DOSSIER Danse et arts plastiques - JEUNE PUBLIC : Contredanse
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DOSSIER Danse et arts plastiques JEUNE PUBLIC : Quelle danse pour les ados ? AUTOMNE 16 - N° 67 Trimestriel d’information et de réflexion sur la danse Édité par CONTREDANSE
AUTOMNE 16 . N° 67 . NDD ÉDITO SOMMAIRE « Femme. Française. Retraitée. » Trois P. 03 CR É AT IONS adjectifs ont enflammé le petit milieu des arts de la scène belge sur les réseaux P. 06 BR ÈV ES sociaux à la suite de la nomination d’Annie Bozzini à la tête du Centre chorégraphique, P. 08 DOSSIER le 30 avril dernier. Des propos interpellants. Non pas qu’il soit inacceptable que l’un ou Corps et graphie l’autre chorégraphe affiche sa Le dialogue intime entre danse et arts plastiques désapprobation avec véhémence. Une vingtaine d’acteurs, metteurs en scène et P. 16 PR AT IQU E S musiciens si indifférents d’ordinaire au sort Descendre dans la nuit du corps de la danse se sont engouffrés massivement Témoignage autour des chaînes musculaires-GDS dans un repli anti-français, rendant le débat nauséabond. Le danger à s’aventurer, avec P. 18 JEU N E PU BL IC un zeste de misogynie et un brin de racisme, La danse et les ados sur une pente glissante c’est qu’on ne peut savoir d’avance la longueur de la pente et le P. 20 PU BL IC AT IONS contenu de la fosse dans laquelle on s’apprête à tomber. « On a plein de talents P. 22 AU T OU R DE L A DA NSE chez nous », « encore un Français, les Français sont partout, ils dirigent la culture », « s’il y P. 24 F E S T I VA L S avait plusieurs centres chorégraphiques, mais il n’y en a qu’un », autant d’arguments P. 25 AGE N DA qu’ont dû utiliser en leur temps Mary Wigman et Gret Palucca pour justifier l’aryanisation de leur compagnie. Qu’il n’y ait qu’un seul centre chorégraphique ou un Pour le numéro seul bout de pain, le raisonnement est le de janv/fév/mars 2017 même, le fait que l’autre soit français, juif ou date limite de réception des informations : syrien ne fera aucune différence lors du 11 novembre 2016 partage. Aujourd’hui le débat fait rage sur le ndd@contredanse.org traité transatlantique. Le protectionnisme induit chez certains un rejet de tout ce qui vient de l’extérieur, qu’il s’agisse RÉDACTRICE EN CHEF Alexia Psarolis RÉDACTION Matilde Cegarra Polo (agenda), Claire Destrée (bibliographie), d’insecticides, de pommes, de normes, Isabelle Meurrens, Alexia Psarolis CONTRIBUTIONS Éléonore Valère Lachky, Naomi Monson, d’idées ou de directeurs d’institutions. Or, Karine Ponties, Philippe Verrièle COMITÉ DE RÉDACTION Contredanse PUBLICITÉ Yota Dafniotou DIFFUSION ET ABONNEMENTS Michel Cheval MAQUETTE SIGN MISE EN PAGES Alexia Psarolis on peut s’opposer fermement à la CORRECTION Ana María Primo IMPRESSION Imprimerie SODIMCO déliquescence des normes de santé et des COUVERTURE Dessin de François Olislaeger extrait de Mathilde. Danser après tout, éd. Denoël Graphic/CND acquis sociaux que prône le TTIP tout en restant ouvert à la circulation des idées et ÉDITEUR RESPONSABLE Isabelle Meurrens / Contredanse - 46, rue de Flandre - 1000 Bruxelles des œuvres, des personnes et du café Tiré à 15 000 exemplaires et distribué gratuitement guatémaltèque acheté à un prix juste. Que les Belges à la tête des institutions et des NOUVELLES DE DANSE compagnies se rassurent, la nomination est publié par CONTREDANSE avec le soutien des institutions suivantes : d’une femme française n’a aucune incidence La Fédération Wallonie-Bruxelles (Service de la Danse), sur le dumping social. la COCOF et la Ville de Bruxelles (Échevinat de la Culture) Par Isabelle Meurrens 2 P.
AUTOMNE 16 . N° 67 CRÉATIONS . NDD Déjà-vu / Julien Carlier un trio féminin non dénué de violence sourde. sonore est assurée par Guillaume Le Boisse- Pour sa deuxième création, Déjà-vu, Julien Après Notch, qui traitait du corps politique, lier. Première le 14 octobre à De Werf, à Carlier explore le thème du labyrinthe. Un cette deuxième pièce d’Oriane Varak étudie Bruges. dédale autant physique que mental où chaque les relations de pouvoir au sein d’une famille danseur tente de suivre son fil d’Ariane. Fanny dominée par le matriarcat. C’est le corps en Brouyaux, David Zazzera, Arthur Pedros et le tension qui intéresse la chorégraphe ainsi que Le terrier / Cie LOG chorégraphe, racontent chacun une histoire les jeux de pouvoir à l’échelle d’une société ou Derrière ce nom de compagnie en trois lettres singulière, une histoire de choix et de temps bien, comme ici, d’un microcosme. Une pièce (LOG) se cachent Florencia Demestri et Sa- qui passe, de retour et de déjà-vu. Alors que la créée et interprétée par Oriane Varak, Jenna muel Lefeuvre. Après leur parcours respectif danseuse est issue de P.A.R.T.S, les trois dan- Jalonen et Audrey Lucie Riesen. La création en tant qu’interprètes, les deux artistes dé- seurs viennent du hip-hop; c’est ce contraste des styles qui fait la spécificité du langage de ce jeune chorégraphe. À voir le 4 octobre au Centre culturel de Huy. Anima Ardens / Cie Thor Ils sont onze. Onze hommes évoluant sur un plateau blanc, vêtus de leur singulière nudité. Des danseurs venus d’Allemagne, de Pologne, d’Italie, de Belgique… choisis moins pour leur virtuosité que pour leur goût affirmé pour la recherche du mouvement. Le chorégraphe belge Thierry Smits poursuit son exploration du rapport au corps dans ses différentes di- mensions (désir, plaisir, finitude) pour compo- ser ici une danse rituelle contemporaine, éla- borée à partir des propositions individuelles des danseurs ainsi que de techniques rituelles empruntées à diverses pratiques de transe. Un mouvement collectif qui conduit à cet état d’« anima ardens » (« âme brûlante » ou « souffle brûlant »). Première le 6 octobre au Studio Thor, à Bruxelles, en collaboration avec le Théâtre Varia. Monstrous Encounters of Clowns – an attempt to swallow the world / Nada Gambier Entre performance et installation, cette créa- tion collective traite d’un sujet que l’on ne connaît que trop bien depuis quelque temps : la sécurité et la peur, l’état d’urgence et le conflit. Ici, les images que l’on a vues et revues dans les médias sont extraites de leur contexte et replacées dans un nouvel environnement régi par d’autres règles. Pour faire surgir l’inattendu, Nada Gambier et ses quatre com- plices – Sara Manenete, Marcos Simoes, Tho- mas Kasebacher et Mark Etchells – s’amusent Alain Platel nicht schlafen © Chris Van der Burght à brouiller nos repères, entre réalité et imagi- nation, suscitant la réflexion. Cette pièce clôt deux années de recherche sur la frontière entre brutalité et ridicule, raison et irrationa- lité dans différents pans de la vie contempo- raine. Première le 7 octobre au Kunstencen- trum BUDA, à Courtrai. As a Mother of fact / Notch Company Qu’est-ce qu’un corps qui subit ? Comment s’exprime le plaisir d’être manipulé ? Com- ment les relations se tissent-elles au sein d’une famille ? Sur un plateau dépouillé, d’un blanc laiteux, trois performeuses, trois per- 3 sonnages se débattent dans un système clos, P.
AUTOMNE 16 . N° 67 . NDD Claudio Bernardo Giovanni’s Club © Luc Tanghe . CRÉATIONS cident de fonder une compagnie « dédiée à Grace Ellen Barkey. En 2004, cette dernière ECCE. Tous deux seront en résidence au leur passion pour les états physiques ex- a lancé Lemm&Barkey, avec Lot Lemm, Concertgebouw Brugge de 2017 à 2021. Pre- trêmes, les atmosphères sombres et les membre également de la Needcompany. mière le 25 octobre au STUK, à Louvain. lignes narratives décalées ». Ils se plaisent Dans FOREVER, les deux artistes s’attachent à estomper les frontières entre réel et ima- à parler de notre mortalité, qui contraste ginaire, et ici, entre spectateur et interprète. avec le renouvellement perpétuel de la na- Failbetter / Renan Martins Ce « terrier » est la boîte noire, l’espace ture. Leur point de départ est une composi- Après une formation en danse au Brésil et en physique de la représentation considéré tion de Gustav Mahler, Das Lied von der Erde Autriche, Renan Martins intègre P.A.R.T.S. comme un protagoniste à part entière, lieu (1909), et plus particulièrement sa dernière (« Performing Arts Research and Training de déformations spatiales et temporelles… partie, Der Abschied, composée après l’an- Studios ») en 2010 pour participer à un cycle Pour goûter les saveurs de l’étrangeté, ren- nonce faite au musicien d’une maladie car- de recherche au cours duquel il s’est concen- dez-vous le 18 octobre aux Brigittines, à diaque fatale. « La finitude des humains tré de manière plus intensive sur la chorégra- Bruxelles. mérite aussi un Lied et une danse », affirme phie et a commencé à développer son propre Grace Ellen Barkey. Première le 21 octobre travail. Interprète, entre autres, pour Anne au Kaaitheater, à Bruxelles. Teresa De Keersmaeker, Pierre Droulers, nicht schlafen / les Ballets C de la B Meg Stuart, Renan rejoint, en septembre Pour sa nouvelle création, Alain Platel 2014, l’équipe de l’asbl Seventyseven auprès s’inspire de l’œuvre et de la vie de Gustav Des illusions / Cie 3637 de Les Slovaks, d’Anton Lachky, de Moya Mi- Mahler. Le compositeur autrichien mort en Après le thème de l’émancipation (Cortex), chael, de Meytal Blanaru et de Peter Jasko. 1911 vécut à une période de bouleversements, celui de l’immigration (Eldorado), la compa- Dans sa pièce présentée cet automne, il sou- dans une Europe aux prémices de conflits gnie 3637, aborde avec sa nouvelle pièce les haite poursuivre le dialogue entre danse et mondiaux. Neuf danseurs évoluent sur pressions de la réussite professionnelle. musique amorcé à P.A.R.T.S. et caractéris- scène, sur une musique composée par Une adolescente est prise de vertige le soir tique du travail d’Anne Teresa De Keersmae- Steven Prengels – avec lequel Alain Platel a de ses 17 ans : quelles sont ses perpectives ker, en revisitant la musique du compositeur collaboré à plusieurs reprises –, inspirée de d’avenir ? Quelle voie choisir ? Porté par autrichien Anton Webern et plus particulière- l’œuvre musicale de Mahler, mais également Sophie Linsmaux, Bénédicte Mottart et Co- ment la Passacaille (genre musical pratiqué des traditions polyphoniques congolaises. ralie Vanderlinden, ce spectacle métapho- aux XVIIe et XVIIIe siècles). Première le 25 Première le 19 octobre à deSingel, à Anvers. rique, qui mêle théâtre, danse et musique, octobre au Space Belgica, à Bruxelles. s’adresse autant aux adolescents qu’aux adultes. La mise en scène est signée Bap- Mèches / Vincent Fortemps, Mauro Pac- tiste Isaia, la scénographie Aurélie Deloche Eat it / Cie Irène K cagnella, Didier Casamitjana et la musique Philippe Lecrenier. Le 24 oc- La pomme de terre est en Belgique ce que Lorsqu’un chorégraphe, un musicien et un tobre au Théâtre de la Montagne Magique, l’olive est à la Grèce, autant dire incontour- dessinateur se rencontrent, le résultat +12 ans. (Lire aussi entretien pp.18-19). nable. Eat it, « ode à la terre et à ses aboutit à une performance plastique et so- pommes », est le fruit d’une collaboration nore. Deux hommes, deux survivants, deux entre la compagnie d’Irène Kalbusch et The naufragés confinés dans un espace clos, tel EVOL / Claire Croizé Arts Fission Company de Singapour. Loin un îlot virtuel, esquissent un espace sans Co-fondatrice de la structure Action scé- d’être anecdotique, le projet s’est construit repères. Vincent Fortemps dessine en di- nique (avec Nada Gambier et Étienne Guillo- autour du thème de la nourriture, des habi- rect des images projetées sur un fond blanc. teau), la chorégraphe installée en Belgique tudes alimentaires dans leurs dimensions Au souffle des deux performeurs (Mauro depuis plusieurs années a développé divers culturelle, géographique, climatique et spi- Paccagnella et Didier Casamitjana) ré- projets artistiques tout en travaillant égale- rituelle. La réflexion s’est étendue à la pondent les gestes du dessinateur sur la ment comme interprète. Elle revient au- question de la boulimie, du gaspillage, de matière peinte, amplifiés par des micros jourd’hui avec E VOL… abréviation d’ l’obésité… En frite, soupe ou purée, la patate capteurs. Première le 20 octobre aux Brigit- « évolution » et anagramme de « LOVE », parle de force terrestre, de culture et de tines, à Bruxelles. des thèmes au cœur de cette nouvelle tradition. Il ne reste plus qu’à suivre cette création. Claire Godsmark, Youness injonction : Eat it, le 10 novembre au Alter Khoukhou, Emmi Väisänen et Jason Respi- Schlachthof d’Eupen. FOREVER / Lemm&Barkey & Needcom- lieux se déploient sur scène plongés dans le pany silence, parfois rompu par des morceaux de On ne présente plus la Needcompany, fon- David Bowie. La dramaturgie est signée Giovanni’s Club / Claudio Bernardo dée en 1986 par le metteur en scène et plas- Étienne Guilloteau avec lequel Claire Croizé Après la parution d’un hors-série d’Alterna- 4 ticien Jan Lauwers avec la chorégraphe vient de fonder une nouvelle structure, tives théâtrales consacré à son œuvre, le P.
danseur et chorégraphe Claudio Bernardo met en scène quatre danseurs sud-coréens, 2001, elle a dansé pour plusieurs choré- investira très prochainement les scènes de un pianiste et un percussionniste, lie cha- graphes : Philippe Découflé, Maria Clara AUTOMNE 16 . N° 67 théâtre et invitera le public à découvrir un manisme et danse contemporaine. Ce rite Villa Lobos, Fatou Traoré… Après sa Food club particulier, « un cabaret sulfureux de particulièrement pratiqué en Amérique du Story, une trilogie sur la culture japonaise liberté ». Giovanni’s Club est ce lieu qui ras- Sud et en Asie est une perpétuelle source par le biais de la nourriture, elle livre en semble les esprits de deux séducteurs my- d’inspiration et de réflexion pour la choré- 2015 Oshiire sur les rapports entre une thiques : Don Juan et Casanova. Cette nou- graphe d’origine argentine. « La question du mère et son enfant. Puisant constamment velle pièce au titre faussement léger chamanisme a toujours éveillé ma curiosité, dans un matériau autobiographique, elle questionne la virilité, la masculinité au- pour son lien fort avec la nature en général évoque cette fois-ci les questions de l’exil et . jourd’hui, une création ambitieuse interpré- et plus spécifiquement avec les animaux ; de la nostalgie. OMOI a plusieurs homo- NDD tée par sept danseurs. Avec Mikaël Bres, dans la croyance chamanique, ‘rien ne nous nymes et signifie en japonais penser, gravité Breno Caetano, Vincent Clavaguera-Pratx, appartient et nous appartenons à tout’ ». physique, gravité mentale mais également . Ezra Fieremans, Calixto Neto, Mavi Veloso, Nativos est une invitation à un voyage ritua- nostalgie, aimer quelqu’un. « La maison se CRÉATIONS Christos Xyrafakis. Bienvenue au Club le 15 lisé dans un contexte contemporain où la tient dans le vent, elle semble proche d’où novembre 2016, Théâtre Varia, à Bruxelles. partition chorégraphique joue sur la répéti- nous sommes, mais on ne peut pas l’at- tion de 310 mouvements… Première le 19 teindre facilement », écrit la chorégraphe. novembre au Stadsschouwburg, à Bruges. « La pièce parle des doutes, de la peur de Nativos / Ayelen Parolin rentrer à la maison, et de se permettre de Ayelen Parolin nous revient avec Nativos, chercher nos propres réponses. OMOI parle une pièce produite par le Théâtre de Liège et OMOI, la maison vent / Uiko Watanabe de la force de gravité que l’idée de maison par la Korean National Contemporary Dance et Sarah Wéry peut exercer sur nous. » Co-signée avec la Company. Créée sur un modèle proche d’Hé- Née au Japon, Uiko Watanabe se forme très musicienne Sarah Wéry. Première le 21 no- rétiques (2014), cette nouvelle œuvre, qui tôt à la danse. Basée à Bruxelles depuis vembre à la Raffinerie, à Bruxelles. Shown and Told / Cie Damaged Goods Un projet de la chorégraphe Meg Stuart en collaboration avec le performeur et écrivain Tim Etchells. Lors de cette rencontre im- provisée, ils se servent de leur corps comme instrument de performance dans un espace partagé de langage et de mouvement. Ils explorent ensemble leurs thèmes de prédi- lection, qui varient de la présence à l’ab- sence, du manque et de la perte à la frag- mentation de toute ligne narrative. Le 30 novembre au Kaaistudio’s, à Bruxelles. The Common People / Jan Martens et Lukas Dhont Au départ, une question : que se passe-t-il quand deux étrangers se rencontrent pour la première fois sur scène ? Après Anvers (en septembre), Marseille (en octobre), Courtrai (en novembre), voici le tour de Gand, où 48 résidents qui ne se connaissent pas vont se faire face sur une scène, les uns après les autres… À la fois expérience sociale, atelier, installation et performance, le projet de l’ar- tiste belge Jan Martens, avec la complicité du réalisateur Lukas Dhont, a pour ambition de provoquer une rencontre physique et non vir- tuelle de 48 habitants d’une ville, loin des écrans de tablettes et d’ordinateurs. Rendez- vous avec des inconnus, le 7 décembre à CAMPO nieuwpoort. Par ailleurs, Jan Mar- tens sera à partir de cette année le « Creative Associate » du Centre artistique international de Flandre deSingel. Nombre de ses spec- tacles ainsi qu’une rencontre avec le choré- graphe seront programmés à cette occasion, du 27 au 29 octobre : www.desingel.be Alex au pays des poubelles / Cie XL Production « Je me pose toujours la question de l’utilité de ce que je fais. Mon envie artistique est toujours présente au départ mais j’ai besoin de dénoncer les travers de notre société. Le Ayelen Parolin Nativos © Mok Jinwoo défi est de réaliser un spectacle jeune public intégrant ces dimensions politique et artis- tique », nous confiait récemment Maria Clara Villa Lobos. C’est chose faite avec cette nouvelle création qui vise, entre autres, à sensibiliser les enfants aux enjeux du recy- clage. Après ses pièces M, XL, XXL, Mas- Sacre, Alex au pays des poubelles clôt le cycle sur notre société de (sur)consommation. À découvrir le 26 décembre aux Tanneurs, à Bruxelles, dans le cadre du festival Noël au 5 Théâtre. + 7 ans • Alexia Psarolis P.
AUTOMNE 16 . N° 67 BRÈVES . NDD Mouvements grandement améliorer le travail des compa- Technique Alexander. Le chorégraphe et dan- Clap de fin pour Vincent Thirion et les trois gnies et des artistes (par des aides aux projets seur était artiste associé depuis la fondation artistes associés (Michèle Anne De Mey, pluriannuelles, des conventions plus lon- du studio Le Regard du Cygne, où il était en Thierry De Mey, Pierre Droulers) : une nou- gues...), mais qu’il nécessite impérativement charge de la programmation danse depuis velle ère va bientôt commencer à Charleroi un important refinancement sous peine d’en- 2001. Danses. La nomination d’Annie Bozzini à la voyer tout le monde dans le mur en quelques tête du Centre chorégraphique de la Commu- années. Autre nouveauté, la Fédération Wallo- nauté française a fait couler beaucoup d’encre nie-Bruxelles a lancé un appel à projet pour la Prix en mai dernier. Longtemps directrice de la création d’un bureau de diffusion, comme le Whispers de la compagnie Mossoux-Bonté a revue Pour la danse, elle a ensuite fondé, et réclamait le Conseil de la danse depuis de très reçu en mai dernier le « Special Award of the dirigé pendant 20 ans, le Centre de développe- longues années. Cinq structures recevront un 27th International Festival of Puppetry Art » à ment chorégraphique (CDC) de Toulouse, du- montant allant de 20 000 à 75 000 euros pour Bielsko-Biala, en Pologne, récompensé pour quel elle a fini par démissionner, lassée par le accompagner les compagnies de danse et de sa « maîtrise dans la création de l’image en manque de considération des pouvoirs publics. théâtre dans ce difficile travail de diffusion. relation avec le son et le mouvement ». Ce Femme d’expérience, cette battante a long- festival international est, depuis sa création en temps milité pour ouvrir la danse à d’autres 1966, un lieu incontournable pour l’art de la publics. C’est donc en toute cohérence que son Coopération marionnette, où se rencontrent formes tradi- projet pour Charleroi Danses s’intitule « La La ministre de la Culture en Fédération Wallo- tionnelles et contemporaines. danse en partage ». « ‘Danse’ car je veux me nie Bruxelles, Alda Greoli, a récemment suc- centrer sur la danse, et ‘partage’ car il faut cédé à Joëlle Milquet. Aux côtés de son homo- convaincre le public. (…) J’aime faire tomber logue flamand, Sven Gatz, elle lance, pour 2017, Cette année, les Rencontres de Huy ont mis la les barrières qui subsistent parfois à l’égard un nouvel appel aux opérateurs culturels qui danse à l’honneur et plus particulièrement de la danse contemporaine », déclarait Annie souhaitent mener un projet en collaboration celle à destination des ados. Brèves de ves- Bozzini après sa nomination (La Libre Belgique, avec un partenaire de l’autre Communauté. Les tiaires de la Cie Le Huit a obtenu le Prix de la 2 mai 2016). Son projet pour le futur quinquen- propositions peuvent être introduites jusqu’au Province de Liège, la Cie 3637 repart avec le nat ? Travailler sur les publics, poursuivre la 15 octobre 2016. Un montant identique est ap- Prix de la ministre de la Jeunesse et Coup de Biennale de la danse, permettre aux spec- porté par chaque Communauté aux projets sé- foudre de la presse pour son spectacle Des il- tacles de tourner plus longtemps, faire lectionnés, pour un total de 5 000 €. lusions (lire aussi l’entretien p. 18), et Dance- connaître la danse belge francophone… Voilà floor du Théâtre de l’EVNI remporte la men- quelques-uns des axes de son travail. Et quel tion spéciale du jury. Avec des spectacles qui sera son budget ? C’est toute la question. La Coupes flamandes suscitent souvent la réflexion sur des théma- nouvelle directrice va passer le futur contrat- L’été a apporté son lot de stress et de tiques qui les touchent, la saison s’annonce programme et le budget au peigne fin, avant déceptions. En juillet dernier, le ministre sous de bons auspices pour les jeunes. d’investir les lieux en janvier 2017. flamand de la Culture Sven Gatz a retenu 207 demandes de subvention pour 2017-2021 sur 300. L’AB, le Kaaitheater, le KVS, deSingel, Le 3 octobre, les Prix de la critique Théâtre et Succédant à Jan Goossens nommé au Festi- Vooruit, Concertgebouw, Bronx, le Danse seront remis lors d’une cérémonie qui val de Marseille, Michael de Cock prend la Beurschouwburg… recevront plus de subsides se déroulera au Théâtre national. Décernés direction artistique du KVS pour la nouvelle qu’en 2013… mais moins que le montant par des journalistes culturels, ces trophées saison. Auteur, metteur en scène, acteur et escompté. Scénario classique, les grosses visent à « rendre compte de la richesse et de directeur de t,arsenaal à Malines depuis structures restent épargnées… au détriment la pluralité des arts de la scène » - théâtre, 2006, « il veut construire un ensemble inter- des petites, telle SARMA – laboratoire de danse auquels s’ajoute pour la première fois le générationnel et interculturel composé de pratiques discursives et de publication dans le cirque. Le Prix Bernadette Abraté honorant le genres divers qui relève les défis de la métro- champ de la danse et de la performance – qui rayonnement d’une personnalité sera remis à pole et puise dans toutes ses opportunités » fait partie des (nombreux) vaincus : elle vient Jean-Louis Colinet et à Jan Goossens, qui (site du KVS). Quant à son homologue franco- de perdre son aide structurelle et doit donc quittent respectivement le National et le KVS. phone nommé en mai dernier à la direction du repenser son mode de fonctionnement pour le Concernant la danse, sont nominés : Cold Théâtre national, il s’agit du comédien et futur. Blood de Jaco Van Dormael, Michèle Anne De metteur en scène Fabrice Murgia, qui suc- Mey et Thomas Gunzig dans les catégories cède à Jean-Louis Colinet, parti au Festival Meilleur spectacle et Meilleure création artis- de Liège et au Festival de Naples. Un défi Disparitions tique et technique. Dans la catégorie Meilleur pour le trentenaire qui signera sa première Le printemps dernier a été marqué par le spectacle de danse : Happy Hour de Mauro véritable programmation en 2017-2018. décès de deux personnalités du monde du Paccagnella et Alessandro Bernardeschi, théâtre et de la danse. À Bruxelles, Jacques Rushing Stillness de Marielle Morales et Sim- Thomaes, directeur de la structure Pierre de plexity de Thierry De Mey. Dans la catégorie Pendant ce temps au ministère... Lune (Centre Dramatique Jeunes Publics de Meilleur spectacle Jeune public : Stoel de la Dans le prolongement de la plate-forme de Bruxelles), dans laquelle il s’est investi durant Nyash Compagnie et Alibi du Théâtre de l’EVNI. réflexion « bouger les lignes », la ministre de 28 ans, a rejoint les étoiles. Un hommage lui a la Culture Joëlle Milquet, suivie par Alda été rendu lors des Rencontres de Huy l’été Greoli, a souhaité mettre en place un nouveau dernier. Happy Hour de Mauro Paccagnella et Alessan- décret relatif au subventionnement des arts de dro Bernardeschi continue d’être acclamé à la scène. Après de multiples réécritures, le travers le monde. Les deux artistes viennent texte devrait être voté cet automne. Nous au- Fabrice Dugied est décédé à Paris, le 4 avril. de recevoir le Prix de la danse décerné par les rons l’occasion d’en proposer une analyse Fils de la journaliste de danse Lise Brunel, il structures britanniques « Total Theatre » - qui complète pour le numéro de janvier, mais on s’était formé à la danse contemporaine mais édite un magazine numérique et propose des 6 peut déjà dire que ce futur décret pourrait aussi à la danse africaine, au tai chi et à la ressources en ligne - et The Place, lieu de ré- P.
férence pour la création contemporaine en Grande-Bretagne. Le « Luminux Award of AUTOMNE 16 . N° 67 Theater Moments » leur a également été remis par le Summerhall, à Edimbourg. Une récompense également pour Nono Battesti, et sa compagnie Dessources, qui remporte avec Double, une pièce mêlant danse métissée et musique live, le Prix du public du . NDD Off d’Avignon, dans la catégorie danse-théâtre. Alessandro Bernardeschi & Mauro Paccagnella . BRÈVES Chorégraphe de l’année, c’est le titre décerné à Anne Teresa De Keersmaeker par le maga- zine allemand Tanz, à l’occasion de la publica- tion du Jahrbuch (livre de l’année) 2016. Cette distinction, attribuée par 42 critiques interna- tionaux, marque la reconnaissance de la cho- Happy Hour © Jean Poucet régraphe déjà multiprimée pour ses créations Golden Hours, Die Weise von Liebe und Tod, le spectacle de répertoire Bartók/Beethoven/ Schönberg dansé par le Ballet de l’Opéra de Paris, ainsi que pour l’exposition Work/Travail/ Arbeid présentée au Wiels à Bruxelles, au Centre Pompidou à Paris, à la Tate Modern de Londres et, en mars prochain, au MoMA de New York. En attendant, elle reprend du 4 au 7 octobre son célèbre Rain, créé en 2001, en col- laboration avec le Kaaitheater et La Monnaie. tique du dessin au stylo-bille qu’elle utilise important que parmi les cinq théâtres La célèbre chorégraphe française Maguy comme outil réflexif dans ses explorations nationaux, l’un soit dirigé par des personnes Marin a reçu un Lion d’or à la Biennale de Ve- et les workshops qu’elle mène. En août der- venant du monde de la danse, et c’est d’autant nise pour l’ensemble de sa carrière. nier, elle a proposé un atelier dans le cadre plus important qu’on constate, quand on est à du 4 e symposium IDOCDE (« International l’écoute des artistes chorégraphiques, qu’il y Documentation of Contemporar y Dance a une forte régression des conditions Dame de Pic souffle 20 bougies Education »), accueilli par ImPulsTanz à d’exercice de la danse, que ce soit pour les Tout au long de l’année, la compagnie de Ka- Vienne. La documentation qui en découle danseurs ou les chorégraphes », déclarait le rine Ponties fête deux décennies d’existence et sera visible très prochainement sur www. directeur lors de sa présentation de saison. • de création. Après la Tchéquie, la Slovaquie et idocde.net/idocs/1612, intitulée « Revisiting Alexia Psarolis Moscou – lieux avec lesquels la chorégraphe a drawing as a tool for poetic and polyphonic tissé des liens étroits –, les festivités se clôtu- dance documentation ». reront à Bruxelles avec la reprise de Luciola aux Brigittines et Hero% au Théâtre de la Vie. Quatre soirées spéciales ponctueront cet évé- Avis aux noctambules Notre collègue bien-aimé, ardent défen- nement avec des cartes blanches offertes aux Qui a dit que la nuit est faite pour dormir ? Le seur de la danse, aura tout le loisir, à par- interprètes de la compagnie. Au programme 1er octobre, ce sera Nuit blanche à Bruxelles ! tir du mois d’octobre, de se consacrer à également, de la musique, du dessin Initié par la Ville de Paris en 2002, ce concept plein temps à la lecture du Papalagui et à (évidement), le tout emballé dans un coffret s’est étendu à une dizaine de capitales euro- la pêche au homard dans le Golfe du anniversaire, comme il se doit pour une telle péennes. Cette année, le quartier européen Mexique. Michel Cheval quitte Contre- occasion (lire aussi le dossier Danse et arts de Bruxelles ne va pas fermer l’œil : de 19h à danse après 22 années riches d’engage- plastiques, p. 10). 3h du matin, il sera transfiguré par une mul- ment – notamment à la R.A.C. (Réunion titude de propositions artistiques, dont celle des Auteurs Chorégraphes) – et du collectif Bixas (créé en 2014) avec sa per- d’échanges avec les danseurs et choré- Le palimpseste de Michèle Noiret formance déambulatoire Anywhere doors, co- graphes. Psychologue et criminologue de Solo Stockhausen, créé en 1997 par Michèle produit par Nuit blanche. Cinq portes se pro- formation, régisseur puis programma- Noiret en hommage au compositeur Karl- mènent parmi les passants, mises en teur, il a été l’initiateur du festival « Danse heinz Stockhausen, inspirera sept ans plus mouvement par dix performeurs… une méta- à la Balsa ». Ce drôle d’animal aura mar- tard le réalisateur Thierr y Knauff, qui phore des frontières, une réflexion sur l’Es- qué de sa patte équine le secteur bruxel- l’adaptera au cinéma. En 2014, elle revisite pace Schengen, en écho avec l’actualité. De lois de la danse. On lui souhaite de trépi- ce Solo en repartant cette fois du film, pour 20 h à 1 h. dantes aventures braino-mexicaines ! en livrer une autre lecture, tel un palimp- seste (méthode utilisée surtout au Moyen Âge, qui consistait à effacer d’anciens ma- La Belgique méridionale nuscrits pour y copier de nouveaux textes). Le Théâtre des Doms, la vitrine sud de la créa- Du 6 au 8 octobre, elle présente Palimp- tion belge francophone, a renouvelé avant l’été seste #1 Duo, en collaboration avec le dan- son contrat-programme pour 2017-2020 et re- seur et chorégraphe David Drouard au cevra de WBI une enveloppe annuelle de Théâtre National de Chaillot, à Paris. L’ar- 667 000 euros (indexée annuellement). Outre la tiste belge sera à l’honneur au Centre Wal- poursuite de leurs missions déjà définies, les lonie-Bruxelles, qui propose le 1er octobre Doms mettront également en œuvre une acti- une rencontre ainsi que la projection d’un vité en lien avec la Journée internationale de la documentaire sur son œuvre. Francophonie et accorderont dans leur pro- grammation une plus grande place au cirque. Danse et dessin Depuis 2012, la danseuse et chorégraphe La danse de Chaillot Anouk Llaurens s’est immergée dans une Le Théâtre de Chaillot à Paris devient officiel- recherche sur « la documentation poétique, lement Théâtre National de la Danse. À sa polyphonique et multimodale de la danse ». tête, Didier Deschamps rempile pour un se- Aux côtés du danseur, chorégraphe et plas- cond mandat de trois ans. Philippe Decouflé 7 ticien Julien Bruneau, elle découvre la pra- est associé en tant qu’artiste résident. « Il est P.
Corps et graphie AUTOMNE 16 . N° 67 Le dialogue intime entre danse et arts plastiques Les 20 ans que la compagnie de Karine Ponties fête cette année DOSSIER offrent cette belle opportunité d’explorer les interactions entre ces deux disciplines artistiques : danse et arts plastiques. . NDD Dossier réalisé par Alexia Psarolis « Chorégraphier, c’est à l’origine tracer ou danger, de confronter « la fixité de la matière en biographique qui ne se résume en rien à une noter la danse », rappelle l’historienne de la mouvement et la réalité vivante des corps ». Ses restitution de ses œuvres mais une façon origi- danse Laurence Louppe 1. Issu du grec (de compagnons de création ? Thierry Van Hasselt, nale d’approcher un univers artistique avec tout khoreia, la danse, et de graphein, écrire), le un des chefs de file de la nouvelle vague de la BD l’humour et le décalage que permet la BD. terme, inventé par Feuillet 2 en 1700, renvoie belge et fondateur du Frémok 3, auquel elle s’as- aujourd’hui à l’activité de création, de composi- socie sur les spectacles Brutalis et Holeulone. Quand danse et dessin se confondent, l’expé- tion plus qu’à celle de trace. L’étymologie invite Avec Stefano Ricci, la chorégraphe découvre rience sur scène est des plus surprenantes. à rapprocher art chorégraphique et dessin ou une « débauche de matières ». Pastels à l’huile, Vincent Glowinski est ce « dansinateur » qui a crayons lithographiques et pigments font sur- franchi les frontières et qui, de son corps a fait un peinture, ces modes d’expression graphique qui gir des images que le dessinateur italien a très pinceau humain. C’est donc tout naturellement se déploient dans l’espace et le temps. Et pour- vite envie de mettre en mouvement. De leur qu’il intitule sa première performance Human tant, aussi surprenant que cela puisse nous interaction naîtra Humus vertebra. L’univers Brush, qui préfigure Méduses, présentée la sai- apparaître aujourd’hui à l’ère de la transdisci- singulier de l’illustratrice Beatrice Alemagna son dernière au Théâtre national de Bruxelles. plinarité, ces disciplines ont longtemps coha- est également une inépuisable source d’inspi- Issu des arts plastiques et du street-art en par- bité sans se soucier l’une de l’autre. Le journa- ration, tout comme celui de Stefan Zsaitsits et ticulier, l’ancien graffeur se lance à corps perdu liste et écrivain Philippe Verrièle remonte le d’autres encore. dans la performance suite à sa rencontre avec temps et analyse cette (non) relation qui préva- un programmeur, Jean-François Roversi. Ce lait avant le XXe siècle entre les arts plastiques Des croquis sur des carnets de notes, c’est dernier a développé un dispositif qui permet et la danse, jusqu’à ce moment de bascule- ainsi que Mathilde Monnier prépare ses de projeter sur écran les traces que le danseur ment : la modernité. chorégraphies. Dessiner, pour elle, « c’est laisse en se mouvant sur scène. Naissent ainsi écrire le corps en mouvement ». Le jour où sur la « toile » de multiples figures issues du Saisir ce qui se joue dans cette relation artistique, le dessinateur et auteur de BD franco-belge monde animal… Dessiner avec son corps, sans entrer dans l’intimité de cette aventure, c’est ce François Olislaeger contacte la chorégraphe pinceau ni autre outil, une prouesse et un spec- que nous avons tenté de faire, en recueillant les pour qu’il lui apprenne à danser, elle accepte tacle dont on sort réellement… médusé. • AP paroles d’artistes. Ce dossier met en exergue immédiatement… mais leur projet initial pren- trois démarches contemporaines qui, de par leur dra finalement une toute autre forme : celle 1 Laurence Louppe, Danses tracées, éditions Dis Voir, 1991. originalité, méritent que l’on s’y attarde. d’une bande dessinée où François et Mathilde 2 « Raoul-Auger Feuillet fait carrière à l’Académie royale de musique. Il publie en 1700 un système de notation des pas de sont devenus des personnages graphiques. danse, Chorégraphie, ou l’art de décrire la danse. Le système Karine Ponties, chorégraphe française instal- Alternant planches en noir et blanc et jaillisse- Feuillet est la première écriture de la danse par signes inven- lée à Bruxelles, met des mots sur ce dialogue ment de couleurs, la BD Mathilde, danser après tés, inspiré de la notation musicale. » Encyclopédie Universa- ininterrompu qu’elle mène depuis plusieurs an- tout 4 est un ovni dans la production choré-gra- lis. 3 Maison d’édition franco-belge spécialisée dans la littérature nées avec des dessinateurs, peintres ou illus- phique. Abordant la genèse des pièces, elle suit graphique. trateurs. Approcher un autre territoire est une le processus créatif de la chorégraphe, livre 4 Mathilde Monnier, François Olislaeger Mathilde, danser après façon pour elle de se bousculer, de se mettre en ses doutes et ses réflexions. Un documentaire tout, éditions Denoël Graphic/CND, 2013. De la danseuse à la danse, les plasticiens à l’épreuve de la modernité Par Philippe Verrièle Si l’on change de perspective, en regardant l’histoire de l’art moderne de s’intéresser à la danse et non plus à la danseuse était pour les artistes la à partir des préoccupations de la danse, et non le contraire, comme c’est marque d’une entrée consciente dans la modernité. L’exemple est patent en encore fréquemment le cas, une profonde rupture apparaît. Comme si le fait Allemagne, au moment de l’expressionnisme, il est aussi sensible en France. On pourrait légitimement se demander en quoi On pourrait alors objecter que la préoccupation avancées techniques de l’usage de la lumière les relations entre danse et arts plastiques plastique allait naître avec la conscience de de son époque. Son travail plastique constitue constituent réellement un sujet. Sinon à aligner, l’art de chorégraphier. Mais, outre que, sans en une véritable clef de compréhension de ce chef- comme il a déjà été fait, quelques poncifs sur savoir le mot, les « composeurs » étaient déjà de d’œuvre de l’art romantique de la danse… Et l’importance de la transdisciplinarité ou de la réels chorégraphes, il faut souligner l’absence qui s’en soucie ? 2 Pour cruel, le constat n’en est collaboration entre les arts, ce qui ne fait guère complète des plasticiens dans l’histoire longue pas moins certain, la danse pouvait se poser avancer le débat. En réalité, la danse se passe de la danse. la question de la musique ou de l’espace, se très bien des arts plastiques et s’est très bien préoccuper du sujet et du poète, mais elle ne se accommodée, et pendant très longtemps, de Danse et arts plastiques : chacun son souciait guère des arts plastiques. n’avoir que quelques barbouilleurs disciplinés territoire pour décorer les toiles. Dans son livre De la En regard, les arts plastiques se satisfaisaient manière de composer et faire réussir les ballets À l’exception des plus éminents spécialistes, au mieux de n’avoir avec la danse qu’une (1641), Nicolas de Saint-Hubert précise : « Pour qui se souvient du nom de Ciceri, l’éminent relation utilitaire et, au pire, aucune relation du faire un beau ballet, il y a six choses nécessaires : créateur des décors de Giselle (1841) ? Pourtant tout. La grande majorité des œuvres plastiques savoir le sujet, les airs, la danse, les habits, les Pierre-Luc-Charles Ciceri, peintre d’une consacrées à la danse que nous connaissons machines et l’ordre, desquelles choses je dirai mon réelle maîtrise, témoigne dans sa composition avant le XXe siècle relèvent de deux catégories sentiment. » 1 On remarque l’utilisation du terme pour Giselle d’une véritable compréhension principales : d’une part, des œuvres relatives « composer » et non « chorégraphier », un terme dramaturgique du ballet de Perrot-Coralli et du aux décors et costumes (cartons, esquisses, qui n’existe pas encore, et on note l’absence livret de Gautier, tandis que sa fréquentation de etc.), d’autre part, des portraits de figures 8 totale de mention du peintre ou du plasticien. Daguerre lui permettait de maîtriser toutes les remarquables. Il peut s’agir de grandes P.
Ressentir quelque chose de la danse AUTOMNE 16 . N° 67 Afin, là encore, d’éviter les évidences trop fréquemment partagées, il n’est pas directement question de Diaghilev, des Ballets russes, de collaboration entre les arts ni de transdisciplinarité. Duncan danse ; de Segonzac ou Grandjouan 5 dessinent. Qu’ils aient pu être follement troublés par le charme de la danseuse libre n’a qu’un intérêt anecdotique. Ils . NDD sont saisis par la danse et ne s’intéressent pas du tout à la danseuse, encore moins au contexte pittoresque dans lequel elle évolue. Ils s’en . tiennent à la danse. DOSSIER La modernité se joue dans ce petit espace, juste entre la danse et la danseuse, avant tout dans la question de la représentation. Dans la préface à l’anthologie des écrits sur la danse publiée « en regard de l’exposition ‘Danser sa vie’ (Centre Pompidou, 23 novembre 2011-2 avril 2012) », les auteurs condamnent leur démarche d’office en engageant que « représenter la danse, art de l’éphémère, instant fugitif déployé dans l’espace, apparaît comme une gageure pour les artistes, tout autant que pour les auteurs. » 6 Mais justement, où est-il question de représenter ? Comme si la danse devait se cantonner à n’être qu’une séance de dessin avec poses en mouvement que les peintres et dessinateurs se devaient de saisir dans les meilleures conditions afin de la présenter à nouveau. Ce qui fait la modernité, ce qui se joue dans les dessins de Grandjouan ou de Dunoyer de Segonzac tient justement à ce qu’il n’y est plus question de « représenter » mais de ressentir quelque chose de la danse. Il est passionnant de constater que Grandjouan va continuer à dessiner Duncan même après la mort de celle-ci, comme une invocation © Laurent Paillier puisqu’il n’est plus question de présenter celle qui n’est plus (ni, a fortiori, de la re-présenter). Dans un domaine esthétique très différent, celui de l’expressionnisme allemand, le même processus se met en place. En effet, Pour Danser la Peinture (éd. Scala), la chorégraphe Tatiana Julien prouve combien on remarque ce phénomène d’engagement du l’approche chorégraphique par Kirchner est une question existentielle. En réponse à la plasticien dans la sensation de la danse chez Totentanz de Mary Wigman peinte par Kirchner, la danseuse n’apparaît d’abord que comme Emil Nolde et Ernst Ludwig Kirchner. Ceux- ombre colorée et déformée, avant d’engager tout son corps. ci s’intéressent à la danse dès la première décennie du siècle, non plus pour son caractère pittoresque mais pour la puissance personnalités de l’époque, ainsi le Portrait Caran d’Ache le journal Psst… !, ouvertement de l’expérience existentielle qu’elle procure. de la Camargo par Lancret 3, ou de la danse antisémite). Il peut être considéré comme le Lorsque Kirchner rencontre Mary Wigman, comme élément du pittoresque, telle la danse successeur de Degas, mais plutôt orienté vers tout est en place pour leur long et fructueux champêtre de Watteau. La chose est donc une morale froufroutante, croquant par le trou échange, et il écrit dans son journal : « Il est beaucoup plus tranchée qu’en musique – car sur du voyeur la danseuse en grande négociation… infiniment stimulant et attirant de dessiner ce point le débat continue – : les arts plastiques Doté d’un véritable coup d’œil – il ne fut pas l’un ces mouvements de corps. Je vais en faire vont très bien dans leur domaine et la danse des plus grands caricaturistes de son temps de grands tableaux. Oui, ce que nous avons dans le sien sans qu’il soit besoin d’interroger pour rien –, d’un sens aigu de la composition pressenti est devenu réalité. L’art nouveau est les uns par l’autre et réciproquement. et d’un penchant pour la dérision, Jean-Louis là ». On n’aurait pas pu mieux cerner l’enjeu, à Forain peut prétendre au rang de « grand défaut de sujet. • Le moment de basculement peintre de la danseuse ». C’est à ce titre qu’il permet de comprendre pourquoi le rapport 1 Saint-Hubert (de) Nicolas (ou Michel), De la manière de com- Et quelque chose change. En 1912 par exemple, de la danse aux arts plastiques signe de façon poser et faire réussir les ballets, Paris, François Targa, 1641. Réé- l’album de 27 pastels que Jules Grandjouan irréfragable le passage à la modernité. dition en fac-similé, Minkoff, Genève 1993. 2 On notera une exception notable, à laquelle la présente analyse consacre à Isadora Duncan. Son collègue doit sa référence : l’excellent travail signé par Delphine Demont André Dunoyer de Segonzac avait fait de même Que l’on ne se méprenne pas. Pour ses et feue Wilfride Piollet, intitulé « Du Palmier et de la Willi » et en 1910, consacrant un autre de ses albums à contemporains, Forain incarnait aussi publié dans le Bulletin de la Société Théophile Gautier n° 31, année 2009, p. 143 et suivantes. Shéhérazade, que venait de donner les Ballets sûrement l’image de la danse que de 3 Voir sur ce point l’article de Franziska Windt in Le ballet de russes. Et puis il y a Rodin, et Bourdelle, et Segonzac. Dans un numéro de l’un des l’opéra, trois siècles de suprématie depuis Louis XIV. Albin-Michel, Kupka, et… Force est de constater que quelque premiers magazines d’information intitulé Paris 2013. chose d’essentiel a changé dans la relation « Les Hommes du jour » consacré à « La Danse, 4 Les Hommes du jour, Annales Politiques, Sociales, Littéraires et Artistiques. Hors-Série n° 6, janvier 1912. entre les plasticiens et la danse. art de la joie » 4, on relève que l’illustration de 5 Il est cependant intéressant de constater que Jules Grandjouan, couverture est consacrée entièrement à un André Dunoyer de Segonzac, tout autant que Jean-Louis Forain Pour mesurer l’enjeu, l’amateur peut revenir dessin de Forain (une danseuse penchée vers étaient connus pour être de grands caricaturistes, leur activité à Forain. Louis Henri Forain (dit Jean-Louis l’avant, regardant par ce qui semble le trou de plasticiens étant beaucoup moins réputée, du moins de leur vivant. Et il serait possible, avec les réserves nécessaires, de Forain 1852-1931), aujourd’hui mésestimé, d’un décor dans un flou froufroutant de tutu faire le même constat pour Henri de Toulouse-Lautrec. fut proche des mouvements d’avant-garde et fondu dans la grisaille du fond). Mais dès que 6 Christine Macel et Emma Lavigne, « Écrire la danse, quelques tient une place singulière dans l’histoire de l’on ouvre le magazine, un grand article rend repères pour une anthologie », in Danser sa vie, Écrit sur la danse, Éditions du Centre Pompidou, Paris 2011, p. 7. l’iconographie de la chose chorégraphique. hommage à Isadora Duncan, accompagné de Celui que Toulouse-Lautrec reconnaissait grands dessins de Dunoyer de Segonzac. Dans comme son seul maître avec Degas était ce journal, il n’y a pas de différence de nature Journaliste, critique, pédagogue et écrivain, l’une des figures marquantes du mouvement ni de traitement entre les deux approches Philippe Verrièle est aujourd’hui chargé de la impressionniste. Proche de Verlaine et de graphiques : celle qui en reste au sujet danse pour la Lettre du spectacle. Il a publié Rimbaud, caricaturiste fameux, il devint une pittoresque et légèrement coquin de Forain, et plus d’une dizaine d’ouvrages dont le plus personnalité du Tout-Paris. Il donna dans le l’autre s’efforçant de saisir quelque chose de récent, Danser la peinture, a reçu le prix du 9 dessin nauséeux mais de talent (il créa avec l’émotion de la danse. meilleur livre de danse 2016. P.
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