Exploitation touristique des stades des métropoles d'accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) Pratiques et modèles - Érudit

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Téoros
Revue de recherche en tourisme

Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil
des Coupes du monde de football (1994-2014)
Pratiques et modèles
José Chaboche

Méga-événements sportifs                                                         Résumé de l'article
Volume 33, numéro 1, 2014                                                        L’accueil d’un Mondial de football favorise-t-il une exploitation des stades qui
                                                                                 leur conférerait une centralité urbaine propice à les ériger en pôles de
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1036719ar                                   tourisme sportif contribuant aux dynamiques métropolitaines ? Pour résoudre
DOI : https://doi.org/10.7202/1036719ar                                          cette question de recherche, la matrice de Bertin permet une analyse
                                                                                 multivariée graphique sur 71 des 73 stades hôtes entre 1994 et 2014, selon une
                                                                                 approche géographique et aménagiste comparative, longitudinale et
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                                                                                 pluricontextuelle originale. Des modèles, à forte assise nationale, sont
                                                                                 identifiés puis étalonnés selon l’optimum aménagiste et managérial induit par
                                                                                 la configuration de la matrice. On observe que de nombreux stades perdent
Éditeur(s)                                                                       leur centralité urbaine et leur attractivité touristique, chèrement acquises, sitôt
                                                                                 le Mondial terminé et influent très peu sur la dynamique métropolitaine.
Université du Québec à Montréal
                                                                                 Certains, situés dans de grandes métropoles ou animés par des clubs à forte
                                                                                 épaisseur sociohistorique, font figure de hauts lieux par l’imaginaire spatial
ISSN                                                                             suscité. Pour les autres, ce qu’il s’y est passé n’est pas assez marquant pour
1923-2705 (numérique)                                                            générer du tourisme sportif ultérieurement. Au total, l’excessive
                                                                                 déconcentration spatiale des six éditions étudiées dilue les effets touristiques
                                                                                 espérés pendant et après le Mondial faute, notamment, d’économies d’échelles
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                                                                                 suffisantes.

Citer cet article
Chaboche, J. (2014). Exploitation touristique des stades des métropoles
d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) : pratiques et modèles.
Téoros, 33 (1), 51–66. https://doi.org/10.7202/1036719ar

Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2014                    Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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                                                                                https://www.erudit.org/fr/
MÉGA-ÉVÉNEMENTS SPORTIFS                   51

Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil
des Coupes du monde de football (1994-2014)
Pratiques et modèles
José CHABOCHE, docteur
Maître de conférences
Laboratoire CEDETE (EA 1210)
UFR STAPS, Université d’Orléans
jose.chaboche@univ-orleans.fr

RÉSUMÉ : L’accueil d’un Mondial de football favorise-t-il une exploitation des stades qui leur conférerait une centralité
urbaine propice à les ériger en pôles de tourisme sportif contribuant aux dynamiques métropolitaines ? Pour résoudre cette
question de recherche, la matrice de Bertin permet une analyse multivariée graphique sur 71 des 73 stades hôtes entre
1994 et 2014, selon une approche géographique et aménagiste comparative, longitudinale et pluricontextuelle originale.
Des modèles, à forte assise nationale, sont identifiés puis étalonnés selon l’optimum aménagiste et managérial induit
par la configuration de la matrice. On observe que de nombreux stades perdent leur centralité urbaine et leur attractivité
touristique, chèrement acquises, sitôt le Mondial terminé et influent très peu sur la dynamique métropolitaine. Certains,
situés dans de grandes métropoles ou animés par des clubs à forte épaisseur sociohistorique, font figure de hauts lieux
par l’imaginaire spatial suscité. Pour les autres, ce qu’il s’y est passé n’est pas assez marquant pour générer du tourisme
sportif ultérieurement. Au total, l’excessive déconcentration spatiale des six éditions étudiées dilue les effets touristiques
espérés pendant et après le Mondial faute, notamment, d’économies d’échelles suffisantes.

Mots-clés : stades, football, métropole, centralité, aménagement.

De nombreuses villes connaissant des dynamiques de métro-                            (Ramshaw et Gammon, 2005). En voie d’expansion mondiale,
polisation rivalisent pour accueillir des méga-événements                            cette innovation (Hägerstrand, 1967) émerge durant les
sportifs dans des enceintes multifonctionnelles conçues par                          années 1980 en Amérique du Nord puis, la décennie suivante,
des architectes médiatiques, équipées des dernières techno-                          au Japon et en Europe du Nord. Elle gagne désormais les pays
logies et participant de la spectacularisation des politiques                        émergents. Elle illustre l’asservissement de ces stades et des
urbaines contemporaines (Belanger, 2000). Emblèmes urbains,                          quartiers qu’ils polarisent à la planification, à la régénération
ces équipements dépassent leur vocation sportive originelle.                         et à l’attractivité urbaines (Thornley, 2002) en vue de gains de
On les présente en pôles événementiels, récréatifs et touris-                        performance territoriale. La figure émergente de la ville tou-
tiques destinés à optimiser l’expérience du spectateur (Guenzi,                      ristique et événementielle (Fagnoni et Lageiste, 2009) lors des
2005) et, particulièrement pour ceux sous un nom de marque,                          années 1990 a également favorisé ce modèle d’enceintes visant
à l’immerger dans l’univers du commanditaire (Bal et Boucher,                        d’abord la viabilité économique grâce, notamment, aux méga-
2011). Ils symbolisent aussi l’esprit de compétition caractéri-                      événements sportifs.
sant la métropolisation ainsi qu’un certain désenchantement                              Dans ce contexte, cet article aborde la question des impacts
du spectacle sportif par l’accroissement de sa marchandisation                       touristiques et des dynamiques métropolitaines qu’induiraient
(Ritzer et Stillman, 2001).                                                          les grands stades pendant et après un méga-événement sportif
     Quoi qu’il en soit, concerts, salons ou conventions d’entre-                    (Poncet, 2001). Il s’agit de spécifier les logiques, les formes et
prises et musées, restaurants ou boutiques valorisent hors                           les conditions de réussite de cette articulation pour en tirer
temps sportif ces équipements prestigieux vecteurs de marke-                         clés de lecture et principes d’intervention. Les Mondiaux de
ting territorial (Noisette et Vallérugo, 2010), facteurs de recom-                   football 1994 (États-Unis), 1998 (France), 2002 (Corée du
position urbaine (Augustin, 2008) et ressources touristiques                         Sud/Japon), 2006 (Allemagne), 2010 (Afrique du Sud) et 2014

                                                                                                                 TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
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(Brésil) servent d’illustrations. Précisément, on souhaite savoir       l’image du pays a profité d’une stratégie d’optimisation de l’ex-
si l’accueil d’un Mondial favorise des modes d’exploitation des         périence des partisans internationaux (Grix, 2012). L’Afrique
stades qui leur conféreraient une centralité urbaine propice à          du Sud, elle, aurait donné une image sécuritaire (McMichael,
les ériger en pôles de tourisme sportif contribuant aux dyna-           2012) peu attrayante. De même, la contestation radicale du
miques métropolitaines. Une revue de littérature cadre l’objec-         Mondial 2014 et sa répression brutale ont plombé l’image du
tif de recherche au plan théorique. La méthodologie est ensuite         Brésil. En revanche, celles du Japon (Manzenreiter, 2008) et de
exposée. Les résultats sur les Mondiaux étudiés sont ensuite            la Corée du Sud (Lee et al., 2005) ont été rehaussées, mais sans
modélisés. Enfin, des éléments de discussion sont dégagés et            augmenter leur croissance économique. Szymanski (2010 : 28)
mis en perspective à des fins opérationnelles.                          précise que « Japan had an increase in visitors arrivals in June
                                                                        2002 of 37,646 over the previous year. South Korea suffered a
Revue de la littérature et cadrage théorique                            decline of 58,864 ». Matheson et Baade (2004) ajoutent que, en
Méga-événements sportifs, Mondial de football                           Corée du Sud, l’arrivée d’Européens n’a pas compensé l’effet
et impacts touristiques                                                 d’éviction du Mondial sur les touristes japonais.
Le sport professionnel s’apparente à une mise en récit, c’est-               Ces médiocres résultats socioéconomiques et des mobi-
à-dire à une « machine à fabriquer des histoires et à forma-            lités touristiques urbaines sous « forme d’un réseau de lieux
ter les esprits » (Salmon, 2007), scénarisée par des décideurs          surfréquentés et d’itinéraires surchargés » (Poncet, 2001 : 79)
politiques, économiques et médiatiques cherchant à captiver             devraient inciter les élus à évaluer chaque méga-événement
les consommateurs de ce spectacle planétarisé. C’est spéciale-          sportif uniquement selon ses coûts, risques, bénéfices et pos-
ment le cas des méga-événements sportifs dont la définition             sibilités de développement offertes (Solberg et Preuss, 2007).
proposée par Roche (2000 : 1) (« large-scale cultural (including        Leur réception serait d’ailleurs un levier plutôt qu’une finalité
commercial and sporting) events, which have a dramatic cha-             (Smith, 2014), d’autant que communiquer une image de « ville
racter, mass popular appeal and international significance »)           sportive » avant ou après leur tenue peut déconcerter les tou-
est largement acceptée. Ceux-ci n’auraient toutefois que de             ristes : beaucoup estimeraient qu’un méga-événement n’est
faibles et brefs effets migratoires sur le marché du travail et         pas un facteur suffisant de renouvellement d’image urbaine
sur le tourisme des villes-hôtes (Lybbert et Thilmany, 2000).           tant toute ville a une relation étroite au sport (Smith, 2005).
Beaucoup d’universitaires indépendants jugent leurs impacts             Leur utilité varierait donc selon leur positionnement dans le
économiques négligeables ou négatifs, surtout si de nouveaux            portefeuille événementiel local (Chalip et Costa, 2005) et selon
stades sont financés. Aussi estiment-ils souvent fallacieux les         la configuration de la chaîne de valeur touristique territoriale.
travaux des consultants appointés par les organisateurs de              Ainsi, en 2006, les organisateurs ont voulu divertir habitants et
méga-événements sportifs. Madden (2002) dénonce ainsi la                partisans étrangers, surtout ceux sans billets. Un « Fans Park »
surestimation de l’impact économique des Jeux de Sydney                 a été aménagé dans chaque ville-hôte (Frew et McGillivray,
par l’agence Arthur Andersen. Szymanski (2010) raille les               2008), généralement en centre-ville (Cologne, Dortmund, etc.)
révisions successives par l’agence Grant Thornton du nombre             ou en un lieu symbolique (par exemple : Porte de Brandebourg
de touristes étrangers attendus lors du Mondial 2010, passé de          à Berlin). Chacun a positionné ces villes en destinations-
600 000 en 2004 à 483 000 en 2009 et à seulement 370 000 peu            marques de tourisme sportif (Florek et al., 2008) grâce aux
avant l’ouverture.                                                      émotions éprouvées puis racontées. Animant gratuitement et
    Or, dans les études ex ante (ce sont toutes les enquêtes            quotidiennement ce micro-espace, les FIFA Fans Fests auraient
qui peuvent être menées avant qu’un événement ait lieu [par             rassemblé vingt millions de personnes en présence cumulée
exemple : étude sur l’acceptation sociale de l’événement, étude         (FIFA, 2014). Ces plateformes de commandite facilitent aussi
de marché, etc.]), le grand public crédite l’accueil des méga-          le contrôle des foules et occultent la difficulté croissante pour
événements sportifs d’impacts sociaux positifs par l’image de           le simple spectateur à accéder au stade (Hopquin, 1998), lequel
modernité et de vitalité qu’ils diffusent (Smith, 2006), par le         reste le principal symbole physique, émotionnel et mémoriel
renforcement de l’identité culturelle et des interactions sociales      d’un méga-événement sportif.
qu’ils promettent (Hritz et Ross, 2010) ou par la régénéra-
tion urbaine et le changement d’ambiance qu’ils font espérer            Métropolisation, tourisme sportif
(Ohmann et al., 2006). Les résultats varient selon la catégorie         et centralité des stades
sociale (Ritchie et al., 2009). Ainsi, les plus aisés plébiscitèrent    Méga-événement sportif le plus médiatique après les Jeux
le Mondial 2010 car ils y virent des opportunités d’affaires            d’été, le Mondial est un enjeu politico-économique majeur
(Briedenhann, 2011). Pourtant, le citoyen-contribuable et le            pour le pays d’accueil (Dietschy, 2010). Aux villes, il permet de
décideur devraient s’interroger si cet accueil « is an honour or a      renforcer leurs fonctions, leur rang dans la hiérarchie urbaine
burden » comme l’indiquent Baade et Matheson (2004 : 343),              mondiale, leur connexion aux flux planétaires stratégiques
jugeant l’édition 1994 décevante au plan touristique. De même,          et leur puissance politique, socioéconomique et culturelle au
Allmers et Maennig (2009) montrent que le Mondial a eu très             sein d’aires et de réseaux : autant de signes – même éphémères
peu d’effets touristiques en France (1998), où les partisans            – de métropolisation. Lacour et Puissant (1999 : 72) la défi-
étrangers se sont en partie substitués aux touristes habituels en       nissent d’ailleurs comme « un processus qui produit et favorise
raison d’un taux d’éviction d’environ 20 % (Barget et Gouguet,          l’accumulation, la concentration, l’interaction, la polarisation
2010), et en Allemagne – 0,1 point de PIB supplémentaire selon          d’externalités perçues de manière positive. [Elle] intensifie les
Kurscheidt, cité par Barget et Gouguet (2010 : 90) – même si            intégrations fonctionnelles sur des aires de plus en plus larges

TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014)       53

et (…) les coupures, les fractures sociales et culturelles au sein      devenu, grâce aux images satellites gratuites, cybertouriste
d’un même ensemble urbain. Elle procure une reconnaissance              sportif absolu avant un éventuel séjour réel. Conformer les
internationale, accentue les concurrences, détruit des identi-          stades à ces centralités plurielles – physiques et fonction-
tés historiques, géographiques, patrimoniales et paysagères,            nelles, virtuelles et réticulaires – impliquerait de les adapter
comme elle impose aussi de les réinvestir et de les réactuali-          à la trame urbaine (Roult et Lefebvre, 2010), d’optimiser leur
ser pour assurer une différenciation encore plus marquée ».             ambiance (Uhrich et Benkenstein, 2010), d’accroître leurs
Expressions paroxystiques de l’emprise mondiale de la culture           services lors des matchs et des jours sans matchs (Desbordes
sportive, les stades postmodernes sécurisés, commerciaux et             et Richelieu, 2011), d’encourager leur patrimonialisation
multifonctionnels (Paramio et al., 2008) semblent des indica-           (Ramshaw et al., 2013) et d’augmenter leur numérisation
teurs pertinents de métropolisation. Comme les méga-événe-              (Helleu et Desbordes, 2013). La contribution des stades aux
ments sportifs, ils sont perçus plutôt positivement malgré les          dynamiques métropolitaines de tourisme sportif pendant
controverses sur leurs coûts et sur la logique néolibérale de la        et après un méga-événement sportif est alors en jeu. Selon
régénération urbaine qu’ils suscitent (Sanchez et Broudehoux,           Lacour et Puissant (1999), cette dynamique métropolitaine
2013). De nombreux travaux réfutent ces croyances et                    résulte de forces (taille démographique ; fonctions urbaines ;
dénoncent le financement public des stades hébergeant le                modes spécifiques d’organisation) et des mouvements qu’elles
sport professionnel (Barget et Gouguet, 2010 : 51-54).                  engendrent (centralité valorisée ; fonctionnement en réseau ;
    S’intéressant aux stades olympiques, Roult et Lefebvre              hiérarchie urbaine renouvelée).
(2010) estiment que ces stades devraient polariser un parc
urbain récréotouristique multifonctionnel, si bien connecté au          Aspects méthodologiques
reste de la ville qu’il deviendrait un point de repère urbain. Ce       Face au questionnement soulevé, les Mondiaux 1994 à 2014
concept de parc s’incarnerait dans le partenariat public-privé          permettent une analyse géographique et aménagiste compa-
et dans l’idée séductrice d’une participation potentiellement           rative, longitudinale et pluricontextuelle. La période choisie
efficace des clubs, ces majors du divertissement sportif, au            résulte du fait qu’aux États-Unis en 1994, contrairement aux
développement économique urbain. Ce concept intéresse                   éditions précédentes, on diversifiait déjà fonctionnellement
fortement les décideurs politiques et économiques dans les              les stades, pratique aujourd’hui répandue. S’agissant d’étudier
métropoles des pays développés et émergents, notamment par              l’articulation entre méga-événements sportifs, aménagement
ses effets espérés sur le tourisme sportif.                             de stades, tourisme sportif et dynamiques métropolitaines,
    Pigeassou (1997 : 32) définit le tourisme sportif comme             faut-il conserver ou réduire ce corpus de soixante-treize stades ?
un séjour d’au moins 24 heures hors domicile pour assister              Après éviction de ceux de Boston et de New York, démolis dès
ou participer à des activités physiques socialement identifiées.        2002 et 2009, il faut décider selon le statut de métropole ou
Gibson (1998) l’ordonne selon trois facteurs : activité (du             non de la ville-hôte.
touriste), événementiel, nostalgie. Mais c’est Kurtzman (1993)              La notion de métropole varie dans le temps et selon les
qui, le premier, a catégorisé le tourisme sportif (« Attractions » ;    aires culturelles. D’après Mangin (2009 : 34), « ce qui diffé-
« Resorts », « Cruises » ; « Tours », « Events ») et l’a posé comme     rencie d’abord une métropole d’une agglomération ordinaire,
un champ scientifique émancipé du sport et du tourisme. Or,             c’est un réseau supplémentaire d’infrastructures permettant
autant la scientificité du sport est académiquement reconnue,           des liaisons intercontinentales (hubs aériens, ferroviaires,
autant celle du tourisme suscite des controverses (Kadri, 2008)         routiers) ». La définition de Lévy (2003 : 610) (« système
interdisant l’autonomisation du tourisme sportif par rapport            urbain dont la configuration rend possible l’accès à un niveau
au champ des études touristiques.                                       d’excellence à l’échelle mondiale ») emporte l’adhésion
    Toujours est-il que les stades sont des lieux de tourisme           de nombreux géographes francophones, mais restreint les
sportif : 700 000 partisans étrangers étaient en Allemagne en           métropoles à huit dans le monde. Aussi l’appareil statistique
2006 et plus d’un million au Brésil en 2014 (Governo Federal            officiel français a-t-il créé en 2011 « l’aire métropolitaine »,
Brasileiro, 2014). Ceux chargés d’histoire deviennent des               associant ville-centre, agglomération et espace sous influence
lieux emblématiques et acquièrent une centralité physique et            directe et exclusive. Elle comprend au moins 500 000 habi-
fonctionnelle (Devisme, 2000) métropolitaine en accueillant,            tants, seuil habituel de déclenchement de processus de métro-
outre des événements majeurs sportifs ou non, des visites               polisation (Lacour et Puissant, 1999 : 104), et 20 000 « cadres
touristiques magnifiant les héritages sportifs, identitaires et         des fonctions métropolitaines » (prestations intellectuelles ;
culturels locaux (Ramshaw et Gammon, 2005) et servant la                conception-recherche ; gestion ; commerce interentreprises ;
globalisation du club (par exemple : Nou Camp pour 25 mil-              culture et loisirs). Elle s’apparente au toshiken japonais, à la
lions d’euros/an au FC Barcelone) ou la fierté nationale (par           Metropolregion allemande, à la Metropolitan Municipality sud-
exemple : stade de France, 80 000 visiteurs par an). De nouvelles       africaine ou à la Região Metropolitana brésilienne. Dans notre
centralités métropolitaines, virtuelles et réticulaires, émergent       corpus, seules Seogwipo (250 000 habitants ; Corée du Sud),
avec le « stade 2.0 » (Sport Numericus, 2012), communicable,            Kaiserslautern (205 000 habitants ; Allemagne) et Mbombela
consommable et appropriable par internet. Il serait destiné             (59 000 habitants ; Afrique du Sud) sont moins peuplées. Leurs
aux « fans 2.0 » (Sport Numericus, 2014) connecté et globalisé,         populations respectives en 2013 équivalaient aux 186e, 191e et
en voie d’hypermobilité par sa capacité à voyager plus loin             380e rangs des 381 Metropolitan Statistical Areas états-uniennes
pour moins cher (Adams, 2001), partageant instantanément                et aux 17e et 19e rangs des 33 régions métropolitaines de
son expérience avec son « groupe d’amis » ou ses abonnés et             recensement (RMR) canadiennes (Mbombela n’atteignait pas

                                                                                                TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
54               José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014)

                      Tableau 1 : Éléments mobilisés en vue d’une modélisation de l’exploitation touristique des stades des métropoles
                                                                       d’accueil des Coupes du Monde 1994-2014
 Indicateurs                                  Variables                                                                        Modalités de réponses proposées dans la matrice
                                              Année                                                                            1a* = 1994; 1998; 2002; 2006; 2010; 2014

                                              Population de l’aire métropolitaine de la ville d’accueil                        1b = supérieure ou égale à la médiane (3,655 millions d’habitants)

                                              Nombre de matchs accueillis                                                      1c* = Moins de 5; 5 ou 6; 7 et plus
 1 : MONDIAL ACCUEILLI
      ET AIRE MÉTROPOLITAINE                                                                                                   1d1 = 1er Tour et 8e de finale; 1d2 = 1/4 de finale; 1d3 = ½ finale
                                              Niveau de compétition maximal accueilli
                                                                                                                               et/ou match pour la 3e place; 1d4 = Finale

                                              Taux moyen de remplissage du stade supérieur à la médiane
                                                                                                                               1e = Oui
                                              du corpus (88,8 %)
                                              Modèle d’organisation étatique lors du Mondial                                   2a1 = décentralisé; 2a2 = fédéral

                                              Modèle actuel d’organisation étatique                                            2b1* = décentralisé; 2b2* = fédéral
 2 : GOUVERNANCE
                                              Gouvernement métropolitain lors du Mondial                                       2c1 = absent; 2c2 = faible; 2c3 = moyennement puissant à puissant

                                              Gouvernement métropolitain actuel                                                2d1 = absent; 2d2 = faible; 2d3 = moyennement puissant à puissant
                                              Aménagement du stade                                                             3a = Reconstruit ou neuf

                                                                                                                               3b1 = 30 000 à moins de 45 000; 3b2 = 45 000 à moins de 65 000;
                                              Nombre de places lors du Mondial
                                                                                                                               3b3 = 65 000 et plus

                                              Ratio « Nombre de places / Population de l’aire métropolitaine »
                                                                                                                               3c = Oui
                                              ≤3%
 3 : URBANISME
      ET AMÉNAGEMENT                          Intégration à un parc urbain                                                     3d = Oui

                                              Stade facilement accessible par transport public                                 3e = Oui

                                              Aéroport international à moins de 45 kilomètres
                                                                                                                               3f1 = Desserte mondiale; 3f2 = Desserte continentale
                                              et/ou moins de 45 minutes du stade

                                              Stade labellisé développement durable                                            3g = Au moins un label accordé ou en passe de l’être

                                              Propriétaire du stade                                                            4a1 = Public; 4a2 = Privé

                                              Exploitant du stade                                                              4b1 = Public; 4b2 = Privé; 4b3 = Public-privé

                                              Club(s) résident(s) (CR)                                                         4c = Oui

                                              CR en élite nationale en 2014                                                    4d = Oui
 4 : MARKETING ET TOURISME
                                              Fonctionnalité du stade hors match                                               4e = Multifonctionnelle
      SPORTIF
                                              Fonctionnalité de la zone polarisée par le stade                                 4f = Multifonctionnelle

                                              Occupation annuelle (hors activités de l’éventuel club résident)                 4g = Moyenne à forte

                                              Méga-événement sportif accueilli suite au Mondial                                4h = Au moins un

                                              Grands événements sportifs accueillis suite au Mondial                           4i = Au moins deux

                                              Organisation de visites physiques du stade                                       5a = Oui

                                              Présence d’un musée au stade                                                     5b = Oui

                                              Site internet officiel du stade                                                  5c = Oui
 5 : COMMUNICATION
      ET TOURISME SPORTIF                     Disponibilité du site internet en langue(s) étrangère(s)                         5d = Oui

                                              Visites virtuelles du stade possibles sur le site internet                       5e = Oui

                                              Page Facebook officielle du stade                                                5f = Oui

                                              Stade présenté comme un fleuron touristique local                                5g = Oui
 * Variable non retenue.
 Sources : sites officiels des stades ou pages que lui consacrent son propriétaire et/ou son exploitant ; rapports d’activités ; dossiers de presse ; littérature scientifique ; images satellite ;
 ressources internet diverses ; enquête personnelle.

100 000 habitants, seuil retenu par l’organisme national offi-                                                L’approche retenue est à la fois quantitative – nourrie
ciel Statistique Canada pour être considéré comme une RMR).                                               par une base de données – et qualitative, de nature induc-
Retenir néanmoins ces trois aires permet d’élargir l’analyse de                                           tive et interprétative. Diverses sources sont utilisées : site
la ville moyenne à la ville mondiale et d’étudier quasi intégra-                                          officiel du stade ou page que lui consacrent son propriétaire
lement le corpus.                                                                                         ou son exploitant ; rapports d’activités ; presse ; littérature

TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014)         55

scientifique ; images satellites ; ressources internet fiabilisées.     étrangers « riches » et par l’attrait des affiches proposées. Ainsi,
Ces données secondaires s’organisent en trente-deux variables           en 1994, à Dallas, lors du premier tour, Allemagne-Corée du
rassemblées en cinq indicateurs et renseignées pour chaque              Sud rassembla 64 000 spectateurs et Nigéria-Bulgarie 44 000. La
stade (tableau 1). Le choix des données résulte de la revue de          fréquentation d’une enceinte varie selon sa distance aux grands
littérature effectuée, reprend en partie les critères généraux de       foyers de peuplement subcontinentaux, la présence d’équipes
reconversion réussie d’un stade en phases pré et post-olym-             de grands pays développés à forte culture footballistique et
pique que synthétisent Roult et Lefebvre (2010) et dépend               l’appétence locale pour ce sport : quatorze des quinze stades aux
de leur possibilité de collecte (par exemple : le nombre de             plus bas taux moyens de remplissage (64 % à 83 % ; médiane à
visiteurs annuels par stade, peu divulgué, n’est pas intégré).          91,9 %) sont sud-coréens ou sud-africains (illustration 2).
Le premier indicateur présente le Mondial et l’aire métropoli-              31 % des stades relèvent d’aires métropolitaines compre-
taine d’accueil. Les deux suivants s’intéressent aux formes pas-        nant deux à cinq millions d’habitants et 38 % d’aires supé-
sées (lors du Mondial) et actuelles de gouvernance nationale            rieures à cinq millions d’habitants. Cela illustre le lien entre
et métropolitaine ainsi qu’aux modalités d’aménagement et               métropolisation et méga-événements sportifs. Le Mondial,
d’urbanisme des stades qu’elles favorisent. Les deux derniers           tournoi d’un mois à trente-deux équipes, implique certes des
abordent le marketing et la communication qu’induit le tou-             villes secondaires, mais seulement six des vingt-deux enceintes
risme sportif de ces stades.                                            de métropoles inférieures à deux millions d’habitants ont servi
     Une analyse multivariée graphique avec la matrice de               après les huitièmes de finale. Surtout, deux tiers des trente-six
Bertin (Bertin, 1999) ordonne les soixante et onze stades en            stades au taux moyen de remplissage inférieur ou égal à la
lignes et les quarante-cinq modalités des trente-deux variables         médiane (91,9 %) relèvent de métropoles inférieures à deux
en colonnes. On regroupe les lignes d’allure visuellement               millions d’habitants ou qu’ils ont une capacité également
proche afin d’identifier des modèles spécifiques. Chacun est            inférieure à la médiane (50 000 exactement). Les autres sont
ainsi rendu visible, analysable et comparable. Les variables            situés dans des centres secondaires de très grandes métropoles
porteuses de biais, car groupant d’office les stades par pays,          (Séoul, Johannesburg), dans des métropoles moyennes (deux
ou finalement redondantes, sont écartées (« année », « nombre           à cinq millions d’habitants) peu accessibles de l’étranger
de matchs » ; « modèle actuel d’organisation étatique »).               (Busan, Daegu ; Sapporo, Ibaraki ; Durban, Cap Town) ou peu
Inversement, les plus significatives sont encadrées par indica-         intéressées par le football (Dallas, Orlando, Detroit ; Osaka,
teur. La modélisation a débuté par celles-ci. Chaque affiliation        Kobe). Un petit stade ne garantit donc pas une fréquentation
a été vérifiée pour éviter des regroupements aberrants bien             maximale. Prévenir cette sous-fréquentation et la dilution des
qu’apparemment cohérents. Moins de 10 % de transferts d’un              effets touristiques impliquerait de concentrer le Mondial dans
modèle à un autre ont dû être opérés. Malgré sa robuste confi-          six à huit stades, ce qui générerait des économies d’échelles
guration visuelle et statistique, le résultat final surprend car        sans obérer les politiques d’aménagement du territoire, plutôt
sept des huit modèles identifiés ont un fondement national              que d’en utiliser dix à douze habituellement.
pourtant non anticipé (illustration 1).                                     Monumentaux, ces stades sont-ils considérés comme des
                                                                        points de repère urbains ? 63 % apparaissent comme tels dans
Résultats                                                               la communication touristique digitale du pôle métropolitain,
Instrument de sémiologie graphique, la matrice de Bertin                particulièrement au Japon et en Allemagne. D’après les images
« permet de découvrir, “par et pour soi-même”, les informa-             satellites, seulement 54 % des stades intègrent un parc urbain.
tions contenues dans un ensemble de données, en reclassant,             Tous sont en revanche desservis par transports publics, même
en transformant l’image graphique en fonction de sa propre              hors match. Un tiers sont à moins de quarante-cinq kilomètres
réflexion, de ses propres décisions. Cette organisation person-         ou minutes en voiture d’un aéroport d’envergure mondiale
nelle de l’image permet d’orienter la recherche en fonction             et 20 % bénéficient d’un aéroport d’envergure continen-
des questions que l’on se pose […]. C’est un questionnement             tale dans ce rayon. Loin des flux touristiques mondiaux, les
permanent, une remise en cause permanente, ce sont des                  autres restent indispensables lors d’organisation multisites. La
décisions réfléchies. Le traitement graphique est un outil de           métropolisation sportive opère donc entre hiérarchie et inter-
travail » (Bonin, 2000 : 23). Ici, il permet une analyse multidi-       dépendance au sein des réseaux de villes. Il faut, en revanche,
mensionnelle du tourisme sportif associé aux stades par l’or-           souligner la fréquente absence ou faiblesse d’instances de
ganisation, la structuration et la hiérarchisation de l’ensemble        coopération métropolitaines et même intermétropolitaines,
de l’information que contient la matrice en vue d’identifier des        qui réguleraient pourtant utilement la dispendieuse et inutile
modèles. Ceux-ci sont vérifiés et précisés à l’aide de sources          prolifération de grandes enceintes.
indiquées dans la présentation des aspects méthodologiques.                 Bien des stades (80 %) restent d’ailleurs publics. Parmi
                                                                        eux, 42 % sont exploités sous droit privé. L’activité principale
Éléments généraux                                                       a trait aux métiers (compétition, hospitalité, etc.) du ou des
D’âpres négociations opposent Comité local d’organisation               clubs résidents (92 % des stades en avaient au moins un en
et villes-hôtes, chacune voulant optimiser son programme de             2014, dont 85 % appartenaient à l’élite nationale). S’ajoutent
matchs. Barget et Gouguet (2010) expliquent l’impact écono-             d’éventuelles visites touristiques du stade (58 % en commer-
mique différencié du Mondial de Rugby 2007 en France par                cialisent) et du musée (20 %). Le tourisme d’affaires, plus
l’attractivité touristique intrinsèque de chaque région sur les         lucratif, dépend du prestige de l’enceinte. Ainsi, celle du RC
étrangers et leur inégale mobilité, par la présence de partisans        Lens (France) rapporte environ un million d’euros annuels

                                                                                                TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
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ILLUSTRATION 1 : Résultats de la matrice de Bertin (source : compilation de l’auteur).

TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014)     57

    ILLUSTRATION 2 : Localisation
des stades des coupes du monde
           de football organisées
             entre 1994 et 2014
         (conception et réalisation :
     José Chaboche / source : FIFA).

hors matchs à ce club. De même, le stade de France accueille            millions pour les joueurs starifiés et les clubs majeurs. Cela
environ 250 événements d’entreprise par an pour un mon-                 révèle une situation probablement transitoire où beaucoup
tant probablement très supérieur à ce million d’euros, étant            d’enceintes ne sont plus uniquement des pôles sportifs, mais
donné son chiffre d’affaires total : (77 millions d’euros en            pas encore des centres de vie ouverts aux dynamiques métro-
2011). Les calendriers en ligne des événements accueillis de            politaines. Ces premiers éléments montrent une exploitation
juin 2013 à juin 2014 montrent qu’une grande majorité des               touristique contrastée qu’il faut clarifier en analysant chaque
stades n’hébergent que le club résident sans subvenir aux               modèle identifié.
besoins socio-éducatifs et culturels locaux, exceptés certains
en Corée du Sud et au Japon. Seuls le Rose Bowl de Pasadena,            Modèles d’aménagement et d’exploitation
près de Los Angeles, et le Sapporo Dome, au Japon, dépassent            touristique
cinquante jours effectifs d’utilisation annuelle, hors matchs           On présente d’abord les modèles les plus aboutis au regard
du club résident, mais avec peu d’événements sportifs d’am-             de la matrice, celui du Grand stade mondial et le modèle alle-
pleur nationale ou internationale. Toutefois, ils n’atteignent          mand, ainsi que le modèle français, qui est diamétralement
pas le taux d’occupation annuel de 70 % recommandé pour                 opposé (tableau 2). Vient ensuite le modèle américain, occu-
équilibrer l’exploitation des grands stades (ENAP-RIO, 2008             pant une position intermédiaire dans la classification propo-
cité dans Roult et Lefebvre, 2010 : 375). Pasadena transfère            sée, puis les modèles brésilien et sud-africain, émanant de pays
d’ailleurs chaque année deux millions de dollars du golf                émergents et que l’on compare spécifiquement. On termine
municipal pour équilibrer le budget de fonctionnement                   par les deux modèles asiatiques, le japonais et le sud-coréen.
(cinq à six millions) du Rose Bowl.                                         Le modèle du Grand stade mondial affiche la meilleure
    Accroître l’utilité sociale et la viabilité économique des          adéquation aux indicateurs « gouvernance », « urbanisme
stades passerait par leur numérisation (Sport Numericus,                et aménagement », « marketing et tourisme sportif » et
2013) pour en faire de véritables organisations. 72 % ont               « communication et tourisme sportif ». Il concerne cinq
une page Facebook officielle ou un site web officiel, mais              stades d’au moins 70 000 places ayant accueilli une finale.
généralement sans version étrangère. Cela peut expliquer                Tous publics, mais exploités sous droit privé, ils accueillent
le rôle mineur des stades dans les enquêtes de motivation               méga-événements sportifs et autres grands événements. À
à assister à un méga-événement sportif ou à pratiquer du                la fois Ville et Région (Land), seule Berlin s’affirme comme
tourisme sportif à l’étranger (Yu, 2010). Fin mai 2014, seuls           une métropole sportive (Sportmetropole) et en infère une
huit stades dépassaient 100 000 de « j’aime » sur Facebook              politique. L’Olympiastadion intègre le vaste Parc olympique
(651 000 pour l’Allianz Arena, leader), contre plusieurs                pourvu d’équipements sportifs et culturels grand public.

                                                                                                TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
58               José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014)

                          Tableau 2 : Adéquation des modèles aux variables les plus significatives des quatre principaux indicateurs
                                                                                           INDICATEURS
                                                                                                                                                             MOYENNE
 MODÈLES                                                      Urbanisme et                                          Marketing et      Communication
                               Éléments généraux                                           Gouvernance                                                     (par modèle)
                                                              Aménagement                                         Tourisme sportif   et Tourisme sportif

 Grand stade mondial                  100 %                        63,3 %                       60 %                  68,6 %                80 %             71,6 %

 Allemand                             100 %                         78 %                        10 %                  45,7 %               74,3 %            61,4 %

 Brésilien                            100 %                        69,1 %                       9,1 %                   NS*                42,9 %            50,9 %

 Américain                             50 %                        76,6 %                        0%                   33,3 %               42,9 %            43,9 %

 Japonais                             33,3 %                       53,3 %                        0%                    38 %                42,9 %            39,4 %

 Sud-Africain                          10 %                         50 %                        20 %                  41,4 %               35,7 %            38,2 %

 Sud-Coréen                            10 %                         58 %                         0%                   41,4 %               21,4 %            33,2 %

 Français                             11,1 %                        40 %                        50 %                  33,3 %               15,9 %            29,8 %

 MOYENNE
                                      50,7 %                       60,6 %                      16,4 %                 41,9 %               41,8 %            45,9 %
 (par indicateur)
 Source : enquête personnelle.
 * NS : non significatif (trois des sept variables de cet indicateur concernent les événements post-Mondial).

Inversement, le Stade de France, construit pour le Mondial,                                                 Depuis le Mondial 2006, le modèle allemand maximise
s’inscrit dans un environnement déshérité et sans gouverne-                                             les fonctions récréatives et touristiques de stades dotés des
ment métropolitain. C’est donc l’État qui impulsa la régé-                                              dernières évolutions technologiques et aux normes inter-
nération de ce microterritoire (Bacqué, 1998), favorisant sa                                            nationales du spectacle sportif. Ce mouvement s’explique
polarisation par l’installation de sièges sociaux et l’essor du                                         principalement par l’aisance financière des collectivités et
tourisme sportif. Classé National Historic Landmark et au                                               des clubs ainsi que par l’héritage d’une culture marchande
top 20 mondial, même si très centré sur les États-Unis, des                                             hanséatique favorisant, même sans instances métropolitaines
équipements sportifs du 20e siècle de Sports Illustrated (1999)                                         fortes, la gouvernance partenariale du sport au service de la
avec le commentaire « more a postcard than a stadium », le                                              métropolisation des territoires locaux. L’ensemble permet
Rose Bowl conserve une certaine attractivité touristique. Le                                            de diversifier les modes d’aménagement (public, privé ou
Maracanã, deuxième site le plus visité de Rio selon la FIFA, a                                          mixte) et d’optimiser l’exploitation des stades (certains appar-
été rénové à l’occasion du Mondial 2014 par un consortium                                               tiennent aux clubs, d’autres aux villes ou aux deux) sans trop
international contre « une flexibilité de la législation urba-                                          céder à l’embourgeoisement. Combles lors du Mondial 2006,
nistique et du transfert du patrimoine foncier public au sec-                                           ils le sont aussi en Bundesliga, le championnat de football
teur privé » par l’État de Rio (Soares Gonçalves, 2014 : 25). Sa                                        allemand. Des visites guidées s’y déroulent quotidiennement
façade, monument historique, a été conservée. Les Jeux 2016                                             et 50 % ont un musée célébrant le club, mais pas le Mondial,
requalifieront son complexe sportif, mais sans créer de parc                                            peut-être parce qu’ils sont dans cinq stades, dont le nom des
urbain où l’on aime s’aérer. Récent, c’est-à-dire construit en                                          commanditaires associés ne sont pas des partenaires de la
1997, le Yokohama Stadium résulte d’une coopération entre                                               FIFA et qui furent d’ailleurs renommés sans compensation
l’État et la Ville. Recevant de nombreux événements, dont                                               financière. Globalement, le pouvoir d’achat élevé et l’attrait
plusieurs Coupes du monde des clubs de la FIFA, il polarise                                             des Allemands pour le football favorisent le tourisme des
le tourisme sportif de la mégalopole tokyoïte. Principal stade                                          stades. La Ville de Kaiserslautern, dont l’atypique Fritz-
japonais, son manque d’envergure patrimoniale, faute de                                                 Walter-Stadion est esseulé dans la modélisation, remercie
références suffisantes dans la mémoire collective nippone, et                                           sur son site les partisans adverses d’être ses plus nombreux et
sa localisation dans la ville-siège de Nissan ont précipité dès                                         fidèles visiteurs. La Veltins-Arena (Gelsenkirchen), au nom du
2005 l’utilisation du nom du grand constructeur automo-                                                 leader allemand de la bière, annonce un million de visites hors
bile, signifiant ainsi son ancrage territorial et sa contribution                                       match depuis 2001. D’immenses tuyaux écoulent 70 000 litres
à la dynamique sportive métropolitaine.                                                                 de ce breuvage par match au plus près des spectateurs. Elle

TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014)         59

ILLUSTRATION 3 : Mercedes-Benz
    Arena, Stuttgart (Allemagne)
           (source : Google Maps).

représenterait « La Mecque du consumérisme pour supporter,             accompagnées par l’État, ont dû ou ont voulu prendre la
où le public vient 3 heures avant le match, dépense 8 euros            maîtrise d’ouvrage et ont refusé logiquement de financer sur
dans les buvettes (contre un euro en moyenne en France) et             fonds publics des évolutions bénéficiant au profit commercial
peut placer ses bambins dans des garderies » (Mathiot, 2007).          des clubs. Vieillis, mal achalandés, parfois sous-fréquentés et
Elle polarise un quartier dont l’équipement – multiplex ciné-          souvent engoncés dans du tissu urbain quelconque, leurs pro-
matographique, centre ludo-sportif, hôtel haut de gamme                priétaires publics les négligent et les clubs les sous-exploitent
auxquels, ailleurs, pourraient s’ajouter musée, commerces              (illustration 5). Lorsqu’elles existent, les visites sont mensuelles
ou aréna couverte – figure une énième occurrence de la ville-          ou sur réservation. Chaque ville-hôte, notamment Marseille,
marketing (Urbanisme, 2004). Ce modèle urbanistique mer-               où des hooligans ont sévi, n’a pas eu la chance de Saint-
cantile promeut la multiplication de zones récréotouristiques          Étienne. La municipalité « a, […] surtout les années suivantes,
standardisées et la privatisation de l’espace public au profit         plus communiqué sur le passage [festif] des Écossais […] que
de stratégies industrielles, comme à Stuttgart avec Mercedes-          sur la victoire finale des Bleus, y compris dans la perspective
Benz (illustration 3). Les images satellites révèlent un autre         d’accueillir l’Écossais en résidence et ses partisans au Mondial
modèle d’aménagement récréatif et touristique, plus général.           de rugby 2007 » (Merle, 2008 : note 27). Comme ailleurs, le
Il s’organise en stades ultramodernes, hérités du Mondial, qui         Mondial a favorisé des opérations ponctuelles d’aménage-
sont pourvus d’équipements ludiques et sportifs adjacents              ment urbain visant l’amélioration de l’image de la ville. Trois
répondant aux besoins socio-éducatifs quotidiens, très bien            facteurs bouleverseront cette morosité : la globalisation du
reliés au centre-ville et connectés à de vastes espaces verts ou       PSG, dont ses propriétaires qataris souhaitent porter le Parc
boisés, souvent agrémentés d’un plan d’eau et favorisant les           des Princes à 60 000 places après l’Euro 2016 et qui développe-
circulations douces (illustration 4). Seules la Mercedes-Benz          ront sa marchandisation ; des opportunités locales, comme à
Arena et l’Allianz Arena de Munich, stade privé enserré par            Lens, où l’Office de tourisme utilise la réputation de « meilleur
des voies rapides et doté du plus vaste stationnement d’Eu-            public de France » pour faire visiter le stade et développe en
rope, dérogent à ce lien Ville-Nature planifié par les pouvoirs        ce sens des synergies avec l’antenne locale du Louvre ; l’Euro
locaux et exaltant l’image d’une qualité de vie métropolitaine.        2016, qui entraîne rénovations ou constructions en périphé-
     Le modèle français paraît d’un autre âge. Stades rénovés          rie urbaine portées par de puissantes intercommunalités, en
dans un souci d’économie, certes, mais rapidement obsolètes,           quête d’image de marque à l’international, et de prétextes
forment l’héritage du Mondial 1998 en raison d’une gou-                pour d’importants projets immobiliers vecteurs de métropo-
vernance métropolitaine alors déficiente. Les villes-centres,          lisation assurent élus et architectes.

                                                                                               TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
60        José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014)

                                                                                                           ILLUSTRATION 4 : Rheineenergie
                                                                                                           Stadion, Cologne (Allemagne)
                                                                                                           (source : Google Maps).

                                                                                                           ILLUSTRATION 5 : Stade Chaban-
                                                                                                           Delmas, Bordeaux (France)
                                                                                                           (source : Google Maps).

TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014)      61

   ILLUSTRATION 6 : Soldier Field,
             Chicago (États-Unis)
            (source : Google Maps).

    Le modèle états-unien rassemble également des stades                National Football League à être labellisé, en 2012, « Leader of
d’ancienne génération, généralement publics, mais davantage             Energy and Environmental Design » (LEED). Avantage compé-
imposants et qualitatifs (insertion à un parc urbain, proximité         titif et élément de différenciation, cela constitue une externa-
d’un aéroport d’envergure mondiale, etc.). Toutefois, ce ne             lité positive du stade sur la dynamique métropolitaine.
sont pas ou plus des ressources touristiques. Summum de la                   Malgré le gigantisme du Mondial brésilien, l’argument de
modernité sportive il y a seulement vingt ans, de nouvelles             la durabilité aura orienté les stratégies de communication de la
enceintes leur ont succédé sous l’effet de dynamiques métro-            FIFA, des villes, des consortiums de construction-exploitation
politaines peu encadrées (Ghorra-Gobin, 2000 ; Antier, 2005)            et de l’État, qui a voulu que chaque stade candidate au LEED :
que galvanisent des élus soucieux d’image et de ressources              on vante celui de Brasilia, à zéro émission de CO2. Multicertifié
ainsi que des investisseurs visant des profits rapides (clubs, ins-     (ISO 9001 et ISO 14001 ; SA 8000 ; OHSAS 18001) ; celui de
tances sportives, commanditaires, médias, promoteurs immo-              Manaus surjoue presque l’excellence dans l’Amazonie surex-
biliers, constructeurs et exploitants d’infrastructures) selon          ploitée (illustration 7), mais sans club résident, il pourrait
un modèle qui fait désormais école dans le monde. Certains              être reconverti en prison. Cet argument vise à augmenter le
stades ont donc été délaissés, comme le RFK Stadium en 1996             consentement populaire à payer l’énorme coût (3,6 milliards
par les Washington Redskins (football américain) au profit du           d’euros) d’enceintes souvent contrôlées par le secteur privé,
D.C. United (football) bien moins populaire. D’autres ont été           d’accès trop onéreux pour beaucoup et dont l’environnement
abandonnés, tel le Silverdome (Detroit), sans franchise depuis          aseptisé (plus d’arbres, de bancs ou de vendeurs ambulants)
2002 et fermé en 2013. Deux ont même été démolis. Seuls trois           viserait à inciter les touristes, en particulier, à consommer à
ont été revitalisés : le Stanford Stadium pour la candidature           l’intérieur (Gaffney, 2014).
de San Francisco aux Jeux 2012 ; le Citrus Bowl d’Orlando en                 Organisés autour de « villes émergentes dominantes »
2014 suite au plan municipal de réaménagement du centre-                d’économies libérales, mais où l’administration publique
ville ; le Soldier Field de Chicago en 2005, mémorial militaire.        garde un rôle central (Lefebvre et Roult, 2014), les modèles
Sa reconstruction controversée lui coûta son statut de National         brésilien et sud-africain semblent proches. Malgré des impacts
Historic Landmark, à fort impact touristique. « Stadium in a            urbains contrastés probablement faute de planification
Park » selon son slogan (illustration 6), c’est le premier de la        (Roux-Goeken, 2014), le modèle brésilien semble présenter

                                                                                                TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
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