HENRI IV DOSSIER Le roi de la réconciliation nationale - Journal catholique indépendant

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HENRI IV DOSSIER Le roi de la réconciliation nationale - Journal catholique indépendant
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                                                                      ENTRETIEN
                                                                      Hela Ouardi : les débuts de l’islam
                                                                      démythifiés
                                              Novembre 2021 – n°341
8 € / ISSN 1146-4461.

                        DOSSIER

                        HENRI IV
                         Le roi de la réconciliation nationale
HENRI IV DOSSIER Le roi de la réconciliation nationale - Journal catholique indépendant
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HENRI IV DOSSIER Le roi de la réconciliation nationale - Journal catholique indépendant
SOMMAIRE N°341 Novembre 2021
                                                                              « Il y a des demeures nombreuses dans la maison de mon Père » (Jn 14, 2)

                                                                              ÉDITORIAL
                                                                              5 Une louable démarche de vérité, par Christophe Geffroy

                                                                              ACTUALITÉ
                                                                              6    Un rapport rude mais nécessaire, par Jean Bernard
                                                                              7    À propos du secret de la confession, par l’abbé Albert Jacquemin
                                                                              9    Ciase : « Deux rapports en un », par Henri Quantin
                                                                              10   Marthe Robin : une imposture ?, par Yves Chiron
                                                                              12   Le Kosovo toujours sous tension, par Léopold Beaumont
                                                                              15   La France et le Pacifique, par Paul-Marie Coûteaux

                                                                              ENTRETIEN
LA NEF
                                                                              16 Les débuts de l’islam démythifiés, entretien avec Hela Ouardi
1 allée des Poiriers
F-78810 Feucherolles
Site : https://lanef.net/                                                     DOSSIER Henri IV
Tél. : 01 30 54 40 14                                                         18   Henri IV, roi providentiel, par Michel Toda
lanef@lanef.net
                                                                              22   Henri IV, le roi pacificateur, entretien avec Jean-Christian Petitfils
RÉDACTION
Directeur :                                                                   26   Ligues et guerres de Religion, par Michel Toda
Christophe Geffroy
christophe.geffroy@lanef.net                                                  28   Henri IV : quels enseignements ?, par le Père Bernard Bourdin o.p.
Chroniqueurs :
Jacques de Guillebon, Contre Culture
Abbé Hervé Benoît, Spiritualité                                               VIE CHRÉTIENNE
François Maximin, Cinéma
Hervé Pennven, Musique                                                        30 Georges de La Tour et saint Joseph (2/3), par l’abbé Christian Gouyaud
Constance de Vergennes, Sortir                                                31 Question de foi Survivre au chaos, par l’abbé Hervé Benoît
Marine Tertrais, Rencontre
Rédaction :
Matthieu Baumier, Jean Bernard, Yves Chiron,
abbé Christian Gouyaud, Annie Laurent,                                        CULTURE
abbé Laurent Spriet, Michel Toda                                              32 Hélène Iswolsky : une vie pour l’union des Églises,
Administration & Mise en page :
Brigitte Geffroy                                                                 par Baudouin de Guillebon
La Nef, éditée par AMDG, sarl au capital de 15 244,90 €. Siège
social : 1 allée des Poiriers, F-78810 Feucherolles. Principal                34 Notes de lecture, par Marie de Dieuleveult, Christophe Geffroy,
actionnaire : Christophe Geffroy. Directeur de la publication et
gérant : Christophe Geffroy. RCS Versailles B 379 469 927. Siret
                                                                                 Patrick Kervinec, Annie Laurent, Pierre Mayrant, Denis Sureau,
379 469 927 00055. APE 5814Z. ISSN 1146-4461. Dépôt légal à
parution. Commission paritaire : 0624 D 85017.
                                                                                 Anne-Françoise Thès et Michel Toda
© 2021 « LA NEF ».                                                            35 Le livre du mois Chantal Delsol, par Christophe Geffroy
Tous droits de reproduction réservés.
Imprimé par IME Estimprim, 6 ZI de la Craye,                                  36 Musique Miłosz Magin, par Hervé Pennven
25110 Autechaux. Tél. : 03 39 40 04 53.
Origine du papier : Belgique. Papier certifié PEFC 100 %.                     39 Cinéma Brother et Illusions perdues, par François Maximin
Les noms, prénoms et adresses de nos abonnés sont communiqués à nos
services internes et aux organismes liés contractuellement avec « La Nef »,
                                                                              40 Sortir La prostituée et la sainte, par Constance de Vergennes
sauf opposition motivée. Dans ce cas, la communication sera limitée au
service de l’abonnement. Les informations pourront faire l’objet d’un droit   40 À un clic d’ici, par Léonard Petitpierre
d’accès ou de rectification dans le cadre légal.
Crédit photos. – P. 13 et 14 : Léopold Beaumont. P. 17 : Albin Michel.
                                                                              40 Et pour les jeunes…, par Valérie d’Aubigny
P. 23 : Bruno Klein. Autres photos : Commons-wikimedia.org, Pixabay,
Unsplash, DR et collection du journal.                                        41 Un livre, un auteur, entretien avec Yvon Tranvouez
Ce numéro contient un pli jeté de « 1 minute avec Marie »
Ce numéro a été bouclé le lundi 25 octobre 2021
                                                                              42   Brèves
  ABONNEMENTS                                                                 43   Rencontre Père Jean-Christophe Thibaut, par Marine Tertrais
                             Papier/Numérique/Intégral
  q France, prélèvement                                                       44   Débats La gloire du traître, par Patrice Guillamaud
   automatique mensuel : 6,70 €        5 € 7,70 €
  q France, 1 an (11 n°) :    77 €    58 €      89 €                          45   Débats L’islamisation de l’Allemagne, par Hadrien Desuin
  q France, 1 an étudiants,                                                   46   Contre-Culture La vraie pauvreté, par Jacques de Guillebon
   ecclésiastiques (11n°) :   55 €    41 €      64 €
  q France, 2 ans (22 n°) :  145 € 109 €      168 €
  q Étranger, 1 an (11 n°) :  99 €    58 €    114 €                           Précision : Dans notre dossier Tocqueville du mois dernier, l’article de Philippe Bénéton avait
  q Étranger, 1 an
                                                                              été l’objet d’une première publication dans le Cahier du CERP, Institut catholique de Rennes
   ecclésiastiques (11 n°) :  71 €    41 €      82 €
  q Prix du numéro : 8 €                                                      (Ker Lann), 11, 1996, sous le titre « La pierre d’achoppement d’Alexis Tocqueville » que nous
                                                                              avons changé, faute de place, en « La tactique du hérisson ».

                                                                                                                                                   La Nef n°341 Novembre 2021   3
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                                                   Nous avons des stocks d’anciens numéros récents
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ÉDITORIAL

Une louable démarche de vérité
                    L
                            e rapport Sauvé sur « les vio-        sein de l’Église catholique en France (1950-2020) », idéo-
                            lences sexuelles dans l’Église ca-    logiquement très engagée et d’un militantisme non dé-
                            tholique » en France (1950-2020),     guisé contre la structure même de l’Église, que les auteurs
                    rendu public le 5 octobre dernier, a été      n’essaient nullement de comprendre. Un extrait de la
                    un choc, notamment par l’ampleur des          conclusion donne le ton : « L'Église catholique apparaît
                    chiffres annoncés (216 000 victimes par       ainsi comme un observatoire privilégié de la domination
                    des clercs, plus 114 000 par des laïcs).      masculine, et plus précisément du fonctionnement d’un
                    Ce rapport était néanmoins nécessaire,        système patriarcal, puisque celle-ci s’exerce au nom d’une
      par           et il faut remercier les évêques d’avoir      certaine paternité. Ses effets y apparaissent exacerbés,
 Christophe         eu le courage de jouer la carte de la         d’autant plus que l’interdit de la sexualité des prêtres fait
    Geffroy         complète transparence, et ce d’autant         écho à une forme de diabolisation de celle des femmes.
                    plus que, dans le passé, leur atermoie-       L’institution ecclésiale revendique encore ouvertement la
                    ment est largement responsable de             domination masculine et l’inscrit dans sa culture et dans
l’étouffement des affaires et de l’impunité des agresseurs.       ses structures. Tant qu’elle refusera de renoncer au mono-
Face à un tel fléau, la recherche de toute la vérité ne peut      pole masculin du pouvoir et à sa métaphorisation pater-
que libérer et ce rapport y contribue assurément, tout en         nelle qui, toute symbolique qu’elle soit, n’en a pas moins
faisant progresser la prise de conscience de ce drame. Mais       des effets réels, le risque de violence sexuelle au sein de
plus encore, ce rapport était nécessaire pour les victimes,       l’Église catholique restera d’actualité » (p. 471).
mises au cœur de la réflexion, et ayant eu là une possibi-
lité de s’exprimer et de témoigner de leur souffrance : rien      Une certaine ignorance de l’Église
que pour elles, il aura été bienfaisant.                            Si le rapport a cherché à lever tous les tabous, certains
   Certains pensent qu’une telle démarche de vérité accen-        ont toutefois la vie dure. Si l’on peut se réjouir que la pé-
tue le discrédit porté à l’Église ; je ne le pense pas, car une   dophilie soit aujourd’hui considérée comme un crime
institution se grandit toujours en affrontant sans biaiser        odieux, n’oublions pas que ce n’était pas le cas il y a en-
ses propres erreurs. Le mal est bien réel et même si la plu-      core peu, au point que des intellectuels de gauche en ré-
part des cas répertoriés sont maintenant assez anciens,           clamaient la légalisation dans une tribune du Monde de
ils n’ont pas disparu pour autant, tout comme l’omerta            janvier 1977. Autre tabou vite évacué dans le rapport qui
censée éviter les scandales. La pédophilie touche toute la        aurait mérité davantage de développement : le fait que
société, mais seule l’Église a eu jusqu’ici le courage et la      80 % des victimes de prêtres soient des garçons quand la
volonté d’ouvrir le dossier sur la place publique et d’aller      proportion est quasiment inversée dans la société civile.
au fond des choses pour l’éradiquer définitivement. Beau-         Et là, aucune « recommandation » de prudence concer-
coup de non-croyants, voire des anticléricaux, lui recon-         nant un certain type d’homosexualité (éphébophilie) !
naissent ce courage et cette volonté.                               Bref, la non-prise en compte de la spécificité de l’Église
                                                                  conduit à des « recommandations » qui sont pour beau-
S’incliner devant la souffrance des victimes                      coup excellentes et nécessaires, mais d’autres inaccep-
   Ce rapport, pour nécessaire et salutaire qu’il soit, n’est     tables et de toute façon au-delà du pouvoir des évêques
cependant pas au-dessus de toute critique. Les méthodes           (secret de la confession, ordinations d’hommes mariés,
de sondage pour obtenir les chiffres des victimes mérite-         etc.). Certains passages visent aussi à « désacraliser » le
raient sans doute d’être analysées par des spécialistes de        prêtre, ce qui est très ambigu : car s’il ne s’agit pas de le
ces disciplines. Mais ce n’est ni le lieu ni le moment ici,       porter au pinacle, il convient cependant de bien compren-
car même si ces chiffres étaient gonflés, l’ampleur du dé-        dre que sa consécration le fait agir, à l’autel, in persona
sastre est effroyable : que des hommes consacrés à Dieu           Christi, c’est-à-dire qu’il tient lieu du Christ lui-même
aient à ce point trahi leur sacerdoce en abusant des plus         quand il consacre le pain et le vin.
faibles et des plus fragiles dépasse l’entendement et rend          On attend maintenant des évêques qu’ils agissent : ils
leur crime plus odieux encore. Au vu de méfaits aussi ab-         ont largement de quoi bien faire avec ce rapport, à condi-
jects, il n’y a qu’à s’incliner humblement devant la souf-        tion qu’ils conservent un regard critique et distancié sur
france des victimes longtemps ignorée.                            certains de ses aspects.
   Que l’Église de France ait confié ce rapport à une               Enfin, un mot pour rendre hommage à l’immense ma-
commission indépendante était une démarche légitime et            jorité des prêtres fidèles à leur vocation et pour les remer-
sans doute le seul moyen d’asseoir sa crédibilité. Un cer-        cier chaleureusement de leur dévouement exemplaire :
tain malaise vient cependant de la volumineuse annexe             nous, laïcs, leur renouvelons toute notre confiance et leur
(près de 500 pages) réalisée par l’Inserm, l’IRIS et              disons combien nous les aimons et les soutenons.
l’EHESS, intitulée « Sociologie des violences sexuelles au                                                                    z

                                                                                                       La Nef n°341 Novembre 2021   5
HENRI IV DOSSIER Le roi de la réconciliation nationale - Journal catholique indépendant
ACTUALITÉ Abus sexuels dans l’Église : rapport Sauvé

    Un rapport rude mais nécessaire
    La CIASE a rendu son rapport sur les abus sexuels dans l’Église le 5 octobre dernier, créant un choc par
    l’ampleur des chiffres révélés. Analyse de ce document.

    par JEAN BERNARD

                        A
                               vec la publication du rapport Sauvé, c’est       d’un lieu à un autre, en les soumettant – le plus
                               un tsunami qui vient de s’abattre sur            souvent en vain – à des traitements psycholo-
                               l’Église de France. Dans ce rapport publié       giques dans des établissements spécialisés ou
                        le 5 octobre dernier, la Commission indépen-            même, dans les années 70, en ne faisant rien du
                        dante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE),       tout. Cette grave violation par les évêques du
                        présidée par Jean-Marc Sauvé, vice-président            Droit canonique s’explique, certes, par les « dé-
                        honoraire du Conseil d’État, a mis en pleine lu-        faillances » de celui-ci, en particulier par le fait
                        mière l’ampleur et la gravité des abus sexuels au       que l’évêque dispose seul du pouvoir de déclen-
                        sein de l’Église de France entre 1950 et 2020 : un      cher (et donc de ne pas déclencher…) des pour-
                        nombre de victimes mineures par des clercs es-          suites canoniques. Mais elle trouve surtout son
                        timé à 210 000 (1), un nombre de clercs agres-          origine dans une volonté de préserver la réputa-
                        seurs évalué à 3000 (soit environ 3 % du total) ;       tion de l’Église, dans une minoration des souf-
                        une dangerosité des milieux catholiques supé-           frances des victimes et aussi dans une fausse
                        rieure à toutes les autres sphères de socialisa-        idée de la miséricorde. Emblématique est à cet
                        tion (hors les cercles familiaux et amicaux). Et        égard le cas d’un évêque qui, en 1983, n’avait pas
                        aucune sensibilité ecclésiale ne semble véritable-      dénoncé un prêtre auteur de trois agressions au
                        ment épargnée, qu’il s’agisse, par exemple, de la       sein d’une manécanterie, au prétexte qu’« il fal-
                        progressiste Compagnie de Jésus (64 religieux           lait lui laisser une chance » (§ 706).
                        mis en cause) ou de la conservatrice Commu-                Enfin, encore qu’elle s’en défende à d’autres
                        nauté Saint-Jean (40 frères mis en cause).              endroits, la CIASE n’a pas exclu que, parmi les
                          Le dégoût qu’inspire ce dossier pourrait inciter      nombreux facteurs explicatifs, la « pensée 68 » ait
                        à fermer les yeux, les oreilles et la bouche. Ce se-    pu également avoir une incidence. Citons à cet
                        rait un tort, car la lecture des milliers de pages      égard in extenso les §§ 711 et 712 du rapport :
                        du rapport Sauvé et de ses annexes est riche en         « L’avènement de l’individu, le processus de dé-
                        enseignements et en questionnements. Trois              christianisation, l’ouverture des médias au plu-
                        points doivent être en particulier soulignés, le        ralisme, une littérature sortant la pédérastie de
                        premier portant sur les causes de l’inaction des        son silence, conduisent à vulgariser les relations
                        évêques, le deuxième sur les causes des abus            sexuelles autant qu’à les idéaliser, à privilégier
                        sexuels en tant que tels, le troisième sur les re-      le plaisir et à revendiquer l’absence de
                        commandations formulées par la Commission.              contraintes et de dogmes. Des amours pédophi-
                                                                                liques sortent progressivement de l’ombre et se
                        Les causes de l’inaction des évêques                    discutent publiquement ; André Gide en sera
                          C’est sans doute sur les causes de l’inaction         l’une des figures. La parole est donnée aux au-
                        des évêques que le rapport Sauvé est le plus            teurs de violences sexuelles, comme dans le jour-
                        convaincant et, sans doute, le plus cinglant. En        nal Libération, qui publie une lettre de Jacques
                        effet, ainsi qu’il le décrit, au lieu de mobiliser le   Dugué, en janvier 1979, revendiquant les rela-
                        droit canonique pour sanctionner les clercs abu-        tions qu’il entretient avec son beau-fils âgé de 11
                        seurs, au lieu d’informer la justice étatique pour      ans. Le docteur Agnès Gindt-Ducros, directrice
                        que ceux-ci soient sanctionnés au temporel, les         de l’Observatoire national de la protection de
                        évêques ont délibérément fait le choix d’étouffer       l’enfance, entendue par la CIASE en séance plé-
                        les affaires, en déplaçant les clercs abuseurs          nière le 5 juin 2020, a rappelé en outre que les an-
                                                                                nées 1970-1980 ont constitué une période très
                                                                                mouvante en matière de sexualité, avec l’appari-
    « Aucune sensibilité ecclésiale ne                                          tion du droit à la contraception, de l’interruption
                                                                                volontaire de grossesse, et la reconnaissance de
    semble véritablement épargnée. »                                            l’homosexualité, période où, en prônant une
                                                                                forme de liberté sexuelle, certains ont contribué à
                                                                                “flouter” les frontières de l’interdit et du permis. »

6   La Nef n°341 Novembre 2021
HENRI IV DOSSIER Le roi de la réconciliation nationale - Journal catholique indépendant
À propos du secret de la confession
  Tout porte donc à croire que l’Église n’aurait
pas été comprise d’une partie de la société, y
                                                          L    e Code latin de Droit canonique dispose au canon 983.1 : « Le
                                                               secret sacramentel est inviolable ; c’est pourquoi il est absolu-
                                                          ment interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent,
compris de la société catholique, si elle avait,          par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que
pendant cette période particulière, infligé aux           ce soit. » Il faut noter que ce canon, pour mieux insister sur le ca-
clercs abuseurs les sanctions canoniques pré-             ractère absolu du secret de la confession, emploie le terme « se-
vues par son droit.                                       cret sacramentel » (sigillum sacramentale) pour désigner le secret
                                                          auquel est tenu le confesseur. Il ne s’agit donc pas d’un secret na-
Les causes des abus sexuels                               turel (secretum) mais d’un « sceau sacramentel », scellé par le
   Peut-être moins convaincants sont les dévelop-         sacrement. C’est pourquoi, aucune puissance au monde n’en peut
pements du rapport Sauvé relatifs aux causes
                                                          délier le confesseur.
des abus sexuels eux-mêmes. Pour la CIASE,
                                                             Dès lors, un prêtre, lorsqu’il apprend en confession qu’un mi-
l’affaire est entendue : si la part des agresseurs
                                                          neur a subi une agression sexuelle, qu’il s’agisse du mineur lui-
de mineurs est plus importante dans l’Église que
                                                          même, de l’agresseur ou d’un témoin, peut ré-évoquer le contenu
dans la société en général, c’est en raison à la
                                                          de l’aveu avec le pénitent, lors d’un entretien non sacramentel,
fois d’une morale sexuelle trop rigide, de l’« ex-
cessive sacralisation de la personne du prêtre »          sur la « libre initiative du pénitent lui-même ». Mais « un tel entretien
et du célibat ecclésiastique. Toutefois, en ce qu’il      reste couvert par le secret qui s’applique au for interne extra-sacra-
vise les normes de l’institution plus que le profil       mentel. Au plan canonique, ce secret découle du droit de toute per-
des abuseurs, le verdict semble un peu rapide.            sonne au respect de son intimité (CIC, canon 220) et au plan civil du
   Tout d’abord, il n’est pas aisé de comprendre          secret professionnel » (Conférence des évêques de France, Points
en quoi une vision plus libérale de la sexualité          de repère pour les confesseurs, 8 décembre 2020). Cependant, se-
(sur la contraception ? l’avortement ? l’homo-            lon l’art. 226-14 du Code pénal français, celui qui est tenu au se-
sexualité ?) aurait évité un nombre aussi élevé de        cret professionnel peut, pour certains délits, user de la faculté de
victimes, ce d’autant que, comme la CIASE l’a             s’affranchir du secret professionnel. Le prêtre, en tout cas, s’il ne
elle-même relevé, la « minimisation ou la relati-         peut jamais faire usage de cette « option de conscience », pour ce
visation de la gravité des abus est l’attitude la         qui relève du secret sacramentel, le pourrait pour des informa-
plus courante parmi les personnes concernées ».           tions reçues hors du cadre sacramentel, en orientant le mineur ou
Du reste, les entretiens semi-directifs menés avec        le témoin vers les autorités civiles compétentes ou, s’il s’agissait
des prêtres agresseurs dans le cadre de l’étude           de l’agresseur, en mettant tout en œuvre pour que celui-ci as-
de la CIASE révèlent davantage une conscience             sume ses responsabilités et se confie à la justice.
morale diminuée qu’une fixation obsessionnelle               Depuis plus deux siècles, par une jurisprudence constante, le
sur les principes moraux de l’Église (2).                 Conseil d’État reconnaît les ministres du culte parmi les per-
   Ensuite, s’il est possible que le pouvoir spiri-       sonnes tenues au secret professionnel. Cela signifie que le droit
tuel conféré par l’ordination sacerdotale soit un
                                                          français, reconnaissant le secret sacramentel comme un secret
des facteurs explicatifs des abus, encore
                                                          « professionnel », n’exige pas d’un confesseur, en tant qu’il est,
convient-il de bien préciser en quoi ce facteur
                                                          « par état ou par profession », dépositaire « d’une information à ca-
peut intervenir. En effet, un prêtre est parfaite-
                                                          ractère secret », qu’il révèle ce qu’il a reçu sous le sceau du secret
ment conscient qu’un tel pouvoir ne l’autorise pas
                                                          (art. 226-13 du Code pénal). Ainsi, dans la mesure où le Code pé-
à agresser sexuellement un mineur. Il ne peut
ignorer la portée de son engagement à la chasteté         nal ne contraint pas les personnes concernées par le secret pro-
et sait qu’une violation de cet engagement, a for-        fessionnel à révéler aux autorités judiciaires ou administratives ce
tiori à l’encontre d’un mineur, enfreint grave-           qu’ils ont appris dans le cadre professionnel – même si, en cer-
ment les lois les plus élémentaires de l’Église ca-       tains cas, nous l’avons dit, la loi leur donne la faculté de s’affran-
tholique et de la morale naturelle. Ainsi, ce n’est       chir du secret professionnel –, nous pouvons dire que le droit
pas l’ordination sacerdotale ni le pouvoir spiri-         français, dans l’état actuel de la jurisprudence du Conseil d’État et
tuel qui en découle qui peuvent, d’une manière            de la loi, respecte le caractère absolu du secret sacramentel.
ou d’une autre, justifier moralement chez un                                                           Abbé Albert Jacquemin z
prêtre la commission d’un tel acte. En revanche,                                                 Docteur en droit et en droit canonique

un prêtre décidé, contre toutes les règles morales
et canoniques de l’Église, à commettre un abus
pourra être tenté de profiter de son statut sacer-     ce facteur est peut-être moins direct qu’indirect,
dotal, dans la mesure où celui-ci lui garantit (ou     en ce sens que la vie sacerdotale ou religieuse
lui a longtemps garanti), en raison du respect         peut attirer, par le célibat qu’elle implique, des
que cet état suscite chez les fidèles et de la stra-   candidats inaptes à la vie conjugale mais qui pré-
tégie d’étouffement sciemment mise en œuvre            sentent une extrême dangerosité à l’égard des
par la hiérarchie, une sorte d’impunité.               mineurs. Sur ce point, la CIASE a rappelé, sur
   Enfin, s’il n’est pas non plus exclu que le céli-   la foi d’études scientifiques, que « le nombre de
bat ecclésiastique puisse être un facteur explica-     victimes mineures de sexe masculin d’un pédo-
tif du nombre important de victimes mineures,          criminel peut être extrêmement élevé (150 vic-

                                                                                                           La Nef n°341 Novembre 2021     7
HENRI IV DOSSIER Le roi de la réconciliation nationale - Journal catholique indépendant
ACTUALITÉ Abus sexuels dans l’Église : rapport Sauvé

    times par auteurs [en moyenne]), ce qui rejoint          mandations portant sur la possibilité d’ordonner
    l’expérience acquise par les membres de la CIASE         des hommes mariés, sur la nécessité de mettre
    qui ont retrouvé sur plusieurs décennies la trace        fin à la « fixation de la morale catholique sur les
    de méfaits commis par un prêtre sur de nombreux          questions sexuelles », ou encore sur l’impératif de
    enfants » (§ 602). Or, c’est précisément ce profil       « passer au crible la constitution hiérarchique de
    qui semble avoir été surreprésenté au sein de            l’Église catholique au vu des tensions internes
    l’Église, puisque la proportion des garçons parmi        sur sa compréhension d’elle-même ».
    les victimes mineures s’élève à 80 %, soit l’exact
    inverse de ce qui est observé dans la société.
       Quant à l’homosexualité parfois invoquée
    comme cause des abus, la CIASE a refusé, à               « Un certain nombre de recom-
    juste titre, de réduire la question à ce facteur et
    a expliqué la surreprésentation des victimes mi-         mandations de la CIASE doivent
    neures de sexe masculin par un « effet d’opportu-
    nité » (lié à un accès plus grand des clercs aux
                                                             être accueillies sans réserve. »
    garçons qu’aux filles). Reste que, au détour d’un
    paragraphe, la Commission a relevé, en se réfé-
    rant à une étude portant sur 30 dossiers judi-              En tout état de cause, quoique absente du
    ciaires concernant des agresseurs de mineurs (3),        rapport Sauvé, une recommandation émerge à
    que la quasi-totalité des agresseurs de mineurs          la fois des associations de victimes et du sensus
    de sexe masculin (91 %) s’étaient déclarés eux-          communis des fidèles catholiques : il s’agit de la
    mêmes homosexuels ou bisexuels : « Dans près de          nécessité, en principe, de retirer l’état clérical à
    la moitié des cas, les agresseurs sexuels de mi-         tout prêtre ayant agressé un mineur. De même
    neurs se déclarent homosexuels (plus de 80 %             qu’il apparaîtrait inacceptable qu’un fonction-
    chez ceux qui agressent des victimes de sexe mas-        naire convaincu de viol ou d’atteinte sexuelle
    culin), et dans un tiers des cas, ils se déclarent bi-   contre un mineur puisse poursuivre ses fonc-
    sexuels (11 % chez ceux qui agressent des victimes       tions (un acte de cette nature entraîne la révo-
    de sexe masculin, contre 77 % chez ceux qui agres-       cation systématique), il ne saurait être compris
    sent des victimes mineures des deux sexes). Parmi        qu’un prêtre ayant commis pareil acte conserve
    les agresseurs de victimes mineures de sexe fémi-        son ministère, compte tenu de ce que le sacer-
    nin, tous se déclarent hétérosexuels » (§ 546).          doce représente et du fait que le prêtre agit,
                                                             lorsqu’il administre les sacrements, in persona
    Les recommandations                                      Christi.
       Passons maintenant aux (nombreuses) recom-               Deux réflexions pour finir, l’une portant sur
    mandations de la CIASE. Un certain nombre                les suites immédiates de la publication du
    d’entre elles doivent être accueillies sans ré-          rapport Sauvé, l’autre sur les suites plus loin-
    serve. Il s’agit, par exemple, de celles portant sur     taines. En premier lieu, il est difficile de ne pas
    la mise en place d’un tribunal pénal canonique           éprouver un certain malaise à entendre des             (1) Enquête de
                                                                                                                    IFOP auprès
    interdiocésain, sur la mise en conformité de la          évêques mettre en cause la responsabilité de           d’un échantillon
    procédure pénale canonique avec les normes in-           l’Église catholique dans son ensemble, comme si        par quotas de
    ternationales sur le procès équitable, et sur la         celle-ci se résumait aux seuls évêques. Le scan-       28 010 personnes.
    création d’un recueil de décisions anonymisées           dale mis en lumière par le rapport Sauvé a,            (2) Rapport du
                                                                                                                    groupe de re-
    rendues par les juridictions canoniques. Il en va        avant tout, pour origine une défaillance épisco-       cherche de l’École
    de même de celle concernant l’« impératif de vi-         pale, et c’est cette défaillance qui, aujourd’hui,     Pratique des
    gilance », en particulier la nécessaire « sépara-        rejaillit sur l’immense majorité des prêtres,          Hautes Études
                                                                                                                    pour la CIASE,
    tion physique entre le prêtre et le fidèle pendant       condamnés à raser les murs, et sur les fidèles
                                                                                                                    Annexe 1,
    la confession » (comme le prévoyaient les anciens        laïcs, partagés entre colère et désarroi. En se-       pp. 583 et suiv.
    confessionnaux).                                         cond lieu, il ne fait aucun doute (car cela a déjà     (3) « [L]’appa-
       D’autres recommandations sont, en revanche,           commencé) que le rapport Sauvé sera utilisé par        rente faiblesse du
                                                                                                                    nombre de cas
    discutables et, compte tenu de leur nature théo-         certains, notamment dans le cadre du Synode            étudiés, qui est
    logique, outrepassent manifestement le mandat            sur la synodalité, comme un levier pour remettre       souvent le lot de
    accordé à une commission composée non seule-             en cause la structure institutionnelle, la théolo-     ce type de tra-
    ment de catholiques mais également de mem-               gie du sacerdoce et la morale traditionnelle de        vaux, interdit
                                                                                                                    d’aller trop loin
    bres appartenant à d’autres religions ou sans re-        l’Église catholique. Dans un contexte déjà mar-        dans l’extrapola-
    ligion. C’est le cas, bien entendu, de celle relative    qué par des tensions ecclésiales importantes et        tion des résultats
    au secret de confession, dont une « obligation de        récemment chauffé à blanc par la publication de        obtenus, mais
                                                                                                                    n’empêche pas
    droit divin » commanderait, selon la CIASE, la           Traditionis custodes, l’Église de France se pré-       d’en tirer de nom-
    levée en cas d’abus sur mineur ou sur personne           pare sans doute des mois difficiles.                   breux enseigne-
    vulnérable. Mais c’est aussi le cas des recom-                                            Jean Bernard z        ments » (§ 518).

8   La Nef n°341 Novembre 2021
HENRI IV DOSSIER Le roi de la réconciliation nationale - Journal catholique indépendant
CIASE : « Deux rapports en un »
                    À     mes yeux, le problème est qu’il y a deux
                          rapports en un. Le « premier » rapport tente
                    d’être aussi objectif que possible, tant sur les statis-
                                                                                  sur la crise de la théologie morale qui se dessinait,
                                                                                  comme le disait Benoît XVI, dès les années 50, la ma-
                                                                                  nœuvre est un peu grossière.
                    tiques que sur les pistes de réflexion. Les chiffres mis
                    en avant ne peuvent que provoquer horreur et pitié.           Appel à l’esprit critique des laïcs
                    Ils ne sont pas une vérité historique rigoureuse,                Il y a plus d’un an, l’historien Fabrice Bouthillon re-
                    puisqu’il s’agit d’une estimation et que le « coefficient     levait « le recyclage précipité, par les cathos de gauche,
                    multiplicateur » évoqué par la CIASE reste assez mys-         de toutes les vieilles revendications de leur parti »
Henri Quantin,      térieux, mais ils suffisent amplement à l’essentiel :         comme remèdes aux abus sexuels du clergé : désa-
 professeur de
                    faire prendre pleinement conscience de l’ampleur du           cralisation et mariage du prêtre, place des femmes et
     Lettres en
 Khâgne, a pu-      drame, écouter enfin les victimes et tenter de réparer        des laïcs, sortie d’une morale trop rigide... Même at-
   blié au prin-    ce qui peut l’être, en commençant par aider la justice        ténuées, les revendications anachroniques trans-
temps dernier       à faire son travail. Pour ce premier rapport, on ne           paraissent assez nettement. Ainsi la recommanda-
L’Église des pé-    saurait trop rendre grâce, si douloureux que cela             tion n°11 : « Passer au crible ce que l’excès paradoxal de
  dophiles. Rai-
                    puisse être. Benoît XVI l’avait affirmé depuis long-          fixation sur les questions sexuelles peut avoir de contre-
  sons et dérai-
 sons d’un pro-     temps avec force : « Dans la mesure où c’est la vérité,       productif en matière de lutte contre les abus sexuels. »
    cès sans fin    nous devons être reconnaissants de tout éclaircisse-          Si la CIASE juge que c’est un tableau de l’Église de
 (Cerf, 2021). Il   ment. »                                                       France actuelle, ses membres n’ont pas dû fréquen-
nous donne ici                                                                    ter beaucoup de paroisses. Même impression quand
 son avis sur le    Des anachronismes                                             le rapport met en garde contre un catéchisme qui fe-
  rapport de la
                       Ce qui me gêne est qu’une sorte de second                  rait des enfants de simples « récepteurs de la doc-
         CIASE.
                    rapport tend à s’infiltrer dans le premier, pour inflé-       trine » ! De même, tout en signalant opportunément
                    chir la lecture des chiffres et des événements. La mis-       que le célibat sacerdotal n’a aucun rapport avec la
                    sion de la CIASE incluait bien sûr une part d’interpré-       pédocriminalité – Jean-Marc Sauvé l’a même déclaré
                    tation et d’évaluation des actions déjà menées, mais          sur France Inter, Deo gratias ! –, le rapport recom-
                    ce « second rapport » fait plus : il fixe une frontière en-   mande de bien étudier les perspectives ouvertes par
                    tre les questionnements autorisés et les questionne-          le synode sur l’Amazonie, en ce qui concerne l’ordi-
                    ments interdits, et relève par moments de ce que Gil-         nation d’hommes mariés. Le résultat final est que le
                    son appelait « le magistère de l’opinion publique ». Cela     « second » rapport sous-jacent dessert, hélas, la cré-
                    donne quelques contournements et quelques ana-                dibilité du premier, pourtant si nécessaire. La volonté
                    chronismes. Par exemple, bien qu’elle note que 80 %           de discréditer l’Église passée perce assez souvent.
                    des victimes sont des garçons, la CIASE évite soi-            Sur ce point, on est tenté d’ironiser sur la recomman-
                    gneusement de s’interroger sur l’homosexualité dans           dation 45 qui prône « la séparation physique entre le
                    le clergé. Lisez le paragraphe 336, impressionnant            prêtre et le fidèle pendant la confession ». Cela s’appe-
                    travail d’équilibriste, avec cette périphrase : « une ab-     lait des confessionnaux, et ce ne sont pas les prêtres
                    sence d’attirance hétérosexuelle, voire une asexualité ».     en soutane qui les ont mis au grenier.
                       On peut surtout déplorer des anachronismes qui                En bref, je me réjouis de tout ce qui permet de cre-
                    cachent mal le parti pris militant. On a par moments          ver l’abcès et d’enfin regarder le mal sans naïveté ni
                    l’impression que la révolution sexuelle est plus ta-          irénisme. En revanche, je regrette que le rapport soit
                    boue pour la CIASE que ne l’était le sexe lui-même            pris par certains non seulement comme vérité histo-
                    dans l’Église qu’elle dénonce. Expliquant que les             rique, mais comme magistère laïc de substitution.
                    actes pédocriminels ont baissé dans l’Église dans les         Que la commission soit « indépendante » ne signifie
                    années 70-90, alors qu’ils ont augmenté dans le reste         pas qu’elle soit neutre. Si cela fournit seulement des
                    de la population, la CIASE croit pouvoir conclure             arguments d’autorité aux revanchards des années
                    triomphalement : « Toute tentative de mise en relation        70, je crains que la réforme urgente ne soit mal
                    des violences sexuelles à cette époque dans l’Église ca-      partie.
                    tholique avec la permissivité de l’esprit de Mai 68 se           Notez qu’en ajoutant ces réserves à l’action de
                    trouve ainsi disqualifiée. » Cela semble un peu court. Il     grâce pour la lumière apportée, je suis fidèle à un
                    va de soi que la logique qui préside à Mai 68                 souhait de la CIASE elle-même : que les laïcs fassent
                    commence plusieurs années avant et, qu’en outre,              preuve d’esprit critique. Je suppose que la CIASE
                    l’esprit de « permissivité » ne peut se réduire à Cohn-       n’entend pas exclure son rapport de l’examen.
                    Bendit et ses amis. Si le but est d’éviter tout examen                                                  Henri Quantin z

                                                                                                                La Nef n°341 Novembre 2021     9
HENRI IV DOSSIER Le roi de la réconciliation nationale - Journal catholique indépendant
ACTUALITÉ Vie de l’Église

     Marthe Robin : une imposture ?
     En huit mois, quatre ouvrages ont été publiés sur Marthe Robin, deux l’accusant de fraude et
     d’imposture, deux prenant la défense de celle que l’Église a déjà proclamée « vénérable ».

     par YVES CHIRON

     L
            a controverse n’est pas anodine, parce que      démonologie et graphologie). Tous les problèmes
            Marthe Robin [1902-1981], la mystique           et questions soulevés par ces différentes exper-
            stigmatisée de Châteauneuf-de-Galaure,          tises ont été examinés ensuite par la Congréga-
     co-fondatrice des Foyers de Charité, a eu, de son      tion pour la Cause des Saints et résolus par elle.
     vivant, une réputation de sainteté qui dépassait
     largement la France et, surtout, parce que sa          Réponses au Père De Meester
     cause de béatification a déjà été étudiée par la          En réponse à l’ouvrage du Père De Meester, le
     Congrégation pour la Cause des Saints. Ceux qui        Père Bernard Peyrous publiait quatre mois plus
     portent de graves accusations contre elles             tard : Le vrai visage de Marthe Robin (2). Ancien
     contestent donc sa pratique héroïque des vertus        postulateur de la cause de béatification de
     que l’Église a pourtant proclamée le 7 novembre        Marthe Robin (3), déjà auteur d’une Vie de
     2014.                                                  Marthe Robin (2006), il retrace l’histoire du pro-
        L’ouvrage qui a lancé la controverse a retenu       cès en canonisation pour réfuter les accusations
     d’emblée l’attention parce qu’il reprenait et dé-      de l’expert carme.
     veloppait un rapport rédigé lors de la phase dio-         Sur l’accusation principale portée par le Père
     césaine du procès de béatification de Marthe Ro-       De Meester – le plagiat –, le Père Peyrous expose
     bin. En 1988 le Père Conrad De Meester, un             comment « un travail de plusieurs années » a été
     carme belge, dont les études sur les écrits de         nécessaire pour réfuter cette accusation et met-
     sainte Thérèse de Lisieux et de sainte Élisabeth       tre en lumière « la méthode de travail » de
     de la Trinité font autorité, avait été chargé d’exa-   Marthe Robin : « Les textes de Marthe sont tout
     miner les lettres et les écrits laissés par Marthe     sauf un plagiat et un emprunt. Elle maîtrise bien
     Robin. Il avait remis son volumineux rapport –         les textes qu’elle utilise et en connaît des parties
     plus de 300 pages – l’année suivante. Il est mort      entières par cœur. Cela ne doit pas étonner. Nous
     en 2019 et c’est à titre posthume qu’est paru l’ou-    savons que Marthe Robin avait une mémoire ex-
     vrage tiré de son rapport, sous un titre propre à      traordinaire. Beaucoup de témoignages l’ont
     attirer la curiosité des lecteurs (1). Le terme        confirmé. […] De plus, constatant qu’elle perdait
     « fraude » a été choisi à dessein. Toutes les dé-      peu à peu la vue, Marthe a dû fournir un grand
     monstrations de l’auteur visent à établir que          effort pour apprendre des textes par cœur, en
     Marthe Robin aurait trompé, pendant toute sa           particulier grâce à sa mémoire visuelle qui, nous
     vie, son entourage et les innombrables visiteurs       l’avons dit, était très développée. Marthe Robin
     qui venaient à son chevet : elle n’était pas para-     n’avait aucune connaissance des habitudes uni-
     lysée de tous ses membres ni complètement              versitaires qui demandent que les citations soient
     aveugle, elle écrivait elle-même des textes soi-di-    mises en évidence et restituées à leur auteur. »
     sant dictés à des secrétaires, et ces textes, – qui       De façon plus générale, le Père Peyrous mon-
     sont des méditations, des prières, des récits de la    tre une disproportion factuelle : le rapport hos-
     Passion du Christ – sont pour beaucoup recopiés        tile du Père De Meester est à mettre en regard
     d’auteurs mystiques. Les démonstrations du             avec le « déluge de témoignages favorables à
     Père De Meester, recourant à la graphologie tout       Marthe Robin et convaincus de sa sainteté : huit
     autant qu’à l’analyse comparative des textes,          cents témoins au procès, vingt-six experts sur
     sont impressionnantes. Il a même remis en cause
     le caractère surnaturel de la stigmatisation.
        Le rapport De Meester, établi en 1988-1989,         « L’abbé Pierre Vignon laisse à
     n’est qu’un des vingt-huit rapports demandés
     dans le cadre de la cause de béatification. Ces        de “nouveaux chercheurs sagaces et
     rapports portaient, chacun, sur des questions
     bien précises et furent rédigés par un spécialiste
                                                            compétents” la tâche d’“expliquer
     de la discipline concernée (histoire, théologie,       les points encore mal éclaircis”. »
     médecine, psychologie, psychiatrie, littérature,

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utile, quelques mois plus tard, de pu-
                                                                     blier un autre ouvrage accusateur. En
                                                                     quatrième de couverture, il affirme pré-
                                                                     somptueusement que cet ouvrage « clôt
                                                                     définitivement le débat ». On dira plutôt
                                                                     qu’il alimente le débat. L’auteur, Joa-
                                                                     chim Bouflet, historien des apparitions
                                                                     mariales et des phénomènes mystiques,
                                                                     écrit à la dernière ligne de son livre à
                                                                     charge : « Historien, je ne peux certes pas
                                                                     énoncer un verdict, mais il m’appartient
                                                                     d’apporter mon témoignage… » (p. 245).
                                                                     Pourtant son livre s’intitule : Marthe
                                                                     Robin. Le verdict (5). Joachim Bouflet a
                                                                     été consulté, à partir de septembre
                                                                     1997, par le postulateur de la Cause de
                                                                     béatification de Marthe Robin et par la
                                                                     Commission diocésaine d’enquête. C’est
                                                                     à ce titre qu’il a eu accès aux archives
                                                       Marthe        de la Postulation. En revanche, il n’a
                                                       Robin.        pas eu connaissance des travaux menés
                                                                     ensuite par la Congrégation pour la
                                                                     Cause des Saints.
vingt-huit, deux instances confirmatives : le tri-            Il met en cause le discours officiel sur Marthe
bunal diocésain et la Congrégation pour la Cause           Robin élaboré et transmis par celui qui fut son
des Saints à Rome ».                                       directeur spirituel, le Père Finet. Il cite notam-
                                                           ment l’avis du neuropsychiatre André Cuvelier
Une enquête complexe                                       qui, consulté sur le cas de la mystique de Châ-
   En même temps que l’ouvrage du Père Pey-                teauneuf-de-Galaure, estimait : « on ne peut
rous est paru, sous un titre proche, Marthe Ro-            comprendre (ou du moins tenter de comprendre)
bin en vérité, un autre essai en défense (4). Son          le psychisme de Marthe sans évoquer son entou-
auteur, l’abbé Pierre Vignon, prêtre du diocèse            rage. Celui-ci a joué un rôle suggestif indéniable :
de Valence, est un spécialiste de la théologie spi-        c’est la petite sainte, la mystique qui ne mange
rituelle et mystique. Il a bien connu Marthe Ro-           pas, ne dort pas, porte les stigmates, etc., et l’in-
bin et le Père Finet. Comme le Père Peyrous, il            fluence du Père Finet est capitale, d’autant plus
oppose à la thèse du plagiat la réalité médicale           qu’il semble piégé par sa dirigée. Qui dirige
de l’hypermnésie, et il ajoute une autre explica-          l’autre ? Nous avons là un “couple mortifère” :
tion possible : la cryptomnésie, mémoire incons-           deux personnes réagissant l’une sur l’autre et en-
ciente qui « se manifeste facilement dans des              tretenant mutuellement leur névrose. »
états modifiés de conscience ». Il évoque aussi le            On préférera à ce diagnostic post-mortem, la
phénomène, spirituel celui-là, d’« identification »,       modestie de l’abbé Pierre Vignon qui laisse à de
déjà mis en avant par le Père Mucci, jésuite,              « nouveaux chercheurs sagaces et compétents » la
pour répondre à l’accusation de plagiat des écrits         tâche d’« expliquer les points encore mal éclair-
de sainte Gemma Galgani portée contre saint                cis ». Sans oublier que lorsque l’Église étudie la
Padre Pio.                                                 cause de béatification d’un mystique, elle ne
   L’abbé Vignon contredit aussi « la thèse de la          cherche pas à porter un jugement sur les grâces
Marthe rampante » développée par le Père De                surnaturelles, elle cherche à savoir si sa vie a été
Meester mais aussi par le postulateur dans son             exemplaire au regard des vertus théologales (foi,
livre publié en 2006 : Marthe Robin, à certaines           espérance et charité) et des vertus cardinales
périodes de sa vie, aurait pu descendre de son lit         (prudence, tempérance, force, justice).
et se déplacer en rampant et en s’appuyant sur                                                            Y.C. z
ses coudes. Ce qui expliquerait qu’elle a été re-          (1) Conrad De Meester, La fraude mystique de Marthe
                                                           Robin, Cerf, 2020, 416 pages, 22 €.
trouvée morte hors de son lit. L’abbé Vignon               (2) Éditions CLD, 2021, 264 pages, 21 €.
avance une autre explication sur ces supposés              (3) Prêtre de la Communauté de l’Emmanuel, il a été
déplacements de Marthe Robin en se référant au             suspendu de toutes ses fonctions par sa communauté et par
rapport sur l’action du démon dans la vie de la            l’archevêque de Bordeaux en 2017, pour une affaire – sans
                                                           rapport avec la cause de Marthe Robin – qui a fait l’objet
mystique, rapport rédigé en 1993, à la demande             d’un précepte pénal.
de l’évêque de Valence, par trois exorcistes.              (4) Artège, 2021, 270 pages, 16,90 €.
   L’éditeur du livre du Père De Meester a cru             (5) Cerf, 2021, 248 pages, 20 €.

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