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http://portaildoc.univ-lyon1.fr Creative commons : Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France (CC BY-NC-ND 2.0) http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
UNIVERSITE CLAUDE-BERNARD LYON I INSTITUT DES SCIENCES ET TECHNIQUES DE LA READAPTATION ================== Directeur de l’Institut des Sciences et Techniques de la Réadaptation Professeur Yves MATILLON L’anorexie mentale, une clinique entre fusion et rupture Une position soignante nécessairement entre-deux à trouver dans l’approche corporelle en psychomotricité Mémoire présenté pour l’obtention du Diplôme d’Etat de Psychomotricien par ROCHET Alexandra Juin 2012 N° 1134 Directeur du Département Psychomotricité Jean Noël BESSON ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
1. Université Claude Bernard Lyon1 Président Vice-président CEVU Pr. GILLY François-Noël M. LALLE Philippe Vice-président CA Vice-président CS M. BEN HADID Hamda M. GILLET Germain Directeur Général des Services M. HELLEU Alain 1.1 Secteur Santé : U.F.R. de Médecine Lyon Est U.F.R d’Odontologie Directeur Pr. ETIENNE Jérôme Directeur Pr. BOURGEOIS Denis Institut des Sciences Pharmaceutiques U.F.R de Médecine et de et Biologiques maïeutique - Lyon-Sud Charles Directeur Pr. VINCIGUERRA Christine Mérieux Directeur Pr. KIRKORIAN Gilbert Institut des Sciences et Techniques de Réadaptation Directeur Pr. MATILLON Yves Comité de Coordination des Etudes Médicales (C.C.E.M.) Département de Formation et Centre Pr. GILLY François Noël de Recherche en Biologie Humaine Directeur Pr. FARGE Pierre 1.2 Secteur Sciences et Technologies : U.F.R. de Sciences et Technologies IUFM Directeur M. DE MARCHI Fabien Directeur M. BERNARD Régis U.F.R. de Sciences et Techniques Ecole Polytechnique Universitaire de des Activités Physiques et Lyon (EPUL) Sportives (S.T.A.P.S.) Directeur M. FOURNIER Pascal Directeur M. COLLIGNON Claude Ecole Supérieure de Chimie Physique Institut des Sciences Financières et Electronique de Lyon (CPE) d’Assurance (I.S.F.A.) Directeur M. PIGNAULT Gérard Directeur Pr MAUME-DESCHAMPS Véronique IUT LYON 1 Directeur M. VITON Christophe Observatoire Astronomique de Lyon M. GUIDERDONI Bruno ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
L’anorexie mentale, une clinique entre fusion et rupture Une position soignante nécessairement entre-deux à trouver dans l’approche corporelle en psychomotricité. Remerciements. Merci à mes deux maitres de stage, Odile Gaucher-Hamoudi et Catherine Besson d’avoir partagé avec moi leurs pratiques, leurs savoirs et de m’avoir guidé avec beaucoup de bienveillance sur le chemin vers mon futur métier. Chaque moment passé à vos cotés fut précieux, tant humainement que professionnellement. Merci à mon maitre de mémoire, Gaëtan Munoz, de m’avoir toujours soutenue et encouragée, malgré mes défaillances et les rendez-vous manqués. Merci pour les cailloux qui m’ont aidé à trouver la sortie de la forêt. Merci aux équipes soignantes qui m’ont accueillie avec beaucoup de chaleur, et avec qui j’ai pu avoir des échanges extrêmement enrichissants. Merci à mes professeurs, qui, depuis que j’ai entamé ce chemin vers la psychomotricité ont partagé avec moi leurs savoirs pratiques et théoriques, m’ont fait avancer et m’ont inspiré. Merci aux patients, auprès de qui j’ai pu apprendre et exercer mon futur métier. Merci à ma famille et en particulier à ma sœur d’avoir su m’écouter et de m’avoir aidé à tirer les fils d’une pelote si emmêlée que son devenir était incertain. Merci d’avoir été là et d’être toujours là quand j’en ai besoin. Merci à mes amis pour leur amitié, leur soutien et en particulier à Maya, Anne, Mélanie, Martin, Clémence, Diane, Alyce, Jo, Bertrand, qui, tout au long de ma scolarité ont été mes phares dans la tempête et mes compagnons de promenade dans les temps d’accalmie. Merci à toute ma promo, pour ces trois années de partage Merci à Nicolas, pour son soutien épistolaire permanent durant mon travail d’écriture. Merci à toi d’avoir éclairé ce chemin pavé d’embuches avec tes interludes pleines de poésie, tes histoires, tes peintures, ta musique. Merci pour la constance de ton attention et de ton soutien. Merci également à mes maitres de stages de deuxième année, Vassilissa Legay, Audrey Charbonnel, Agnès Tron et Annabelle Vial auprès de qui j’ai entamé ce chemin à travers la clinique. Merci à mes pieds de toujours bien vouloir m’emmener là où j’ai envie d’aller… i ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
I. Introduction ................................................................................................................................ 1 II. PREMIERE PARTIE : APPROCHE THEORIQUE ................................................................................... 3 A. TABLEAU CLINIQUE DE L’ANOREXIE MENTALE ........................................................................... 3 1. Définition , critères diagnostiques et épidémiologie .............................................................. 3 2. Symptomatologie .................................................................................................................... 4 a) La triade : anorexie, amaigrissement, aménorrhée ............................................................ 4 b) Le chaos du corps. ............................................................................................................... 4 3. Symptômes et traits associés .................................................................................................. 5 B. De la fusion a l’individuation, rappel sur les stades de developpement .................................... 6 1. Le développement psychomoteur : Un chemin de la fusion à la séparation.......................... 7 a) Aux prémices de la vie… ...................................................................................................... 7 b) La naissance… ...................................................................................................................... 7 2. Dimensionnalité spatiale et relation à l’objet au cours du développement ........................... 8 a) Fusion, vécu d’indifférenciation, et unidimensionnalité..................................................... 8 b) Relation adhésive, identité de surface, et bidimensionnalité ........................................... 10 3. Différenciation, Tridimensionnalité. ..................................................................................... 11 a) Passage vers la quadridimensionnalité ............................................................................. 13 4. Vers un éloignement progressif. ........................................................................................... 14 a) Du double interdit du toucher aux interdits œdipiens ..................................................... 14 b) Fonction maternelle et fonction paternelle dans le processus de séparation ................. 16 5. L’irruption de l’anorexie dans le processus de développement et d’individuation.............. 16 C. L’ « a »-norexie : un choix en rupture marque par une serie de refus ..................................... 17 1. Le refus du corps dans l’exaltation extrême de la volonté ................................................... 17 2. Le refus du corps comme symptôme du refus de l’Autre ..................................................... 17 3. Le refus de grandir ................................................................................................................ 18 4. Le refus de la mère ................................................................................................................ 18 ii ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
5. Le refus de la position passive .............................................................................................. 20 D. L’anorexie mentale, une pathologie des liens ? ........................................................................ 20 1. Liens intracorporels : un corps en déliaison.......................................................................... 20 2. Une fracture du lien psyché soma......................................................................................... 22 3. Un lien troublé à l’espace extérieur ...................................................................................... 23 4. Un lien familial problématique réactivé à l’adolescence ...................................................... 24 a) L’impossible arrachement familial .................................................................................... 24 b) Un système familial dysfonctionnel et dévorant .............................................................. 25 c) Un environnement familial trop rigide ? ........................................................................... 25 d) Défaillance de l’emprise dans les interactions précoces ?................................................ 26 5. Entre hyper-conformité et rupture, la difficulté des anorexiques à se mettre en lien......... 26 III. DEUXIEME PARTIE : Approche clinique ..................................................................................... 28 A. PRESENTATION DE L’UNITE TCA................................................................................................ 28 1. Présentation générale ........................................................................................................... 28 2. L’organisation générale du soin ............................................................................................ 28 3. Les lieux du soin .................................................................................................................... 29 a) L’hôpital de jour ................................................................................................................ 29 b) Le service d’hospitalisation complète ............................................................................... 29 4. Le soin en psychomotricité ................................................................................................... 30 a) Le massage relaxant .......................................................................................................... 31 b) Le groupe de danse-thérapie ............................................................................................ 31 c) Vidéo ................................................................................................................................. 34 B. Etudes de cas ............................................................................................................................. 34 1. Préambule ............................................................................................................................. 34 2. LILI : Quand les limites du soi rencontrent les limites du soin? ............................................ 35 a) Anamnèse.......................................................................................................................... 35 b) Son parcours de soin. ........................................................................................................ 36 iii ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
c) Première rencontre ........................................................................................................... 36 d) Première séance. ............................................................................................................... 37 e) Absences et attente .......................................................................................................... 40 f) Comme une gestation à l’envers ....................................................................................... 44 g) Perspectives et réflexions personnelles ............................................................................ 46 3. JOANA : .................................................................................................................................. 48 a) Anamnèse : ........................................................................................................................ 48 b) Suivis .................................................................................................................................. 49 c) Première rencontre ........................................................................................................... 50 d) Une si bonne élève… ......................................................................................................... 51 e) Et si l’on jouait de la défaillance ? ..................................................................................... 55 f) Perspectives et réflexions personnelles ............................................................................ 58 4. ADELE D’une extrémité à l’autre. ......................................................................................... 61 a) Anamnèse.......................................................................................................................... 61 b) Le bilan psychomoteur ...................................................................................................... 61 c) Prise en charge en psychomotricité .................................................................................. 62 d) La première rencontre ...................................................................................................... 62 e) La docilité et la tempête, premières séances.................................................................... 63 f) Rupture.............................................................................................................................. 64 g) D’un service à l’autre… ...................................................................................................... 64 h) D’un service à l’autre, dans l’autre sens… ......................................................................... 66 i) Rupture.............................................................................................................................. 67 j) Prendre ses distances. ....................................................................................................... 68 k) D’une institution à l’autre ................................................................................................. 69 l) Liens et réflexions personnelles ........................................................................................ 69 IV. TROISIEME Partie : Quels enseignements pour le contexte de soins et la posture du corps soignant et plus particulièrement du psychomotricien ? ..................................................................... 72 A. Evolution et pronostic ............................................................................................................... 72 iv ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
B. Miser sur la multidisciplinarité de l’alliance thérapeutique ..................................................... 73 C. Tenir le cadre thérapeutique, une double protection .............................................................. 74 D. A. Désamorcer l’hyper-conformité des patientes ..................................................................... 75 E. Eviter l’approche trop maternante ........................................................................................... 75 F. Oser la défaillance ..................................................................................................................... 76 V. CONCLUSION ................................................................................................................................. 77 VI. Bibliographie ............................................................................................................................. 78 A. Ouvrages ................................................................................................................................... 78 B. Articles....................................................................................................................................... 78 v ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
I. INTRODUCTION Mes premières rencontres avec la clinique de l’anorexie mentale m’ont mise face à de nombreux paradoxes. Les retranscriptions de mes premiers temps d’observation de ces patientes ressemblaient à des portraits de Francis Bacon. En émergeaient des figures floues, aux contours et au contenu insaisissables et toutefois indéniablement intenses. Intensité qui siégeait dans une tension entre des traits extrêmes et souvent diamétralement opposés. En écoutant les équipes infirmières ou le psychiatre parler de certaines patientes, j’ai perçu le clivage que les patientes anorexiques pouvaient opérer entre les équipes, tant il me semblait qu’ils décrivaient une patiente à l’opposé de ce que j’avais pu en observer via les rencontres en séance de psychomotricité. L’expression la plus manifeste de ce clivage m’apparut s’incarner dans le déséquilibre et la distension des liens entre corps et psyché, la psyché orchestrant la tyrannie du corps, devenu matière à vaincre, dominer. Ce que l’œil reçoit d’emblée, au contact de ces patientes, c’est leur maigreur, qui évoque une négation des besoins primaires du corps, dont le devenir inquiète, tant il semble négligé. Mais de négligence, il n’est surtout pas question, car c’est bien vers sa modélisation que se concentrent toute leur économie psychique et leurs comportements. Fluet par son volume; leur corps est gigantesque, démesuré, dans leurs préoccupations, et dans l’image qu’elles en ont. La façon dont elles investissent l’espace semble s’articuler dans une dynamique binaire où l’hyperactivité et l’immobilité, la rigidité se heurtent sans intermédiaire. Dans leurs regards l’adhésivité succède à l’évitement. Leurs capacités intellectuelles, de raisonnement, souvent élevées côtoient des traces infantiles surprenantes qui émaillent leurs attitudes, activités, leur langage. Leur fragilité, qui semble se révéler dans des attitudes corporelles de retrait, d’auto- agrippement, une recherche permanente d’étayages humains ou matériels est aussitôt en tension avec leur volonté de maitrise, d’hyper-contrôle, leur dimension idéaliste, revendicative. En écho à ces « grands écarts symptomatiques », je me suis sentie écartelée entre des velléités maternantes, d’enveloppement, de protection de ces patientes si fragiles et des sursauts de ma fonction paternelle, qui m’ont surpris et qui m’intimaient de décoller, modérer leur adhésivité au cadre soignant, faire tiers. Prises dans ces mouvements contradictoires, je me suis demandé comment me positionner face à ces patientes, où me positionner, comment « être avec » ? Très vite je me suis posé la question de la mise en lien chez ces patientes qui paraissent éprouver une grande difficulté à tisser des liens au sein de leur propre enveloppe corporelle, 1 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
entre leur corps et leur esprit, par rapport au monde extérieur et par rapport à Autrui. Rapidement, s’est imposée à moi l’intuition que l’anorexie mentale était une pathologie du lien qui devait donc appeler le corps soignant à élaborer un cadre suffisamment sécure et suffisamment étayant à la fois, un cadre qui simultanément contient, rassure et limite. L’observation et le travail au contact des patientes m’ont montré que le cadre à créer devait venir les soutenir à rebours de leurs défenses relationnelles qui les conduisent à se réfugier, par défaut, dans une hyper-conformité adhésive à l’institution, au soignant ou bien à un refus qui peut prendre la forme d’une rupture de contrat tacite ou explicite. C’est pour éviter aux patientes de tomber dans ces deux apories relationnelles qu’il me semble important à l’échelle du soin en psychomotricité comme à celle de l’institution de mettre en place une démarche équilibrée, entre fonction maternelle et paternelle. Dans une première partie, je dresserai un tableau clinique de la pathologie anorexique en creusant notamment cette problématique de l’anorexie comme pathologie du lien et en la réinscrivant dans la perspective des théories du développement. La seconde partie sera consacrée à la présentation de ma clinique. Elle s’ouvrira sur la description de l’institution qui m’a accueillie et sur le programme de travail que j’ai pu mettre en œuvre et se poursuivra par la présentation de trois études de cas de patientes anorexiques qui m’ont paru particulièrement représentatives des problématiques théoriques et des problématiques de soins rencontrées. En guise d’ouverture, je consacrerai la troisième partie à explorer les implications pratiques pour le cadre de soin et la position soignante psychomotrice, à l’intersection de la clinique et de la théorie. 2 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
II. PREMIERE PARTIE : APPROCHE THEORIQUE A. TABLEAU CLINIQUE DE L’ANOREXIE MENTALE 1. Définition , critères diagnostiques et épidémiologie L’anorexie mentale est une pathologie classée, selon le DSM IV, parmi les troubles des conduites alimentaires. L’ « anorexie », selon son étymologie - du grec ancien : a-privatif / orexis : appétit - signifie l’absence, la perte d’appétit. Ce terme employé seul, désigne dans le vocabulaire médical, un symptôme, qui peut être secondaire à un syndrome non nécessairement spécifique des troubles des conduites alimentaires, comme une dépression ou un cancer, par exemple. Le terme « mentale » - « relatif aux fonctions intellectuelles, au psychisme » - précise l’origine psychique de ce trouble qui, contrairement à la dimension passive que suggère l’absence, ou la perte d’appétit, se manifeste par une « conduite de restriction alimentaire active, à forte charge anxieuse »1.C’est un « trouble de la représentation du corps qui vient objectiver le dysfonctionnement psychique »2. Pour caractériser cette pathologie avec plus de précision, le DSM IV propose des critères diagnostiques3 (p.634), comprenant notamment le refus de maintenir un poids corporel au- dessus du poids minimum considéré normal pour l’âge et la taille, la peur intense de prendre du poids, une perturbation de l’estimation de son poids ou de la forme de son corps influençant excessivement l’estime de soi et un déni de la maigreur. On distingue principalement deux formes cliniques de l’anorexie mentale : - La forme restrictive dans laquelle la perte de poids est obtenue par une réduction drastique de la prise alimentaire. - La forme dite « anorexie/boulimie », dans laquelle la restriction alimentaire est corrélée à la survenue régulière de crises de boulimie (ingestion excessive d’aliments) associées ou non à des vomissements provoqués et / ou à la prise abusive de laxatifs. 1 ANDRE P.,(2006) Psychiatrie de l’adulte, p.119 2 ANDRE P., BENAVIDES T., GIROMINI F., Corps et psychiatrie, p.105 3 DSM IV :Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (1996) p. 634 3 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
Du point de vue épidémiologique, on note une prédominance féminine (environ 90% des cas), et une survenue de la maladie à la période de l’adolescence ou en début d’âge adulte (15- 25 ans). On reconnait également une dimension sociale à l’anorexie, qui se développe de manière prépondérante dans les milieux socio-culturels élevés, dans les pays riches et où l’image de la femme est surexposée et projette sur les jeunes filles nombre d’exigences inconciliables (idéal de beauté, de minceur, de réussite sociale et personnelle, de sexualité conquérante, de maternité épanouie...) 2. Symptomatologie a) La triade : anorexie, amaigrissement, aménorrhée Le mode d’entrée dans la maladie est généralement progressif, et s’articule autour de l’installation de trois symptômes majeurs, d’apparition consécutive. L’anorexie, apparait par voie de conséquence d’une conduite de restriction alimentaire active, qui va résulter en une diminution, voire une disparition de la sensation de faim. Souvent, c’est sous la forme d’un banal régime qui, progressivement, se mue en une restriction de plus en plus sévère que débute la maladie. A travers ce symptôme, la jeune fille anorexique trouve une résolution à la « double intolérance à son apparence physique et à certaines de ses sensations corporelles »4, mise en évidence par Brusset. On distingue parfois des évènements déclencheurs (divorce des parents, déménagement, échec, deuil…). L’amaigrissement est subséquent à la restriction. Il est généralement rapide, et favorisé par l’hyperactivité, s’exprimant sur les plans moteurs (pratique sportive intensive) et intellectuels (surinvestissement scolaire) et parfois par des conduites purgatives (vomissements, laxatifs). Il peut aller jusqu’à un état de cachexie consistant en un affaiblissement profond de l’organisme lié à l’état de dénutrition sévère. L’aménorrhée peut être primaire ou secondaire, selon l’âge de survenue des troubles et se définit par l’absence d’au moins trois cycles menstruels consécutifs. b) Le chaos du corps. En période d’état, les perturbations physiologiques sont nombreuses. On retrouve une hypothermie, en lien avec le ralentissement de la circulation sanguine, une hypotension et une bradycardie. De nombreuses carences apparaissent, avec notamment une anémie et une glycémie abaissées. Tous les systèmes du corps sont attaqués. La qualité des 4 ANDRE P., BENAVIDES T., GIROMINI F., Corps et psychiatrie, p.105 4 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
cheveux, des ongles, des dents se dégradent. L’amaigrissement entraine une quasi-disparition du tissu adipeux, une fonte musculaire conséquente et une fragilisation de la peau ; le risque de formation d’escarres est important. La fragilisation des os peut entrainer, à l’extrême, des fractures spontanées et le développement d’une ostéoporose précoce. Des ulcérations peuvent survenir dans le tube digestif, provoquées par les vomissements dans l’anorexie/boulimie. On note l’apparition d’un déséquilibre électrolytique pouvant affecter la fonction cardiaque. On constate également des perturbations endocriniennes. En effet, la privation alimentaire met le corps en situation de détresse, de manque. De ce fait, il y a une augmentation du stress physiologique et mental, ce qui entraine une augmentation de la sécrétion de cortisol. Ce phénomène contribue à la sensation de flottement, de toute-puissance, de maitrise dont témoignent souvent les patientes anorexiques. Il explique aussi partiellement que la première partie de l’hospitalisation soit très éprouvante pour les patientes car avec la reprise des kilos, même très lente, il y a une chute du cortisol, ce qui entraine, dépression, atonie, dévalorisation… 3. Symptômes et traits associés Les patientes anorexiques intellectualisent énormément, séduisent et manipulent leur interlocuteur par un discours très construit, ce qui explique que la famille met souvent longtemps avant de réaliser l’ampleur du trouble et s’attarde parfois dans une position de déni. En revanche, aussi maitrisé soit-il, le discours est totalement alexithymique. L’alexithymie consiste en un hyper-contrôle de la vie émotionnelle, d’où découle une pauvreté de la vie fantasmatique. Les patientes présentent une difficulté ou une inaptitude à identifier et verbaliser leurs sentiments, émotions, leurs éprouvés corporels et à différencier un état affectif d’une sensation corporelle. Leur vie imaginaire est limitée et leurs pensées, activités, discours s’orientent vers des préoccupations concrètes, pragmatiques, une gestion du quotidien opératoire. Les plaintes somatiques deviennent communément l’unique mode d’expression de leurs difficultés psychiques. Les affects et émotions sont laissés hors d’atteinte. On perçoit paradoxalement, par-delà la maitrise, la subsistance de traces infantiles étonnantes et décalées dans leurs activités, leur mode de pensée, qui signent l’immaturité affective. Si les anorexiques maintiennent une forme d’illusion sociale, en remplissant leur quotidien d’activités multiples, en présentant un surinvestissement scolaire ou professionnel et physique, leurs relations aux autres demeurent superficielles. Elles restent « collées » aux 5 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
autres dans leur vie sociale évitant ainsi l’échange, la pénétration, que ce soit celle du regard de l’Autre ou du coït génital. La sexualité génitale est le plus souvent complètement désinvestie. Elles présentent une hyperperméabilité aux désirs et sentiments des autres, qui leur permet de s’adapter à l’extrême à leurs besoins, un « sixième sens »5, selon V. Dodin. Sur le plan psychomoteur, on observe fréquemment des difficultés dans l’expression mimogestuelle des émotions, elles peinent à transmettre leurs affects et émotions à travers la mimique faciale ou la gestuelle corporelle ; des troubles de l’image du corps qui se manifestent dans les dysmorphophobies - perception et représentation erronée de la forme et du volume de leur corps dans l’espace - et dysperceptions - défaut de perception intéroceptive - ; une hypertonie et des troubles de la régulation tonique ; une difficulté à investir l’espace et dans la régulation de la distance et de la qualité relationnelle. Tous ces troubles semblent exprimer une difficulté à éprouver, vivre comme solides leurs limites, corporelles et psychiques. De plus le clivage psyché-soma, traduit une difficulté psychique à prendre en compte le corps, dans une dimension à la fois perceptive et représentative. B. DE LA FUSION A L’INDIVIDUATION, RAPPEL SUR LES STADES DE DEVELOPPEMENT Comme nous l’avons vu, le symptôme par lequel débute la maladie et qui demeure central tout au long de son évolution, c’est celui de la restriction alimentaire. Si les réflexes du bébé lui permettent, dès la naissance, d’endosser avec une certaine autonomie les fonctions respiratoires et excrétoires, il en est autrement en ce qui concerne la satisfaction de son besoin primaire d’alimentation. Dès lors intervient la mère, « Le premier job d’une maman, c’est de son nourrir son enfant », comme le disait une infirmière rencontrée lors de mon stage. Ainsi, par ce symptôme, la patiente anorexique semble montrer une remise en question, en jeu de ce lien trophique premier au premier Autre, sa mère, lien matriciel qui précède, modélise et conditionne tous les autres. L’anorexie semble être une maladie du lien. C’est là où m’ont emmené mon intuition et mon observation. Dans l’anorexie mentale, les liens intracorporels, les liens entre le corps et la psyché, les liens familiaux et les liens du sujet avec les autres semblent distendus, parfois dans le sens d’un éloignement qui tend vers la rupture, parfois dans le sens d’un rétrécissement qui tend vers la confusion. Dans les deux sens, les liens sont attaqués, annulés, distendus, déformés. Et l’un des enjeux du soin va être de pouvoir recréer, recomposer, « faire du lien », trouver, dans le cadre de la prise en charge psychomotrice, 5 DODIN V., TESTARD M-L, (2004), Comprendre l’anorexie, p.81 6 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
comme dans la perspective plus globale de la prise en charge multidisciplinaire, un positionnement soignant juste, une voie relationnelle médiane. Je tenterai pour ma part, dans cette partie, de développer cette idée, en « faisant des liens » avec la théorie… Voyons d’abord, avant d’évoquer plus avant leurs dysfonctionnements dans le cadre de la pathologie anorexique, comment ces liens s’élaborent, au cours du développement normal du sujet. 1. Le développement psychomoteur : Un chemin de la fusion à la séparation a) Aux prémices de la vie… …une dialectique entre fusion et séparation, entre identité et distinction est déjà à l’œuvre. La fusion détermine l’apparition de la vie, fusion des corps, toutefois distincts, dans l’acte procréateur, hasard de la fusion d’un spermatozoïde et d’un ovule, originellement différenciés, de laquelle résulte la formation d’une cellule-œuf, qui par sa division permettra que se développe un embryon. Pendant la grossesse, la fusion des corps est littérale, puisque le bébé grandit à l’intérieur même du corps de sa mère, prémuni toutefois d’une complète adhérence à son « organisme-hôte » par le filtre placentaire. b) La naissance… …constitue une première expérience de rupture accessible au nouveau-né via son système sensoriel, bien qu’encore immature. Cette rupture se matérialise à travers la séparation des corps, la section du cordon ombilical et la transition entre deux milieux aux caractéristiques sensorielles bien différentes. Pour naître, le bébé quitte le milieu liquidien, l’atmosphère sonore et lumineuse confinée, la contenance de l’enveloppe utérine, ébauche d’un premier contenant psychique, selon Anzieu, et qui le maintiennent dans une posture d’enroulement avec un appui dorsal important. Le nouveau-né est confronté à une nécessaire première forme d’appropriation de la circulation dedans / dehors à travers la part active que doit désormais prendre son organisme aux fonctions respiratoires, trophiques, excrétoires. La naissance induit un bouleversement dans ses repères, marqué par le passage vers le milieu aérien, la perte du contenant utérin qui occasionne l’apparition de l’éprouvé de la pesanteur, la sensation de chute, source des angoisses archaïques d’annihilation dont parle Winnicott. Meltzer compare la première rencontre entre le bébé et sa mère à un choc esthétique, origine d’un conflit primaire que Meltzer met en image par cette question que se « poserait » le bébé : « l’intérieur de l’objet est-il aussi beau que l’extérieur ? ». Par cette formulation poétique, il introduit l’idée de l’existence d’une préforme de la pulsion épistémophilique, motion qui relie 7 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
le sujet à l’autre et au monde du dehors, via son désir de savoir, sa curiosité. Mais, avant que le bébé soit à même de percevoir et de parcourir ce chemin qui mène de son monde interne au monde du dehors, il doit avant tout pouvoir délimiter, ressentir son espace interne comme différencié de l’espace externe, et c’est sa mère -terme entendu en tant qu’environnement maternant-, par le biais d’un maternage « suffisamment bon » qui va l’y aider. 2. Dimensionnalité spatiale et relation à l’objet au cours du développement Pour Meltzer, le développement de la « dimensionnalité spatiale »6 est un corollaire indispensable au développement psychique du sujet. Il permet l’accès de l’individu à une représentation du monde à travers la constitution progressive de ce qu’il nomme la « géographie du fantasme »7. Ce terme rassemble les divers espaces psychiques qui se constituent pour le sujet au cours de son développement, conditionnant la formation de son monde interne et régulant son appréhension du monde externe. Meltzer définit quatre compartiments : l’intérieur du self, l’extérieur du self ; l’intérieur des objets internes, l’intérieur des objets externes. A mesure que l’individu se structure, dans le cadre d’un développement normal, ces différents compartiments se définissent, se différencient et une circulation entre eux advient, sous la forme de phénomènes d’introjection et de projection. Cette évolution est figurée, dans la conception de Meltzer, par l’accession de l’individu à des paliers successifs, au cours desquels l’inscription dans et la perception de la dimensionnalité spatiale se complexifient progressivement. a) Fusion, vécu d’indifférenciation, et unidimensionnalité Le vécu le plus précoce dans l’évolution de la dimensionnalité spatiale correspond à l’unidimensionnalité, dans laquelle « .une relation linéaire de distance-temps entre self et objet produirait un monde qui aurait un centre fixé dans le self et un système de lignes rayonnantes vers des objets situés dans une direction et à une distance données, objets qui seraient conçus comme potentiellement attirants ou repoussants »8 Les stimuli sensoriels successifs rencontrés par le bébé constituent des évènements fortuits, qui ne s’inscrivent pas dans la mémoire ou la pensée. 6 GOLSE B., (1985) Le développement intellectuel et affectif de l’enfant, p.120 7 Ibid. 8 MELTZER D., (1975) Explorations dans le monde de l’autisme, p.234 8 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
A ce stade, Winnicott parle d’un état de non intégration primaire, Dedans et dehors, Moi et non-Moi sont indifférenciés pour le nourrisson. Il n’a pas conscience du rôle de l’environnement extérieur dans la satisfaction de ses besoins primaires. Le Moi du bébé, encore immature, va être suppléé par le Moi de sa mère, et s’organiser progressivement en faisant l’expérience des menaces d’annihilation qui n’entrainent pas l’annihilation et dont il se remet chaque fois grâce aux soins maternels. A ce stade le bébé et sa mère sont dans une relation symbiotique, continuité de la fusion gestationnelle. Le mode de relation à l’objet est celui de l’incorporation et s’organise autour de la sphère orale. Le bébé est totalement dépendant de sa mère, il est dans une illusion d’omnipotence, pense que tout émane de lui, que c’est lui qui crée le sein désiré. La mère se fait la complice de cette conception du monde en s’adaptant de manière quasi-immédiate à ses besoins. La contenance utérine perdue est en quelque sorte relayée par la préoccupation maternelle primaire, qui consiste en sa nécessité et sa capacité de s’identifier à son bébé, à entrer en résonnance avec ses besoins, ce qui lui permet de s’y ajuster au plus près. Le nourrisson développe ainsi une relation primaire au monde, basée sur le principe de plaisir : son activité psychique est organisée dans le but d’éviter le déplaisir, lié à l’augmentation de la quantité d’excitations, et procurer le plaisir; lié à la réduction de celle-ci. Cette économie psychique s’étaye sur ses premiers éprouvés corporels, qui s’organisent autour d’une alternance d’états de tension et de détente. L’enjeu pour la mère, va être d’identifier ces états de tension et de permettre au nourrisson, par ses soins, de trouver une résolution à cette tension. Pour ce faire, selon Winnicott, la mère doit être à même d’assurer trois fonctions majeures, qui concourent à un bon accompagnement de l’enfant dans son évolution psychomotrice, et dans l’intégration des stimuli internes et externes qu’il perçoit. La fonction de handling, correspond à la qualité du portage physique du bébé et la capacité de la mère à satisfaire ses besoins corporels au plus près (manipulations, affection, confort, nourriture, sommeil…). La fonction de holding correspond à une dimension plus psychique du portage, et s’incarne dans la manière qu’a la mère de reconnaitre les éprouvés du bébé, d’y donner sens et d’y répondre par ses soins, ses bercements, sa protection, assurant ainsi un rôle de pare-excitation, que le bébé n’est pas encore à même d’exercer. La fonction d’object presenting, correspond à la façon dont la mère présente l’objet à son enfant. Pour que l’enfant puisse créer l’objet, l’objet doit être là. Elle correspond donc en premier lieu à sa capacité à être là, au bon moment, ce qui permet au bébé d’éprouver l’illusion qu’il crée l’objet. Le bébé peut ainsi ressentir sécurité et apaisement. Suzanne 9 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
Robert-Ouvray ajoute à ces trois fonctions mises en évidence par Winnicott, la notion de « holding psychomoteur »9, qui consiste en la nécessité pour la mère d’ajuster son portage en fonction des différentes étapes de l’organisation tonique et motrice du bébé. Jusqu’aux trois mois du bébé, il est pour elle primordial de recréer dans le portage la position fœtale d’enroulement, commune à tous les êtres humains grâce à l’état initial d’hypertonie segmentaire et d’hypotonie axiale. Toute autre posture entrainera des tensions physiques et donc psychiques. Elle insiste sur l’importance de l’enroulement de la colonne vertébrale, ainsi que sur le relâchement de la nuque qui est un gage de confiance et de sérénité du bébé. Ces gestes élémentaires libèrent l’enfant de ses tensions physiques et permettent par le biais du vécu d’enroulement corporel d’accéder à l’enroulement psychique, c’est à dire le narcissisme. L’enroulement incarne une position de protection, un retour sur soi, indispensable pour supporter les stimulations externes. L’enroulement permet le relâchement musculaire, favorise l’ajustement tonico-émotionnel avec la mère et permet l’émergence d’une sérénité tonico- émotionnelle essentielle dans l’intégration des expériences positives. L’enroulement favorise les sentiments de sécurité et de confiance, bases du narcissisme et des interactions avec l’environnement. L’auteur souligne l’importance de la triangulation main-yeux-bouche qui favorise la découverte du corps dans ce schéma d’enroulement et qui collabore au bon développement psychomoteur. Il faudra par la suite, que l’enfant quitte cet enroulement pour s’ouvrir à l’environnement extérieur. b) Relation adhésive, identité de surface, et bidimensionnalité Le passage de l’unidimensionnalité à la bidimensionnalité, ou perception de l’espace en deux dimensions va s’opérer graduellement en appui sur la répétition des réponses adaptées de la mère. Les évènements originellement perçus comme fortuits par le bébé se reproduisent, de telle façon que l'effet de la première centration sur un stimulus se prolonge jusqu'à ce que la suivante advienne. Une continuité s’établit entre ces centrations successives, les « points- stimulus » isolés se relient pour former un tissu. De cet effet de centration continue résulte la sensation de surface à laquelle peut adhérer la psyché. A cette étape, la profondeur, l’épaisseur, le contenu par-delà la surface ne sont pas perçus par le bébé. Dès lors, le self se limite également à une surface. La relation à l’objet se fait sur le mode de l’identification adhésive, ni le self ni l'objet n'ont encore de compartiments internes pouvant contenir des objets sur lesquels pourrait s'exercer l'identification projective, premier type d'échange 9 ROBERT OUVRAY S. le holding psychomoteur. 10 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
véritable. Le passage à un vécu bidimensionnel marque donc l’émergence d’une identité de surface. L’Autre n’est plus incorporé par, confondu avec le bébé, il peut lui être accolé. Cette interface me fait écho à ce qu’Anzieu nomme le fantasme d’une peau commune à la mère et l’enfant, capable de parer aux excès d’excitation. D’un coté de cette surface, la mère, qui correspondrait au feuillet externe du moi peau et de l’autre côté, le bébé qui incarnerait le feuillet interne du moi-peau. Toute rupture de cette continuité menace le bébé de la survenue d'angoisses archaïques catastrophiques impliquant l’effondrement des surfaces comme la liquéfaction, l’éclatement… les émotions évacuées par l'adhésivité et l'aplatissement bidimensionnel restent non transformées, non accessibles à la pensée, telles des " terreurs sans nom ". Le maintien de cette continuité dépend de la juste rythmicité du maternage. Ce « self- surface », qui est dans une relation de collage avec « l’objet-surface », est l’ébauche de la frontière entre le dedans et le dehors du moi et trouve son ancrage corporel dans une relation de grande proximité des corps, de « peau à peau » entre la mère et l’enfant. Comme le dit Freud, le Moi est avant tout corporel, ce qui signifie que l’expérience corporelle précède et conditionne la formation du Moi. En s’appuyant sur l’embryologie, Anzieu note une homologie structurelle entre la structure de la peau comme organe qui soutient/contient le corps et celle du cerveau comme structure/contenant de la pensée. Tout deux proviennent de l’ectoderme. De cette constatation dérive sa théorisation du « Moi-peau », qui serait une figuration dont se servirait le Moi du bébé pour se représenter comme contenant d’expériences psychiques à partir de l’expérience de la surface de son corps. La peau enveloppe le corps, tout comme le Moi-peau tend à envelopper l'appareil psychique. Le Moi- peau est une interface dedans-dehors, qui fonde la relation contenant-contenu. c) Différenciation, Tridimensionnalité. Le passage de la bidimensionnalité à la tridimensionnalité va nécessiter un écartement progressif des deux surfaces ou feuillets de cette peau psychique commune à la mère et l’enfant. Ce décollage va occasionner pour le bébé des fantasmes d’arrachement dont le dépassement va lui permettre de se constituer un Moi-peau qui lui est propre. Ce Moi-peau est à la fois un contenant des pensées, représentations et affects, une frontière délimitant un espace interne de l’espace externe et une zone d’échange et de communication avec autrui. Il y a donc émergence de la perception d’un espace interne du self, d’un espace interne de l'objet et d’un espace externe aux deux précédents. L’accès à la tridimensionnalité permet la 11 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
naissance de la pensée car l'objet suffisamment séparé pourra être désiré et pris, introjecté dans le self plutôt que de lui être accolé. Le self pourra contenir l'objet, donc élaborer son noyau d'identité. De la dépendance absolue, le nourrisson chemine vers une dépendance relative. Cette transition va se réaliser en appui sur la « défaillance maternelle ». Entre les 4 et les 12 mois du bébé, la mère va commencer à le « désillusionner », en réduisant progressivement l’exactitude de son adéquation à la ses demandes. Ce nouvel espace physique et temporel créé par la « défaillance maternelle », permet à l’enfant d’accéder petit à petit au principe de réalité. Cette brèche ouverte dans l’unité de son moi provoque un sentiment de frustration. Pour le résoudre il doit chercher à satisfaire lui-même ses besoins en investissant cet espace potentiel ou aire intermédiaire d’expérience, laissés vides par le sein de sa mère. Avec l’apparition de l’attente de la satisfaction, du délai, de l’espace entre, émerge pour le bébé l’angoisse de perdre l’objet. Quand la toute-puissance, l’omnipotence du bébé vient à être graduellement contrariée par la défaillance maternelle, le self émergent du bébé trouve la solution du clivage de l’objet. L’objet maternant étant clivé en deux parties : le mauvais sein est l’objet absent qui frustre le bébé, qu’il attaque et détruit fantasmatiquement, et qu’il projette à l’extérieur de lui ; le bon sein correspond à l’objet présent qui satisfait le bébé en venant résoudre sa tension, qu’il aime et incorpore. En appui sur la progression du processus de séparation-individuation, ce clivage se réduit. Le bébé réalise que le bon sein et le mauvais sein sont en fait tout deux inclus dans l’objet total mère et donc que l’objet peut être simultanément bon et mauvais. C’est l’avènement de « l’ambivalence affective » qui signe l’entrée dans ce que Mélanie Klein nomme la position dépressive (qui émerge vers 6 mois et perdure jusqu’aux 12-18 mois du bébé). Le bébé ressent de la culpabilité car il craint désormais, dans l’attente, que l’objet aimé ne soit absent car il l’a endommagé et détruit. C’est là encore en appui sur l’expérience répétée qu’il apprendra que l’absence est suivie d’un retour assuré. Mais pour l’instant, il assimile l’absence passagère à la perte définitive. Il va alors chercher à réparer l’objet, « endommagé » par ses élans agressifs. Ce moment va coïncider, sur le plan moteur avec le développement pour l’enfant de ses capacités de déplacement et de ce fait la possibilité, nouvelle pour lui, de régler sa distance à l’objet, de s’en rapprocher et de s’en départir. Cette quête de réparation va se matérialiser dans la maitrise de ses sphincters et dans l’investissement de l’aire intermédiaire avec l’acquisition d’une créativité grandissante, s’étayant sur ses progrès moteurs. L’enfant va chercher à atteindre l’objet, les objets, les attraper, les ramasser, construire pour réparer le fantasme destructeur. Toutes ces expérimentations permettent à l’enfant de passer d’un mode de relation à l’objet à la manipulation de l’objet. L’accession à sa première possession « non- 12 ROCHET Alexandra CC BY-NC-ND 2.0
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