Exploitation touristique des stades des métropoles d'accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) Pratiques et modèles - Érudit
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Document généré le 23 avr. 2020 02:59 Téoros Revue de recherche en tourisme Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) Pratiques et modèles José Chaboche Méga-événements sportifs Résumé de l'article Volume 33, numéro 1, 2014 L’accueil d’un Mondial de football favorise-t-il une exploitation des stades qui leur conférerait une centralité urbaine propice à les ériger en pôles de URI : https://id.erudit.org/iderudit/1036719ar tourisme sportif contribuant aux dynamiques métropolitaines ? Pour résoudre DOI : https://doi.org/10.7202/1036719ar cette question de recherche, la matrice de Bertin permet une analyse multivariée graphique sur 71 des 73 stades hôtes entre 1994 et 2014, selon une approche géographique et aménagiste comparative, longitudinale et Aller au sommaire du numéro pluricontextuelle originale. Des modèles, à forte assise nationale, sont identifiés puis étalonnés selon l’optimum aménagiste et managérial induit par la configuration de la matrice. On observe que de nombreux stades perdent Éditeur(s) leur centralité urbaine et leur attractivité touristique, chèrement acquises, sitôt le Mondial terminé et influent très peu sur la dynamique métropolitaine. Université du Québec à Montréal Certains, situés dans de grandes métropoles ou animés par des clubs à forte épaisseur sociohistorique, font figure de hauts lieux par l’imaginaire spatial ISSN suscité. Pour les autres, ce qu’il s’y est passé n’est pas assez marquant pour 1923-2705 (numérique) générer du tourisme sportif ultérieurement. Au total, l’excessive déconcentration spatiale des six éditions étudiées dilue les effets touristiques espérés pendant et après le Mondial faute, notamment, d’économies d’échelles Découvrir la revue suffisantes. Citer cet article Chaboche, J. (2014). Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) : pratiques et modèles. Téoros, 33 (1), 51–66. https://doi.org/10.7202/1036719ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2014 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
MÉGA-ÉVÉNEMENTS SPORTIFS 51 Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) Pratiques et modèles José CHABOCHE, docteur Maître de conférences Laboratoire CEDETE (EA 1210) UFR STAPS, Université d’Orléans jose.chaboche@univ-orleans.fr RÉSUMÉ : L’accueil d’un Mondial de football favorise-t-il une exploitation des stades qui leur conférerait une centralité urbaine propice à les ériger en pôles de tourisme sportif contribuant aux dynamiques métropolitaines ? Pour résoudre cette question de recherche, la matrice de Bertin permet une analyse multivariée graphique sur 71 des 73 stades hôtes entre 1994 et 2014, selon une approche géographique et aménagiste comparative, longitudinale et pluricontextuelle originale. Des modèles, à forte assise nationale, sont identifiés puis étalonnés selon l’optimum aménagiste et managérial induit par la configuration de la matrice. On observe que de nombreux stades perdent leur centralité urbaine et leur attractivité touristique, chèrement acquises, sitôt le Mondial terminé et influent très peu sur la dynamique métropolitaine. Certains, situés dans de grandes métropoles ou animés par des clubs à forte épaisseur sociohistorique, font figure de hauts lieux par l’imaginaire spatial suscité. Pour les autres, ce qu’il s’y est passé n’est pas assez marquant pour générer du tourisme sportif ultérieurement. Au total, l’excessive déconcentration spatiale des six éditions étudiées dilue les effets touristiques espérés pendant et après le Mondial faute, notamment, d’économies d’échelles suffisantes. Mots-clés : stades, football, métropole, centralité, aménagement. De nombreuses villes connaissant des dynamiques de métro- (Ramshaw et Gammon, 2005). En voie d’expansion mondiale, polisation rivalisent pour accueillir des méga-événements cette innovation (Hägerstrand, 1967) émerge durant les sportifs dans des enceintes multifonctionnelles conçues par années 1980 en Amérique du Nord puis, la décennie suivante, des architectes médiatiques, équipées des dernières techno- au Japon et en Europe du Nord. Elle gagne désormais les pays logies et participant de la spectacularisation des politiques émergents. Elle illustre l’asservissement de ces stades et des urbaines contemporaines (Belanger, 2000). Emblèmes urbains, quartiers qu’ils polarisent à la planification, à la régénération ces équipements dépassent leur vocation sportive originelle. et à l’attractivité urbaines (Thornley, 2002) en vue de gains de On les présente en pôles événementiels, récréatifs et touris- performance territoriale. La figure émergente de la ville tou- tiques destinés à optimiser l’expérience du spectateur (Guenzi, ristique et événementielle (Fagnoni et Lageiste, 2009) lors des 2005) et, particulièrement pour ceux sous un nom de marque, années 1990 a également favorisé ce modèle d’enceintes visant à l’immerger dans l’univers du commanditaire (Bal et Boucher, d’abord la viabilité économique grâce, notamment, aux méga- 2011). Ils symbolisent aussi l’esprit de compétition caractéri- événements sportifs. sant la métropolisation ainsi qu’un certain désenchantement Dans ce contexte, cet article aborde la question des impacts du spectacle sportif par l’accroissement de sa marchandisation touristiques et des dynamiques métropolitaines qu’induiraient (Ritzer et Stillman, 2001). les grands stades pendant et après un méga-événement sportif Quoi qu’il en soit, concerts, salons ou conventions d’entre- (Poncet, 2001). Il s’agit de spécifier les logiques, les formes et prises et musées, restaurants ou boutiques valorisent hors les conditions de réussite de cette articulation pour en tirer temps sportif ces équipements prestigieux vecteurs de marke- clés de lecture et principes d’intervention. Les Mondiaux de ting territorial (Noisette et Vallérugo, 2010), facteurs de recom- football 1994 (États-Unis), 1998 (France), 2002 (Corée du position urbaine (Augustin, 2008) et ressources touristiques Sud/Japon), 2006 (Allemagne), 2010 (Afrique du Sud) et 2014 TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
52 José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) (Brésil) servent d’illustrations. Précisément, on souhaite savoir l’image du pays a profité d’une stratégie d’optimisation de l’ex- si l’accueil d’un Mondial favorise des modes d’exploitation des périence des partisans internationaux (Grix, 2012). L’Afrique stades qui leur conféreraient une centralité urbaine propice à du Sud, elle, aurait donné une image sécuritaire (McMichael, les ériger en pôles de tourisme sportif contribuant aux dyna- 2012) peu attrayante. De même, la contestation radicale du miques métropolitaines. Une revue de littérature cadre l’objec- Mondial 2014 et sa répression brutale ont plombé l’image du tif de recherche au plan théorique. La méthodologie est ensuite Brésil. En revanche, celles du Japon (Manzenreiter, 2008) et de exposée. Les résultats sur les Mondiaux étudiés sont ensuite la Corée du Sud (Lee et al., 2005) ont été rehaussées, mais sans modélisés. Enfin, des éléments de discussion sont dégagés et augmenter leur croissance économique. Szymanski (2010 : 28) mis en perspective à des fins opérationnelles. précise que « Japan had an increase in visitors arrivals in June 2002 of 37,646 over the previous year. South Korea suffered a Revue de la littérature et cadrage théorique decline of 58,864 ». Matheson et Baade (2004) ajoutent que, en Méga-événements sportifs, Mondial de football Corée du Sud, l’arrivée d’Européens n’a pas compensé l’effet et impacts touristiques d’éviction du Mondial sur les touristes japonais. Le sport professionnel s’apparente à une mise en récit, c’est- Ces médiocres résultats socioéconomiques et des mobi- à-dire à une « machine à fabriquer des histoires et à forma- lités touristiques urbaines sous « forme d’un réseau de lieux ter les esprits » (Salmon, 2007), scénarisée par des décideurs surfréquentés et d’itinéraires surchargés » (Poncet, 2001 : 79) politiques, économiques et médiatiques cherchant à captiver devraient inciter les élus à évaluer chaque méga-événement les consommateurs de ce spectacle planétarisé. C’est spéciale- sportif uniquement selon ses coûts, risques, bénéfices et pos- ment le cas des méga-événements sportifs dont la définition sibilités de développement offertes (Solberg et Preuss, 2007). proposée par Roche (2000 : 1) (« large-scale cultural (including Leur réception serait d’ailleurs un levier plutôt qu’une finalité commercial and sporting) events, which have a dramatic cha- (Smith, 2014), d’autant que communiquer une image de « ville racter, mass popular appeal and international significance ») sportive » avant ou après leur tenue peut déconcerter les tou- est largement acceptée. Ceux-ci n’auraient toutefois que de ristes : beaucoup estimeraient qu’un méga-événement n’est faibles et brefs effets migratoires sur le marché du travail et pas un facteur suffisant de renouvellement d’image urbaine sur le tourisme des villes-hôtes (Lybbert et Thilmany, 2000). tant toute ville a une relation étroite au sport (Smith, 2005). Beaucoup d’universitaires indépendants jugent leurs impacts Leur utilité varierait donc selon leur positionnement dans le économiques négligeables ou négatifs, surtout si de nouveaux portefeuille événementiel local (Chalip et Costa, 2005) et selon stades sont financés. Aussi estiment-ils souvent fallacieux les la configuration de la chaîne de valeur touristique territoriale. travaux des consultants appointés par les organisateurs de Ainsi, en 2006, les organisateurs ont voulu divertir habitants et méga-événements sportifs. Madden (2002) dénonce ainsi la partisans étrangers, surtout ceux sans billets. Un « Fans Park » surestimation de l’impact économique des Jeux de Sydney a été aménagé dans chaque ville-hôte (Frew et McGillivray, par l’agence Arthur Andersen. Szymanski (2010) raille les 2008), généralement en centre-ville (Cologne, Dortmund, etc.) révisions successives par l’agence Grant Thornton du nombre ou en un lieu symbolique (par exemple : Porte de Brandebourg de touristes étrangers attendus lors du Mondial 2010, passé de à Berlin). Chacun a positionné ces villes en destinations- 600 000 en 2004 à 483 000 en 2009 et à seulement 370 000 peu marques de tourisme sportif (Florek et al., 2008) grâce aux avant l’ouverture. émotions éprouvées puis racontées. Animant gratuitement et Or, dans les études ex ante (ce sont toutes les enquêtes quotidiennement ce micro-espace, les FIFA Fans Fests auraient qui peuvent être menées avant qu’un événement ait lieu [par rassemblé vingt millions de personnes en présence cumulée exemple : étude sur l’acceptation sociale de l’événement, étude (FIFA, 2014). Ces plateformes de commandite facilitent aussi de marché, etc.]), le grand public crédite l’accueil des méga- le contrôle des foules et occultent la difficulté croissante pour événements sportifs d’impacts sociaux positifs par l’image de le simple spectateur à accéder au stade (Hopquin, 1998), lequel modernité et de vitalité qu’ils diffusent (Smith, 2006), par le reste le principal symbole physique, émotionnel et mémoriel renforcement de l’identité culturelle et des interactions sociales d’un méga-événement sportif. qu’ils promettent (Hritz et Ross, 2010) ou par la régénéra- tion urbaine et le changement d’ambiance qu’ils font espérer Métropolisation, tourisme sportif (Ohmann et al., 2006). Les résultats varient selon la catégorie et centralité des stades sociale (Ritchie et al., 2009). Ainsi, les plus aisés plébiscitèrent Méga-événement sportif le plus médiatique après les Jeux le Mondial 2010 car ils y virent des opportunités d’affaires d’été, le Mondial est un enjeu politico-économique majeur (Briedenhann, 2011). Pourtant, le citoyen-contribuable et le pour le pays d’accueil (Dietschy, 2010). Aux villes, il permet de décideur devraient s’interroger si cet accueil « is an honour or a renforcer leurs fonctions, leur rang dans la hiérarchie urbaine burden » comme l’indiquent Baade et Matheson (2004 : 343), mondiale, leur connexion aux flux planétaires stratégiques jugeant l’édition 1994 décevante au plan touristique. De même, et leur puissance politique, socioéconomique et culturelle au Allmers et Maennig (2009) montrent que le Mondial a eu très sein d’aires et de réseaux : autant de signes – même éphémères peu d’effets touristiques en France (1998), où les partisans – de métropolisation. Lacour et Puissant (1999 : 72) la défi- étrangers se sont en partie substitués aux touristes habituels en nissent d’ailleurs comme « un processus qui produit et favorise raison d’un taux d’éviction d’environ 20 % (Barget et Gouguet, l’accumulation, la concentration, l’interaction, la polarisation 2010), et en Allemagne – 0,1 point de PIB supplémentaire selon d’externalités perçues de manière positive. [Elle] intensifie les Kurscheidt, cité par Barget et Gouguet (2010 : 90) – même si intégrations fonctionnelles sur des aires de plus en plus larges TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) 53 et (…) les coupures, les fractures sociales et culturelles au sein devenu, grâce aux images satellites gratuites, cybertouriste d’un même ensemble urbain. Elle procure une reconnaissance sportif absolu avant un éventuel séjour réel. Conformer les internationale, accentue les concurrences, détruit des identi- stades à ces centralités plurielles – physiques et fonction- tés historiques, géographiques, patrimoniales et paysagères, nelles, virtuelles et réticulaires – impliquerait de les adapter comme elle impose aussi de les réinvestir et de les réactuali- à la trame urbaine (Roult et Lefebvre, 2010), d’optimiser leur ser pour assurer une différenciation encore plus marquée ». ambiance (Uhrich et Benkenstein, 2010), d’accroître leurs Expressions paroxystiques de l’emprise mondiale de la culture services lors des matchs et des jours sans matchs (Desbordes sportive, les stades postmodernes sécurisés, commerciaux et et Richelieu, 2011), d’encourager leur patrimonialisation multifonctionnels (Paramio et al., 2008) semblent des indica- (Ramshaw et al., 2013) et d’augmenter leur numérisation teurs pertinents de métropolisation. Comme les méga-événe- (Helleu et Desbordes, 2013). La contribution des stades aux ments sportifs, ils sont perçus plutôt positivement malgré les dynamiques métropolitaines de tourisme sportif pendant controverses sur leurs coûts et sur la logique néolibérale de la et après un méga-événement sportif est alors en jeu. Selon régénération urbaine qu’ils suscitent (Sanchez et Broudehoux, Lacour et Puissant (1999), cette dynamique métropolitaine 2013). De nombreux travaux réfutent ces croyances et résulte de forces (taille démographique ; fonctions urbaines ; dénoncent le financement public des stades hébergeant le modes spécifiques d’organisation) et des mouvements qu’elles sport professionnel (Barget et Gouguet, 2010 : 51-54). engendrent (centralité valorisée ; fonctionnement en réseau ; S’intéressant aux stades olympiques, Roult et Lefebvre hiérarchie urbaine renouvelée). (2010) estiment que ces stades devraient polariser un parc urbain récréotouristique multifonctionnel, si bien connecté au Aspects méthodologiques reste de la ville qu’il deviendrait un point de repère urbain. Ce Face au questionnement soulevé, les Mondiaux 1994 à 2014 concept de parc s’incarnerait dans le partenariat public-privé permettent une analyse géographique et aménagiste compa- et dans l’idée séductrice d’une participation potentiellement rative, longitudinale et pluricontextuelle. La période choisie efficace des clubs, ces majors du divertissement sportif, au résulte du fait qu’aux États-Unis en 1994, contrairement aux développement économique urbain. Ce concept intéresse éditions précédentes, on diversifiait déjà fonctionnellement fortement les décideurs politiques et économiques dans les les stades, pratique aujourd’hui répandue. S’agissant d’étudier métropoles des pays développés et émergents, notamment par l’articulation entre méga-événements sportifs, aménagement ses effets espérés sur le tourisme sportif. de stades, tourisme sportif et dynamiques métropolitaines, Pigeassou (1997 : 32) définit le tourisme sportif comme faut-il conserver ou réduire ce corpus de soixante-treize stades ? un séjour d’au moins 24 heures hors domicile pour assister Après éviction de ceux de Boston et de New York, démolis dès ou participer à des activités physiques socialement identifiées. 2002 et 2009, il faut décider selon le statut de métropole ou Gibson (1998) l’ordonne selon trois facteurs : activité (du non de la ville-hôte. touriste), événementiel, nostalgie. Mais c’est Kurtzman (1993) La notion de métropole varie dans le temps et selon les qui, le premier, a catégorisé le tourisme sportif (« Attractions » ; aires culturelles. D’après Mangin (2009 : 34), « ce qui diffé- « Resorts », « Cruises » ; « Tours », « Events ») et l’a posé comme rencie d’abord une métropole d’une agglomération ordinaire, un champ scientifique émancipé du sport et du tourisme. Or, c’est un réseau supplémentaire d’infrastructures permettant autant la scientificité du sport est académiquement reconnue, des liaisons intercontinentales (hubs aériens, ferroviaires, autant celle du tourisme suscite des controverses (Kadri, 2008) routiers) ». La définition de Lévy (2003 : 610) (« système interdisant l’autonomisation du tourisme sportif par rapport urbain dont la configuration rend possible l’accès à un niveau au champ des études touristiques. d’excellence à l’échelle mondiale ») emporte l’adhésion Toujours est-il que les stades sont des lieux de tourisme de nombreux géographes francophones, mais restreint les sportif : 700 000 partisans étrangers étaient en Allemagne en métropoles à huit dans le monde. Aussi l’appareil statistique 2006 et plus d’un million au Brésil en 2014 (Governo Federal officiel français a-t-il créé en 2011 « l’aire métropolitaine », Brasileiro, 2014). Ceux chargés d’histoire deviennent des associant ville-centre, agglomération et espace sous influence lieux emblématiques et acquièrent une centralité physique et directe et exclusive. Elle comprend au moins 500 000 habi- fonctionnelle (Devisme, 2000) métropolitaine en accueillant, tants, seuil habituel de déclenchement de processus de métro- outre des événements majeurs sportifs ou non, des visites polisation (Lacour et Puissant, 1999 : 104), et 20 000 « cadres touristiques magnifiant les héritages sportifs, identitaires et des fonctions métropolitaines » (prestations intellectuelles ; culturels locaux (Ramshaw et Gammon, 2005) et servant la conception-recherche ; gestion ; commerce interentreprises ; globalisation du club (par exemple : Nou Camp pour 25 mil- culture et loisirs). Elle s’apparente au toshiken japonais, à la lions d’euros/an au FC Barcelone) ou la fierté nationale (par Metropolregion allemande, à la Metropolitan Municipality sud- exemple : stade de France, 80 000 visiteurs par an). De nouvelles africaine ou à la Região Metropolitana brésilienne. Dans notre centralités métropolitaines, virtuelles et réticulaires, émergent corpus, seules Seogwipo (250 000 habitants ; Corée du Sud), avec le « stade 2.0 » (Sport Numericus, 2012), communicable, Kaiserslautern (205 000 habitants ; Allemagne) et Mbombela consommable et appropriable par internet. Il serait destiné (59 000 habitants ; Afrique du Sud) sont moins peuplées. Leurs aux « fans 2.0 » (Sport Numericus, 2014) connecté et globalisé, populations respectives en 2013 équivalaient aux 186e, 191e et en voie d’hypermobilité par sa capacité à voyager plus loin 380e rangs des 381 Metropolitan Statistical Areas états-uniennes pour moins cher (Adams, 2001), partageant instantanément et aux 17e et 19e rangs des 33 régions métropolitaines de son expérience avec son « groupe d’amis » ou ses abonnés et recensement (RMR) canadiennes (Mbombela n’atteignait pas TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
54 José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) Tableau 1 : Éléments mobilisés en vue d’une modélisation de l’exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du Monde 1994-2014 Indicateurs Variables Modalités de réponses proposées dans la matrice Année 1a* = 1994; 1998; 2002; 2006; 2010; 2014 Population de l’aire métropolitaine de la ville d’accueil 1b = supérieure ou égale à la médiane (3,655 millions d’habitants) Nombre de matchs accueillis 1c* = Moins de 5; 5 ou 6; 7 et plus 1 : MONDIAL ACCUEILLI ET AIRE MÉTROPOLITAINE 1d1 = 1er Tour et 8e de finale; 1d2 = 1/4 de finale; 1d3 = ½ finale Niveau de compétition maximal accueilli et/ou match pour la 3e place; 1d4 = Finale Taux moyen de remplissage du stade supérieur à la médiane 1e = Oui du corpus (88,8 %) Modèle d’organisation étatique lors du Mondial 2a1 = décentralisé; 2a2 = fédéral Modèle actuel d’organisation étatique 2b1* = décentralisé; 2b2* = fédéral 2 : GOUVERNANCE Gouvernement métropolitain lors du Mondial 2c1 = absent; 2c2 = faible; 2c3 = moyennement puissant à puissant Gouvernement métropolitain actuel 2d1 = absent; 2d2 = faible; 2d3 = moyennement puissant à puissant Aménagement du stade 3a = Reconstruit ou neuf 3b1 = 30 000 à moins de 45 000; 3b2 = 45 000 à moins de 65 000; Nombre de places lors du Mondial 3b3 = 65 000 et plus Ratio « Nombre de places / Population de l’aire métropolitaine » 3c = Oui ≤3% 3 : URBANISME ET AMÉNAGEMENT Intégration à un parc urbain 3d = Oui Stade facilement accessible par transport public 3e = Oui Aéroport international à moins de 45 kilomètres 3f1 = Desserte mondiale; 3f2 = Desserte continentale et/ou moins de 45 minutes du stade Stade labellisé développement durable 3g = Au moins un label accordé ou en passe de l’être Propriétaire du stade 4a1 = Public; 4a2 = Privé Exploitant du stade 4b1 = Public; 4b2 = Privé; 4b3 = Public-privé Club(s) résident(s) (CR) 4c = Oui CR en élite nationale en 2014 4d = Oui 4 : MARKETING ET TOURISME Fonctionnalité du stade hors match 4e = Multifonctionnelle SPORTIF Fonctionnalité de la zone polarisée par le stade 4f = Multifonctionnelle Occupation annuelle (hors activités de l’éventuel club résident) 4g = Moyenne à forte Méga-événement sportif accueilli suite au Mondial 4h = Au moins un Grands événements sportifs accueillis suite au Mondial 4i = Au moins deux Organisation de visites physiques du stade 5a = Oui Présence d’un musée au stade 5b = Oui Site internet officiel du stade 5c = Oui 5 : COMMUNICATION ET TOURISME SPORTIF Disponibilité du site internet en langue(s) étrangère(s) 5d = Oui Visites virtuelles du stade possibles sur le site internet 5e = Oui Page Facebook officielle du stade 5f = Oui Stade présenté comme un fleuron touristique local 5g = Oui * Variable non retenue. Sources : sites officiels des stades ou pages que lui consacrent son propriétaire et/ou son exploitant ; rapports d’activités ; dossiers de presse ; littérature scientifique ; images satellite ; ressources internet diverses ; enquête personnelle. 100 000 habitants, seuil retenu par l’organisme national offi- L’approche retenue est à la fois quantitative – nourrie ciel Statistique Canada pour être considéré comme une RMR). par une base de données – et qualitative, de nature induc- Retenir néanmoins ces trois aires permet d’élargir l’analyse de tive et interprétative. Diverses sources sont utilisées : site la ville moyenne à la ville mondiale et d’étudier quasi intégra- officiel du stade ou page que lui consacrent son propriétaire lement le corpus. ou son exploitant ; rapports d’activités ; presse ; littérature TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) 55 scientifique ; images satellites ; ressources internet fiabilisées. étrangers « riches » et par l’attrait des affiches proposées. Ainsi, Ces données secondaires s’organisent en trente-deux variables en 1994, à Dallas, lors du premier tour, Allemagne-Corée du rassemblées en cinq indicateurs et renseignées pour chaque Sud rassembla 64 000 spectateurs et Nigéria-Bulgarie 44 000. La stade (tableau 1). Le choix des données résulte de la revue de fréquentation d’une enceinte varie selon sa distance aux grands littérature effectuée, reprend en partie les critères généraux de foyers de peuplement subcontinentaux, la présence d’équipes reconversion réussie d’un stade en phases pré et post-olym- de grands pays développés à forte culture footballistique et pique que synthétisent Roult et Lefebvre (2010) et dépend l’appétence locale pour ce sport : quatorze des quinze stades aux de leur possibilité de collecte (par exemple : le nombre de plus bas taux moyens de remplissage (64 % à 83 % ; médiane à visiteurs annuels par stade, peu divulgué, n’est pas intégré). 91,9 %) sont sud-coréens ou sud-africains (illustration 2). Le premier indicateur présente le Mondial et l’aire métropoli- 31 % des stades relèvent d’aires métropolitaines compre- taine d’accueil. Les deux suivants s’intéressent aux formes pas- nant deux à cinq millions d’habitants et 38 % d’aires supé- sées (lors du Mondial) et actuelles de gouvernance nationale rieures à cinq millions d’habitants. Cela illustre le lien entre et métropolitaine ainsi qu’aux modalités d’aménagement et métropolisation et méga-événements sportifs. Le Mondial, d’urbanisme des stades qu’elles favorisent. Les deux derniers tournoi d’un mois à trente-deux équipes, implique certes des abordent le marketing et la communication qu’induit le tou- villes secondaires, mais seulement six des vingt-deux enceintes risme sportif de ces stades. de métropoles inférieures à deux millions d’habitants ont servi Une analyse multivariée graphique avec la matrice de après les huitièmes de finale. Surtout, deux tiers des trente-six Bertin (Bertin, 1999) ordonne les soixante et onze stades en stades au taux moyen de remplissage inférieur ou égal à la lignes et les quarante-cinq modalités des trente-deux variables médiane (91,9 %) relèvent de métropoles inférieures à deux en colonnes. On regroupe les lignes d’allure visuellement millions d’habitants ou qu’ils ont une capacité également proche afin d’identifier des modèles spécifiques. Chacun est inférieure à la médiane (50 000 exactement). Les autres sont ainsi rendu visible, analysable et comparable. Les variables situés dans des centres secondaires de très grandes métropoles porteuses de biais, car groupant d’office les stades par pays, (Séoul, Johannesburg), dans des métropoles moyennes (deux ou finalement redondantes, sont écartées (« année », « nombre à cinq millions d’habitants) peu accessibles de l’étranger de matchs » ; « modèle actuel d’organisation étatique »). (Busan, Daegu ; Sapporo, Ibaraki ; Durban, Cap Town) ou peu Inversement, les plus significatives sont encadrées par indica- intéressées par le football (Dallas, Orlando, Detroit ; Osaka, teur. La modélisation a débuté par celles-ci. Chaque affiliation Kobe). Un petit stade ne garantit donc pas une fréquentation a été vérifiée pour éviter des regroupements aberrants bien maximale. Prévenir cette sous-fréquentation et la dilution des qu’apparemment cohérents. Moins de 10 % de transferts d’un effets touristiques impliquerait de concentrer le Mondial dans modèle à un autre ont dû être opérés. Malgré sa robuste confi- six à huit stades, ce qui générerait des économies d’échelles guration visuelle et statistique, le résultat final surprend car sans obérer les politiques d’aménagement du territoire, plutôt sept des huit modèles identifiés ont un fondement national que d’en utiliser dix à douze habituellement. pourtant non anticipé (illustration 1). Monumentaux, ces stades sont-ils considérés comme des points de repère urbains ? 63 % apparaissent comme tels dans Résultats la communication touristique digitale du pôle métropolitain, Instrument de sémiologie graphique, la matrice de Bertin particulièrement au Japon et en Allemagne. D’après les images « permet de découvrir, “par et pour soi-même”, les informa- satellites, seulement 54 % des stades intègrent un parc urbain. tions contenues dans un ensemble de données, en reclassant, Tous sont en revanche desservis par transports publics, même en transformant l’image graphique en fonction de sa propre hors match. Un tiers sont à moins de quarante-cinq kilomètres réflexion, de ses propres décisions. Cette organisation person- ou minutes en voiture d’un aéroport d’envergure mondiale nelle de l’image permet d’orienter la recherche en fonction et 20 % bénéficient d’un aéroport d’envergure continen- des questions que l’on se pose […]. C’est un questionnement tale dans ce rayon. Loin des flux touristiques mondiaux, les permanent, une remise en cause permanente, ce sont des autres restent indispensables lors d’organisation multisites. La décisions réfléchies. Le traitement graphique est un outil de métropolisation sportive opère donc entre hiérarchie et inter- travail » (Bonin, 2000 : 23). Ici, il permet une analyse multidi- dépendance au sein des réseaux de villes. Il faut, en revanche, mensionnelle du tourisme sportif associé aux stades par l’or- souligner la fréquente absence ou faiblesse d’instances de ganisation, la structuration et la hiérarchisation de l’ensemble coopération métropolitaines et même intermétropolitaines, de l’information que contient la matrice en vue d’identifier des qui réguleraient pourtant utilement la dispendieuse et inutile modèles. Ceux-ci sont vérifiés et précisés à l’aide de sources prolifération de grandes enceintes. indiquées dans la présentation des aspects méthodologiques. Bien des stades (80 %) restent d’ailleurs publics. Parmi eux, 42 % sont exploités sous droit privé. L’activité principale Éléments généraux a trait aux métiers (compétition, hospitalité, etc.) du ou des D’âpres négociations opposent Comité local d’organisation clubs résidents (92 % des stades en avaient au moins un en et villes-hôtes, chacune voulant optimiser son programme de 2014, dont 85 % appartenaient à l’élite nationale). S’ajoutent matchs. Barget et Gouguet (2010) expliquent l’impact écono- d’éventuelles visites touristiques du stade (58 % en commer- mique différencié du Mondial de Rugby 2007 en France par cialisent) et du musée (20 %). Le tourisme d’affaires, plus l’attractivité touristique intrinsèque de chaque région sur les lucratif, dépend du prestige de l’enceinte. Ainsi, celle du RC étrangers et leur inégale mobilité, par la présence de partisans Lens (France) rapporte environ un million d’euros annuels TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
56 José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) ILLUSTRATION 1 : Résultats de la matrice de Bertin (source : compilation de l’auteur). TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) 57 ILLUSTRATION 2 : Localisation des stades des coupes du monde de football organisées entre 1994 et 2014 (conception et réalisation : José Chaboche / source : FIFA). hors matchs à ce club. De même, le stade de France accueille millions pour les joueurs starifiés et les clubs majeurs. Cela environ 250 événements d’entreprise par an pour un mon- révèle une situation probablement transitoire où beaucoup tant probablement très supérieur à ce million d’euros, étant d’enceintes ne sont plus uniquement des pôles sportifs, mais donné son chiffre d’affaires total : (77 millions d’euros en pas encore des centres de vie ouverts aux dynamiques métro- 2011). Les calendriers en ligne des événements accueillis de politaines. Ces premiers éléments montrent une exploitation juin 2013 à juin 2014 montrent qu’une grande majorité des touristique contrastée qu’il faut clarifier en analysant chaque stades n’hébergent que le club résident sans subvenir aux modèle identifié. besoins socio-éducatifs et culturels locaux, exceptés certains en Corée du Sud et au Japon. Seuls le Rose Bowl de Pasadena, Modèles d’aménagement et d’exploitation près de Los Angeles, et le Sapporo Dome, au Japon, dépassent touristique cinquante jours effectifs d’utilisation annuelle, hors matchs On présente d’abord les modèles les plus aboutis au regard du club résident, mais avec peu d’événements sportifs d’am- de la matrice, celui du Grand stade mondial et le modèle alle- pleur nationale ou internationale. Toutefois, ils n’atteignent mand, ainsi que le modèle français, qui est diamétralement pas le taux d’occupation annuel de 70 % recommandé pour opposé (tableau 2). Vient ensuite le modèle américain, occu- équilibrer l’exploitation des grands stades (ENAP-RIO, 2008 pant une position intermédiaire dans la classification propo- cité dans Roult et Lefebvre, 2010 : 375). Pasadena transfère sée, puis les modèles brésilien et sud-africain, émanant de pays d’ailleurs chaque année deux millions de dollars du golf émergents et que l’on compare spécifiquement. On termine municipal pour équilibrer le budget de fonctionnement par les deux modèles asiatiques, le japonais et le sud-coréen. (cinq à six millions) du Rose Bowl. Le modèle du Grand stade mondial affiche la meilleure Accroître l’utilité sociale et la viabilité économique des adéquation aux indicateurs « gouvernance », « urbanisme stades passerait par leur numérisation (Sport Numericus, et aménagement », « marketing et tourisme sportif » et 2013) pour en faire de véritables organisations. 72 % ont « communication et tourisme sportif ». Il concerne cinq une page Facebook officielle ou un site web officiel, mais stades d’au moins 70 000 places ayant accueilli une finale. généralement sans version étrangère. Cela peut expliquer Tous publics, mais exploités sous droit privé, ils accueillent le rôle mineur des stades dans les enquêtes de motivation méga-événements sportifs et autres grands événements. À à assister à un méga-événement sportif ou à pratiquer du la fois Ville et Région (Land), seule Berlin s’affirme comme tourisme sportif à l’étranger (Yu, 2010). Fin mai 2014, seuls une métropole sportive (Sportmetropole) et en infère une huit stades dépassaient 100 000 de « j’aime » sur Facebook politique. L’Olympiastadion intègre le vaste Parc olympique (651 000 pour l’Allianz Arena, leader), contre plusieurs pourvu d’équipements sportifs et culturels grand public. TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
58 José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) Tableau 2 : Adéquation des modèles aux variables les plus significatives des quatre principaux indicateurs INDICATEURS MOYENNE MODÈLES Urbanisme et Marketing et Communication Éléments généraux Gouvernance (par modèle) Aménagement Tourisme sportif et Tourisme sportif Grand stade mondial 100 % 63,3 % 60 % 68,6 % 80 % 71,6 % Allemand 100 % 78 % 10 % 45,7 % 74,3 % 61,4 % Brésilien 100 % 69,1 % 9,1 % NS* 42,9 % 50,9 % Américain 50 % 76,6 % 0% 33,3 % 42,9 % 43,9 % Japonais 33,3 % 53,3 % 0% 38 % 42,9 % 39,4 % Sud-Africain 10 % 50 % 20 % 41,4 % 35,7 % 38,2 % Sud-Coréen 10 % 58 % 0% 41,4 % 21,4 % 33,2 % Français 11,1 % 40 % 50 % 33,3 % 15,9 % 29,8 % MOYENNE 50,7 % 60,6 % 16,4 % 41,9 % 41,8 % 45,9 % (par indicateur) Source : enquête personnelle. * NS : non significatif (trois des sept variables de cet indicateur concernent les événements post-Mondial). Inversement, le Stade de France, construit pour le Mondial, Depuis le Mondial 2006, le modèle allemand maximise s’inscrit dans un environnement déshérité et sans gouverne- les fonctions récréatives et touristiques de stades dotés des ment métropolitain. C’est donc l’État qui impulsa la régé- dernières évolutions technologiques et aux normes inter- nération de ce microterritoire (Bacqué, 1998), favorisant sa nationales du spectacle sportif. Ce mouvement s’explique polarisation par l’installation de sièges sociaux et l’essor du principalement par l’aisance financière des collectivités et tourisme sportif. Classé National Historic Landmark et au des clubs ainsi que par l’héritage d’une culture marchande top 20 mondial, même si très centré sur les États-Unis, des hanséatique favorisant, même sans instances métropolitaines équipements sportifs du 20e siècle de Sports Illustrated (1999) fortes, la gouvernance partenariale du sport au service de la avec le commentaire « more a postcard than a stadium », le métropolisation des territoires locaux. L’ensemble permet Rose Bowl conserve une certaine attractivité touristique. Le de diversifier les modes d’aménagement (public, privé ou Maracanã, deuxième site le plus visité de Rio selon la FIFA, a mixte) et d’optimiser l’exploitation des stades (certains appar- été rénové à l’occasion du Mondial 2014 par un consortium tiennent aux clubs, d’autres aux villes ou aux deux) sans trop international contre « une flexibilité de la législation urba- céder à l’embourgeoisement. Combles lors du Mondial 2006, nistique et du transfert du patrimoine foncier public au sec- ils le sont aussi en Bundesliga, le championnat de football teur privé » par l’État de Rio (Soares Gonçalves, 2014 : 25). Sa allemand. Des visites guidées s’y déroulent quotidiennement façade, monument historique, a été conservée. Les Jeux 2016 et 50 % ont un musée célébrant le club, mais pas le Mondial, requalifieront son complexe sportif, mais sans créer de parc peut-être parce qu’ils sont dans cinq stades, dont le nom des urbain où l’on aime s’aérer. Récent, c’est-à-dire construit en commanditaires associés ne sont pas des partenaires de la 1997, le Yokohama Stadium résulte d’une coopération entre FIFA et qui furent d’ailleurs renommés sans compensation l’État et la Ville. Recevant de nombreux événements, dont financière. Globalement, le pouvoir d’achat élevé et l’attrait plusieurs Coupes du monde des clubs de la FIFA, il polarise des Allemands pour le football favorisent le tourisme des le tourisme sportif de la mégalopole tokyoïte. Principal stade stades. La Ville de Kaiserslautern, dont l’atypique Fritz- japonais, son manque d’envergure patrimoniale, faute de Walter-Stadion est esseulé dans la modélisation, remercie références suffisantes dans la mémoire collective nippone, et sur son site les partisans adverses d’être ses plus nombreux et sa localisation dans la ville-siège de Nissan ont précipité dès fidèles visiteurs. La Veltins-Arena (Gelsenkirchen), au nom du 2005 l’utilisation du nom du grand constructeur automo- leader allemand de la bière, annonce un million de visites hors bile, signifiant ainsi son ancrage territorial et sa contribution match depuis 2001. D’immenses tuyaux écoulent 70 000 litres à la dynamique sportive métropolitaine. de ce breuvage par match au plus près des spectateurs. Elle TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) 59 ILLUSTRATION 3 : Mercedes-Benz Arena, Stuttgart (Allemagne) (source : Google Maps). représenterait « La Mecque du consumérisme pour supporter, accompagnées par l’État, ont dû ou ont voulu prendre la où le public vient 3 heures avant le match, dépense 8 euros maîtrise d’ouvrage et ont refusé logiquement de financer sur dans les buvettes (contre un euro en moyenne en France) et fonds publics des évolutions bénéficiant au profit commercial peut placer ses bambins dans des garderies » (Mathiot, 2007). des clubs. Vieillis, mal achalandés, parfois sous-fréquentés et Elle polarise un quartier dont l’équipement – multiplex ciné- souvent engoncés dans du tissu urbain quelconque, leurs pro- matographique, centre ludo-sportif, hôtel haut de gamme priétaires publics les négligent et les clubs les sous-exploitent auxquels, ailleurs, pourraient s’ajouter musée, commerces (illustration 5). Lorsqu’elles existent, les visites sont mensuelles ou aréna couverte – figure une énième occurrence de la ville- ou sur réservation. Chaque ville-hôte, notamment Marseille, marketing (Urbanisme, 2004). Ce modèle urbanistique mer- où des hooligans ont sévi, n’a pas eu la chance de Saint- cantile promeut la multiplication de zones récréotouristiques Étienne. La municipalité « a, […] surtout les années suivantes, standardisées et la privatisation de l’espace public au profit plus communiqué sur le passage [festif] des Écossais […] que de stratégies industrielles, comme à Stuttgart avec Mercedes- sur la victoire finale des Bleus, y compris dans la perspective Benz (illustration 3). Les images satellites révèlent un autre d’accueillir l’Écossais en résidence et ses partisans au Mondial modèle d’aménagement récréatif et touristique, plus général. de rugby 2007 » (Merle, 2008 : note 27). Comme ailleurs, le Il s’organise en stades ultramodernes, hérités du Mondial, qui Mondial a favorisé des opérations ponctuelles d’aménage- sont pourvus d’équipements ludiques et sportifs adjacents ment urbain visant l’amélioration de l’image de la ville. Trois répondant aux besoins socio-éducatifs quotidiens, très bien facteurs bouleverseront cette morosité : la globalisation du reliés au centre-ville et connectés à de vastes espaces verts ou PSG, dont ses propriétaires qataris souhaitent porter le Parc boisés, souvent agrémentés d’un plan d’eau et favorisant les des Princes à 60 000 places après l’Euro 2016 et qui développe- circulations douces (illustration 4). Seules la Mercedes-Benz ront sa marchandisation ; des opportunités locales, comme à Arena et l’Allianz Arena de Munich, stade privé enserré par Lens, où l’Office de tourisme utilise la réputation de « meilleur des voies rapides et doté du plus vaste stationnement d’Eu- public de France » pour faire visiter le stade et développe en rope, dérogent à ce lien Ville-Nature planifié par les pouvoirs ce sens des synergies avec l’antenne locale du Louvre ; l’Euro locaux et exaltant l’image d’une qualité de vie métropolitaine. 2016, qui entraîne rénovations ou constructions en périphé- Le modèle français paraît d’un autre âge. Stades rénovés rie urbaine portées par de puissantes intercommunalités, en dans un souci d’économie, certes, mais rapidement obsolètes, quête d’image de marque à l’international, et de prétextes forment l’héritage du Mondial 1998 en raison d’une gou- pour d’importants projets immobiliers vecteurs de métropo- vernance métropolitaine alors déficiente. Les villes-centres, lisation assurent élus et architectes. TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
60 José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) ILLUSTRATION 4 : Rheineenergie Stadion, Cologne (Allemagne) (source : Google Maps). ILLUSTRATION 5 : Stade Chaban- Delmas, Bordeaux (France) (source : Google Maps). TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
José CHABOCHE : Exploitation touristique des stades des métropoles d’accueil des Coupes du monde de football (1994-2014) 61 ILLUSTRATION 6 : Soldier Field, Chicago (États-Unis) (source : Google Maps). Le modèle états-unien rassemble également des stades National Football League à être labellisé, en 2012, « Leader of d’ancienne génération, généralement publics, mais davantage Energy and Environmental Design » (LEED). Avantage compé- imposants et qualitatifs (insertion à un parc urbain, proximité titif et élément de différenciation, cela constitue une externa- d’un aéroport d’envergure mondiale, etc.). Toutefois, ce ne lité positive du stade sur la dynamique métropolitaine. sont pas ou plus des ressources touristiques. Summum de la Malgré le gigantisme du Mondial brésilien, l’argument de modernité sportive il y a seulement vingt ans, de nouvelles la durabilité aura orienté les stratégies de communication de la enceintes leur ont succédé sous l’effet de dynamiques métro- FIFA, des villes, des consortiums de construction-exploitation politaines peu encadrées (Ghorra-Gobin, 2000 ; Antier, 2005) et de l’État, qui a voulu que chaque stade candidate au LEED : que galvanisent des élus soucieux d’image et de ressources on vante celui de Brasilia, à zéro émission de CO2. Multicertifié ainsi que des investisseurs visant des profits rapides (clubs, ins- (ISO 9001 et ISO 14001 ; SA 8000 ; OHSAS 18001) ; celui de tances sportives, commanditaires, médias, promoteurs immo- Manaus surjoue presque l’excellence dans l’Amazonie surex- biliers, constructeurs et exploitants d’infrastructures) selon ploitée (illustration 7), mais sans club résident, il pourrait un modèle qui fait désormais école dans le monde. Certains être reconverti en prison. Cet argument vise à augmenter le stades ont donc été délaissés, comme le RFK Stadium en 1996 consentement populaire à payer l’énorme coût (3,6 milliards par les Washington Redskins (football américain) au profit du d’euros) d’enceintes souvent contrôlées par le secteur privé, D.C. United (football) bien moins populaire. D’autres ont été d’accès trop onéreux pour beaucoup et dont l’environnement abandonnés, tel le Silverdome (Detroit), sans franchise depuis aseptisé (plus d’arbres, de bancs ou de vendeurs ambulants) 2002 et fermé en 2013. Deux ont même été démolis. Seuls trois viserait à inciter les touristes, en particulier, à consommer à ont été revitalisés : le Stanford Stadium pour la candidature l’intérieur (Gaffney, 2014). de San Francisco aux Jeux 2012 ; le Citrus Bowl d’Orlando en Organisés autour de « villes émergentes dominantes » 2014 suite au plan municipal de réaménagement du centre- d’économies libérales, mais où l’administration publique ville ; le Soldier Field de Chicago en 2005, mémorial militaire. garde un rôle central (Lefebvre et Roult, 2014), les modèles Sa reconstruction controversée lui coûta son statut de National brésilien et sud-africain semblent proches. Malgré des impacts Historic Landmark, à fort impact touristique. « Stadium in a urbains contrastés probablement faute de planification Park » selon son slogan (illustration 6), c’est le premier de la (Roux-Goeken, 2014), le modèle brésilien semble présenter TÉOROS, vol. 33, no 1, p. 51-66 © 2014
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