours de la grossesse pose deux problèmes différents : l’évaluation et le suivi de cardiopathies congénitale ; préexistantes à la grossesse qui peuvent être décompensées par les modifications physiologiques Cardiopathies induites par cette dernière et le péripartum ; le diagnostic et le traitement de cardiopathies ischémiques ; apparues de novo, avec en première ligne les cardiopathies ischémiques, les dissections aor- Cardiomyopathie ; tiques, la cardiomyopathie du péripartum (CMPP) et la dysfonction cardiaque de l’embolie Complication de la amniotique. La principale étiologie de défaillance cardiaque aiguë au cours de la grossesse grossesse ; reste la décompensation d’une cardiopathie chronique. Ce sont les cardiopathies congénitales Épidémiologie ; qui en constituent les premières étiologies avec la quasi-disparition (sauf chez les migrants) Diagnostic ; des cardiopathies rhumatismales. La grossesse de ces patientes doit idéalement être planifiée Traitements afin d’optimiser le statut fonctionnel avant la conception. La prise en charge des décompen- sations cardiaques aiguës doit être multidisciplinaire pour permettre le meilleur compromis entre l’état maternel et le pronostic fœtal. Elle peut mettre en jeu, dans les formes les plus graves, les techniques interventionnelles (valvuloplasties), d’assistance circulatoire, voire de transplantation. © 2009 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Despite improvement, pregnancy in women with heart disease is still associated KEYWORDS with significant maternal and foetal morbidity and mortality. The last two confidential enqui- Heart disease; ries into maternal death in the UK indicate that heart disease is the joint most common Pregnancy; cause of maternal death in this country. Management of heart disease during pregnancy raises Diagnosis; two different problems: full cardiac assessment and follow-up by experienced teams of car- Outcome; diac disease, nowadays mostly congenital, diagnosed before pregnancy, which may deteriorate Pregnancy with pregnancy and labour-induced physiological changes; diagnosis and treatment of de novo complications; cardiac disease occurring during pregnancy and puerperium, among which ischemic disease, Pregnancy therapy aortic dissection, peripartum cardiomyopathy (PPCM) and amniotic fluid embolism-induced ventricular dysfunction incidences appear to increase. We discuss in this review pregnancy and ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : alexandre.mignon@cch.aphp.fr (A. Mignon). 1624-0693/$ – see front matter © 2009 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2009.02.002
216 J. Faivre et al. labour-induced hemodynamic changes, diagnosis and assessment of cardiac condition and management of acute cardiovascular disease in pregnant woman, which is necessarily mul- tidisciplinary and integrates both maternal and foetal conditions. © 2009 Société de réanimation de langue française. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction ou myocardites et d’hypertension artérielle pulmonaire [5]. L’incidence des cardiopathies aiguës au cours de la grossesse Les principales situations observées sont la décom- est stable entre 1 et 2 % depuis les années 1930, avec des pensation d’une cardiopathie préexistante, principalement estimations plus récentes entre 0,1 et 1,4 % [1]. La morbi- congénitale dans les pays développés du fait d’une meilleure dité maternelle associant insuffisance cardiaque congestive, prise en charge cardiologique médicale et chirurgicale arythmie et accidents vasculaires est estimée entre 8 et autorisant les femmes à procréer mais aussi valvulaire, 30 % [2]. Elle varie selon le stade d’évolution et la car- ischémique ou rythmique et enfin des pathologies plus spéci- diopathie en cause, avec une morbidité inférieure pour les fiques, telles que la cardiomyopathie du péripartum (CMPP) patientes peu symptomatiques (NYHA I). Une classification ou l’embolie amniotique. du risque selon la cardiopathie initiale proposée par Siu La prise en charge de ces patientes repose sur et al. est reproduite dans le Tableau 1 [3]. La morbidité une bonne connaissance des modifications physiolo- fœtale avec augmentation de la prématurité et du retard giques induites par la grossesse, ainsi que sur une de croissance intra-utérin est évaluée à 20 % des grossesses approche multidisciplinaire la plus précoce possible asso- [2]. ciant le cardiologue, l’anesthésiste, le réanimateur et le La mortalité au cours des grossesses à risque est en gynécologue—obstétricien. Bien que les situations les plus diminution, estimée actuellement entre 0,5 et 2,7 % contre complexes ne soient documentées que par des cas ou des 6 % en 1930 [2,4]. Les causes cardiovasculaires représentent séries analysées de façon rétrospective ou observationnelle, néanmoins la première cause non obstétricale (indirecte) de la Société Européenne de cardiologie a récemment émis des mortalité maternelle en France (15 % des décès). Les deux recommandations afin de guider leur prise en charge [6]. derniers rapports triennaux anglais sur la mortalité mater- Nous insisterons dans cette mise au point sur : nelle indiquent que les maladies cardiovasculaires consti- tuent, avec le suicide, la première cause de mort maternelle • les cardiopathies ischémiques ; (Fig. 1), avec une incidence accrue de cardiopathies isché- • les dissections aortiques ; miques, de dissection aortique, de cardiomyopathies • la CMPP ; • les manifestations cardiaques de l’embolie amniotique ; • la réanimation de l’arrêt cardiaque chez la femme Tableau 1 Évaluation du risque de décompensation car- enceinte. diaque selon la cardiopathie initiale d’après Siu et al. [43]. Risque faible Shunts gauche/droit à faible débit Antécédents de chirurgie sans Modifications physiologiques induites par la dysfonction cardiaque séquellaire grossesse Prolapsus mitral sans insuffisance significative La demande métabolique placentaire et fœtale entraîne une Bicuspidie aortique sans sténose augmentation du débit cardiaque maternel comprise entre Régurgitation valvulaire avec fonction 30 et 50 % [7]. Cette adaptation débute dès la cinquième ventriculaire normale semaine d’aménorrhée (SA) et résulte d’une augmenta- Risque moyen Shunts gauche/droit à large débit tion du volume d’éjection systolique et d’une tachycardie. Cardiopathie cyanogène avec L’augmentation du volume d’éjection est secondaire à persistance de la cyanose l’augmentation du volume plasmatique jusqu’à 45 % et du Coarctation de l’aorte nombre de globules rouges de 20 à 30 %, maximale dès Sténose mitrale ou aortique la 32e SA. L’hémodilution qui en résulte est à l’origine de Dysfonction ventriculaire gauche l’anémie physiologique de la grossesse. La fréquence car- modérée diaque augmente progressivement pour devenir maximale Antécédent de CMPP avec dès la 32e SA également, autour de 15 à 20 b/min supé- récupération complète de la fonction rieure à la fréquence basale, puis reste stable jusqu’à ventriculaire l’accouchement. L’augmentation du travail myocardique est Risque élevé Dyspnée NYHA classe III et IV compensée par une diminution des résistances vasculaires Hypertension artérielle pulmonaire systémiques de l’ordre de 20 %, maximale entre 18 et 26 SA, Maladie de Marfan avec dilatation de secondaire à la production de médiateurs (progestérone, l’anneau aortique prostaglandines, NO) et au développement d’une circulation Antécédent de CMPP avec persistance placentaire à bas niveau de résistance. d’une dysfonction ventriculaire L’augmentation de volume de l’utérus gravide induit une compression de la veine cave inférieure et de l’aorte
Cardiopathies et grossesse 217 Figure 1 Mortalité maternelle d’origine cardiovasculaire dans l’enquête triennale 1997—1999 conduite au Royaume-Uni (409 décès maternels, dont 41 de cause cardiaque). abdominale maximale en décubitus dorsal, qui peut entraî- souffle systolique éjectionnel est d’une grande banalité, à ner une diminution importante du débit cardiaque de 25 à la différence d’un souffle ou d’un roulement diastolique qui 30 % par le biais d’une diminution de la précharge, qui doit doit être exploré. L’électrocardiogramme peut également être prise en compte en cas de décompensation aiguë [8]. être modifié : changements d’axe du QRS, onde Q en DIII, Ce syndrome de compression cave est symptomatique chez élévation de l’onde R en V1V2, fréquence accrue des extra- environ 10 % des patientes à terme mais peut avoir une systoles auriculaires et ventriculaires. Des sous-décalages traduction hémodynamique infraclinique dès le début du du segment ST, mimant une ischémie sous-endocardique deuxième trimestre. Il peut être prévenu par le positionne- sans trouble de cinétique en échographie, ont été rap- ment en décubitus latéral gauche modéré ou droit complet portés au cours de césarienne. La radiographie de thorax ou par le déplacement manuel de l’utérus, par exemple retrouve une cardiomégalie et un applatissement des cou- au cours de la réanimation d’un arrêt cardiaque chez une poles diaphragmatiques. En échocardiographie, on observe femme enceinte, on y reviendra. un élargissement physiologique de l’ordre de 20 % pour Ces modifications physiologiques lentes au cours de la les cavités droites et 6 à 12 % à gauche, persistant par- grossesse permettent une adaptation cardiaque progres- fois plusieurs mois après l’accouchement. La dilatation des sive mais accentuées de manière aiguë par l’épreuve du anneaux mitraux, tricuspides et pulmonaires est responsable travail. En effet, la stimulation sympathique brutale secon- de fuites valvulaires modérées. Un épanchement péricar- daire aux contractions utérines douloureuses induit une dique de faible abondance est courant en fin de grossesse. tachycardie qui majore encore le débit cardiaque de 12 à 50 % et la consommation myocardique en oxygène. De Étiologies et grands principes de prise en plus, les modifications de précharge et de postcharge sont charge importantes au cours des efforts de poussées avec des varia- tions importantes des pressions intrathoraciques similaires à une manœuvre de Valsalva et la remise en circulation à L’amélioration de la prise en charge des cardiopathies chaque contraction utérine puis lors de la rétraction uté- congénitales a permis à un plus grand nombre de femmes rine après l’accouchement de 300 à 500 mL de sang contenu de parvenir à la procréation, au point que ces cardiopathies dans l’utérus. L’ensemble des modifications physiologiques sont désormais les plus fréquentes (50 à 80 %) auxquelles décrites ci-dessus régresse dans les 6 à 12 semaines sui- soient confrontées les équipes obstétricales [9]. Si elle reste vant l’accouchement. L’augmentation de la consommation prédominante dans de nombreux pays en voie de dévelop- myocardique en oxygène et les modifications rapides des pement, la part des pathologies rhumatismales a beaucoup conditions de charge sont en faveur d’une limitation des diminué dans les pays développés, sauf pour les migrants. efforts expulsifs et de la durée de la seconde phase du tra- vail pour les patientes aux capacités cardiaques limitées. Il Cardiopathies congénitales est aussi important de noter que les modifications décrites ci-dessus sont majorées par la grossesse multiple. La mortalité secondaire à ces cardiopathies est rare, Une grossesse normale peut être associée à des modi- à l’exception des patientes présentant un syndrome fications des examens cliniques et paracliniques. Ainsi, un d’Eisenmenger ou une hypertension artérielle pulmonaire.
218 J. Faivre et al. Un travail multicentrique canadien a analysé de façon Par ailleurs, l’augmentation du débit cardiaque et la fra- prospective près de 600 grossesses chez 562 patientes por- gilisation du tissu vasculaire induit par la progestérone teuses de cardiopathies congénitales (74 %), acquises (22 %) augmentent le risque de dissection au cours de la grossesse. ou arythmiques (4 %). Dans cette série, la classe fonction- Ces patientes doivent donc bénéficier d’une surveillance nelle NYHA, l’existence d’une cyanose, d’une pathologie mensuelle échographique à la recherche d’une dilatation obstructive cardiaque gauche, d’une défaillance de la de l’anneau aortique, ainsi que d’un traitement antihyper- fonction systolique du ventricule gauche ou un antécédent tenseur par bêtabloquants. En cas de dilatation rapide de d’événement cardiovasculaire, notamment d’arythmie, l’aorte initiale, une césarienne doit alors être pratiquée sans étaient prédictifs de complication cardiovasculaire tarder. maternelle, survenant dans 13 % des cas [2]. Hypertension artérielle pulmonaire Shunts gauche/droit Associée à une malformation cardiaque dans le cadre du Ils sont généralement bien tolérés pendant la grossesse syndrome d’Eisenmenger ou isolée, l’hypertension artérielle et le travail du fait de la diminution physiologique de la pulmonaire a un très mauvais pronostic au cours de la gros- postcharge, qu’ils soient en rapport avec une atteinte du sesse, les modifications physiologiques conduisant à une septum auriculaire, ventriculaire ou la persistance du canal augmentation importante du travail d’un ventricule droit artériel. La morbidité maternelle associe arythmie, hyper- hypertrophié sur une postcharge augmentée. Les différentes tension artérielle pulmonaire et dysfonction ventriculaire séries retrouvent une mortalité maternelle entre 30 et 40 % droite, notamment dans le cas de shunts larges ou associés et une mortalité néonatale entre 10 et 15 %. La prise en à une hypertension artérielle pulmonaire préexistante. Le charge consiste en l’administration d’une oxygénothérapie, risque d’accident embolique paradoxal reste possible avec de vasodilatateurs pulmonaires type NO [16] et d’inotropes la diminution des résistances vasculaires systémiques et et d’un accouchement dans un environnement et avec des la progression de l’hypertension artérielle pulmonaire qui équipes habituées à ce type de pathologie [16,17]. peut conduire à l’inversion du shunt. Cardiopathies valvulaires Cardiopathies cyanogènes Elles comportent principalement la tétralogie de Fallot, la Les cardiopathies valvulaires sont dans l’ensemble bien tolé- transposition des gros vaisseaux, l’atrésie tricuspide et le rées, notamment pour les valvulopathies fuyantes, avec ventricule unique. La majorité de ces pathologies nécessi- une mortalité maternelle faible. Néanmoins, la morbi- tant une réparation chirurgicale dans l’enfance, la mortalité dité maternofœtale est importante avec progression d’une n’est pas augmentée en cas de fonction ventriculaire nor- classe NYHA chez 62 % des patientes, un épisode de male et d’absence de cyanose après correction. En cas de décompensation cardiaque chez 28 % des patientes et une persistance de la cyanose, la morbidité maternofœtale est morbidité fœtale pour 23 % des grossesses, toutes valvulo- importante avec une morbidité maternelle de 30 % associant pathies confondues [18]. Dans nos pays, les cardiopathies décompensation cardiaque, accident vasculaire cérébral, valvulaires ne concernent pratiquement que des individus embolie pulmonaire et troubles du rythme et seulement 43 % migrants, ce qui peut constituer une source de difficultés de naissances vivantes [10]. en raison notamment d’un suivi cardiologique insuffisant, du caractère instable de l’atteinte cardiaque et d’une obser- Coarctation de l’aorte vance des traitements (particulièrement anticoagulants) Elle est associée à une faible mortalité mais à une augmen- aléatoire. tation de l’hypertension artérielle au cours de la grossesse chez les patientes présentant un gradient supérieur à Rétrécissement mitral 20 mmHg, augmentant le risque de survenue d’une dis- Le rétrécissement mitral est la plus fréquente des valvu- section aortique [11]. Le contrôle de cette hypertension lopathies. L’augmentation du volume plasmatique (parfois artérielle est donc primordial mais difficile du fait de la aggravée par des apports liquidiens excessifs en péripar- nécessité de maintenir une pression de perfusion au-delà de tum), la diminution de la pression oncotique plasmatique la coarctation, notamment au niveau des artères utérines et la tachycardie qui accompagnent la grossesse créent pour permettre le développement fœtal. des conditions favorables à la décompensation, aggravée d’avantage par la perte de la systole auriculaire en cas de Maladie de Marfan, syndrome d’Ehlers-Danlos, syndrome passage en fibrillation auriculaire. Un RM serré (< 1,5 cm2 ) de Turner est associé à une mortalité maternelle de 5 %, alors qu’elle La principale complication de la maladie de Marfan et des est inférieure à 1 % dans les formes peu symptomatiques. syndromes d’Ehlers-Danlos est la dissection de l’aorte et Dans une étude incluant des patientes NYHA I et II avant l’insuffisance aortique aiguë. La mortalité maternelle est la grossesse, 35 % de complications maternelles associant dans les dernières séries estimée à 1 %, avec une mortalité œdème aigu du poumon, arythmie complète par fibrilla- fœtale de 22 % [12]. Les facteurs de risque de dissec- tion auriculaire et syncope sont observées, avec néanmoins tion sont la présence d’une valve aortique bicuspide et un une mortalité nulle. La morbidité fœtale était évaluée à diamètre aortique supérieur à 4,5 cm [13]. Elle est à rapro- 30 % [19]. Les patientes plus sévères classées stade III ou cher des complications observées au cours des grossesses IV de la NYHA ont en revanche une morbimortalité supé- obtenues après don d’ovocyte pour cause de stérilité chez rieure, avec une mortalité maternelle entre 5 et 7 % et une les patientes souffrant d’un syndrome de Turner [14,15]. mortalité périnatale entre 12 et 31 % [20]. La valvuloplastie
Cardiopathies et grossesse 219 percutanée trouve toute sa place en cas de décompensation d’hémorragies graves transférées pour embolisation, des en cours de grossesse et échec du traitement médical dans auteurs ont rapporté des élévations de troponine IC, par- des centres experts. Elle s’accompagne néanmoins d’un fois marquées, chez 50 % des patientes, dont 30 % seulement risque, faible, de tamponnade et d’accidents emboliques avec des signes électriques [25]. De manière intéres- systémiques [21]. sante, les facteurs de risque de présenter ces stigmates de souffrance myocardique étaient, en analyse multiva- Rétrécissement aortique riée, la tachycardie, l’hypotension artérielle et l’anémie La première cause chez la femme jeune est la bicuspi- sévère. En revanche, l’utilisation du Nalador® (sulpros- die aortique. Les autres causes d’obstruction à l’éjection tone, prostaglandine recommandée en France) n’était pas du ventricule gauche telle que la cardiopathie hypertro- impliquée dans cet événement de manière statistiquement phique asymétrique ont le même pronostic au cours de la significatif. grossesse. La difficulté repose sur l’absence de possibilité Le pronostic fœtal étant étroitement lié au pronostic d’augmentation du débit cardiaque à l’effort, notamment maternel, aucune thérapeutique n’est contre-indiquée et la au cours du travail, et l’augmentation de la consomma- prise en charge de l’ischémie myocardique ne présente pas tion d’oxygène du myocarde hypertrophié. La présence de spécificité au cours de la grossesse. La thrombolyse a été d’un gradient intraventriculaire moyen inférieur à 50 mmHg utilisée avec succès malgré la description de décollements expose peu au risque de complication mais une obstruction placentaires et d’hémorragies intraventriculaire fœtales. Le sévère expose au risque de décompensation cardiaque et risque d’irradiation n’est pas suffisamment significatif pour d’ischémie myocardique dans 10 à 70 % des cas [4]. récuser une coronarographie si elle est jugée nécessaire, en plaçant l’utérus sous une protection plombée tout au long de l’examen. Dans le cas d’un infarctus du myocarde Insuffisance mitrale et aortique péripartum, l’angioplastie percutanée est donc la méthode Elles sont généralement bien tolérées du fait des modifica- thérapeutique de choix. tions physiologiques de la grossesse avec augmentation de la précharge et diminution de la postcharg, et n’ont pas de morbimortalité associée. Cardiopathies rythmiques Cardiopathies ischémiques La présence d’épisodes arythmiques au cours de la grossesse Il s’agit de cardiopathies dont l’incidence augmente avec est fréquente, sans lien avec une pathologie cardiaque sous l’accroissement de l’âge maternel, l’intoxication tabagique, jacente. L’électrocardiogramme au cours du travail met en l’HTA et les grossesses multiples. L’augmentation du travail évidence des anomalies dans la quasi-totalité des cas, asso- myocardique, la diminution du contenu artériel en oxygène ciant extrasystoles auriculaires ou ventriculaires isolées, secondaire à l’hémodilution et l’état d’hypercoagulabilité pauses ou tachycardie sinusale et épisodes de tachycardie de la fin de grossesse augmentent le risque ischémique ventriculaire paroxystique. Dans la grande majorité des cas, d’un facteur 6 par rapport à des femmes de même âge ces anomalies sont asymptomatiques et ne font pas l’objet non enceintes [22]. Les modifications physiologiques de d’une prise en charge particulière. L’apparition de signes de l’électrocardiogramme au cours de la grossesse, princi- mauvaise tolérance peut conduire à l’introduction d’un trai- palement en rapport avec la tachycardie sinusale mais tement médicamenteux par bêtabloqueurs ou anticalciques, également avec des modifications de l’axe, majoritairement après avoir éliminé les facteurs favorisants tels que caféine à gauche, et des troubles de la repolarisation des ondes T ou intoxication alcoolique et tabagique [26]. L’apparition de et du segment ST dans les dérivations précordiales peuvent troubles du rythme plus sévères type fibrillation ou flutter rendre difficile le diagnostic. auriculaire, troubles de conduction, tachycardie ventricu- L’incidence de l’infarctus du myocarde a été évaluée à laire soutenue ou fibrillation ventriculaire est généralement un cas pour 35 700 naissances, avec une mortalité de 7 % associée à une pathologie cardiaque prééxistante. La prise pendant la grossesse et jusqu’à 50 % en cas d’accouchement en charge dépend essentiellement de la tolérance cli- dans les 15 jours suivant l’épisode ischémique [23]. La nique maternelle et fœtale. Les données concernant les morbimortalité fœtale est également augmentée avec une anti-arythmiques au cours de la grossesse sont limitées incidence accrue de mort fœtale et prématurité. En plus mais l’utilisation des bêtabloqueurs, des anticalciques, des des facteurs de risque cardiovasculaires classiques, l’âge digitaliques, de la quinidine ou de la xylocaïne est pos- maternel élevé, la multiparité et la prééclampsie sont sible [27]. La surveillance néonatale d’éventuels épisodes des facteurs de risque indépendants d’ischémie aiguë au d’hypoglycémie ou de bradycardie est nécessaire avec les cours de la grossesse. La coronarographie met en évi- bêtabloquants. Le choc électrique, externe ou l’adénosine, dence une maladie athéromateuse dans seulement 43 % n’est pas contre-indiqué mais doit être administré sous sur- des cas, alors qu’elle montre un réseau coronaire sain, veillance du rythme cardiaque fœtal devant la possibilité avec ou sans thrombus dans 50 % des cas [24]. Un spasme de mauvaise tolérance avec indication à une extraction en coronaire en rapport avec l’utilisation de prostaglandines urgence. L’amiodarone est contre-indiquée car associée à la pour le déclenchement du travail ou la rétraction utérine survenue de dysthyroïdies fœtales, de retards de croissance pourrait être à l’origine de ces épisodes ischémiques à coro- intra-utérin ou d’anomalies neurologiques [28]. Plusieurs cas naires saines. Ainsi, les hémorragies graves du postpartum cliniques ont néanmoins rapporté son utilisation sans mor- (HPP) sont fréquemment responsables d’ischémie myocar- bidité fœtale grave dans le cadre de troubles du rythme dique. En effet, dans une série reprenant une cinquantaine réfractaire mal tolérés.
220 J. Faivre et al. CMPP et augmenté à 44 % en l’absence de récupération complète de la fonction ventriculaire après le premier épisode La CMPP est définie par l’apparition dans le dernier mois [34]. de grossesse et jusqu’à cinq mois en postpartum d’une cardiomyopathie dilatée associée à une défaillance ven- Atteinte cardiaque dans le cadre de l’embolie de triculaire gauche [29]. Des formes plus précoces, entre liquide amniotique 17 et 36 SA mais aussi plus tardives jusqu’au sixième mois postpartum, ont néanmoins été décrites. Les cri- Pathologie rare avec une incidence de 1/20 000 naissances, tères échographiques d’insuffisance ventriculaire gauche l’embolie amniotique correspond au passage intravasculaire ont été définis par une fraction d’éjection inférieure à de cellules fœtales ou de liquide amniotique responsable 45 % ou une fraction de raccourcissement inférieure à 30 % d’une obstruction aiguë de l’artère pulmonaire et d’une et un diamètre télédiastolique supérieur à 2,7 cm/m2 . La insuffisance cardiaque droite [35,36]. Le tableau initial asso- CMPP reste un diagnostic d’élimination et sa similitude cie un choc cardiogénique, une hypoxémie, des convulsions avec les autres cardiopathies dilatées doit systématique- et une coagulopathie intravasculaire disséminée. Le diag- ment en faire rechercher les différentes étiologies [30,31]. nostic repose sur la présentation clinique et la mise en Sa physiopathologie n’est pas clairement élucidée et plu- évidence de cellules amniotiques dans le sang maternel sieurs hypothèses ont été proposées : carence alimentaire ou le liquide de lavage broncho-alvéolaire. Une évolution en sélénium, maladie auto-immune avec auto-anticorps diri- d’emblée fatale, en lien avec le choc initial, est observée gés contre le tissu cardiaque, facteurs génétiques ou facteur dans près d’un quart des cas mais le tableau clinique peut viral [32]. Cette dernière hypothèse repose sur la pré- évoluer secondairement vers une insuffisance ventriculaire sence d’ADN viral dans les biopsies myocardiques de patients gauche aiguë dont la physiopathologie reste mal connue. atteints de CMPP ou de cardiomyopathie dilatée idiopa- La prise en charge ne présente pas de spécificité réanima- thique, avec une amélioration clinique concomitante de sa toire mais la mise en place d’une assistance circulatoire disparition. externe doit être envisagée en cas de nécessité chez ces L’incidence de la CMPP est variable entre les différentes patientes sans cardiopathie initiale et au fort potentiel de régions géographiques et évaluée entre 1 pour 3000 et récupération [37]. 4000 naissances dans les pays développés. L’âge maternel élevé et la multiparité semblent être des facteurs de risque dans les grandes séries mais plus d’un tiers des patientes Prise en charge sont de jeunes primipares. La présentation clinique est caractérisée par les signes d’insuffisance cardiaque conges- Les patientes présentant une cardiopathie chronique tive qui débutent dans 78 % des cas dans les quatre mois doivent idéalement bénéficier d’une grossesse planifiée, suivant la naissance et dans 9 % des cas dans le dernier mois permettant de définir clairement la maladie initiale et de grossesse associant des œdèmes des membres inférieurs, son degré d’évolution. La prise en charge doit être mul- une dyspnée et des palpitations. Les premiers signes sont tidisciplinaire associant cardiologue, chirurgien cardiaque, souvent mal interprétés par la patiente comme étant liés à obstétricien et anesthésiste—réanimateur [6]. Un avis objec- la grossesse avec un diagnostic porté tardivement sur une tif doit être fourni à la patiente sur les risques maternels et dyspnée classée NYHA III ou IV dans la plupart des cas. Les fœtaux encourus pendant la grossesse mais également sur complications sont multiples comprenant l’œdème aigu du sa faculté à s’occuper de son enfant après la grossesse en poumon, la décompensation cardiaque globale et l’accident cas de limitation fonctionnelle importante ou de mise en jeu vasculaire embolique à partir d’un thrombus ventriculaire du pronostic vital maternel à court terme [3]. gauche fréquent en dessous de 35 % de fraction d’éjection. Le traitement médical est réévalué avant la grossesse afin Le traitement médical associe inhibiteurs de l’enzyme d’optimiser l’état fonctionnel de la patiente et d’éliminer de conversion, diurétiques et dérivés nitrés en postpartum tous les traitements tératogènes ou fœtotoxiques, princi- mais un bêtabloqueur ou la dihydralazine sont préférentiel- palement les inhibiteurs du système rénine-angiotenine et lement utilisés au cours de la grossesse devant la potentielle l’amiodarone. Le recours à une chirurgie préconception- fœtotoxicité des inhibiteurs de l’enzyme de conversion. nelle peut être nécessaire en cas de risque important de Un traitement anticoagulant curatif doit être mis en place décompensation au cours de la grossesse. La gestion du devant l’importance du risque embolique au-dessous de 35 % traitement anticoagulant reste problématique, les antivita- de fraction d’éjection. Immunosuppresseurs ou immunoglo- mine K exposant au risque d’embryopathie et d’hémorragie bulines polyvalentes ont été proposés à visée étiologique du postpartum. Ils restent néanmoins recommandés tout mais sans preuve de leur efficacité à l’heure actuelle. au long de la grossesse [38] devant un risque majoré La mortalité par insuffisance cardiaque terminale, d’épisode thrombotique sous héparine non fractionnée trouble du rythme ou pathologie embolique est comprise (HNF) ou héparine de bas poids moléculaire (HBPM). Ce entre 9 et 15 % dans les séries les plus récentes, avec récu- risque étant probablement en rapport avec un sous dosage, pération d’une fonction ventriculaire gauche normale dans certains auteurs proposent un relais par HBPM ou HNF de 23 à 31 % des cas. Cette récupération est maximale dans les 6 la 6e à la 12e SA, puis à partir de la 36e SA autour de à 12 premiers mois suivant la grossesse mais peut se prolon- l’accouchement. ger sur plusieurs années [33]. Une nouvelle grossesse chez Au cours du travail, l’objectif principal de la prise en ces patientes est le plus souvent associée à une dégradation charge est d’éviter les modifications brusques des conditions de la fonction ventriculaire gauche. Le risque d’insuffisance de charge pouvant conduire à une décompensation car- cardiaque congestive au cours de cette grossesse est de 21 % diaque aiguë chez ces patientes aux facultés d’adaptation
Cardiopathies et grossesse 221 fœtale en urgence. Celle-ci est décidée avec l’obstétricien Tableau 2 Cardiopathies et risque d’endocardite sur trois critères : infectieuse. • le degré d’évolution de la grossesse et la viabilité de Groupe A Prothèses valvulaires l’enfant en cas d’interruption prématurée ; Haut risque (mécanique, bioprothèse ou • les éventuels effets bénéfiques de l’extraction fœtale sur homogreffe) l’hémodynamique maternelle ; Cardiopathie congénitale • la présence d’une souffrance fœtale aiguë. cyanogène non opérée Dérivation chirurgicale Elle sera alors réalisée sous anesthésie générale [39]. Le (pulmonaire systémique) recours à une chirurgie réparatrice en urgence avec circu- Antécédent d’endocardite lation extracorporelle peut être envisagé dans le cas d’une infectieuse décompensation aiguë résistante au traitement médical. La Groupe B Valvulopathies (insuffisance mortalité fœtale est alors élevée entre 4 et 33 %, secondaire Risque moins aortique ou mitrale, à la gravité de l’état maternel et aux complications propres élevé rétrécissement aortique) de la CEC, sans surmortalité maternelle [40]. Prolapsus de la valve mitrale En cas d’insuffisance ventriculaire gauche ou globale avec insuffisance mitrale réfractaire, le recours à un dispositif d’assistance circula- Bicuspidie aortique toire mécanique doit être discuté, soit en attente d’une Cardiopathies congénitales non récupération spontanée, soit en attente d’une transplanta- cyanogènes (à l’exception de la tion cardiaque. Au cours de la cardiopathie du péripartum, communication interauriculaire) le taux combiné de décès et transplantation est de l’ordre Cardiopathie hypertrophique de 15 % [30]. asymétrique avec souffle Enfin, en cas d’arrêt cardiaque, les grandes lignes de la réanimation cardiopulmonaire (RCP) sont strictement iden- tiques à celles recommandées en dehors de la grossesse, limitées. L’analgésie péridurale titrée est recommandée avec néanmoins quelques spécificités [41] : au cours du en cas d’accouchement par voie basse pour atténuer la troisième trimestre, la RCP est totalement inefficace si décharge adrénergique secondaire aux contractions utérines conduite sur une patiente en décubitus dorsal, en raison de et l’expulsion peut être facilitée par une extraction instru- la compression cave. Il convient donc de placer la patiente mentale pour diminuer les efforts de poussée. En cas de en décubitus latéral gauche (30—45◦ ) avec l’aide d’un assis- césarienne, la rachianesthésie est le plus souvent contre- tant ou d’un dispositif prévu à cet effet, voire de déplacer indiquée du fait des modifications hémodynamiques brutales manuellement l’utérus sur le côté ; en présence d’un ACR qu’elle induit, tandis que l’anesthésie générale avec un sans récupération d’une activité circulatoire spontanée en monitorage hémodynamique adapté reste la technique de moins de quatre à cinq minutes chez une patiente au-delà choix. La périrachianesthésie combinée semble être une de 24 SA, l’extraction fœtale en urgence est recommandée, solution intermédiaire associant les avantages des deux aussi bien pour tenter de sauver l’enfant que pour améliorer techniques [39]. La prévention de l’endocardite infectieuse l’hémodynamique maternelle [42]. Cette situation ne peut a fait l’objet de recommandations récentes résumées dans cependant s’appliquer que dans certaines situations, intra- les Tableaux 2 et 3. hospitalières et à proximité d’un bloc opératoire avec du En cas de décompensation aiguë, la restauration d’une matériel et les équipes adéquates. hémodynamique maternelle correcte doit être la priorité, permettant souvent la correction de la souffrance fœtale. La Conclusion prise en charge réanimatoire ne présente pas de spécificité mais doit intégrer dans son analyse les modifications phy- Les progrès dans la prise en charge cardiologique ont pro- siologiques de la grossesse et la possibilité d’une extraction gressivement mis au premier plan les cardiopathies congé- nitales dans les étiologies de défaillance cardiaque au cours Tableau 3 Recommandations pour la prévention de de la grossesse. Les modifications physiologiques imposées l’endocardite infectieuse en obstétrique. par le développement placentaire et fœtal créent les condi- tions favorables à la survenue de décompensations aiguës. Antibioprophylaxie Même si la mortalité maternelle est en régression, la mor- bidité d’origine cardiaque reste importante pour la femme Groupe A Groupe B enceinte et son enfant. La prise en charge de ces patientes Accouchement Optionnellea Non recommandée repose sur une bonne compréhension des risques spécifiques voie basse à chaque pathologie, la planification de la grossesse et Césarienneb Non recommandée une prise en charge multi-disciplinaire des décompensations Biopsie cervicale aiguës afin d’améliorer encore le pronostic maternofœtal. Curetage a En cas de rupture prématurée de la poche des eaux et travail Références débuté plus de six heures avant l’admission. b Suivre les recommandations de la Sfar pour la population [1] Klein LL, Galan HL. Cardiac disease in pregnancy. 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