Essai d' interprétation hermétique - Quelques marqueteries de Lorenzo Lotto à Santa Maria Maggiore, Bergame

 
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Essai d' interprétation hermétique - Quelques marqueteries de Lorenzo Lotto à Santa Maria Maggiore, Bergame
Quelques marqueteries de Lorenzo Lotto
           à Santa Maria Maggiore, Bergame

               essai d'interprétation hermétique

revu le 5 décembre 2004

     Plan : Préambule - Lorenzo Lotto à Bergame - les panneaux de protection :
     Iconostases vers le peuple [l'Arche de Noé - Submersion du Pharaon - Judith - David et
     Goliath] - Côté droit [Amour sur la balance - la Création - la Création d'Eve - le sacrifice
     de Caïn et Abel - Tubal - l'Ivresse de Noé - Maccabée - David sort de Jerusalem - Esther]
     - Côté gauche [la nourriture du Lapis]

     Préambule : nous tirons les lignes qui suivent d'un opuscule sur les
     marqueteries de Lorenzo Lotto [1480 - 1556] qui offrent un intérêt tout
     particulier pour l'étudiant féru d'alchimie. Ces marqueteries sont situées dans
     le choeur de l'église de S. Maria Maggiore à Bergame. Elles résultent de l'art
     combiné de Lotto et de l'ébéniste Giovan Francesco Capoferri. Toutes ces
     petites oeuvres ont été rapprochées dans une exposition qui s'est déroulée
     vers 2002, présidée par Fernando Noris. On ne sait pas grand chose de la
     vie de Lotto sinon qu'il subit l'influence de Giovanni Bellini à ses débuts sans
     être cependant son élève. Il travailla également sous d'autres influences,
     notamment celles de Giorgione ou Léonard de Vinci et se serait lié d'amitié
     avec Palma il Vecchio qui avait un tempérament aussi doux que le sien. Des
     historiens ont affirmé qu'il avait travaillé avec Vinci, ce qui n'a pu être vérifié
     mais ce fut surtout à Venise qu'il exerça d'abord ses talents en révélant un
     don de miniaturiste. D'ailleurs, il illustra de précieux manuscrits pour des
     communautés religieuses. On le trouva également à Trévise en 1505 et dans
     des localités environnantes où il produisit des tableaux pour des églises dans
     un style plutôt hiératique puis il fut invité en 1509 à Rome pour travailler aux
     Stanze mais fut renvoyé dès l'arrivée de Raphaël dont il essaya d'imiter le
     style. En 1513, devenu plus expérimenté dans le traitement du dessin et des
     couleurs, il fit halte à Bergame et peignit La Vierge aux Quatre Saints pour
     l'église San Bartolommeo, une oeuvre qui suscita l'admiration des habitants
     de la ville. Lotto produisit de nombreux tableaux pour des églises de
     Bergame et de ses environs en y mettant une touche très personnelle,
     innovant dans le registre de la représentation des Madonnes italiennes et
     des Vierges entourées de saints et d'anges en jouant également sur les
     effets de perspective et trouvant un style propre avec ses figures d'anges aux
     formes gracieuses.

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Essai d' interprétation hermétique - Quelques marqueteries de Lorenzo Lotto à Santa Maria Maggiore, Bergame
Choeur de la basilique de Santa Maria Maggiore - Bergame © Fernando Noris -
                               cliquez pour une vue globale du choeur

En tout temps l'alchimie, avec la force de ses symboles et de ses processus de
transformation, a offert des occasions de méditation mystique à tous ceux qui
s'intéressaient à obtenir un profond équilibre intérieur. Le but de l'opus alchimiste c'était
l'art de la transmutation1, où la matière brute était amenée à un niveau de pureté qui lui
conférait un état de perfection. Ce produit final était désigné comme pierre philosophale,
un sel rouge, riche de vertus spirituelles auxquelles était attribuée la capacité de guérir
tout corps malade et de régénérer chaque substance même apparemment morte. Au
niveau de l'intellect, mais encore plus au niveau spirituel de l'homme, cette Pierre des
Philosophes fut interprétée comme un moyen pour atteindre la Connaissance et la
Sagesse, qui toutes deux ont leur origine et leur fin en Dieu. Dans la culture occidentale,
l'alchimie spirituelle développa de profondes convergences avec le Christianisme2, de
telle sorte que l'image de la Pierre, qui transforme tout métal impur en or pur, est
associée à la figure du Christ messager du Verbe divin qui transforme tout homme
imparfait en être transformé par la force de la Foi. Penseurs et hommes d'église, tels que
Alberto Magno, Thomas d'Aquin et le Pape Jean XXI, dédièrent des ouvrages à l'alchimie
et suivirent en personne son développement avec intérêt. Les opérations d'alchimie, à
l'intérieur du Christianisme, étaient vues comme un parcours mystique, à travers lequel
l'individu peut s'unir au Christ. Lorenzo Lotto, tout comme de nombreux artistes du
Moyen-âge et de la Renaissance, était fasciné par le sens profond voilé sous les
symboliques hermétiques. Le cycle des scènes et des exploits du choeur de la Basilique
de S. Maria Maggiore a été conçu en tant qu'itinéraire ayant comme finalité de stimuler
une conversion spirituelle, à travers l'exposition et le commentaire des contenus
bibliques: Lotto a utilisé les métaphores alchimi[ques] afin de fixer dans la mémoire des
lecteurs des propos spirituels, fruits de leur cheminement intérieur. Il a défini ces exploits
comme « pour toute chose non écrite, il faut que l'imagination puisse les porter à la
lumière »; l'imagination créatrice a inventé les symboles qui démontrent la capacité de
nous faire percevoir des concepts et des situations qui autrement resteraient inexprimés;
ces symboles hermétiques détiennent la force de suggérer ou d'évoquer ce qui est
inexprimable, parce que indicible et de provenance divine. Lotto, Capoferri et leurs
commettants de sorte de "Théâtre de la mémoire", un choeur entendu comme une
enceinte sacrée à l'intérieur de laquelle, outre l'importance liturgique, politique et
religieuse, sont conservées les semences spirituelles et culturelles pouvant se révéler
capables de favoriser des parcours de Grâce personnels et collectifs. Lors de sa
première formation artistique, Lorenzo Lotto eut la possibilité, dans l'environnement
culturel de Trévise, de consulter l'une des plus riches bibliothèques de textes
hermétiques, celle de l'évêque Bernardo de Rossi, avant d'avoir pu commencer à
pratiquer des procédures de préparation-mélange de peinture et vernis de l'artisanat

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alchimique. Dans cette ville, en 1503-05 il eut également l'occasion de connaître des
personnages illustres tels que le poète alchimiste Giovanni Aurelio Augurello3, auteur de
Chrysopoeia, ouvrage édité à Venise en 1515 par Simone da Lovere de Bergame, et a
pu lire les manuscrits d'un des alchimistes des plus importants, Bernardo Trevisano.
Peut-être entra-t-il en contact avec la mystique pour laïcs de Jean Gerson (l'une des
lectures de l'évêque de Padoue, Pietro Barozzi, ami de de Rossi) et avec les conceptions
formulées par l'astrologue Battista Abioso. Dans la ville de Bergame, il eut des contacts
avec Battista Suardi, commettant des fresques de l'Oratoire de Trescore, avec les
Cassotti et les Tasso, qui étaient étroitement liés avec le Juriste Giovan Maria Rota,
député du Conseil de la confrérie de la Grande Miséricorde; Rota prit probablement
contact avec l'alchimiste de Brescia Giovanni Bracesco da Orzinuovi4, auteur d'un recueil
de traités alchimiques datés de 1513-14, conservé à la bibliothèque municipale de
Bergame. L'évêque de Bergame, pendant la période de construction du choeur, fut Pietro
Lippomano disciple de l'alchimiste Augurello.

Notes :

1. Transmutation qui ne s'affirme pas forcément comme celle du monde minéral : plus
précisément, les minéraux et les métaux semblent servir de vecteur ou de médium à
l'alchimiste, exactement comme un thème natal sert de médium pour un astrologue. Là
où astrologie et alchimie se séparent de façon radicale, c'est que l'astrologue tire de ses
réflexions des conclusions absolument fausses au lieu que l'alchimiste y trouve le
ravissement de son coeur et le contentement de son âme.
2. Cf. sections sur saint Jean Baptiste - le retable baroque d'Issenheim - les nombreuses
relations aux nombres, en particulier 40.
3. sur Augurelle, cf. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7. Voici encore un extrait de la Bibliotheca Chemica de
Ferguson sur Augurelle :

      Augurello, a native of Rimini, born about 1454, died about 1537, (others 1441-1524,) was one of
      the distinguished classicists of his time. He wrote odes and epistles, after the manner of Horace,
      which appeared in a thin 4° at Verona in 1491; enlarged, and reprinted by Aldus, Venice, 1505, in
      a very pretty volume, which is not uncommon. He is best known by the poem on gold-making,
      which was first printed at Venice in 1515 in 4°, then at Basel 1518, and thereafter repeatedly. It was
      translated into French, and appeared both in a prose version 1541, 1548, and in verse 1549-50,
      1626. It may be pointed out that neither the Chrysopoeia nor the Geronticon Liber is included in the
      1491 and 1505 editions of his Carmina. A depreciatory account of him is given by Adelung, but a
      much more considerate and conscientious view is taken of him by several Italian writers.

4. On trouvera de très importantes informations sur le site
http://digilander.libero.it/Marisau/ à propos de Orzinuovi et surtout sur le maître de
chapelle Mayr (1763 - 1845). Comment se fait-il que, dans cette église de Santa Maria
Maggiore, on trouve une stèle à la mémoire de Mayr, où l'on distingue le serpent
Ouroboros entourant la tête du défunt ?

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Bavarois d'origine, Johann Simon Mayr (1763-1845) écrivit environ soixante-dix opéras
et quantité de musique religieuse. Il fait partie de ces compositeurs-charnières qui firent
passer l'opéra avec ses vieilles formules portées au plus haut point par Mozart, du XVIIIe
au XIXe siècle. Le romantisme allait bouleverser l'écriture musicale et Mayr entrevoit la
nouveauté et remet, en quelque sorte, ses trouvailles dans les mains de Rossini, le
fondateur de l'opéra italien du XIXe siècle, de l'Age d'or. Mayr aurait notamment utilisé le
premier cet irrésistible effet de crescendo qui deviendra une spécialité rossinienne. Les
opéras les plus connus de Mayr et les plus joués de nos jours, sont Medea in Corinto et
La Rosa bianca e la rosa rossa, écrits en 1813. Il choisit la nationalité italienne et se fixe
à Bergame où il a l'idée de fonder une école gratuite permettant aux plus démunis de
recevoir une éducation musicale. Le troisième nom inscrit est celui d'un jeune garçon aux
précoces dispositions musicales vite décelées par Simon Mayr : Gaetano Donizetti. Il
semble que Mayr ait fait partie de la secte des Illuminés de Bavière mais on ne trouve
pas sa trace dans les procès verbaux autrichiens ou italiens... Quoi qu'il en soit, ce fut en
1802 que Mayr devint maître de chapelle de San Maggiore de Bergame.

Pour chaque panneau de protection, nous avons donné une petite version en niveau de
gris. Il suffit de cliquer sur l'image pour faire apparaître une version en plus de 72000
couleurs, de taille 1421 x 939 pixels pour les plus grandes et 824 x 772 pixels pour les
plus petites. Les photographies sont de Silvio Gamberoni ; les textes - que nous n'avons
pas remployés ici, sauf pour une petite partie le texte de l'introduction, sont de O.
Roncelli, G.O. Bravi, M. Zanchi et F. Noris. A noter qu'aucun copyright ne protège le
document, édité par Ferrari Editrice. Nous en donnons le frontispice. Nous espérons que
les auteurs ne verront pas dans notre travail une copie triviale mais, au contraire, un
effort vers un travail original tendant à un examen aussi poussé que possible des
panneaux de protection à vocation alchimique.

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lien sur l'oeuvre de Lorenzo Lotto : http://www.kfki.hu/%7Earthp/html/l/lotto/index.html

Lorenzo Lotto à Bergame

En 1513, Lotto est a Bergame où il remporte le concours lancé par
Alessandro Colleoni Martinengo pour le tableau d'autel de l'église San
Bartolomeo. C'est le début d'une période heureuse, dix années au cours
desquelles son art s'épanouit, s'étend à la fresque et aux arts décoratifs.
Après une période d'instabilité politique, Bergame connaît en effet une
renaissance à laquelle Lotto participe pleinement. Dans cette cité, plus
importante que celles ou il s'est déjà fait connaître, Lotto retrouve un climat
artistique d'influence vénitienne. II abandonne le support traditionnel en bois
pour la toile et use d'un style moins crispé, plus ample. La couleur elle aussi
retrouve une présence plus affirmée les accords de tons sonores co-existent
avec les nuances subtiles réservées aux détails. Les commandes sont
nombreuses : tableaux d'autel et de dévotion privée. C'est alors que l'artiste
peint Suzanne et les vieillards, une toile d'influence germanique qui contraste
avec la souple beauté de La Vierge à l'Enfant avec saint Roch et saint Sebastien.
Parmi les tableaux les plus célèbres de cette période citons aussi une
remarquable Nativité nocturne illuminée par le corps de l'enfant et la Nativité
de Washington. Le Mariage mystique de sainte Catherine, avec Niccolo Bonghi
témoigne d'un talent de portraitiste qui ne cesse de s'affirmer. Mais le plus
spectaculaire en ce domaine reste le double portrait de Messer Marsilio et son
épouse, un portrait conjugal genre rarement traité à Venise. Lotto s'illustre
aussi dans la réalisation de fresques le décor de San Michèle al Pozzo
Bianco celui de San Giorgio à Cedaro et surtout l'oratoire de la famille Suardi

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à Trescore - un chef d'oeuvre du genre - témoignent de ses qualités de
décorateur ; son style s'y montre colore animé et narratif. Les mêmes qualités
s'expriment dans les soixante huit panneaux de marqueterie du chœur de
l'église Santa Maria Maggiore à Bergame. Entrepris avant le départ à Venise
et terminés à distance, ces décors occupent l'artiste pendant plusieurs
années. II conçoit lui même les imprese qui ornent les couvercles destinés aux
panneaux historiés témoignant une fois de plus de son intérêt pour les
questions d'iconographie religieuse. [adapté de Lorenzo Lotto, n° spécial de
Connaissances des Arts, 1998] Ajoutons à cela que l'inspiration de Lotto semble
aller plus loin que la question de l'iconographie religieuse. Comme nous le
montrons infra, des symboles alchimiques authentiques se retrouvent dans
les dessins de Lorenzo et il est hors de doute qu'il ait eu ou du moins qu'on
lui ait inculqué une science non négligeable des mystères de l'Art sacré.

    cliquez sur chaque image en niveaux de gris pour faire apparaître l'agrandissement en couleurs

                                           La table de l'alchimiste domine les
                                           eaux du déluge qui se retirent.

                                           L'inscription « restauratio humania »
                                           exprime le renouvellement par l'eau
                                           et le feu. L'arche de Noë renvoie à
                                           Arca, proche d'Hermès par Arcas.
                                           On trouve dans la château de
                                           Dampierre-sur Boutonne un sujet
                                           semblable mais le format réduit a
                                           conduit l'artiste à simplifier le décors
                                           : au lieu qu'ici, il est restitué en sa
                                           pureté. Cette arche représente
                                           Dèlos où Latone parvient à accoster
                                           après avoir été poursuivie par
                                           Typhon. Au-dessus de l'arche, on
                                           voit la colombe tenant une branche
                                           d'olivier, signe avant-coureur de la
                                           lumière et de la grâce. Au-dessus, le
                                           symbole du feu - ∆ - formant une
                                           sorte de balance : à la position du
                                           fléau, on voit le creuset de
      L'arche de Noë                       l'alchimiste dans lequel des fagots
                                           ont été disposés, ce qui représente
                                           une indication sur l'origine du feu
                                           secret. De part et d'autre, des têts à
                                           rôtir vraisemblablement, dans
                                           lesquels on cuit l'antimoine des
                                           Sages [selon la recommandation
                                           d'Artephius]. On remarque encore la
                                           pierre de touche : lydius lapis, qui
                                           renvoie à Battus.

                                   6
Un homme nu qui chevauche un âne
                            entre un masque qui louche et un
                            masque vide.

                            Ce panneau de protection a pour
                            contre partie la Submersion du
                            Pharaon ; le thème de l'eau se
                            poursuit donc ici et renvoie aux rites
                            baptismaux. Quelle est la fonction de
                            cet âne ? Fulcanelli a fait voir que
                            l'on pouvait y trouver « l'âne-timon »
                            qui permet de guider le « fou » de
                            l'oeuvre, c'est-à-dire et l'on en
                            conviendra volontiers, le cavalier.
                            L'homme tient dans sa main droite un
                            compas qui lui permet de s'orienter
                            selon les principes que l'on peut lire
                            dans un ouvrage fort curieux : le
                            Pilote de l'Onde vive ou le Secret du
                            Flux et du Reflux de la Mer, de
                            Mathurin Eyquem, sieur du
                            Martineau. L'homme tient de la main
                            gauche un miroir bi convexe où l'on
                            peut voir une lentille : c'est le Miroir
                            du Monde qui cache un point de
                            science dont on a parlé ailleurs.
                            Détail curieux, sa tête est enfermée
                            dans une cage. L'allégorie est claire :
                            l'esprit doit être enfermé dans une
                            prison, c'est-à-dire que le Mercure
Submersion du Pharaon       doit être disposé dans l'athanor
                            pendant le travail. Le masque, à
                            droite, qui « louche » des deux yeux
                            recouvre un point de cabale où l'on
                            peut voir soit αµϕιβολος - il ne
                            s'agit certes pas de l'amphibole,
                            minéral caractéristique du
                            métamorphisme - soit λλωδες qui
                            manifeste une idée d'enroulement et
                            de mouvement circulaire : on peut y
                            voir le serpent Ouroboros de la
                            tradition hermétique. Quant au
                            chapeau de prélat, il nous rappelle
                            un autre couvre-chef : la mitre de
                            l'évêque qui, en alchimie, est
                            l'intermédiaire entre le Soleil et la
                            Lune. A gauche, un masque, vide
                            celui-là : on peut lui prêter le sens,

                        7
assez général, qu'on attribue au
     vecteur qui règle la circulation des
     énergies spirituelles éparses dans le
     petit monde de l'Artiste ; et c'est ce
     que vient rappeler à propos le
     casque emplumé où l'étudiant sait
     qu'il faut lire « cado, cassito » [pour
     cassis par cabale] qui indique le degré de
     « fluence » de la matière. Ainsi, le
     casque qui louche et le casque vide
     sont-ils les symboles - inattendus
     certes au premier abord - du feu
     secret des Sages. Mais il nous
     semble que le symbolisme de l'âne,
     en liaison avec le « fou, le Mat » qu'il
     porte, n'a pas été épuisé : on pense
     bien sûr à l'âne d'or d'Apulée [la
     Submersion du Pharaon ne serait alors
     qu'une allégorie de plus sur l'aveuglement
     que provoque l'or, métal qui ne cède
     jamais rien à aucun autre, cf. Saint Jean
     Baptiste] ; on peut penser aussi à
     l'âne chargé de porter le coffre
     servant de berceau à Dyonisos [cf.
     Atalanta fugiens]. Enfin, on peut
     évoquer cette parole, dans
     Aristophane où l'esclave de Bacchus
     dit à son maître qui lui place un
     fardeau sur le dos : « Et moi je suis
     l'âne qui porte les mystères. » Que l'âne
     soit rattaché à Saturne ne nous
     paraît donc nullement étonnant au vu
     de ce qu'écrit Artephius dans son
     Livre Secret : « L'Antimoine est des
     parties de Saturne... »

    Cartouche avec l'inscription « Viduitatis
    gloria » qui pend entre une épée
    dégainée et une tête tranchée

    Ce panneau fait pendant à une scène
    où Judith vient de décapiter
    Holopherme. Tout autour, les troupes
    des assiégeants sont dans la débâcle.
    Plus que d'une simple épée, il s'agit
    d'un cimeterre ; le même que celui
    avec lequel Persée a décapité la
    Gorgone ; le même encore que l'on
    voit dans l'une des sculptures de
    l'escalier hermétique du château de

8
Charles de Lorraine. Rappelons que
                       c'est Mercure qui donna à Persée ce
                       cimeterre. Par ailleurs, on est obligé
                       d'établir le rapprochement - de cabale
                       - avec la décapitation de saint Jean
                       Baptiste. Là se situe le noeud du
                       problème : la distinction, gratuite
                       d'ailleurs, entre la corruption et la
                       sainteté... C'est une grande leçon à
                       retenir de l'étude des traités des vieux
                       alchimistes.
    Judith

                         Une fronde couronnée et des armes en
                         vrac.

                         Du faîte de rubans pendent deux
                         tableaux portant l'inscription «
                         maximi certaminis victoria ».
                         Au-dessous, les armes de Goliath
                         sont déposées et le bouclier montre
                         sa face interne. Ces armes, cette
                         cuirasse ont même valeur que
                         celles, déjà vues, en Avignon -
                         cheminée alchimique - ou à
                         Bruxelles - escalier hermétique.
                         C'est d'eau de mer ou si l'on
                         préfère, d'eau salée, qu'est faite
                         cette cuirasse, aussi extraordinaire
                         que cela puisse paraître de prime
                         abord. Et si le bouclier fait voir sa
                         face interne, c'est pour nous
                         protéger du regard de Méduse dont
                         s'orne, sans doute, sa face externe.
                         C'est dire que nous tenons ici une
                         version de l'égide. La cuirasse
                         correspond aussi, par cabale, à la
David et Goliath
                         première partie de l'homme :
                         enveloppe externe de l'Homme
                         armé, c'est elle qu'il faut d'abord
                         effondrer par la dissolution,
                         première putréfaction. Quant à la
                         fronde, elle rappelle une citation de
                         la Bible - Reg, XVII, 30-40 : David,
                         refusant l'épée de Saül, choisit dans
                         un torrent cinq pierres très polies, et

                   9
s'avance vers Goliath. Or, ces cinq
                                                                          pierres ont fort à voir avec celles
                                                                          que nous apercevons dans l'un des
                                                                          emblèmes de Michel Maier, cf.
                                                                          Atalanta XXXVI.

                                                             Amour sur la Balance. Un putto ailé tient en équilibre la balan
                                                             paradoxalement, le soutient.

                                                             Les alchimistes affirment que l'oeuvre peut - et doit - être
                                                             par le seul Mercure. Nous trouvons en cet ange l'intermé
                                                             entre le Ciel et la Terre où s'affirme l'affrontement entre Z
                                                             et Ploutos. On remarquera les deux phylactères filiforme
                                                             s'agit des serpents de Nicolas Flamel. Le centre de grav
                                                             système se trouve au niveau du fléau, soutenu par l'ange
                                                             victorieux et flamboyant : c'est le point fixe analogue au
                                                             caducée d'Hermès. Les trois flammes au-dessus de sa tê
                                                             sont les insignes du feu secret. Au-dessous des plateaux
                                                             lit « nosce te ipsum ». Sur la balance, cf. notre
                                                             alchimique ; sur l'image de Thémis, cf. Verbum Dimissum
                                                             Bernard le Trévisan.

                  Amor sapientiae

L'univers naît des ténèbres primordiales.

C'est l'image du chaos des vieux textes. Dans sa
Philosophie Naturelle Restituée en sa Pureté, Jean
d'Espagnet - qui fut le maître de Philalèthe, à qui
son Introïtus doit beaucoup - écrivait ces lignes :

« Celui qui transfère l'autorité suprême de l'Univers à une nature
autre que la nature divine, nie qu'il y ait un Dieu. En effet, il n'est
pas permis de reconnaître un (autre) vouloir incréé que cette
nature, tant pour produire que pour conserver les individualités de
la machine étendue, sinon l'esprit lui-même du divin Architecte, cet
esprit qui au commencement planait sur les eaux, qui fit passer de
la puissance à l'acte les semences de toutes choses confusément
mêlées dans le chaos, et après qu'il les en eût tirées, traita les
essences inférieures en faisant tourner la roue d'une constante
altération, pour les composer et les dissoudre selon un mode
géométrique.   » [cap. IV]

Voilà expliquée l'inscription « Magnum Chaos ».
Comment trouver une analogie entre ces                                                La Création
ténèbres, voilant le feu suprême, et notre monde
sublunaire ? Sinon par la figuration du chaos
minéral et métallique : on le trouve sous forme

                                                             10
ardente, lorsqu'il embrase la terre qui se dégage
des volcans : c'est la lave. Et la lave participe à la
fois de l'eau - elle est mobile en fonction de sa
température -, du feu - elle est ardente - et enfin
de la terre, élément qu'elle finit par devenir
progressivement, au départ du feu.

                                          Le serpent sur l'arbre du Bien et du Mal, sa longue
                                          queue enroulée autour d'un oeuf, regarde les outils
                                          agricoles.

                                          Nous devons voir dans cette image du serpent
                                          à tête de femme le premier Mercure des
                                          alchimistes. L'arbre - agrandissez la photo
                                          réduite - est porteur des fruits, pour l'instant, en
                                          puissance, que réserve à l'Artiste son Soufre
                                          rouge encore dans les limbes. A lui donc
                                          d'assurer cette agriculture céleste par laquelle
                                          se distingue, comme trait remarquable, l'Art
                                          sacré, de l'agriculture terrestre, non moins
                                          importante. Et ces outils aratoires, dont on
                                          reconnaîtra certains dans la section Fontenay,
                                          sont très présents dans le symbolisme de l'Art ;
                                          voyez par exemple ceux de l'escalier
                                          hermétique du château de Charles de Lorraine.
                                          On reconnaît la faux, instrument de Cronos, la
                                          fourche ou trident, instrument de Poséidon ; la
                                          pelle et le râteau, instruments de Ploutos et
                                          enfin, une bêche que l'on prêterait volontiers à
           La création d'Ève              Zeus... Cet arbre peut être assimilé à notre
                                          Arbori solare, cf. Fontenay. en ce cas, le Mixte
                                          réalisé par cette association au serpent femelle
                                          permet d'en tirer l'image éidétique de l'Hydre de
                                          Lerne : comme nous l'avons dit ailleurs, à
                                          l'Artiste de dégager la seule tête immortelle -
                                          son Soufre rouge et sa teinture.

                                              11
Une main ouverte domine deux autels; deux béliers
sont prêts à l'offrande.

 Le Bélier, chacun le sait, est l'un des emblèmes
majeurs de l'Art. Comme nous l'avons dit
maintes fois, c'est un hiéroglyphe double et ce
caractère dual arrive à s'exprimer jusque dans
ce cartouche de Lotto. Par ARIES, il tient en
effet au CORPS de la pierre et par ARES, il
tient à l'agent de dissolution par lequel s'opère
la séparation au niveau du sujet initial. Ce sujet,
maintes fois là encore, nommé en ces pages,
touche à la fois au SEL, au CORPS et au
SOUFRE. C'est une substance minérale très
répandue qui tient de l'efflorescence saline et
qui, comme l'assurent bien des Artistes, est à la
fois pierre et non pierre. C'est par un « tour de
main » adéquat que l'Artiste arrivera - ainsi qu'il
est bien montré au tombeau des Carmes à
Nantes - à extirper le dragon de la forteresse.
Le but du sacrifice de ce Bélier est expliqué
dans la section sur saint Jean Baptiste. Il y a
plus : on peut faire un parallèle entre les deux
frères et les matières des Sages. Dans le
Sacrifice de Caïn et Abel, Lotto a fait figurer
Abel en contemplation devant la création tandis         Le sacrifice de Caïn et Abel
que l'agriculteur Caïn s'empresse de défricher la
terre. Il y a là une indication : Abel, qui s'élève
évidemment vers Dieu figure l'allégorie du
Corps dissous dans le Mercure [entendez la
TERRE orientée vers l'ESPRIT]. Au lieu que
Caïn, qui défriche la terre, s'identifie aux boeufs
de labour et au principe pontique. On peut donc
vers la double relation : ABEL = ARIES et CAÏN
= ARES.

                                                             Tubal -

                                         il s'agit d'une sorte de compendium. En effet,
                                        Tubal, descendant de Caïn, est réputé être
                                        l'inventeur de la musique. La marqueterie donne
                                        à voir un autel central d'où sortent flammes et
                                        fumée : c'est le creuset ou CRUX - - de l'Artiste.
                                        La marque TVBALIS SACRA est gravée sur ce
                                        creuset qui, au vrai, pourrait aussi bien être un
                                        maître hôtel qu'un tombeau. Au-dessus, des
                                        instruments de l'art s'inscrivent comme au faîte
                                        de l'oeuvre, avec des buccins, cors et viole.
                                        Voilà qui n'est pas sans rappeler une gravure

                                            12
de Hans Vredemann de Vries [in Henri Kunrath,
                   Amphitheatrum sapientiae aeternae, 1609], qui tient
                   le milieu entre l'oratoire et le laboratoire.
                   Rappelons, comme le montre E. Canseliet dans
                   son Alchimie expliquée sur ses Textes classiques,
                   que l'alchimie s'apparente de près à l'art de la
                   musique pour des raisons que nous avons
                   expliquées dans l'introduction à l'Atalanta
     Tubal         fugiens. De part et d'autre du creuset, et
                   apposés à une arche formée de deux arbres
                   [dans lesquels il n'est pas osé d'apercevoir
                   l'Arbori Solare et Lunae], on aperçoit les deux
                   luminaires qui font le sujet de l'oeuvre. A
                   gauche donc, SOL et à droite LUNA. Voyez
                   pour des éclaircissements sur la présence du
                   buccin et des cors, le frontispice du Mutus Liber.

                   Pots debout et renversés, bouquet de sept pavots
                   sur un sarment de vigne et trois paons -

                    Ce panneau résume des emblèmes majeurs de
                   l'Art sacré : d'abord, le symbolisme des pots est
                   essentiel : pot de fer contre pot de terre,
                   n'est-ce pas là l'expression des deux principes
                   antagonistes de l'oeuvre, exprimés avec tant de
                   soin et d'exactitude au grand portail de Notre
                   Dame ou encore dans l'un des caissons de la
                   galerie du château de Dampierre - sur -
                   Boutonne [dont on rappelle qu'il a été dévasté par un
                   incendie en 2002] ? La vigne, par le biais de
                   Bacchus, est omniprésente dans le symbolisme
                   alchimique, comme elle l'est, du reste aussi,
                   dans celui du christianisme. Elle est le point de
                   jonction entre le CIEL - l'AIR - par le biais de la
                   lumière et la TERRE. Elle permet, en outre,
                   dans des tonneaux de vieux chêne, la
                   préparation de l'Arcanum duplicatum, qui est
                   l'une des voies de la préparation du Mercure.
                   Cet attachement, si l'on peut dire, à la terre, est
                   redoublé par la mention du pavot : on l'offre,
                   dans le symbolisme éleusinien, à Déméter -
L'Ivresse de NOÉ   déesse de la Terre - ; mais le pavot représente
                   aussi la force du sommeil et d'oubli qui
                   s'empare des hommes après la mort et avant la
                   renaissance : c'est donc le thème de la mise au
                   tombeau et de la résurrection [entendez celui de la
                   dissolution puis de la réincrudation] qui est ici mis en
                   exergue. Mais plutôt que de faire de la terre le
                   lieu de la transmutation, il faut en faire plutôt le
                   lieu de la transfiguration : tel est le sens

                       13
hermétique de la TERRE qui représente le
            réceptacle du Soufre ou Âme de la pierre,
            lorsqu'il a été porté à un degré suffisant de
            dépuration. Le paon est l'animal dédié à Junon -
            Héra. C'est le symbole de la résurrection qui se
            signale - par cabale - lors du travail, par
            l'apparition d'irisations : elles sont la marque de
            la conjonction radicale des principes qui prend
            lieu lorsque les pots, que l'on voit brisés et
            renversés, ont été remis dûment en forme.

            Une femme sous forme d'arbre est coupée avec
            sept bourgeons depuis ses racines et domine des
            mets préparés -

            Quatre éléments dominent dans cette
            marqueterie.
            1)- la figure de la Vierge envisagée comme
            Virgo paritura : c'est le personnage qu'on
            aperçoit. Inutile de dire que le rapport aux sept
            frères de Maccabée nous paraît purement
            circonstanciel et pour ainsi dire fortuit - du
            moins vu sous l'angle de la cabale. Car cette
            figure virginale, Flamel nous la montre aussi,
            sous des dehors différents, dans le Livre
            d'Abraham Juif.
            2)- dans un plat, le sanglier qui masque la
            figure d'ARES, cf. Atalanta XLI. Aussi est-ce allé
            assez vite en besogne que de dire qu'il s'agit de
            « mets préparés ». Voire ! Préparés pour qui ? Il
            faudrait évoquer le sanglier d'Erymanthe
            capturé par Hercule. Ou encore celui de
            Calydon dont nous parlons dans l'Atalanta
            fugiens. Le sanglier est étroitement associé à la
            forêt, qui représente selon la tradition, la prima
            materia ou sujet initial - cf. De Lapide
            Philosophorum de Lambsprinck -. Il se nourrit du
            gland, le fruit du chêne - cf. Philalèthe, VI
Macchabée   là-dessus. Aussi n'apparaît-il pas absolument
            étonnant que la tradition chrétienne assimile le
            sanglier à l'animal du démon, vu son caractère
            mercuriel avancé : ne le nomme- t-on pas le
            Moccus Porc, c'est-à-dire Mercure ? N'est-ce
            pas lui qui culbute Adonis dans l'emblème XLI
            de l'Atalanta et donc, n'est-ce pas par son
            entremise que les roses blanches se colorent
            en rouge ? Et n'aperçoit-on pas la figure
            totémique d'Ares se profiler dans le lointain,
            exprimant par là le but de l'opération chimique,
            voilée sous le masque de l'allégorie poétique et

                14
mythologique ?
                                                      3)- le sang d'Adonis qui s'écoule de ses
                                                      blessures a la propriété curieuse d'être blanc,
                                                      exactement comme le liquide qui s'écoule du
                                                      flanc du Christ après qu'il ait été blessé par la
                                                      lance de Longin. Cette dissolution - par cabale -
                                                      s'apparente à l'humide radical des métaux,
                                                      c'est-à-dire à leur racine. Nous la voyons sur ce
                                                      panneau de protection.
                                                      4)- les rameaux constituent les branches de
                                                      l'Arbori solare. Ils sont sept, par référence aux
                                                      planètes et aux métaux connus à l'époque [ce
                                                      qui n'est pas tout à fait vrai puisque le zinc semblait
                                                      déjà connu des Anciens et peut-être aussi le platine, à
                                                      en croire Hoefer - en tout cas pas comme métal
                                                      particulier].

Deux soldats attaquent un jeune berger qui les
affronte en les bénissant -

 Que de symboles hermétiques dans cette
image. Voyons d'abord que l'arbre qui
surplombe le jeune homme a une particularité,
en ce qu'il est feuillu à droite, avec des
bourgeons et dénudé à gauche. Fulcanelli a
déjà illustré ce point de science lorsqu'il a
commenté l'aspect d'arbres visibles sur des
caissons du château de Dampierre, dans ses
Demeures Philosophales, tome II, p. 273, cf.
Verbum dimissum, note 67. L'arbre sec, ici cette
partie du tronc disposée par Lotto à gauche,
correspond au métal mis à nu - en son humide
radical comme le montre la marqueterie
précédente - tandis que l'aspect feuillu
correspond à sa renaissance, i.e. sa
réincrudation sous une forme dépurée et
transfigurée [cf. Cristallogénie]. Remarquons
ensuite que le cartouche porte l'inscription :
HVMILITATIS ET PACIENTIAE EXEMPLUM.
N'est-ce pas là l'équivalent de la maxime
extraordinaire de Nicolas Grosparmy : « la
patience est l'échelle des philosophes et l'humilité est la porte de    David sort de JÉRUSALEM
leur jardin.
          » Voilà une cabale de bon aloi ! Quelle
est l'allégorie qui recouvre cette scène de ces
soldats attaquant ce pauvre berger qui répond
en les bénissant ? On remarque dans
l'iconographie alchimique une scène semblable
où un personnage est cloué sur un arbre par
une lance, mais il s'agit là de l'allégorie du
serpent fixé au chêne ; le sens de la présente

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allégorie est différent. Nous avons, en somme,
la TEMPÉRANCE qui s'oppose ici, à
l'ACRIMONIE et à l'AGRESSIVITÉ. S'agirait-il
là d'une autre variation sur le thème de l'acide
et de la base, du vitriol et de l'alkali ? Nous
serions tentés de le croire.

Des ailes déployées soutiennent une sphère
portant une voile ; singe avec laurier ; femme
chimère au corps de lion tenant un sceptre -

D'autres emblèmes majeurs de l'Art nous
attendent ici. Tout ce panneau est centré sur le
motif de la stibine dont Fulcanelli et E.
Canseliet ont tant parlé. Elle présente ici des
traits particuliers qui n'ont été exploités dans
aucun traité d'alchimie ; qu'on en juge : car c'est
le vaisseau ARGO qui nous est dépeint : le mât
est fait de bois de chêne de Dodone. Le
vaisseau se meut sur l'AIR comme en
témoignent les ailes d'ANGE ou d'AIGLE
déployées - cf. le tétramorphe de notre Tarot
alchimique ou la chapelle du palais Lallemant
pour l'interprétation. La chimère, à droite,
évoque le sphinx -cf. Atalanta XXXIX et Atalanta
XVI. Cette chimère tient le sceptre, dans lequel
il nous faut voir le bourdon du pèlerin,
hiéroglyphe du lien du Mercure. A gauche, le
singe qui est l'un des symboles les plus
mystérieux du microcosme mythologique propre
à l'alchimie. Ce symbole fut examiné en son
temps par E. Canseliet dans l'un des chapitres
des Deux Logis Alchimiques [l'Eléphant, le Singe et
les deux Bahuts]. Le singe est par cabale l'un des
signes du Mercure : aussi peut-on considérer          ESTHER
grand l'Artiste qui aura eu assez de
persévérance pour préparer son Mercure animé
: il aura assurément mérité la couronne de
laurier ! Or, c'est précisément l'objet de ce
panneau que l'animation du Mercure : observez
les voiles et les ailes, indiquant un évident
dynamisme : l'action combiné du VENT SOLAIRE
et de l'EAU ÉTOILÉE... On a pu dire qu'il y avait
un point déconcertant dans la nature du singe,
qui est celui de la conscience dissipée : on ne
saurait mieux, par cabale, parler du Mercure et
du Soufre qui y est dissous.

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La nutrition du Lapis -

                        C'est la chèvre Amalthée que nous visitons à
                        présent. Nous l'avons croisée à de
                        nombreuses reprises au cours de nos études
                        de symbolisme : voici ce qu'en dit Pernety
                        dans son Dictionnaire :

                        Amalthée Chèvre qui fournit le lait dont les
                        Nymphes nourrirent Jupiter. Ce Dieu la transporta
                        au ciel, et fit présent à ses nourrices d'une des
                        cornes de cette chèvre, à laquelle il donna la
                        propriété de procurer à ces Nymphes tout ce
                        qu'elles désireraient; elle en prit le nom de Corne
                        d'abondance. Voyez-en l'explication chymique, liv. 3,
                        chap. 4, et ailleurs, des Fables Égyptiennes et
                        Grecq. dévoilées.

                        Voici cet extrait que signale Pernety des
                        Fables Egyptiennes et Grecques :

                        Les Nymphes Adrastée & Ida nourrirent Jupiter, &
                        l'on dit que les Abeilles mêmes se joignirent à elles.
                        Ces deux Nymphes étaient filles es Mélisses, ou
                        mouches à miel, & le firent allaiter par Amalthée.
                        Nous avons dit que lorsque la couleur grise ou le
                        Jupiter philosophique paraît, les parties volatiles de
                        la matière dissoute se subliment, & montent en
                        abondance au haut du vase en forme de vapeur, où
                        elles se condensent comme dans la distillation de la
                        Chimie vulgaire, & après avoir circulé, retombent
                        sur cette terre grise qui surnage l'eau mercurielle.
                        La Fable pouvait-elle nous présenter cette opération
                        par une allégorie plus palpable & mieux
                        caractérisée que par cette feinte éducation de
                        Jupiter. Les deux Nymphes expriment par leurs
La Nutrition du Lapis   noms mêmes cette matière aqueuse, volatile,
                        puisque Ida vient d'Ιδος, sudor, & Adrastée, d'a
                        complétif, & de δραω fugio. Si on les dit filles des
                        Mélisses ou mouches à miel, n'est-ce pas de ce que
                        ces parties volatiles voltigent au-dessus du Jupiter
                        des Philosophes, comme un essaim d'abeilles
                        autour d'une ruche? Ces parties volatiles nourrirent
                        donc cette terre grise, en retombant dessus, comme
                        une rosée ou une pluie qui humecte la terre, & la
                        nourrit en l'imbibant. Il y a grande apparence que
                        l'équivoque du mot grec αις, qui veut dire
                        également chèvre & tempête, a donné lieu à la
                        fiction, ou plutôt à l'erreur de ceux qui ont dit que la
                        chèvre Amalthée avait allaité Jupiter : car la
                        volatilisation se faisant avec impétuosité, de même
                        que la chute en pluie de ces parties volatilisées,
                        représente proprement une tempère, & l'on sait
                        qu'αις vient d'αισσο, ruo, cum impetuseror. Cette
                        idée même de tempête, joint à ce que cette terre ou
                        Jupiter des Philosophes commence à devenir ignée,

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Nous avons terminé l'examen des marqueteries qui, à notre sens, sont liées
directement à l'alchimie opératique. D'autres panneaux pourraient encore être
interprétés mais ils dépassent l'alchimie pour entrer dans le monde plus flou de la
théurgie ou de la maçonnerie. N'étant pas qualifiés pour donner l'interprétation qui
leur convient à ces symboles, nous passerons donc outre.

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