De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football

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De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
Master 2 Audiovisuel, médias interactifs numériques, jeux parcours Télévision, Internet, réseau
Année universitaire 2016/2017

De l’expérience audiovisuelle
augmentée du match de football
Vers une analyse des pratiques récentes de mise en scène et mise en interactivité

Cédric Maiore

Tuteur universitaire : Mme Marida DI CROSTA
De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
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De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
Merci à Madame Marida Di Crosta et Monsieur Christian Cote pour m’avoir aidé à
 structurer ce mémoire ; à toute la promo du Master pour ces deux années humainement
riches ; à tous ceux qui m’ont apporté durant ces études ; à toute l’agence Newic pour ces
      mois de stage où j’ai beaucoup appris ; à François-Pierre et Oriana pour leur
confiance ; au football qui agite mes émotions et ma passion depuis toujours de Gerland à
                                        Maksimir.

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De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
INTRODUCTION ................................................................................... 5

SPORT, SOCIOLOGIE ET PRATIQUES ...................................................... 7
  PRATIQUE SPORTIVE ET PRATIQUE MÉDIATIQUE .......................................... 7

     LE SPORT COMME FAIT SOCIAL ............................................................................. 7

     PRATIQUES MÉDIATIQUES ET CULTURE FOOT ......................................................... 9

  LE SUPPORTER, CE SPECT’ACTEUR .............................................................. 13

     UNE TYPOLOGIE DU SUPPORTER DE FOOTBALL .................................................... 13

     UNE COMMUNAUTÉ IMAGINÉE.......................................................................... 16

LE FOOTBALL, UN SPORT TÉLÉVISÉ...................................................... 20
  LA PLACE CENTRALE DE LA TÉLÉVISION DANS L’ÉCONOMIE DU FOOTBALL .. 20

     LES DROITS TÉLÉS DE RECORD EN RECORD .......................................................... 23

     UNE REMISE EN CAUSE DE L’ÉQUITÉ SPORTIVE ET DE L’ALÉA SPORTIF.................... 24

  LA NARRATION DU MATCH DE FOOTBALL ................................................. 25

     FILMAGE ET MISE EN SCÈNE ............................................................................... 26

     L’ARBITRAGE VIDÉO OU LE PRÉTENDU POUVOIR DES IMAGES ............................... 31

  DE NOUVEAUX ACTEURS POUR DE NOUVELLES PRATIQUES ....................... 34

     UN NOUVEL ÂGE DU SPORT ET DES MÉDIAS ....................................................... 35

     L’INTÉGRATION DU SECOND ÉCRAN PAR LES DIFFUSEURS ................................... 37

LES EXPANSIONS LUDIQUES .............................................................. 41
  LE STADE, COMME À LA MAISON .............................................................. 41

     LE STADE CONNECTÉ ......................................................................................... 42

     L’EXEMPLE DU PARC OL ET DE SON APPLICATION ................................................. 44

  DE LA RETRANSMISSION À LA PLAYSTATION : IS IT IN THE GAME ? ........... 46

     FIFA PARTOUT..................................................................................................... 46

     LA REPRODUCTION DE LA RÉALITÉ ....................................................................... 50

CONCLUSION .................................................................................... 54

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................. 55

ANNEXES .......................................................................................... 60

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De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
INTRODUCTION

« Le football n'est pas une question de vie ou de mort, c'est bien plus important que

cela. » La phrase du légendaire entraineur de Liverpool, Bill Shankly, est devenue

mythique. Même si elle doit être prise au second degré, elle montre l’importance que
prend le football dans notre société. Avec plus de nations membres à la FIFA (la
fédération internationale de football) qu’à l’ONU, le foot est le sport numéro un au
monde. On peut donc aisément parler de fait social que Emile Durkheim (1895) définit

comme « des manières d'agir, de penser et de sentir extérieures à l'individu, et qui sont

douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui. »

Devant un tel engouement, le football dépasse le cadre du sport et les intérêts
économiques croissants transforment la performance en un spectacle mondialisé suivi
davantage à la télévision qu’au stade. Les acteurs de l’audiovisuel ont donc le pouvoir
sur la diffusion des compétitions qui atteint son pinacle tous les quatre ans, lors de la
finale de la Coupe du Monde : le match Argentine – Allemagne en 2014 a été regardé,
ou au moins aperçu, par un milliard de téléspectateurs sur la planète soit une croissance
de 12% par rapport à 2010 (annexe 1). Les diffuseurs ne cessent d’innover pour donner
aux spectateurs la sensation d’être au cœur du spectacle, de ne rien rater du match et
même d’en voir plus qu’au stade. Le numérique joue un rôle prépondérant avec la
présence des réseaux sociaux et l’utilisation constante du smartphone que les chaines et
les clubs mettent maintenant à profit pour compléter l’expérience du supporter. Ainsi, le
rôle des images prend une ampleur considérable dans notre rapport avec le football.
Cela ne se limite plus seulement à la retransmission télé, les jeux vidéo prennent eux-
aussi une toute autre dimension : d’un point de vue du réalisme des graphismes
jusqu’aux compétitions d’e-sport où les clubs de football intègrent peu à peu leurs
propres équipes. En cela, nous répondrons à la problématique suivante :

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De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
Dans quelle mesure les formes, langages et supports médiatiques

  connectés et interactifs influencent-ils les pratiques du spectateur de

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Dans la première partie, nous allons nous pencher sur des aspects sociologiques du
football en différenciant la pratique sportive du supportérisme. L’analyse des publics a
ses particularités car le supporter n’est pas un spectateur comme les autres, il est
nécessaire d’en définir une brève typologie pour comprendre comment se structure en
partie l’économie du foot, la manière dont ce sport se vie, se regarde. La seconde partie
du mémoire montrera la place centrale que la télévision occupe dans le monde du
football. C’est un produit incontournable pour les chaines qui cherchent à montrer du
spectacle, une mise en scène qui n’est pas anodine ni totalement neutre qui ressemble
de plus en plus à un jeu vidéo, et inversement. Cela conduira forcément à constater les
limites évidentes du vidéo-arbitrage en phase avancée de test au moment de la rédaction
de ce mémoire (printemps-été 2017). Enfin, dans la dernière partie, nous verrons
comment le web offre une expérience augmentée du match de foot aux spectateurs :
depuis le stade ou le canapé, les smartphones sont des seconds écrans qui font évoluer
les pratiques. Réseaux sociaux, stades connectés et applications sont autant d’éléments
qui veulent donner aux supporters la possibilité d’être toujours plus des spect’acteurs.

      Figure 1 : Publicité pour la campagne d'abonnement 2017/2018 de l'Olympique Lyonnais : la réalité encore mieux qu'à la TV ! (Source : OL)

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De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
SPORT, SOCIOLOGIE ET PRATIQUES

La légitimation de la culture populaire par les intellectuels et les chercheurs a mis un peu
plus de temps en France à éclore que dans les pays anglo-saxons comme l’attestent le
volume des travaux sur la culture fan (fan-studies) et les industries culturelles depuis une
vingtaine d’années. Il faut dire aussi que notre société est moins baignée dans les mythes
populaires qu’en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis qui sont les principaux géniteurs
de cet imaginaire. Rappelons que les origines du football avec son histoire intimement
liée à la révolution industrielle en Angleterre est sans doute le terreau du déficit
d’intellectualisation qu’a longtemps suscité ce sport dans notre pays par rapport aux
voisins anglais, italiens ou allemands.

Pour autant, il existe aujourd’hui de nombreux travaux en sociologie qui se sont penchés
sur la pratique sportive mais aussi sur la figure bien particulière du supporter de football
qu’il faut comprendre si l’on veut aborder correctement la problématique des pratiques
du spectateur.

PRATIQUE SPORTIVE ET PRATIQUE MÉDIATIQUE

LE SPORT COMME FAIT SOCIAL

On peut considérer que le football en France a pris une véritable dimension de fait social

après la Coupe du Monde 1998. Une victoire qui a créé un engouement considérable

allant jusqu’à être appropriée par les politiciens ventant les vertus « black, blanc, beur »

d’une société multiculturelle. Edgar Morin parlait « d’extase nationale » devant la ferveur

de ce Mondial remporté. L’institution sportive prend ainsi une place importante dans notre

système social, régénérée sans cesse par les jeunes générations. Le sport est une activité du

quotidien, les enfants le pratique à l’école jusqu’au lycée de manière obligatoire. La

pratique sportive représente en France en 2016 près de neuf millions de licenciés dont deux

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De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
millions de footballeurs, ce qui en fait le sport le plus populaire du pays devant le tennis et

l’équitation1.

L’universalité des règles, encouragée par une globalisation de nos modes de vie, facilite
sa transmission à travers les cultures. C’est un reflet de notre société qui tend également
à cristalliser, notamment à cause de la médiatisation constante, certaines tensions :
difficile de passer à côté des actualités sur des dirigeants peu scrupuleux, des scandales
financiers ou moraux voire les comportements violents que cela peut engendrer. Le sport,
et plus précisément le football, porte parfois des enjeux politiques, sociaux et
symboliques majeurs qui lui donne une dimension particulière. Il existe de nombreux
matchs qui ont dépassé le cadre du sport pour entrer dans l’Histoire. Pensons notamment

à la rencontre Dinamo Zagreb – Étoile Rouge de Belgrade de 1990 qui a dégénéré,
marquant sur le terrain le début imminent de la terrible guerre qui allait frapper la
Yougoslavie2. Un match qui se termina dans le chaos total par une émeute sur la pelouse
du Maksimir Stadion entre supporters, policiers et joueurs. Une symbolique qui dépasse
ici la raison à l’image des mots prononcés par l’ancien capitaine du Dinamo, Zvonimir

Boban3 : « J’étais là, un personnage public prêt à risquer sa vie, sa carrière, et tout ce

que la célébrité aurait pu lui apporter à cause d’un idéal, d’une cause : la cause croate.»

C’est la socio-anthropologie qui analyse le football en étudiant le jeu, les supporters, les
joueurs et la résonnance culturelle que ce sport peut avoir dans les sociétés. Une enquête

réalisée en 1994 entre Marseille et Turin par Bromberger montre que « les spectateurs

de football se recrutent dans les différentes couches de la population et reflètent la

physiologie sociologique d’une ville ou d’une région. »

1
  INJED (2017), « Les chiffres-clés du sport », Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des
Sports, mars 2017, 16p.
URL :http://www.injep.fr/sites/default/files/documents/chiffres_cles_du_sport_2017.pdf
2
  GIUDICI (2015), « Dinamo – Étoile Rouge : le jour où Croates et Serbes se sont déclarés
la guerre », Belgrade Express, 21 février 2015, consulté en juin 2017.
URL : http://belgradexpress.cfjlab.fr/2015/02/21/dinamo-etoile-rouge-le-jour-ou-
croates-et-serbes-se-sont-declares-la-guerre/
3
  La photo de Boban se battant avec les policiers est devenue très célèbre.
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De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
Le professeur de sociologie Jacques Defrance explique l’intellectualisation des
problématiques sociales liées au sport à partir des années 1970 en France pour trois
raisons inhérentes à la transformation de la société :

   -   La compréhension de la relation à son propre corps et à celui des autres ;
   -   La mobilisation autour d’évènements sportifs et d’institutions sportives qui créent
       une variable identitaire forte, comme la Coupe du Monde ;
   -   La marchandisation de la performance physique par le biais du libéralisme
       économique et de la force des images produites par l’industrie de
       l’audiovisuelle.

Ce sont ces deux derniers points que nous traitons dans ce mémoire.

PRATIQUES MÉDIATIQUES ET CULTURE FOOT

Une véritable culture footballistique se développe en France désormais, ce n’est plus
seulement ce qui se passe sur le terrain qui intéresse les supporters mais aussi tout ce
qui est attaché de près ou de loin au sport : Histoire, économie, sociologie, … sont
autant de disciplines traitées dans la nouvellement abondante littérature sportive
(pensons aux maisons d’édition Hugo Sport ou Solar), dans la presse écrite (SoFoot,
Onze Mondial) et sur internet (Les Cahiers du football, Footballski). Cette omniprésence
du football offre donc une conceptualisation et une légitimation croissante et constante.
Deux concepts fondamentaux font le succès du football :

L’identification au foot « est si forte qu’elle s’impose au-delà des facteurs rationnels et de

la nationalité » pour Jacques Blociszewski (2007). Une telle passion qu’il en devient un

mode de vie pour certains supporters. On pense à ceux de Boca Juniors en Argentine
qui vénèrent Maradona avec des autels en son honneur ou ceux qui se font enterrer
dans un cimetière aux couleurs du club. Cette identification est parfois sociale (le RC
Lens entretient le passé minier des Hauts-de-France), idéologique (Sankt Pauli en
Allemagne, bastion d’extrême gauche) ou simplement géographique. Nous verrons un
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De l'expérience audiovisuelle augmentée du match de football
peu plus tard néanmoins que cette dernière variable est de moins en moins évidente
avec l’émergence du supportérisme à distance.

L’incertitude qui démultiplie la dramatique et transcende les émotions. Le football étant
en plus un des rares sports l’exploit est récurant, même si les joueurs des deux équipes

ne sont pas intrinsèquement du même niveau. « Dans le football, tout est possible » dit

la maxime, ce qui nous fait penser aux surprises de clubs modestes en Coupe de France
(Calais en 2001 puis Quevilly en 2013 qui avaient atteint la finale) ou d’improbables
retournements de situation en Ligue des Champions (AC Milan – Liverpool 2005,
Barcelone - Paris-Saint-Germain 2017).

L’entraineur chilien Marcelo Bielsa, grand théoricien du football ayant inspiré les plus
fameux coaches de la planète, a synthétisé ces deux caractéristiques propres au succès

du ballon rond lors d’une conférence donnée à Pérouse (Italie) en mai 2017 : « Le

football est le premier sujet de conversation au monde. Et il a une chose particulière :

celui qui gagne n’est pas forcément celui qui part favori. C’est pourquoi il s’enracine

d’une façon très forte dans les endroits les plus populaires de la société. Pour moi, le

supporter est irremplaçable, il donne des messages émotifs très forts. […] L’industrie du

football moderne a oublié le supporter. La solution ? L’émotion. Voilà ce que doit

ressentir le supporter. Si les joueurs ont la responsabilité de pouvoir donner de l’émotion

aux autres, alors ils doivent être les premiers à la ressentir. Voilà le paradoxe : pour être

des bons professionnels, il faut avoir l’esprit des amateurs.4 »

4
   Marcelo Bielsa illustre son propos avec un exemple : « J’ai connu au Mexique un Basque
qui était exilé. L’exil t’éloigne de chez toi, c’est très douloureux, il était donc un connaisseur
de la souffrance. Un jour, je lui ai demandé ce qui était le plus important pour un homme,
il m’a répondu « être aimé sans condition ». Le supporter est comme ça : il t’aime en
échange de rien. J’ai lu une phrase à Séville que j’avais du mal à comprendre au début :
« je t’aime même si tu gagnes. » C’est à dire le refus de la récompense, de la victoire,
pour augmenter le lien affectif. Même la victoire ne compte pas, je t’aime en échange de
rien. »
Traduit de l’italien ; IACOPO Iandiori (2017), « Dice Bielsa », La Gazzetta Dello Sport,
Extra Time n°256, p 2-3.
                                                                                               10
Le socio-historien Gérard Noirel (2016) identifie le public du stade comme « direct » et

celui qui suit le sport via les médias comme « indirect ». Le foot a pris une dimension

nationale avec la presse de masse à la fin du XIXème siècle. Les journaux pénétrèrent la
société et l’ensemble des classes sociales pour former peu à peu des références

communes. « Il devient désormais possible de suivre une compétition à laquelle on

n’assiste pas ». Cela occasionna la création du style journalistique, un storytelling pour

raconter avec panache les évènements sportifs.

                                                      •Mise en récit des compétitions
                                                        •Professionalise le football
            Premier âge
             1880-1900                                •Type de média : presse écrite

                                                      •Structuration des compétitions
                                                           •Meilleure immersion
            Deuxième âge
            Années 1930                                   •Type de média : radio

                                                      •Mondialisation du football
                                                    •Entrée dans l'imaginaire collectif
            Troisième âge
            Années 1960                               •Type de média : télévision

                            Figure 2 : Football et médias, une évolution réciproque (source : Gérard Noirel)

Pour faire le lien entre le supporter et sa passion, c’est le relai journalistique qui prend
une grande importance. Une interdépendance existe entre les deux qui transforme le
football en affaire médiatique. Puisque le football est vecteur d’émotions, le journaliste

se trouve devant un dilemme selon le sociologue Dominique Wolton : « la tentation de

l’émotion contre le raisonnement »5. En effet, le rôle des médias est aussi de retranscrire

le spectacle du terrain, la dramaturgie du jeu mais comme tout fait est interprété, n’est-

ce pas le risque que ce soit mal interprété ? « Mettre en scène le foot, le rendre attractif,

afin de rendre l’opération commerciale rentable, voilà dès lors l’objectif premier » (Riolo,

2010) pour les diffuseurs qui dépensent des fortunes pour proposer ce type de contenus

: « Le média devient avant tout un promoteur ».

5
 WOLTON Dominique : « Informer n’est pas communiquer », Paris, Edition du CNRS,
2009, 149p
                                                                                                               11
De plus, nous remarquons que certains clubs ont à leurs têtes de grands groupes
médiatiques comme M6 et les Girondins de Bordeaux ce qui créée forcément un risque
de collusion. Le journal l’Équipe entretient quant à lui un rapport de proximité avec la
sélection nationale comme c’est aussi le cas pour TF1, partenaire historique de l’équipe
de France de football. Le spectateur peut se demander si ce qu’il lit et voit est
suffisamment objectif. Le journaliste Pascal Praud que l’on peut voir actuellement sur

CNEWS l’assume totalement : « Le public n’a que faire de la vérité […] On est là pour

l’émotion ». Un certain cynisme qui s’est déjà traduit dans la réalité lors de la désormais

historique « affaire Jacquet » lorsque le sélectionneur des Bleus était vivement critiqué
par l’Équipe avant la Coupe du Monde 1998 pour de décevantes performances. Le
sacre final provoqua un tollé pour le journal, encouragé par Aimé Jaquet lui-même

lorsqu’il expliqua qu’il « ne pardonnera jamais ». C’est à juste titre que Daniel Riolo se

demande si le journaliste est plutôt un leader d’opinion, ou d’émotion. Doit-il convoquer
le « storytelling6 » pour transporter les masses ? La place de la critique est relative quand
le copinage est quasiment obligatoire pour avoir les faveurs médiatiques des
personnalités du football et que certains groupes de supporters n’acceptent pas que l’on
juge leur équipe.

La culture de l’opinion se développe au milieu des années 2000 à la radio lorsque
Eugène Saccomano lança « On refait le match ». Les débats se font alors avec les
supporters auditeurs comme sur RMC dans « l’After Foot » qui offre une visibilité inédite
aux clubs. Beaucoup les critiquent mais en profitent aussi, voire jouent le jeu de la

6
  Avant le football, c’était en France surtout le cyclisme qui a bénéficié d’une incroyable cote
de popularité avec la création du Tour de France par l’Auto dont le maillot jaune rappelait
la couleur du papier dudit journal. Idem en Italie quand La Gazzetta Dello Sport et ses
célèbres pages roses ont créé l’imaginaire du Giro d’Italia dont le leader revêt la tunique…
rose ! Le Tour de France s’est donc construit dans le but de vendre des journaux par le moyen
d’une épopée sportive captivante, du storytelling comme on aime le dire aujourd’hui,
racontée alors comme un roman pour passionner les foules. En foot, les grands tournois sont
aussi le fruit de journaux comme la Coupe des Clubs Champions (aujourd’hui Ligue des
Champions) par l’Équipe.
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communication comme Jean-Michel Aulas, le volubile président de l’Olympique Lyonnais
aussi présent dans les médias traditionnels que sur Twitter pour faire entendre sa voix.

LE SUPPORTER, CE SPECT’ACTEUR

UNE TYPOLOGIE DU SUPPORTER DE FOOTBALL

L’institutionnalisation de la figure du supporter de football s’est faite en parallèle du
développement de ce sport et de sa médiatisation. Malgré d’importantes foules drainées
lors des grands matchs dès les années 1920 en Angleterre, en Allemagne ou en France,
le football était considéré jusqu’alors comme un divertissement populaire qui se vivait
dans l’instant. La télévision n’existant pas, aller au stade était le seul moyen de regarder

une rencontre de football. C’est à partir des années 1950 que « la figure du supporter

s’impose progressivement en tant que norme de comportement au sein de l’espace des

publics, à savoir qu’il devient banal de revendiquer ostensiblement son club

d’appartenance » (Bartolucci, 2012). Au stade, on ne supporte plus seulement des

couleurs, mais on défend une identité incarnée par l’équipe qui devient un symbole. Il
existe alors une distance entre supporter et spectateur, le premier serait davantage
engagé, attaché à ce que représente l’institution sportive que le second, simplement là
pour le spectacle : « l’ultra » comme supporter ultime, vivant pour son équipe (quitte à
croire qu’elle lui appartient ?) jusqu’au « footix » comme spectateur candide et versatile.

« D’une certaine manière, les supporters s’affirment comme des militants des stades,

dont l’engagement émotionnel correspond à la défense d’une cause bien spécifique : le

club de football. » Cela dépasse le cadre du terrain pour le meilleur, mais parfois aussi

pour le pire. Le stade n’est plus le seul lieu de réunion pour les supporters qui se
retrouvent aussi au bar, à la maison, devant la télé, dans des fanzones ou sur des
plateformes numériques. Il n’y a pas qu’une seule manière de s’intéresser au ballon
rond, de vivre cette passion.

                                                                                        13
•Spectateur pas forcément supporter
                                          Fan de foot                           •Public davantage attiré par le
                                                                                 spectacle (le jeu au premier degré)

                                                                                •Supporters d'un même club
                                             Tifosérie                          •Spect'acteur

                                                                                •Associations
                                 Groupes d'affinités                            •Ultras

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                                                                                •Groupes internet

                          Figure 3 : Une typologie du supporter de foot (source : Paul Bartolucci)

Le supporter ne foot n’est pas un spectateur lambda. Etant donné qu’il existe une variable
identitaire majeure dans le fait d’encourager ou non une équipe, le supporter n’attend
pas seulement des victoires mais le respect d’un certain nombre de valeurs qu’il juge
importantes : la gestion du club, le message délivré par l’institution, le comportement
des joueurs, la manière de jouer, etc… Cela se traduit aussi par des rivalités entre fans
de différentes équipes qui prolongent l’antagonisme bien au-delà du cadre du terrain.
Le supporter vit par procuration les émotions du footballeur et cette implication le conduit
à penser qu’il a sa place dans la vie du club, les performances en matchs, c’est un
élément du spectacle. On parle de « 12ème homme », une expression qui prend son sens
au regard des ambiances prodigieuses lorsque le Celtic Glasgow, le Borussia Dortmund
ou le Besiktas Istanbul jouent à domicile ; ou tout simplement lorsque les supporters
possèdent une partie de leur club et/ou un pouvoir de décision sur sa gouvernance :
des « socios » du FC Barcelone au mouvement Naš Hajduk, association de supporters
au capital du Hajduk Split.

Le concept de supporter est indépendant du jeu, c’est ce qui fait la différence avec le
spectateur qui, lui, cherche davantage l’attrait et la victoire. Une frontière qu’il est
compliqué de déterminer pour les grandes équipes qui raflent chaque saison de
nombreux titres et possèdent donc de nombreux fans. Au contraire, une plus petite
structure sportive, de deuxième division par exemple, voit la plupart du temps son stade

                                                                                                                       14
moins fréquenté car le spectacle n’est pas forcément au rendez-vous. On peut donc
considérer que les supporters sont ceux qui suivent leur équipe dans le temps, quels que
soient les aléas sportifs. Certains supporters, notamment les ultras, se regroupent en
associations qui leur permettent d’agir de manière organisée.

Comme nous le voyons donc, la relation entre le supporter et sa passion pour le football
se caractérise à travers ce que représente son équipe, une symbolique sacrificielle. Le
stade devient un espace où se joue un affrontement manichéen : le bien contre le mal et
où un public majoritairement masculin tend à s’exprimer par les chants, les gestes, les
invectives ou encore les symboles visuels qui sont le plus équivoques dans la conception
de tifo7. Nous serions tentés de faire l’assimilation entre le match de football et le rituel
religieux car de nombreux codes s’y retrouvent : le stade comme lieu de culte, les
pratiques répétées ou l’élévation de certains joueurs à l’image du surnom donné au
gardien espagnol Iker Casillas (San Iker) comme le culte entourant la personne de Diego
Maradona (il existe même en Argentine, le maradonisme, sorte d’église en l’honneur du
joueur8). Néanmoins, contrairement à la religion, il n’y a pas la croyance en une force
surnaturelle ni l’existence d’une représentation particulière du monde et de la vie. Le foot
n’a donc qu’une similarité dans la forme des rites d’autant que l’injustice propre au
football (nous aborderons ce point dans la partie consacrée à l’arbitrage vidéo) renvoie

bien souvent à des préoccupations triviales.

Les formes violentes de supportérisme, le hooliganisme, prend aussi une place
importante dans l’histoire des mouvements ultras à partir des années 1970. Celui-ci a
quasiment disparu en Angleterre quand la création de la Premier League en 1992 a
bouté les supporters violents hors des stades après de graves incidents de sécurité. Il
existe des pensées divergentes quant à la structure de cellules violentes. Certains

7
  Un tifo est une animation visuelle préparée par une tribune que l’on voit souvent à l’entrée
des joueurs.
8
  PECCIARINI Guillaume (2014), « L’église maradonienne, le football religieux »,
Argentine-Info, 4 juin 2014, consulté en juin 2017.
URL : http://argentine-info.com/leglise-maradonienne-le-football-religieux/
                                                                                           15
sociologues expliquent ces comportements par la forte représentation des classes
populaires dans ces groupes qui veulent s’opposer à une culture dite bourgeoise (une
lutte des classes en somme). Tandis que d’autres pensent qu’ils forment une contre-culture
opposée à l’autorité et aux institutions. Le hooliganisme a beaucoup d’importance en
Europe de l’Est et dépasse le sport quand certains individus se désintéressent même du

foot. « Il exprime plus un souci de la performance physique, une quête de visibilité

sociale ou une passion pour le risque » (Hourcade, 2002). Comme les ultras, les

hooligans vont au stade pour défendre leurs couleurs, on ne peut donc pas les considérer
comme des spectateurs du football télévisé.

UNE COMMUNAUTÉ IMAGINÉE

Une des grandes particularités du supportérisme sportif est qu’il ne représente plus
forcément l’identité géographique. C’est un élément d’autant plus tangible que le club
ou la sélection nationale possède un rayonnement dans le monde. On parle d’un

« relâchement des rapports entre les territoires d’implantations des clubs et les lieux de

vie » (Lestrelin & Basson, 2009) c’est-à-dire de « supportérisme à distance » quand un

fan du Paris-Saint-Germain ne vit pas à Paris ou en région parisienne. Cela est dû à la
mondialisation du football, amorcée par l’arrêt Bosman9 mais aussi grâce à l’offre de

foot à la télévision ou en streaming.

Les clubs possèdent désormais des effectifs de joueurs cosmopolites ce qui les ancrent
moins dans leur région d’origine et sont donc plus à même d’avoir de la visibilité à
l’étranger. Certains clubs assument tout à fait cette stratégie puisque c’est dans l’ADN
de l’Internazionale (l’Inter Milan) qui assume le fait de recruter ses joueurs de nationalités

9
  Le 15 décembre 1995, le joueur de football est considéré comme un travailleur et peut
circuler librement en Europe. Les clubs peuvent aussi engager autant de joueurs issus de
l’Union Européenne qu’ils le souhaitent.
SO FOOT (2010), « Il y a 20 ans, l’arrêt Bosman », Sofoot.com, 8 août 2010, consulté
en juin 2017.
URL : http://www.sofoot.com/il-y-a-20-ans-l-arret-bosman-130168.html
                                                                                          16
autres qu’italiennes depuis toujours. Ainsi, on trouve des groupes de supporters de l’Inter
aux quatre coins du continent, notamment en Europe de l’Est. Des effectifs régionaux
existent aussi mais là, le supportérisme à distance est nettement plus limité car il y a une
variable identitaire très centrée sur le territoire d’origine. Dans ce cas, on peut penser à
l’Atlethic Bilbao dans le championnat espagnol qui ne fait jouer que des basques dans
son équipe.

Une internationalisation évidente pour les clubs les plus prestigieux quand nous voyons
qu’il existe plus de 1400 associations de supporters du Barça dans le monde.
Forcément, les structures sportives qui rationnalisent leur image et cherchent la
maximisation du profit comme une entreprise, développent des stratégies marketing à
l’international. Il y a bien sûr la vente de produits dérivés, les versions multilingues des
sites officiels mais aussi les tournées de pré-saison quand les équipes vont jouer en Asie
ou en Amérique du Nord des matchs amicaux estivaux. Les clubs s’exportent et cela
fonctionne quand nous voyons la passion que cela génère : en août 2014, le match
amical Manchester United – Real Madrid aux Etats-Unis a attiré 109 000 personnes
dans le Michigan Stadium. Un record pour le « soccer ».

La présence au stade pour un supporter à distance est le summum de ses émotions. Il

devient totalement intégré parmi les autres fans de l’équipe, la distance n’existe plus, le

stade est alors un « sanctuaire » qui agit comme « rite unificateur » (Lestrelin & Basson,

2009). Le supportérisme est transnational et remet en cause les appartenances
territoriales dans le cadre de la mondialisation qui multiplie les échanges culturels et les

métissent. « Les dirigeants savent qu’ils ont besoin du soutien du public. Par conséquent,

ils s’emploient à entretenir le lien affectif entre les clubs et les supporters, à donner à

ceux-ci le sentiment qu’ils en sont membres » (Hourcade, 2002).

                                                                                         17
Figure 4 : 109 318 supporters étaient au Michigan Stadium en aout 2014, un record pour du football aux Etats-Unis (source : ESPN)

Les supporters de foot forment donc une « communauté imaginée » selon le sens de
Benedict Anderson (1982) c’est à dire que les individus sont liés par un imaginaire, un
sentiment d’appartenance. Quelque chose qui est immatériel mais davantage

symbolique. « La communauté imaginée de millions de gens semble plus réelle quand

elle se trouve réduite à onze joueurs dont on connaît le nom10 » (Hobsbawm, 1992).

Les nations sont d’ailleurs elles-mêmes des communautés imaginées. Ainsi, on distingue
alors un autre type de supportérisme : celui des sélections nationales qui diverge de
celui de club car il est intimement lié au concept de nation. Celui-ci s’avère récent dans
le développement de nos sociétés, lorsque l’État-nation a donné peu à peu aux individus
la parole dans l’espace public et politique.

Le rapport de proximité entre les supporters et les équipes nationales de football est
tardif par rapport à l’évolution de ce sport. De 1850 à 1880, le foot connaît une phase
fondatrice qui se fait en Angleterre à travers des classes sociales précises : les étudiants,
les entrepreneurs puis les ouvriers qui forment alors les trois quarts de la population
active. Ce sont donc de petits clubs qui établissent des rapports de proximité étroits et
forts entre les personnes d’une même communauté. Des rivalités se sont peu à peu créées
entre clubs ouvriers et bourgeois, une mémoire collective a pris forme et s’est transmise

10
   HOBSBAWM Eric (1992), « Nations et nationalisme depuis 1780. Programme, mythe,
réalité », Gallimard, Paris, p143.
                                                                                                                                             18
de génération en génération. Ainsi prend forme le sentiment d’appartenance propre aux
communautés imaginées. Voilà une des raisons pourquoi en Angleterre plus encore
qu’ailleurs, l’équipe nationale a connu un engouement tardif par rapport aux clubs. On
peut même ressentir encore aujourd’hui cette différence d’appréciation.

Il est par contre évident que le football est un vecteur de nationalisme ou du moins de
sentiment d’appartenance à la nation. Une dimension différente de celle du club où
comme nous l’avons vu, les supporters à distance sont extrêmement nombreux.
Cependant, cette identité n’est pas constante, elle se révèle lors des grands tournois
internationaux c’est à dire tous les deux voire quatre ans11.

11
   « Avec l’extrême médiatisation des compétitions internationales, le football occupe depuis
longtemps une place de choix dans les phénomènes d’expressions de fiertés nationales, au
point que les liens étroits tissés entre football et nations paraissent aller de soi. […] Désignant
à la fois un sentiment d’appartenance et la conscience de faire partie d’un ensemble
national, l’identité nationale est une construction qui s’inscrit dans le temps » (Archambault,
Beau, Gasparini, 2016)
                                                                                               19
LE FOOTBALL, UN SPORT TÉLÉVISÉ

C’est bien la télévision qui a transformé le football en sport mondialisé, comme fait
social, vecteur de l’identité locale ou nationale à une heure où le prestige ne passe plus
par la sanglante gloire militaire. De l’Angleterre de Bobby Charlton en 1966 à l’épopée
européenne de l’AS Saint Etienne dans les années 1970 en passant par l’Italie
championne du monde 1982, voilà des événements, des rendez-vous télévisés qui ont
rendu le football définitivement populaire à une échelle inédite grâce au poste de
télévision.

LA PLACE CENTRALE DE LA TÉLÉVISION DANS L’ÉCONOMIE DU
FOOTBALL

Comme nous l’avons vu précédemment, la figure du supporter de football est née de la
globalisation de ce sport permise par les progrès de l’audiovisuel : de sport à vivre in-
situ, c’est devenu un produit phare drainant des milliards d’euros dans le monde. Les
matchs commencent à être diffusés régulièrement à la télé à partir des années 1960, il
se crée un sentiment d’appartenance très fort. Le football entre véritablement dans une
autre ère avec l’arrêt Bosman en 1995 qui facilite alors les transferts de joueurs à travers
l’Europe. Le nombre de matchs diffusé croit largement mais fait apparaître des modèles
économiques nouveaux à la télévision. On paye pour y accéder en pay-per-view, les
diffuseurs deviennent puissants. Plus besoin d’aller au stade, tout passe à la télé ! Le
constat est évident : sur les 15 meilleures audiences télévisées en France en 2016, 13
concernent l’Euro 2016 avec des parts d’audiences dépassant aisément les 50%
(annexe 2).

Le modèle économique du football, aussi libéral soit-il, ne pourrait pas exister sans la
télévision. Pour les chaines, c’est un produit de premier plan car le cinéma ou les séries
TV sont des programmes désormais très largement concurrencés par la sVOD et le
téléchargement illégal, sans doute plus adaptés à la consommation de ce type de

                                                                                         20
contenus. Puisqu’un match se regarde en direct, l’assurance de posséder les droits de
diffusion peut-être la promesse d’un fort audimat. Pour SFR Sport (issue du monde de la
téléphonie), tout juste arrivé sur le marché en 2016, la valeur de la chaine est passée
par l’obtention des droits du championnat d’Angleterre puis, un an plus tard, des coupes
européennes. La guerre entre les diffuseurs se fait aujourd’hui sur l’obtention de ces
droits, le contenu foot est déterminant.

Face à ces couts, les chaines gratuites ne diffusent quasiment plus de football ou de
sport. Impossible désormais de suivre en intégralité à la télévision une Coupe du Monde

sans dépenser un euro ou de suivre les clubs nationaux en Ligue des Champions. « Il

n'y a plus de modèle économique pour diffuser des compétitions sportives majeures sur

les chaînes gratuites12 » pour l’économiste Frédéric Bolotny, un constat semblable dans

tous les grands pays de foot en Europe. L’accès au sport ne cesse donc de se
complexifier, la faute à un marché publicitaire moins porteur, aux tarifs excessifs
proposés par les organisateurs mais aussi à la concurrence acharnée que se livrent ces
chaines payantes. Pour TF1, diffuser une série américaine coute bien moins cher et est
beaucoup moins risqué en termes d’audimat que l’acquisition des droits de la Ligue des
Champions. Pour éviter une totale privatisation des retransmissions sportives en France,
un décret du 22 décembre 2004 prévoir la diffusion obligatoire, en clair, de 21
évènements sportifs parmi lesquels les Jeux Olympiques d’hiver et d’été, les matchs de
l’équipe de France de football, les demi-finales et finales d’Euro et de Coupe du Monde,
le Tour de France, etc. (annexe 3)

De quoi créer de la frustration pour le supporter qui n’a pas les moyens de consacrer
une partie de son budget aux chaines payantes (plus de cinquante euros en 2017 pour
voir la Ligue 1 en intégralité sur BeInSports et Canal+), d’où le succès du streaming

12
    MEIGNAN Géraldine (2014), « Droits télé du sport : des coûts éliminatoires », l’Express
l’Expansion, 2 juin 2014, consulté en juillet 2017
URL : http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/droits-tele-du-sport-des-couts-
eliminatoires_1547982.html
                                                                                        21
illégal sur internet malgré la qualité souvent approximatives des diffusions en ligne. On
serait tenté de penser que les sponsors ont leur mot à dire, car eux-aussi dépensent des
sommes importantes pour apparaître sur les maillots : TF1 rassemblait 4 à 5 millions de
téléspectateurs quand elle diffusait les matchs des clubs français engagés en coupe
d’Europe, on atteint les 1,5 millions sur BeInSports. Moins d’audience mais plus de
retombées économiques grâce aux prix des abonnements. C’est un cercle vertueux pour
l’économie des clubs et des compétitions mais vicieux pour le spectateur et les chaines,
mêmes payantes, qui souffrent aussi de cette inflation de l’obtention des droits.

           Figure 5 : Répartition des revenus des clubs de première division en 2015 (source : lafinancepourtous.com d'après Deloitte)

Les droits télé représentent la plus grande partie du revenu des clubs européens en 2015,
une part qui ne cesse de progresser (nous venons de le voir en en Angleterre) et qui
confirme l’importance des bouquets payants dans le modèle économique du football. Le
sponsoring n’est pas la variable majeure et face au poids de l’audiovisuel, ce sont bien
les chaines qui ont le dernier mot.

                                                                                                                                         22
LES DROITS TÉLÉS DE RECORD EN RECORD

C’est en Angleterre que le produit football dépasse tous les records. Depuis 1992, le
bouquet satellite Sky (acteur majeur du football italien également) dont l’actionnaire
majoritaire est la famille Murdoch13 est le principal diffuseur du foot anglais outre-
Manche. Pour la période 2016-2019, Sky a mis sur la table 5,6 milliards d’euros, un
incroyable chiffre qui permet aux clubs de Premier League de recevoir chaque fin de
saison des revenus considérables. Déjà au terme de la saison 2013-2014, le dernier du
classement, Cardiff, a touché 74,5M€ tandis que le Paris-Saint-Germain, champion de
France n’a reçu « que » 44,5M€14. Une inflation qui place l’Angleterre hors catégorie
face au reste du monde. Pour autant, Sky n’y perd pas au change. Avec ses 12 millions
de clients, le groupe audiovisuel engrange un bénéfice proche des 2 milliards d’euros.

Le constat est le même pour l’acquisition des droits de diffusion de la Ligue des
Champions. Comme en France, c’est un opérateur téléphonique qui rafle tout : BT,
anciennement British Telecom ce qui montre que désormais, ces nouveaux acteurs de
l’audiovisuel sont de sérieux concurrents pour les chaines historiques qui ne sont pas
prêtes à dépenser de telles sommes. En mars 2017, BT a lâché 1,4 milliards d’euros
pour diffuser pendant trois saisons supplémentaires la Champions League, soit trois fois
plus qu’il n’était nécessaire il y a six ans. BT retransmet aujourd’hui quelques matchs de
Premier League mais aussi d’autres sports comme la NBA et le cricket. Son objectif n’est
pas comme Sky de tout miser sur la télévision, le but est de promouvoir son réseau de
télécoms : les abonnement internet et de téléphonie mobile. Nous voyons donc les
similitudes entre la stratégie de BT et celle de SFR en France qui suivent les mêmes traces.
Néanmoins, nul ne sait si cet investissement sera viable. Déjà parce que les coupes

13
    La famille Murdoch possède 39% de Sky mais voudrait en acquérir la totalité pour 13
milliards d’euros.
14
    La répartition des droits télé dans les grands championnats en 2013/2014 :
http://as01.epimg.net/futbol/imagenes/2015/02/10/primera/1423536882_6864
65_1423536912_noticia_grande.jpg

                                                                                         23
d’Europe intéressent moins les clubs anglais. En effet, ils les jouent pour beaucoup avec
un criant manque d’envie tellement le championnat national est plus intéressant sur le
plan financier. Ainsi, les supporters se concentrent eux-aussi sur le championnat qui
devient une sorte de ligue fermée dans le sens où elle vit en autogestion, sans avoir
besoin de montrer ses équipes sur la scène européenne.

L’enjeu de mettre de telles sommes pour acquérir les droits du football répond aussi aux
besoins des supporters. Comme c’est le cas pour la sVOD, le public est prêt aujourd’hui
à payer pour un catalogue et plus seulement pour un nombre restreint de programmes.
Ainsi, la chaine qui acquiert l’offre de football la plus dense aura bien plus de chance
de trouver des abonnés. Preuve en sont les échecs passés en Angleterre des groupes
Setanta et ESPN qui, avec un lot réduit de matchs, n’ont pas réussi à attirer suffisamment
d’abonnés. Le spectateur ne veut pas accumuler les abonnements mais simplement
souscrire à la chaine qui proposera le contenu le plus alléchant.

UNE REMISE EN CAUSE DE L’ÉQUITÉ SPORTIVE ET DE L’ALÉA SPORTIF

Un fossé financier se creuse avec les clubs les plus prestigieux. L’UEFA a bien tenté de
mettre en place le fair-play financier15 pour limiter les dépenses des grands clubs mais
cela n’a pas fonctionné. Ces écarts sont les plus évidents en Ligue des Champions où
seuls des clubs issus des cinq grands championnats se retrouvent dans les dernières
étapes de la phase finale. Ce sont seulement 9 clubs différents qui ont participé aux
demi-finales entre 2012 et 2017. Bernard Caïazzo, président de l’AS Saint Etienne

illustre ce phénomène sur le site du Monde : « Aujourd’hui, pour gagner la Ligue des

champions, il faut être à un niveau de 600 millions d’euros de ressources, alors qu’il y

a deux ans il fallait être à 450 millions. Dans deux ans, ce sera autour de 750. On

assiste à une course à l’armement impossible à suivre pour les championnats hors du

15
     Un club ne peut pas dépenser plus qu’il ne gagne
                                                                                       24
“Big Five”16. » Face aux clubs les plus puissants capables de mettre des moyens

substantiels sur le marché des transferts mais aussi grâce à une bonne gestion, le Graal
du football européen ne semble pas pouvoir échapper à un nombre très restreint
d’équipes.

La toute puissance des championnats les plus importants n’est pas prête de s’arrêter
comme l’atteste la nouvelle réforme de la Ligue des Champions qui fait grincer des dents.
En effet, l’UEFA a pris la décision express en septembre 2016 de changer le processus
d’accession à la coupe d’Europe avec des places supplémentaires pour les clubs des
grands championnats soit la moitié des 32 qualifiés. A l’inverse, les équipes de
championnats mineurs devront passer par des tours qualificatifs supplémentaires alors
que ce n’était pas le cas jusque-là. Néanmoins, cela est une réponse de l’UEFA face au
lobbying des grands clubs qui font planer la menace depuis de longues années de créer
leur propre ligue fermée à l’image des championnats sportifs américains qui ne soit donc
pas sous l’égide d’une confédération mais d’investisseurs. Un schisme qui
désinstitutionaliserait le football en Europe. Ce blitzkrieg réformateur entériné à toute
vitesse et en catimini fut bien le résultat d’une démarche des clubs les plus riches comme

le confirme Bernard Caïazzo : « Plus de 90 % des clubs français étaient contre cette

réforme, mais le poids des grands clubs européens est tel que l’UEFA l’a votée à

l’unanimité. » La loi du plus fort.

LA NARRATION DU MATCH DE FOOTBALL

« Sport moderne et cinéma disent les êtres humains que nous sommes. Ils sont nés en

même temps, ils sont populaires, ils inventent du rêve et du drame et dans les deux cas

l’argent domine trop. Mais dans le Tour de France comme au Festival de Cannes, il y a

16
   DUPRÉ Rémi (2017), « Football : La Ligue des champions, un club très fermé »,
lemonde.fr, 15 mars 2017, consulté en juin 2017
URL : http://www.lemonde.fr/football/article/2017/03/09/football-la-ligue-des-
concentrations_5092068_1616938.html
                                                                                       25
les grands maîtres, les artisans, les étoiles filantes, les oubliés, les jeunes prometteurs et

les fausses valeurs […] Avec les mêmes miracles : la victoire incertaine d’un outsider à

Paris-Roubaix fait légende, comme lorsque La Vie d’Adèle gagne la Palme d’or. » Ce

sont les mots de Thierry Frémaux dans son livre « Sélection officielle » sorti en 2017. Le
secrétaire général du Festival de Cannes et de l’Institut Lumière est un insatiable fan de
sport et notamment de football dont il n’hésite jamais de parler lors de ses apparitions
publiques. Selon lui, sport et cinéma sont intimement liés par la dimension dramatique
mais aussi par la structure des deux industries : marketing et stars font aussi partie de la
recette. Et si tout cela n’était qu’une question, comme un film, de mise en scène ?

FILMAGE ET MISE EN SCÈNE

Quand on regarde un match à la télévision, notre vision de la partie dépend du dispositif
mis en place par la chaine. Ce que perçoit le spectateur passe donc par la réalisation
et les commentaires, donnant un rôle primordial aux équipes techniques chargées de la
diffusion en direct.

Les moyens déployés aujourd’hui dans les principaux championnats, et encore plus
pendant les compétitions nationales offrent des dispositifs pharaoniques pour quadriller
un maximum aussi bien ce qu’il se passe sur la pelouse mais aussi dans les tribunes ou
sur les bancs de touche. Pour le match Olympique de Marseille – Paris-Saint-Germain
du 20 mars 2011 (une affiche phare pour les diffuseurs), Canal+ a installé 21 caméras17.
De plus, 12 de ses caméras ont servi à une seconde réalisation pour une retransmission
en 3D stéréoscopique ce qui était alors une grande première. Aujourd’hui, la 3D est
abandonnée pour la 4K qui sera sans doute un standard pour des images plus détaillées
et donc d’autant plus immersives. Une technologie qui coute également moins cher car
ce sont les mêmes caméras qui retransmettent les images en 2K et 4K. Lors de l’Euro

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   MATT Emmanuel (2014), « Les réalisations des matchs de football à la télévision, le
dossier », Média un autre regard, 23 juin 2012, consulté en mai 2017
URL : http://www.mediaunautreregard.com/2012/06/23/les-realisations-des-matchs-
de-football-a-la-television-le-dossier/
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