Caritas.mag - Résister à la crise Face aux nouvelles vulnérabilités - Caritas Vaud
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Caritas.mag Le magazine des Caritas de Suisse romande N° 22 — OCTOBRE 2020 La pauvreté avance, masquée Résister à la crise — Page 6 Face aux nouvelles vulnérabilités Des aides concrètes pour les personnes touchées par le semi-confinement — Page 12 Vaud
Sommaire ÉDITORIAL 3 Dominique Froidevaux Président de la Conférence des Caritas romandes FACE AUX NOUVELLES VULNÉR ABILITÉS La crise a rendu visibles les précarités 4-5 Interview de Stéphane Rossini, directeur de l’OFAS (Office fédéral des assurances sociales) La pauvreté avance, masquée 6-8 Reportage et analyse Plus forts ensemble 8 Commentaire de Corinne Jaquiéry, rédactrice en chef Brigitte Rosset 9 Avec Ma cuisine intérieure, son dernier solo, la comédienne genevoise est sur scène malgré la crise Stéphane Brizé, réalisateur engagé 10 - 11 6 « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu » 13 CARITAS VAUD . Un fonds spécial Corona pour venir en 12 - 13 aide à ceux restés en marge Malika et son fils bénéficiaires du Fonds Corona La CA-RL et les Epiceries Caritas, 14 - 15 des prestations cruciales pour assurer la couverture des besoins vitaux Conséquences du COVID-19 : 16 - 17 deux assistantes sociales engagées pour répondre aux demandes qui ne cessent d’arriver Jasemina, bénéficiaire du programme Ariane, 18 vit dorénavant dans son propre appartement 16 Appels à votre soutien 19 Caritas.mag 22/20 2 Photo de la couverture © Sedrik Nemeth
ÉDITO Tous vulnérables ! Oui, nous sommes tous vulné- mettant à leur écoute nous décou- rables et certains d’entre nous sont plus vrons des parcours de combattants touchés que d’autres comme l’a démon- en butte avec des phénomènes d’ex- tré la récente crise sanitaire et sociale. clusion. Leur fragilité est le fruit du creusement des inégalités, de l’affai- « Vulnérabilité ». Le mot est blissement ou de l’inadaptation des Dominique Froidevaux ancien. Il signifi e « exposé au risque systèmes de protection sociale que Président de la Conférence de blessure ». Nous nous savions vul- des Caritas romandes nous avions commencé à édifi er au nérables en tant qu’espèce depuis nos nom de la solidarité et de la fraternité origines. Il suffit de prendre un nou- pour faire face aux aléas de la vie. veau-né dans les bras pour se rendre La récente crise sanitaire a démon- compte de notre vulnérabilité consti- tré combien les inégalités face à la tutive. Tout être humain a besoin de maladie et aux risques de mortalité protection et de lien social pour gran- sont socialement déterminées. Les dir. Le mythe du Progrès a longtemps personnes en situation de pauvreté été alimenté par l’idée d’une victoire sont durement touchées. sur notre fragilité et d’une émancipa- tion de l’humanité, toujours plus libre, Nos Caritas sont présentes en cas équitable et solidaire grâce aux évolu- de crise, sur le front de l’aide d’urgence. tions techniques et culturelles dopées Elles sont actives dans des réfl exions par la croissance économique. de fond et dans un plaidoyer pour lut- ter contre l’injustice et les causes de Vulnérable par nature, cette la paupérisation. Elles planchent sur humanité commence à prendre la des innovations en matière d’action mesure des effets pervers de sa propre sociale. Notre action est modeste face activité. L’humain met lui-même en à l’ampleur des enjeux. Mais, ce qui danger son écosystème. Les liens entre nous anime, ce sont la rencontre et le Impressum nations et individus se distendent en dialogue avec les personnes en détresse Caritas.mag – Le magazine des Caritas de Suisse romande raison de la croissance de l’injustice et (Vaud, Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel) que nous accompagnons. paraît deux fois par an des inégalités dans un monde fragile, Tirage global : 36 630 ex. dont les ressources ne sont pas infinies. Servir par Amour, la tâche pre- Tirage Caritas Vaud : 6780 ex. mière des Caritas romandes, implique esponsable d’édition ierre-Alain raz, Il est heureux que notre vulnéra- directeur de Caritas Vaud de se laisser interpeller en permanence bilité mise à nu éveille une formidable édactrice en chef Corinne Jaquiéry par les situations du terrain. Nous compassion… pour un temps seulement. édaction ran oise Crausaz, Jo lle Jungo avons collectivement la responsabi- Corrections : Florence Marville L’effort que demande une ana- lité de réduire les nuisances à l’origine Maquette .tier-schule.ch Impression .pcl.ch lyse des causes de cette vulnérabi- des vulnérabilités dont nous sommes Caritas Vaud lité est exigeant. Ce qui est redou- témoins. Ne pas le faire équivaudrait Chemin de la Colline 11 | 1007 Lausanne Tél. 2 table, c’est que la vulnérabilité des à oublier que la grandeur de l’huma- info caritas-vaud.ch .caritas-vaud.ch plus démunis est souvent assimilée nité naît de sa capacité à protéger et à à une sorte de propriété intrinsèque émanciper ses semblables qui sont les des personnes en détresse. En nous plus fragilisés. Caritas Vaud par ZEWO. Photo de l’éditorial © Romano Riedo 3
Face aux nouvelles vulnérabilités « La crise a rendu visibles les précarités » INTERVIEW Propos recueillis par Corinne Jaquiéry / photos : Sedrik Nemeth irecteur de l’ ce fédéral des assurances sociales tép ane ossini envisage une protection sociale plus trans versale adaptée au c angements sociétau ’ CARITAS Les assurances sociales sont actuel- lutte contre la pauvreté, la politique de la santé, de lement très sollicitées en raison de la crise Co- la famille, de la vieillesse, etc. Plus que d’assurer des Né en 1963 à Aproz (VS), vid-19. Qu’est-ce qui vous a le plus interpellé ? revenus de subventions ou de compensations, il y a Stéphane Rossini dirige une responsabilité des autorités publiques d’agir. Par l’Office fédéral des assu- STÉPHANE ROSSINI L’insuffisance de la couver- rances sociales (OFAS) exemple avec une politique d’éducation à tous les ture sociale des indépendants et la précarité dans depuis décembre 2019. niveaux: Confédération, cantons, communes. C’est laquelle certains vivent. Avec une pluralité des sta- Il a su pallier l’urgence des un élément fondamental de prévention de l’émer- tuts. Certains sont un peu indépendants, un peu soutiens à donner aux per- gence de problème sociaux. Typiquement, pour l’assu- salariés avec des revenus relativement modestes. sonnes en difficulté en rai- rance invalidité, nous avons une perspective d’intégra- D’autres sont totalement indépendants et dans un son du coronavirus, mais tion professionnelle et si les personnes ne peuvent pas de gros dossiers l’at- bricolage de survie, mais ils ont une capacité d’ac- y accéder, il y a une réponse financière avec la rente. tendent à l’avenir, dont la tion. Ce qui nous préoccupe, ce sont ceux qui ne réforme de l’AVS et celle l’ont pas et qui sont tributaires de leur environne- Pourquoi l’approche globale est-elle importante ? du 2e pilier. ment notamment par manque de formation. Parce qu’il y a en Suisse un système très cloisonné Le socialiste valaisan avec des étiquettes. Par exemple on est chômeur, Est-ce que la question des indépendants doit res- s’est fait un nom dans le retraité, malade ou accidenté. Et si vous n’avez pas ter un thème de discussion ? domaine des assurances l’une de ces étiquettes, comme les personnes en À l’OFAS, nous avons la responsabilité d’approfondir sociales durant les seize situation irrégulière ou qui travaillent au noir, il n’y ce qui s’est passé, ensuite les autorités politiques déci- années passées au a pas d’aides possibles. C’est ce que nous avons pu Conseil national, qu’il deront si elles veulent travailler sur cette probléma- constater à Genève avec les queues de personnes qui a présidé en 2015. tique. En Suisse, nous sommes clairement liés par un n’avaient plus les moyens de se nourrir. Il faut avoir partenariat social. Cela veut dire que les associations Il a été consultant indé- une vision d’ensemble en y intégrant toutes les poli- d’indépendants doivent aussi se mobiliser. Ce que j’ai- pendant dans le secteur tiques publiques dans une idée de protection sociale des politiques publiques, merais, c’est qu’il y ait une discussion à la fois dans avec la personne au centre. Ainsi, si en proportion en particulier des poli- l’administration, mais aussi avec les milieux concer- l’aide sociale représente seulement quelques mil- tiques sociales et de la nés. En revanche, je ne suis pas certain qu’il y aura une liards contre quelques centaines de milliards pour santé. Détenteur d’un majorité politique pour revoir leur protection sociale. les assurances sociales, du point de vue de la prise doctorat en sciences sociales, Stéphane «La Suisse dispose d’un réseau d’assurances so- en charge des personnes, elle est essentielle. Rossini était également ciales ramifié qui protège celles et ceux qui y Allez-vous plus communiquer sur les liens à tis- chargé d’enseignement vivent et y travaillent des risques dont ils ne ser entre les différentes politiques publiques ? aux Universités de pourraient supporter seuls les conséquences fi- Je suis convaincu qu’il faut sortir de notre approche Genève, Neuchâtel et Lau- nancières. » Selon vous, cette définition des assu- très institutionnalisée. Ce que je peux dire en tant sanne dans les domaines rances sociales suisses est-elle toujours adéquate de l’administration que directeur de l’OFAS, c’est que l’on devrait de et le filet social va-t-il résister à la crise ? publique, des sciences plus en plus penser de manière transversale dans Oui, nos assurances sociales sont solides. Nous avons sociales et de la gestion le cadre des limites institutionnelles entre Confé- d’ailleurs pu démontrer leur réactivité et leur capacité de la santé. Il a présidé dération, cantons et communes. La pauvreté était d’adaptation. Par ailleurs, je pense qu’il faut dépas- le conseil de l’institut des d’abord un sujet purement cantonal. Les cantons ser le seul cadre des assurances sociales et parler plu- produits thérapeutiques ont commencé à en parler entre les années 80 et Swissmedic ainsi que la tôt de protection sociale. Nous devons appréhender 2000 en produisant toute une série de rapports et Commission fédérale de la politique sociale de manière plus large. Outre les de recherches auxquelles j’ai d’ailleurs participé*. l’assurance-vieillesse, assurances sociales, il y a l’aide sociale publique qui Il a fallu l’impact de conférences internationales survivants et invalidité. est essentielle. Et puis, il y a l’aide sociale privée avec à Copenhague (1995) et à Genève (2000) pour thé- un réseau relativement dense d’institutions, d’organi- matiser la pauvreté dans un pays riche. C’est le par- sations, de fondations qui offrent des contributions lement qui a ensuite contraint la Confédération en termes de complémentarité. Il faut aussi y inté- à établir une stratégie de lutte contre la pauvreté. grer l’ensemble des politiques publiques comme la Caritas.mag 22/20 4
La décision de réduire le financement du pro- gramme national contre la pauvreté a quand même été surprenante quand on voit l’augmen- tation de la pauvreté en Suisse ? Si on reste dans un cadre constitutionnel, la Confé- dération agit. Par exemple, elle finance avec les can- tons les prestations complémentaires AVS/AI, ce qui est typiquement une mesure de lutte contre la pau- vreté. Elle finance aussi en partie les subventions aux assurés économiquement modestes dans la LAMAL. L’assurance-invalidité, dont les rentes constituent un revenu de substitution, est aussi un élément de lutte contre la pauvreté. L’AVS a été inventée pour lutter contre la misère de la population âgée et la Confédération continue à vouloir assurer des retraites suffisantes. L’aide sociale devient pourtant lourde à supporter pour les cantons et les communes. Ne faudrait-il pas revoir les clés de répartition en ce domaine? Le Conseil fédéral ne veut pas d’une loi fédérale sur l’aide sociale pour des questions institutionnelles. S’il y avait un soutien très fort des cantons pour une loi fédérale sur l’aide sociale, cela pourrait pas- ser, mais les cantons défendent leurs prérogatives. Avez-vous de l’espoir pour les plus démunis ? Il ne faut pas voir cela négativement parce que cela Personnellement, je pense qu’il ne faut pas céder à permet aux cantons d’innover. Ainsi la Suisse latine la résignation. Il y a un environnement économique a une autre approche avec une régionalisation de difficile. Il faut donc innover. Si l’économie tradi- l’aide sociale, alors que la Suisse allemande la confie tionnelle ne convient plus à un certain nombre de plus aux communes. Le Tessin a harmonisé toutes personnes, peut-être faudrait-il travailler sur l’éco- les prestations sous conditions de ressources. Cela nomie solidaire, sur le tiers secteur associatif. On a été un élément positif dans un pays où la ques- doit réinventer des modes de fonctionnement. Le tion de la lutte contre la pauvreté ne va pas de soi vrai souci pour moi, c’est la désaffiliation, l’exclusion puisqu’on a longtemps affirmé qu’il n’y avait pas de ou l’isolement social. Dans le cadre de la révision pauvres en Suisse. de l’AI, nous voulons mettre un accent particulier sur la santé psychique des jeunes parce que c’est une Les conséquences économiques du Covid-19 ont catégorie de population particulièrement vulné- révélé ce pan masqué de la Suisse ? rable. Ne pas trouver une place dans la société peut Oui, la crise Covid-19 a rendu visible les précarités. péjorer tout le parcours de vie. C’est un vrai souci Chaque situation de crise touche de manière plus que l’on porte avec l’assurance-invalidité, mais que forte les personnes en situation de précarité. Son les cantons portent aussi avec l’aide sociale. impact permet d’objectiver une situation. La diffi- culté, c’est qu’en Suisse, on ne ressent pas la misère Un récent livre qui vous est consacré s’intitule Faire ou très peu. Au début des années 2000, j’ai fait partie ce qu’on promet. Est-ce que vous allez pouvoir te- des chercheurs qui s’étaient mobilisés dans le cadre nir vos promesses en tant que directeur de l’OFAS? d’un programme du Fonds national de la recherche J’ai essayé de rester cohérent tout au long de ma car- scientifique pour dire qu’il ne faudrait pas seule- rière. D’être fidèle à mes idées. Je peux promettre ment compter les pauvres, mais comprendre qui de m’engager, mais promettre de résoudre tous les ils étaient. On y parlait déjà des indépendants ! La problèmes est plus difficile. crise actuelle est un peu comme la crise économique du début des années 1990, avec le chômage. Tout à coup, dans toutes les familles il y avait un ou des * Les pauvretés cachées en Suisse. Analyse qualitative des processus de précarisation et des perspectives chômeurs. Le discours sur le chômage a alors com- d’action sociale. ans le cadre du rogramme natio- mencé à changer. Aujourd’hui, il y a une réflexion nal de recherche 45 du Fonds national suisse de la sur la précarité qui concerne tout le monde. recherche scientifique. 2 . Photos © Sedrik Nemeth 5
Face aux nouvelles vulnérabilités La pauvreté avance, masquée Textes : Corinne Jaquiéry / photos : Sedrik Nemeth a crise liée au ovid a fait émerger de nouvelles vulnéra ilités ui alertent la population suisse et les politi ues out en répondant l’urgence les aritas romandes préparent l’avenir en ré éc issant des solutions sociales innovantes Il n’y a plus de doute, la pauvreté gagne du ter- « Le problème c’est qu’un spectacle, ce n’est pas que rain en Suisse, augmentée par la crise du Covid-19. la scène, c’est aussi des jours de répétitions et d’en- Elle touche les personnes précaires et contribue à gagement. Le propriétaire de mon appartement rendre encore plus vulnérables celles qui étaient sur ne va pas accepter d’être payé à 30% de son loyer. le fil du rasoir, sans réserves. Parmi elles, outre le per- Mon moral fait le yoyo et j’alterne les vagues émo- sonnel de maison, de nouvelles venues comme les tionnelles. Parfois, j’angoisse, je veux absolument petits indépendants, les salariés de l’hôtellerie et de changer de branche, puis je me dis que c’est dur de la restauration, les acteurs culturels ou les voyagistes. renoncer au métier quand on a artistiquement des « Nous avons pris une claque monumentale. Nous choses à dire. » sommes les oubliés du système », réagit Montsé Flury, Selon la CSIAS (Conférence suisse des ins- directrice d’une petite agence de voyage à Aubonne titutions d’action sociale), la crise du coronavirus dans le canton de Vaud. « Les gens ne voyagent plus. marque, en Suisse et dans le monde, le plus puis- Ils ont peur. J’ai dû rembourser des voyages repor- sant coup d’arrêt de l’économie depuis la Seconde tés ou annulés. Je ne me paie plus de salaire depuis Guerre mondiale. Ses retombées dépassent de loin six mois et je vis sur mes économies. Jusqu’à quand celles de la crise financière de 2008/2009, si bien pourrai-je tenir ? Je n’en sais rien. » Selon Stéphane qu’elles constituent un défi majeur pour le système Jayet, vice-président de la Fédération suisse du de sécurité sociale en Suisse. La CSIAS indique que voyage, la moitié des acteurs du secteur pourrait l’aide sociale doit se préparer à une forte hausse du disparaître cet hiver si un programme d’aide n’est nombre de dossiers à moyenne échéance et calcule pas débloqué par la Confédération. une augmentation de 28% jusqu’en 2022 même si après une flambée spectaculaire en mars-avril, les Le moral en yoyo demandes ont de nouveau baissé en raison de l’ap- port d’autres aides en amont (indemnités journa- « Beaucoup de spectacles ont été annulés, lières AC, chômage partiel, allocations pour perte les nouveaux projets ne passent plus la rampe ou de gain en cas de COVID-19). avec difficulté. Et depuis peu, une nouvelle clause est apparue dans les contrats qui dit qu’on ne « Avec moins 1%, nous avions constaté un flé- sera payé qu’à 30% si le spectacle ne peut finale- chissement de l’augmentation du nombre de bénéfi- ment pas être joué », s’indigne une jeune danseuse ciaires de l’aide sociale fin 2019, ce qui était une ten- et chorégraphe qui préfère rester anonyme par dance très inhabituelle dans le canton de Genève. crainte d’être identifiée par de futurs employeurs. En revanche, dès début 2020, en particulier à partir Caritas.mag 22/20 6
« Le coronavirus, c’est la double peine pour les plus pauvres » Nicolas Clément, responsable d’équipes d’accompagnement de familles à la rue et en bidonville au Secours catholique Paris. eaucoup de personnes précaires n’ont aucunes réserves et vivent en permanence sur le fil du rasoir. de mi-mars, il y a eu une forte augmentation évaluée Il y en a déjà eu plusieurs. Actuellement, j’arrive tout à 7 %. Ce sont en grande partie des indépendants juste à payer mon loyer et j’ai un arrangement avec qui ont fait appel à l’aide sociale », explique Yasmine mes assurances. J’avais néanmoins une vieille dette Praz-Dessimoz, directrice de l’Hospice Général. « Ils de 4500 fr. que j’avais faite pour m’installer. J’ai dû avaient droit à une aide exceptionnelle de trois mois, demander l’aide de Caritas pour la rembourser car prolongée jusqu’à la fin de l’année si nécessaire. Une je suis en pleine procédure de naturalisation. C’est aide qui venait souvent compléter des prestations dur, mais je garde le moral. J’ai envie de travailler. APG (Assurance perte de gain) insuffisantes pour Je vais de l’avant. » faire vivre une famille. » Selon cette experte, outre Récemment publiée (septembre 2020), une l’arrivée des indépendants, le profil des deman- étude de l’Université de Genève met en exergue la deuses et demandeurs d’aide sociale n’a pas vrai- fragilisation d’une population déjà précaire. Réali- ment changé : ce sont des familles ou des individus sée sous la direction de Jean-Michel Bonvin, profes- en situation précaire qui ne parviennent plus à sub- seur à l’Institut de démographie et socioéconomie venir à leurs besoins vitaux en raison d’un soubresaut de la Faculté des sciences de la société de l’UNIGE à dans leur parcours de vie, un accident, des dépenses la demande des Colis du Cœur, la fondation à l’ori- inattendues ou aujourd’hui l’arrivée du coronavirus. gine des distributions de denrées alimentaires dont les longues files d’attente ont frappé les esprits, elle ller de l’avant avec Caritas dresse un bilan de la situation deux mois après le début du semi-confinement et identifie des pistes Mac, portier, bagagiste et voiturier pour un d’intervention pour les services sociaux et associa- grand hôtel de la Cité de Calvin, est au chômage par- tifs. Un questionnaire et des entretiens effectués tiel depuis le mois de mars. Il a vu son revenu salarial auprès des bénéficiaires de la fondation Colis du déjà maigre se réduire comme peau de chagrin pas- Cœur ont servi de base à l’étude, menée en mai 2020 sant de 3200 à 2800 fr. « Mon angoisse, c’est le licen- (223 réponses et 40 entretiens ont été exploités). ciement en raison du manque de clients à l’hôtel. Photos © Sedrik Nemeth 7
Face aux nouvelles vulnérabilités La majorité des personnes interrogées vivent Katia Hechmati plaide pour une démarche dans des ménages en surdensité et, malgré leurs pédagogique en amont plutôt que d’intervenir en difficultés, ne font pas appel aux aides. Les sociolo- pompier. « Nous organisons des ateliers collectifs gues recommandent un renforcement des mesures autour des droits des travailleurs sans statut légal, conjoncturelles de crise, une meilleure information mais qui sont employés au gris, c’est-à-dire que leurs sur les aides existantes, et des initiatives rappelant employeurs paient les charges sociales, afin qu’elles les responsabilités des employeurs et les droits des ou ils puissent se défendre en cas de seconde vague. travailleurs. « On observe de nombreuses situations Nous devons travailler ensemble, avec l’État, à une de cumul des désavantages, où les personnes qui ne facilitation d’accès aux prestations. » recourent pas aux aides sont aussi celles qui ont le La crise du coronavirus a aussi démon- plus de difficulté à déployer des stratégies alterna- tré à quel point le filet social existant était utile, tives », précise Jean-Michel Bonvin qui relève que si affirme Yasmine Praz-Dessimoz. La directrice de des personnes sont sans statut légal ou dans l’attente l’Hospice général indique qu’il y a eu toute une d’un permis (44,5 %), une proportion significative réflexion sur une refonte de la loi sur l’aide sociale à est au bénéfice de la nationalité suisse ou d’un per- Genève – avec la participation de Stéphane Rossini – mis de séjour durable (43,2%). interrompue par l’arrivée du coronavirus. Elle va À Caritas Genève, la responsable du service dans le même sens que l’action Cantons zéro chô- social, Katia Hechmati, confirme la méconnaissance meur de très longue durée des Caritas romandes. du recours à des aides possibles. « Souvent les gens « Nous avons vu qu’il fallait travailler sur le côté ne connaissent pas leurs droits. Nous pouvons les non linéaire des parcours de vie professionnelle en accompagner pour évaluer s’ils peuvent obtenir des pensant notamment à la dimension de reconversion prestations. Aborder avec eux le chapitre très com- professionnelle en lien avec les entreprises. L’aide pliqué et rébarbatif des prestations complémen- sociale n’est pas que de l’argent, c’est aussi des per- taires. Un chapitre qui peut même être anxiogène sonnes sur lesquelles on peut miser. » tant de nombreux documents sont exigés, parfois demandés à la dernière minute. » COMMENTAIRE HOMMAGE Plus forts ensemble Les Caritas de Suisse romande regret- tent profondément la disparition de Sébastien Mercier, un homme de cœur qui voulait faire bouger les lignes du Rappelez-vous… Au début de la crise désendettement en mettant sa fougue du Covid-19, un grand élan de solidarité au service des personnes surendettées. a soulevé la population suisse qui s’est L’association Dettes Conseils Suisse empressée auprès de ceux qui apparais- perd son secrétaire général, parti beau- saient comme les plus fragiles de ses coup trop vite à l’âge de 43 ans. membres : les personnes âgées, les per- sonnes en mauvaise santé, mais aussi Humaniste et généreux, Sébastien Mer- les personnes à faibles revenus. Après cier s’était engagé très jeune dans la ou à des licenciements. Très mince est la plusieurs mois de crise, la vague est dou- défense des plus démunis en travaillant frontière entre ces deux destinées. Rap- cement retombée et la fracture sociale notamment comme juriste pour Caritas peler les droits et les devoirs de chacun, s’est encore élargie. Elle a fait apparaître Jura et Caritas Neuchâtel et au Service contribuer au dialogue social, sont des de nouvelles vulnérabilités. Une sombre Dettes Conseils de Caritas Suisse. Par- missions essentielles que mènent les faille dans laquelle ne devraient pas tom- ticulièrement intègre et impliqué, il ne Caritas de Suisse romande. Se souvenir ber les plus précaires d’entre nous pour s’est jamais ménagé, faisant volontiers aussi que, comme l’acier constitué de qui la survie ne tient qu’à un fil de soli- et sans restriction profiter les autres de plusieurs métaux dont l’alliage crée la darité. Parmi eux, des personnes sans ses compétences et de son énergie. Les force, lier nos différences peut rendre statut légal, main d’œuvre corvéable à Caritas romandes expriment toutes leurs nos actions encore plus percutantes. merci, rejetée sans égard par ceux qui condoléances à sa famille, à ses proches l’emploient parce qu’eux-mêmes, peut- Corinne Jaquiéry, et aux membres de son équipe à Dettes être, sont soumis à des baisses de salaire rédactrice en chef de Caritas.mag Conseils Suisse. Caritas.mag 22/20 8 Photo © Sedrik Nemeth
« Ma mère vit en moi » 1970 Naissance le 28 avril à Genève. 1987 Monte pour la pre- mière fois sur les planches, dans une version revue et corrigée de Don Juan. 1995 Entre au Théâtre de Carouge sous les direc- tions de deux Georges, BRIGIT TE ROSSET Wod et Wilson. Brillante co- médienne, elle jouera no- tamment dans Harold et vec Ma cuisine intérieure un cin ui me solo en forme Maud (2011), On ne paie de eu de miroirs ui mar ue ses trente ans de carri re pas, on ne paie pas (2013), L’Opéra de 4 sous (2016), la comédienne genevoise est sur sc ne malgré la crise Le Dragon d’Or (2018) ou La Fausse suivante (2020) « Nous avions une super tournée avec La Je pense aussi à mes collègues qui sont déjà aux représentations bruta- lement interrompues par Locandiera (ndlr: humoristiquement réinterpré- dans la précarité. J’ai réfléchi. Je me suis dit: qu’est-ce l’arrivée du coronavirus. tée avec Christian Schneidt) et tout a été annulé. On que tu peux ou tu sais faire d’autre ? Je suis prête à ne peut rien y faire, ni se fâcher. C’est le Covid qui me réinventer. J’ai déjà fait des capsules vidéo parce 1997 Naissance de son fils, décide. Normalement, nous devrions la reprendre en que cela m’amusait d’essayer. Si cela doit devenir un Léon. Puis de ses filles, Clé- mentine en 2003 et Char- mai 2021, mais d’autres spectacles arrivent et imman- concept et que l’on doive obligatoirement développer lotte en 2005. quablement il y aura des collisions. des projets vidéo, cela m’amuse beaucoup moins. L’en- seignement peut-être, car j’aime mettre mon savoir- 2001 Premier solo, Voyage Jusqu’à présent, j’arrivais à me débrouiller, faire au service des gens, ou alors travailler dans un au bout de la noce. même en tant que femme seule avec trois grands office du tourisme ou dans le service. J’y ai pensé 2011 Création de Smarties, enfants. Je n’ai jamais pu mettre un coussin de sur- puisque je suis en train de m’installer aux Diablerets. Kleenex et Canada Dry, son vie de côté, parce que j’aime trop profiter de la vie. troisième solo pour lequel Quand il n’y a plus de sous, on ne va plus au res- Mais au fond, j’aime trop aller dans un théâtre, elle reçoit le Prix du meil- taurant et on achète de la seconde main. L’humour être sur scène et parler ensuite avec les gens autour leur spectacle d’humour est un moyen de dédramatiser. Ce n’est pas forcé- des questions soulevées par la thématique représen- par la Société Suisse des ment dans les milieux les plus aisés qu’on le pra- tée. En l’occurrence pour Ma cuisine intérieure, la Auteurs (SSA). tique. J’étais contente de ne pas aller demander de disparition de ma maman, la pratique du jeûne ou le 2015 Obtient le prix «Ac- l’aide, de me dire que je n’avais pas besoin d’aller trouble de l’illusion. Ma mère ne voulait plus appa- trice exceptionnelle» dans au chômage. Aujourd’hui, tout peut changer selon raître dans mes solos, mais depuis qu’elle est morte, le cadre des Prix Suisses la décision des autorités et des directeurs de théâtre. elle est encore plus présente. Elle vit à travers moi. du théâtre attribués par Son personnage vient dire aux spectateurs qu’elle ne l’Office fédéral de la Heureusement j’aime entreprendre des projets, doit pas être là… une mise en abyme vertigineuse culture. soit seule, soit avec d’autres gens. J’ai choisi de lancer de l’illusion et de la vérité. Après le spectacle, j’aime 2020 Début octobre, pre- mon solo en fonction de ce que je pourrais aussi pré- qu’il y ait une réunion, un partage pour évoquer des mière à Yverdon de Ma cui- voir dans deux ans. Maintenant, si on doit transfor- questionnements sur la vie, l’amour ou le théâtre. sine intérieure, son cin- mer tout le système du théâtre qui planifie des produc- quième solo qui est en tions longtemps à l’avance, je ne sais pas si je pourrai Les vraies répercussions de la crise que nous tournée dans toute la continuer à en vivre. En revanche, je pourrais aller vivons vont s’étaler sur plusieurs mois ou années, Suisse romande. jouer mon solo chez les gens pour une expérience mais peut-être que l’on pourra rire de cette période Voir toutes les dates sous rigolote de théâtre de salon. Provisoirement. À long tous ensemble dans quelque temps. » www.brigitterosset.ch terme, je ne suis pas sûre que cela me convienne. Photo © BoxProductions 9
Face aux nouvelles vulnérabilités « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu » tép ane ri é se at en tournant des lms ’ Stéphane Brizé est né en dénon ant des s st mes ui roient les umains 1966. Comme le réalisa- teur anglais Ken Loach (voir Caritas.mag N°20), CARITAS Vos films s’intéressent à des personnes de site industriel, pris entre le marteau et l’enclume, il s’intéresse à la marge qui évoluent dans la marge. Pourquoi cet intérêt pris entre des injonctions venues d’au-dessus de lui et aux plus démunis. À travers ses films, récurrent pour les plus démunis ? et impossibles à mettre en œuvre en dessous de lui. il dénonce un système Parce que son entreprise – rentable – est à l’os et STÉPHANE BRIZÉ Comprendre comment on qui suscite la montée que les salariés sont au maximum de leurs capaci- fonctionne – et donc comment on dysfonctionne – de la pauvreté. tés pour qu’elle fonctionne. Et en même temps que est je crois une nécessité à partir du moment où on Il a réalisé neuf longs nous l’observons au cœur de cette machine profes- est sur cette terre. Je pense que, d’une manière ou métrages dont La loi du sionnelle qui le broie, nous le suivons aussi dans le d’une autre, nous avons tous cette responsabilité marché, en compétition gâchis absolu de sa vie personnelle. Avec une épouse au cours de notre passage sur terre. Moi, je le fais à Cannes en 2015 où qui s’en va puisque leur vie, organisée autour des en faisant des films. Et comme on raconte des his- Vincent Lindon a reçu le contraintes professionnelles de son mari, n’a plus toires avec des trains qui arrivent en retard et pas prix d’interprétation. aucun sens. Et aussi avec un fils – enfant symptôme En 2016, il adapte le des trains qui arrivent à l’heure, je me retrouve iné- d’un système et d’une famille qui dysfonctionnent – roman de Maupassant vitablement à regarder ce qui marche mal. Scruter qui perd la tête. Une vie, en compétition à un système – que ce soit la famille, le couple ou Venise avant de recevoir l’entreprise – devient alors passionnant. Je suis un Vous avez affirmé dans une interview que depuis le Prix Louis Delluc. Puis parmi nous, c’est donc sans doute une façon de me Germinal, il y a une même lutte des classes : ceux il propose En Guerre en questionner sur mes propres défaillances. qui possèdent et les dominés. Vraiment ? 2018, consacré au syndi- Mais bien évidemment que rien n’a vraiment changé calisme. Le film est aussi Après quelques mois de pandémie, la pauvreté dans le schéma qui structure notre société. Avec en compétition au festival augmente et ceux qui étaient déjà sur le fil du en plus une concentration et une financiarisation de Cannes. Un autre rasoir sont passés du côté de la pauvreté ou de des richesses. Et une mondialisation qui a mis en monde, dont il a terminé l’extrême pauvreté. Ceux qui basculent pourrait-il le tournage ce printemps, concurrence des salariés dans tous les coins de la être un sujet de film ? avec à nouveau Vincent planète. Évidemment qu’une voiture construite par La crise sanitaire a très rapidement plongé des Lindon pour tenir le rôle un ouvrier chinois qui sera rémunéré 250€ par mois hommes et des femmes en mode « survie ». Quel principal d’un directeur va rapporter plus d’argent aux actionnaires que la vertige que de voir ces milliers de vies en fragilité d’usine sous pression de même voiture fabriquée par un ouvrier français, ses propriétaires, sortira extrême. Ce sont des situations évidemment émi- même s’il ne gagne que le SMIC. Et comme les lois en 2021. nemment cinématographiques car elles peuvent sont au service de la finance, on sait où la voiture va questionner sur ce que l’on peut être prêt à faire et être fabriquée pour permettre à certains d’obtenir à accepter pour nourrir sa famille. Jusqu’où peut-on le maximum de profits. Résultat… précarité, pau- dire « oui » pour manger ? C’est exactement la ques- vreté, violence sociale. tion autour de laquelle j’avais structuré La loi du marché. Et il n’y avait pas eu besoin de la pandémie Est-ce que la fiction permet de dénoncer et de pour que la question se pose déjà. Cette nouvelle faire bouger les lignes ? Avez-vous eu des échos crise appose sans aucun doute un coefficient mul- de changement de perception, notamment par- tiplicateur ahurissant au nombre de personnes en mi les nantis, après la vision de l’un ou l’autre précarité sociale. de vos films ? Il faut rester très humble quant au pouvoir des D’ailleurs, quel est le sujet de votre dernier film ? films. Sinon, ça fait longtemps que Ken Loach aurait Vous avez, je crois, travaillé de nouveau avec changé le monde tant il a su décrire avec talent l’in- Vincent Lindon, pourquoi ? décence à l’œuvre. Les films sont des lampes torches C’est une nouvelle aventure avec Vincent Lindon dans la nuit qu’il faut s’acharner à tenir éclairées. effectivement. Le film s’appelle Un autre monde. Et on sait bien qu’on a moins de risque d’accident Vincent joue un cadre d’entreprise, un directeur Caritas.mag 22/20 10 hoto ulien Millet
si on roule avec les phares allumés. Et je n’ai jamais ter pour celui qu’il embauche. Exactement comme eu le témoignage d’un très puissant qui aurait vu la quelqu’un dans le désert qui aurait une bouteille lumière blanche en voyant un de mes films. Je crains d’eau et qui croiserait la route d’un homme qui n’a que cela ne puisse jamais arriver que dans un film ! pas bu depuis trois jours. La question se pose alors INTERVIEW inévitablement au salarié de savoir ce qu’il peut « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne accepter. Mais est-il dans une situation qui lui per- combat pas a déjà perdu » Cette phrase de Ber- met d’avoir le choix ? Sans doute pas. Notre société tolt Brecht introduit le film En guerre. Est-ce pose continuellement la question de la violence. votre leitmotiv ? Celle que l’on est capable d’exercer sur quelqu’un C’est une phrase qui m’a été soufflée par Ralph Blin- qui a une position subalterne et celle que l’on est dauer, un avocat de salariés qui nous avait expliqué, capable de supporter d’un supérieur hiérarchique. à Olivier Gorce, mon coscénariste, et à moi-même, C’est en fait terrifiant que cette question devienne en long en large et en travers, toute la législation la question centrale du lien entre patrons et salariés. « et les mécanismes à l’œuvre au moment d’un plan social. Ralph est un moine soldat pour qui j’ai une Vous travaillez avec des non-professionnels, immense admiration. Il ne baisse pas les bras mal- pourquoi ? Et comment ressentent-ils le fait de gré les lois qui viennent, les unes après les autres, jouer leur propre réalité, pas toujours agréable créer un rapport de force sans cesse défavorable aux à vivre ? salariés. Cette une phrase d’homme debout qui me Ce que j’entends le plus souvent de la part de tous bouleverse complètement. les comédiens non professionnels avec lesquels je travaille, c’est qu’ils sont touchés du fait que je fais Comment vous documentez-vous pour acquérir cas de leur histoire. Il faut savoir que bien avant une bonne perception des milieux dans lesquels » de se retrouver sur le plateau, il y a la rencontre évoluent vos acteurs ? avec les femmes et les hommes qui vont travailler Avec mon coscénariste, nous nous entretenons avec avec moi. Et cette rencontre est énormément de gens. Des hommes et des femmes de d’abord un espace de parole. Ils tous bords en fonction des besoins du projet. Mais me racontent leur vie, je pose nous avons la nécessité, et la responsabilité aussi, de comprendre le point de vue et le langage de chacun. des questions, je les écoute. « Les films Avec l’équipe de casting, nous Il s’agit de ne trahir ni de ridiculiser la parole de personne. Il y a aussi de nombreuses lectures – des prenons un temps énorme sont des lampes pour faire ce travail. Et ça, c’est livres de sociologie ou d’économie – pour prendre un peu de hauteur par rapport à notre histoire et il quelque chose que beaucoup torches dans vivent peu. Être écouté. C’est s’agit ensuite de créer des personnages et de la dra- maturgie pour faire se confronter des discours cohé- aussi un moment précieux pour la nuit » chacun. Et lorsque nous tour- rents. Charge au spectateur au final de constater par nons, chacun sait que je vais lui-même ce qui ne fonctionne objectivement pas. pointer du doigt les dysfonc- Est-il facile de trouver des financements pour tionnements d’un système qui peut ou qui a pu les des films qui dénoncent au final le capitalisme ? faire souffrir. Il y a sans doute comme un troc équili- Il faut au moins s’inscrire dans un cadre de finance- bré qui s’opère là : « Je vous fais rejouer quelque chose ment cohérent. C’est-à-dire être conscient de ce que de parfois douloureux de votre propre histoire » et peut offrir l’écosystème du cinéma à certains films. Et en échange « je rends hommage à votre humanité, sans doute qu’il est encore plus difficile aujourd’hui je vous replace au centre de l’attention ». de financer certains films comme les miens que par le Enfin que pensez-vous du projet : cantons zéro passé. C’est aussi pour cela que depuis La loi du marché, chômeur de très longue durée proposé par les nous avons mis en place avec Vincent Lindon et la Caritas romandes ? production un système vertueux de coproduction. Que puis-je penser à part du bien d’une initiative C’est-à-dire que nous mettons chacun une partie de comme celle-ci ? Car elle a pour mission de trouver nos revenus en participation. Et nous récupérons cet une place juste à chacun en transformant l’argent argent après la sortie si le film a suffisamment fonc- de l’aide sociale qui peut être perçu par celui qui tionné. Inutile de dire que nous entrons là dans une le reçoit comme quelque chose de déshonorant en science qui n’a aucune certitude. C’est notre risque. argent de salaire qui est bien plus valorisant dans Et sans doute que si nous ne faisions pas cela, ces la société dans laquelle nous vivons. Chaque expé- films seraient infaisables. rience qui place l’humain au cœur de sa préoccupa- Rester digne malgré tout, comme dans La loi tion est une expérience qui doit être mise en valeur du marché, est-ce vraiment possible selon vous ? et développée. En plus de venir très concrètement en La raréfaction du travail entraîne de fait une dis- aide à des femmes et à des hommes, elle vient aussi proportion du rapport de force entre l’employeur philosophiquement s’opposer un système mortifère et le salarié. En conséquence, celui qui peut offrir qui a placé le seul profit au centre de sa nécessité. le travail peut être très largement tenté de créer des contraintes de plus en plus difficiles à suppor- 11
Caritas Vaud Une aide providentielle pour les plus démunis Textes : Françoise Crausaz & Joëlle Jungo Plus d’un million de francs pour les personnes fragilisées par la crise du coronavirus dans le canton de Vaud Quelques jours après l’annonce rités vaudoises, ainsi que des fondations se succédaient et dont la liste s’allongeait du Conseil Fédéral mettant en place privées. L’extraordinaire générosité du continuellement. Un travail éreintant les mesures sanitaires afin de contenir peuple suisse à l’appel de la Chaîne du pour ces équipes, dont le quotidien usuel la crise du coronavirus, un fonds a été Bonheur a également permis à ce fonds est d’accompagner des personnes en situa- « créé spécialement pour venir en aide à d’être rapidement fonctionnel et de pou- tion de précarité avec des conseils et un tous ceux qui n’émargent pas de l’aide voir répondre aux demandes des nom- suivi à long terme. Durant cette période sociale. Bastienne Joerchel, directrice du breuses personnes touchées par la crise. d’état d’urgence, la priorité était d’appor- Centre Social Protestant Vaud, et Pierre- ter de l’aide le plus rapide- Alain Praz, directeur de Caritas Vaud, ment possible afin de cou- ont uni les forces de leurs deux organisa- Au total, ce sont plus vrir les besoins de base: un tions afin de venir en aide aux personnes de 1 000 000 de francs qui ont été versés à plus d’un apporter de toit et de la nourriture. touchées durement par les conséquences de la pandémie. Ce sont plus particuliè- millier de ménages, dont l’aide le plus Depuis le 1er juillet, rement des familles et individus qui n’ont 133 000 fr. de bons pour pas droit aux aides sociales, tels que les les Épiceries Caritas afin rapidement et après la clôture de la que les personnes en diffi- permanence téléphonique familles monoparentales, les chômeurs de très longue durée, les jeunes sans culté puissent s’alimenter possible pour d’urgence, deux nouvelles assistantes sociales (voir formation, les indépendants, les sans- abris, mais aussi et surtout les familles à petit prix. 57% des per- sonnes aidées résident à couvrir les leur portrait en pages 16-17) » de sans-papiers. Lausanne, 62% des bénéfi- ciaires sont des femmes, et besoins ont été engagées afin de suivre et répondre aux Les services sociaux des deux asso- dans 81% des cas, les aides accordées auront permis de base demandes qui ne cessent d’arriver, malgré la fin du ciations ont alors mis en place, dès le de faire face au paiement semi-confinement. Les 1er avril, une permanence téléphonique de loyers. conséquences de la crise ouverte à toutes les personnes en situa- du coronavirus sont à prévoir sur le tion de détresse qui n’ont aucun filet long terme et l’aide apportée aux per- de sécurité. Afin de leur venir en aide, Les équipes sociales de CSP Vaud et sonnes sans filet social par des institu- des fonds extraordinaires ont été solli- de Caritas Vaud ont travaillé sans relâche, tions comme Caritas Vaud est plus que cités auprès des entreprises et des auto- confrontées à des situations difficiles qui jamais nécessaire. JJ PUBLICITÉ 29 OCTOBRE 2020 | 16 H 30 | VISIOCONFÉRENCE EN DIRECT Covid-19, quelles leçons tirer pour l’avenir ? Bas les masques sur les oublié·e·s des mesures de protection sociale Caritas Vaud et CSP Vaud vous invitent à un premier Table ronde : Fabrice Ghelfi, Directeur général de la Direction échange afin de tirer un premier bilan de cette phase générale de la cohésion sociale du Canton de Vaud I Karine Clerc, Municipale à Renens, cheffe de la Direction Enfance-Cohésion sociale I de crise et réfléchir à des solutions mobilisatrices Jean-Pierre Tabin, Chercheur et professeur à la Haute école de travail de tous les acteurs concernés pour qu’une détresse social et de la santé Lausanne (HES·SO) I Bastienne Joerchel, sociale d’une telle ampleur ne se reproduise pas… Directrice du CSP Vaud I Pierre-Alain Praz, Directeur de Caritas Vaud Inscription : www.caritas-vaud.ch/actualites/agenda ou par le QRCode : Caritas.mag 22/20 12
Garder l’envie de se battre r ce au onds orona ali a a pu pa er son lo er et rester dans son appartement encore uel ues mois Malika est une femme d’affaires tunisienne, aujourd’hui âgée de 38 ans, qui gérait un call center à Tunis. Ses activités fonctionnaient bien, elle avait des clients réguliers, dont la majorité était basée en Suisse et au Canada fran- cophone. Jusqu’en 2016, Malika venait régulièrement en Suisse pour voir ses clients. C’est un pays qu’elle apprécie pour sa quiétude, son organisation et ses infrastructures. Depuis 2010, elle tra- vaille pour des assurances et des conseil- lers financiers. Après la révolution, la Tunisie est devenue instable, menacée par le terro- risme, et la situation économique s’est lentement dégradée, de même que les domaines éducatifs et de la santé. Les capitaux étrangers ont commencé à être délocalisés, et dès 2017 le travail vient à manquer ; Malika est contrainte de fer- mer son entreprise. Battante, Malika élève seule son fils atteint d’autisme, aujourd’hui âgé de 7 ans et demi. Elle doit retrouver un emploi. Alors, avec deux personnes Malika et son fils de confiance, elle décide de créer une société financière qui sera basée à Genève et qui travaillera sur le plan international. ter. Car le problème de son garçon ne Apprenant la création du Fonds Le business plan étant bouclé, sera pas aussi bien traité en Tunisie, et Corona par Caritas Vaud et le CSP, le financement trouvé, elle fait une outre la précarité du système de santé, Malika fait une demande pour payer son demande pour recevoir un permis elle ne pourra pas payer les importants loyer. Cela lui permet de tenir trois mois d’établissement L. On le lui refuse étant frais médicaux. de plus, mais aujourd’hui, elle ne sait pas donné que la Tunisie ne fait pas par- comment elle paiera son loyer du mois Confiante en son avenir en Suisse, tie de l’Union européenne. Le projet prochain, ni les autres factures. Pour la elle loue un appartement et décroche tombe à l’eau, tout comme ses perspec- nourriture, Malika pourra toujours se deux petits boulots. Mais nous sommes tives d’emploi. débrouiller, mais plus pour le reste. en février 2020, à peine un mois avant Désireuse de permettre à son fils le semi-confinement de la Suisse… et Résolument positive, elle est persua- malade de grandir en Suisse et de rece- la perte de ses emplois, donc de tous dée qu’elle trouvera une solution pour tenir voir les soins nécessaires, Malika mul- ses revenus. encore un peu et qu’elle obtiendra rapide- tiplie les démarches pour trouver un ment l’autorisation de rester, donc un tra- emploi et obtenir l’autorisation de res- vail. Il en va de l’avenir de son fils. FC Photos © Caritas Vaud 13
Vous pouvez aussi lire