Hommage : "Bruno Latour refusait les points de vue en surplomb"

 
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Par Olivier Abel

Hommage : “Bruno Latour refusait
les points de vue en surplomb”
La mort du philosophe, qui avait mis l’écologie politique au cœur d’une
démocratie dialogique à inventer, est aussi une perte pour la théologie.
Un hommage d’Olivier Abel, professeur de philosophie éthique à l’Institut
protestant de théologie.

Bruno Latour a quitté, un peu trop tôt, un monde qu’il aimait, et pour lequel il
avait peur. Je l’avais connu vers 2000, lors de séminaires de l’École des hautes
études en sciences sociales, lorsqu’il travaillait avec Laurent Thévenot et Luc
Boltanski à proposer une sociologie soucieuse de prendre au sérieux ce que les
agents disent de leur propre condition. Attentionné aux êtres et aux choses, sa
thèse constante tenait au refus de tout point de vue en surplomb, c’est-à-dire à
l’affirmation d’une radicale inter-subjectivité, inséparable pour lui d’une sorte
d’inter-corporalité : on est toujours situé dans la perspective d’un point de vue qui
est aussi celle d’un corps, dépendant d’un certain nombre de conditions.

Science et démocratie
C’est cette interdépendance qui fait le fond de son écologie politique. Il nous faut
repenser le politique à partir du bas, de l’inventaire de nos conditions, de celles
qui nous asservissent, comme de ceux de nos liens et de nos attachements qui
nous libèrent. Nos réalités sont un assemblage d’entités humaines et
non humaines, mutuellement « intéressées », au sens fort du terme. D’où sa
proposition d’un « Parlement des choses », pour prêter voix à ces choses muettes,
et inventer une forme de démocratie dialogique, à l’échelle de notre puissance
inédite. Car nous ne voyons qu’un côté des choses. En 2017, dans Où atterrir ?
(éd. La Découverte), parlant de Notre-Dame-des-Landes, il opposait ceux qui
veulent revenir sur terre, les « terrestres », et ceux qui restent « hors-sol » !

Latour est parti de la critique d’une conception de la science où celle-ci se pose
en surplomb, comme tombant du ciel. Car « la science, ça se fabrique » : elle est
le fruit d’un processus composite, et de la coopération de nombreuses entités. Au-
delà de l’idée de « contrat naturel », il avait emprunté au philosophe Michel
Serres l’idée que la Science avait pris la place que tenait jadis l’Église, et on sait
son refus que les décisions « politiques » soient prises sous le contrôle d’experts
« scientifiques » dont l’autorité est soustraite à la délibération démocratique.
Celle-ci suppose des citoyens qui ne cessent de chercher à comprendre et à
s’informer, sans jamais prétendre avoir tout compris, ni avoir raison tout seuls.

Un vif intérêt pour la parole religieuse
Je voudrais, pour ma part, dans cet hommage global, m’attarder particulièrement
au très vif intérêt de Bruno Latour pour la théologie et la parole religieuse, une
parole tourmentée mais vivante. Dans un numéro d’Écologie & Politique, il
reprochait à Luc Ferry la religion séculière d’un Homme-Dieu, placé au centre de
la Création. Dans son livre Jubiler ou les Tourments de la parole religieuse (Les
Empêcheurs de tourner en rond / Le Seuil, 2002), il écrivait, parlant de lui-même,
et de l’embarras d’une parole religieuse qui ne se reconnaît ni dans la croyance
crédule ni dans l’incroyance satisfaite, et ne se sent à l’aise nulle part : « Il a
honte de ce qu’il entend le dimanche du haut des chaires quand il se rend à la
messe ! Mais honte aussi de la haine incrédule ou de l’indifférence amusée de
ceux qui se moquent de ceux qui s’y rendent. »

Ce magnifique embarras me semble la condition de la parole religieuse
aujourd’hui, quand celle-ci ne prétend plus à une vérité de surplomb. C’est
l’embarras constitutif d’une forme d’énonciation qui se sait résistible, dépendante
de sa réception, confiée à ses récepteurs – toujours libres de la refuser. Et c’est
ici que je voudrais faire le lien entre la pensée attentionnée de Bruno Latour et
mes récentes réflexions sur l’humiliation : car il ne faudrait pas que l’embarras de
la parole religieuse soit celui d’une parole humiliée, un embarras imposé en
quelque sorte par la moquerie. Lorsqu’un interlocuteur adopte un point de vue en
surplomb, pointant l’idiotie des autres, il interrompt toute possibilité de
conversation. L’ironie fait taire.

Le risque de l’humiliation
Les humains sont des sujets parlants, qui par leur langage et leur parole donnent
forme à leur vie, et ils ont pour cela besoin d’être crédités, considérés comme
crédibles. Le propre de la parole humiliée, que l’on a fait taire, est soit de s’aplatir
dans la dérision et la relativisation générale où il n’y a plus rien de grave, soit de
se durcir et se radicaliser dans le fanatisme. Certes il n’y a souvent pas beaucoup
d’embarras chez certains prosélytes qui énoncent leur conviction avec une
assurance de vérité sans partage – ici l’absence d’embarras devient elle-même
une preuve de foi !

Mais il me semble que c’est surtout l’inverse qui est le cas dans notre société, où
les cultes, qui sont des « formes de vie » vécues par des sujets qui disent « je »,
sont généralement regardés de l’extérieur, comme des formes déjà mortes, au
mieux bonnes à être muséifiées dans le grand musée imaginaire mondialisé qui a
pris la suite de l’exposition coloniale ! C’est précisément à ce regard colonial, de
surplomb, sur nos propres conditions, que Bruno Latour a voulu mettre fin.

À consulter

Le site internet dédié à Bruno Latour.
Par Laure Salamon

Hommage à Bruno Latour,
philosophe et penseur de
l’écologie
Le philosophe Bruno Latour est décédé dans la nuit du 8 au 9 octobre. L’annonce
de son décès a beaucoup touché le milieu protestant car nombreux sont ceux et
celles que cette grande figure de l’écologie inspirait.

Dans la nuit de samedi 8 à dimanche 9 octobre, le philosophe, anthropologue et
sociologue des sciences et techniques Bruno Latour est décédé des suites d’une
longue maladie à l’âge de 75 ans. Il était une référence pour beaucoup de
protestants qui aimaient citer ses arguments et ses réflexions à travers des
extraits d’ouvrages. Ainsi, le pasteur Olivier Brès dans cet article de Réforme le
qualifiait de « philosophe de la relation à notre Terre ». Il rapportait que dans son
ouvrage Où atterrir ? (La Découverte) le philosophe incitait à se « reposer toutes
les anciennes questions, non plus à partir du seul projet d’émancipation, mais à
partir des vertus nouvellement retrouvées de la dépendance ». Ou dans cet autre
article d’Olivier Brès sur la tentation de prendre le large dans lequel il le citait : «
Prendre le large, fuir, n’est pas non plus l’aventure que Jésus nous propose.
Honorer l’incarnation, c’est affronter les situations, c’est accepter d’être
“terrestre”, selon le terme que propose Bruno Latour, c’est s’engager dans
l’aventure de l’humanité afin d’engendrer une nouvelle façon d’être ensemble. »

Il inspirait des pasteurs et le mouvement
d’Église Verte
L’Église verte a toujours beaucoup été influencée par ses propositions et ses
réflexions. Comme après le confinement en mai 2020 où le pasteur Robin Sautter
avait proposé de reprendre la démarche initiée par Bruno Latour d’ateliers
d’auto-description pour discerner les activités essentielles et celles moins
essentielles afin d’aider les gens (paroissiens, bénévoles…) à se remettre en route
en respectant les contraintes de la crise sanitaires.

Plus récemment, il avait participé au colloque sur les responsabilités chrétiennes
dans la crise écologique en février 2021 organisé par l’Institut supérieur d’Études
œcuméniques, l’Institut supérieur de pastorale catéchétique, l’Institut catholique
de Paris, l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge et l’Institut protestant de
théologie, en partenariat avec le réseau Église verte. Interviewé par Réforme à
cette occasion, il se réjouissait de voir que les théologies chrétiennes et l’attitude
des chrétiens évoluaient.

Laure Salamon

  Les chrétiens ont-ils une responsabilité face à la crise écologique ?

  La tentation de “prendre le large”
Par Rédaction Réforme

Disputatio : La décroissance nous
sauvera-t-elle ?
La décroissance nous sauvera-t-elle ? Un débat entre les pasteurs Jean-Pierre Rive
et Louis Pernot.

Il est temps                           de        promouvoir                      la
décroissance !
Jean-Pierre Rive, pasteur de l’Église protestante unie

Est-il encore temps de parler de croissance verte, alors que l’effondrement de
notre civilisation capitaliste, belliqueuse et injuste approche à grands pas ? N’est-
il pas nécessaire de sortir de toute urgence du déni, alors que nous allons subir
une implosion majeure, suivie d’un déclin qui mettra à bas les illusions
prométhéennes de l’humanité. N’est-il pas salutaire de promouvoir une
décroissance, bienveillante envers les plus fragiles, pour préparer un avenir ?

En ces temps sombres, l’Église n’a-t-elle pas à se comporter comme un « hôpital
de campagne », sur le champ de bataille où elle se tient présente, pour soigner les
détresses les plus douloureuses ? Elle doit annoncer plus fermement que l’heure
est grave, mais elle porte aussi une espérance. Elle peut fonder théologiquement
et spirituellement son message : informée des textes anciens, elle sait que les
civilisations sont rapidement précipitées à terre, elle sait que toutes les idoles
construites par les hommes, comme celles que nous adorons aujourd’hui (le
progrès, la technique, l’économie, la finance), sont périssables, mais que l’avenir
reste ouvert.

   « Les idoles construites par les hommes – le progrès, la technique, l’économie,
              la finance – sont périssables, mais l’avenir reste ouvert »

Par ailleurs, elle a bien compris la leçon de Jean Baptiste : « Il faut que je
décroisse pour que le Christ grandisse. » Il savait, lui, l’homme religieux,
prophète reconnu par un grand nombre, craint par les puissants, qu’il devait
s’effacer pour laisser la place à un homme aux origines douteuses, complètement
donné à ses semblables, pour que toute hybris, toute démesure soit réduite à
néant, pour donner naissance à cette humanité renouvelée, ressuscitée. Et
qu’ainsi soit remplacée la dépouille en voie de décomposition de ce monde par ce
corps vivant, solidaire, décrit par l’apôtre Paul, où chacune et chacun, dans une
symphonie heureuse, peut parvenir à la juste joie promise.

Pour cela il nous faut, nous Église, redire à toutes et à tous, par des mots
accessibles, non religieux, comme simplicité, gratitude, vérité, solidarité,
confiance, justice (et au diable la laïcité !), qu’il nous faut laisser derrière nous ce
monde, ce vieil homme mourant, et lutter pour que renaisse sans cesse cette belle
humanité que notre Dieu a jugée très bonne. Cette humanité, égarée par des
lumières parfois trompeuses, demeure sous le signe d’une promesse : la crise qui
est là est la chance à saisir pour que la marche vers le Royaume ne connaisse
aucune halte, que toutes les tyrannies soient abattues et que la ferveur des joies
simples illumine les corps et les cœurs.

L’issue n’est pas de faire moins, mais
mieux !
Louis Pernot, pasteur de l’Église protestante unie

Notre planète se réchauffe rapidement, cela va poser des problèmes, et l’activité
humaine y est sans doute pour quelque chose. Le premier réflexe est de vouloir
supprimer cette cause humaine et donc limiter radicalement toutes nos activités.
Qu’il faille être raisonnable et ne pas gaspiller est évident, mais le discours
« décroissantiste » repose souvent sur une anthropologie et une conception de la
nature fort discutables.

D’abord, il risque de poser la planète comme un absolu que l’homme serait
coupable de menacer, lui donnant la place de Dieu dont dépend notre vie. Mais la
Terre est tout sauf un absolu, sa température n’a cessé de varier sur de grandes
échelles, plus de 99 % des espèces apparues ont disparu sans avoir besoin de
l’homme. La Terre n’est pas un objet immuable dont on devrait attendre que rien
ne change à sa surface. Et puis elle n’a jamais été une divinité bienfaisante.
Tsunamis, tremblements de terre, prédateurs, maladies, températures
excessives… L’homme n’a survécu depuis des millénaires qu’en apprenant à se
protéger de cette nature sans cesse menaçante.

    « La mission de l’homme n’est pas de tout mettre en œuvre pour que rien ne
                     change, il doit savoir s’adapter et créer »

Le réchauffement menace nos habitudes et notre confort, mais la Terre est elle-
même menacée par bien d’autres facteurs : météorites, éruptions volcaniques,
variation de l’activité solaire, changement du magnétisme terrestre peuvent à
tout moment advenir, et vont advenir, et causer de bien plus grandes difficultés à
l’homme.

La mission de l’homme n’est pas de tout mettre en œuvre pour que rien ne
change, il doit savoir s’adapter et créer. Dieu est créateur et l’homme, à son
image, n’est pas un conservateur, mais un inventeur. Son temps n’est pas celui de
l’immobilité éternelle, mais de l’évolution continuelle, du dynamisme et jamais du
retour en arrière. L’issue n’est pas de faire moins mais mieux, le génie de
l’homme peut lui permettre de continuer d’avancer en polluant moins. Ce n’est
pas le projet fantasmé d’une Terre immuable qui nous sauvera, c’est Dieu seul. La
Terre est mortelle, et nous aussi, vouloir l’immortalité matérielle pour nous ou la
Terre est une erreur. La question est : que ferons-nous de beau et de bien
pendant que nous sommes en vie ? Arrêtons donc de culpabiliser, de déprimer des
générations qui paniquent face à l’avenir. Soyons raisonnables vis-à-vis de notre
milieu de vie matériel et, pour le reste, à chaque jour suffit sa peine – il est
toujours temps d’aimer, de servir, de donner, et de partager la joie.
Par François Ernenwein

Écologie, énergie : le grand
évitement
En cette rentrée politique, c’est la perplexité qui saisit désormais de nombreux
Français : pourquoi les réponses à la crise climatique, aux difficultés sociales
engendrées par l’inflation galopante restent-elles si faibles ? Une perplexité qui
vise le pouvoir en place tout autant que les oppositions.

Le jeu politique dans la totalité de son spectre s’illustre par l’évitement des
questions qui fâchent. Qu’il s’agisse des choix du gouvernement ou des réponses
des oppositions, le décalage entre les enjeux réels et les propositions formulées
ne cesse de s’accroître… S’installe un étrange climat, dominé par les incertitudes
et les postures des différents acteurs, malgré le constat partagé d’un horizon
bouché. Emmanuel Macron n’a pas caché la nature et l’ampleur des
difficultés : « fin de l’abondance », appels à la sobriété et au partage des efforts
face à la crise écologique et sociale. Le parler-vrai du président de la République,
dont chacun pressent qu’il invite à la sobriété ou au minimum à la fin des excès,
est lucide. Mais son inscription dans des choix politiques mieux assumés ne saute
pas aux yeux.
Transformer les constats en action
Le chef de l’État ne porte pas vraiment les ruptures qu’il semble annoncer. Il
s’appuie sur des ministres de droite – Bruno Le Maire à l’Économie, Gérald
Darmanin à l’Intérieur – dont le poids dans les arbitrages et la visibilité dépassent
largement ceux de la Première ministre Élisabeth Borne, faible caution accordée
à la gauche. C’est à la fois gênant sur le plan de la conversion écologique (dont la
cheffe du gouvernement a la charge) et sur le plan social, notamment à cause des
refus réitérés de taxer les superprofits nés de la crise sanitaire ou de la crise
énergétique… À moins que l’Europe se substitue efficacement aux atermoiements
du gouvernement français. Emmanuel Macron, en accord avec le chancelier
allemand Olaf Scholz, a finalement accepté un « mécanisme de contribution
européenne ».

Chez Emmanuel Macron, les constats restent plus faciles que l’engagement clair
dans de nouvelles politiques. On l’a vu cet été dans les hésitations de la parole
politique face aux incendies, à la sécheresse, à la crise énergétique. Au final, il est
davantage question de ristournes à la pompe que de sobriété ou de bataille pour
l’environnement. Le gouvernement encadre l’usage de l’eau, certes, mais ne s’est
pas risqué à l’interdire pour les golfs ou les piscines privées. En ces temps de
manque, la sobriété ne devait plus être sollicitée mais décrétée, quitte à froisser
quelques amis, et chacun d’entre nous.

Le jeu des oppositions
Plus facile à dire qu’à faire, c’est bien le problème actuel d’Emmanuel Macron.
Comment transformer des constats pertinents en action résolue ? Les marges de
manœuvre sont certes réduites pour ce président légitimement réélu mais privé
de majorité nette pour avancer. Cela pèse beaucoup sur sa gestion. Même s’il a la
main, le président ne peut plus faire, comme lors de son premier mandat, ce qu’il
veut. La majorité était alors aux ordres. Désormais, il doit trouver des compromis
au Parlement. La tâche est rude et la droite parlementaire ne l’aide qu’à la marge,
alors que le chef de l’État conduit la politique qu’elle préconisait hier, qu’elle
préconise aujourd’hui et qu’elle préconisera demain. Les élus du parti
Les Républicains, occupés à organiser leur survie, se montrent bien ingrats,
affichent des différends et des différences qui n’en sont pas.
Le problème est inverse avec la gauche en général et avec La France insoumise
en particulier, qui parient sur le délitement de la macronie et ses rivalités
internes. Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter en 2027… Même quand
le gouvernement semble reprendre dans leurs grandes lignes des propositions ou
des politiques préconisées à gauche en matière sociale ou environnementale, la
Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) se dérobe. Peut-on se
battre pour des idées quand d’autres les portent ? Qu’est-ce qui doit primer ? La
gauche devra trancher, sauf à faire de l’opposition systématique une ligne
politique. C’est pauvre.

Le Rassemblement national (RN), lui aussi largement représenté à l’Assemblée
nationale et en quête de respectabilité, adopte une position attentiste, pariant
plus discrètement que La France insoumise sur un délitement du pouvoir. Il
hésite encore entre une ligne sociale – il a voté les mesures en faveur du pouvoir
d’achat – et la défense des droits des classes moyennes qui se sentent
abandonnées. Elles qui s’estiment coincées entre les riches, accusés de se
goinfrer quand elles peinent, et les pauvres accusés, eux, de profiter
honteusement des aides sociales. Le RN reste ainsi hostile à la hausse du smic à
1 500 euros nets.

Conseil national de la refondation
Cette situation et ces postures qui prévalent dans le champ politique expliquent
en partie le faible succès du Conseil national de la refondation (CNR), inauguré le
8 septembre à huis clos par Emmanuel Macron. « Les absents ont toujours tort »,
a estimé le chef de l’État à Marcoussis dans l’Essonne, ajoutant que « la porte
sera toujours ouverte ». Reste cette critique fondée : le Conseil économique,
social et environnemental n’aurait-il pu jouer le même rôle et de manière plus
démocratique ?

Ajouter de nouveaux lieux de débat, sans garantir l’usage qui sera fait des
conclusions des échanges, peut apparaître comme une tentative de contourner les
difficultés désormais rencontrées au Parlement. Le faible soutien voire le rejet du
CNR semble pour l’essentiel une invitation à prendre enfin le taureau par les
cornes, à éviter l’évitement et à améliorer les projets du gouvernement en tenant
compte de la nouvelle donne au Parlement. Sur les sujets à venir
(assurance chômage, énergies renouvelables, sécurité, budget), quand on
examine l’état actuel des propositions, des marges de progression existent pour
mieux répondre aux urgences actuelles et aux attentes des Français.

Lire aussi :

  Crise énergétique : mieux lutter contre le réchauffement climatique

  L’écologie sera (un peu) punitive ou ne sera pas !

Par Louis Fraysse

La sobriété au goût du jour
Depuis quelques mois, les appels à la sobriété se multiplient dans le monde
politique et économique. Mais la notion, profondément fluctuante, ne signifie pas
toujours la même chose selon les interlocuteurs.
Sept mois après le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la crainte
d’une pénurie énergétique cet hiver grandit en France. Conscient du risque
politique, Emmanuel Macron a souhaité prendre les devants. Le 5 septembre
dernier, le Président, appelant à la « responsabilité de chacun », a incité les
Français à choisir une « sobriété volontaire » afin d’économiser l’énergie.
Quelques jours plus tôt, la Première ministre Élisabeth Borne demandait aux
entreprises d’établir un « plan de sobriété » pour surmonter le « risque de
pénurie ». « Nous devons maintenant entrer dans une nouvelle croissance, une
croissance sobre », a quant à lui déclaré Geoffroy Roux de Bézieux, le président
du Medef, citant une « impérieuse nécessité économique ». La sobriété, dans ce
contexte, fleure bon l’effort de guerre. « C’est ce qui doit nous éviter d’aller vers
quelque chose de plus coercitif et qui serait, à ce moment-là, un plan de sobriété
renforcée, voire de rationnement », a encore ajouté Emmanuel Macron, usant à
dessein d’un terme fortement connoté depuis l’Occupation.

« Au XXe siècle, on constate que l’appel à la sobriété est moins mû par des
considérations écologiques que par des situations géostratégiques données, note
le chercheur Fabien Locher, spécialiste d’histoire environnementale. Ces
moments d’exception, comme les deux guerres mondiales et les chocs pétroliers
de 1973 et 1979, imposent de fait des formes de sobriété collective, mais ne
remettent pas nécessairement en question le système économique en place. Dans
le domaine de l’énergie, la “sobriété” a par ailleurs souvent été synonyme
d’“efficacité”, dans l’idée de travailler à réduire les dépenses de
fonctionnement. »

Un terme polysémique
Limiter la sobriété à la seule sphère de l’énergie serait cependant réducteur, tant
ce terme, devenu concept, est polysémique. La sobriété touche bien sûr aussi à
l’écologie. Réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter le
réchauffement planétaire à 2 °C implique en effet non seulement de décarboner la
production, mais aussi de réduire notre consommation d’énergie. Le rapport III
du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) définit
ainsi les politiques de sobriété comme « un ensemble de mesures et de pratiques
du quotidien qui évitent la demande en énergie, matériaux, sol et eau tout en
assurant le bien-être pour tous dans les limites planétaires ». Si l’Ademe, l’Agence
de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, souligne « l’absence d’une
définition unique, partagée et précise » de la sobriété, son directeur général
Fabrice Boissier y voit une notion « centrale » dans la transition écologique, mais
regrette qu’elle demeure « mal appréhendée, parfois caricaturée ». Dans un
article publié dans le journal en ligne The Conversation, il précise : « Loin de se
réduire à un slogan pour un mode de vie “régressif”, elle consiste en premier lieu
à nous questionner collectivement et individuellement sur nos besoins ; en second
lieu, à satisfaire ces besoins en limitant notre impact sur l’environnement. »

Fondée en 2001 et prônant une transition énergétique « réaliste et soutenable »,
l’association négaWatt place au cœur de sa réflexion la sobriété. Contre l’idée que
cette dernière ne relèverait que de la seule responsabilité des individus – un
reproche qui a pu être adressé au paysan et écrivain Pierre Rabhi, apôtre de la
« sobriété heureuse » –, négaWatt y voit une démarche de modération « collective
avant d’être individuelle ». L’association en distingue plusieurs acceptions. La
sobriété « structurelle » vise à créer les conditions d’une modération de la
consommation dans l’espace public – aménager le territoire pour réduire les
distances entre le domicile et le travail, par exemple. La sobriété
« dimensionnelle », elle, concerne le bon dimensionnement des équipements par
rapport à leurs conditions d’usage. La sobriété « d’usage » œuvre à réduire la
consommation des équipements (extinction des veilles, limite de la vitesse sur
route, lutte contre l’obsolescence programmée) quand la sobriété dite
« conviviale » relève d’une logique de mutualisation des équipements et de leur
utilisation, qu’il s’agisse de covoiturage ou d’ateliers de réparation… Pour
négaWatt, le rôle des politiques publiques est de rompre avec « l’injonction
contradictoire » faite aux consommateurs d’être « éco-responsables tout en
consommant toujours plus ».

Une privation de liberté ?
« La sobriété ne peut se penser en dehors du contexte qui est le nôtre à un instant
donné, elle n’a pas de signification absolue, remarque le philosophe Dominique
Bourg, professeur honoraire à l’université de Lausanne. Or notre société moderne
est une société de l’hubris, revendiquée comme telle, qui fait du dépassement des
limites en toute chose le moteur de notre civilisation, ce qui conduit à rendre
notre planète inhabitable. Le seul domaine dans lequel la modernité a su placer
des limites, c’est la politique, avec la démocratie, qui cherche justement à nous
garder de l’hubris. Prôner la sobriété, dans ce contexte, revient à réintroduire de
la finitude dans notre système économique et notre vie sociale, à admettre le fini,
les limites planétaires, notre empreinte écologique… À revenir à la différence
fondamentale qu’établit Aristote entre l’Économique et la Chrématistique, cette
accumulation sans fin de capital en contradiction avec la finitude du monde, ce
qui constituait pour les Grecs un scandale ontologique. »

Reste que la sobriété est parfois synonyme pour certains de privation, ou à tout le
moins d’atteintes à la liberté. « La liberté, pour quoi faire ? s’interroge Jean-
Baptiste de Foucauld, cofondateur du Pacte civique, citant le titre d’un ouvrage
de Georges Bernanos. Si la liberté signifie pour moi suivre tous mes désirs sans
me soucier de leurs effets, alors la sobriété m’apparaîtra comme une restriction.
Mais si je comprends la sobriété comme une maîtrise de mes désirs, afin de ne
pas devenir esclave de mes passions, j’y verrai un facteur de liberté intérieure par
rapport aux pressions internes de mon tempérament et externes du paraître. En
ce sens, la sobriété, que l’on peut définir comme l’option privilégiée pour
l’essentiel, est une sagesse. »

Changer de modèle
Jean-Baptiste de Foucauld insiste par ailleurs sur le versant social de cette
notion : « Si je ne prélève que ce dont j’ai besoin, je m’abstiens de fait de prélever
ce qui peut revenir à autrui, en sachant bien sûr que les besoins diffèrent selon
les individus. Il revient à chacun de réfléchir sur ce qui est essentiel pour lui,
même si je pense que nous aurions tous besoin d’être davantage guidés dans
cette voie. Il faudrait mettre en place un outil commun qui mesurerait l’impact
carbone de chaque citoyen, pour accélérer les prises de conscience. »

« En soi, la sobriété n’est pas une privation, et toutes les sagesses antiques
indiquent qu’être sobre aide à développer son humanité, avance Dominique
Bourg. Cette idée d’une liberté totale est un fantasme diabolique, la liberté
absolue entre en contradiction fondamentale avec la finitude de notre planète. »
Si le philosophe se réjouit de ce qu’un consensus semble « enfin » s’établir dans
la société au sujet de l’urgence de la crise écologique, il est plus dubitatif quant à
la volonté de nos élites de s’emparer de la question à bras-le-corps. « Aucun
responsable d’envergure ne va aujourd’hui porter une ambitieuse politique de
sobriété, car elle implique nécessairement un changement de modèle… Pour ne
pas dire un changement de civilisation. »
À lire

Élisabeth Javelaud (dir.), Le Choix des sobriétés, Les éditions de l’Atelier, 2021,
176 p. 16 €.

Par Jean-Luc Mouton

L’écologie sera (un peu) punitive
ou ne sera pas !
Au cœur de la crise climatique notre consommation addictive de pétrole. Pourquoi
alors ces ristournes sur le prix des carburants ? Est-il si difficile de se priver un
peu et de moins rouler ?

Si nous imaginons encore qu’en matière d’écologie nos « petits gestes » indolores
suffiront à ralentir le réchauffement climatique en cours, nous nous berçons de
douces illusions. Au cœur du problème, la circulation routière et notre
consommation addictive de pétrole… Que les autorités ont décidé de
subventionner avec l’assentiment de l’opinion et des oppositions. L’État accorde
aujourd’hui une ristourne de 30 centimes par litre sur l’ensemble des carburants
à tous les automobilistes. À cela, s’ajoutent les 20 centimes que TotalEnergies se
propose d’accorder eux même. 50 centimes de rabais par litre consommé ! Simple
question : comment expliquer aujourd’hui des subventions directes aux
automobilistes alors que notre planète brûle en raison justement des rejets de gaz
à effet de serre ?

Comme si l’on pouvait, rapidement oublier les températures extrêmes de cet été,
une canicule continue de plusieurs mois dans certaines régions de France.
Comme si l’on pouvait passer par pertes et profits la sécheresse qui a frappé
toute l’Europe au point que des feux de forêts se sont déclarés un peu partout sur
le territoire, y compris dans des régions qui n’ont jamais connu pareil désastre.
Sans évoquer le problème de l’eau potable qui a été coupée pour la première fois
dans certains villages. Les consciences sont en alerte ! Le changement climatique
est là et tout le monde le voit. Une nouvelle version plus sérieuse et concrète du «
notre planète brûle et nous regardons ailleurs », lancé par Jacques Chirac il y a
plusieurs années. Mais alors maintenant, « c’est quand qu’on va où ? » Les
responsables que nous avons élus vont-ils continuer longtemps à nous faire plaisir
? Et à nous protéger contre tous les dérèglements ? Dans une démocratie
représentative, on élit en principe des personnalités éclairées et solides pour
prendre les bonnes décisions pour les citoyennes et citoyens, actuels et futurs. Et
les assumer. Au lieu de quoi, les autorités avec l’assentiment plus ou moins
bienveillant des oppositions se drapent dans l’idée de protéger les Français.

« La voiture qui… rend con »
Officieusement, tous reconnaissent mezza voce qu’il s’agit surtout de ne pas
heurter de front les Gauloises et les Gaulois réfractaires, et autres gilets jaunes
pour qui la liberté individuelle passe par la voiture-reine. Pas question donc de
contrarier une opinion publique ultrasensible sur le sujet. Rappelons ici les
propos du premier candidat écologiste à la présidence de la République,
l’agronome René Dumont. Il souhaitait, il y a quarante-huit ans – excusez du peu –
mettre en place des mobilités douces pour contrer « la voiture qui pue, qui pollue
et qui rend con ». Nous y sommes toujours.

L’idée que la transition écologique se fera dans la joie et dans la bonne humeur
est absurde. La transition écologique sera douloureuse ou ne se fera tout
simplement pas. Se passer d’une grande partie du pétrole qui irrigue l’existence
de nos sociétés remet en question l’univers dans lequel nous sommes nés et au
sein duquel nous avons grandi. Le temps de l’hyper-consommation, des voyages à
répétition, de l’énergie pas chère et du jetable est terminé. Et cela oblige à
repenser notre modèle économique et à nous faire quelque peu violence.
Dommage, triste, frustrant… Mais, c’est ainsi, il n’y a pas d’alternative.

Quand la France aide les automobilistes
suisses
Ainsi, au sujet du pétrole à deux euros, le courage et la vérité est de dire qu’il
n’est pas cher aujourd’hui. Mieux, qu’il n’est pas assez cher car son prix interdit
une transition vers des énergies décarbonées. Deux des plus grands économistes
de la planète, Olivier Blanchard et Jean Tirole (Prix Nobel) expliquent
tranquillement dans Le Point du 1er septembre qu’il est urgent de mettre en
place une taxe carbone si l’on veut effectivement se passer un jour des énergies
fossiles. Au lieu de quoi, le gouvernement se propose de faire baisser
artificiellement le prix du carburant avec l’argent du contribuable. Ce « geste »
revient tout simplement à instaurer une prime carbone. C’est-à-dire une
subvention à la pollution qui, par ailleurs, favorise les plus aisés : plus votre
voiture consomme, plus vous êtes aidé !

« En France, nous consommons 48,6 milliards de litres d’essence et de gasoil
chaque année. Ce sont donc 14,5 milliards d’euros de primes carbone qui
pourront être versées en 2023. À titre de comparaison, le budget de la justice est
fixé à 8,9 milliards d’euros. Et pour sauver le ferroviaire français, le patron de la
SNCF a demandé à l’État un plan d’investissement de 100 milliards sur quinze
ans, soit 6,7 milliards d’euros par an », rappelle Louis de Redon, maître de
conférences en droit de l’environnement à AgroParisTech et auteur de Justice
pour la Planète (Ed. de l’Atelier, 2022).

En réalité, cette ristourne à la pompe pour tous est tout simplement une
subvention à la pollution qui de plus favorise les plus aisés. Une mesure absurde.
Et, pire encore, quand on apprend que les automobilistes suisses proches de nos
frontières la franchissent pour aller faire le plein, subventionné par nos soins !
D’autres solutions existent
Il est certain que nombre de territoires ruraux ou semi-urbains ont été
abandonnés en matière de transports publics et que pour nombre de nos
concitoyens la voiture reste un élément essentiel de leur existence. Pour ceux-là,
il est tout à fait possible de leur octroyer un chèque carburant plafonné, il ne
s’agit pas d’encourager sans limite les déplacements. Ou de verser un appoint ou
un crédit d’impôt aux foyers les plus modestes. Il reste aussi à développer les
déplacements collectifs en zone rurale qui sont quasi inexistants en certaines
régions, mini-bus, co-voiturage, partage de véhicules… Tous projets qui
nécessitent l’intervention des collectivités publiques pour en atténuer la charge
pour les particuliers.

Dans tous les cas, pour soutenir l’écologie, il serait plus efficace et rationnel
d’utiliser les milliards d’euros, qui sont déversés sous forme de CO2 dans
l’atmosphère, pour investir dans le train régional et pour aider éventuellement à
la modernisation du parc automobile, notamment vers des modèles électriques.
Les enjeux climatiques et les réformes que l’État doit accomplir pour mener une
révolution copernicienne pour adapter le pays au défi du réchauffement méritent,
et de manière hautement urgente, toute l’attention et l’engagement des autorités
locales ou nationales de la Nation.

Lire aussi :

  Essai : “L’écologie, parlons-en ! Guide d’étude sur la Bible et l’environnement”

actu

  Des communautés protestantes en transition écologique
Par Agnès Morel

Le Covid nous a-t-il fait évoluer ?
En mars 2020, au pic des contaminations, avait émergée, dans une France
confinée, l’idée de reconstruire après la pandémie un monde plus juste et plus
écologique. Deux ans après le début de la crise sanitaire, que reste-t-il de ces
intentions louables ?

La crise sanitaire du Covid aurait-elle contribué à faire évoluer nos
comportements individuels en matière d’écologie ? Entre faibles signaux et
tendances de fond, le sociologue Rémy Oudghiri, spécialiste de l’évolution des
valeurs, des modes de vie et de consommation et directeur général de
Sociovision, fait part de ses observations à Réforme.

AgroParisTech, HEC, Polytechnique… La jeune génération s’est exprimée,
le mois dernier, en faveur d’une prise de conscience environnementale. Le
monde n’est-il pas plus vertueux aujourd’hui ?

Si, le monde est différent, mais pas dans le sens que nous espérions. En 2020,
c’était un rêve sincère, une « utopie » du futur. Dès le premier confinement, on
s’est tourné vers les circuits courts, les petits producteurs, les produits bio… La
société était à l’arrêt et on était dans des conditions qui nous permettaient de
réfléchir à autre chose, une consommation plus responsable, une société
meilleure. C’étaient de bonnes intentions, mais au fur et à mesure de la levée des
restrictions, l’élan s’est ralenti, puis arrêté. Nos études démontrent que les
intentions écologiques ont progressé, mais que les comportements n’ont pas suivi.
Il y a bien une prise de conscience de l’urgence écologique – notamment avec les
rapports du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat] – mais dans les faits, depuis le début de l’année, on constate des
comportements en recul et même, au niveau de la consommation, un retour des
consommateurs en supermarché.

Il faut dire que d’un côté on vit des épisodes climatiques extrêmes et, de
l’autre, une réduction du pouvoir d’achat…

Le « monde d’après » ressemble au monde d’avant, mais avec des contradictions
exacerbées. Cette sortie de crise débouche sur une société très divisée et l’on
retrouve, schématiquement, trois types de comportements : tout d’abord, une
première catégorie, à fort pouvoir d’achat, qui a envie de retrouver une forme
d’insouciance en « rattrapant » tout ce dont elle a pu être privée. C’est ce qui
explique les records actuels en matière de tourisme et de transport aérien. Un
second groupe, de la même classe sociale, plutôt aisée et urbaine, est lui
davantage conscient de l’urgence écologique et de la nécessité de changer son
mode de vie. Il « fait attention », mange bio, circule en vélo ou en train, etc. La
crise sanitaire, ainsi que la guerre en Ukraine (avec les pénuries), l’ont conforté
dans son engagement en faveur de l’environnement et de la biodiversité. Enfin,
un dernier groupe, plus important, subit la montée du prix du carburant, de
l’alimentation, de l’énergie… Ces ménages, qui vivent principalement dans des
territoires périurbains ou ruraux mal desservis par les transports en commun,
restent dépendants de la voiture, et sont obligés, à cause de l’inflation, de faire
des arbitrages économiques ou de se rabattre sur des produits « premier prix »,
par exemple.

Cela ne joue pas en faveur d’une protection de la planète…

Si l’on constate un recul des produits bio dans les achats, en revanche, le marché
de la seconde main s’est amplifié de façon spectaculaire ! Depuis le premier
confinement, on s’est mis à ranger, à faire de la place, en gagnant des revenus
supplémentaires. Il faut dire que cela a été rendu possible par l’existence de
nouvelles plateformes : Vinted, Leboncoin, Vestiaire Collective, Facebook
Marketplace… C’est à la fois le signe d’une société fragilisée, avec le
déclassement d’une partie de la population dont les revenus ont diminué, mais
aussi d’un état d’esprit qui a changé : le consommateur, avant d’acheter du neuf,
regarde s’il ne trouve pas en occasion, alors que c’était l’inverse auparavant. Si
cela est motivé par le besoin d’équilibrer son budget, cela joue en faveur de
l’écologie, avec des objets qui ont maintenant une, deux ou trois vies.

La seconde main, n’est-ce pas anecdotique et bien loin du monde nouveau
tant espéré au début de la pandémie de Covid ?

On a pu rêver d’un monde meilleur, mais on s’est vite heurté aux vieilles
habitudes. Deux ans, même si cela nous a paru long, ce n’est pas suffisant : il faut
plusieurs générations pour que la société évolue et que les mentalités changent !
Souvenez-vous de la crise de 2008 : à l’époque, il y avait également ce type
d’espoirs. On pensait par exemple que ce serait la fin des voitures tout-
terrain ; c’est pourtant l’inverse qui s’est produit, avec la prolifération des SUV la
décennie suivante ! Idem aujourd’hui : malgré l’urgence écologique soulignée par
les experts du Giec, les Français continuent massivement de rouler en voiture,
des voitures qu’ils n’achètent plus neuves certes, mais beaucoup de ménages en
possèdent encore deux. Ce qui explique l’importance prise par la question du prix
du carburant… La voiture électrique restant encore hors de portée.

Comment sortir de cette impasse ?

Ce que nous vivons, ce sont des injonctions contradictoires : devant les pénuries à
venir (énergie, eau), tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut s’engager
sans tarder dans la « transition écologique », mais cela coince individuellement,
pour une question de confort ou bien de pouvoir d’achat. Comment faire lorsqu’on
n’a pas assez d’argent pour changer sa vieille voiture diesel, ou bien pour isoler
son logement qui est une passoire thermique ? Pour que s’amorcent de véritables
changements, il paraît nécessaire qu’interviennent les pouvoirs publics. Comme
ils le font déjà, par exemple, pour réguler la circulation automobile en cas de
pollution atmosphérique. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement a repris les
termes de « planification écologique » et si, dès le 6 juillet, dans son discours de
politique générale, la Première ministre Élisabeth Borne annonçait que la
transition écologique était « l’affaire de tous », simples citoyens comme dirigeants
des grandes entreprises. Le signe, sans doute, d’un point de bascule.
Par Cathy Gerig

Un guide pour voyager plus écolo
Greenpeace a édité un guide recensant “41 idées de voyages écologiques à
travers l’Europe”. Il est téléchargeable gratuitement.

Comment réduire son empreinte carbone tout en continuant à voyager ?
L’organisation non-gouvernementale de protection de l’environnement
Greenpeace vient de publier un guide. Téléchargeable gratuitement, il compile 41
idées de voyages écologiques en Europe. “Se détendre à la plage ou faire une
virée dans une capitale européenne tout en protégeant le climat, c’est possible”,
rassure l’ONG. Celle-ci prend le soin de lister huit règles d’or du voyage plus
respectueux de la nature. La première consiste à rallier la destination de son
choix autrement qu’en avion.

Un allongement du temps de trajet qui nécessite soit de partir moins loin soit de
partir plus longtemps. Le guide invite également à soutenir l’économie locale, à
respecter la vie sauvage, et, idéalement, à voyager en dehors des périodes
estivales, afin d’éviter de surcharger les sites touristiques. D’ailleurs,
contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, le livret numérique
propose des séjours au-delà des frontières de l’Europe, avec des pauses en
Turquie et dans le désert marocain.
Plaisir et protection de l’environnement
“Dans un contexte d’urgence climatique, nos choix de transport jouent un rôle
crucial et il est important de les questionner, voire de repenser notre manière de
voyager. La bonne nouvelle, c’est que 70 % des jeunes Français estiment qu’il
n’est pas nécessaire de prendre l’avion pour ressentir du dépaysement”, explique
dans un communiqué Alexis Chailloux, responsable de l’engagement citoyen chez
Greenpeace France.

Selon l’ONG, le transport aérien représente plus de 7 % de l’empreinte carbone
de la France et les émissions mondiales du secteur pourraient être multipliées par
trois d’ici 2050 si le trafic aérien retrouve son niveau d’avant la crise sanitaire du
Covid-19. “En dix ans, les Français ont quasiment doublé la fréquence de leurs
vols pour motifs personnels : un voyage tous les quatre ans en 2008 contre un
voyage tous les deux ans en 2018”, précise-t-elle. Avec ce guide, il est désormais
possible d’allier plaisir et préservation de l’environnement.

Pour télécharger le guide “41 idées de voyages écologiques à travers l’Europe”,
cliquez ici.

Lire aussi :

  Écologie : l’Église verte lance un “label” Familles

  Un site pour mieux prendre soin de l’environnement
Par Jean-Marie de Bourqueney

L’être humain face au monde
Les théologiens et les Églises se saisissent du sujet de l’écologie, afin de nous
aider à penser ou même repenser notre lien avec la planète. Un éditorial de Jean-
Marie de Bourqueney, directeur de Réforme.

La question de l’écologie est une question profondément théologique. Quel est
notre rapport au monde, à la nature ? Quel est le pacte, ou plutôt l’alliance pour
reprendre un terme biblique, qui nous unit à la nature ? Aujourd’hui, l’ensemble
des théologiens et des Églises se saisissent du sujet pour nous aider à penser ou
même repenser notre lien avec la planète. Combien de temps avons-nous perdu ?
Sans doute trop… Dans les années 1960, aux États-Unis, les théologiens du
process, avec leur manière originale de comprendre le monde comme un flux
d’événements interactifs, furent parmi les premiers à mettre en avant cette
problématique : l’être humain est dépendant de son environnement. Il a un
pouvoir : générer du chaos ou entrer dans le « dynamisme créateur de Dieu »,
pour reprendre le titre de l’ouvrage d’André Gounelle sur cette théologie.

Mais on peut remonter le fil de l’histoire chrétienne : François d’Assise (dont
curieusement l’Église fit un saint, alors que ce fut l’un des hommes les plus
critiques sur l’institution du Vatican…) n’était certes pas « écologiste », mais il
invita à un rapport simplifié avec la nature. Plus loin encore, la tradition
orthodoxe développa l’idée que le salut du Christ concernait la nature. Par
exemple, lorsque les orthodoxes fêtent le baptême de Jésus, ils estiment que,
certes, il y a le baptême de Jésus par Jean, mais il y a aussi le baptême de l’eau (et
plus largement de la nature) par Jésus. Dans la tradition grecque, on jette même
une croix dans le port et un prêtre ou un fidèle saute à l’eau pour l’en ressortir.
C’est la dimension « cosmique » du salut.
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