Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d'engagement des jeunes altermondialistes From black blocks to alter-activists. Centres of ...
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Document généré le 28 fév. 2021 00:44 Lien social et Politiques Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d’engagement des jeunes altermondialistes From black blocks to alter-activists. Centres of action and forms of engagement of young alter-globalisation activists Geoffrey Pleyers Engagement social et politique dans le parcours de vie Résumé de l'article Numéro 51, printemps 2004 Massivement impliqués dans les mobilisations altermondialistes, les jeunes n’ont pas pour autant renoncé à leur profond désenchantement à l’égard des URI : https://id.erudit.org/iderudit/008875ar structures et acteurs traditionnels de la vie sociale et politique, ni à leur DOI : https://doi.org/10.7202/008875ar individuation. C’est au contraire sur ces bases et en s’appuyant sur leur adaptation à la société informationnelle qu’ils créent progressivement de nouvelles cultures de l’engagement et des visions différentes du politique. À Aller au sommaire du numéro partir d’une recherche réalisée en Europe et en Amérique latine, cet article tente dans un premier temps de dégager différents pôles parmi ces jeunes altermondialistes. Il se penche ensuite sur les formes d’engagement Éditeur(s) privilégiées, avant d’analyser les conceptions du politique. Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (imprimé) 1703-9665 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Pleyers, G. (2004). Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d’engagement des jeunes altermondialistes. Lien social et Politiques, (51), 123–134. https://doi.org/10.7202/008875ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2003 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d’engagement des jeunes altermondialistes Geoffrey Pleyers Dans un contexte marqué par un Chacune des étapes de l’altermon- huit entretiens semi-directifs avec des profond désenchantement des jeunes dialisation a profondément marqué jeunes impliqués à différents degrés, face aux formes, institutions et le parcours de vie de ses participants auxquels il faut ajouter de très nom- acteurs traditionnels de la politique et, au-delà, toute une génération 1 de † breuses conversations plus infor- (CEC, 2003; Lauritzen et al., 2004) jeunes protestataires. melles qui ont permis d’accéder à des et de l’engagement qui y correspond, informations différentes de celles Plutôt qu’un désintérêt des jeunes une nouvelle vague de mobilisations livrées lors de l’interview face au pour la politique au sens large du sociales a surgi avec le mouvement sociologue. Depuis 1999, ces maté- terme, ces mobilisations récentes altermondialiste. Si les jeunes votent riaux empiriques ont été récoltés lors nous invitent à faire l’hypothèse d’un de moins en moins et ont perdu une des principales mobilisations alter- rejet de la manière dont s’organisent partie de leur confiance dans les ins- aujourd’hui la vie politique et les mondialistes internationales telles que titutions démocratiques tradition- acteurs sociaux, combiné à un regain les contre-sommets ou les forums nelles (Norris, 2003; Galland et d’intérêt pour la chose publique et à sociaux, mais aussi auprès de divers Roudet, 2001), ils remplissent les une volonté de « faire de la politique † groupes locaux, parfois suivis pen- rues de Seattle et de Gènes, détrui- autrement ». † dant plusieurs années. Les méthodes sent les murs de l’ALCA et de l’OMC à Québec et à Cancún, se qualitatives ont cependant leurs Afin d’approcher les formes d’en- rencontrent dans leurs sommets et gagement souvent très informelles limites. Si les attitudes et les propos contre-sommets à Porto Alegre ou à des altermondialistes de moins de 25 décrits dans ce texte correspondent à Paris, campent sous le chaud soleil ans 2, cette recherche se base sur des † une partie importante des jeunes de Thessalonique et du Larzac, occu- méthodes qualitatives 3, privilégiant † altermondialistes, il faut se garder de pent des maisons ou des églises pour quatre types de matériaux : l’analyse † toute généralisation excessive. La soutenir sans-abris et sans-papiers à de documents; l’observation d’actions catégorie à laquelle il est fait réfé- Buenos Aires et à Séville, organisent et de plus d’une centaine de réunions rence est en effet tellement hétéroclite des protestations contre la guerre ou de mouvements ou de coordinations que l’usage même du terme « jeunes † face aux sommets européens… de jeunes altermondialistes; quarante- altermondialistes » ne peut se justifier † Lien social et Politiques – RIAC, 51, Engagement social et politique dans le parcours de vie. Printemps 2004, pages 123 à 134.
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 51 grande au sein des jeunes altermon- Les jeunes des banlieues dialistes, depuis ceux qui sont Des black blocks aux alter-activistes : Paradoxalement, les populations pôles et formes d’engagement des jeunes proches des ONG aux multiples les plus démunies sont peu présentes altermondialistes composantes des black blocks. Sans au sein de ce mouvement qui prétention à l’exhaustivité, six pôles 5 † demande davantage de justice de jeunes militants impliqués à diffé- sociale. C’est notamment le cas des rents degrés dans l’altermondialisa- jeunes des banlieues populaires ou tion peuvent être distingués. d’origine immigrée. Certes, ces der- Les jeunes des syndicats, des ONG niers s’impliquent dans certaines et des associations mobilisations aux côtés des altermon- dialistes, comme ce fut le cas lors des 124 Au travers des associations, syndi- manifestations contre la guerre en cats et ONG 6 ou de leurs sections † Irak ou pour soutenir la cause palesti- « jeunes », de nombreux jeunes parti- † † nienne. Néanmoins, peu de rappro- que par un souci de commodité et de cipent aux grands événements alter- chements significatifs s’opèrent entre facilitation de la lecture de ce texte. mondialistes et à leur préparation. eux. La manière de s’engager, le rap- Certains militent de façon plutôt port au politique et la vision de la Outre les quatre premiers forums classique alors que d’autres se distin- société varient d’ailleurs fortement sociaux mondiaux et les grands ras- guent en apportant « une touche de en fonction de l’origine sociale et de semblements internationaux, ces † fraîcheur et de nouvelles manières de la formation (Galand, 2000; Muxel, recherches ont été principalement s’engager 7 ». Nettement moins cri- 2001 : 46; Bréchon, 2001). De ce † menées en France, en Belgique et au † † tiques à l’égard des associations et point de vue, les jeunes plus défavo- Mexique, mais aussi en Argentine, du mouvement dans son ensemble, risés sont très différents des étudiants en Espagne et au Nicaragua. Les qui constituent la majeure partie des conditions de vie, la culture, la ces jeunes militants sont aussi géné- troupes de jeunes altermondialistes. manière de s’engager et la mouvance ralement moins novateurs que altermondialiste varient évidemment d’autres pôles altermondialistes. Les organisateurs des forums d’un pays à l’autre et même d’une sociaux mondiaux ou européens ren- ville à l’autre. Cependant, les jeunes À l’intérieur de ces associations contrent tous des difficultés pour altermondialistes d’Amérique latine ou au sein des réseaux altermondia- intégrer les jeunes défavorisés de et leurs homologues européens se listes, les jeunes sont constamment leurs pays. Des efforts en ce sens ont reconnaissent dans un même mouve- amenés à collaborer avec d’autres été réalisés en 2003, mais la présence ment. Au-delà de leurs différences, générations de militants. Au-delà de de quelques jeunes des banlieues ils partagent certaines références la méfiance et des tensions que peut françaises ou des favelas brési- communes, une opposition à la mon- générer le passage de témoin d’une liennes n’a souvent fait qu’illustrer dialisation libérale et une volonté de génération à l’autre, le mouvement toute la distance entre ces acteurs et développer de nouvelles formes altermondialiste parvient souvent à les principales instances altermon- d’engagement parfois étonnamment favoriser une collaboration qui per- dialistes, dont la majorité des mili- similaires 4. Pour ces raisons et mal- † met d’allier le dynamisme de la jeu- tants est issue de la classe moyenne gré leur grande diversité, il nous a nesse à l’expérience des militants de intellectuelle. Les piqueteros argen- semblé intéressant de regrouper leurs longue date. Elle encourage les plus tins montrent cependant que lorsque propos et leurs actes dans un même jeunes à apprendre au contact de le mouvement altermondialiste par- texte. leurs aînés et les plus anciens à voir vient à sensibiliser les jeunes des dans la créativité et les innovations couches défavorisées, ils lui appor- La diversité des jeunes des nouveaux militants des exemples tent un grand dynamisme. altermondialistes à suivre, quitte à être parfois bouscu- Les jeunes « révolutionnaires » La « jeunesse » représentant une † † lés. Cependant, bien des associations catégorie extrêmement hétérogène éprouvent des difficultés à intégrer De nombreux jeunes altermondia- (Bourdieu, 1987), la diversité est les jeunes dans leur démarche. listes sont attirés par des partis et
groupes d’extrême gauche. Parmi sité nationale du Mexique nous a Les black blocks eux, il faut distinguer plusieurs caté- fourni un exemple de ce mélange gories. Certains partis de cette ten- dans lequel des pratiques plus L’appellation « black block » se † † dance se sont impliqués dans le réfère aux groupes extrêmement anciennes ont progressivement pris mouvement dès son origine et ont hétérogènes de jeunes qui se mas- le dessus 11. † quent le visage lors des manifesta- contribué à son développement, Les libertaires tions et dont une partie occasionne comme c’est le cas pour diverses sec- des dégâts matériels. S’il est impos- tions de l’internationale trotskiste ou Une autre partie importante des sible d’en dresser une liste exhaus- du Socialist Workers’ Party au jeunes contestataires a rejoint les tive, il peut être utile d’en distinguer Royaume-Uni. De nombreux jeunes mouvements libertaires. Ils sont trois grandes composantes. La pre- les ont rejoints suite à la nouvelle généralement extrêmement critiques mière est constituée de jeunes peu ou vague de mobilisation altermondia- à l’égard des leaders altermondia- pas politisés avant tout attirés par la liste 8. Parmi eux, certains sont éga- † listes et de l’organisation — jugée 125 perspective d’actions violentes. lement proches du pôle des très bureaucratique — des associa- Ainsi, selon une enquête de la police alter-activistes décrit ci-dessous. Par tions principales ou de ces « réunions † de Cancún, 95 % des dégâts relevés † ailleurs, de nombreux jeunes sont atti- au bout du monde dont il ne ressort lors de la manifestation contre la rés par différents penseurs liés à l’ex- finalement pas grand chose 12 ». † † réunion de l’OMC en 2003 étaient le trême gauche, comme en témoigne le Certains d’entre eux ignorent ces fait de jeunes locaux sans liens réels succès d’A. Negri lors des forums grands événements 13, préférant † avec les manifestants 15. Perpétrant † altermondialistes. mener des actions concrètes au des actes dépourvus de portée poli- D’autres jeunes révolutionnaires niveau local. Les jeunes libertaires tique et ne se souciant guère de la ont rejoint des partis et groupes aux refusent ainsi de participer aux sécurité des manifestants, ces jeunes pratiques anciennes, souvent forums sociaux, qu’ils estiment attirent souvent la répression poli- archaïques, attirés par un discours « contrôlés par une majorité de mili- † cière sur la foule au sein de laquelle clair et radical, une vision simplifiée tant(e)s salarié(e)s travaillant pour ils se réfugient. du monde et des enjeux du mouve- des ONG, elles-mêmes subsidiées Une autre frange des black blocks ment ainsi que des stratégies pédago- par les pouvoirs publics nationaux et mène des actions violentes en s’atta- giques douteuses ou des techniques européens. C’est le moyen par lequel quant parfois aux forces de l’ordre et de racolage bien rodées 9. Insistant sur † la classe politique va tenter de contrô- en créant des « zones autonomes † l’importance des « masses » défavori- † † ler et d’annihiler ce mouvement anticapitalistes » dans lesquelles elle † sées, peu présentes au sein du mouve- alter/antimondialiste ». Ils lancent dès † détruit les symboles du capitalisme ment altermondialiste, des discours lors l’appel « Abandonnez le FSE, † et de la consommation de luxe, sans parfois totalitaires 10 continuent à atti- † ATTAC et autres ONG : préparez plu- † jamais s’en prendre aux personnes. rer certains jeunes. Mais souvent, ces tôt la révolution dans votre rue 14 » et † † Contrairement au premier groupe, associations sont les seules à porter un organisent des « forums sociaux † ces jeunes, souvent proches des ten- réel intérêt aux jeunes et à s’adresser libertaires » en marge de ceux de † dances libertaires, sont hautement directement à eux. Dans d’autres cas, Paris ou de Porto Alegre et des « vil- † politisés. Alors que les journalistes et les jeunes eux-mêmes fondent des lages anticapitalistes » comme celui † certains leaders de mouvements associations basées sur des pratiques contre le sommet du G8 d’Évian. sociaux se sont focalisés sur cette semblables. Ainsi, un groupe de question de la violence, elle est Des divergences existent bien jeunes tente régulièrement de noyau- demeurée secondaire pour la plupart entendu entre ces libertaires et ter différents collectifs parisiens par des jeunes militants 16. Depuis Gènes, † d’autres catégories de jeunes plus de vieilles techniques d’entrisme. la violence lors des mobilisations intégrées dans la mouvance altermon- altermondialistes a d’ailleurs très Il faut ajouter qu’il n’existe pas de dialiste. Cependant, bien qu’elles nettement diminué. formes pures d’engagement. Ancien- soient rarement revendiquées, les pra- nes et nouvelles pratiques se mêlent tiques libertaires sont très prisées par Enfin, une troisième composante dans chacun des mouvements de les jeunes altermondialistes, bien au- est constituée de jeunes déterminés à jeunes. La grande grève de l’Univer- delà des groupes anarchistes. pénétrer dans les zones prohibées
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 51 Basé sur l’individuation, les réseaux leurs critiques sur les événements et fluides et les groupes d’affinité, l’en- mouvements altermondialistes les Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d’engagement des jeunes gagement de ces jeunes se distancie plus médiatisés et les plus institu- altermondialistes des organisations sociales tradition- tionnalisés. Malgré leurs efforts, nelles. Le village intergalactique d’É- rares sont les associations d’adultes vian et l’espace désobéissant du qui parviennent à intégrer réellement Forum social européen de Paris ont les jeunes, comme l’illustre le cas dès lors été déclarés « “No Logo” † d’ATTAC-France. Peu nombreux (c’est-à-dire pas de course à l’accro- dans l’association 22, les jeunes sont † chage de banderoles, de distributions très critiques face à ses problèmes de de tracts, d’affiches d’organisa- démocratie interne et à sa hiérarchie tion) » 19. Les critiques d’abord adres- † † parisienne. Au niveau local, la plu- 126 sées aux marques commerciales part des comités belges ou français (Klein, 2000) s’étendent désormais ne rencontrent pas davantage de suc- aux acteurs sociaux traditionnels. En cès auprès des jeunes. lors des sommets internationaux marge des forums mondiaux ou euro- mais ne cherchant pas forcément la La majorité des jeunes altermon- péens et des réunions des instances confrontation. Souvent liés aux dialistes témoignent d’une grande politiques internationales, ces jeunes médias alternatifs et parfois proches méfiance à l’égard des appareils des organisent leurs propres espaces de du pôle des alter-activistes, ces mouvements sociaux traditionnels et rencontre, de discussion et d’action. jeunes ont par exemple permis le de l’engagement qui y correspond. Ils succès de la manifestation contre Les jeunes alter-activistes se trou- rejettent par exemple le bureaucra- l’OMC de Cancún. L’excellente vent imbriqués dans de vastes tisme d’associations comme ATTAC organisation de ces deux dernières réseaux de groupes restreints aux et tout encadrement partisan qui réduit composantes, basée sur la fluidité et objectifs précis, tels que la lutte la dynamique collective 23. Ils repro- † l’éphémère mais aussi sur des contre la publicité ou la mobilisation chent aux « professionnels des ONG † groupes d’affinités plus durables, contre la guerre dans un lycée. Leur et de la militance » de « voyager d’un † † leur permet de s’adapter rapidement attitude de participation critique aux coin à l’autre de la planète pour aux situations les plus périlleuses. événements altermondialistes rend suivre leurs forums et de s’éloigner ces alter-activistes particulièrement de ce qui se passe localement 24 ». Les « alter-activistes » † † innovants. Ce sont essentiellement Suite aux modes d’engagement diffé- Également hétérogène, le dernier — mais pas uniquement — leurs rents mis en œuvre, une méfiance pôle regroupe des jeunes profondé- formes d’engagement qui sont analy- réciproque s’installe souvent entre ment marqués par le mouvement et sées dans la seconde partie de cet jeunes et associations altermondia- les grands rassemblements altermon- article, même si la plupart d’entre listes, comme l’illustrent le débat dialistes, mais qui en contestent elles correspondent également à autour de la violence d’un côté et la cependant les formes d’organisation. d’autres pôles, particulièrement celui méfiance parfois démesurée face à Si les forums sociaux constituent des jeunes libertaires, ou à certaines toute forme d’institutionnalisation de pour eux des références importantes, composantes des black blocks. l’autre. Le désenchantement à l’égard ils entendent garder « un pied dedans † des organisations et des pratiques tra- et un pied dehors 17 » et demeurer cri- De nouvelles formes † † d’engagement 20 ditionnelles de l’engagement est tel tiques face à ces événements : « Nous, † † qu’une partie importante des jeunes de les jeunes, nous sommes allés à ce Un rejet de l’engagement différents pays refusent aujourd’hui le Forum de Quito pour donner une traditionnel terme de « militants », lui préférant † † impulsion différente et le tourner celui de « citoyens » ou d’« activistes ». † † † davantage vers l’action. Parce que les Après avoir désaffecté les partis forums s’en tiennent d’habitude à la politiques (Hooghe, 2003) et les syn- Malgré les difficultés, de nom- discussion, à la création théorique dicats traditionnels (Serano et al., breux militants soulignent constam- d’un autre monde, mais ne font pas 2000; ESYN, 1999), les jeunes alter- ment l’importance de l’intégration de grand-chose dans la pratique 18 ». † † mondialistes 21 portent aujourd’hui † la jeunesse dans le mouvement. S’ils
se heurtent parfois à un manque de point de cartes de membre ou d’obli- affrontement, les manifestants de volonté du côté des jeunes ou à des gations pour les militants. C’est le Cancún ont entamé une farandole sur incompréhensions mutuelles, des pro- règne de l’engagement par projet, une musique qui mélangeait les grès considérables ont été réalisés qui privilégie les mobilisations ponc- styles latinos, nord-américains et dans ce domaine, comme en témoigne tuelles sur des objectifs limités : cha- † coréens. l’évolution des forums sociaux mon- cun s’engage à coopérer pour un diaux successifs 25. Le Forum euro- † projet bien précis qui peut aller de Au-delà des aspirations à une péen de Florence fut quant à lui l’organisation d’une série de confé- société différente, les grandes mobi- marqué par une participation des rences à une action contre la publi- lisations sont marquées par le bon- jeunes extrêmement forte et enthou- cité ou à la mise en place d’un heur d’être ensemble, de se trouver siaste. Pourtant, ceux-ci ont brillé par collectif anti-guerre dans un lycée. « là où ça se passe ». Ainsi, le zapa- † † leur absence lors des réunions prépa- Face à certains problèmes, des coor- tisme a été l’occasion de nombreux ratoires. Au niveau des mobilisations, dinations se créent et disparaissent rassemblements et mobilisations de 127 cette collaboration est plus rare. Elle aussitôt que la situation a été résolue. jeunes du Mexique, pour lesquels il s’est cependant illustrée lors des Cette fluidité et l’absence d’exigence ne s’agit « pas seulement ni principa- † manifestations de Cancún, dont les d’engagement à long terme corres- lement de soutenir le zapatisme, actions ont été préparées et menées pondent particulièrement aux aléas mais d’en être, d’être de la fête » 32. Si † † conjointement par de jeunes de la vie de jeune et d’étudiant. la logique du projet préside aux mou- Mexicains, divers groupes de black vements de jeunes et à la préparation Que ce soit dans un projet ou une des mobilisations, les événements blocks, des paysans et des militants mouvance éphémère ou au sein d’un eux-mêmes se vivent au coup par coréens. mouvement plus structuré, les jeunes coup comme autant d’aventures col- Un engagement plus individualisé militants s’engagent souvent sur la lectives, répondant à un appétit pro- base de groupes d’affinités 28. La † fond d’expériences vécues et à un Dépassant la dénonciation des nature de ceux-ci est très diverse : † culte de l’instantané. acteurs traditionnels, les jeunes alter- groupes d’amis, militants d’une activistes proposent des modes alterna- même section locale, groupes de Les jeunes alter-activistes comme tifs d’engagement et de participation jeunes plus anxieux ou au contraire les blacks blocks s’inscrivent particu- plus individualisés et éphémères. La avides d’action… Pour tous, la lièrement dans les logiques de la délégation et l’institutionnalisation des socialité, la joie d’être ensemble et flexibilité, de la coordination de associations sont par exemple massi- l’amitié sont des éléments fonda- groupes disparates et de l’informel vement refusées par ces jeunes mentaux de l’engagement 29. Le † propres à la société informationnelle même si, dans la pratique, il n’est pas caractère festif des mobilisations est (Castells, 1998 et 1999). Ils se révè- toujours possible de s’en passer. dès lors particulièrement important lent soucieux de leur autonomie per- Chacun s’affirme avant tout comme aux yeux de ces jeunes qui rivalisent sonnelle et affirment un certain un individu : « Je suis un individu et † † de créativité, car aujourd’hui, « résis- † individualisme compatible avec l’en- je ne veux pas m’encarter ! » 26 et pré- † † † ter, c’est créer 30 » : marionnettes † † † gagement collectif (Wieviorka, 1998 : † fère dès lors participer aux actions ou géantes en Australie, concert ambu- 40) 33 : « Individualiste, ce n’est pas † † † même à l’organisation de celles-ci en lant de percussions à Gand, fanfares mal ! C’est le respect de l’individu. Il † tant qu’« électron libre » 27, c’est-à- † † † à Seattle, théâtre de rue à Séville… est fondamental que chacun puisse dire comme un individu gardant ses Désormais, il ne s’agit plus de résis- vivre selon le mode de vie qu’il choi- distances par rapport à toute asso- ter coûte que coûte en acceptant les sit. Ce n’est pas forcément centré sur ciation mais se réservant le droit sacrifices qui découlent d’une atti- soi comme l’égoïsme 34 ». Dans le † † d’interagir comme bon lui semble tude d’opposition à la société 31. On † réseau de mouvements, chacun avec les groupes et les organisations s’amuse en résistant et chaque mani- trouve un engagement adapté à ses qui lui paraissent temporairement festation devient une fête, parfois spécificités, mettant en œuvre les mieux correspondre à ses idées et au même une soirée dansante ! Après † caractéristiques individuelles selon le type d’actions qu’il entend mener. avoir détruit les barrières qui les modèle de l’engagement distancié Dès lors, dans les mouvements orga- séparaient des forces de l’ordre et (Ion, 1997). Ces formes de participa- nisés par les jeunes alter-activistes, plutôt que de se lancer dans un tion particulièrement prisées par les
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 51 mère, les mouvements des jeunes exemple vu le jour dans le cadre d’un alter-activistes cessent d’être homo- projet précis auquel ils n’étaient pas Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d’engagement des jeunes gènes et obéissent aux flux des destinés à survivre. Resistancia glo- altermondialistes réseaux. Les multiples associations et bal (Barcelone), VAMOS (Paris) et groupements s’entrecroisent, se font GAS 9 36 (Mexico) ont surgi en marge † et se défont au gré des circonstances. de l’organisation du voyage vers une Cependant, le fait qu’une association manifestation altermondialiste. Ces plus durable n’existe pas au niveau réseaux plutôt informels ont ensuite international et existe rarement au été remis à contribution et ont pro- niveau national pose un problème en gressivement diversifié leurs activités matière de représentation des jeunes avant d’entrer en contact avec et de prise en compte de leurs aspira- diverses associations nationales et 128 tions dans les différents organes du internationales. Aujourd’hui dis- mouvement altermondialiste. soute, Resistencia global, dont le lea- étudiants demandent cependant de Malgré les difficultés, certaines der avait 24 ans, est rapidement nombreuses ressources individuelles associations de jeunes alter-activistes devenue le centre de la mouvance et un niveau élevé d’analyse, d’initia- voient le jour autour de projets pré- altermondialiste de Barcelone et était tive personnelle et de compréhension cis. Elles sont souvent plus fluides à la base de la contestation contre le de la situation. que celles des adultes et favorisent sommet de la Banque mondiale en l’autogestion, une participation juin 2001 puis de manifestations Les centres d’intérêts de ces active du plus grand nombre et l’au- ayant rassemblé 350 000 personnes jeunes sont généralement bien diffé- tonomie des militants. « Simples en mars 2002. Organisé en un réseau rents de ceux des autres altermondia- † individus » et représentants d’asso- très fonctionnel basé sur des actions listes. Davantage tournés vers † l’action, ils manifestent par exemple ciations se mêlent dans les réunions ciblées, la répartition des tâches, les peu d’enthousiasme pour participer ordinaires ou de coordination d’un groupes de travail et une participation aux longues négociations menant à la réseau dans lesquelles les décisions individualisée, VAMOS a quant à lui rédaction de déclarations ou de se prennent au consensus. Si rien ne joué un rôle important dans les mobi- plates-formes et sont souvent volon- remplace les réunions et le contact lisations contre la guerre en Irak et fut taires pour s’échapper d’un forum réel, les sites Internet et les listes de le fer de lance d’un village autogéré social mondial ou continental pour courrier électronique jouent souvent autour du sommet du G8 d’Évian participer à une occupation d’im- un rôle important dans leur organisa- puis d’un espace du même type au meuble ou à la destruction d’un tion ainsi que pour tisser des réseaux Forum social européen. Les jeunes champ d’OGM. La non-violence à l’étranger. Comme l’illustrent les Mexicains de GAS 9 espéraient de active est un mode d’action difficile cas italiens et argentins, l’organisa- leur côté faire des mobilisations de et particulièrement prisé par de nom- tion en réseau du mouvement est par- Cancún un « trampoline pour † breux jeunes 35, dont un nombre crois- † ticulièrement chère à de nombreux réveiller les jeunes et les mouve- sant s’affirment « désobéissants ». † † jeunes militants. Elle permet aux ments sociaux face aux problèmes de Sans recourir à la violence et en ayant acteurs de s’unir tout en préservant la globalisation 37 ». Au niveau inter- † † pour seule arme leur corps, les mani- les spécificités de chacun (Wahl, national, le Réseau de résistance glo- festants tentent par exemple de péné- 1997) et représente une alternative à bale fut lancé lors du camp des jeunes trer dans la zone interdite lors des la formation de mouvements plus du troisième Forum social mondial et sommets internationaux ou de blo- structurés et à l’institutionnalisation. renforcé l’année suivante à Bombay. quer les routes qui y mènent. La manière dont émergent les Il rassemble désormais des organisa- associations d’alter-activistes est for- tions de jeunes alter-activistes prove- Les mouvements des jeunes alter- tement liée aux modes d’engagement nant d’une vingtaine de pays et activistes de ces jeunes et se révèle étonnam- basées sur « des principes d’actions † Profondément structurés par une ment similaire dans différents pays. de désobéissance, de non-violence et logique de l’informel et de l’éphé- Plusieurs mouvements ont par de respect de l’environnement 38 ». † †
Mais le mouvement de jeunes le importance au niveau local, qui leur Une autre vision du politique plus connu est sans doute Indymedia. permet de dépasser les grands dis- Ce réseau international s’est construit cours des réunions internationales et Le changement par les pratiques autour des mobilisations de Seattle d’agir concrètement. Ces jeunes Aussi divers soient-ils, les jeunes afin que « tout le monde puisse parti- † militants y développent de multiples d’aujourd’hui sont tous les enfants de ciper et être actif dans les médias 39 ». † † activités, de l’occupation d’im- la modernité, de la crise et du désen- Les thèmes de la manipulation meubles pour lutter contre la spécu- chantement. Génération ayant grandi médiatique et de l’information alter- lation financière aux conférences au cours de cette période où seule native étant particulièrement chers destinées à sensibiliser un public dominait la globalisation libérale aux jeunes, Indymedia s’est rapide- plus large en passant par de nom- (Touraine, 1999), ils sont également ment répandu dans le monde entier et breuses manifestations. C’est au orphelins des grandes idéologies du compte aujourd’hui des relais dans niveau des villes que se forment les 20e siècle qui promettaient des lende- une quarantaine de pays. Les jeunes mouvements, que l’engagement se 129 mains qui chantent. Arrivés au pou- altermondialistes ont fait de l’infor- vit quotidiennement et que les jeunes voir, les mouvements contestataires mation l’un de leurs thèmes majeurs, se mobilisent pour participer aux ras- d’hier, ouvriers, nationalistes ou éco- ayant rapidement compris qu’elle semblements contestataires interna- constituait « une condition prélimi- logistes, ne sont pas parvenus à † tionaux. C’est à titre de militants naire essentielle à toute participation répondre aux demandes concrètes de locaux qu’ils y échangent leurs expé- des jeunes » (CEC, 2003). Un centre changement social et aux espoirs † riences de lutte. L’ancrage local du d’information alternative est ainsi qu’avaient placés en eux les militants mouvement mais aussi l’articulation mis sur pied lors de chaque mobilisa- (Hobsbawm, 1999; Wallerstein, 2001; de ce niveau avec le global consti- tion internationale. Souvent, ses pro- Feixa et al., 2002). tuent dès lors deux des thèmes tagonistes se réunissent quelques majeurs de leurs conférences et Comme en témoignent leurs pra- jours avant ces événements afin réunions. tiques quotidiennes, leurs visions de d’échanger leurs pratiques. Au niveau la politique et certains récents local, les listes de courriel, sites d’in- Directe ou indirecte, les discours et méthodes néozapatistes ont eu une ouvrages de références 43, à l’aube du † formation alternative et radios pirates 21e siècle, les jeunes contestataires 44 ou électroniques fleurissent. Mais ce influence importante sur de nombreux † jeunes libertaires et alter-activistes, estiment que l’heure n’est plus à la type d’organisation a également ses tant au niveau de l’apprentissage par préparation de la prise du Palais d’hi- limites, l’internaute croulant souvent les pratiques, de la logique de contre- ver mais à des logiques de contre- sous la masse de documents. pouvoir, de la défense de la diversité à pouvoir, d’alternatives concrètes et Local et global l’intérieur même du mouvement, de la d’événements particuliers. Les tentative de rassembler la société formes même de l’engagement des Au-delà des divergences entre les jeunes basées sur les projets et l’ex- civile contre le néolibéralisme ou de différents pôles, les jeunes altermon- périence concrète sont incompa- l’organisation de certaines manifesta- dialistes se distinguent par leur tibles avec une grande idéologie et tions que de la volonté de créer des manière particulièrement internatio- un projet de société « clé en main » : espaces d’autonomie (Le Bot et † † † nale d’aborder les problèmes. Ils se « Nous n’avons pas un modèle à pro- Marcos, 1997; EZLN, 1994 : 103 et † † mobilisent en faveur d’une solidarité poser mais des alternatives. Pour 125; EZLN, 1995 : 207). Des interga- † internationale, contre la guerre, le moi, ce n’est pas “un autre monde lactiques français aux Ya Basta ita- racisme, l’extrême droite 40 et les est possible”. Heureusement que † liens, différents mouvements de politiques migratoires de « l’Europe † jeunes se sont d’ailleurs nommés sui- non ! Ce sont des autres mondes 45 ». † † † forteresse » 41. † † vant les rebelles du Chiapas. Pour Aux visions messianiques, ils préfè- S’ils participent massivement aux eux, le zapatisme « ce n’est pas être au † rent des pratiques quotidiennes qui mobilisations internationales et pen- Chiapas et porter le passe-montagne. s’inventent au jour le jour dans l’indé- sent plus aisément à l’échelle plané- Il faut traduire le zapatisme dans son termination : « Il s’agit pour nous de † † taire que d’autres franges de la quartier. Au niveau local, il faut déve- chercher à tâtons les voies concrètes population, les jeunes alter-activistes lopper l’autonomie et le respect dans et émancipatrices de la transformation accordent également une grande nos propres espaces 42 ». † † des rapports sociaux 46 ». † †
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 51 gement et d’organisation davantage en vements sociaux. Nombreux à se phase avec le monde qu’ils souhaitent : † mobiliser, leur impact direct n’est Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d’engagement des jeunes « Nous ne dissocions pas nos pratiques † guère élevé sur les décideurs poli- altermondialistes de nos objectifs. Nous choisissons un tiques. Tel n’est d’ailleurs pas l’objec- fonctionnement horizontal, anti- tif affirmé par de nombreux jeunes, sexiste, auto- et éco-gestionnaire à par- qui estiment que « le gouvernement † tir de regroupements affinitaires 50 ». † † n’est pas un interlocuteur à influencer pour que les choses se fassent d’une Dès lors, partout se multiplient les autre manière en Europe 53 ». Par † † campements altermondialistes 51. † ailleurs, l’absence de représentation, Souvent en marge des sommets le rejet de la délégation et les réti- internationaux, ces rassemblements cences à organiser des mouvements mélangent privé et public, amitié et plus structurés engendrent une 130 engagement politique, amusement et absence d’interlocuteurs face à ceux résistance, bonheur et lutte pour un qui veulent dialoguer avec « les jeunes † Plutôt que par l’arrivée au pouvoir monde meilleur. Loin de se limiter à la altermondialistes ». Et sans dialogue † d’un autre parti ou de grands change- contestation du libéralisme, ils repré- possible, il y a peu d’espoir de chan- ments institutionnels, la transforma- sentent des lieux forts de socialisation, gement et d’influence. tion du monde passe pour eux par une des possibilités d’échange et des occa- multitude de voies centrées autour de sions de fête. Basant leur organisation Ce rejet du débat avec des acteurs la participation, de la citoyenneté sur l’autonomie, la participation, la politiques traditionnels peut être active et de la vie quotidienne : « Il ne † † répartition des tâches et l’informel, les interprété comme le signe d’une faut pas forcément arriver au pouvoir participants y sont confrontés à des volonté de « faire de la politique † pour changer les choses. Les change- problèmes très concrets tels que la autrement », mais ne reflète-t-il pas † ments, je peux les faire depuis en bas. démocratisation de la prise de déci- également les caractéristiques d’un C’est ce que nos mouvements de sions, une certaine délégation indis- mouvement naissant et encore imma- jeunes cherchent à faire : que ce † pensable, des divisions culturelles et ture n’ayant pas encore la capacité de soient les gens qui fassent les chan- politiques ou l’implication à des confronter ses idées face à d’autres gements plus que les politiciens 47 ». † † degrés très divers des participants 52. † acteurs sociaux ? Les jeunes alter- † Face au désenchantement de la poli- Une fois les rencontres achevées, les mondialistes ont-ils choisi une solu- tique « d’en haut », ils appellent un † † groupes se dissolvent et les réseaux se tion efficace en évitant des débats réenchantement de la politique par le diluent. Seuls demeurent les souve- difficiles mais importants et en se bas fondé sur les pratiques quoti- nirs, quelques contacts et, souvent, un centrant sur des logiques de contre- diennes et leur cohérence avec l’ana- réel enthousiasme. Malgré leur carac- pouvoir ? Dans quelle mesure peu- † lyse du monde du militant 48. † tère éphémère, ces camps alternatifs vent-ils se passer des relais politiques marquent durablement chacun de pour parvenir à des transformations Des espaces d’expérimentation leurs jeunes participants et, au-delà, sociales à la fois concrètes et d’une Désenchantés face aux formes toute une génération de militants. certaine ampleur ? † actuelles de la démocratie, les jeunes Un impact politique limité Conclusions libertaires et alter-activistes créent de nouveaux espaces permettant davan- Cependant, ces modes d’engage- Aujourd’hui mobilisés dans tage de participation 49. Pour eux, † ment ont également d’importantes l’arène publique, ces jeunes militants l’« autre monde possible » commence † † limites, particulièrement en ce qui n’ont pas pour autant renoncé au hic et nunc, dans la construction même concerne l’impact politique. Si elle se désenchantement profond à l’égard du mouvement. Très attachés à la révèle particulièrement adaptée à la des structures, institutions et acteurs continuité entre les moyens et les fins, société informationnelle, la participa- traditionnels de la vie sociale et poli- ils entendent y créer des espaces qui tion politique des jeunes altermondia- tique, ni à leur individuation. C’est au permettent d’expérimenter d’autres listes a souvent du mal à être intégrée contraire sur les bases de ce désen- formes de vie en commun et de rela- par les acteurs politiques et sociaux, y chantement, du refus des formes de tions sociales, d’autres modes d’enga- compris par une grande part des mou- l’engagement traditionnel, de l’adap-
tation à la société informationnelle et nement de la démocratie contempo- tant que telles. Feixa (1998 : 62) définit † d’une vision différente du politique raine, individuation croissante, multi- la génération comme « le lien qui unit † des biographies, des structures et une qu’ils créent progressivement une plication des niveaux d’action et de histoire. La notion se réfère à l’identité nouvelle culture 54 de l’engagement. † réflexion, diversité culturelle, d’un groupe d’âge socialisé pendant une Centré sur l’individuation, la fluidité globalisation de l’économie, de la même période historique ». Dans le cas † et le quotidien, l’engagement de ces culture et des problèmes contempo- de ces jeunes qui ont connu leurs pre- jeunes alter-activistes, libertaires ou rains… les tendances auxquelles mières expériences dans les rues et les membres des black blocks ressemble tente de répondre et de s’adapter cette campements de l’altermondialisation, la génération « se rapporte [également] à souvent à un bouillonnement créatif nouvelle génération de militants † cette sensation d’expériences partagées pour le moins désordonné. En dehors affectent l’ensemble de la société. La et à un sentiment de contemporanéité » † des grandes références idéologiques, manière dont cette génération agit et (Nateras Dominguez, 2002 : 10). † ils créent un mouvement hétérogène, s’organise est dès lors pleine d’ensei- 2 Sans définir de manière trop tranchée décentralisé et non hiérarchique, gnements dont la portée dépasse lar- 131 cette catégorie d’âge, il s’agit avant tout mais aussi unitaire et organisé. Leur gement cet acteur. Dans un monde en de distinguer deux périodes de l’engage- engagement, profondément imprégné profonde mutation, ces jeunes alter- ment liées aux cycles de vie. En effet, d’individuation sans être individua- mondialistes nous invitent à repenser entre 25 et 30 ans, les jeunes militants liste, ainsi que leur conception de la le rapport au politique, l’engagement s’intègrent progressivement dans la vie et le lien social dans son ensemble. professionnelle ou fondent une famille. démocratie et du politique, basée sur la participation, la décentralisation et Ils nous montrent des voies nouvelles 3 Les premières enquêtes (Cours-Salies, la distanciation des partis politiques, pour penser l’institution et la partici- 2002) montrent l’importance mais aussi engendre un détachement et une pation politiques en mettant en œuvre les limites de l’apport des méthodes les structures et les potentiels de la quantitatives dans l’étude de cet objet remise en cause des institutions 55 † fluide encore peu connu qu’est le mou- dont les premières victimes sont les société contemporaine : réseaux, nou- † vement altermondialiste, et plus encore mouvements sociaux et les partis velles technologies, fluidité, réflexi- sa composante jeune. politiques traditionnels. vité, individuation, articulation des niveaux d’action et de réflexion… 4 Certaines similitudes ont d’ailleurs été Les attitudes et comportements de pointées par différents analystes pour Ces jeunes attestent qu’une réflexion une partie de la jeunesse de différents ces jeunes altermondialistes s’expli- sur des problématiques mondiales ne pays. Ainsi, en Turquie comme en quent à la fois par des effets de géné- peut être déconnectée des réalités Occident, on parle désormais de la ration, de période et de cycle de vie. locales, nationales et continentales, « génération de la globalisation », car les † † En effet, il est difficile de distinguer ici que le souci d’autonomie et d’indivi- tendances à l’individuation croissante l’impact propre du contexte dans duation peut être compatible avec un qui marquent la jeunesse occidentale imprègnent également les jeunes lequel a grandi cette génération qui engagement solidaire et un regain Mexicains, Turcs, Marocains ou Iraniens manifeste une grande adaptation à la d’intérêt pour la chose publique. (Lüküslü, 2003; Nateras Dominguez, société informationnelle (Castells, 2002). 1998 et 1999) de celui de cette période Geoffrey Pleyers particulière de la vie qu’est la jeunesse Aspirant FNRS 5 Il ne faut pas y voir des catégories fixes Pôle liégeois d’études sur les sociétés mais des pôles autour desquels circulent et, plus particulièrement, de la « post- † les jeunes altermondialistes, passant de adolescence ». Les modes du militan- urbaines en développement (Pôle † l’un à l’autre en fonction des événe- SUD), Université de Liège tisme se modifient en effet lorsque les ments et de leurs affinités. Centre d’analyse et d’intervention étudiants entrent sur le marché du tra- sociologiques (CADIS), EHESS Paris 6 Il faut remarquer que ce n’est générale- vail et fondent une famille. À ces fac- ment qu’entre 25 et 30 ans que les teurs s’ajoutent certaines spécificités jeunes sont recrutés par les ONG. Leurs du mouvement altermondialiste mais formes d’engagement se modifient alors aussi des caractéristiques liées à une profondément, notamment en raison de la professionnalisation. Il en est souvent phase précoce de la formation de cet Notes de même au niveau des syndicats. acteur encore immature. 1 Selon Mannheim (1990), des généra- 7 Extrait d’un entretien avec un militant Déclin des institutions (Dubet, tions nouvelles émergent autour de de longue date, réalisé à Liège en 2003), remise en cause du fonction- crises historiques et se définissent en décembre 1999.
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