Et les professionnels - Question Santé asbl
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Périodique trimestriel, parait en mars, juin, septembre, décembre - N° 63 juillet - août - septembre 2011 - ISSN 1371 - 2519 Souffrance au travail (II) Et les professionnels du non-marchand ? Bruxelles X - Brussel X Bureau de dépôt : BelgiQUE–Belgïe Bruxelles X P.P. - P.B. BC 1785 Question Santé asbl - 72 rue du Viaduc - 1050 Bruxelles P 204068
sommaire en direct de... Le quartier Malibran en direct de... Initié en 2006, le contrat de quartier Malibran Le quartier Malibran 2 s’achève. La plupart des projets sont en phase dossier de finalisation. Ils concernent le logement, Souffrance au travail (II) l’espace public, la cohésion sociale… Et les professionnels Petit tour d’horizon des transformations du du non-marchand ? 9 quartier Malibran, à Ixelles. initiative Une seule bougie sur le gâteau 16 hors champ Accueil des primo-arrivants. Un défi pour la Région bruxelloise. 18 Au début des années 1990, Blyckaerts entre 2002 et 2006, écho du CLPS Bruxelles, toute jeune région le contrat de quartier Malibran mais vieille ville industrielle, doit qui s’achève cette année, et le "Mieux vivre ensemble" faire face à la dégradation de contrat de quartier Sceptre en à Jette 20 son patrimoine immobilier et de 2010-2013. Le contrat Gray avait, ses espaces publics ainsi qu’à la en son temps, permis la remise en ghettoïsation socio-économique état de logements appartenant élargissons d e c e r t a i n s q u a r t i e r s . Po u r à la commune, l’aménagement le débat 22 redynamiser ces zones urbaines, réalisé au pont de l’avenue de l ’o r d o n n a n c e o r g a n i q u e d u la Couronne, la réalisation d’un annonces 24 7 octobre 1993 a défini le cadre de fonctionnement des contrats espace multisports, rue de la Digue, la création d’une maison de quartier. L’objectif de revi- de jeunes et de huit ateliers talisation des quartiers est élargi d’artistes. Il avait également et l’approche, plus globale, intègre mis en évidence les limites des la construction ou la rénovation de partenariats public-privé. Il y eut logements, la requalification des finalement peu d’investissement espaces publics – également ceux du secteur privé et les objectifs qui sont situés à l’intérieur des n’ont pas toujours été atteints... îlots – et des actions en faveur de Le contrat de quartier Blyckaerts la cohésion sociale. avait bénéficié de moyens finan- ciers plus importants. Malheu- Dès 1994, avec le contrat de reusement, le périmètre était quartier Gray-Maelbeek, Ixelles beaucoup trop important et bénéficie de la première fournée. l’impact des projets s’en trouva Au fil des années, d’autres diminué. suivront : le contrat de quartier 2 Bruxelles Santé 63 en direct de ...
Le contrat ciations et institutions actives dans le périmètre du contrat de diversité culturelle, mais aussi une réflexion sur son identité. Parcours de quartier quartier Malibran. Dans le cadre citoyen a également lancé un Malibran de l’insertion socio-professionnelle, nous avons collaboré avec Jobelix projet de réalisation de films vidéo du quartier, produits et réalisés par asbl, une entreprise d’économie des habitants lors d’ateliers ouverts Le contrat Malibran est sans sociale fondée par le CPAS à tous et ne demandant aucun doute un de ceux qui ont le mieux d’Ixelles. Avec la Mission locale bagage technique spécifique. La tenu compte des aspirations des d’Ixelles, nous avons participé à méthodologie est celle proposée habitants ; pourtant, au début un projet de réinsertion à travers par l’association "Plus tôt te du projet, la situation était plutôt la rénovation et l’embellissement laat". » tendue nous explique, Camille des façades. Des activités ont été Bredael, cheffe de projet au organisées par Espace Couleurs Service Rénovation urbaine/ Mobilité de la Commune d’Ixelles : Femmes. » En effet, des cours concernant la santé, la salubrité, le Vers le contrat « Les premières rencontres avec bien-être et la citoyenneté, et des de quartier les habitants on été difficiles, chaque réunion se terminait en ateliers d’écriture sur l’imaginaire des femmes dans le quartier, ont Sceptre conflit. Les travaux interminables été développés en collaboration de la place Flagey, tous les avec cette association (lieu La collaboration initiée avec problèmes qu’ils ont imposés au d’accueil, de rencontres, de soli- Habitat et Rénovation lors du voisinage et le peu de place ac- darité et de formations destinées contrat de quartier Blyckaerts s’est cordé aux avis des habitants ont aux femmes) ainsi que des cours poursuivie et a abouti à la réalisa- laissé de mauvais souvenirs. Les de français pour jeunes femmes tion d’une exposition vidéo « Ma riverains étaient échaudés et primo-arrivantes. On peut citer Casa Bon Vivre. L’exposition pour méfiants. Petit à petit, l’orga- aussi les ateliers animés par Habiter en Santé » et d’un DVD nisation du contrat de quartier, la Assembl’âges, une association reprenant les films pédagogiques concertation et les projets propo- créée en 2003 visant à favoriser les destinés aux visiteurs de l’expo- sés les ont rassurés et l’ambiance rencontres intergénérationnelles sition sur le « bien-vivre en s’est détendue. Malgré l’intérêt par le biais d’activités ludiques et logement ». Cette collaboration des habitants pour leur quartier, culturelles. continue dans le cadre du contrat il est difficile de mobiliser les de quartier Sceptre. Celui-ci a gens pendant toute la durée d’un « Le contrat de quartier Malibran été lancé l’année dernière ; il contrat de quartier. Les règles a aussi permis la création d’une couvre des portions de périmètre des marchés publics sont com- école des devoirs pour enfants des trois contrats précédents. pliquées, les procédures sont de 12 à 18 ans, poursuit Camille Plusieurs objectifs ont été longues. De nombreuses appro- Bredael. Nous avons également définis : réhabiliter les cellules bations sont nécessaires de la soutenu, avec la Maison de quartier commerciales obsolètes et les part de la Commune et de la intergénérationnelle Malibran et mettre en ordre par rapport aux Région avant qu’un projet ne se Rencontres des Continents asbl, nouvelles règles urbanistiques, re- concrétise. Il est aussi difficile de le projet de cuisine du collectif qualifier la place Blyckaerts, tra- créer des ponts entre les groupes “Bouillon Malibran”, qui dévelop- vailler sur le maillage bleu (projet de citoyens, par exemple entre pe un programme d’actions dans de revalorisation des eaux de les comités qui ont participé aux les quartiers situés à proximité de surface), entre la place Flagey différents contrats de quartier. » Le la place Flagey, sur les thémati- et la place Jourdan, créer une « temps administratif » décourage ques de l’alimentation durable, de promenade verte qui établirait un les citoyens, bien souvent les la convivialité dans les quartiers et lien avec le quartier européen par participants changent entre le de la participation citoyenne, ainsi les rues du Viaduc, du Sceptre ou début et la fin du contrat de que le projet de Parcours citoyen, Gray et le long des talus du chemin quartier. "Le Livre de la paix et de la gas- de fer, et réactiver le cheminement tronomie mondiale du quartier entre les quartiers par des « Nous avons mis en place des Malibran". Cet ouvrage souhaite aménagements qui valorisent partenariats avec différentes asso- être une vitrine du quartier, de sa l’espace public. en direct de ... Bruxelles Santé 63 3
Les réalisations Les trottoirs de la rue Malibran et de Vergnies ont été réaménagés, plantés d’arbres et pourvus d’un nouveau mobilier urbain. Une liai- son piétonne a été créée entre la rue Gray et l’avenue de la Couron- ne, ainsi qu’un petit parc et un jardin partagé. La Petite rue Malibran a été repensée ; deux espaces polyvalents et intergénérationnels et un pié- tonnier y ont été aménagés (jeux, détente, paysage). La fonction de place publique de la place Henri Conscience, qui jusqu’à maintenant s’apparentait davantage à un rond-point, a été valorisée par la sécurisation des traversées piétonnes, l’élar-gissement des douze logements d’une à quatre activités familiales pour tous les trottoirs et l’installation d’un chambres dans deux bâtiments âges, des informations et aides mobilier urbain. de construction passive rue de la administratives, des actions de Trente logements à caractère Brasserie. quartier… Il est possible d’y social ont été construits ou organiser des fêtes populaires, rénovés dans le cadre du contrat La Maison de quartier intergé- publiques ou privées, des projets de quartier : deux nouveaux nérationnelle Malibran est un particuliers ou collectifs, des logements rue Sans-Souci et deux espace de rencontre polyvalent réunions de réflexion sur des sujets autres rue Malibran, quatorze qui s’adresse à tous les Ixellois qui concernent les problémati- logements « basse-énergie » à et à pour vocation d’être un lieu ques du quartier. Le but est de l’îlot Cygnes-Digue, qui abrite de rencontre, de créativité et favoriser la cohésion et l’identité également la Maison de quartier de soutien à l’innovation sociale du quartier dans le cadre d’une intergénérationnelle Malibran, et et culturelle. Elle propose des gestion participative. 4 Bruxelles Santé 63 en direct de ...
Les logements Architecte passifs de la rue R2D2 architecture sa Photographies de la Brasserie Pictures© georgesdekinder.com Aux numéros 21 et 23 de la rue de la Brasserie a été construit le premier ensemble de logements sociaux passifs de la Région bruxelloise. Le bâtiment à l’avant et le complexe en intérieur d’îlot abritent 12 logements de deux à quatre chambres, soit un total de 30 chambres pour près de 42 habitants. Ces logements ont été construits par le bureau d’architecte R2D2 Architecture. Il a été choisi à la suite d’un concours organisé par la Commune d’Ixelles car son cahier des charges allait le plus loin en termes d’économie d’énergie. Pour la Commune, le bâtiment est un signal pour sensibiliser les gens à l’éco- construction. En 2008, ce projet avait déjà reçu la reconnaissance « Bâtiments exemplaires » de l’IBGE. Les ouvrages de ferronnerie des balcons reprodui- sent des volutes métalliques inspirées du style de Horta et couvrent en direct de ... Bruxelles Santé 63 5
l’atmosphère et permet de se passer de radiateur. Une grande importance est ac- cordée à l’isolation des bâtiments. Les murs sont constitués de cais- sons en bois de 30 cm d’épais- seur remplis de cellulose très étanche à l’air et agencés dans l’ossature portante en béton du bâtiment. Les vitrages triples et les châssis en bois spécialement conçus pour ce genre de bâtiment offrent une très bonne isolation thermique et acoustique. Le sol est isolé sur 20 cm d’épaisseur et la toiture sur 40 cm. Cette technique de construction minimise les déperditions de chaleur.1 Des panneaux solaires couvrent le versant sud de la toiture l’ensemble de la façade. principale et fournissent 50% de Architecte Esthétiquement, l’immeuble R2D2 architecture sa s’intègre particulièrement bien Photographies dans le bâti de type Art nou- Pictures© georgesdekinder.com veau prépondérant rue de la Brasserie. 1. SLRB-INFO, Dossier Dotés d’installations techniques logements passifs et « basse communes, les deux bâtiments énergie », n°62, décembre avant et arrière de la rue de 2010, Société du Logement de la Brasserie sont conçus pour la Région bruxelloise, pp. 6-8. fonctionner ensemble. Ils par- tagent un puits canadien et un système de ventilation forcé doté de batterie de c h a u ff e e t d ’ u n r é c u p é r a - teur de chaleur qui pourvoit à la climatisation tout en restant dans le domaine du passif (13 kWh/m²/an pour le bâti- ment avant et 15 kWh/m²/ an pour le bâtiment arrière au lieu d’environ 150 kWh/m²/an pour un logement classique). Ce système de chauffage/ climatisation offre une chaleur constante et un climat sain en toute saison. Il renouvelle l’air ambiant, le réchauffe ou le refroidit au besoin, récupère 90% de la chaleur qui serait nor malement perdue dans 6 Bruxelles Santé 63 en direct de ...
Qu’est-ce qu’un logement passif ? Outre le choix de matériaux dits « durables » (de provenance locale et, si possible, à base de matière première recyclée et/ou recyclable) et une mise en œuvre respectueuse de l’environnement (pollution, gestion des déchets de chantier…), les constructions passives génèrent d’importantes économies financières pour leurs occupants. Ce type de bâtiment est pratiquement autonome d’un point de vue énergétique. Les calculs montrent que les logements situés en front de la rue de la Brasserie consommeront, pour le chauffage, 15 fois moins d’énergie qu’un logement classique, grâce à une isolation et une étanchéité à l’air poussées. Les logements arrières consommeront quant à eux 10 fois moins d’énergie. Concrètement, alors qu’un ménage paie environ 1.000 e/an pour sa facture de chauffage – mais bien souvent plus de 120 e par mois – dans un logement classique, les locataires de ces logements passifs ne paient, eux, que 70 à 100 e/an. Le prix de l’énergie (gaz, électricité, mazout, eau) ne cessant d’augmenter, de telles économies sont salutaires pour la plupart des foyers et particulièrement pour les plus bas revenus. Ces économies d’énergie permettront aussi au secteur du logement social de réduire les impayés puisque certains locataires paient parfois autant de charges de chauffage que de loyer. l’eau chaude sanitaire pour l’ensemble de Développement de la Région des logements. Une citerne récupère bruxelloise a prévu des séances l’eau de pluie destinée à alimenter les d’information destinées aux locataires chasses d’eau et les machines à laver. des logements passifs et a réalisé un document explicatif, « Habiter un Pour les locataires, ce type de logement durable ». construction implique de changer certaines habitudes. Il faut veiller, par exemple, à ne pas boucher les ventilations qui assurent la circulation Logements de l’air sous peine de dérégler la chaudière, et éviter d’ouvrir les passifs et fenêtres si le chauffage est enclenché. Un encadrement individuel et collectif logement social est donc nécessaire pour les nouveaux habitants, c’est l’occasion aussi de Bruxelles manque de logements so- fournir explications et conseils sur la ciaux ; augmenter le parc locatif acces- consommation d’énergie et les mo- sible aux faibles revenus est une priorité, yens de la réduire, sur la préservation y ajouter une valeur environnementale de l’environnement ou encore la ges- et des préoccupations économiques tion des documents administratifs. s’inscrit dans le plan logement de la Un suivi régulier responsabilise Région. D’ici 2015, toutes les nouvelles les locataires par rapport au bien constructions à Bruxelles devront qu’ils occupent et permet de répondre au standard passif. Les déceler rapidement tout problème recommandations de la déclaration ou incompréhension. La Société gouvernementale 2009 l’annoncent : en direct de ... Bruxelles Santé 63 7
Le Gouvernement bruxellois, la Société du Logement de la Région bruxelloise et la Société de Développement de la Région bruxelloise construisent déjà leurs nou- velles réalisations suivant ces critères. Les autorités bruxelloises ambition- nent de réduire de 35% la production de gaz à effets de serre de la Région d’ici à 2025. Cet objectif passe par l’amélioration de la performance énergétique du bâti à Bruxelles. En effet, en Belgique, on évalue que l’habitat représente plus du tiers de la consommation énergétique ; 75% des murs et 37% des toitures de nos habitations ne sont pas isolés. Les problèmes de logements humides et froids sont fréquents y compris dans les logements sociaux, souvent anciens et vétustes. En moyenne, nos bâtiments consomment 72% d’énergie de plus que la moyenne des pays européens.2 Ces nouveaux logements sociaux participent à la réduction de l’impact e n v i ro n n e m e n t a l g l o b a l et surtout à l’amélioration des conditions de vie des locataires en allégeant leur facture énergétique et en leur proposant un habitat plus sain. D’autres logements sociaux passifs sont d’ores et déjà prévus à Evere, Bruxelles, Molenbeek, Schaerbeek, Jette, Saint- Josse-ten-Noode ou Forest Architecte par exemple. R2D2 architecture sa « La Région doit viser l’exemplarité Photographies énergétique de ses propres bâtiments, Pictures© georgesdekinder.com toute construction neuve devra 2. Symbioses, Habiter autrement, respecter au minimum le standard n°90, deuxième trimestre 2011, passif ». Réseau Idée, Bruxelles, p. 7. 8 Bruxelles Santé 63 en direct de ...
dossier Souffrance au travail (II) Et les professionnels du non-marchand? Le présent dossier fait en quelque sorte le joint entre deux de ses prédécesseurs : « Le travail social aujourd’hui : mutation ou redéfinition ? » (n° 30, juin 2003) et « Souffrance au travail » (n° 42, juin 2006). Mais il ne s’attache pas seulement aux métiers du social. L’ensemble des professions du non-marchand qui se trouvent en première ligne sont affectées. Plaintes et revendications portent – quand elles peuvent se faire entendre – sur le manque de reconnaissance, l’indifférence voire le mépris que ressentent ces acteurs, la précarité des moyens qui leur sont octroyés et le délitement de leurs conditions de travail. Avec, pour corollaire, la dégradation de la relation avec des usagers que l’on peine à aider, tant les situations qu’ils vivent sont lourdes et complexes. Au-delà, c’est l’identité professionnelle et le sens même du travail qui sont mis à mal, avec toute la souffrance psychique qui en résulte. « 300.000 malades du travail en auxquelles ont peut se référer sont Belgique » titrait, à la une, Le Soir du 4 surtout françaises; l’article du Soir fait un juillet dernier. Selon le Professeur Falez, peu figure d’exception. Il est vrai que les spécialiste de la médecine d’expertise à suicides en cascade à France-Télécom ont 1. Notamment les troubles l’ULB, cela représente une augmentation constitué un électrochoc, que traduisent musculo-squelettiques (“maladie de l’usure”), liés à une même de 30% en dix ans. « Pour quelles notamment plusieurs réalisations audio- position et à des mouvements causes? » poursuit Ricardo Gutiérez, visuelles. identiques sans cesse répétés. qui signe l’article. « D’abord pour des Cf. les caissières des grandes problèmes de santé mentale : c’est 33,6% Contrairement à ce que l’on pourrait surfaces : le poids total des des cas enregistrés. Ensuite pour des croire, les maladies1 et accidents de articles qu’elles soulèvent et reposent chaque jour s’élève affections des muscles et du squelette, travail sont en hausse constante, souligne à plus d’une tonne! Mais on pour des déficiences cardiaques et pour un magazine de la série Etat de santé peut aussi évoquer ceux qui ne des cancers. C’est quoi les problèmes de (sur www.lcpan.fr). A cela s’ajoute la quittent pas leur ordinateur de la santé mentale? Les dépressions sévères, souffrance au travail, liée à l’évaluation journée. les états d’épuisement psychique et individuelle (individualisation de la physique, les obsessions malignes, les responsabilité indépendamment du 2. Même dans la police : début juillet, une policière française anxiétés lourdes, jusqu’aux crises de contexte), à la surveillance et au se suicide avec son arme de panique. C’est dû, selon l’expert, “aux contrôle permanents, à la mise sous service. Elle laisse un écrit qui conditions de travail plus pénibles, à pression continue pour toujours plus de incrimine l’organisation et la la pression continue vers davantage de rendement2. L’émission cite cet exemple: culture de travail. A la radio, un flexibilité et de continuité”. » dans un centre d’appels en France, porte-parole de la hiérarchie ou du syndicat (nous n’avons pas selon la médecine du travail, 40% des eu le temps de le noter) minimise Dans le précédent dossier consacré à salariés souffrent de stress, d’angoisse, en avançant qu’aux yeux de la souffrance au travail, notre source de dépression. Seule la consommation ses collègues, tout allait bien. principale pour aborder le “fond” du de médicaments (antidépresseurs, Déni du problème. Pis encore : problème était l’ouvrage désormais anxiolytiques) ou d’alcool permet à effacement de la parole de la classique de Christophe Dejours, certains de “tenir” pour conserver leur personne qui s’est “effacée”... Souffrance en France (Ed. du Seuil, emploi. 1998). Aujourd’hui encore, les sources dossier Bruxelles Santé 63 9
Dans une autre entreprise se produit une coûts de production, profit maximum à “épidémie” massive de violents maux de court terme, enrichissement rapide et tête, de malaises et d’évanouissements: toujours plus grand des actionnaires. un rapport d’enquête met en cause la mauvaise qualité de l’air – et les Il va sans dire que le phénomène conditions de travail… On estime n’est pas proprement français. Dès la qu’en France, dans des environnements première page de Souffrance en France, sans risque d’accident du travail ni de Christophe Dejours précise d’ailleurs maladie professionnelle, un salarié sur que, si ce titre a été retenu, ce n’est pas quatre est victime du stress, souffre de parce que l’analyse ne serait valable que détresse psychique. pour ce pays. Elle vaut, selon lui, pour d’autres pays d’Europe et d’Amérique, Silence sur le stress du Nord comme du Sud : mondialisation oblige. Le choix du titre s’explique parce au travail que les arguments empiriques présentés sont extraits, pour l’essentiel, d’enquêtes Mais peu en parlent, souligne le docu- faites en France. « Il reviendra aux reportage La mise à mort du travail3 : lecteurs habitant hors de France de par culpabilité, pour ne pas perdre la confirmer cette analyse ou d’indiquer les face aux yeux des autres, par peur de ne inflexions qu’il faudrait lui donner pour pas tenir le coup, de ne pas “y arriver”. rendre compte des données spécifiques En lien avec une organisation du travail à chaque pays. » L’auteur ne semble pas, qui impose une individualisation de la en tout cas, avoir été beaucoup entendu performance, qui entraîne (recherche?) en Belgique… un turn-over intense et la perte des relations interpersonnelles au travail. De même, la littérature consacrée à Résultat (but?) : les gens se retrouvent l’objet de ce dossier est nettement plus 3. Film vidéo en trois parties seuls, mis en concurrence avec leurs abondante en France que chez nous. Et de Jean-Robert Viallet. Première collègues. Ils peuvent être placés dans nous formulerons de même l’hypothèse partie : « La destruction ». A des situations où ils sont sommés de qu’on peut l’appliquer à notre pays voir absolument. Mais il faut choisir entre agir à l’encontre de leurs – en tenant compte des spécificités s’accrocher. valeurs (contribuer à un système pervers) institutionnelles françaises (notamment et perdre leur emploi. Ils retiennent leurs pour ce qui concerne l’organisation du émotions, leur colère, et cela même système de santé). affecte leur santé. Souvent, comme dans une des situations que présente le film, ils perdent quand même leur emploi, et Et les sans indemnité : une fois pressés comme professionnels du des citrons, on les pousse délibérément à bout, ou même ils sont victimes de non-marchand? coups montés – et cela va de la petite employée au cadre supérieur. Si nous avons commencé par une sorte de rappel ou d’actualisation d’un C’est devenu une méthode de précédent dossier, ce n’est pas que management. Renouvellement des nous hésitions à aborder d’emblée la méthodes tayloristes, mais sans question de la souffrance au travail des perspective d’ascension sociale pour les professionnels de l’aide et du soin et, travailleurs, menacés en permanence, plus largement, du non-marchand. C’est au contraire, par un chômage dont on que nous pensions indispensable de dit que les indemnités seront diminuées dresser la toile de fond de cette question voire supprimées après un certain temps. et, plus encore, de laisser déjà entendre Les travailleurs ne sont plus que des pions que – malgré tout ce qui les distingue que l’on sacrifie en fonction d’intérêts – ces professionnels ne sont peut-être supérieurs : diminution continue des pas toujours si éloignés qu’on pourrait 10 Bruxelles Santé 63 dossier
« Cette souffrance au travail est encore peu reconnue, d’autant plus que les professionnels n’osent pas l’exprimer. Combien de fois ai-je été questionnée sur le choix de ce terme qui provoquait des remarques plus ou moins critiques : “Vous avez dit souffrance ? Vous dramatisez.” – “Il ne faut pas exagérer !” – “C’est un terme trop fort ; mieux vaut parler de stress.” – “Vous allez mettre les professionnels de terrain encore plus en difficulté en leur parlant de ‘souffrance’, et effrayer les administratifs !” Je revendique, pour ma part, l’usage du terme “souffrance” dans le cadre d’une approche psychodynamique, reconnaissant, au-delà des vulnérabilités individuelles, la dimension collective des processus psychopathologiques à l’œuvre. » Martine Lamour, Parents défaillants, professionnels en souffrance, yapaka.be, coll. Temps d’arrêt n° 44, juin 2010, p. 5. 4. Lire Stéphanie Devlésaver, le croire, sur le plan de la souffrance, indicibles dans des conditions normales. « ISP et santé mentale, du travailleur moyen du secteur tertiaire. C’est aussi pourquoi il ne nous est pas même boulot : humaniser », 22/06/2011, sur www.cbcs.be Pas si éloignés, parfois, de la souffrance possible de faire état de ces travaux, de ceux qu’ils sont censés aider, de ceux sinon en disant que les contraintes dont ils sont appelés à prendre soin. institutionnelles mettent les travailleurs en porte-à-faux par rapport à leurs valeurs. Le non-marchand est lui aussi touché Ils en arrivent à “tricher” pour remplir par des contradictions entre l’idéal leur mission – et, en outre, à se dire que professionnel et les conditions de travail. la tricherie permet à un système malsain Certes, depuis toujours, les étudiants en de se perpétuer. stage distinguent avec ironie “la théorie” et “la pratique”. Et qui dit travail dit tensions, échecs voire souffrances – c’est Comment réagir? d’ailleurs aussi cela qui suscite créativité Pour se protéger, certains se coupent de et inventivité. Mais aujourd’hui la tension la relation avec l’usager, ils se barrica- est bien souvent devenue insupportable. dent. D’autres finissent par adhérer L’écart entre le travail prescrit et le travail à 100% au discours de l’institution et, réel est tel qu’on est confronté non au-delà, au discours sociétal ambiant seulement à un sentiment d’impuissance qui individualise les responsabilités : mais à une impossibilité : les situations “quand on veut, on peut”... D’autres sont inextricables, il est impossible de encore “craquent”. Comme les gens les modifier alors qu’il y a quarante ans dont ils s’occupent, leur parole n’est cela semblait possible. Le travail psycho- pas écoutée, ce qu’ils font n’est pas social vire au palliatif. La souffrance des reconnu : non seulement la “simple” travailleurs de l’aide et du soin est celle reconnaissance de la qualité du travail de gens qui se sentent chargés d’une professionnel, mais la reconnaissance mission impossible, comme par exemple de la créativité personnelle, de la de “remettre les gens à l’emploi” dans un contribution subjective, de ce “plus” contexte économique où il est évident – qui différencie la professionnalité du même s’il n’est pas politiquement correct professionnalisme (voir l’encadré plus de le reconnaître – qu’il n’y a plus de loin). Qui, en effet, ne peut se retrouver travail pour tout le monde4. dans les lignes qui suivent, extraites de Souffrance en France (pp. 36-38)? Un groupe de travail, à la Ligue bruxelloi- se francophone pour la santé mentale, a « Il y a des tire-au-flanc et des gens planché sur ces questions : cinq séances malhonnêtes mais, dans leur majorité, de trois heures étalées sur plus d’un an. ceux qui travaillent s’efforcent de le Pour que les professionnels puissent faire au mieux et donnent pour cela parler à coeur ouvert, il a fallu établir beaucoup d’énergie, de passion et des règles de confidentialité absolue. d’investissement personnel. Il est juste C’est dire à quel point ils peuvent vivre que cette contribution soit reconnue. des sentiments de honte, de culpabilité, Lorsqu’elle ne l’est pas, lorsqu’elle passe de solitude ou d’angoisse proprement inaperçue dans l’indifférence générale dossier Bruxelles Santé 63 11
Vous avez dit "professionnalité" ? sujet différent de celui que j’étais avant la reconnaissance. La reconnaissance Un numéro des Cahiers du Rhizome est titré « Prendre soin de la du travail, voire de l’oeuvre, le sujet peut professionnalité ». D’entrée de jeu, les éditeurs reconnaissent que le mot est la rapatrier ensuite dans le registre de la absent du dictionnaire. Voyons donc plus loin. Une recherche sur google donne construction de son identité. Et ce temps “qualité d’un professionnel”, ce qui ne nous avance pas beaucoup et engendre se traduit affectivement par un sentiment le soupçon qu’il s’agirait peut-être d’une équivalent plus abstrait – et donc plus de soulagement, de plaisir, parfois de séduisant pour les amoureux du jargon – de “professionnalisme” (tout comme légèreté d’être, d’élation* même. Alors “méthodologie” a supplanté la modeste “méthode” ou “problématique” tend à le travail s’inscrit dans la dynamique disqualifier le trop banal “problème”). Une recherche plus obstinée parmi une de l’accomplissement de soi. L’identité kyrielle d’articles, dont nous vous épargnerons le détail, débouche, malgré les constitue l’armature de la santé mentale. différences d’approches entre psys et sociologues, sur le noyau dur du concept: Pas de crise psychopathologique qui ne il semble que l’on pourrait, a minima, conclure que, si professionnalisme et soit centrée par une crise d’identité. » professionnalité invoquent tous deux les valeurs professionnelles, le premier aurait à voir davantage avec les savoir-faire professionnels, le second avec « Faute des bénéfices de la reconnais- l’identité professionnelle et le rôle social. sance de son travail et de pouvoir accéder ainsi au sens de son rapport Dans un article du même numéro*, Christian Laval va plus loin : « Le vécu au travail, le sujet est renvoyé à professionnalisme pose la qualification (diplôme, droit d’exercice) en amont sa souffrance et à elle seule. Souffrance de la compétence, le savoir théorique en amont de l’expérience. A contrario, absurde qui ne génère que de la la professionnalité, entendue comme l’art d’être professionnel, interroge souffrance, selon un cercle vicieux, les ressources professionnelles et aussi l’ensemble des ressources sociales et bientôt déstructurant, capable de et personnelles mobilisées dans toutes les situations (encore) non écrites déstabiliser l’identité et de conduire à dans les livres donc théorisées. (…) En se focalisant sur le non connu, la des maladies mentales. » professionnalité rend compte de la composante d’engagement des praticiens dans ce qu’ils font au-delà de ce pour quoi ils sont qualifiés. Il n’est donc pas étonnant que la texture de la professionnalité, toujours à la limite de La professionnalité l’outrepassement et de la transgression validée, puisse être dépeinte par des épreuves et par des engagements subjectifs forts et coûteux en plaisir et en mise à l’épreuve souffrance (épanouissement de soi versus usure professionnelle). » Cette Or les professionnels de l’aide et du définition nous paraît en phase avec ce qui est développé dans ce dossier. soin ont d’autant plus besoin de la reconnaissance de leur engagement * “Sur quelques tensions à l’oeuvre dans le champ de la santé mentale”, Les Cahiers dans le travail que leur professionnalité du Rhizome n° 33, décembre 2008, pp. 4-10. est brutalement mise à l’épreuve depuis plusieurs décennies : en gros, depuis les ou est déniée par les autres, il en résulte années 1980, lorsque les gouvernements 5. « Travail social, souci de une souffrance qui est fort dangereuse occidentaux, certains avec jubilation, l’action publique et épreuves de pour la santé mentale (…). La recon- ont abdiqué devant les pouvoirs professionnalité », dans Actes naissance n’est pas une revendication économiques. Bertrand Ravon5 s’est éducatifs et de soins, entre marginale de ceux qui travaillent. Bien au particulièrement intéressé à ces épreuves éthique et gouvernance…, mis contraire, elle apparaît comme décisive et, sans prétendre à l’exhaustivité, en en ligne le 1er octobre 2010 sur www.revel.unice.fr/symposia dans la dynamique de la mobilisation propose quatre modèles : subjective de l’intelligence et de la * NDLR élation : exaltation personnalité dans le travail (…). » 1. Le débordement émotionnel dans narcissique, autosatisfaction. « De la reconnaissance dépend en effet la conduite de la relation d’aide, face le sens de la souffrance. Lorsque la auquel des dispositifs réflexifs ou qualité de mon travail est reconnue, ce analytiques peuvent être mis en place sont aussi mes efforts, mes angoisses, (supervisions, intervisions) pour soutenir mes doutes, mes déceptions, mes l’identité professionnelle des acteurs. découragements qui prennent sens. Toute cette souffrance n’a donc pas été 2. La présence impuissante à la situation, vaine, elle a non seulement produit une qui débouche sur un travail social à visée contribution à l’organisation du travail palliative (Marc-Henry Soulet : « aider à mais elle a fait, en retour, de moi un tenir plus qu’aider à changer »), remettant 12 Bruxelles Santé 63 dossier
en cause le sens de l’engagement dans violents, complexes ou exigeants, que l’action. la difficulté à tenir la durée nécessaire à une écoute adaptée à la personnalité 3. L’écoute insupportable de la souffrance de l’usager ; une durée et une qualité sociale : « le caractère insupportable de de la relation inconciliables avec les la situation vient de ce que la souffrance contraintes de temps et les standards de que les usagers ressentent de façon très gestion impartis par les institutions. » personnelle est immédiatement rapportée par les intervenants à des processus L’exemple français doit nous mettre en garde contre les effets pervers sociaux dégénératifs sur lesquels ils n’ont des réorganisations du travail et autres tentations gestionnaires bien aucune prise (…) ». La confrontation à intentionnées : « Avec l’empilement des dispositifs, la bureaucratisation et la cette souffrance psychique d’origine rationalisation du travail, les réorganisations fréquentes et non concertées, sociale amène les intervenants à un le management par le haut, etc., les contraintes de temps et de gestion se degré de mal-être et d’indétermination sont étendues tout en se contredisant. Lorsque l’urgence des situations doit faire avec la standardisation et la multiplication des procédures, la professionnelle difficile à gérer. rationalisation budgétaire des coûts, etc., le professionnel se voit confronté à la réduction de la relation d’aide (travail de reconnaissance, élaboration 4. La confrontation aux nouvelles logi- de la demande, construction d’une réponse adaptée, mise en place et suivi ques de gouvernance et de management de l’aide) en une relation de service, soumise à la logique de la performance (référentiel des bonnes pratiques, et de la productivité. Les rôles professionnels institués sont alors mis démarche qualité, exigence d’ajustement à mal et le sentiment de ne pas pouvoir faire correctement son métier s’installe, parfois violemment. Exposés directement et individuellement permanent…) qui débouchent souvent aux problèmes collectifs d’organisation, les intervenants ressentent ces sur des double binds : « Le plus in- problèmes comme une épreuve personnelle. Et lorsque ces “éprouvés” ne supportable est de devoir assumer les sont pas relayés auprès des collègues, des partenaires et surtout auprès injonctions contradictoires portées par des supérieurs hiérarchiques, au sentiment d’usure s’ajoute un sentiment les supérieurs hiérarchiques sans être de disqualification, de non-reconnaissance, voire de mépris. » reconnu pour tout le travail invisible B. Ravon et coll., op. cit., p. 9. mené justement pour les réduire. Dit autrement, les intervenants souffrent d’un déni de reconnaissance par leurs Les mêmes auteurs considèrent que le supérieurs du travail non prescrit (avec problème de l’usure professionnelle son lot d’initiative, de créativité, avec doit être rapporté aux transformations 6. Bertrand Ravon (dir.), ses transgressions nécessaires) et sans progressives du secteur non-marchand Geneviève Decrop, Jacques lequel les missions ne sauraient être et aux reconfigurations de ses métiers en Ion, Christian Laval et Pierre remplies. » fonction de plusieurs facteurs : Vidal-Naquet, « Epreuves de professionnalité. Repenser l’usure professionnelle des travailleurs Dénis de 1. Des transformations assez radicales au niveau professionnel : dès les années sociaux », www.onpes.gouv. reconnaissance 1980, apparition et généralisation de dispositifs territorialisés impliquant fr/.../synthese_rech_ONPES_ usure_TS_Ravon_et_al_.pdf et injonctions de nouveaux rapports entre élus, paradoxales administratifs et professionnels, appa- rition de nouvelles spécialisations liées Dans un autre texte, Ravon et quatre au développement de la politique de la collaborateurs (non des moindres)6 ville et au traitement social du chômage, reviennent sur les atteintes à la notable accroissement des emplois non professionnalité, pointant à nouveau les qualifiés et des statuts précaires... dénis de reconnaissance et les injonctions paradoxales : « Ce que l’on observe 2. Une transformation considérable de généralement, ce sont des professionnels la relation des professionnels à leurs qui n’évitent pas la confrontation avec le publics : avec la crise économique, public, mais qui s’épuisent à maintenir la diversification et multiplication du nombre possibilité même de cette confrontation. des ayant droits et développement de Ainsi, le problème n’est pas tant le nouvelles catégories de population à face-à-face avec des usagers agressifs, prendre en charge (par ex. les SDF), avec dossier Bruxelles Santé 63 13
pour conséquence que les publics sont puissance de normes sociales comme « de moins en moins appréhendables l’autonomie, l’autodétermination, 7. « Les travailleurs sociaux : selon les catégories classiques de l’épanouissement personnel, le héros et victimes. Demande de l’assistance. Bref l’usager est de moins projet individuel. Beaucoup de reconnaissance et transaction identitaire », centres.fusl. en moins prévisible, voire même devient professionnels se sentent coincés ac.be/CES/document/.../AF/ susceptible d’être proche – y compris dans une mission impossible (“on HerosVictime.pdf culturellement – de l’intervenant. » n’est pas formé pour ça”). 8. La seconde, sur laquelle 3. Un rétrécissement de l’horizon Les rôles institués voient leur légitimité nous ne nous attarderons pas temporel du travail social (qui d’ailleurs remise en cause, le modèle classique ici, repose sur l’hypothèse que la plainte des professionnels est de plus en plus appelé intervention d’exercice de l’autorité a basculé : « constitue en elle-même un sociale) : « le temps long, celui de « Dès lors qu’elle n’est plus garantie mode de gestion identitaire, l’idéal pédagogique, de la visée de par le seul statut du rôle et la une manière de répondre aux transformation de la personne, cède au référence à la norme institutionnelle, besoins d’affirmation de soi et temps de l’urgence », les ressources et l’autorité doit être légitimée dans la de reconnaissance sociale, en fonctionnant à la fois sur le mode les points d’appui des professionnels relation et tend à être subordonnée de la dénégation et sur le mode diminuent, limitant leur autonomie et à la satisfaction et aux droits des de la distanciation. » leurs possibilités d’action. usagers-clients. » 4. L’individualisation de la relation Les exigences de professionnalisation d’aide : les positions respectives du vont au-delà des aspects techniques professionnel et de l’usager se modifient, des métiers, elles s’étendent à le second étant l’objet d’injonctions la composante relationnelle du qui cherchent à le responsabiliser et à rôle professionnel ; les qualités ce qu’il consente à la prise en charge humaines ne suffisent plus. En dont il est l’objet (cf. “l’activation” des outre, cette logique, qui va dans le demandeurs d’emploi). sens d’une autonomisation et d’une responsabilisation croissantes des Tensions travailleurs, est battue en brèche par des formes d’organisation et identitaires de gestion qui poussent, quant à elles, à la standardisation et au De son côté, Abraham Franssen7, contrôle. revenant sur les plaintes des pro- fessionnels du non-marchand (“malaise” Alors que leurs métiers se sont des enseignant, “stress” des infirmières, complexifiés, les professionnels “burn-out” des travailleurs sociaux, ressentent une dévalorisation de leur “usure” des éducateurs…), en propose statut, une non-reconnaissance voire deux lectures distinctes mais non un mépris de leur rôle social dans une exclusives. La première8 consiste à société qui valorise la performance, analyser le phénomène comme révélateur la compétition, le profit. Et l’auteur des tensions identitaires résultant de la d’ajouter : « L’expression même de mise à l’épreuve du rôle professionnel : “non-marchand” illustre la difficulté de se définir positivement, et non en Les finalités traditionnelles de ces référence négative à un principe que métiers sont menacées par l’évolution l’on consacre ainsi tout en prétendant sociétale : les enseignants sont le dénier. » concurrencés par les médias et le Net, les travailleurs sociaux sont confrontés En réaction à ces tensions identitaires, on à des demandes dont ils ne peuvent trouverait quatre tendances principales : maîtriser la diversité et la complexité, l’innovation (se référer à des principes etc. En particulier, le rapport aux nouveaux ou différents pour reconstruire usagers s’est considérablement une cohérence identitaire), l’adaptation individualisé, avec la montée en (réaffirmer ou affiner ses compétences 14 Bruxelles Santé 63 dossier
propres)9, la revendication (exiger dans les friches qu’elles laissent, reconnaissance et moyens d’action) ou la ces réseaux se transforment en révolte (refuser les contradictions du rôle dispositifs, prenant en charge ce que institué, par exemple en se solidarisant les institutions ne savent plus faire. » avec les usagers). Encore faut-il que ces réponses ne soient 9. Ces deux premières tendances Quelles pistes pas elles-mêmes instrumentalisées par le management selon les logiques axées sur étaient déjà évoquées comme formes de “recomposition” d’action? la compétence : les groupes d’analyse de pratique, par exemple, au lieu d’être un du travail social par Philip Mondolfo dans Travail social et développement (Dunod, 2001): Mais c’est là un point de vue très moyen de soutenir le professionnel et son voir Bruxelles Santé n° 30, pp. distancié. Plus concrètement, quelles identité, deviendraient alors une nouvelle 15-16 pistes se dessinent face aux épreuves forme de gestion organisationnelle de la professionnalité ? On trouve dont l’issue peut être grave : « les 10. « Travail social, souci de notamment des réponses chez Bertrand intervenants connaîtraient finalement le l’action publique et épreuves de professionnalité », op. cit. Ravon10 : sort des individus modernes soumis à une forte pression psychique corrélative Groupes d’analyse de la pratique aux injonctions normatives à être soi, et (supervisions et intervisions) : encore pouvant déboucher sur l’expérience de faut-il que du temps et des moyens la dépression ». soient mis à la disposition des professionnels; ce serait d’ailleurs, De même pour les réseaux existants, qui en soi, un signe de soutien et de doivent certes constituer une ressource reconnaissance de la part des pour les intervenants mais ne peuvent dirigeants. être décentrés de l’usager. Alors, des réseaux plus informels, des rencontres Interventions de tiers : un entretien régulières entre travailleurs de la santé et en tête-à-tête pour retrouver le sens du social, pour réfléchir ensemble à des de l’engagement dans l’action, modalités de résistance, pour construire ou encore une aide mobile, par des réponses collectives? exemple « une équipe d’intervenants composée d’un psychiatre et de Car ces réponses ne doivent pas devenir deux travailleurs sociaux (qui) se elles-mêmes le palliatif d’un travail tient à disposition de professionnels professionnel palliatif. Autrement dit : de l’urgence sociale mis en difficulté le modèle professionnel est-il suffisant dans une situation, et se propose de pour répondre aux épreuves de la les aider, de manière ponctuelle, à professionnalité?... La source de celles-ci réaménager le cadre relationnel. (…) se situe bel et bien dans l’évolution de ces dispositifs consistent à faire face nos sociétés : la “guerre économique” au aux situations réputées inextricables, nom de laquelle toutes les destructions, à sauvegarder coûte que coûte la toutes les exclusions, tous les mépris possibilité d’agir des intervenants, sont acceptables, comme le dénonce à anticiper un nouveau blocage de Dejours. l’action. » Pratiques de réseau : Ravon parle de Alain Cherbonnier « réseaux localisés, aux confins de la Merci à santé mentale et du travail social, qui Stéphanie Martens et Manu Gonçalves se constituent autour de telle ou telle thématique (adolescents, personnes âgées ou sans abri) à partir de la critique des actions en place et du refus de l’impuissance à agir. En se créant aux marges des institutions, dossier Bruxelles Santé 63 15
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