Droit au logement Le journal de l'Asloca no 238JANVIER 2019 - Disparition des petits commerces?
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Droit au logement Le journal de l’Asloca no 238 JANVIER 2019 Dossier Disparition des petits commerces? – Parlement fédéral Un chantage inadmissible – Neuchâtel Une contestation qui vaut la peine
SOMMAIRE ÉDITO 10 HENRIETTE SCHAFFTER Rédactrice en chef Droit au logement LE MESSAGE DE L’ASLOCA p.3 Habiter au centre-ville, c’est agréable pour SUISSE la simple et bonne raison qu’on y trouve tout Chantage face aux locataires p.4 ce dont on a besoin. Enfin, pas toujours. De moins en moins même. J’ai besoin d’un clou VOS DROITS pour installer un nouveau cadre dans mon Bâtiment de 30 ans à considérer comme immeuble ancien p.5 salon... je dois me rendre en périphérie de la ville car je ne trouve plus de quincaillerie DOSSIER au centre. Je cherche du poisson frais pour Les petits commerces en ville: diverses solutions aux problèmes rencontrés p.6-9 un repas familial: plus de poissonnerie à proximité. FRIBOURG Le petit commerce spécialisé disparaît des Attention au besoin urgent du bailleur p.10 centres-villes et fait petit à petit la place à des bureaux ou à des appartements. La faute 12 NEUCHÂTEL Incroyable baisse de loyer suite à qui? Manque de commerçants, loyers trop à une contestation par le locataire p.11 chers ou obstacles trop nombreux? VAUD Quel est dès lors le rôle des autorités? Que Grands travaux et grandes résiliations p.12 peuvent-elles entreprendre pour ne pas assister impuissantes à la mort de leur GENÈVE Travaux liés aux nouvelles lois sur centre-ville? l’énergie: qui paie la facture? p.13 Nous avons fait le tour des grandes villes ro- Invalidation de l’initiative pour des mandes et avons constaté que les opérations logements pour toutes et tous p.14 de sauvetage sont nombreuses et diverses. CONSULTATIONS DE L’ASLOCA p.15 Explications dans ce numéro. NEWS p.16 Hormis ce dossier, Droit au logement revient sur le traitement au Conseil national, lors de la session parlementaire d’hiver, de notre initiative fédérale «Davantage de logements abordables». Rejet et maintien du chantage entre l’octroi de moyens financiers pour le logement d’utilité publique et le retrait ou le rejet de l’initiative. Ce sera prochainement au Conseil des Etats de se prononcer puis au peuple. La campagne s’annonce ardue. Au niveau cantonal nous abordons les dé- 14 boires de l’initiative genevoise «Construisons des logements pour toutes et tous», déposée il y a quelques mois et invalidée récemment par le Tribunal fédéral. Bonne lecture! Couverture: @Ville de Genève Henriette Schaffter Rédactrice en chef Droit au logement n° 238 janvier 2019 2
LE MESSAGE DE L’ASLOCA par CARLO SOMMARUGA Président de l’ASLOCA Suisse L a scène était particulière ce 12 décembre 2018 au Conseil natio- Cette situation n’est pas inéluctable. Nous l’avons déjà dit ici. Le secret, nal. L’on se serait cru à l’ouverture d’un séminaire des milieux c’est la mobilisation et la participation aux scrutins et aux élections afin immobiliers. Les deux rapporteurs de la Commission de l’éco- de changer le rapport de force. nomie et des redevances (CER-N) chargés de la présentation de l’initiative de l’ASLOCA «Davantage de logements abordables» Pour que la politique fédérale en matière immobilière change, nous et de la proposition de rejet de la majorité de la commission n’étaient devons obtenir le meilleur résultat possible lors du vote populaire sur autres que les responsables des organisations faîtières des associations notre initiative fédérale. C’est effectivement à l’aune du résultat des immobilières de Suisse romande et de Suisse alémanique: MM. Olivier urnes que nous pourrons assister ou non à la naissance d’une véritable Feller, secrétaire général de la Fédération romande immobilière (PLR/ politique fédérale en faveur du logement d’utilité publique et des coo- VD), et Hans Egloff (UDC/ZH), président de la Hauseigentümerverband, pératives d’habitation. l’association des propriétaires alémaniques. La bataille ne sera pas facile car tout est fait pour casser l’élan populaire Une captation de la fonction de rapporteur dans l’intérêt particulier des autour de notre initiative. D’abord, un chantage politique inadmissible milieux immobiliers, bien loin de l’intérêt du plus grand nombre que destiné à déstabiliser notre électorat. La promesse de la continuation devrait défendre un élu fédéral. Une confiscation du débat politique par du financement du logement d’utilité publique par le biais du fonds de les professionnels du lobby immobilier lui-même. C’est donc à juste titre roulement n’est maintenue que s’il y a retrait ou rejet de l’initiative «Da- que la conseillère Ada Marra (PS/VD) a interpellé les rapporteurs pour vantage de logements abordables». Ensuite, le calendrier. Alors que le qu’ils dévoilent le montant des revenus perçus dans leur fonction au traitement de l’initiative devait légalement se terminer en avril 2019, sein du lobby immobilier pour mener leur combat au Parlement. L’un et imposant de fait le logement comme thème de la campagne électorale, l’autre ont esquivé la question. Répondre aurait montré l’indécence de la majorité politique actuelle ralentit les travaux pour renvoyer le vote la situation aussi sous l’angle financier. populaire après les élections fédérales. Cette scène parlementaire illustre l’absence de toute pudeur de la ma- Mais la meilleure arme pour changer la donne, c’est de renforcer les jorité politique actuelle. Pour elle c’est normal de laisser les élus des forces politiques qui défendent les locataires et de promouvoir l’élection divers groupes d’intérêts économiques, comme celui de l’économie im- au Parlement d’un maximum de femmes et d’hommes issus des rangs de mobilière, prendre les rênes du Parlement au moment de discuter d’un l’ASLOCA lors des élections fédérales d’octobre de cette année. objet touchant aux intérêts du secteur économique concerné et surtout aux intérêts des membres de leur propre organisation. Le moment venu, nous reviendrons sur ce que chacune et chacun peut faire pour que les locataires soient mieux entendus à Berne et que l’em- La majorité actuelle ne fait aucun mystère des politiques défendues. prise des milieux immobiliers soit desserrée. Tout au marché et au profit, aussi en matière de logement et de bail. Aucune considération pour l’important besoin de logements abordables des classes moyennes et populaires. Claire volonté de remettre en cause les instruments du droit du bail destinés à combattre les loyers abusifs. PARLEMENT SOUS INFLUENCE: STOP! Droit au logement n° 238 janvier 2019 3
SUISSE POLITIQUE FÉDÉRALE CARLO SOMMARUGA Président de l’ASLOCA Suisse Un chantage inadmissible à l’égard des locataires! «On vous donne du béton, mais l’accès aux briques doit rester limité»: voici, imagée, la décision prise par le Conseil national en fin d’année 2018. P our construire les maisons, il faut deux choses. Des briques et du bé- ton. Si les briques viennent à man- quer ou le béton à se tarir, le chantier s’arrête. Plus de maisons. Il en va de même avec la production de logements d’utili- té publique. Pour produire de tels logements, échappant à la loi du marché et du profit et proposant des loyers abordables, il faut des terrains (les briques) et un financement avan- @dr tageux (le béton). Si l’un des deux éléments fait défaut, pratiquement plus aucun logement d’utilité publique ne sort de terre. Un instrument nécessaire: le droit de préemption Du béton mais peu de briques, ou comment ne pas construire de logements abordables. Il est difficile pour les coopératives et les autres maîtres d’ouvrage de logements d’utili- de roulement en faveur du logement d’utilité Chantage aux citoyens té publique de mettre la main sur des terrains publique. Il permet d’accorder des prêts à un Cette manière de faire est l’expression d’un dé- en vente. Notre initiative populaire «Davan- tarif avantageux aux coopératives et autres dain envers tous les locataires au budget lour- tage de logements abordables», en plus d’un acteurs qui construisent des logements d’uti- dement grevé par les loyers élevés et qui ne objectif de 10% de logements nouveaux en lité publique. C’est un peu la bétonnière qui – trouvent pas de logement abordable. logements d’utilité publique, vise justement selon les besoins – fournit le béton nécessaire Du point de vue des droits politiques, c’est à doter les cantons et les communes d’un ins- à la construction de la maison. Mais, lorsque la un chantage incroyable. Il vise à placer les ci- trument juridique permettant d’accéder à ces bétonnière est à sec, plus de béton et plus de toyennes et citoyens devant un choix inaccep- terrains, sans distorsion du prix du marché, construction. C’est la situation actuellement table: ou bien la promesse de quelques millions pour y construire des logements abordables du fonds de roulement. Il est à sec. Le Conseil de francs annuels pour le logement d’utilité pu- ou les remettre dans le même but en droit de fédéral et le Conseil national ont donc proposé, blique ou bien une politique de promotion sou- superficie à des coopératives. Cet instrument, à titre de contreprojet indirect, une promesse tenue des logements d’utilité publique ancrée c’est le droit de préemption. Avec l’inscription de réalimentation de ce fonds de 250 millions dans la Constitution, mais sans argent. du droit de préemption dans la Constitution fé- de francs étalés sur dix ans soit en moyenne Un comportement de flibustier des institutions dérale, comme cela existe déjà dans la Consti- 25 millions de francs par an. Un minimum démocratiques jamais vu que l’ancien conseil- tution ou dans la loi de certains cantons, toutes que les élus proches des coopératives et des ler fédéral Johann Schneider-Ammann, le sou- les communes et tous les cantons qui le sou- locataires ont tenté de porter sans succès à rire en coin, a qualifié, lors de sa toute dernière haitent pourraient acquérir prioritairement, 375 millions de francs. Il s’agit au surplus intervention devant le Parlement, de «pression mais toujours au prix du marché, les terrains d’une promesse car pendant dix ans, le Parle- de l’épaule» pour imposer la vision du Conseil vendus par la Confédération ou par des en- ment devra chaque année donner son accord fédéral. Une manière totalement déloyale d’or- treprises publiques comme les CFF, La Poste, au décaissement d’un montant dans le cadre ganiser le débat autour de l’initiative populaire etc. Selon notre initiative, les communes et les du budget annuel. qui fait peur à la droite libérale et aux milieux cantons qui le veulent peuvent même étendre La majorité du Conseil national, soumise aux immobiliers. Au moment d’écrire ces lignes, il ce droit à tout type de terrain constructible. Un intérêts des milieux immobiliers, a ajouté une y a encore l’espoir que le Conseil des Etats et sa accès facilité aux briques évoquées ci-dessus. condition à cette promesse de refinancement Commission des affaires juridiques reviennent La majorité du Conseil national a refusé. du Fonds de roulement: le retrait de l’initiative sur ce chantage institutionnel et politique. Ce par ses déposants ou son rejet par le peuple! serait la moindre des choses, au moment où la Le fonds de roulement réapprovisionné, C’est comme si pour construire la maison l’on majorité des élus fédéraux exige que les ques- mais à une condition disait: «Je te promets du béton à la condition tions soumises aux citoyennes et citoyens par Du côté du financement, la Confédération que tu renonces à l’accès facilité aux briques». initiative populaire soient formulées clairement dispose d’un instrument efficace, le Fonds Une absurdité! et sans chausse-trappe. Droit au logement n° 238 janvier 2019 4
VOS DROITS IMMEUBLES DE PLUS DE 30 ANS FRANÇOIS ZUTTER Avocat répondant ASLOCA Genève Contestation du loyer initial: comment fixer le loyer d’un vieil immeuble? Le Tribunal fédéral vient de trancher la question de savoir à quel moment un immeuble est considéré comme ancien pour la fixation du loyer. Explications. A près avoir considéré qu’il nouveau loyer est conforme aux loyers du quar- fallait retenir «plusieurs décen- tier. nies», le Tribunal fédéral a dé- A cet égard, les critères posés par la loi et la cidé qu’un immeuble est ancien jurisprudence sont extrêmement sévères, de lorsque sa construction ou sa der- sorte que, sauf exception, le bailleur n’arrive- nière acquisition est de trente ans au moins au ra pas à prouver que le loyer n’est pas abusif. moment du début du bail. Cette question est Dans ce cas, le juge ne peut pas fixer le loyer d’importance car elle détermine le mode de en fonction des statistiques, dans la mesure où, fixation du loyer,@drnotamment du loyer initial toujours et encore selon le Tribunal fédéral, il lorsque celui-ci @est dr contesté, et la répartition n’existe pas de statistiques suffisamment pré- du fardeau de la preuve. cises et différenciées pour fixer un loyer, même les statistiques genevoises. En conséquence, le Calcul souvent profitable au locataire juge n’aura pas d’autre solution que de fixer le En principe, le loyer est fixé en fonction des loyer au niveau de celui de l’ancien locataire. fonds investis par le propriétaire et de ses charges: on peut ainsi calculer un rendement Victoire à la Pyrrhus des bailleurs net au sens de l’article 269 du Code des obli- Cela constituera déjà une grande victoire pour gations. Selon cette disposition, le bailleur ne le locataire, puisque l’on se trouve dans l’hypo- peut pas retirer un rendement abusif des fonds thèse où le loyer a été sensiblement majoré par investis; dans la mesure où le taux hypothé- @Marzio Bergomi rapport au précédent loyer; à noter que l’arrêt caire actuel s’élève à 1,5%, le rendement net Le Tribunal fédéral a rendu un jugement favorable aux loca- du Tribunal fédéral du 13 septembre 2018 a ne peut pas dépasser 2%, ce qui est très bas. taires, grâce au recours d’un bailleur! été obtenu sur recours d’un bailleur, ce qui a Peu de propriétaires se contentent d’un tel fait dire à Me Philippe Conod, avocat habituel rendement, de sorte que, lorsque le calcul peut peut contester le loyer initial si le loyer a été des bailleurs, qu’il s’agissait d’une victoire à la être effectué, le loyer du locataire est fortement augmenté sensiblement par rapport au loyer Pyrrhus (Newsletter Bail.ch, novembre 2018). réduit. Ce calcul est possible, si tant est que le de l’ancien locataire (+10%) ou s’il a été Autre conséquence de cette jurisprudence, bailleur veuille bien collaborer à la procédure contraint de conclure le bail en raison de la pé- lorsque l’immeuble est ancien ou n’a pas été et produire les pièces nécessaires, lorsque nurie régnant sur le marché local du logement acheté il y a moins de trente ans et que le loyer l’immeuble n’est pas ancien ou lorsqu’il a été (en général, le fait que le canton ait introduit n’a pas été augmenté sensiblement par rapport acheté récemment. l’usage obligatoire de la formule officielle pré- au loyer de l’ancien locataire, il est inutile de vue à l’article 270 alinéa 2 CO à la conclusion contester le loyer initial. En effet, il appartien- Pour les immeubles construits ou achetés de tout nouveau bail suffit à démontrer cette drait au locataire de prouver que le loyer est il y a moins de trente ans pénurie) ou encore en démontrant avoir été abusif en fonction des loyers usuels du quar- Dès lors, ce calcul est possible si l’immeuble a contraint de conclure le bail par nécessité per- tier, ce qui lui serait impossible de faire. été construit il y a moins de trente ans ou s’il a sonnelle ou familiale. Dans les autres cas (immeuble de moins de été acheté il y a moins de trente ans également. Lorsque l’immeuble n’est pas ancien ou n’a trente ans ou acheté il y a moins de trente ans Le Tribunal fédéral a précisé que le délai com- pas été acheté il y a plus de trente ans, le loyer ou immeuble ancien avec augmentation sen- mence à courir «à la date de la construction sera fixé par un calcul de rendement dans ces sible du loyer), il n’y a aucune raison de ne pas de l’immeuble et doit être échu au moment du trois hypothèses, c’est-à-dire même si le loyer contester le loyer initial. début du bail», ce qui va soulever de nouvelles n’a pas été augmenté ou même a été baissé par discussions quant à la détermination de la rapport à celui de l’ancien locataire. Rappelons que cette contestation se fait date de la construction de l’immeuble. dans les trente jours, dès réception de la On peut retrouver la date de construction ou Immeubles anciens: méthode différente chose louée, en déposant une demande auprès de d’achat de l’immeuble en consultant le Re- Cela étant, lorsque l’immeuble est ancien et la Commission de conciliation. Dans les cantons gistre foncier de chaque canton; certains can- que le loyer a été sensiblement majoré par qui connaissent l’avis officiel de fixation du loyer tons (comme Genève) mentionnent également rapport au loyer de l’ancien locataire, selon la initial (Fribourg, Genève, Neuchâtel, Vaud), cette au Registre foncier le prix d’achat, ce qui est jurisprudence du Tribunal fédéral, il y a une contestation peut être effectuée en tout temps si utile pour ébaucher le calcul de rendement. inversion du fardeau de la preuve, en ce sens le bailleur n’a pas notifié la formule officielle au @ dr De manière générale, on sait que le locataire qu’il appartient au bailleur de prouver que le locataire. Droit au logement n° 238 janvier 2019 5
DOSSIER LE PETIT COMMERCE EN VILLE HENRIETTE SCHAFFTER Rédactrice en chef Droit au logement VITRINES VIDES AU CENTRE-VILLE: QUE FAIRE? L Les locaux commer- a situation des petits commerces est la valeur de son immeuble diminue. C’est bien problématique, notamment en raison là que le bât blesse. ciaux atteignent des de l’essor des achats en ligne. Mais ce loyers très élevés, n’est pas tout. Lorsqu’une personne dé- Solutions des plus diverses sire ouvrir son propre commerce, elle Les villes de Suisse romande constatent si élevés que plus se heurte souvent à des difficultés pour trouver toutes la même évolution et s’en préoccupent. un local à loyer décent ou pour trouver la garan- Les taux de vacance exacts ne sont pas tou- personne ne peut les tie à faire valoir auprès du propriétaire. Dès lors, jours connus, mais presque toutes les villes louer... Les proprié- comment agir pour améliorer la situation des petits commerçants et éviter leur disparition? planchent actuellement sur cette nouvelle problématique. taires préfèrent sou- Les solutions sont diverses en Suisse romande, Côté Suisse alémanique, on a vu émerger un vent les garder vides mais toutes les autorités se mettent d’accord sur le fait qu’il faut faire le maximum pour mainte- phénomène nouveau, qui pourrait permettre d’éviter de voir trop de vitrines vides dans plutôt que de les nir des petits commerces au centre-ville. les rues du centre-ville: des «pop-up stores», magasins éphémères qui naissent ici et là, louer meilleur mar- Garantie de loyer exorbitante pour une période courte, afin de remplir les ché. Dès lors, que Ceux qui se lancent, malgré les loyers élevés, dans l’ouverture d’un nouveau commerce sont espaces vides et maintenir l’animation. faire? Quels sont les amenés à payer des garanties de loyer toujours Opération «Zéro vitrine vide» plus importantes. Les régies immobilières, dé- C’est dans cette tendance des magasins outils à disposition sireuses de se prémunir un maximum d’éven- éphémères et pour contrer un centre- des communes et tuels litiges, demandent des garanties de six ville devenu un peu morose que la Ville mois, voire douze ou vingt-quatre mois! Difficile de Neuchâtel a lancé son opération des différents autres de se lancer dans de telles conditions. Il devient «Zéro vitrine vide» au printemps 2017. acteurs de la ville cependant possible, pour les futurs indépen- dants, de contacter des sociétés de cautionne- A Fribourg, la première analyse de la vacance commerciale, menée en avril 2018, relate un pour maintenir l’ac- ment pour assurer cette garantie. Mais là aus- chiffre de 15% sur la zone considérée comme si, évidemment, il faut présenter des finances le «centre-ville», ce qui est élevé. Quant aux tivité commerciale solides. Concernant le financement de l’entre- prix des locations, il n’y a pas d’étude compa- dans les centres- prise, l’accès s’est resserré ces dernières années. A Genève, il existe une structure cantonale, la rative pour l’instant. La Ville a toutefois des estimations des loyers en ce qui concerne la villes? FAE (Financer Autrement les Entreprises), qui ville historique et remarque des différences apporte des solutions complémentaires de fi- dans l’attitude des propriétaires selon la zone nancement. (différente vers la gare). La Ville a mandaté des experts pour établir Différences entre pas-de-porte, fonds de une analyse de ville ainsi que, dans une se- commerce et loyer conde phase, une stratégie de valorisation du Le loyer est le montant à payer chaque mois quartier du Bourg en collaboration avec pro- pour l’utilisation du bien loué. Le fonds de priétaires et commerçants (résultats attendus commerce est le prix à payer pour bénéficier pour mi-2019). En réponse au dernier ques- de l’enseigne, de la clientèle, de la renommée, tionnaire envoyé par la Ville, les propriétaires des installations, du mobilier, du matériel, du considèrent toutefois à 60% que les loyers stock, etc. Quant au pas-de-porte, c’est une sorte sont stables ou en légère baisse sur les der- de ticket d’entrée qu’on verse une seule fois à nières années, ce qui n’est pas validé par les l’entrée en jouissance du bien. Il faut également commerçants... savoir que le fait de baisser un loyer commer- Alexandra Stadler, chargée du Développe- cial, pour un propriétaire, revient à accepter que ment économique de la Ville, observe que les Droit au logement n° 238 janvier 2019 6
@David Marchon Les boutiques OVS ont fermé partout en Suisse durant l’été 2018, suite à la faillite de l’entreprise, laissant de grandes vitrines vides dans les centres. Ici, à Neuchâtel, des décorations ornent les vitrines pour éviter de laisser l’espace totalement vide. commerces emblématiques, qui tournaient de- née de locaux commerciaux vides pour la mise puis des années avec des habitués (épicerie du en valeur de la culture locale. coin, bijouterie, etc.) et dont les propriétaires atteignent l’âge de la retraite ne trouvent pas Prix Rue de l’Avenir 2018 pour Delémont de repreneurs. Ils étaient souvent encore en La politique communale delémontaine en ma- mesure de fonctionner uniquement car les gé- tière d’implantation des commerces qui vise rants étaient simultanément propriétaires de à maintenir le commerce de détail au centre- l’immeuble, ce qui permettait de réduire dras- ville a été jugée exemplaire et a été récompen- tiquement les charges d’exploitation. Souvent, sée par le Prix Rue de l’Avenir 2018. En effet, la ces commerces n’étaient pas rentables sur les Ville a obligé les grandes chaînes de magasins dernières années, mais les gérants ont résisté alimentaires à s’établir au centre de Delémont jusqu’à la retraite, «pour le quartier». et non pas en périphérie. En vieille ville de De- lémont, selon une étude menée sur l’évolution Changement de typologie des commerces de l’occupation des rez-de-chaussée de 1992 à Quant aux commerces traditionnels (bou- 2017, le nombre de locaux commerciaux vides cheries, épiceries ou autres), ils ont pratique- est en diminution depuis quelques années. Une ment disparu en raison de la concurrence des liste des locaux commerciaux disponibles est grands magasins d’alimentation généralistes. régulièrement tenue à jour par la Municipalité Il y a un grand tournus pour les commerces de Delémont afin d’avoir une vue d’ensemble de flânerie (habits, accessoires, décorations) des rez-de-chaussée libres pour de potentiels indépendants. Les magasins qui pour l’instant commerçants. Des contacts avec les proprié- subsistent sont ceux qui se positionnent sur taires sont entrepris régulièrement afin de les des produits spécialisés ou de niche et qui mettre en relation avec des commerçants ou lo- offrent également des services après-vente cataires potentiels. Cependant, actuellement, de qualité (réparation, suivi). Une totale mu- la Municipalité est confrontée à différents pro- tation du type de commerce est en train de blèmes concernant les rez-de-chaussée vides. @Alexandra Ruiz s’opérer. En effet, plusieurs de ces derniers sont sans ac- La Ville de Fribourg a développé un plan d’ac- tivités apparentes et seraient donc disponibles férents obstacles (surface disponible, emplace- tion pour soutenir son centre-ville au niveau pour accueillir un commerce. Cependant, les ment, exigences des propriétaires, etc.). Depuis touristique, culturel et commercial, qui com- propriétaires souhaitent les garder ainsi pour 2017, un projet a été mis en place dans le but prend notamment l’engagement d’une délé- diverses raisons (stockage de matériel, usage de redynamiser la vieille ville, ce qui se traduit guée au Développement économique depuis personnel, bâtiment en vente ou en projet de par le démarchage de nouveaux commerçants 2017, des actions directes auprès des proprié- rénovation). Un commerçant est intéressé à et une aide à l’implantation de nouveaux com- taires d’espaces commerciaux vides et le déve- venir s’installer en vieille ville et à ouvrir une merçants en vieille ville (aide à la recherche loppement à venir d’une régie culturelle dont boucherie (il n’y a plus de boucherie indépen- d’un local, subventions éventuelles pour les le but est de soutenir l’attribution momenta- dante à Delémont)mais se retrouve face à dif- rénovations du local, communication, etc.). Droit au logement n° 238 janvier 2019 7
DOSSIER LE PETIT COMMERCE EN VILLE La Ville de Genève maintient le nombre des commerces de proximité Genève connaît des loyers très élevés, également en ce qui concerne les commerces du centre-ville. La Ville s’est dotée de plusieurs outils pour favoriser la diversité économique et la vie culturelle et empêcher une trop grande diminution des petits commerces. L es statistiques 2018 montrent que mentation des petites surfaces généralistes Diverses actions communales ciblées le loyer moyen des arcades com- (épiceries), des boulangeries/tea-rooms, des La commune de Genève agit sur plusieurs merciales vacantes dans le centre- kiosques et magasins de journaux et une dimi- plans. Elle met notamment à disposition à des ville de Genève est élevé: 797 fr/ nution des commerces alimentaires spéciali- prix non spéculatifs des arcades commerciales m2/an en moyenne dans le secteur sés (poissonneries et boucheries par exemple) qu’elle possède, en recherchant le maintien Genève-Cité, contre 400 fr/m2/an en moyenne et des pharmacies. A noter que, outre la ques- d’une diversité et la promotion des commerces à Plainpalais et 304 fr/m2/an dans les autres tion des loyers élevés, les commerces sont de proximité. La Ville de Genève dispose de communes genevoises. Le loyer peut même confrontés aujourd’hui à une mutation géné- 386 arcades commerciales et 9 kiosques à atteindre 5000 fr près de la place du Molard. rale des pratiques de consommation avec le louer. Genève a également adopté un règle- Les loyers ne sont pas à la baisse actuellement, développement du commerce en ligne. ment sur le plan d’utilisation du sol (PUS) qui bien au contraire. Il y a bien sûr des locaux va- pose le principe du maintien des affectations cants, comme c’était déjà le cas dans les années de commerces de proximité et lieux d’anima- 1990 et début 2000, mais le taux de vacance tion situés dans le périmètre du centre-ville et @OFSP reste faible (2%). dans des rues commerçantes définies. Ce règle- @ Nelly Jaggi ment permet d’engager un dialogue pour main- Nombre stable de petits commerces, tenir les affectations quand c’est possible (voir mais diversité moindre ci-dessous). La Ville soutient aussi la création, Le plan directeur communal 2020 a posé le développement et le maintien des PME qui comme objectif de rester une ville mixte, qui ont leur siège en ville de Genève, dont les com- implique un maintien d’une diversité des com- merces. Pour ce faire, elle agit via la Fondetec merces. La Ville fait un monitoring de l’évo- (Fondation communale pour le maintien et le lution des commerces de proximité et il en développement du tissu économique en ville résulte plusieurs constatations intéressantes: de Genève), qui octroie des prêts aux entre- le nombre de commerces de proximité s’est @Ville de Genève prises. Les commerces représentent près de maintenu par rapport à 2009 et a même un Centre-ville de Genève: des prix exorbitants! 30% des crédits octroyés. peu augmenté en 2017. Il y a cependant une certaine stagnation depuis 2015; la situation est contrastée selon les quartiers (le nombre «La diversité des commerces diminue à Genève. augmente au centre-ville et diminue dans les zones périphériques). On remarque égale- Les poissonneries, boucheries et pharmacies ment que la diversité diminue avec une aug- laissent la place aux commerces dits généralistes» Le plan d’utilisation du sol genevois: un outil novateur Le PUS est en vigueur depuis novembre 2013 De nombreux cafés et restaurants ont été n’arrivent pas à suivre. Alertée, la Ville s’est et vise à maintenir le nombre et la diversité chassés des rues basses et d’autres zones du penchée sur la question et a finalement accep- des commerces de proximité. Il oblige à créer centre-ville de Genève durant les dix à quinze té le changement d’affectation lorsque le Ba- et à maintenir des activités ouvertes au public dernières années. Plusieurs immeubles ont roque a su qu’il pouvait s’installer à proximité. dans les rez-de-chaussée en bordure de rue. changé de propriétaires et ces derniers, voulant Quant à la Fédération des entreprises Toutefois, lorsque la boutique Tricosa (vête- rentabiliser leur acquisition, ont doublé voire romandes, section Genève, elle est plus fata- ments et chaussures pour enfants), établie de- triplé les loyers, les rendant inaccessibles à un liste. Isabelle Fatton explique: «Ce sont les puis 1958 place du Molard, au centre-ville, doit grand nombre de commerçants. Le PUS est là propriétaires qui décident des conditions de quitter les lieux en janvier 2016 (les Rentes pour veiller à ce que l’hémorragie ne continue location et certains préfèrent même garder Genevoises, propriétaires, veulent récupérer pas. Le Baroque, restaurant également situé l’arcade vide.» les locaux pour leur propre usage), les autorités place du Molard, a dû laisser la place à une Mais, comme les multinationales continuent restent impuissantes. Le PUS ne concerne en enseigne internationale de vêtements. La forte à acheter des immeubles pour louer ensuite à effet que les restaurants, cinémas et magasins demande de ces enseignes internationales des prix inabordables, la diversité ne cesse de d’alimentation, mais pas les autres boutiques. fait grimper les prix et les commerces locaux diminuer... @BirdLife Suisse Droit au logement n° 238 janvier 2019 8
INTERVIEW Quelques questions à Denis Corboz, conseiller communal lausannois et auteur du postulat prônant une taxe incitative contre les loyers excessifs des surfaces commerciales. Des vitrines restent vides durant des mois au centre-ville de Lausanne. Selon vous, cela n’est dû qu’à des loyers excessifs? La plupart des acteurs de la branche le pensent en effet, et je les rejoins: ce sont notamment des loyers excessifs qui génèrent des surfaces commerciales vides. Ces surfaces se situent en majorité dans l’hypercentre et donnent une im- pression de morosité économique. Y a-t-il déjà eu des actions concrètes de la part de la Ville de Lausanne? Lorsque la Ville est propriétaire de surfaces commerciales, elle pratique des loyers abor- dables et veille à la mixité des acteurs. Mais acheter dans le centre est compliqué, car les prix sont très élevés et la Municipalité se concentre sur le logement. Mais, à travers son soutien aux activités de promotion écono- mique, à l’animation culturelle et festive du centre-ville, elle agit déjà concrètement. Votre solution serait de taxer les proprié- @Alexandra Ruiz taires afin qu’ils baissent les loyers. N’y a-t-il pas d’autres moyens de faire pression? La place Saint-François s’est beaucoup vidée ces dernières années. Un marché alimentaire y sera organisé dès le printemps Mon postulat propose une mesure qui poussera les 2019, en extension du marché central, le mercredi et le samedi. propriétaires à retrouver plus rapidement un com- Une taxe pour imposer merçant, sinon ils devront, après une période don- née, payer une taxe si le local reste vacant. Ce n’est pas la solution qui résoudra tout, mais elle appor- tera une contribution nécessaire face à la logique la location? strictement financière de certains propriétaires. Quelle est la marge de manœuvre des au- A torités? Lausanne, la situation est simi- Claude Grin, docteur en anthropologie, a La marge de manœuvre existe, la loi sur les im- laire à celle de Genève. Il y a des mené une étude sur la situation et l’avenir du pôts communaux permet à la Ville de Lausanne locaux commerciaux vides, mais commerce lausannois. Il y explique que les de prélever une taxe et l’oblige à reverser ce mon- ils sont à des prix inabordables. loyers des boutiques appartenant à des privés tant à la promotion économique de la ville. Philippe Bovet, commerçant et restent souvent trop élevés. «De plus en plus président de la Société coopérative des com- de villes européennes développent des actions Comment taxerait-on exactement les pro- merçants lausannois (SCCL), confirme: «Il publiques par le biais de sociétés d’économie priétaires? y a une pénurie de locaux à tarif abordable. mixte alimentées par des fonds publics et pri- Cette taxe doit d’abord être délimitée à un périmètre La Ville a beaucoup insisté auprès des pro- vés. Ces sociétés agissent directement soit en dans Lausanne. Il serait déraisonnable d’appliquer moteurs pour que les loyers d’appartements rachetant des locaux devenus vacants, soit une taxe à un local commercial de quelques mètres soient bon marché, mais cela se répercute mal- en établissant des protocoles d’accord avec carrés dans un quartier résidentiel. heureusement sur les commerçants, puisque des bailleurs, quitte à faire pression sur eux les propriétaires veulent quand même faire en les menaçant de préemption. Cela s’est fait Comment un propriétaire peut-il se per- des bénéfices sur leurs immeubles.» Il y a notamment à Paris, avec succès. Ces opéra- mettre ainsi de garder son local vide durant une grande inertie, car les propriétaires n’ac- tions permettent de modifier la physionomie des mois voire des années? ceptent pas de descendre les prix et préfèrent de certaines rues en y réintroduisant de petits C’est un pari pour chaque propriétaire: accep- garder des locaux vides en attendant que les commerces indépendants de proximité.» Il y ter un loyer plus bas pour plusieurs années, ou affaires reprennent. préconise la mise en place d’actions publiques attendre encore avec un local vide, en espérant Du côté des autorités communales, elles ont et la gestion de l’activité commerciale. En trouver un locataire? Le loyer annuel détermine créé il y a plus de dix ans le City Management, d’autres mots, d’être proactif, en soutenant la valeur d’un bien. quasi unique en Suisse romande, en collabora- l’implantation de commerces indépendants. tion avec des acteurs économiques majeurs de Un postulat d’un autre genre (voir ci-contre) Où en est ce projet? la Ville. Celui-ci, renommé récemment Fonda- a été déposé au printemps 2018 et est actuel- Le postulat sera soumis au Conseil communal tion pour le commerce lausannois, a pour but lement en discussion au sein des autorités de prochainement. Sa mise en œuvre prendra d’assurer la promotion et le développement Lausanne. Celui-ci demande l’instauration encore du temps. Nous ne suspendons pour du commerce en ville de Lausanne, par l’or- d’une taxe pour les propriétaires qui laisse- autant pas notre soutien à toutes les autres me- ganisation de manifestations, mais aussi par raient une surface commerciale vacante. sures en faveur de l’animation du centre-ville. d’autres actions visant à améliorer l’accès, la La remise en route du Marché de Noël fin 2018 visibilité et la rentabilité des commerçants. en est un excellent exemple. Droit au logement n° 238 janvier 2019 9
FRIBOURG BESOIN URGENT DU BAILLEUR DÉLIA CHARRIÈRE-GONZALEZ Avocate ASLOCA Fribourg L’urgence est une notion toute relative... C’est au bailleur de prouver qu’il est urgent pour lui de récupérer son bien locatif s’il souhaite refuser une prolongation de bail à son locataire. L orqu’il résilie le contrat de son loca- taire, le bailleur peut se prévaloir d’un besoin urgent de la chose louée, pour lui-même ou pour ses proches. C’est d’ailleurs l’argument le plus souvent opposé par un bailleur quand le locataire re- quiert une prolongation de bail. Urgence à relativiser Or, si le besoin propre et légitime du bailleur d’occuper les locaux l’emporte généralement sur les intérêts du locataire à voir son bail per- durer, il n’en demeure pas moins que ce besoin, même urgent, n’impose pas nécessairement le refus d’une prolongation de bail. En effet, le juge peut prolonger le contrat de bail même si le bailleur démontre qu’il a besoin de la chose louée pour lui-même ou pour ses proches. Le besoin à prendre en considération est celui du bailleur, pour lui-même ou pour ses proches, ses parents ou ses enfants par exemple. Ainsi, le bailleur qui résilie le bail de son locataire parce qu’il entend vendre Il faut relativiser l’urgence du bailleur à récupérer son appartement. C’est d’ailleurs à lui de démontrer son besoin. son bien ne peut pas se prévaloir du besoin du futur acquéreur. Dans ce cas, et seulement lorsque l’immeuble sera vendu, il appartien- propre du bailleur doit être sérieux, concret et ment discuter avec ses voisins ou avec son en- dra au nouveau propriétaire d’invoquer son actuel. tourage… éventuel besoin propre. ... avec preuves à l’appui Exemple concret Démonstration par le propriétaire... Le besoin doit être sérieux. Il ne doit pas s’agir Il a ainsi été admis qu’un bailleur ne pouvait Le bailleur qui invoque son propre besoin ou d’un prétexte pour se débarrasser du locataire. se prévaloir d’un besoin propre urgent alors celui de ses proches assume le fardeau de la Il doit également être concret, c’est-à-dire repo- même que, quelques jours seulement avant preuve, c’est-à-dire qu’il lui incombe d’établir ser sur des faits réels et démontrés. Ce besoin de résilier le contrat de bail d’une locataire, il l’existence d’un besoin urgent. Ce besoin ur- doit encore être actuel. Il doit être susceptible relouait, dans le même immeuble, un appar- gent n’est pas établi si le bailleur ne fait valoir de se concrétiser immédiatement, ou à brève tement, identique à celui convoité, et amené à que des motifs de confort, par exemple pour échéance. Un besoin futur et hypothétique être vacant à la même date. Ce bailleur vivait disposer de plus d’ensoleillement ou d’une n’est pas suffisant. d’ores et déjà dans l’immeuble concerné, dans meilleure vue. un quatre-pièces. Il invoquait la naissance S’il est vrai qu’on ne peut pas exiger du bail- Le locataire a tout intérêt à se renseigner récente d’un troisième enfant et la nécessité leur qu’il renonce à l’objet loué ou qu’il Quand bien même il appartient au bail- d’occuper un logement plus grand pour jus- doive supporter une longue attente avant leur d’apporter la preuve de son besoin tifier la résiliation du contrat de sa locataire, de récupérer son bien, les motifs que ce urgent, le locataire a, de son côté, tout in- qui vivait depuis plusieurs années dans un dernier invoque pour que la prolonga- térêt à vérifier la réalité du besoin allégué. cinq-pièces et demie. Malheureusement pour tion demandée par le locataire soit refusée Pour ce faire, le locataire peut, notamment, ce bailleur, la personne avec qui il venait de doivent revêtir une certaine importance. demander au Registre foncier de lui fournir signer un contrat n’était autre que le fils d’une Pour qu’il puisse l’emporter sur l’intérêt du lo- la liste des propriétés de son bailleur. Il peut collègue de travail de la locataire dont le bail cataire à rester dans la chose louée, le besoin même des fois suffire au locataire de simple- avait été dénoncé! Droit au logement n° 238 janvier 2019 10
NEUCHÂTEL RÉDUCTION DE LOYER: SUCCÈS MARIE-CLAIRE JEANPRÊTRE PITTET Responsable du service juridique ASLOCA Neuchâtel Qu’on se le dise, les loyers sont (presque) tous trop chers Ne laissez pas passer l’occasion de contester le loyer initial de votre bien loué. Cela peut valoir la peine, preuve en est l’exemple ci-dessous. A l’heure où nos élus fédéraux Résultat: le locataire a obtenu ce qu’il deman- initial, même s’il y a eu des travaux, et même s’il s’attaquent à la protection contre dait, à savoir le retour au loyer précédent de n’y a pas de hausse au changement de locataire les loyers abusifs, il y a lieu de rap- 675 fr.; les calculs ont même démontré que dans les communes en situation de pénurie. peler combien il faut encourager celui-ci aurait pu être ramené à 559 fr. les locataires à se battre pour que On comprend bien pourquoi les bailleurs font leur loyer reste décent. tout pour cacher les revenus abusifs qu’ils tirent de leurs immeubles, et leurs alliés po- Consultez l’ASLOCA assez tôt pour voir Ne pas être défaitiste litiques pour supprimer les droits légitimes si les conditions sont réunies. Même si On entend trop souvent, et malheureusement des locataires. La transparence n’est pas syno- l’on ne connaît pas le rendement de l’immeuble même dans les salles de tribunal, que tel loyer nyme de profit. à ce stade, il y a une seule chose qui est certaine, n’est pas cher eu égard aux annonces que l’on c’est que l’on paie le loyer figurant dans le bail voit paraître dans les journaux. Ne pas hésiter à contester le loyer en cas d’inaction, alors que le loyer contesté Au contraire, sachant que les loyers ne baissent On ne le répétera jamais assez, il ne faut pas ne peut jamais être pire, mais qu’il est souvent pas, malgré les baisses incessantes du taux laisser passer l’occasion de contester son loyer moins voire beaucoup moins élevé. hypothécaire, il faudrait présumer qu’ils sont (presque) tous trop chers. Mais, pour le véri- fier, il faut pouvoir évaluer le rendement que @David Marchon procure un appartement à son propriétaire, ce qui est possible essentiellement au début du contrat, en contestant le loyer initial dans les 30 jours suivant la remise des clefs. Et les ré- sultats sont souvent spectaculaires. Belle réussite neuchâteloise Une procédure vient de se terminer par un ju- gement, qui donne une idée de ce que devrait être un loyer non abusif, pour un appartement de trois pièces situé en ville de Neuchâtel. L’im- meuble avait été racheté en décembre 2012 par une société immobilière, qui procédait peu à peu à la rénovation des logements au gré du départ des locataires. Un appartement a ain- si été remis sur le marché après avoir subi d’importants travaux, dont une nouvelle cui- sine. La formule officielle, obligatoire dans les communes où sévit la pénurie, indiquait que le précédent loyer était de 675 fr., alors que le nouveau était fixé à 1050 fr. sans les charges. Loyer fortement surévalué! Le locataire a contesté ce montant dans le dé- lai légal, mais la conciliation n’a pas abouti; l’affaire a donc été portée devant le tribunal. La procédure a permis de faire sortir les docu- ments nécessaires à un calcul de rendement, notamment le prix d’acquisition, ainsi que les charges financières et d’entretien. Il vaut la peine de contester le loyer initial: un locataire de cet immeuble a obtenu une réduction de loyer de 375 fr.! Droit au logement n° 238 janvier 2019 11
VAUD RÉSILIATION DES BAUX POUR TRAVAUX NATHALIE FLAMING Avocate ASLOCA Vaud Grands travaux mais très petite considération Délogés après des décennies dans le même appartement, des locataires lausannois contestent leur congé, donné en raison de grands travaux prévus par le propriétaire. C ette année 2019 débute amère- rénovation de l’objet loué lorsque la présence tique, deux procédures se déroulent souvent ment pour les locataires de deux des locataires rendrait les travaux plus com- simultanément: la procédure administrative tours sises à l’angle de l’avenue du pliqués ou plus onéreux ou les retarderait de diligentée par le locataire qui allègue que les Parc-de-la-Rouvraie et de l’avenue façon notable. travaux ne sont objectivement pas nécessaires Aloys-Fauquez à Lausanne. Sans au- Ces appréciations supposent que le motif du d’une part et la procédure de droit privé por- cune séance d’information préalable, les loca- congé donné par le bailleur soit suffisamment tant sur la validité du congé, qui devrait être taires de 160 logements ont reçu leur congé précis et vraisemblable afin de permettre au lo- suspendu dans l’attente de la décision admi- pour le 31 janvier 2019 au motif que la société cataire d’apprécier ses chances de contester le nistrative d’autre part. propriétaire, Credit Suisse Anlagestiftung, en- congé. Un congé qui ne serait étayé par aucun tend faire des travaux d’importance dans les plan, aucun document technique ou adminis- Difficultés à se reloger immeubles concernés. Une seule prolongation tratif, aucun devis, devrait être annulé par les Les principes ainsi posés démontrent à suffi- d’un an est proposée par la gérance. tribunaux. sance l’importance d’étudier attentivement le dossier des travaux envisagés et de préparer Première étape: la contestation du congé Travaux viables et autorisés une défense appropriée. Les congés massifs La grande majorité des locataires a donc De même, si le projet du bailleur apparaît notifiés en raison d’importantes rénovations contesté ce congé auprès de la Commission objectivement impossible, notamment parce sont particulièrement choquants dès lors de conciliation, première instance devant la- qu’il est incompatible avec les règles de droit qu’ils méconnaissent totalement les difficultés quelle la bailleresse devra justifier en quoi la public applicables et que le bailleur n’obtien- rencontrées par les locataires dans le contexte présence des locataires est incompatible avec dra pas les autorisations nécessaires, le congé actuel de pénurie qui sévit dans le canton de son projet de rénovation. est abusif et doit être annulé. Dans cette op- Vaud. En effet, ces dernières années, d’autres im- meubles du quartier ont subi d’importants travaux (désamiantage, remplacement des colonnes de chute, réfection des salles d’eau, etc.) sans que les locataires ne soient mis à la porte. Des solutions pratiques telles des rocades entre les appartements libres des di- vers immeubles ont pu être trouvées et des égards particuliers ont été témoignés envers les aînés. Manque de considération envers les locataires En l’espèce, si le fond du dossier doit encore être examiné à l’aune des pièces qui seront produites en cours de procédure, autant dire que la forme a fait défaut et a blessé de nom- breux locataires, pour la plupart à la retraite et occupant l’immeuble depuis des décennies. Congé accepté selon les cas Le Tribunal fédéral a déjà admis la résiliation de baux motivée par des travaux de grande envergure comportant notamment des modi- fications dans la distribution des locaux, les rénovations des salles d’eau et cuisines. En outre, n’est pas contraire à la bonne foi une Les travaux de rénovation n’entraînent pas toujours la nécessité de résilier les baux. Des aménagements sont possibles afin résiliation en vue de l’assainissement ou de la d’éviter de trop gros désagréments aux locataires. Droit au logement n° 238 janvier 2019 12
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