DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE - Rui-Long Monico 01.03.2018 - Candy Factory

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DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE

Rui-Long Monico

DONALD TRUMP:
LA COMMUNICATION
DE CRISE
COMME OUTIL
DE GOUVERNANCE
01.03.2018

1 — Rui-Long Monico
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DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE

Table des matières
1.    Introduction                                                    3–4

2.    Communication de crise: Obama le bon élève                      4–5

3.    Grille de lecture médiatique: quinze mois                       6–7
      de présidence Trump sous l’angle de la crise

4. Influences biographiques sur la figure publique                        8
   «Trump»

5. Obama / Trump:                                                         9
   la nécessaire dichotomie en style et en substance

6. Communiquer la crise, maintenir l’état de siège:                  10 – 14
   gouverner selon l’art de la guerre

7.    Conclusion, réflexion                                          14 – 15

8. Bibliographie                                                     16 – 17

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DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE

1. Introduction
 Le changement de paradigme apporté par la démocratisation d’Internet a bouleversé, métamor-
 phosé, de nombreuses industries, en particulier celle de l’information. Avec une distribution de
 plus en plus rapide — aujourd’hui instantanée — la multiplication des vecteurs de communication
 et une horizontalité toujours plus prononcée entre émetteur et récepteurs, la pression exercée
 sur les instances décisionnelles s’est fortement accentuée, notamment lors de scénarios de crise.

 Ces crises qui se désamorçaient jadis dans des bureaux feutrés, derrière des portes cloisonnées,
 sont désormais analysées, auscultées, critiquées par un public chaque jour plus large, mais aussi
 instrumentalisées par des acteurs cherchant la déstabilisation. La figure du contre-pouvoir média-
 tique s’est élargie aux blogs, aux réseaux sociaux, aux tribunes citoyennes.

 À l’aune de ces transformations, une discipline mineure s’est muée en sous-jacente prépondérante
 dans la gouvernance institutionnelle: la communication de crise. Cette communication de crise
 s’est structurée, théorisée1, afin d’offrir aux décideurs et leurs équipes, des méthodes et des outils
 standardisés leur permettant de trouver une sortie de crise avec une image renforcée. Enseignée
 dans la plupart des écoles de gestion et appliquée dans les états-majors des grandes entreprises
 et régies publiques, la communication de crise est devenue un art avec des règles bien précises et
 des fondamentaux tactiques (proactivité, rapidité, sincérité, transparence, continuité).

 Ainsi, en observant quinze mois de règne de Donald Trump à la Maison-Blanche, force est de
 constater que le président américain circonvient, de manière quasi méthodique, à tous les ensei-
 gnements en matière de communication de crise — faisant fi des protocoles et checklists usuelle-
 ment prisés par ses homologues. Plus étonnant, il s’avère que, non content de raviver les tensions
 autour des crises auxquelles il est confronté, Donald Trump s’échine à en créer de nouvelles, par-
 fois ex nihilo, à une cadence soutenue.

 Dans cet essai, nous essaierons de démontrer que cette appropriation de la communication de
 crise — et à plus large échelle, de la crise en elle même — participe d’une stratégie esciente de
 gouvernance. Notre postulat central établit le lien entre la saturation de l’espace public par d’in-
 nombrables crises, aussi épiques que ridicules les unes que les autres, et l’aura d’intouchabilité que
 cette situation procure à Donald Trump, lui permettant ainsi d’avancer son agenda en arrière-plan
 (Track II diplomacy).

 Dans le cadre de cette étude ont été disséqués une centaine de documents, commentaires et
 vidéos traitant de la présidence Trump afin d’avoir une vision globale de (a) la perception de
 l’opinion publique, (b) la perception des médias «institutionnels», (c) les conséquences de ces
 perceptions sur la marge de manœuvre de la Maison-Blanche.

 Initialement partis d’une intuition, la lecture puis l’analyse du corpus font ressortir une trame ré-
 currente qui se dessine autour des actions de Donald Trump. Une trame, quoique s’adaptant par-
 faitement au contexte actuel, postulée depuis des siècles par les penseurs de l’art de la guerre:
 Sun Tzu, Machiavel, Clausewitz... Nous utiliserons un ouvrage contemporain traitant de cet art de
 la guerre, The 48 Laws of Power2, pour en extrapoler un certain nombre de règles nous semblant
 appliquées par le président américain.

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 Pour appuyer la thématique centrale, nous consacrons une partie de l’étude à une comparaison
 qualitative des techniques de communication de crise du président Barack Obama; respective-
 ment comment la personnalité publique de Donald Trump s’articule en symétrique inversion de
 l’approche de son prédécesseur. Fruit d’une histoire singulière, nous analyserons également la
 biographie de la dynastie Trump afin de détecter les traditions qui en rayonne.

 Au niveau méthodologique, cette étude se veut matérialiste, Jenseits von Gut und Böse, soit sans
 idéologie, et se cantonnera au spectre de la communication de crise, son utilisation en tant qu’ou-
 til de gouvernance. Nous ne jugerons aucunement des aspects moraux ni ne discuterons des inci-
 dences des mesures politiques prises par le président.

 Cette grille de lecture nous apparait primordiale; explicités à divers titres dans la conclusion.
 Au-delà de cette étude, elle permet au spectateur-commentateur politique une lecture pondérée
 des événements concrets, sachant ainsi dissiper les écrans de fumée successifs de l’actuelle ad-
 ministration américaine.

2. Communication de crise:
   Obama, le bon élève
 Le président Barack Obama a su faire preuve durant sa carrière politique d’une absolue domina-
 tion de la discipline de la communication. Avocat assermenté, enseignant puis homme d’État, il
 s’est servi des mots et de leur puissance pour séduire, conquérir, gouverner.

 Plus que ses actions, que sa doctrine, ses prises de paroles publiques ont constituées, dans un
 premier temps, un tremplin politique puis, dans un deuxième temps, une formidable arme pour
 consolider sa popularité. Alors obscur prétendant au siège de sénateur de l’Illinois, son exhor-
 tation lors de la convention démocrate de 20043 — invoquant ardemment le rêve américain et
 introduisant l’espoir (Hope4) comme élément central de son schéma narratif — le propulsera en
 star montante du parti.

 Mais c’est paradoxalement ses interventions lors des crises qu’il a traversées qui ont le plus instauré
 son leadership. Alors que nombreuses sont les figures politiques qui négligent la communication
 de crise ou l’utilisant à contrecœur et de manière défensive (nous pensons notamment au naufrage
 de la campagne présidentielle de François Fillon avec le Penelopegate5), Obama a su trouver en
 chacune d’entre elles une opportunité pour renforcer son image et étendre son influence.

 Confronté aux propos antipatriotiques et racialistes de son pasteur6, le Révérend Jeremiah Wright,
 et alors en pleine campagne aux primaires du Parti démocrate en 2008, le jeune sénateur s’est
 trouvé face à une polémique nationale risquant d’annihiler toute chance de continuer la course à
 la présidence. Barack Obama opte alors pour une réponse rapide et radicale: dans son discours
 «A More Perfect Union7», il dénonça fermement les principes de divisions du pasteur tout en in-

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sistant sur les origines d’une telle colère dans les communautés afro-américaines. Greffant cette
controverse dans un débat plus global, il ébaucha ce jour-là, sa vision d’une Amérique post-raciale
et apaisée. En enrayant cette situation, il se positionna comme le candidat de tous les Américains
et non des noirs uniquement, moment décisif qui lui ouvrit les portes de l’investiture démocrate.

Lors de son allocution suite à la tuerie de l’école primaire Sandy Hook8, il cherchera d’abord un re-
lai émotionnel avec son audience en évoquant la tragédie depuis les yeux d’un père avant de celui
d’un président. Bienveillance lui permettant de transformer l’événement en dynamique favorable
envers ses réformes du port d’arme — débat polarisant, bloqué au niveau du congrès — partielle-
ment actées plus tard par décrets présidentiels9.

Mais c’est en comparant sa conduite lors de l’Ouragan Sandy en 2012 avec la catastrophique
prestation de son prédécesseur avec l’Ouragan Katrina en 2005 (deux catastrophes naturelles
d’ampleurs similaires; parmi les plus puissantes de l’histoire des États-Unis) que la plus-value d’une
communication de crise maîtrisée devient flagrante. L’évident désintérêt que George W. Bush
porta à Katrina endommagera définitivement sa crédibilité10, lui causant d’innombrables attaques
y compris parmi ses partisans. Barack Obama, alors en pleine campagne de réélection, s’impli-
quera pleinement dans la gestion de Sandy11, offrant aux médias l’image d’un décideur aux com-
mandes de son appareil gouvernemental, s’offrant lui-même une accession facilitée à un deuxième
mandat présidentiel.

En visionnant les discours donnés par Barack Obama lors des principales crises de ses huit années
à la Maison-Blanche, nous pouvons noter une observance à la fois académique et incarnée des
canons de la communication de crise.

Le fond se détaille en quatre actes. Premièrement, une empathie systématique avec les vic-
times de la crise; empathie empreinte de référentiels à ses émotions et expériences personnelles.
Deuxièmement, un désir de transparence dans les mesures qui seront mises en œuvre, mesures
réalisées en coopération avec l’ensemble des acteurs symbole d’une grande confiance dans les
diverses institutions gouvernementales. Troisièmement, une démonstration d’autorité par sa maî-
trise de la conjoncture — à la fois technique que politique — débouchant sur des instructions et
des intentions claires quant à la suite des opérations. Quatrièmement, un message de réconfort
en vue d’une sortie de crise en douceur; un optimisme à toute épreuve pour rassurer son au-
dience.

Sur la forme, Barack Obama excelle également, se présentant méthodiquement tiré à quatre
épingles, d’un calme majestueux, irradiant son audience de son charisme, reflétant une stature
plus grande que nature. Ses textes, peaufinés à l’extrême jusqu’à la dernière minute, sont lus d’une
voix sincère et déterminée.

C’est ainsi que, fort de ce branding, Obama conquerra les cœurs et les esprits des médias12, des
intellectuels, des dirigeants — on se souvient de l’adulation que Nicolas Sarkozy lui éprouvait13 ou
encore du Prix Nobel de la Paix 2009, auquel il fut nominé tout juste 11 jours après son entrée à la
Maison-Blanche.

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3. Grille de lecture médiatique:
   quinze mois
   de présidence Trump
   sous l’angle de la crise
 Donald Trump prête serment le 15 février 2017. Encore abasourdie par son élection surprise, la
 presse de référence démarre alors un lynchage médiatique sans précédent; surtout contre un po-
 litique n’ayant pas encore de bilan, positif ou négatif. Pas un jour ne se passe sans que le président
 américain fasse l’objet d’un article, voire d’une Une; rarement favorable et parfois d’une violence
 inouïe. En parcourant les milliers de couvertures de journaux et magazine, notamment émis des
 États-Unis ou d’Europe de l’Ouest, on pourrait penser que Trump fait l’unanimité contre lui, tant
 l’hystérie collective à son encontre est puissante et omniprésente.

 Ce qui peut surprendre est l’angle d’attaque ad personam14 de la majorité de ces titres15: Trump
 est critiqué pour sa misogynie, ses cheveux, son vocabulaire, les liens de son père avec le Ku Klux
 Klan, ses déboires conjugaux, sa façon de parler, son bronzage artificiel, ses capacités intellec-
 tuelles. Quand la politique est enfin abordée, le spectaculaire/superficiel est privilégié16: le mur le
 long de la frontière mexicaine, l’interdiction d’entrée de citoyens de certains pays musulmans, la
 reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël.

 À l’inverse, la presse s’attarde peu aux réelles actions du président17: sa réforme fiscale, sa qua-
 si-destruction de Daech, les relocalisations d’entreprises aux USA, le refinancement de l’OTAN par
 les autres membres, sa dérégulation gouvernementale.

 On pourrait argumenter que cette intelligentsia médiatique possède un biais de classe18 certain
 contre Trump, elle qui a ouvertement soutenu puis maladroitement prédit la victoire de Hillary
 Clinton aux présidentielles (à l’instar de certaines chancelleries occidentales; l’Élysée n’avait pré-
 paré qu’une seule lettre de félicitations... à Clinton19), mais ce constat n’explique qu’en partie la
 situation.

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En effet, si le biais progressiste susmentionné, au sein des principaux médias occidentaux, existe
depuis de longues années, l’écrasante majorité des politiciens conservateurs a opté pour une stra-
tégie d’accommodation, suivant le diktat de ce contre-pouvoir et respectant ses prérogatives. De
son côté, Donald Trump semble cultiver son image publique désastreuse; n’essayant nullement
d’amadouer éditeurs et journalistes. Assumant son costume populiste, il rend coup pour coup,
insulte, raille, dénonce, punit. Sa stratégie est celle de la terre brûlée, érigeant ses détracteurs en
«ennemi du peuple américain20» et en fermant les portes de la Maison-Blanche aux médias les plus
virulents. Quand Obama joue l’autodérision au traditionnel White House Correspondents’ Dinner,
Trump se désiste (premier premier président depuis des décennies à le faire), droit dans sa ligne
de napalmisation des médias traditionnels. Entre lui et sa base, pas de clergé, pas d’intermédiaire.

Cependant, cette ligne de conduite ne l’amène pas à l’isolement. Contre le biais médiatique, Do-
nald Trump popularise le néologisme Fake News, s’appuie sur des médias alternatifs — dont le
sulfureux réseau Breitbart News — et compte sur le soutien d’une large armée d’internautes21 pour
diffuser ce que d’autres occultent. Chaque excès, chaque anathème, chaque oubli des médias tra-
ditionnels confortant l’ère de « post-vérité » et les « faits alternatifs » chers au président (Michel
Onfray citera Derrida et sa notion post-moderne des mots comme influence conceptuelle22).

Et quel meilleur outil d’émancipation, quel meilleur autel pour le prosélytisme trumpien, que Twit-
ter? Le compte @realDonaldTrump est utilisé comme la caméra d’une émission de télé-réalité,
suivant le président dans ses moindres déplacements, s’adressant directement à sa base électo-
rale, inondant de tweets (plus de 37’000 à ce jour) ses 48 millions de followers; usant du format
concis comme d’une mitraillette pour un intarissable stream of consciousness23.

En communication de crises, la cohérence doctrinale est respectée. Donald Trump ne s’embar-
rasse pas des codes et standards de la pratique: il ment éhontément24, change de versions et se
contredit régulièrement, manque totalement de transparence, refuse d’expliquer ses mesures ou
de montrer les documents requis, adopte un ton agressif et une posture sur la défensive, récite
des promesses floues; enfin, il ne semble pas vraiment chercher la sortie de crise.

L’apparent contraste avec Barack Obama est saisissant.

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4.Influences biographiques sur
  la figure publique «Trump»
 Aujourd’hui 45e président des États-Unis, Donald Trump est, circonstance insolite, un laïc en po-
 litique. Il ne sort pas de l’éprouvette d’un think tank. Il n’est pas non plus un apparatchik de parti;
 changeant d’affiliation cinq fois depuis 1987, obtenant la nomination présidentielle sans la béné-
 diction des cadres républicains. Avant d’arriver à la Maison-Blanche, il n’aura pour ainsi dire, jamais
 été élu — même le cow-boy/acteur Ronald Reagan dû se soumettre aux règles du jeu et gravir les
 différents échelons politiques avant de se retrouver à la tête de l’exécutif.

 Ainsi, avant d’analyser sa doctrine, esquissons un bref historique de sa lignée.

 Son grand-père Friedrich Trump quitte illégalement sa patrie pour débarquer a 16 ans à New York.
 Il y vit de nombreux petits boulots avant de partir chercher la prospérité au Klondike lors de la
 ruée vers l’or de 1896. Dénué de scrupules, il se lance dans toutes les activités légales, semi-légales
 ou notoirement illégales qui lui permettront d’amasser un maximum de dividendes en un minimum
 de temps — restauration, débit de boisson, prostitution, casino — sans trop se soucier ni d’hygiène,
 ni de sécurité et moins encore de morale25. Multipliant les succès, les fraudes et les faillites, il dé-
 ménagera ses activités au fil des aubaines.

 Son père, Fred Trump démarre sa vie professionnelle comme charpentier, monte une société puis
 rapidement fait de la promotion immobilière. Pendant la Grande Dépression, il est l’un des pre-
 miers à exploiter des supermarchés puis durant la Seconde Guerre mondiale il construit casernes
 et infrastructures pour les besoins de l’US NAVY. Il amasse une fortune considérable en exploitant
 les lacunes de l’administration en termes de marchés publics26 et grâce à ses investissements vi-
 sionnaires dans le logement bon marché.

 Donald Trump quant à lui, grandit dans le luxe, étudiant dans des écoles privées puis à la presti-
 gieuse institution jésuite Fordham University27 avant de terminer ses études à la Wharton School
 of the University of Pennsylvania, l’une des écoles de commerces les mieux classées au monde28
 (également alma mater d’Elon Musk et Warren Buffet). Il entame sa carrière dans les pas de son
 père, multipliant les projets immobiliers démesurés puis diversifiant ses activités dans des do-
 maines aussi complexes que le golf, le show-business, les institutions d’études supérieures, les
 casinos. Six de ses sociétés feront faillite, parfois de manière spectaculaire — ces aléas n’entravant
 pas son indéfaillible optimisme: à l’heure de son élection, son financial disclosure listera un total de
 564 sociétés où il tient une position exécutive et dont il tire du revenu.

 En filigrane de cette dynastie: un certain flair pour les opportunités, un goût immodéré pour le
 risque, une volonté de conquête où seule compte la réussite, peu importe le chemin.

 Ces attributs ne sont pas propres à la famille Trump.

 8 — Rui-Long Monico
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5. Obama / Trump:
   une nécessaire dichotomie
   en style et en substance
 Dans l’inconscient collectif américain, Barack Obama symbolise l’un des personnages cardinaux
 du roman national. Lisse, propre, modeste, moral, politiquement correct, il est l’archétype de ce
 messianisme puritain de Nouvelle-Angleterre. Il se situe, de son propre aveu, dans la lignée d’un
 Abraham Lincoln, maniant le verbe et l’abnégation au profit d’une mission progressiste de civili-
 sation.

 La figure de Donald Trump fait également écho au roman national américain, observant une tradi-
 tion parallèle, mais antinomique. Il est le pionnier, le frontiersman, qui après avoir conquis l’Ouest
 sauvage, protège agressivement ses acquis. Obnubilé par le challenge, l’indépendance, il possède
 une rhétorique proche d’un autre président anti-establishment, Andrew Jackson29.

 Dans son ouvrage concernant les 11 nations américaines30, le journaliste et historien de Colin Woo-
 dard, porte un éclairage sur ces deux souches socioculturelles. Obama a son fief dans le Yankee-
 dom utopiste; cette terre qui donne pleine confiance dans l’action du gouvernement, se bâtit sur
 l’assimilation républicaine des étrangers et glorifie les accomplissements académiques. Trump
 s’ancre profondément dans le Greater Appalachia, vaste aire au parler simple et peuplée par les
 descendants de colons en provenance de zones ravagées par la guerre ou parmi les plus ap-
 pauvries d’Europe. Ces descendants, péjorativement surnommés hillbillies ou rednecks se recon-
 naissent des principes du guerrier solitaire, défendant, armes à la main si nécessaire, sa liberté
 individuelle face aux élites — qu’elles soient nordistes, réformatrices et intellectuelles ou sudistes,
 oligarchiques et aristocratiques. La famille de Donal Trump, d’origine immigrée pour une bonne
 partie — grand-père du Royaume de Bavière, mère d’Écosse, première femme de Rép. Tchèque,
 troisième femme de Slovénie — est presque un pastiche de ce milieu.

 Champions respectifs de leurs nations culturelles, les deux présidents, par leurs préoccupations,
 leurs styles, leurs rhétoriques, reflètent les attentes de deux Amériques qui se toisent en se mé-
 prisant.

 La bipolarisation du système électoral américain a constitué en moins d’un siècle un phénomène
 d’alternance entre partis monolithiques Démocrate / Républicain. Phénomène qui s’est particu-
 lièrement accentué depuis 1989 avec une bascule sinusoïdale parfaite à chaque présidentielle. La
 fracture grandissante entre l’Amérique progressiste et l’Amérique conservatrice favorisant cette
 alternance avec une mobilisation en fin de cycle au profit du bloc politique d’opposition en réac-
 tion aux mesures du parti au pouvoir.

 Barack Obama, en raison de ce mouvement de balancier politique et de son incarnation proche
 de la perfection du modèle yankee, a pavé un chemin difficile pour sa succession. Candidate dé-
 mocrate, Hillary Clinton, bien que promouvant la même idéologie, n’arrivera pas à se hisser au

 9 — Rui-Long Monico
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 niveau du président sortant: moins charismatique, moins rassembleuse, ses nombreux scandales
 contrastant trop avec les deux mandats presque immaculés d’Obama. Tâche analogiquement la-
 borieuse pour des candidats républicains au discours (tendanciellement) centriste, politiquement
 correcte et élitiste. C’est ainsi que considéré comme un candidat fantasque, Trump terrassa les
 onze autres candidats du parti malgré la présence de certains ténors (Jeb Bush, John Kasich, Rand
 Paul) ou d’étoiles montantes (Ted Cruz, Marco Rubio, Ben Carson). Obama ayant atteint une telle
 amplitude qu’il a laissé le champ libre à une personnalité diamétralement opposé par ses idées et
 ses codes pour lui succéder.

 Cependant, malgré leurs différences quasi paroxystiques, ces deux hommes partagent une même
 conscientisation médiatique. Ils connaissent l’importance et les enjeux des différents modes de
 communication et savent l’instrumentaliser, chacun à leur manière, s’adressant de manière hori-
 zontale directement à leurs soutiens. Court-circuitant les médias traditionnels et les appareils de
 partis, ils sauront tirer parti de la puissance d’Internet, des réseaux sociaux.

 Obama a utilisé sa communication pour séduire. Trump communique la crise. Chaque allocution
 publique, chaque tweet est l’occasion d’oblitérer son opposition — chaque jour grandissante et
 mouvante — l’occasion de provoquer l’indignation et simultanément de galvaniser ses troupes.

 Une stratégie réfléchie, détonnant certes dans le paysage actuel, mais ancrée dans de vieux en-
 seignements.

6. Communiquer la crise,
   maintenir l’état de siège:
   gouverner
   selon l’art de la guerre
 À lire la presse mainstream, Donald Trump serait fou31, idiot32, une marionnette du KGB33 ou encore
 un hasardeux mélange des trois. Nous y opposons une autre grille de lecture. Notre diagnostic
 différentiel soutient que ses agissements en termes de communication participent d’une stratégie
 délibérée de gouvernance. Stratégie aisément décodable via différentes théorisations de l’art de
 la guerre selon les enseignements de Sun Tzu.

 À cette fin et pour cadrer l’étude, nous utiliserons trois citations tirées de l’ouvrage The 48 Laws
 of Power de l’historien Robert Greene pour démontrer, en trois actes, les principales orientations
 tactiques du président américain, nommément (1) créer un groupe de fanatiques, (2) communi-
 quer la crise, (3) se draper d’une aura d’invulnérabilité.

 10 — Rui-Long Monico
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      D’autres lois énumérées par Greene (nº3, nº28, nº37, nº44, nº45, etc.) sont également pertinentes,
      mais sont moins strictement liées à notre thématique, voire utilisées de manière moins flagrante
      par Donald Trump.

      Nous verrons ainsi que le dogme trumpien se veut radical, empirique et pragmatique.

      En se lançant à la course à la présidence, Donald Trump, dut composer avec son inexpérience de
      la vie politique, son absence de soutien institutionnel, le dégoût qu’il inspire dans les sphères mé-
      diatiques. Il compensera ces handicaps par une application brutale du matérialisme dialectique.

Law 27 — Play on people’s need to believe to create a cultlike following
People have an overwhelming desire to believe in something. Become the focal point of such desire by
offering them a cause, a new faith to follow. Keep your words vague but full of promise; emphasize enthu-
siasm over rationality and clear thinking. Give your new disciples rituals to perform, ask them to make
sacrifices on your behalf. (...)

      La relation qu’entretient Donald Trump avec la religion reste marginale. Jeune, il fréquente la
      chapelle du pasteur Norman Peale, figure hétérodoxe prônant la réussite matérielle (théologie du
      succès). N’assistant que rarement aux messes, il ne se dit pas, ne se montre pas particulièrement
      croyant. Sa faible religiosité personnelle, ses trois divorces, ses positions fluides sur des sujets
      d’éthique chrétienne, ses participations entrepreneuriales dans certaines industries condamnées
      par l’Église (par exemple ses nombreux casinos), ne l’empêcheront cependant pas de triompher
      auprès de l’électorat évangéliste blanc (plus de 80% du vote34). Ainsi, si depuis la présidentielle,
      il s’entoure d’un conseil évangélique35 fort de 24 personnalités nationales et plébiscite les enjeux
      chers à cette communauté — avortement, euthanasie, mariage homosexuel, soutien à Israël — cela
      procéderait davantage d’un mariage de circonstance, d’un pragmatique calcul politique.

      Malgré cette ambivalence avec la chose religieuse (institutionnalisée), il comprend très tôt dans
      sa campagne l’utilité d’une transcendance. Son pédigrée de salesman et d’homme de spectacle
      lui facilitant le façonnage d’un culte bien éloigné de la bourgeoisie évangélique sudiste et adressé
      aux petites gens, ouvriers, artisans, agriculteurs, chômeurs du Greater Appalachia.

      Transgressant sur la forme l’ensemble des règles officielles et officieuses de la communication36, il
      développe une rhétorique messianique37, dont la géniale promesse «Make America Great Again38»
      en était l’injonction. Aux grands oubliés, à cette génération d’Américains qui vit moins bien que
      leurs parents et grands-parents (les taux de mortalité dans ce groupe ayant explosé ces dernières
      années39) il a offert, dans l’ordre:

      —      une vision apocalyptique du contexte présent, appuyée par un champ lexical mor-
             tifère, qui a jusqu’à ponctué son discours inaugural: «Mothers and children trapped in
             poverty in our inner cities; rusted-out factories scattered like tombstones across the
             landscape of our nation; an education system, flush with cash, but which leaves our
             young and beautiful students deprived of knowledge; and the crime and gangs and
             drugs that have stolen too many lives and robbed our country of so much unrealized
             potential.40»;

      11 — Rui-Long Monico
DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE

      —      un schéma narratif sans aucune nuance, dépeignant le monde en noir et blanc, ôtant
             toute complexité aux nombreux problèmes de la nation (immigration, criminalité, chô-
             mage), décelant des ennemis facilement identifiables (Crooked Hillary, les médias, le
             FBI), devenant vérité révélée après avoir été continuellement martelée;

      —      une perspective de prééminence, une transfiguration en peuple élu des délaissés de la
             mondialisation; doctrine savamment énoncée en deux mots «America First»;

      —      un idéal atteignable qu’ils ont connu ou étudié; celle de l’Amérique toute puissante de
             la guerre froide, avec son armée invincible, sa prospérité, sa domination industrielle,
             scientifique, culturelle41;

      —      enfin, une figure prophétique; un leader sans peur, prêt à en découdre42, qui annonce
             avec force répétition «I alone can fix it», qui se positionne comme étant le seul émet-
             teur de vérité et pourvoyeurs d’une solution simple à chaque obstacle insoluble.

      De ces projections, il tire une armée de golems au feu sacré, insensibles aux critiques média-
      tiques, prêts à prêcher la bonne parole dans la rue ou sur Internet. Parfaitement conscient de
      ce fanatisme, Trump déclara lors d’un meeting en Iowa: «I could stand in the middle of 5th
      Avenue and shoot somebody and I wouldn’t lose any voters43».

Law 17 — Cultivate an air of unpredictability: keep other’s in suspended terror
Humans are creatures of habit with an insatiable need to see familiarity in other people’s actions. Your
predictability gives them a sense of control. Turn the tables: Be deliberately unpredictable. Behavior that
seems to have no consistency or purpose will keep them off-balance and they will wear themselves out
trying to explain your moves. Taken to an extreme, this strategy can intimidate and terrorize.

      Une fois son branding messianique opérationnel, Donald Trump s’affaire à créer le chaos44. L’ins-
      trument choisi est la communication de crise.

      Trump possède une redoutable intelligence sociale, conscient du Zeitgeist, il maîtrise parfaitement
      les dynamiques des réseaux sociaux, la psychologie des foules, l’art et le timing de la punchline qui
      bousculera ses opposants et les amènera sur son terrain de jeux.

      En ce sens, il est une personnification grandeur nature des trolls45 sévissants sur Internet, sur les
      forums. Il est une usine à générer des polémiques, à allumer puis alimenter artificiellement une
      controverse qui focalise l’attention de l’opinion aux dépens des enjeux réels et du nécessaire équi-
      libre du débat public.

      Lorsqu’il est confronté à un problème, à une critique, il y répond de manière inverse aux codes de
      bonnes conduites de la communication de crise: attaques personnelles ou sur la forme, commen-
      taires hors sujet et détournements oratoires, double discours généralisé, sous-entendus et me-
      naces, procès d’intention, propos diffamatoires; l’ensemble teinté d’une large dose de sophisme.

      En empiriste et appliquant la prescription de Carl Schmitt — définir un ennemi — Trump tâte le
      terrain en attaquant à gauche, comme à droite, à l’intérieur comme à l’extérieur, divisant les camps

      12 — Rui-Long Monico
DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE

       et ouvrant des lignes de fractures pour connaître ses soutiens réels, ses adversaires les plus dan-
       gereux.

       Il crée la crise, pour orienter le débat, le contrôler. Puis, il apparait comme le plénipotentiaire,
       deus ex machina d’une situation qu’il a lui-même enfanté. Les prévisions d’Armageddon se sont
       succédées face aux annonces successives du président: déplacement de l’ambassade US à Jéru-
       salem, fin des négociations avec l’Iran, suspension de l’aide au Pakistan, retrait de l’accord de Paris
       (COP21), non-signature du traité de libre-échange Europe-USA (TAFTA).

       C’est ainsi qu’il agite la menace d’une troisième guerre mondiale, d’un conflit nucléaire contre la
       République populaire démocratique de Corée. Au lieu de chercher l’apaisement à la manière de
       ses prédécesseurs, comme le lui intimait la communauté internationale, il raillera et insultera Kim
       Jong-un, exploitant un vocabulaire jusqu’au-boutiste. L’écho belliciste nord-coréen forcera finale-
       ment la Chine à calmer le jeu; on y devinera ici l’enjeu initial, le reste étant du théâtre.

       Même pour ses ennemis les plus farouches, ses collaborateurs les plus proches, il n’est pas aisé
       de comprendre les motivations, les buts, les plans de Donald Trump. En désavouant régulière-
       ment ses alliés (notamment son éminence grise Steve Bannon), en changeant régulièrement de
       postures (sur l’arsenal nucléaire46, sur l’ONU, sur les interventions militaires47), en mentant ouver-
       tement, en engageant des positions contradictoires sur de nombreux sujets, celui-ci cultive une
       matrice d’instabilité chronique.

       Trump ne semble pas prisonnier d’une idéologie.

Law 49 — Assume formlessness
By taking a shape, by having a visible plan, you open yourself to attack. Instead of taking a form for your
enemy to grasp, keep yourself adaptable and on the move. Accept the fact that nothing is certain and no
law is fixed. The best way to protect yourself is to be as fluid and formless as water; never bet on stability
or lasting order. Everything changes.

       Du chaos créé, il en tire son aura d’invulnérabilité.

       Trop d’anathèmes ont participé à la perte de crédibilité des médias traditionnels. Donald Trump
       a été comparé à un maniaque, à Adolf Hitler, à un clown, à un personnage de bande dessinée.
       Nourrissant ces affirmations par ses déclarations impulsives et provocatrices, au lieu d’essayer
       d’amadouer la presse, il a joué à leur jeu, proposé un miroir grossissant de leurs fantasmes. Cepen-
       dant, cette surexposition aura un effet contraire à celui désiré par ses commanditaires, Trump se
       retrouvant aujourd’hui dans une position ou un scandale supplémentaire, une couverture négative
       de son action, passe complètement inaperçu.

       Dans un contexte de puritanisme extrême où célébrités et politiciens tombent les uns après les
       autres suite aux accusations alléguées ou avérées de viol, la misogynie de Trump met 5 millions de
       femmes dans la rue (2017 Women’s March) sans que cela ne l’empêche de manger.

       La sortie du brûlot Fire And Fury de Michael Wolff, qui inclut de nombreuses citations de Steve
       Bannon mentionnant la haute trahison, la stupidité, la vacuité en vigueur à la Maison-Blanche, a

       13 — Rui-Long Monico
DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE

     été un succès de librairie, devenant l’espoir des progressistes de voir le président être destitué
     rapidement. Il n’en a rien été, l’ouvrage est déjà oublié dans les limbes de la critique anti-Trump.

     En multipliant les lignes de front, il s’assure de noyer ses adversaires, qui s’épuise à prouver par en-
     quête ou par calomnie, les torts du président. Mais là n’est pas la bataille, en homme de spectacle,
     Trump érige les diversions nécessaires pour avoir le champ libre sur le terrain.

     Pendant que d’éminents psychiatres débattent de ses capacités intellectuelles, se gaussant du
     fait qu’il regarde le soleil sans lunettes lors d’une éclipse, Donald Trump fait passer l’une des plus
     ambitieuses réformes fiscales depuis l’ère Reagan.

     Pendant que l’on s’indigne de ses attaques virulentes contre Sadiq Khan, le maire musulman de
     Londres, Donald Trump force Ford à annuler ses investissements au Mexique pour relocaliser au
     Michigan48 ou conclut avec Apple le paiement de 38 milliards de dollars d’impôts et la création de
     20’000 emplois sur sol américain49.

     Pendant que les tribunaux enquêtent sur les hypothétiques ingérences russes lors de l’élection,
     Donald Trump amorce un dégel avec Vladimir Poutine (dont le régime est victime de larges sanc-
     tions émises par l’administration Obama) ou Recep Tayyip Erdogan (qui nomme l’administration
     Obama comme responsable du coup d’État, manqué, à son égard) — deux composantes clefs de
     la stabilisation de la situation au Moyen-Orient.

     Pendant que la presse progressiste s’étrangle devant son homélie sur l’utilisation de l’expression
     «Joyeux Noël», Donald Trump réduit au silence Daech en quelques mois seulement alors que ce
     belligérant étant encore bien virulent au crépuscule des mandats Obama.

     Enfin, pour réaffirmer le soutien de ses ouailles, il use d’ambiguïté stratégique. Lorsqu’il annonce
     un chantier, une action, il omet tous détails, toute spécificité que l’on pourrait lui objecter trop fa-
     cilement. En restant dans le flou sur ses mesures phares (protectionnisme économique, infrastruc-
     tures nationales, mur à la frontière mexicaine), il laisse à chacun le soin d’interpréter ses paroles.
     Ainsi, en cas de réussite, même partielle, il pourra en prendre le crédit. En cas de non-accomplis-
     sement, il pourra aisément rétorquer que c’est son opposition qui lui a empêché d’avancer.

7. Conclusion, réflexion
Ni rire, ni pleurer, mais comprendre​.
Baruch Spinoza.

     L’objectif de la présente étude est d’apporter un éclairage sur un phénomène qui a vampirisé
     l’actualité depuis début 2016.

     L’avènement de Donald Trump à l’exécutif des États-Unis a surpris jusqu’aux plus éminents ana-
     lystes politiques50, confondus les sondages les plus scientifiques51.

     14 — Rui-Long Monico
DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE

Comment un personnage non politisé, qui aurait fait tout faux selon les normes de la communi-
cation respectivement de la communication de crise, a-t-il bien pu battre une candidate du sérail;
une Hillary Clinton surfant sur l’énorme popularité de son mari et du président en exercice, soute-
nue par tout le gotha52 médiatique, financier, intellectuel, hollywoodien, encadrée par une équipe
de campagne jusqu’à dix fois supérieure53, dotée d’un budget deux fois plus élevé54, conseillée par
les meilleures agences de communication sur le marché?

Comment ce même personnage peut-il se targuer d’être encore à la Maison-Blanche à l’ère d’In-
ternet et face aux innombrables chiens de garde analysant chacun de ses gestes, chacune de ses
formules? Celui qui semble passer sa journée à choquer et provoquer demeure intouchable alors
que les exemples ne manquent pas de politiciens disgraciés suite au plus anecdotique des scan-
dales55.

Si certains enjeux — économiques, historiques, géopolitiques — peuvent contribuer à l’explication
de ses succès, il serait absurde d’ignorer ou de minimiser le rôle qu’a joué la communication de
Donald Trump. Loin d’être l’histrion crétin que l’on présente habituellement, il a habilement piloté
une campagne de désinformation, soufflant le feu pour désarmer ses concurrents, s’affranchissant
de toutes limites comportementales, communiquant la crise pour gouverner.

À l’image de la citation spinoziste en préambule de ce chapitre, il s’agit d’admettre, quel que soit
notre jugement de valeur sur la politique menée, que cette méthode iconoclaste est cruellement
efficace. Il s’agit de se munir du recul nécessaire afin de pouvoir analyser sainement les actes du
président américain, de comprendre ce qui est concrètement réalisé; de ne pas l’encenser pour ce
qui relève du mythe, de ne pas le condamner systématiquement pour des propos finalement bien
insignifiants.

Une réflexion ultérieure serait d’ailleurs souhaitable à la fois sur une flexibilisation des théories de
la communication de crise pour inclure des processus moins conventionnels (guerre asymétrique)
puis sur le développement de solutions pour contrer ce type de tactique.

Dernièrement, comme le fait remarquer analytiquement Robert Greene dans son ouvrage, toute
stratégie, aussi brutalement efficiente soit-elle, possède ses limites, ses corollaires, ses antidotes.

Ainsi, il serait intéressant d’observer comment évolue la communication de Trump dans les 12 à
24 mois à venir, constater si une «normalisation» s’impose, notamment au fur et à mesure que ses
actions concrètes le légitimeront — l’outrancier n’étant plus obligatoire pour se faire entendre.

Car la non-adaptation de sa rhétorique sur une période aussi longue présente des risques mul-
tiples. Fatiguer ses troupes, éveiller ses détracteurs à sa stratégie (les entreprises, notamment
celles qui ont subi directement les critiques du président sont déjà en train de revoir leurs pro-
cessus de communication de crise56,57), engendrer des troubles violents et d’ampleur nationale,
sont quelques-uns des dangers d’amplitude croissante qui rendrait le modus operandi trumpien
inopérant.

Let’s wait and see.

15 — Rui-Long Monico
DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE

8. Bibliographie
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 5.    Gaillard-Chérif, S. (2017, 27 février).
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       François Fillon et le Penelopegate, comment rater
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 16 — Rui-Long Monico
DONALD TRUMP: LA COMMUNICATION DE CRISE COMME OUTIL DE GOUVERNANCE

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      Trump riding a dinosaur while shooting a
      machine gun. Probably not a screenshot
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