Hommage : "Bruno Latour refusait les points de vue en surplomb"
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Par Olivier Abel Hommage : “Bruno Latour refusait les points de vue en surplomb” La mort du philosophe, qui avait mis l’écologie politique au cœur d’une démocratie dialogique à inventer, est aussi une perte pour la théologie. Un hommage d’Olivier Abel, professeur de philosophie éthique à l’Institut protestant de théologie. Bruno Latour a quitté, un peu trop tôt, un monde qu’il aimait, et pour lequel il avait peur. Je l’avais connu vers 2000, lors de séminaires de l’École des hautes études en sciences sociales, lorsqu’il travaillait avec Laurent Thévenot et Luc Boltanski à proposer une sociologie soucieuse de prendre au sérieux ce que les agents disent de leur propre condition. Attentionné aux êtres et aux choses, sa thèse constante tenait au refus de tout point de vue en surplomb, c’est-à-dire à l’affirmation d’une radicale inter-subjectivité, inséparable pour lui d’une sorte d’inter-corporalité : on est toujours situé dans la perspective d’un point de vue qui est aussi celle d’un corps, dépendant d’un certain nombre de conditions. Science et démocratie C’est cette interdépendance qui fait le fond de son écologie politique. Il nous faut repenser le politique à partir du bas, de l’inventaire de nos conditions, de celles
qui nous asservissent, comme de ceux de nos liens et de nos attachements qui nous libèrent. Nos réalités sont un assemblage d’entités humaines et non humaines, mutuellement « intéressées », au sens fort du terme. D’où sa proposition d’un « Parlement des choses », pour prêter voix à ces choses muettes, et inventer une forme de démocratie dialogique, à l’échelle de notre puissance inédite. Car nous ne voyons qu’un côté des choses. En 2017, dans Où atterrir ? (éd. La Découverte), parlant de Notre-Dame-des-Landes, il opposait ceux qui veulent revenir sur terre, les « terrestres », et ceux qui restent « hors-sol » ! Latour est parti de la critique d’une conception de la science où celle-ci se pose en surplomb, comme tombant du ciel. Car « la science, ça se fabrique » : elle est le fruit d’un processus composite, et de la coopération de nombreuses entités. Au- delà de l’idée de « contrat naturel », il avait emprunté au philosophe Michel Serres l’idée que la Science avait pris la place que tenait jadis l’Église, et on sait son refus que les décisions « politiques » soient prises sous le contrôle d’experts « scientifiques » dont l’autorité est soustraite à la délibération démocratique. Celle-ci suppose des citoyens qui ne cessent de chercher à comprendre et à s’informer, sans jamais prétendre avoir tout compris, ni avoir raison tout seuls. Un vif intérêt pour la parole religieuse Je voudrais, pour ma part, dans cet hommage global, m’attarder particulièrement au très vif intérêt de Bruno Latour pour la théologie et la parole religieuse, une parole tourmentée mais vivante. Dans un numéro d’Écologie & Politique, il reprochait à Luc Ferry la religion séculière d’un Homme-Dieu, placé au centre de la Création. Dans son livre Jubiler ou les Tourments de la parole religieuse (Les Empêcheurs de tourner en rond / Le Seuil, 2002), il écrivait, parlant de lui-même, et de l’embarras d’une parole religieuse qui ne se reconnaît ni dans la croyance crédule ni dans l’incroyance satisfaite, et ne se sent à l’aise nulle part : « Il a honte de ce qu’il entend le dimanche du haut des chaires quand il se rend à la messe ! Mais honte aussi de la haine incrédule ou de l’indifférence amusée de ceux qui se moquent de ceux qui s’y rendent. » Ce magnifique embarras me semble la condition de la parole religieuse aujourd’hui, quand celle-ci ne prétend plus à une vérité de surplomb. C’est l’embarras constitutif d’une forme d’énonciation qui se sait résistible, dépendante de sa réception, confiée à ses récepteurs – toujours libres de la refuser. Et c’est
ici que je voudrais faire le lien entre la pensée attentionnée de Bruno Latour et mes récentes réflexions sur l’humiliation : car il ne faudrait pas que l’embarras de la parole religieuse soit celui d’une parole humiliée, un embarras imposé en quelque sorte par la moquerie. Lorsqu’un interlocuteur adopte un point de vue en surplomb, pointant l’idiotie des autres, il interrompt toute possibilité de conversation. L’ironie fait taire. Le risque de l’humiliation Les humains sont des sujets parlants, qui par leur langage et leur parole donnent forme à leur vie, et ils ont pour cela besoin d’être crédités, considérés comme crédibles. Le propre de la parole humiliée, que l’on a fait taire, est soit de s’aplatir dans la dérision et la relativisation générale où il n’y a plus rien de grave, soit de se durcir et se radicaliser dans le fanatisme. Certes il n’y a souvent pas beaucoup d’embarras chez certains prosélytes qui énoncent leur conviction avec une assurance de vérité sans partage – ici l’absence d’embarras devient elle-même une preuve de foi ! Mais il me semble que c’est surtout l’inverse qui est le cas dans notre société, où les cultes, qui sont des « formes de vie » vécues par des sujets qui disent « je », sont généralement regardés de l’extérieur, comme des formes déjà mortes, au mieux bonnes à être muséifiées dans le grand musée imaginaire mondialisé qui a pris la suite de l’exposition coloniale ! C’est précisément à ce regard colonial, de surplomb, sur nos propres conditions, que Bruno Latour a voulu mettre fin. À consulter Le site internet dédié à Bruno Latour.
Par Laure Salamon Hommage à Bruno Latour, philosophe et penseur de l’écologie Le philosophe Bruno Latour est décédé dans la nuit du 8 au 9 octobre. L’annonce de son décès a beaucoup touché le milieu protestant car nombreux sont ceux et celles que cette grande figure de l’écologie inspirait. Dans la nuit de samedi 8 à dimanche 9 octobre, le philosophe, anthropologue et sociologue des sciences et techniques Bruno Latour est décédé des suites d’une longue maladie à l’âge de 75 ans. Il était une référence pour beaucoup de protestants qui aimaient citer ses arguments et ses réflexions à travers des extraits d’ouvrages. Ainsi, le pasteur Olivier Brès dans cet article de Réforme le qualifiait de « philosophe de la relation à notre Terre ». Il rapportait que dans son ouvrage Où atterrir ? (La Découverte) le philosophe incitait à se « reposer toutes les anciennes questions, non plus à partir du seul projet d’émancipation, mais à partir des vertus nouvellement retrouvées de la dépendance ». Ou dans cet autre article d’Olivier Brès sur la tentation de prendre le large dans lequel il le citait : « Prendre le large, fuir, n’est pas non plus l’aventure que Jésus nous propose. Honorer l’incarnation, c’est affronter les situations, c’est accepter d’être “terrestre”, selon le terme que propose Bruno Latour, c’est s’engager dans
l’aventure de l’humanité afin d’engendrer une nouvelle façon d’être ensemble. » Il inspirait des pasteurs et le mouvement d’Église Verte L’Église verte a toujours beaucoup été influencée par ses propositions et ses réflexions. Comme après le confinement en mai 2020 où le pasteur Robin Sautter avait proposé de reprendre la démarche initiée par Bruno Latour d’ateliers d’auto-description pour discerner les activités essentielles et celles moins essentielles afin d’aider les gens (paroissiens, bénévoles…) à se remettre en route en respectant les contraintes de la crise sanitaires. Plus récemment, il avait participé au colloque sur les responsabilités chrétiennes dans la crise écologique en février 2021 organisé par l’Institut supérieur d’Études œcuméniques, l’Institut supérieur de pastorale catéchétique, l’Institut catholique de Paris, l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge et l’Institut protestant de théologie, en partenariat avec le réseau Église verte. Interviewé par Réforme à cette occasion, il se réjouissait de voir que les théologies chrétiennes et l’attitude des chrétiens évoluaient. Laure Salamon Les chrétiens ont-ils une responsabilité face à la crise écologique ? La tentation de “prendre le large”
Par Rédaction Réforme Disputatio : La décroissance nous sauvera-t-elle ? La décroissance nous sauvera-t-elle ? Un débat entre les pasteurs Jean-Pierre Rive et Louis Pernot. Il est temps de promouvoir la décroissance ! Jean-Pierre Rive, pasteur de l’Église protestante unie Est-il encore temps de parler de croissance verte, alors que l’effondrement de notre civilisation capitaliste, belliqueuse et injuste approche à grands pas ? N’est- il pas nécessaire de sortir de toute urgence du déni, alors que nous allons subir une implosion majeure, suivie d’un déclin qui mettra à bas les illusions prométhéennes de l’humanité. N’est-il pas salutaire de promouvoir une décroissance, bienveillante envers les plus fragiles, pour préparer un avenir ? En ces temps sombres, l’Église n’a-t-elle pas à se comporter comme un « hôpital de campagne », sur le champ de bataille où elle se tient présente, pour soigner les détresses les plus douloureuses ? Elle doit annoncer plus fermement que l’heure est grave, mais elle porte aussi une espérance. Elle peut fonder théologiquement et spirituellement son message : informée des textes anciens, elle sait que les civilisations sont rapidement précipitées à terre, elle sait que toutes les idoles construites par les hommes, comme celles que nous adorons aujourd’hui (le
progrès, la technique, l’économie, la finance), sont périssables, mais que l’avenir reste ouvert. « Les idoles construites par les hommes – le progrès, la technique, l’économie, la finance – sont périssables, mais l’avenir reste ouvert » Par ailleurs, elle a bien compris la leçon de Jean Baptiste : « Il faut que je décroisse pour que le Christ grandisse. » Il savait, lui, l’homme religieux, prophète reconnu par un grand nombre, craint par les puissants, qu’il devait s’effacer pour laisser la place à un homme aux origines douteuses, complètement donné à ses semblables, pour que toute hybris, toute démesure soit réduite à néant, pour donner naissance à cette humanité renouvelée, ressuscitée. Et qu’ainsi soit remplacée la dépouille en voie de décomposition de ce monde par ce corps vivant, solidaire, décrit par l’apôtre Paul, où chacune et chacun, dans une symphonie heureuse, peut parvenir à la juste joie promise. Pour cela il nous faut, nous Église, redire à toutes et à tous, par des mots accessibles, non religieux, comme simplicité, gratitude, vérité, solidarité, confiance, justice (et au diable la laïcité !), qu’il nous faut laisser derrière nous ce monde, ce vieil homme mourant, et lutter pour que renaisse sans cesse cette belle humanité que notre Dieu a jugée très bonne. Cette humanité, égarée par des lumières parfois trompeuses, demeure sous le signe d’une promesse : la crise qui est là est la chance à saisir pour que la marche vers le Royaume ne connaisse aucune halte, que toutes les tyrannies soient abattues et que la ferveur des joies simples illumine les corps et les cœurs. L’issue n’est pas de faire moins, mais mieux ! Louis Pernot, pasteur de l’Église protestante unie Notre planète se réchauffe rapidement, cela va poser des problèmes, et l’activité humaine y est sans doute pour quelque chose. Le premier réflexe est de vouloir supprimer cette cause humaine et donc limiter radicalement toutes nos activités.
Qu’il faille être raisonnable et ne pas gaspiller est évident, mais le discours « décroissantiste » repose souvent sur une anthropologie et une conception de la nature fort discutables. D’abord, il risque de poser la planète comme un absolu que l’homme serait coupable de menacer, lui donnant la place de Dieu dont dépend notre vie. Mais la Terre est tout sauf un absolu, sa température n’a cessé de varier sur de grandes échelles, plus de 99 % des espèces apparues ont disparu sans avoir besoin de l’homme. La Terre n’est pas un objet immuable dont on devrait attendre que rien ne change à sa surface. Et puis elle n’a jamais été une divinité bienfaisante. Tsunamis, tremblements de terre, prédateurs, maladies, températures excessives… L’homme n’a survécu depuis des millénaires qu’en apprenant à se protéger de cette nature sans cesse menaçante. « La mission de l’homme n’est pas de tout mettre en œuvre pour que rien ne change, il doit savoir s’adapter et créer » Le réchauffement menace nos habitudes et notre confort, mais la Terre est elle- même menacée par bien d’autres facteurs : météorites, éruptions volcaniques, variation de l’activité solaire, changement du magnétisme terrestre peuvent à tout moment advenir, et vont advenir, et causer de bien plus grandes difficultés à l’homme. La mission de l’homme n’est pas de tout mettre en œuvre pour que rien ne change, il doit savoir s’adapter et créer. Dieu est créateur et l’homme, à son image, n’est pas un conservateur, mais un inventeur. Son temps n’est pas celui de l’immobilité éternelle, mais de l’évolution continuelle, du dynamisme et jamais du retour en arrière. L’issue n’est pas de faire moins mais mieux, le génie de l’homme peut lui permettre de continuer d’avancer en polluant moins. Ce n’est pas le projet fantasmé d’une Terre immuable qui nous sauvera, c’est Dieu seul. La Terre est mortelle, et nous aussi, vouloir l’immortalité matérielle pour nous ou la Terre est une erreur. La question est : que ferons-nous de beau et de bien pendant que nous sommes en vie ? Arrêtons donc de culpabiliser, de déprimer des générations qui paniquent face à l’avenir. Soyons raisonnables vis-à-vis de notre milieu de vie matériel et, pour le reste, à chaque jour suffit sa peine – il est toujours temps d’aimer, de servir, de donner, et de partager la joie.
Par François Ernenwein Écologie, énergie : le grand évitement En cette rentrée politique, c’est la perplexité qui saisit désormais de nombreux Français : pourquoi les réponses à la crise climatique, aux difficultés sociales engendrées par l’inflation galopante restent-elles si faibles ? Une perplexité qui vise le pouvoir en place tout autant que les oppositions. Le jeu politique dans la totalité de son spectre s’illustre par l’évitement des questions qui fâchent. Qu’il s’agisse des choix du gouvernement ou des réponses des oppositions, le décalage entre les enjeux réels et les propositions formulées ne cesse de s’accroître… S’installe un étrange climat, dominé par les incertitudes et les postures des différents acteurs, malgré le constat partagé d’un horizon bouché. Emmanuel Macron n’a pas caché la nature et l’ampleur des difficultés : « fin de l’abondance », appels à la sobriété et au partage des efforts face à la crise écologique et sociale. Le parler-vrai du président de la République, dont chacun pressent qu’il invite à la sobriété ou au minimum à la fin des excès, est lucide. Mais son inscription dans des choix politiques mieux assumés ne saute pas aux yeux.
Transformer les constats en action Le chef de l’État ne porte pas vraiment les ruptures qu’il semble annoncer. Il s’appuie sur des ministres de droite – Bruno Le Maire à l’Économie, Gérald Darmanin à l’Intérieur – dont le poids dans les arbitrages et la visibilité dépassent largement ceux de la Première ministre Élisabeth Borne, faible caution accordée à la gauche. C’est à la fois gênant sur le plan de la conversion écologique (dont la cheffe du gouvernement a la charge) et sur le plan social, notamment à cause des refus réitérés de taxer les superprofits nés de la crise sanitaire ou de la crise énergétique… À moins que l’Europe se substitue efficacement aux atermoiements du gouvernement français. Emmanuel Macron, en accord avec le chancelier allemand Olaf Scholz, a finalement accepté un « mécanisme de contribution européenne ». Chez Emmanuel Macron, les constats restent plus faciles que l’engagement clair dans de nouvelles politiques. On l’a vu cet été dans les hésitations de la parole politique face aux incendies, à la sécheresse, à la crise énergétique. Au final, il est davantage question de ristournes à la pompe que de sobriété ou de bataille pour l’environnement. Le gouvernement encadre l’usage de l’eau, certes, mais ne s’est pas risqué à l’interdire pour les golfs ou les piscines privées. En ces temps de manque, la sobriété ne devait plus être sollicitée mais décrétée, quitte à froisser quelques amis, et chacun d’entre nous. Le jeu des oppositions Plus facile à dire qu’à faire, c’est bien le problème actuel d’Emmanuel Macron. Comment transformer des constats pertinents en action résolue ? Les marges de manœuvre sont certes réduites pour ce président légitimement réélu mais privé de majorité nette pour avancer. Cela pèse beaucoup sur sa gestion. Même s’il a la main, le président ne peut plus faire, comme lors de son premier mandat, ce qu’il veut. La majorité était alors aux ordres. Désormais, il doit trouver des compromis au Parlement. La tâche est rude et la droite parlementaire ne l’aide qu’à la marge, alors que le chef de l’État conduit la politique qu’elle préconisait hier, qu’elle préconise aujourd’hui et qu’elle préconisera demain. Les élus du parti Les Républicains, occupés à organiser leur survie, se montrent bien ingrats, affichent des différends et des différences qui n’en sont pas.
Le problème est inverse avec la gauche en général et avec La France insoumise en particulier, qui parient sur le délitement de la macronie et ses rivalités internes. Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter en 2027… Même quand le gouvernement semble reprendre dans leurs grandes lignes des propositions ou des politiques préconisées à gauche en matière sociale ou environnementale, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) se dérobe. Peut-on se battre pour des idées quand d’autres les portent ? Qu’est-ce qui doit primer ? La gauche devra trancher, sauf à faire de l’opposition systématique une ligne politique. C’est pauvre. Le Rassemblement national (RN), lui aussi largement représenté à l’Assemblée nationale et en quête de respectabilité, adopte une position attentiste, pariant plus discrètement que La France insoumise sur un délitement du pouvoir. Il hésite encore entre une ligne sociale – il a voté les mesures en faveur du pouvoir d’achat – et la défense des droits des classes moyennes qui se sentent abandonnées. Elles qui s’estiment coincées entre les riches, accusés de se goinfrer quand elles peinent, et les pauvres accusés, eux, de profiter honteusement des aides sociales. Le RN reste ainsi hostile à la hausse du smic à 1 500 euros nets. Conseil national de la refondation Cette situation et ces postures qui prévalent dans le champ politique expliquent en partie le faible succès du Conseil national de la refondation (CNR), inauguré le 8 septembre à huis clos par Emmanuel Macron. « Les absents ont toujours tort », a estimé le chef de l’État à Marcoussis dans l’Essonne, ajoutant que « la porte sera toujours ouverte ». Reste cette critique fondée : le Conseil économique, social et environnemental n’aurait-il pu jouer le même rôle et de manière plus démocratique ? Ajouter de nouveaux lieux de débat, sans garantir l’usage qui sera fait des conclusions des échanges, peut apparaître comme une tentative de contourner les difficultés désormais rencontrées au Parlement. Le faible soutien voire le rejet du CNR semble pour l’essentiel une invitation à prendre enfin le taureau par les cornes, à éviter l’évitement et à améliorer les projets du gouvernement en tenant compte de la nouvelle donne au Parlement. Sur les sujets à venir (assurance chômage, énergies renouvelables, sécurité, budget), quand on
examine l’état actuel des propositions, des marges de progression existent pour mieux répondre aux urgences actuelles et aux attentes des Français. Lire aussi : Crise énergétique : mieux lutter contre le réchauffement climatique L’écologie sera (un peu) punitive ou ne sera pas ! Par Louis Fraysse La sobriété au goût du jour Depuis quelques mois, les appels à la sobriété se multiplient dans le monde politique et économique. Mais la notion, profondément fluctuante, ne signifie pas toujours la même chose selon les interlocuteurs.
Sept mois après le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la crainte d’une pénurie énergétique cet hiver grandit en France. Conscient du risque politique, Emmanuel Macron a souhaité prendre les devants. Le 5 septembre dernier, le Président, appelant à la « responsabilité de chacun », a incité les Français à choisir une « sobriété volontaire » afin d’économiser l’énergie. Quelques jours plus tôt, la Première ministre Élisabeth Borne demandait aux entreprises d’établir un « plan de sobriété » pour surmonter le « risque de pénurie ». « Nous devons maintenant entrer dans une nouvelle croissance, une croissance sobre », a quant à lui déclaré Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, citant une « impérieuse nécessité économique ». La sobriété, dans ce contexte, fleure bon l’effort de guerre. « C’est ce qui doit nous éviter d’aller vers quelque chose de plus coercitif et qui serait, à ce moment-là, un plan de sobriété renforcée, voire de rationnement », a encore ajouté Emmanuel Macron, usant à dessein d’un terme fortement connoté depuis l’Occupation. « Au XXe siècle, on constate que l’appel à la sobriété est moins mû par des considérations écologiques que par des situations géostratégiques données, note le chercheur Fabien Locher, spécialiste d’histoire environnementale. Ces moments d’exception, comme les deux guerres mondiales et les chocs pétroliers de 1973 et 1979, imposent de fait des formes de sobriété collective, mais ne remettent pas nécessairement en question le système économique en place. Dans le domaine de l’énergie, la “sobriété” a par ailleurs souvent été synonyme d’“efficacité”, dans l’idée de travailler à réduire les dépenses de fonctionnement. » Un terme polysémique Limiter la sobriété à la seule sphère de l’énergie serait cependant réducteur, tant ce terme, devenu concept, est polysémique. La sobriété touche bien sûr aussi à l’écologie. Réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement planétaire à 2 °C implique en effet non seulement de décarboner la production, mais aussi de réduire notre consommation d’énergie. Le rapport III du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) définit ainsi les politiques de sobriété comme « un ensemble de mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matériaux, sol et eau tout en assurant le bien-être pour tous dans les limites planétaires ». Si l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, souligne « l’absence d’une
définition unique, partagée et précise » de la sobriété, son directeur général Fabrice Boissier y voit une notion « centrale » dans la transition écologique, mais regrette qu’elle demeure « mal appréhendée, parfois caricaturée ». Dans un article publié dans le journal en ligne The Conversation, il précise : « Loin de se réduire à un slogan pour un mode de vie “régressif”, elle consiste en premier lieu à nous questionner collectivement et individuellement sur nos besoins ; en second lieu, à satisfaire ces besoins en limitant notre impact sur l’environnement. » Fondée en 2001 et prônant une transition énergétique « réaliste et soutenable », l’association négaWatt place au cœur de sa réflexion la sobriété. Contre l’idée que cette dernière ne relèverait que de la seule responsabilité des individus – un reproche qui a pu être adressé au paysan et écrivain Pierre Rabhi, apôtre de la « sobriété heureuse » –, négaWatt y voit une démarche de modération « collective avant d’être individuelle ». L’association en distingue plusieurs acceptions. La sobriété « structurelle » vise à créer les conditions d’une modération de la consommation dans l’espace public – aménager le territoire pour réduire les distances entre le domicile et le travail, par exemple. La sobriété « dimensionnelle », elle, concerne le bon dimensionnement des équipements par rapport à leurs conditions d’usage. La sobriété « d’usage » œuvre à réduire la consommation des équipements (extinction des veilles, limite de la vitesse sur route, lutte contre l’obsolescence programmée) quand la sobriété dite « conviviale » relève d’une logique de mutualisation des équipements et de leur utilisation, qu’il s’agisse de covoiturage ou d’ateliers de réparation… Pour négaWatt, le rôle des politiques publiques est de rompre avec « l’injonction contradictoire » faite aux consommateurs d’être « éco-responsables tout en consommant toujours plus ». Une privation de liberté ? « La sobriété ne peut se penser en dehors du contexte qui est le nôtre à un instant donné, elle n’a pas de signification absolue, remarque le philosophe Dominique Bourg, professeur honoraire à l’université de Lausanne. Or notre société moderne est une société de l’hubris, revendiquée comme telle, qui fait du dépassement des limites en toute chose le moteur de notre civilisation, ce qui conduit à rendre notre planète inhabitable. Le seul domaine dans lequel la modernité a su placer des limites, c’est la politique, avec la démocratie, qui cherche justement à nous garder de l’hubris. Prôner la sobriété, dans ce contexte, revient à réintroduire de
la finitude dans notre système économique et notre vie sociale, à admettre le fini, les limites planétaires, notre empreinte écologique… À revenir à la différence fondamentale qu’établit Aristote entre l’Économique et la Chrématistique, cette accumulation sans fin de capital en contradiction avec la finitude du monde, ce qui constituait pour les Grecs un scandale ontologique. » Reste que la sobriété est parfois synonyme pour certains de privation, ou à tout le moins d’atteintes à la liberté. « La liberté, pour quoi faire ? s’interroge Jean- Baptiste de Foucauld, cofondateur du Pacte civique, citant le titre d’un ouvrage de Georges Bernanos. Si la liberté signifie pour moi suivre tous mes désirs sans me soucier de leurs effets, alors la sobriété m’apparaîtra comme une restriction. Mais si je comprends la sobriété comme une maîtrise de mes désirs, afin de ne pas devenir esclave de mes passions, j’y verrai un facteur de liberté intérieure par rapport aux pressions internes de mon tempérament et externes du paraître. En ce sens, la sobriété, que l’on peut définir comme l’option privilégiée pour l’essentiel, est une sagesse. » Changer de modèle Jean-Baptiste de Foucauld insiste par ailleurs sur le versant social de cette notion : « Si je ne prélève que ce dont j’ai besoin, je m’abstiens de fait de prélever ce qui peut revenir à autrui, en sachant bien sûr que les besoins diffèrent selon les individus. Il revient à chacun de réfléchir sur ce qui est essentiel pour lui, même si je pense que nous aurions tous besoin d’être davantage guidés dans cette voie. Il faudrait mettre en place un outil commun qui mesurerait l’impact carbone de chaque citoyen, pour accélérer les prises de conscience. » « En soi, la sobriété n’est pas une privation, et toutes les sagesses antiques indiquent qu’être sobre aide à développer son humanité, avance Dominique Bourg. Cette idée d’une liberté totale est un fantasme diabolique, la liberté absolue entre en contradiction fondamentale avec la finitude de notre planète. » Si le philosophe se réjouit de ce qu’un consensus semble « enfin » s’établir dans la société au sujet de l’urgence de la crise écologique, il est plus dubitatif quant à la volonté de nos élites de s’emparer de la question à bras-le-corps. « Aucun responsable d’envergure ne va aujourd’hui porter une ambitieuse politique de sobriété, car elle implique nécessairement un changement de modèle… Pour ne pas dire un changement de civilisation. »
À lire Élisabeth Javelaud (dir.), Le Choix des sobriétés, Les éditions de l’Atelier, 2021, 176 p. 16 €. Par Jean-Luc Mouton L’écologie sera (un peu) punitive ou ne sera pas ! Au cœur de la crise climatique notre consommation addictive de pétrole. Pourquoi alors ces ristournes sur le prix des carburants ? Est-il si difficile de se priver un peu et de moins rouler ? Si nous imaginons encore qu’en matière d’écologie nos « petits gestes » indolores suffiront à ralentir le réchauffement climatique en cours, nous nous berçons de douces illusions. Au cœur du problème, la circulation routière et notre consommation addictive de pétrole… Que les autorités ont décidé de subventionner avec l’assentiment de l’opinion et des oppositions. L’État accorde
aujourd’hui une ristourne de 30 centimes par litre sur l’ensemble des carburants à tous les automobilistes. À cela, s’ajoutent les 20 centimes que TotalEnergies se propose d’accorder eux même. 50 centimes de rabais par litre consommé ! Simple question : comment expliquer aujourd’hui des subventions directes aux automobilistes alors que notre planète brûle en raison justement des rejets de gaz à effet de serre ? Comme si l’on pouvait, rapidement oublier les températures extrêmes de cet été, une canicule continue de plusieurs mois dans certaines régions de France. Comme si l’on pouvait passer par pertes et profits la sécheresse qui a frappé toute l’Europe au point que des feux de forêts se sont déclarés un peu partout sur le territoire, y compris dans des régions qui n’ont jamais connu pareil désastre. Sans évoquer le problème de l’eau potable qui a été coupée pour la première fois dans certains villages. Les consciences sont en alerte ! Le changement climatique est là et tout le monde le voit. Une nouvelle version plus sérieuse et concrète du « notre planète brûle et nous regardons ailleurs », lancé par Jacques Chirac il y a plusieurs années. Mais alors maintenant, « c’est quand qu’on va où ? » Les responsables que nous avons élus vont-ils continuer longtemps à nous faire plaisir ? Et à nous protéger contre tous les dérèglements ? Dans une démocratie représentative, on élit en principe des personnalités éclairées et solides pour prendre les bonnes décisions pour les citoyennes et citoyens, actuels et futurs. Et les assumer. Au lieu de quoi, les autorités avec l’assentiment plus ou moins bienveillant des oppositions se drapent dans l’idée de protéger les Français. « La voiture qui… rend con » Officieusement, tous reconnaissent mezza voce qu’il s’agit surtout de ne pas heurter de front les Gauloises et les Gaulois réfractaires, et autres gilets jaunes pour qui la liberté individuelle passe par la voiture-reine. Pas question donc de contrarier une opinion publique ultrasensible sur le sujet. Rappelons ici les propos du premier candidat écologiste à la présidence de la République, l’agronome René Dumont. Il souhaitait, il y a quarante-huit ans – excusez du peu – mettre en place des mobilités douces pour contrer « la voiture qui pue, qui pollue et qui rend con ». Nous y sommes toujours. L’idée que la transition écologique se fera dans la joie et dans la bonne humeur est absurde. La transition écologique sera douloureuse ou ne se fera tout
simplement pas. Se passer d’une grande partie du pétrole qui irrigue l’existence de nos sociétés remet en question l’univers dans lequel nous sommes nés et au sein duquel nous avons grandi. Le temps de l’hyper-consommation, des voyages à répétition, de l’énergie pas chère et du jetable est terminé. Et cela oblige à repenser notre modèle économique et à nous faire quelque peu violence. Dommage, triste, frustrant… Mais, c’est ainsi, il n’y a pas d’alternative. Quand la France aide les automobilistes suisses Ainsi, au sujet du pétrole à deux euros, le courage et la vérité est de dire qu’il n’est pas cher aujourd’hui. Mieux, qu’il n’est pas assez cher car son prix interdit une transition vers des énergies décarbonées. Deux des plus grands économistes de la planète, Olivier Blanchard et Jean Tirole (Prix Nobel) expliquent tranquillement dans Le Point du 1er septembre qu’il est urgent de mettre en place une taxe carbone si l’on veut effectivement se passer un jour des énergies fossiles. Au lieu de quoi, le gouvernement se propose de faire baisser artificiellement le prix du carburant avec l’argent du contribuable. Ce « geste » revient tout simplement à instaurer une prime carbone. C’est-à-dire une subvention à la pollution qui, par ailleurs, favorise les plus aisés : plus votre voiture consomme, plus vous êtes aidé ! « En France, nous consommons 48,6 milliards de litres d’essence et de gasoil chaque année. Ce sont donc 14,5 milliards d’euros de primes carbone qui pourront être versées en 2023. À titre de comparaison, le budget de la justice est fixé à 8,9 milliards d’euros. Et pour sauver le ferroviaire français, le patron de la SNCF a demandé à l’État un plan d’investissement de 100 milliards sur quinze ans, soit 6,7 milliards d’euros par an », rappelle Louis de Redon, maître de conférences en droit de l’environnement à AgroParisTech et auteur de Justice pour la Planète (Ed. de l’Atelier, 2022). En réalité, cette ristourne à la pompe pour tous est tout simplement une subvention à la pollution qui de plus favorise les plus aisés. Une mesure absurde. Et, pire encore, quand on apprend que les automobilistes suisses proches de nos frontières la franchissent pour aller faire le plein, subventionné par nos soins !
D’autres solutions existent Il est certain que nombre de territoires ruraux ou semi-urbains ont été abandonnés en matière de transports publics et que pour nombre de nos concitoyens la voiture reste un élément essentiel de leur existence. Pour ceux-là, il est tout à fait possible de leur octroyer un chèque carburant plafonné, il ne s’agit pas d’encourager sans limite les déplacements. Ou de verser un appoint ou un crédit d’impôt aux foyers les plus modestes. Il reste aussi à développer les déplacements collectifs en zone rurale qui sont quasi inexistants en certaines régions, mini-bus, co-voiturage, partage de véhicules… Tous projets qui nécessitent l’intervention des collectivités publiques pour en atténuer la charge pour les particuliers. Dans tous les cas, pour soutenir l’écologie, il serait plus efficace et rationnel d’utiliser les milliards d’euros, qui sont déversés sous forme de CO2 dans l’atmosphère, pour investir dans le train régional et pour aider éventuellement à la modernisation du parc automobile, notamment vers des modèles électriques. Les enjeux climatiques et les réformes que l’État doit accomplir pour mener une révolution copernicienne pour adapter le pays au défi du réchauffement méritent, et de manière hautement urgente, toute l’attention et l’engagement des autorités locales ou nationales de la Nation. Lire aussi : Essai : “L’écologie, parlons-en ! Guide d’étude sur la Bible et l’environnement” actu Des communautés protestantes en transition écologique
Par Agnès Morel Le Covid nous a-t-il fait évoluer ? En mars 2020, au pic des contaminations, avait émergée, dans une France confinée, l’idée de reconstruire après la pandémie un monde plus juste et plus écologique. Deux ans après le début de la crise sanitaire, que reste-t-il de ces intentions louables ? La crise sanitaire du Covid aurait-elle contribué à faire évoluer nos comportements individuels en matière d’écologie ? Entre faibles signaux et tendances de fond, le sociologue Rémy Oudghiri, spécialiste de l’évolution des valeurs, des modes de vie et de consommation et directeur général de Sociovision, fait part de ses observations à Réforme. AgroParisTech, HEC, Polytechnique… La jeune génération s’est exprimée, le mois dernier, en faveur d’une prise de conscience environnementale. Le monde n’est-il pas plus vertueux aujourd’hui ? Si, le monde est différent, mais pas dans le sens que nous espérions. En 2020, c’était un rêve sincère, une « utopie » du futur. Dès le premier confinement, on s’est tourné vers les circuits courts, les petits producteurs, les produits bio… La société était à l’arrêt et on était dans des conditions qui nous permettaient de réfléchir à autre chose, une consommation plus responsable, une société meilleure. C’étaient de bonnes intentions, mais au fur et à mesure de la levée des
restrictions, l’élan s’est ralenti, puis arrêté. Nos études démontrent que les intentions écologiques ont progressé, mais que les comportements n’ont pas suivi. Il y a bien une prise de conscience de l’urgence écologique – notamment avec les rapports du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] – mais dans les faits, depuis le début de l’année, on constate des comportements en recul et même, au niveau de la consommation, un retour des consommateurs en supermarché. Il faut dire que d’un côté on vit des épisodes climatiques extrêmes et, de l’autre, une réduction du pouvoir d’achat… Le « monde d’après » ressemble au monde d’avant, mais avec des contradictions exacerbées. Cette sortie de crise débouche sur une société très divisée et l’on retrouve, schématiquement, trois types de comportements : tout d’abord, une première catégorie, à fort pouvoir d’achat, qui a envie de retrouver une forme d’insouciance en « rattrapant » tout ce dont elle a pu être privée. C’est ce qui explique les records actuels en matière de tourisme et de transport aérien. Un second groupe, de la même classe sociale, plutôt aisée et urbaine, est lui davantage conscient de l’urgence écologique et de la nécessité de changer son mode de vie. Il « fait attention », mange bio, circule en vélo ou en train, etc. La crise sanitaire, ainsi que la guerre en Ukraine (avec les pénuries), l’ont conforté dans son engagement en faveur de l’environnement et de la biodiversité. Enfin, un dernier groupe, plus important, subit la montée du prix du carburant, de l’alimentation, de l’énergie… Ces ménages, qui vivent principalement dans des territoires périurbains ou ruraux mal desservis par les transports en commun, restent dépendants de la voiture, et sont obligés, à cause de l’inflation, de faire des arbitrages économiques ou de se rabattre sur des produits « premier prix », par exemple. Cela ne joue pas en faveur d’une protection de la planète… Si l’on constate un recul des produits bio dans les achats, en revanche, le marché de la seconde main s’est amplifié de façon spectaculaire ! Depuis le premier confinement, on s’est mis à ranger, à faire de la place, en gagnant des revenus supplémentaires. Il faut dire que cela a été rendu possible par l’existence de nouvelles plateformes : Vinted, Leboncoin, Vestiaire Collective, Facebook Marketplace… C’est à la fois le signe d’une société fragilisée, avec le déclassement d’une partie de la population dont les revenus ont diminué, mais
aussi d’un état d’esprit qui a changé : le consommateur, avant d’acheter du neuf, regarde s’il ne trouve pas en occasion, alors que c’était l’inverse auparavant. Si cela est motivé par le besoin d’équilibrer son budget, cela joue en faveur de l’écologie, avec des objets qui ont maintenant une, deux ou trois vies. La seconde main, n’est-ce pas anecdotique et bien loin du monde nouveau tant espéré au début de la pandémie de Covid ? On a pu rêver d’un monde meilleur, mais on s’est vite heurté aux vieilles habitudes. Deux ans, même si cela nous a paru long, ce n’est pas suffisant : il faut plusieurs générations pour que la société évolue et que les mentalités changent ! Souvenez-vous de la crise de 2008 : à l’époque, il y avait également ce type d’espoirs. On pensait par exemple que ce serait la fin des voitures tout- terrain ; c’est pourtant l’inverse qui s’est produit, avec la prolifération des SUV la décennie suivante ! Idem aujourd’hui : malgré l’urgence écologique soulignée par les experts du Giec, les Français continuent massivement de rouler en voiture, des voitures qu’ils n’achètent plus neuves certes, mais beaucoup de ménages en possèdent encore deux. Ce qui explique l’importance prise par la question du prix du carburant… La voiture électrique restant encore hors de portée. Comment sortir de cette impasse ? Ce que nous vivons, ce sont des injonctions contradictoires : devant les pénuries à venir (énergie, eau), tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut s’engager sans tarder dans la « transition écologique », mais cela coince individuellement, pour une question de confort ou bien de pouvoir d’achat. Comment faire lorsqu’on n’a pas assez d’argent pour changer sa vieille voiture diesel, ou bien pour isoler son logement qui est une passoire thermique ? Pour que s’amorcent de véritables changements, il paraît nécessaire qu’interviennent les pouvoirs publics. Comme ils le font déjà, par exemple, pour réguler la circulation automobile en cas de pollution atmosphérique. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement a repris les termes de « planification écologique » et si, dès le 6 juillet, dans son discours de politique générale, la Première ministre Élisabeth Borne annonçait que la transition écologique était « l’affaire de tous », simples citoyens comme dirigeants des grandes entreprises. Le signe, sans doute, d’un point de bascule.
Par Cathy Gerig Un guide pour voyager plus écolo Greenpeace a édité un guide recensant “41 idées de voyages écologiques à travers l’Europe”. Il est téléchargeable gratuitement. Comment réduire son empreinte carbone tout en continuant à voyager ? L’organisation non-gouvernementale de protection de l’environnement Greenpeace vient de publier un guide. Téléchargeable gratuitement, il compile 41 idées de voyages écologiques en Europe. “Se détendre à la plage ou faire une virée dans une capitale européenne tout en protégeant le climat, c’est possible”, rassure l’ONG. Celle-ci prend le soin de lister huit règles d’or du voyage plus respectueux de la nature. La première consiste à rallier la destination de son choix autrement qu’en avion. Un allongement du temps de trajet qui nécessite soit de partir moins loin soit de partir plus longtemps. Le guide invite également à soutenir l’économie locale, à respecter la vie sauvage, et, idéalement, à voyager en dehors des périodes estivales, afin d’éviter de surcharger les sites touristiques. D’ailleurs, contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, le livret numérique propose des séjours au-delà des frontières de l’Europe, avec des pauses en Turquie et dans le désert marocain.
Plaisir et protection de l’environnement “Dans un contexte d’urgence climatique, nos choix de transport jouent un rôle crucial et il est important de les questionner, voire de repenser notre manière de voyager. La bonne nouvelle, c’est que 70 % des jeunes Français estiment qu’il n’est pas nécessaire de prendre l’avion pour ressentir du dépaysement”, explique dans un communiqué Alexis Chailloux, responsable de l’engagement citoyen chez Greenpeace France. Selon l’ONG, le transport aérien représente plus de 7 % de l’empreinte carbone de la France et les émissions mondiales du secteur pourraient être multipliées par trois d’ici 2050 si le trafic aérien retrouve son niveau d’avant la crise sanitaire du Covid-19. “En dix ans, les Français ont quasiment doublé la fréquence de leurs vols pour motifs personnels : un voyage tous les quatre ans en 2008 contre un voyage tous les deux ans en 2018”, précise-t-elle. Avec ce guide, il est désormais possible d’allier plaisir et préservation de l’environnement. Pour télécharger le guide “41 idées de voyages écologiques à travers l’Europe”, cliquez ici. Lire aussi : Écologie : l’Église verte lance un “label” Familles Un site pour mieux prendre soin de l’environnement
Par Jean-Marie de Bourqueney L’être humain face au monde Les théologiens et les Églises se saisissent du sujet de l’écologie, afin de nous aider à penser ou même repenser notre lien avec la planète. Un éditorial de Jean- Marie de Bourqueney, directeur de Réforme. La question de l’écologie est une question profondément théologique. Quel est notre rapport au monde, à la nature ? Quel est le pacte, ou plutôt l’alliance pour reprendre un terme biblique, qui nous unit à la nature ? Aujourd’hui, l’ensemble des théologiens et des Églises se saisissent du sujet pour nous aider à penser ou même repenser notre lien avec la planète. Combien de temps avons-nous perdu ? Sans doute trop… Dans les années 1960, aux États-Unis, les théologiens du process, avec leur manière originale de comprendre le monde comme un flux d’événements interactifs, furent parmi les premiers à mettre en avant cette problématique : l’être humain est dépendant de son environnement. Il a un pouvoir : générer du chaos ou entrer dans le « dynamisme créateur de Dieu », pour reprendre le titre de l’ouvrage d’André Gounelle sur cette théologie. Mais on peut remonter le fil de l’histoire chrétienne : François d’Assise (dont curieusement l’Église fit un saint, alors que ce fut l’un des hommes les plus critiques sur l’institution du Vatican…) n’était certes pas « écologiste », mais il invita à un rapport simplifié avec la nature. Plus loin encore, la tradition orthodoxe développa l’idée que le salut du Christ concernait la nature. Par exemple, lorsque les orthodoxes fêtent le baptême de Jésus, ils estiment que, certes, il y a le baptême de Jésus par Jean, mais il y a aussi le baptême de l’eau (et plus largement de la nature) par Jésus. Dans la tradition grecque, on jette même une croix dans le port et un prêtre ou un fidèle saute à l’eau pour l’en ressortir. C’est la dimension « cosmique » du salut.
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