Creative commons : Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France (CC BY-NC-ND 2.0) ...

La page est créée Didier Lacombe
 
CONTINUER À LIRE
Creative commons : Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France (CC BY-NC-ND 2.0) ...
http://portaildoc.univ-lyon1.fr

Creative commons : Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale -
     Pas de Modification 2.0 France (CC BY-NC-ND 2.0)

     http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr

                                                        ROCHET Alexandra
                                                         CC BY-NC-ND 2.0
Creative commons : Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France (CC BY-NC-ND 2.0) ...
UNIVERSITE CLAUDE-BERNARD LYON I

   INSTITUT DES SCIENCES ET TECHNIQUES DE LA READAPTATION

                      ==================

     Directeur de l’Institut des Sciences et Techniques de la Réadaptation

                          Professeur Yves MATILLON

  L’anorexie mentale, une clinique entre fusion et rupture

Une position soignante nécessairement entre-deux à trouver dans l’approche
                       corporelle en psychomotricité

                   Mémoire présenté pour l’obtention
                  du Diplôme d’Etat de Psychomotricien

                                      par

                             ROCHET Alexandra

                                                    Juin 2012

                                                    N°   1134

   Directeur du Département Psychomotricité

   Jean Noël BESSON

                                                                  ROCHET Alexandra
                                                                   CC BY-NC-ND 2.0
1. Université Claude Bernard Lyon1

             Président                            Vice-président CEVU
     Pr. GILLY François-Noël                       M. LALLE Philippe

         Vice-président CA                          Vice-président CS
      M. BEN HADID Hamda                           M. GILLET Germain
                         Directeur Général des Services
                                M. HELLEU Alain

1.1 Secteur Santé :

U.F.R. de Médecine Lyon Est              U.F.R d’Odontologie
Directeur Pr. ETIENNE Jérôme             Directeur Pr. BOURGEOIS Denis

                                         Institut des Sciences Pharmaceutiques
U.F.R de Médecine et de                  et Biologiques
maïeutique - Lyon-Sud Charles            Directeur Pr. VINCIGUERRA Christine
Mérieux
Directeur Pr. KIRKORIAN Gilbert          Institut des Sciences et Techniques de
                                         Réadaptation
                                         Directeur Pr. MATILLON Yves
Comité de Coordination des
Etudes Médicales (C.C.E.M.)              Département de Formation et Centre
Pr. GILLY François Noël                  de Recherche en Biologie Humaine
                                         Directeur Pr. FARGE Pierre

1.2 Secteur Sciences et Technologies :

U.F.R. de Sciences et Technologies       IUFM
Directeur M. DE MARCHI Fabien            Directeur M. BERNARD Régis

U.F.R. de Sciences et Techniques         Ecole Polytechnique Universitaire de
des Activités Physiques et               Lyon (EPUL)
Sportives (S.T.A.P.S.)                   Directeur M. FOURNIER Pascal
Directeur M. COLLIGNON Claude
                                         Ecole Supérieure de Chimie Physique
Institut des Sciences Financières et     Electronique de Lyon (CPE)
d’Assurance (I.S.F.A.)                   Directeur M. PIGNAULT Gérard
Directeur Pr MAUME-DESCHAMPS
Véronique                                IUT LYON 1
                                         Directeur M. VITON Christophe
Observatoire Astronomique de
Lyon M. GUIDERDONI Bruno

                                                                   ROCHET Alexandra
                                                                    CC BY-NC-ND 2.0
L’anorexie mentale, une clinique entre fusion et rupture

  Une position soignante nécessairement entre-deux à trouver dans l’approche
                        corporelle en psychomotricité.
Remerciements.

Merci à mes deux maitres de stage, Odile Gaucher-Hamoudi et Catherine Besson d’avoir
partagé avec moi leurs pratiques, leurs savoirs et de m’avoir guidé avec beaucoup de
bienveillance sur le chemin vers mon futur métier. Chaque moment passé à vos cotés fut
précieux, tant humainement que professionnellement.

Merci à mon maitre de mémoire, Gaëtan Munoz, de m’avoir toujours soutenue et encouragée,
malgré mes défaillances et les rendez-vous manqués. Merci pour les cailloux qui m’ont aidé à
trouver la sortie de la forêt.

Merci aux équipes soignantes qui m’ont accueillie avec beaucoup de chaleur, et avec qui j’ai
pu avoir des échanges extrêmement enrichissants.

Merci à mes professeurs, qui, depuis que j’ai entamé ce chemin vers la psychomotricité ont
partagé avec moi leurs savoirs pratiques et théoriques, m’ont fait avancer et m’ont inspiré.

Merci aux patients, auprès de qui j’ai pu apprendre et exercer mon futur métier.

Merci à ma famille et en particulier à ma sœur d’avoir su m’écouter et de m’avoir aidé à tirer
les fils d’une pelote si emmêlée que son devenir était incertain. Merci d’avoir été là et d’être
toujours là quand j’en ai besoin.

Merci à mes amis pour leur amitié, leur soutien et en particulier à Maya, Anne, Mélanie,
Martin, Clémence, Diane, Alyce, Jo, Bertrand, qui, tout au long de ma scolarité ont été mes
phares dans la tempête et mes compagnons de promenade dans les temps d’accalmie.

Merci à toute ma promo, pour ces trois années de partage

Merci à Nicolas, pour son soutien épistolaire permanent durant mon travail d’écriture. Merci
à toi d’avoir éclairé ce chemin pavé d’embuches avec tes interludes pleines de poésie, tes
histoires, tes peintures, ta musique. Merci pour la constance de ton attention et de ton
soutien.

Merci également à mes maitres de stages de deuxième année, Vassilissa Legay, Audrey
Charbonnel, Agnès Tron et Annabelle Vial auprès de qui j’ai entamé ce chemin à travers la
clinique.

Merci à mes pieds de toujours bien vouloir m’emmener là où j’ai envie d’aller…

                                                                                                i

                                                                             ROCHET Alexandra
                                                                              CC BY-NC-ND 2.0
I.              Introduction ................................................................................................................................ 1

II.        PREMIERE PARTIE : APPROCHE THEORIQUE ................................................................................... 3

      A.        TABLEAU CLINIQUE DE L’ANOREXIE MENTALE ........................................................................... 3

           1.        Définition , critères diagnostiques et épidémiologie .............................................................. 3

           2.        Symptomatologie .................................................................................................................... 4

                a)      La triade : anorexie, amaigrissement, aménorrhée ............................................................ 4

                b)      Le chaos du corps. ............................................................................................................... 4

           3.        Symptômes et traits associés .................................................................................................. 5

      B.        De la fusion a l’individuation, rappel sur les stades de developpement .................................... 6

           1.        Le développement psychomoteur : Un chemin de la fusion à la séparation.......................... 7

                a)      Aux prémices de la vie… ...................................................................................................... 7

                b)      La naissance… ...................................................................................................................... 7

           2.        Dimensionnalité spatiale et relation à l’objet au cours du développement ........................... 8

                a)      Fusion, vécu d’indifférenciation, et unidimensionnalité..................................................... 8

                b)      Relation adhésive, identité de surface, et bidimensionnalité ........................................... 10

           3.        Différenciation, Tridimensionnalité. ..................................................................................... 11

                a)      Passage vers la quadridimensionnalité ............................................................................. 13

           4.        Vers un éloignement progressif. ........................................................................................... 14

                a)      Du double interdit du toucher aux interdits œdipiens ..................................................... 14

                b)      Fonction maternelle et fonction paternelle dans le processus de séparation ................. 16

           5.        L’irruption de l’anorexie dans le processus de développement et d’individuation.............. 16

      C.        L’ « a »-norexie : un choix en rupture marque par une serie de refus ..................................... 17

           1.        Le refus du corps dans l’exaltation extrême de la volonté ................................................... 17

           2.        Le refus du corps comme symptôme du refus de l’Autre ..................................................... 17

           3.        Le refus de grandir ................................................................................................................ 18

           4.        Le refus de la mère ................................................................................................................ 18

                                                                                                                                                             ii

                                                                                                                                 ROCHET Alexandra
                                                                                                                                  CC BY-NC-ND 2.0
5.        Le refus de la position passive .............................................................................................. 20

   D.        L’anorexie mentale, une pathologie des liens ? ........................................................................ 20

        1.        Liens intracorporels : un corps en déliaison.......................................................................... 20

        2.        Une fracture du lien psyché soma......................................................................................... 22

        3.        Un lien troublé à l’espace extérieur ...................................................................................... 23

        4.        Un lien familial problématique réactivé à l’adolescence ...................................................... 24

             a)      L’impossible arrachement familial .................................................................................... 24

             b)      Un système familial dysfonctionnel et dévorant .............................................................. 25

             c)      Un environnement familial trop rigide ? ........................................................................... 25

             d)      Défaillance de l’emprise dans les interactions précoces ?................................................ 26

        5.        Entre hyper-conformité et rupture, la difficulté des anorexiques à se mettre en lien......... 26

III.         DEUXIEME PARTIE : Approche clinique ..................................................................................... 28

   A.        PRESENTATION DE L’UNITE TCA................................................................................................ 28

        1.        Présentation générale ........................................................................................................... 28

        2.        L’organisation générale du soin ............................................................................................ 28

        3.        Les lieux du soin .................................................................................................................... 29

             a)      L’hôpital de jour ................................................................................................................ 29

             b)      Le service d’hospitalisation complète ............................................................................... 29

        4.        Le soin en psychomotricité ................................................................................................... 30

             a)      Le massage relaxant .......................................................................................................... 31

             b)      Le groupe de danse-thérapie ............................................................................................ 31

             c)      Vidéo ................................................................................................................................. 34

   B.        Etudes de cas ............................................................................................................................. 34

        1.        Préambule ............................................................................................................................. 34

        2.        LILI : Quand les limites du soi rencontrent les limites du soin? ............................................ 35

             a)      Anamnèse.......................................................................................................................... 35

             b)      Son parcours de soin. ........................................................................................................ 36

                                                                                                                                                            iii

                                                                                                                                ROCHET Alexandra
                                                                                                                                 CC BY-NC-ND 2.0
c)      Première rencontre ........................................................................................................... 36

             d)      Première séance. ............................................................................................................... 37

             e)      Absences et attente .......................................................................................................... 40

             f)      Comme une gestation à l’envers ....................................................................................... 44

             g)      Perspectives et réflexions personnelles ............................................................................ 46

        3.        JOANA : .................................................................................................................................. 48

             a)      Anamnèse : ........................................................................................................................ 48

             b)      Suivis .................................................................................................................................. 49

             c)      Première rencontre ........................................................................................................... 50

             d)      Une si bonne élève… ......................................................................................................... 51

             e)      Et si l’on jouait de la défaillance ? ..................................................................................... 55

             f)      Perspectives et réflexions personnelles ............................................................................ 58

        4.        ADELE D’une extrémité à l’autre. ......................................................................................... 61

             a)      Anamnèse.......................................................................................................................... 61

             b)      Le bilan psychomoteur ...................................................................................................... 61

             c)      Prise en charge en psychomotricité .................................................................................. 62

             d)      La première rencontre ...................................................................................................... 62

             e)      La docilité et la tempête, premières séances.................................................................... 63

             f)      Rupture.............................................................................................................................. 64

             g)      D’un service à l’autre… ...................................................................................................... 64

             h)      D’un service à l’autre, dans l’autre sens… ......................................................................... 66

             i)      Rupture.............................................................................................................................. 67

             j)      Prendre ses distances. ....................................................................................................... 68

             k)      D’une institution à l’autre ................................................................................................. 69

             l)      Liens et réflexions personnelles ........................................................................................ 69

IV.    TROISIEME Partie : Quels enseignements pour le contexte de soins et la posture du corps
soignant et plus particulièrement du psychomotricien ? ..................................................................... 72

   A.        Evolution et pronostic ............................................................................................................... 72

                                                                                                                                                              iv

                                                                                                                                  ROCHET Alexandra
                                                                                                                                   CC BY-NC-ND 2.0
B.      Miser sur la multidisciplinarité de l’alliance thérapeutique ..................................................... 73

     C.      Tenir le cadre thérapeutique, une double protection .............................................................. 74

     D.      A. Désamorcer l’hyper-conformité des patientes ..................................................................... 75

     E.      Eviter l’approche trop maternante ........................................................................................... 75

     F.      Oser la défaillance ..................................................................................................................... 76

V.        CONCLUSION ................................................................................................................................. 77

VI.          Bibliographie ............................................................................................................................. 78

     A.      Ouvrages ................................................................................................................................... 78

     B.      Articles....................................................................................................................................... 78

                                                                                                                                                             v

                                                                                                                                ROCHET Alexandra
                                                                                                                                 CC BY-NC-ND 2.0
I.     INTRODUCTION

Mes premières rencontres avec la clinique de l’anorexie mentale m’ont mise face à de
nombreux paradoxes. Les retranscriptions de mes premiers temps d’observation de ces
patientes ressemblaient à des portraits de Francis Bacon. En émergeaient des figures floues,
aux contours et au contenu insaisissables et toutefois indéniablement intenses. Intensité qui
siégeait dans une tension entre des traits extrêmes et souvent diamétralement opposés.

En écoutant les équipes infirmières ou le psychiatre parler de certaines patientes, j’ai perçu le
clivage que les patientes anorexiques pouvaient opérer entre les équipes, tant il me semblait
qu’ils décrivaient une patiente à l’opposé de ce que j’avais pu en observer via les rencontres
en séance de psychomotricité. L’expression la plus manifeste de ce clivage m’apparut
s’incarner dans le déséquilibre et la distension des liens entre corps et psyché, la psyché
orchestrant la tyrannie du corps, devenu matière à vaincre, dominer. Ce que l’œil reçoit
d’emblée, au contact de ces patientes, c’est leur maigreur, qui évoque une négation des
besoins primaires du corps, dont le devenir inquiète, tant il semble négligé. Mais de
négligence, il n’est surtout pas question, car c’est bien vers sa modélisation que se concentrent
toute leur économie psychique et leurs comportements. Fluet par son volume; leur corps est
gigantesque, démesuré, dans leurs préoccupations, et dans l’image qu’elles en ont. La façon
dont elles investissent l’espace semble s’articuler dans une dynamique binaire où
l’hyperactivité et l’immobilité, la rigidité se heurtent sans intermédiaire. Dans leurs regards
l’adhésivité succède à l’évitement. Leurs capacités intellectuelles, de raisonnement, souvent
élevées côtoient des traces infantiles surprenantes qui émaillent leurs attitudes, activités, leur
langage. Leur fragilité, qui semble se révéler dans des attitudes corporelles de retrait, d’auto-
agrippement, une recherche permanente d’étayages humains ou matériels est aussitôt en
tension avec leur volonté de maitrise, d’hyper-contrôle, leur dimension idéaliste,
revendicative. En écho à ces « grands écarts symptomatiques », je me suis sentie écartelée
entre des velléités maternantes, d’enveloppement, de protection de ces patientes si fragiles et
des sursauts de ma fonction paternelle, qui m’ont surpris et qui m’intimaient de décoller,
modérer leur adhésivité au cadre soignant, faire tiers. Prises dans ces mouvements
contradictoires, je me suis demandé comment me positionner face à ces patientes, où me
positionner, comment « être avec » ?

Très vite je me suis posé la question de la mise en lien chez ces patientes qui paraissent
éprouver une grande difficulté à tisser des liens au sein de leur propre enveloppe corporelle,

                                                                                                  1

                                                                               ROCHET Alexandra
                                                                                CC BY-NC-ND 2.0
entre leur corps et leur esprit, par rapport au monde extérieur et par rapport à Autrui.
Rapidement, s’est imposée à moi l’intuition que l’anorexie mentale était une pathologie du
lien qui devait donc appeler le corps soignant à élaborer un cadre suffisamment sécure et
suffisamment étayant à la fois, un cadre qui simultanément contient, rassure et limite.

L’observation et le travail au contact des patientes m’ont montré que le cadre à créer devait
venir les soutenir à rebours de leurs défenses relationnelles qui les conduisent à se réfugier,
par défaut, dans une hyper-conformité adhésive à l’institution, au soignant ou bien à un refus
qui peut prendre la forme d’une rupture de contrat tacite ou explicite. C’est pour éviter aux
patientes de tomber dans ces deux apories relationnelles qu’il me semble important à l’échelle
du soin en psychomotricité comme à celle de l’institution de mettre en place une démarche
équilibrée, entre fonction maternelle et paternelle.

Dans une première partie, je dresserai un tableau clinique de la pathologie anorexique en
creusant notamment cette problématique de l’anorexie comme pathologie du lien et en la
réinscrivant dans la perspective des théories du développement.

La seconde partie sera consacrée à la présentation de ma clinique. Elle s’ouvrira sur la
description de l’institution qui m’a accueillie et sur le programme de travail que j’ai pu mettre
en œuvre et se poursuivra par la présentation de trois études de cas de patientes anorexiques
qui m’ont paru particulièrement représentatives des problématiques théoriques et des
problématiques de soins rencontrées.

En guise d’ouverture, je consacrerai la troisième partie à explorer les implications pratiques
pour le cadre de soin et la position soignante psychomotrice, à l’intersection de la clinique et
de la théorie.

                                                                                                 2

                                                                              ROCHET Alexandra
                                                                               CC BY-NC-ND 2.0
II.        PREMIERE PARTIE : APPROCHE THEORIQUE

      A. TABLEAU CLINIQUE DE L’ANOREXIE MENTALE

         1. Définition , critères diagnostiques et épidémiologie

L’anorexie mentale est une pathologie classée, selon le DSM IV, parmi les troubles des
conduites alimentaires. L’ « anorexie », selon son étymologie - du grec ancien : a-privatif /
orexis : appétit - signifie l’absence, la perte d’appétit. Ce terme employé seul, désigne dans le
vocabulaire médical, un symptôme, qui peut être secondaire à un syndrome non
nécessairement spécifique des troubles des conduites alimentaires, comme une dépression ou
un cancer, par exemple. Le terme « mentale » - « relatif aux fonctions intellectuelles, au
psychisme » - précise l’origine psychique de ce trouble qui, contrairement à la dimension
passive que suggère l’absence, ou la perte d’appétit, se manifeste par une « conduite de
restriction alimentaire active, à forte charge anxieuse »1.C’est un « trouble de la
représentation du corps qui vient objectiver le dysfonctionnement psychique »2.

Pour caractériser cette pathologie avec plus de précision, le DSM IV propose des critères
diagnostiques3 (p.634), comprenant notamment le refus de maintenir un poids corporel au-
dessus du poids minimum considéré normal pour l’âge et la taille, la peur intense de prendre
du poids, une perturbation de l’estimation de son poids ou de la forme de son corps
influençant excessivement l’estime de soi et un déni de la maigreur.

On distingue principalement deux formes cliniques de l’anorexie mentale :
- La forme restrictive dans laquelle la perte de poids est obtenue par une réduction drastique
de la prise alimentaire.
- La forme dite « anorexie/boulimie », dans laquelle la restriction alimentaire est corrélée à la
survenue régulière de crises de boulimie (ingestion excessive d’aliments) associées ou non à
des vomissements provoqués et / ou à la prise abusive de laxatifs.

1
    ANDRE P.,(2006) Psychiatrie de l’adulte, p.119
2
    ANDRE P., BENAVIDES T., GIROMINI F., Corps et psychiatrie, p.105
3
    DSM IV :Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (1996) p. 634

                                                                                                     3

                                                                                  ROCHET Alexandra
                                                                                   CC BY-NC-ND 2.0
Du point de vue épidémiologique, on note une prédominance féminine (environ 90% des
cas), et une survenue de la maladie à la période de l’adolescence ou en début d’âge adulte (15-
25 ans). On reconnait également une dimension sociale à l’anorexie, qui se développe de
manière prépondérante dans les milieux socio-culturels élevés, dans les pays riches et où
l’image de la femme est surexposée et projette sur les jeunes filles nombre d’exigences
inconciliables (idéal de beauté, de minceur, de réussite sociale et personnelle, de sexualité
conquérante, de maternité épanouie...)

         2. Symptomatologie

            a)   La triade : anorexie, amaigrissement, aménorrhée

Le mode d’entrée dans la maladie est généralement progressif, et s’articule autour de
l’installation de trois symptômes majeurs, d’apparition consécutive.
L’anorexie, apparait par voie de conséquence d’une conduite de restriction alimentaire active,
qui va résulter en une diminution, voire une disparition de la sensation de faim. Souvent, c’est
sous la forme d’un banal régime qui, progressivement, se mue en une restriction de plus en
plus sévère que débute la maladie. A travers ce symptôme, la jeune fille anorexique trouve
une résolution à la « double intolérance à son apparence physique et à certaines de ses
sensations corporelles »4, mise en évidence par Brusset. On distingue parfois des évènements
déclencheurs (divorce des parents, déménagement, échec, deuil…).
L’amaigrissement est subséquent à la restriction. Il est généralement rapide, et favorisé par
l’hyperactivité, s’exprimant sur les plans moteurs (pratique sportive intensive) et intellectuels
(surinvestissement scolaire) et parfois par des conduites purgatives (vomissements, laxatifs).
Il peut aller jusqu’à un état de cachexie consistant en un affaiblissement profond de
l’organisme lié à l’état de dénutrition sévère.
L’aménorrhée peut être primaire ou secondaire, selon l’âge de survenue des troubles et se
définit par l’absence d’au moins trois cycles menstruels consécutifs.

            b)   Le chaos du corps.

En période d’état, les perturbations physiologiques sont nombreuses.
On retrouve une hypothermie, en lien avec le ralentissement de la circulation sanguine, une
hypotension et une bradycardie. De nombreuses carences apparaissent, avec notamment une
anémie et une glycémie abaissées. Tous les systèmes du corps sont attaqués. La qualité des

4
    ANDRE P., BENAVIDES T., GIROMINI F., Corps et psychiatrie, p.105

                                                                                                 4

                                                                              ROCHET Alexandra
                                                                               CC BY-NC-ND 2.0
cheveux, des ongles, des dents se dégradent. L’amaigrissement entraine une quasi-disparition
du tissu adipeux, une fonte musculaire conséquente et une fragilisation de la peau ; le risque
de formation d’escarres est important. La fragilisation des os peut entrainer, à l’extrême, des
fractures spontanées et le développement d’une ostéoporose précoce. Des ulcérations peuvent
survenir dans le tube digestif, provoquées par les vomissements dans l’anorexie/boulimie. On
note l’apparition d’un déséquilibre électrolytique pouvant affecter la fonction cardiaque. On
constate également des perturbations endocriniennes. En effet, la privation alimentaire met le
corps en situation de détresse, de manque. De ce fait, il y a une augmentation du stress
physiologique et mental, ce qui entraine une augmentation de la sécrétion de cortisol. Ce
phénomène contribue à la sensation de flottement, de toute-puissance, de maitrise dont
témoignent souvent les patientes anorexiques. Il explique aussi partiellement que la première
partie de l’hospitalisation soit très éprouvante pour les patientes car avec la reprise des kilos,
même très lente, il y a une chute du cortisol, ce qui entraine, dépression, atonie,
dévalorisation…

      3. Symptômes et traits associés

Les patientes anorexiques intellectualisent énormément, séduisent et manipulent leur
interlocuteur par un discours très construit, ce qui explique que la famille met souvent
longtemps avant de réaliser l’ampleur du trouble et s’attarde parfois dans une position de
déni. En revanche, aussi maitrisé soit-il, le discours est totalement alexithymique.
L’alexithymie consiste en un hyper-contrôle de la vie émotionnelle, d’où découle une
pauvreté de la vie fantasmatique. Les patientes présentent une difficulté ou une inaptitude à
identifier et verbaliser leurs sentiments, émotions, leurs éprouvés corporels et à différencier
un état affectif d’une sensation corporelle. Leur vie imaginaire est limitée et leurs pensées,
activités, discours s’orientent vers des préoccupations concrètes, pragmatiques, une gestion
du quotidien opératoire. Les plaintes somatiques deviennent communément l’unique mode
d’expression de leurs difficultés psychiques. Les affects et émotions sont laissés hors
d’atteinte. On perçoit paradoxalement, par-delà la maitrise, la subsistance de traces infantiles
étonnantes et décalées dans leurs activités, leur mode de pensée, qui signent l’immaturité
affective. Si les anorexiques maintiennent une forme d’illusion sociale, en remplissant leur
quotidien d’activités multiples, en présentant un surinvestissement scolaire ou professionnel
et physique, leurs relations aux autres demeurent superficielles. Elles restent « collées » aux

                                                                                                  5

                                                                               ROCHET Alexandra
                                                                                CC BY-NC-ND 2.0
autres dans leur vie sociale évitant ainsi l’échange, la pénétration, que ce soit celle du regard
de l’Autre ou du coït génital. La sexualité génitale est le plus souvent complètement
désinvestie. Elles présentent une hyperperméabilité aux désirs et sentiments des autres, qui
leur permet de s’adapter à l’extrême à leurs besoins, un « sixième sens »5, selon V. Dodin.
Sur le plan psychomoteur, on observe fréquemment des difficultés dans l’expression
mimogestuelle des émotions, elles peinent à transmettre leurs affects et émotions à travers la
mimique faciale ou la gestuelle corporelle ; des troubles de l’image du corps qui se
manifestent dans les dysmorphophobies - perception et représentation erronée de la forme et
du volume de leur corps dans l’espace -                  et dysperceptions - défaut de perception
intéroceptive - ; une hypertonie et des troubles de la régulation tonique ; une difficulté à
investir l’espace et dans la régulation de la distance et de la qualité relationnelle. Tous ces
troubles semblent exprimer une difficulté à éprouver, vivre comme solides leurs limites,
corporelles et psychiques. De plus le clivage psyché-soma, traduit une difficulté psychique à
prendre en compte le corps, dans une dimension à la fois perceptive et représentative.

      B. DE LA FUSION A L’INDIVIDUATION, RAPPEL SUR LES STADES DE
          DEVELOPPEMENT

Comme nous l’avons vu, le symptôme par lequel débute la maladie et qui demeure central
tout au long de son évolution, c’est celui de la restriction alimentaire. Si les réflexes du bébé
lui permettent, dès la naissance, d’endosser avec une certaine autonomie les fonctions
respiratoires et excrétoires, il en est autrement en ce qui concerne la satisfaction de son besoin
primaire d’alimentation. Dès lors intervient la mère, « Le premier job d’une maman, c’est de
son nourrir son enfant », comme le disait une infirmière rencontrée lors de mon stage. Ainsi,
par ce symptôme, la patiente anorexique semble montrer une remise en question, en jeu de ce
lien trophique premier au premier Autre, sa mère, lien matriciel qui précède, modélise et
conditionne tous les autres. L’anorexie semble être une maladie du lien. C’est là où m’ont
emmené mon intuition et mon observation. Dans l’anorexie mentale, les liens intracorporels,
les liens entre le corps et la psyché, les liens familiaux et les liens du sujet avec les autres
semblent distendus, parfois dans le sens d’un éloignement qui tend vers la rupture, parfois
dans le sens d’un rétrécissement qui tend vers la confusion. Dans les deux sens, les liens sont
attaqués, annulés, distendus, déformés. Et l’un des enjeux du soin va être de pouvoir recréer,
recomposer, « faire du lien », trouver, dans le cadre de la prise en charge psychomotrice,

5
    DODIN V., TESTARD M-L, (2004), Comprendre l’anorexie, p.81

                                                                                                   6

                                                                                ROCHET Alexandra
                                                                                 CC BY-NC-ND 2.0
comme dans la perspective plus globale de la prise en charge multidisciplinaire, un
positionnement soignant juste, une voie relationnelle médiane. Je tenterai pour ma part, dans
cette partie, de développer cette idée, en « faisant des liens » avec la théorie…
Voyons d’abord, avant d’évoquer plus avant leurs dysfonctionnements dans le cadre de la
pathologie anorexique, comment ces liens s’élaborent, au cours du développement normal du
sujet.

         1. Le développement psychomoteur : Un chemin de la fusion à la séparation

           a)   Aux prémices de la vie…

…une dialectique entre fusion et séparation, entre identité et distinction est déjà à l’œuvre. La
fusion détermine l’apparition de la vie, fusion des corps, toutefois distincts, dans l’acte
procréateur, hasard de la fusion d’un spermatozoïde et d’un ovule, originellement
différenciés, de laquelle résulte la formation d’une cellule-œuf, qui par sa division permettra
que se développe un embryon. Pendant la grossesse, la fusion des corps est littérale, puisque
le bébé grandit à l’intérieur même du corps de sa mère, prémuni toutefois d’une complète
adhérence à son « organisme-hôte » par le filtre placentaire.

           b)   La naissance…

…constitue une première expérience de rupture accessible au nouveau-né via son système
sensoriel, bien qu’encore immature. Cette rupture se matérialise à travers la séparation des
corps, la section du cordon ombilical et la transition entre deux milieux aux caractéristiques
sensorielles bien différentes. Pour naître, le bébé quitte le milieu liquidien, l’atmosphère
sonore et lumineuse confinée, la contenance de l’enveloppe utérine, ébauche d’un premier
contenant psychique, selon Anzieu, et qui le maintiennent dans une posture d’enroulement
avec un appui dorsal important. Le nouveau-né est confronté à une nécessaire première forme
d’appropriation de la circulation dedans / dehors à travers la part active que doit désormais
prendre son organisme aux fonctions respiratoires, trophiques, excrétoires. La naissance induit
un bouleversement dans ses repères, marqué par le passage vers le milieu aérien, la perte du
contenant utérin qui occasionne l’apparition de l’éprouvé de la pesanteur, la sensation de
chute, source des angoisses archaïques d’annihilation dont parle Winnicott. Meltzer compare
la première rencontre entre le bébé et sa mère à un choc esthétique, origine d’un conflit
primaire que Meltzer met en image par cette question que se « poserait » le bébé :
« l’intérieur de l’objet est-il aussi beau que l’extérieur ? ». Par cette formulation poétique, il
introduit l’idée de l’existence d’une préforme de la pulsion épistémophilique, motion qui relie

                                                                                                  7

                                                                               ROCHET Alexandra
                                                                                CC BY-NC-ND 2.0
le sujet à l’autre et au monde du dehors, via son désir de savoir, sa curiosité. Mais, avant que
le bébé soit à même de percevoir et de parcourir ce chemin qui mène de son monde interne au
monde du dehors, il doit avant tout pouvoir délimiter, ressentir son espace interne comme
différencié de l’espace externe, et c’est sa mère -terme entendu en tant qu’environnement
maternant-, par le biais d’un maternage « suffisamment bon » qui va l’y aider.

            2. Dimensionnalité spatiale et relation à l’objet au cours du développement

Pour Meltzer, le développement de la « dimensionnalité spatiale »6 est un corollaire
indispensable au développement psychique du sujet. Il permet l’accès de l’individu à une
représentation du monde à travers la constitution progressive de ce qu’il nomme la
« géographie du fantasme »7. Ce terme rassemble les divers espaces psychiques qui se
constituent pour le sujet au cours de son développement, conditionnant la formation de son
monde              interne    et     régulant       son       appréhension          du   monde     externe.
Meltzer définit quatre compartiments : l’intérieur du self, l’extérieur du self ; l’intérieur des
objets internes, l’intérieur des objets externes. A mesure que l’individu se structure, dans le
cadre d’un développement normal, ces différents compartiments se définissent, se
différencient et une circulation entre eux advient, sous la forme de phénomènes d’introjection
et de projection. Cette évolution est figurée, dans la conception de Meltzer, par l’accession de
l’individu à des paliers successifs, au cours desquels l’inscription dans et la perception de la
dimensionnalité spatiale se complexifient progressivement.

              a)    Fusion, vécu d’indifférenciation, et unidimensionnalité

Le vécu le plus précoce dans l’évolution de la dimensionnalité spatiale correspond à
l’unidimensionnalité, dans laquelle « .une relation linéaire de distance-temps entre self et
objet produirait un monde qui aurait un centre fixé dans le self et un système de lignes
rayonnantes vers des objets situés dans une direction et à une distance données, objets qui
seraient conçus comme potentiellement attirants ou repoussants »8 Les stimuli sensoriels
successifs rencontrés par le bébé constituent des évènements fortuits, qui ne s’inscrivent pas
dans la mémoire ou la pensée.

6
    GOLSE B., (1985) Le développement intellectuel et affectif de l’enfant, p.120
7
    Ibid.
8
    MELTZER D., (1975) Explorations dans le monde de l’autisme, p.234

                                                                                                            8

                                                                                         ROCHET Alexandra
                                                                                          CC BY-NC-ND 2.0
A ce stade, Winnicott parle d’un état de non intégration primaire, Dedans et dehors, Moi et
non-Moi sont indifférenciés pour le nourrisson. Il n’a pas conscience du rôle de
l’environnement extérieur dans la satisfaction de ses besoins primaires. Le Moi du bébé,
encore immature, va être suppléé par le Moi de sa mère, et s’organiser progressivement en
faisant l’expérience des menaces d’annihilation qui n’entrainent pas l’annihilation et dont il se
remet chaque fois grâce aux soins maternels. A ce stade le bébé et sa mère sont dans une
relation symbiotique, continuité de la fusion gestationnelle. Le mode de relation à l’objet est
celui de l’incorporation et s’organise autour de la sphère orale. Le bébé est totalement
dépendant de sa mère, il est dans une illusion d’omnipotence, pense que tout émane de lui,
que c’est lui qui crée le sein désiré. La mère se fait la complice de cette conception du monde
en s’adaptant de manière quasi-immédiate à ses besoins. La contenance utérine perdue est en
quelque sorte relayée par la préoccupation maternelle primaire, qui consiste en sa nécessité et
sa capacité de s’identifier à son bébé, à entrer en résonnance avec ses besoins, ce qui lui
permet de s’y ajuster au plus près. Le nourrisson développe ainsi une relation primaire au
monde, basée sur le principe de plaisir : son activité psychique est organisée dans le but
d’éviter le déplaisir, lié à l’augmentation de la quantité d’excitations, et procurer le plaisir; lié
à la réduction de celle-ci. Cette économie psychique s’étaye sur ses premiers éprouvés
corporels, qui s’organisent autour d’une alternance d’états de tension et de détente. L’enjeu
pour la mère, va être d’identifier ces états de tension et de permettre au nourrisson, par ses
soins, de trouver une résolution à cette tension. Pour ce faire, selon Winnicott, la mère doit
être à même d’assurer trois fonctions majeures, qui concourent à un bon accompagnement de
l’enfant dans son évolution psychomotrice, et dans l’intégration des stimuli internes et
externes qu’il perçoit. La fonction de handling, correspond à la qualité du portage physique
du bébé et la capacité de la mère à satisfaire ses besoins corporels au plus près (manipulations,
affection, confort, nourriture, sommeil…). La fonction de holding correspond à une
dimension plus psychique du portage, et s’incarne dans la manière qu’a la mère de reconnaitre
les éprouvés du bébé, d’y donner sens et d’y répondre par ses soins, ses bercements, sa
protection, assurant ainsi un rôle de pare-excitation, que le bébé n’est pas encore à même
d’exercer. La fonction d’object presenting, correspond à la façon dont la mère présente
l’objet à son enfant. Pour que l’enfant puisse créer l’objet, l’objet doit être là. Elle correspond
donc en premier lieu à sa capacité à être là, au bon moment, ce qui permet au bébé d’éprouver
l’illusion qu’il crée l’objet. Le bébé peut ainsi ressentir sécurité et apaisement. Suzanne

                                                                                                    9

                                                                                 ROCHET Alexandra
                                                                                  CC BY-NC-ND 2.0
Robert-Ouvray ajoute à ces trois fonctions mises en évidence par Winnicott, la notion de
« holding psychomoteur »9, qui consiste en la nécessité pour la mère d’ajuster son portage en
fonction des différentes étapes de l’organisation tonique et motrice du bébé. Jusqu’aux trois
mois du bébé, il est pour elle primordial de recréer dans le portage la position fœtale
d’enroulement, commune à tous les êtres humains grâce à l’état initial d’hypertonie
segmentaire et d’hypotonie axiale. Toute autre posture entrainera des tensions physiques et
donc psychiques. Elle insiste sur l’importance de l’enroulement de la colonne vertébrale, ainsi
que sur le relâchement de la nuque qui est un gage de confiance et de sérénité du bébé. Ces
gestes élémentaires libèrent l’enfant de ses tensions physiques et permettent par le biais du
vécu d’enroulement corporel d’accéder à l’enroulement psychique, c’est à dire le narcissisme.
L’enroulement incarne une position de protection, un retour sur soi, indispensable pour
supporter les stimulations externes. L’enroulement permet le relâchement musculaire, favorise
l’ajustement tonico-émotionnel avec la mère et permet l’émergence d’une sérénité tonico-
émotionnelle essentielle dans l’intégration des expériences positives. L’enroulement favorise
les sentiments de sécurité et de confiance, bases du narcissisme et des interactions avec
l’environnement. L’auteur souligne l’importance de la triangulation main-yeux-bouche qui
favorise la découverte du corps dans ce schéma d’enroulement et qui collabore au bon
développement psychomoteur. Il faudra par la suite, que l’enfant quitte cet enroulement pour
s’ouvrir à l’environnement extérieur.

           b)   Relation adhésive, identité de surface, et bidimensionnalité

Le passage de l’unidimensionnalité à la bidimensionnalité, ou perception de l’espace en deux
dimensions va s’opérer graduellement en appui sur la répétition des réponses adaptées de la
mère. Les évènements originellement perçus comme fortuits par le bébé se reproduisent, de
telle façon que l'effet de la première centration sur un stimulus se prolonge jusqu'à ce que la
suivante advienne. Une continuité s’établit entre ces centrations successives, les « points-
stimulus » isolés se relient pour former un tissu. De cet effet de centration continue résulte la
sensation de surface à laquelle peut adhérer la psyché. A cette étape, la profondeur,
l’épaisseur, le contenu par-delà la surface ne sont pas perçus par le bébé. Dès lors, le self se
limite également à une surface. La relation à l’objet se fait sur le mode de l’identification
adhésive, ni le self ni l'objet n'ont encore de compartiments internes pouvant contenir des
objets sur lesquels pourrait s'exercer l'identification projective, premier type d'échange

9
    ROBERT OUVRAY S. le holding psychomoteur.

                                                                                                  10

                                                                               ROCHET Alexandra
                                                                                CC BY-NC-ND 2.0
véritable. Le passage à un vécu bidimensionnel marque donc l’émergence d’une identité de
surface. L’Autre n’est plus incorporé par, confondu avec le bébé, il peut lui être accolé. Cette
interface me fait écho à ce qu’Anzieu nomme le fantasme d’une peau commune à la mère et
l’enfant, capable de parer aux excès d’excitation. D’un coté de cette surface, la mère, qui
correspondrait au feuillet externe du moi peau et de l’autre côté, le bébé qui incarnerait le
feuillet interne du moi-peau. Toute rupture de cette continuité menace le bébé de la survenue
d'angoisses archaïques catastrophiques impliquant l’effondrement des surfaces comme la
liquéfaction, l’éclatement… les émotions évacuées par l'adhésivité et l'aplatissement
bidimensionnel restent non transformées, non accessibles à la pensée, telles des " terreurs sans
nom ". Le maintien de cette continuité dépend de la juste rythmicité du maternage. Ce « self-
surface », qui est dans une relation de collage avec « l’objet-surface », est l’ébauche de la
frontière entre le dedans et le dehors du moi et trouve son ancrage corporel dans une relation
de grande proximité des corps, de « peau à peau » entre la mère et l’enfant. Comme le dit
Freud, le Moi est avant tout corporel, ce qui signifie que l’expérience corporelle précède et
conditionne la formation du Moi. En s’appuyant sur l’embryologie, Anzieu note une
homologie structurelle entre la structure de la peau comme organe qui soutient/contient le
corps et celle du cerveau comme structure/contenant de la pensée. Tout deux proviennent de
l’ectoderme. De cette constatation dérive sa théorisation du « Moi-peau », qui serait une
figuration dont se servirait le Moi du bébé pour se représenter comme contenant
d’expériences psychiques à partir de l’expérience de la surface de son corps. La peau
enveloppe le corps, tout comme le Moi-peau tend à envelopper l'appareil psychique. Le Moi-
peau est une interface dedans-dehors, qui fonde la relation contenant-contenu.

        c)   Différenciation, Tridimensionnalité.

Le passage de la bidimensionnalité à la tridimensionnalité va nécessiter un écartement
progressif des deux surfaces ou feuillets de cette peau psychique commune à la mère et
l’enfant. Ce décollage va occasionner pour le bébé des fantasmes d’arrachement dont le
dépassement va lui permettre de se constituer un Moi-peau qui lui est propre. Ce Moi-peau est
à la fois un contenant des pensées, représentations et affects, une frontière délimitant un
espace interne de l’espace externe et une zone d’échange et de communication avec autrui.
Il y a donc émergence de la perception d’un espace interne du self, d’un espace interne de
l'objet et d’un espace externe aux deux précédents. L’accès à la tridimensionnalité permet la

                                                                                                11

                                                                             ROCHET Alexandra
                                                                              CC BY-NC-ND 2.0
naissance de la pensée car l'objet suffisamment séparé pourra être désiré et pris, introjecté
dans le self plutôt que de lui être accolé. Le self pourra contenir l'objet, donc élaborer son
noyau d'identité. De la dépendance absolue, le nourrisson chemine vers une dépendance
relative. Cette transition va se réaliser en appui sur la « défaillance maternelle ». Entre les 4 et
les 12 mois du bébé, la mère va commencer à le « désillusionner », en réduisant
progressivement l’exactitude de son adéquation à la ses demandes. Ce nouvel espace physique
et temporel créé par la « défaillance maternelle », permet à l’enfant d’accéder petit à petit au
principe de réalité. Cette brèche ouverte dans l’unité de son moi provoque un sentiment de
frustration. Pour le résoudre il doit chercher à satisfaire lui-même ses besoins en investissant
cet espace potentiel ou aire intermédiaire d’expérience, laissés vides par le sein de sa mère.
Avec l’apparition de l’attente de la satisfaction, du délai, de l’espace entre, émerge pour le
bébé l’angoisse de perdre l’objet. Quand la toute-puissance, l’omnipotence du bébé vient à
être graduellement contrariée par la défaillance maternelle, le self émergent du bébé trouve la
solution du clivage de l’objet. L’objet maternant étant clivé en deux parties : le mauvais sein
est l’objet absent qui frustre le bébé, qu’il attaque et détruit fantasmatiquement, et qu’il
projette à l’extérieur de lui ; le bon sein correspond à l’objet présent qui satisfait le bébé en
venant résoudre sa tension, qu’il aime et incorpore. En appui sur la progression du processus
de séparation-individuation, ce clivage se réduit. Le bébé réalise que le bon sein et le mauvais
sein sont en fait tout deux inclus dans l’objet total mère et donc que l’objet peut être
simultanément bon et mauvais. C’est l’avènement de « l’ambivalence affective » qui signe
l’entrée dans ce que Mélanie Klein nomme la position dépressive (qui émerge vers 6 mois et
perdure jusqu’aux 12-18 mois du bébé). Le bébé ressent de la culpabilité car il craint
désormais, dans l’attente, que l’objet aimé ne soit absent car il l’a endommagé et détruit. C’est
là encore en appui sur l’expérience répétée qu’il apprendra que l’absence est suivie d’un
retour assuré. Mais pour l’instant, il assimile l’absence passagère à la perte définitive. Il va
alors chercher à réparer l’objet, « endommagé » par ses élans agressifs. Ce moment va
coïncider, sur le plan moteur avec le développement pour l’enfant de ses capacités de
déplacement et de ce fait la possibilité, nouvelle pour lui, de régler sa distance à l’objet, de
s’en rapprocher et de s’en départir. Cette quête de réparation va se matérialiser dans la
maitrise de ses sphincters et dans l’investissement de l’aire intermédiaire avec l’acquisition
d’une créativité grandissante, s’étayant sur ses progrès moteurs. L’enfant va chercher à
atteindre l’objet, les objets, les attraper, les ramasser, construire pour réparer le fantasme
destructeur. Toutes ces expérimentations permettent à l’enfant de passer d’un mode de
relation à l’objet à la manipulation de l’objet. L’accession à sa première possession « non-

                                                                                                   12

                                                                                ROCHET Alexandra
                                                                                 CC BY-NC-ND 2.0
Vous pouvez aussi lire