Dans le labyrinthe de la décision fiscale
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DOSSIER FISCALITÉ Dans le labyrinthe de la décision fiscale MICHEL TALY* B Beaucoup de défauts de notre fiscalité sont dus à la façon dont se préparent et se prennent les décisions : pratique trop timide de la concertation, perfectionnisme des simulations, souci de la présentation politique des mesures, rôle des groupes de pression… Petit voyage aux sources des arbitrages. d’une campagne d’information, plus ou moins importante selon l’ampleur de la réforme. Concertation « amont ». La France ne pratique pas la consul- tation officielle et générale du public sur la base d’un Livre blanc, comme le font par exemple les Britanniques. Lorsque le ministre veut tester les réactions à un projet, son cabinet procède à des consultations officieuses Les analyses de la fiscalité s’inté- Cette plongée dans l’univers (organisations professionnelles, ressent en général au produit fini, technocratique explorera d’abord syndicales, associations…). Pour c’est-à-dire au système fiscal tel le déroulement de la concertation, des projets sensibles, on recourt, qu’il existe, examinant ses qualités avant et après la réforme ; elle soit à la constitution d’une com- et ses défauts, indiquant la voie abordera ensuite la question des mission de sages, soit à un rapport des réformes souhaitables. Le simulations. Enfin, elle tentera commandé à un parlementaire. constat est presque toujours d’élucider la façon dont le sévère à l’égard des décideurs, processus de décision contribue, Les « sages », choisis pour leur réputés manquer du courage en lui-même, à la complexité des compétence, jouissent d’une nécessaire pour prendre les mesures fiscales. grande marge d’initiative dans le décisions qui s’imposent. Pourtant, cadre d’une lettre de mission pour avoir sur les hommes poli- LES LACUNES DE LA généralement assez vague. N’étant tiques, dans ce domaine, tous les CONCERTATION pas saisis d’un projet du gouverne- éléments de jugement (individuel ment, ils élaborent leurs proposi- ou collectif), il est indispensable de se faire une idée des procédures mises en œuvre : comment se L a conception et la mise en œuvre d’une réforme fiscale supposent une concertation en tions à partir de leurs propres idées. L’avantage de cette formule est qu’elle laisse une liberté totale Sociétal prend la décision en matière amont, avant la discussion parle- au gouvernement ; son inconvé- N° 33 fiscale ? Quel lien y a-t-il entre le mentaire, mais aussi une concerta- nient est que la concertation sur le 3e trimestre processus de décision et le résultat tion en aval pour la mise au point projet précis n’a pas eu lieu. 2001 final ? technique. Elles sont suivies, enfin, Le rapport d’un parlementaire ne * Ancien directeur du Service de la législation fiscale. porte pas non plus sur un projet 60
DANS LE LABYRINTHE DE LA DÉCISION FISCALE du gouvernement, mais, en général, En résumé, le ministère de années, un ministre du Logement il présente des pistes précises. l’Economie est plutôt performant annoncer dans une conférence de De plus, comme le parlementaire pour la consultation « aval » et presse un nouveau dispositif en question appartient le plus l’information, et plutôt faible « incitatif » en précisant qu’il n’était souvent à la majorité, il a des pour la concertation « amont » : pas totalement satisfait de l’arbi- liens suffisamment étroits avec en d’autres termes, il est meilleur trage du Premier ministre, et qu’il le cabinet du ministre et l’Admi- dans la mise en œuvre que dans espérait améliorer le dispositif lors nistration pour que son rapport et la préparation politique des de la prochaine Loi de finances, les consultations auxquelles il réformes. Cela tient probablement prenant ainsi le risque de créer procède balisent utilement le au très mauvais dosage entre une réaction d’attentisme parfaite- terrain. Cette procédure permet arbitrage et consensus, dans le ment contre-productive. donc, plus que la précédente, une fonctionnement de la société vraie concertation, mais on peut se française en général et dans le LES EFFETS PERVERS demander pourquoi les gouverne- processus de décision gouverne- DE LA SIMULATION ments n’osent pas aller plus loin, mental en particulier : dès lors que et consulter directement le public sur la base d’un Livre blanc, comme cela se fait dans nombre la meilleure solution est censée provenir d’un arbitrage de l’éche- lon supérieur entre les intérêts L a simulation est, en matière fiscale, la seule forme d’étude d’impact pratiquée en France. de pays. divergents, et non d’une recherche Il en résulte une vision à la fois de consensus entre ces intérêts, réductrice – négligeant les effets Concertation « aval ». Les la discussion en amont est une économiques, elle rend financière- impôts portant sur g ê n e : f a ci lit a n t ment inconcevables certaines les entreprises l’action des groupes réformes audacieuses – et paraly- donnent lieu à une Dans une concertation de pression, elle sante : en se focalisant sur les deuxième concer- nuit à la sérénité transferts de charge, sans valoriser tation, après le informelle, seuls les de l’arbitre (direc- l’intérêt économique de la ré- vote de la réforme, groupes organisés arrivent t e u r, m i n i s t r e , forme, elle oblige à une approche pour la mise en à se faire entendre. Premier ministre) « zéro-perdant » nécessairement place des mesures dans sa recherche coûteuse. décidées : décrets Conséquence : de l’intérêt géné- d’application, la prolifération des ral… De plus, la présentation d’exemples c o m m e n t a i r e s mesures ciblées. concrets « avant/après » (élaborés administratifs Le paradoxe est par le ministère, et largement (« instructions »). que cette méfiance diffusés par la presse) aboutit à Sans enjeux politiques (le texte est à l’égard de l’influence des groupes juger, non pas l’équité de la situation déjà voté), cette concertation de pression aboutit, au contraire, à finale – qui constitue pourtant technique est généralement plutôt survaloriser cette influence. En l’objectif de la réforme –, mais celle satisfaisante : par exemple, de nom- effet, dans une consultation for- de la transition nécessaire pour breux contacts ont eu lieu avec les melle, de type « livre blanc », tout parvenir au résultat souhaité.Ainsi, différentes professions concernées le monde peut s’exprimer. Dans en matière d’impôt sur le revenu, lors de la mise en place de la TVA une concertation informelle beaucoup seront d’accord pour intra-communautaire. « à la française », seuls les groupes dire que notre impôt est trop pro- organisés réussissent à se faire gressif, mais se récrieront devant Communication et information. entendre. Conséquence : la prolifé- une réforme entraînant des allège- Lorsqu’une réforme importante ration des mesures ciblées, ments plus importants en haut de touche un large public, l’adminis- destinées à satisfaire divers l’échelle des revenus qu’en bas, tration est amenée à lancer une intérêts catégoriels. comme le montrent les exemples campagne d’information, qui « avant/après »… mobilise parfois des moyens De plus, le système du « tout importants. Ce fut le cas, par arbitrage » est probablement Par ailleurs, la situation a profon- exemple, auprès des commerçants, pour beaucoup dans l’absence de dément changé depuis vingt ans : Sociétal pour la généralisation de la TVA stabilité de notre législation : l’évolution des matériels informa- N° 33 au commerce de détail, en 1966 ; contrairement à la personne qui tiques a étendu le champ des ou encore auprès des élus locaux, a participé à un accord, celle simulations possibles à coût 3e trimestre à propos du nouveau système de qui a perdu un arbitrage va tenter acceptable : la puissance des 2001 vote des taux des impôts locaux, très vite sa chance une nouvelle ordinateurs de bureau permet de en 1980. fois. On a vu ainsi, il y a quelques travailler de façon souple sans 61
DOSSIER FISCALITÉ utiliser les gros systèmes ; la baisse comme avant. La seule différence de chacun est largement influen- spectaculaire des prix des mé- est que ces variantes sont techni- cée par cet aspect local de la ré- moires a permis d’extraire de quement optimisées, c’est-à-dire forme, ce qui ne facilite pas la re- grands fichiers et de ne pas utiliser sans anomalies. Mais, sur ce point, cherche d’un accord – mais les fichiers opérationnels pour les l’abondance de simulations pousse permet de constater que les cli- simulations ; enfin, la plus grande au perfectionnisme : en effet, on vages transcendent les distinctions souplesse des nouveaux langages s’acharne à gommer une « bosse » politiques traditionnelles… Le mi- de programmation permet de ou un « creux » dans la courbe des nistère de l’Economie en est même réaliser plus vite des « variantes » taux de prélèvement, ne représen- arrivé à trouver normal d’anticiper en fonction des résultats des tant parfois que quelques centaines cette demande, et à constituer premières simulations. de francs, ce qui entraîne une l’échantillon de communes testées complexité supplémentaire. en fonction des intérêts des Cette évolution des moyens n’est membres influents de la commis- pas sans conséquences sur l’orien- Paradoxalement, la plus grande sion saisie du texte ou de la com- tation des décisions, que ce soit facilité à chiffrer ne se traduit pas m i s s i o n pour l’impôt sur le revenu ou pour par une plus grande transparence chargée de faire un rapport. les impôts locaux. du processus de décision : le tri ultérieur qu’elle implique recouvre, A cet égard, les avatars de la taxe L’impôt sur le revenu. Il y a vingt au mieux, des choix implicites qui professionnelle marquent la fin ans, chaque barème était calculé ne sont plus rediscutés, au pire des d’une époque. Pour caricaturer, on « à la main », et le service de la « habiletés » de présentation. est passé de la réforme sans la Législation fiscale simulation à la simulation sans la soumettait tous les Conscients de réforme : tout se passe comme si a n s a u m i n i s t r e Tout se passe comme cette dérive, les nous n’étions capables de faire quatre ou cinq projets si nous n’étions parlementaires ont une réforme qu’à condition d’en assez contrastés pour souhaité disposer ignorer les conséquences ! C’est qu’il fasse son choix. capables de faire une des fichiers pour ainsi qu’a été simulé très large- C o m p t e t e n u d u réforme qu’à condition effectuer leurs ment, sans être appliqué, un projet caractère discontinu de d’en ignorer les propres simula- de taxe départementale sur le ce travail, il pouvait tions. Mais cette revenu. Mieux encore : l’adminis- arriver qu’une anoma- conséquences. demande, qui sup- tration a effectué il y a dix ans un lie concernant un cas posait la duplication énorme travail de révision des particulier passe inaperçue et ne d’un savoir-faire important, n’a pas valeurs locatives, qui est déjà lar- soit pas corrigée. Aujourd’hui, en abouti. Toutefois, les Commissions gement dépassé sans avoir jamais revanche, la Direction de la des finances de chaque assemblée servi. Or, plus on attend, plus les législation fiscale peut simuler peuvent faire chiffrer leurs propres bases actuelles vieillissent, et plus très rapidement une multitude de variantes. les transferts de charge seront variantes, comportant chacune un importants. On peut se demander tableau des montants d’imposition Les impôts locaux. Dans ce si les impôts locaux sont encore en fonction des revenus pour domaine, la simulation d’une réformables. chaque situation familiale, avec réforme est plus complexe, car on une courbe d’évolution du taux ne peut pas travailler sur un COMMENT ON CRÉE moyen d’imposition en fonction échantillon national, mais sur des LA COMPLEXITÉ du revenu pour chaque situation, communes entières. Pour que le et le rendement global corres- pondant pour le Budget. résultat soit fidèle, il faut consti- tuer un échantillon de communes de toutes catégories. Certains I l est de bon ton de considérer que la complexité du système fiscal est due au perfectionnisme Après de nombreux échanges avec vont même jusqu’à exiger la taxa- des fonctionnaires qui le conçoivent. le conseiller technique du ministre, tion « à blanc » de tous les contri- Sans chercher à les exonérer de il n’est pas rare d’arriver à 150 ou buables ! toute responsabilité, il faut bien Sociétal 200 variantes : nous sommes pas- voir que trois types de situation sés de la disette à l’indigestion… Lorsque la simulation porte sur contribuent à la complexité : N° 33 Comment choisir entre toutes ces un échantillon de communes, il 3e trimestre options ? Comme il n’est pas est très tentant pour tout élu – lorsqu’une idée est simple à 2001 question de soumettre tout cela d’en connaître le résultat dans sa exprimer et « porteuse » politi- au ministre, on finit par lui montrer propre commune. Au moment de quement, alors qu’elle est techni- quatre ou cinq options « typées » la discussion et du vote, l’attitude quement difficile à mettre en 62
DANS LE LABYRINTHE DE LA DÉCISION FISCALE œuvre ; une notion à laquelle les syndicats déclaration de revenus près – lorsqu’une partie du dispositif de salariés tenaient beaucoup d’une dizaine de lignes, selon technique n’a pas d’autre but que (alors que techniquement, la CSG l’année de début de l’emprunt), et de permettre une présentation de est un impôt). Lors d’une augmen- les dispositions sur les stock- la mesure ; tation ultérieure, il a été décidé options (elles sont soumises à trois – lorsqu’une réforme ne doit que la part supplémentaire serait régimes différents selon la date porter atteinte à aucune situation déductible, mais que la part exis- d’octroi des options). La solution acquise (il ne doit y avoir que tante resterait non-déductible ! La n’est pas, bien sûr, de renoncer au des gagnants). CSG occupe donc deux lignes sur maintien du régime initial aux les bulletins de paie, son taux de opérations en cours, mais Idée simple,réalisation complexe. 7,5 % se ventilant entre 5,1 % dé- d’assurer une plus grande stabilité Un exemple de ce cas de figure est ductibles et 2,4 % non-déductibles. de la législation. fourni par la taxation à un taux Entre la volonté affirmée de lutter différent des bénéfices distribués contre la complexité et les néces- A l’issue de ce rapide survol, on et des bénéfices réinvestis par les sités de la présentation politique, peut résumer les défauts de notre entreprises : le concept est simple, le choix est clair ! processus de décision en matière il s’énonce facilement, et pourtant fiscale : c’est une mesure qu’il est impossible Un autre cas de figure se présente de mettre en œuvre simplement. lorsque l’effet d’affichage recher- – insuffisance de la concertation en En effet, un bénéfice non distribué ché n’a aucun lien avec la mesure amont des décisions ; une année peut l’être par la suite : fiscale concernée : par exemple, il faut donc le suivre dans le temps, il y a quelques années, tous les – priorité donnée à la présentation et se donner un ordre arbitraire dispositifs d’incitation fiscale pour sur la réalité des dispositifs ; d’imputation des distributions les entreprises, quel que soit le sur les bénéfices des différents domaine , compor taient une – absence de prise en compte exercices. condition liée à l’évolution de de la complexité dans la prise de l’effectif salarié. décision ; Une vraie priorité accordée à la simplicité impliquerait que l’on Il faut enfin mentionner sous la – changements trop fréquents de puisse renoncer à une mesure, même rubrique les mesures prises la législation ; quand on s’aperçoit qu’il est sous la pression de l’émotion impossible de la mettre en œuvre collective, pour montrer que le Trop souvent, la lutte contre la simplement, même si elle est très gouvernement « agit ». Ainsi, dans complexité se borne à une intéressante sur le fond. l’urgence et sous la pression des approche curative (train de médias, on a modifié récemment la mesures de simplification). Pour Complexité et présentation fiscalité des indemnités de licen- être efficace, elle doit être politique. Il arrive qu’une partie ciement, sans réelle discussion de préventive : c’est à tous les stades du dispositif n’ait pas été introduit fond. du processus de décision que la pour son effet technique, mais préférence pour la simplicité doit pour permettre une présentation Complexité et variabilité. prendre le dessus. politique. Deux exemples, pris tous Même si, juridiquement, il serait deux dans la CSG : parfaitement possible de « durcir », Chaque acteur – gouvernement, pour les années futures, le régime parlementaires, médias, représen- – la remise de cotisation forfaitaire fiscal d’une opération déjà tants des contribuables – doit de 42 francs, qui compliquait tant commencée, celle-ci continue admettre que la stabilité du les bulletins de salaires, n’avait pas généralement de bénéficier du système fiscal est préférable à la été décidée pour son effet redis- régime antérieur. Pour peu que le perspective d’octroyer (pour les tributif réel (très faible), mais pour régime ait changé plusieurs fois uns) ou d’arracher (pour les pouvoir dire que le taxe était dans un délai assez bref, il en ré- autres) chaque année une petite progressive. sulte une stratification de régimes amélioration. différents dans laquelle il devient Sociétal – en revanche, la non-déductibilité, difficile de se retrouver. Quant à la vraie réforme en N° 33 qui aurait rendu la taxe effective- profondeur de notre fiscalité, elle ment progressive pour les salariés Deux exemples, entre beaucoup supposerait une préparation et 3e trimestre soumis à l’impôt sur le revenu, a d’autres : l’ancien système de une large consultation en amont. 2001 été écartée pour montrer que la déduction des intérêts d’em- Ce serait la seule façon d’éviter le CSG restait une cotisation sociale, prunts (il y avait sur l’imprimé de double écueil de la discussion dans 63
DOSSIER FISCALITÉ La taxe professionnelle : une erreur «historique» Bien qu’il ait plus de vingt-cinq ans, l’exemple de la Par l’effet du hasard, ce coefficient était pratique- taxe professionnelle (TP) mérite d’être analysé, car ment de 100 (1,4 milliards de francs pour les bases de cette réforme a profondément modifié les relations patente 1975 et 140 milliards de francs prévus pour entre l’Administration fiscale et les « politiques » la TP en 1976). Le coefficient de chaque entreprise (gouvernement et parlementaires). En effet, ces mesurait ce qu’aurait été, à budget constant, derniers ont considéré que l’Administration avait l’évolution de sa cotisation pour un impôt national. non seulement failli techniquement, mais délibéré- Comme le projet initial consistait en une taxe dé- ment privilégié ses propres impératifs de gestion de partementale, cette approximation était acceptable. l’impôt au détriment des objectifs politiques. Il en est résulté deux conséquences durables : Longuement préparé, le projet était déposé le 5 février 1974. Le décès du président Pompidou allait - une réforme institutionnelle : en 1977, le service en empêcher la discussion. Un nouveau projet était de la législation de la Direction générale des impôts déposé le 13 mai 1975. Il différait assez sensiblement devient un service indépendant, directement ratta- du projet initial, sur trois points. ché au ministre, le Service de la législation fiscale (SLF). Pour le ministre des Finances, il s’agit de Le cadre territorial. Ce changement, le plus s’assurer que les conflits d’intérêts entre la politique important, est intervenu avant même le dépôt du fiscale et la gestion de l’impôt remontent jusqu’à lui, projet de 1974, par un amendement parlementaire à au lieu d’être arbitrés par le directeur général des la loi de modernisation de la fiscalité locale. Ce texte Impôts. Le SLF est devenu récemment une direction, se contentait d’indiquer que la taxe professionnelle à nouveau rattachée à la Direction générale des resterait une ressource des communes. Elle serait impôts, mais elle continue de fait à jouir d’une grande donc répartie entre un nombre beaucoup plus autonomie; restreint d’entreprises. C’était un bouleversement complet – mais, persuadée que les parlementaires – une montée en puissance du cabinet du ministre en feraient une condition absolue, l’Administration dans la conception des mesures fiscales. Ce phéno- n’a pas estimé opportun de dramatiser auprès du mène sera encore accentué par l’alternance politique ministre le déséquilibre ainsi créé. de 1981. Les conséquences de ce changement sont faciles à Il est communément admis que les difficultés de mise montrer : en place de la taxe professionnelle sont dues à une erreur technique causée par l’absence de simulation 1er cas : le coefficient de l’entreprise A est de 120, des conséquences de la réforme. La réalité est un peu dans une commune où elle représente 10 % des différente : il y avait bien eu des simulations – certes bases, les autres entreprises ayant un coefficient légères par rapport à ce qui se pratique aujourd’hui, moyen de 50 : le coefficient moyen de la commune mais qui donnaient une idée assez fidèle des trans- est de [(10 x 120) + (90 x 50)]/100, soit 57. Pour ferts de charge prévisibles – mais plusieurs décisions que les ressources communales procurées par la tardives ont bouleversé l’équilibre du projet initial. taxe retrouvent le niveau moyen national (100), l’entreprise A devra subir une augmentation de UNE RÉFORME 120/57 x 100 = 210,5, soit + 110 % (au lieu de + 20 % LONGUEMENT PRÉPARÉE dans un cadre national). C ompte tenu des équipements techniques de l’époque, une taxation « à blanc » de tous les contribuables n’était pas concevable. L’Administration 2ème cas : le coefficient de l’entreprise B est de 300, mais c’est le cas de 95 % des contribuables de la commune (cas réel de Fos, où venaient de se créer Sociétal avait simulé les transferts pour un échantillon de beaucoup d’installations industrielles), et les 5 % N° 33 1 000 contribuables en utilisant une méthode très restants ont un coefficient de 50. Un calcul du 3e trimestre simple : elle avait calculé, par une approche macro- même type que le précédent montre que 2001 économique, le « coefficient de passage » entre les l’augmentation n’est que de + 4 % (au lieu de bases de patente et les bases de la nouvelle taxe. + 200 % dans un cadre national). 64
DANS LE LABYRINTHE DE LA DÉCISION FISCALE De fait, les simulations effectuées dans plusieurs – pour se montrer encore plus favorable aux communes montraient des transferts allant petits commerçants, le gouvernement a souhaité jusqu’à + 400. n’étaler que les hausses et appliquer immédiatement les baisses. Or, dans un impôt de répartition où les Les bases d’imposition. Le projet initial prévoyait contribuables en hausse représentaient l’essentiel de taxer les trois composantes de la valeur des bases, la mesure provoquait automatiquement ajoutée : le bénéfice pour son montant réel, les une hausse des taux d’imposition et vidait amortissements et les frais financiers sous une forme l’étalement de toute efficacité. forfaitaire (16 % des immobilisations) et les salaires (50 % de leur montant hors charges sociales). Par rapport à la valeur ajoutée, qui a été considérée DES CONSÉQUENCES DURABLES depuis comme la base d’imposition la plus accep- table, cette base initiale était donc déjà favorable à la composante salaires. Mais le souci de protéger les A u total, pour d’excellentes raisons, le gouverne- ment a pris des décisions qui aggravaient les transferts de charge, qu’il avait par ailleurs sous- industries de main-d’œuvre a poussé la part des estimés. De son côté, l’Administration a laissé faire – salaires à la baisse : de 50 % dans le projet de 1974 alors qu’elle aurait pu dramatiser pour emporter la on est passé à 25 % dans celui de 1975, puis à 20 % décision – pour deux raisons : dans le texte définitif, et ultérieurement à 18 %, en attendant la disparition totale de cette composante. – elle souhaitait la réforme, à la fois parce que la Ce qui a entraîné – puisqu’il s’agit d’un impôt de patente devenait ingérable et parce que les relations répartition – un important transfert de charge sur avec la mouvance CID-UNATI étaient préoccupantes ; les industries utilisant beaucoup de matériels. – elle sous-estimait le caractère insupportable des D’autre part, les simulations ayant montré une baisse hausses : connaissant mal le monde de l’entreprise, insuffisante pour les entrepreneurs individuels, le les fonctionnaires n’ont pris en considération que le projet de 1975 a retiré le bénéfice des bases.Voulue niveau absolu d’imposition – souvent, les hausses par le gouvernement pour des raisons politiques de 300 ou 400 % portaient sur des patentes très (la réforme de la TP visait largement à calmer les faibles – et n’ont pas senti que la variation d’une « poujadistes » du CID-UNATI) , cette disparition du année sur l’autre est un paramètre important dans bénéfice a été aussi soutenue par la Direction la gestion à court terme, lorsque la concurrence générale des impôts, qui craignait que la taxation du est rude. Ils n’ont pas anticipé non plus le fait que, bénéfice à la TP ne rende plus difficile la négociation par principe, une hausse de 400 % allait être des forfaits pour l’impôt sur le revenu. Cette mesure considérée par les hommes politiques et les médias a eu deux conséquences : une aggravation des trans- comme une aberration, quel que soit le niveau de ferts, surtout au détriment des industriels présents départ. dans des petites communes, et une aggravation de la charge des entreprises déficitaires, qui ont eu Il faut dire enfin que bien des problèmes de l’époque évidemment plus de mal à y faire face. étaient insolubles parce qu’il fallait rester dans un jeu à somme nulle, sans que l’Etat mette un sou. Les mesures transitoires. L’Administration avait Ce n’est qu’après la « catastrophe » de fin 1976 l’intention de proposer le même mécanisme que que le Budget a ouvert sa cassette. pour la taxe d’habitation en 1974 : un étalement des hausses et des baisses sur cinq ans. Le mécanisme Il reste que cette triste aventure a laissé des traces finalement retenu a été assez différent : durables : – pour que les deux étalements (taxe d’habitation – l’Administration a beaucoup perdu de sa crédibilité et taxe professionnelle) se terminent en même auprès des gouvernements et des parlementaires, ce temps en 1978, le gouvernement a souhaité qui a aggravé le glissement d’influence des directions raccourcir celui de la TP à trois ans. Bien que vers les cabinets des ministres ; consciente des problèmes de transfert de charge, – en matière de fiscalité locale, une bonne réforme Sociétal l’Administration n’a pas protesté car elle pensait est devenue une réforme sans transferts de charge, N° 33 déjà au coup suivant : le vote d’un taux unique ce qui explique l’immobilisme actuel ; pour tous les impôts locaux dès 1978, qui – l’Etat est devenu le plus gros contribuable local, au 3e trimestre supposait que les dispositifs transitoires soient travers de tous les mécanismes de prise en charge 2001 achevés ; qui se sont empilés. M.T. 65
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