Hors du cloître et dans le monde : Des Soeurs catholiques comme actrices transnationales - Brill

 
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Social Sciences and Missions
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                   Social Sciences and Missions 25 (2012) 195–224              brill.com/ssm

           Hors du cloître et dans le monde :
 Des Sœurs catholiques comme actrices transnationales

                                       Katrin Langewiesche
             Institut für Ethnologie und Afrikastudien, Universität Mainz, Germany

Résumé
Cet article étudie les réseaux missionnaires catholiques entre l’Europe et l’Afrique, en parti-
culier deux congrégations africaines basées au Burkina Faso travaillant en Afrique et en
Europe. L’analyse de cette forme spécifique de la transnationalisation du religieux permet
de saisir certaines tendances du processus de globalisation. Les religieuses africaines sont
de plus en plus impliquées dans la pastorale en Europe tout en continuant leurs activités
apostoliques dans leur continent d’origine. Les religieuses européennes sont pour leur part
de moins en moins présentes en Afrique où elles opèrent au travers de réseaux transfronta-
liers. Ce renversement des rôles missionnaires traditionnels contredit l’image stéréotypée
d’une Afrique cantonnée dans le rôle du bénéficiaire de l’aide fournie par l’Europe.

Abstract
This essay examines the networks and activities of Catholic missionaries in Europe and
Africa, in particular two African congregations which are based in Burkina Faso and act as
missionaries in Africa and Europe. The analysis of this specific form of transnational reli-
gion, which arises between Europe and Africa, will make it possible to demonstrate the
trends involved in the process of globalisation. African religious sisters are becoming
increasingly involved in pastoral work in Europe and continue their apostolic activities in
their own continent. By way of contrast, European religious are becoming less prevalent in
Africa and are pursuing their involvement in Africa through trans-boundary networks. The
reversal of traditional missionary roles contradicts the stereotypical image of Africa as
recipient and Europe as provider.

Mots-clés
missions catholiques, congrégations catholiques, mission en retour, Burkina Faso

Keywords
Catholic missions, African congregations, reverse mission, Burkina Faso

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2012                            DOI 10.1163/18748945-02503008

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Cet article propose d’étudier le rôle des congrégations catholiques dans la
transnationalisation du religieux en portant une attention particulière
aux congrégations féminines africaines. Il s’agit d’attirer l’attention sur le
fait que les sœurs catholiques – que l’on présente parfois comme des
communautés attachées à la tradition et au maintien du statu quo –
sont tout autant intégrées dans la modernité en participant à la transfor-
mation du religieux et de la société civile via des réseaux transnationaux
que des mouvements pentecôtistes, des prophètes musulmans ou des
catholiques charismatiques qui reçoivent plus d’attention (Fourchard et al.
2005, Corten et al. 2001, Hoeber Rudolph et al. 1997). Elles jouent un rôle
important dans le développement de la société civile locale et dans l’émer-
gence d’une société civile globale. A partir de l’exemple du Burkina Faso,
cet article met en lumière le rôle que peuvent avoir des congrégations
religieuses dans l’émancipation des femmes et il montre comment ce
féminisme s’insère dans des réseaux transnationaux. L’objectif est donc
d’analyser de quelle manière s’effectue la circulation des sœurs, des
associations religieuses et des idées. Je m’intéresse en particulier aux
mécanismes qui permettent aux sœurs africaines des congrégations inter-
nationales et autochtones de se forger des expériences transnationales et
un habitus cosmopolite. Ce questionnement est lié à l’analyse des mul-
tiples processus de transformations des congrégations féminines dans le
passé jusqu’à aujourd’hui. L’augmentation de sœurs non-européennes dans
le leadership des congrégations, les facilités de communication, les effets
de Vatican II amènent une démocratisation au sein des instituts religieux.
Les moyens avec lesquels les sœurs s’impliquent dans les affaires sociales
et politiques du monde changent en fonction des rapides transformations
de leur entourage. Elles évoluent avec le monde et sont insérées dans la
modernité.
   Le point de départ géographique de cette analyse est le Burkina Faso, en
Afrique de l’Ouest, et des congrégations catholiques implantées dans ce
pays1. Il s’agit en particulier de deux congrégations autochtones formées

 1) Ce travail a été possible grâce au soutient de la Fondation Fritz Thyssen. Tous mes remer-
ciements vont aux nombreuses sœurs qui m’ont accordé leur confiance et leur temps. Je
suis particulièrement reconnaissante à Sr. Hildegunde Schmidt, archiviste des Sœurs
Missionnaires de Notre Dame d’Afrique, ainsi qu’aux Sœurs de l’Immaculée Conception de la
maison de repos à Ouagadougou et aux Sœurs de l’Annonciation de Bobo de la communauté
de St. Camille avec qui j’ai passé beaucoup de temps. Je me suis toujours efforcée – sans être

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par la congrégation internationale des Sœurs Missionnaires de Notre Dame
Afrique (SMNDA). Elle est plus connue sous le nom de Sœurs Blanches2, et
fait partie des instituts missionnaires des plus influents travaillant depuis
de longues années en Afrique3. Cependant, ce que je décris pour des reli-
gieuses vivant au Burkina Faso est valable aussi bien dans d’autres
contextes géographiques que dans d’autres congrégations4. Dans le monde
entier, les religieuses discutent de leur avenir et explorent des nouvelles

sûre d’y avoir réussi – de justifier la confiance qu’elles m’ont faite en protégeant leur anony-
mat et en respectant l’esprit de leur propos. Je remercie également Dimlawende Joanny
Ouedraogo pour son assistance toujours « opérationnelle » ainsi que Ramatou Ouédraogo
et Adjara Konkobo pour la transcription des entretiens. Une version plus courte de ce tra-
vail a été présentée à la 3e European Conference on African Studies (ECAS 3) à Leipzig,
4-7 juin 2009.
2) Le surnom populaire Sœurs Blanches s’est imposé depuis les débuts de la congrégation
et est toujours utilisé aujourd’hui, autant par les intéressées elles-mêmes que par les popu-
lations locales en Afrique. Cette appellation fait référence à l’habit blanc et aussi à la peau
blanche des premiers missionnaires. En revanche, actuellement on peut rencontrer des
sœurs appartenant aux Sœurs Blanches qui ont effectivement la peau noire. C’est pourquoi
elles préfèrent alors qu’on les appelle par leur nom complet « Sœurs Missionnaires de Notre
Dame d’Afrique ».
3) La tutelle des Pères Blancs et des Sœurs Blanches s’étendait sur d’immenses territoires
en Afrique Occidentale et Equatoriale. Pour les territoires ecclésiastiques en 1901 voir :
Langewiesche 2003 : 168. En 1938, les territoires évangélisés par les Pères Blancs et Sœurs
Blanches s’étendaient à une superficie de 2 150 000 km2 en Afrique Occidentale et de 1 110
000 km2 en Afrique Equatoriale (Missions d’Afrique, revue des PP BB, 1938 : 48-49, 234-235 ;
et 1939 : 18-19 cité in Lorin 2000 : 63). Les Sœurs Blanches sont restées durant 26 ans environ
la seule congrégation féminine à évangéliser des grandes parties d’Afrique. Dans le terri-
toire qui nous intéresse ici, l’ancienne Haute Volta, c’est en 1939 seulement, à la veille de la
seconde guerre mondiale qu’arrivèrent des religieuses d’autres congrégations dans des mis-
sions des Pères Blancs. Les Franciscaines Missionnaires de Marie s’installèrent à Dissin
(Haute Volta) et à Jirpa (Ghana). Elles furent suivies de beaucoup d’autres congrégations
surtout après la guerre (Lorin 2000 : 63).
4) A titre indicatif, on peut nommer les études suivantes : Hüwelmeier décrit la vie quoti-
dienne contemporaine et les changements d’une congrégation catholique d’origine alle-
mande devenue transnationale (Hüwelmeier 2004). Talin propose une comparaison des
activités de religieuses en France et au Canada (Talin 2002, 2005). Roth-Haillotte nous livre
une ethnographie de la vie consacrée contemplative en France (Roth-Haillotte 2007).
Claussen discute le féminisme des religieuses catholiques aux Philippines (Claussen 2001).
Koehlinger analyse les influences du mouvement de « justice raciale » aux Etats-Unis des
années 1960 sur les religieuses catholiques américaines (Koehlinger 2007).

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conditions d’engagement dans la société5. Elles s’investissent de plus en
plus dans des réseaux transnationaux pour défendre leur position ou pour
dénoncer une situation politique.
    Pour comprendre ces nouvelles formes d’implication des religieuses
dans le monde et leur volonté de s’investir au sein de la société, il faut les
placer dans un contexte plus large. La première partie de cette contribu-
tion présente les Sœurs Missionnaires de Notre Dame Afrique et leurs activi-
tés transnationales historiques en Haute Volta (l’actuel Burkina Faso).
Cette partie historique se termine par la présentation des activités d’une
Sœur extraordinaire, mais emblématique pour l’implication de la congré-
gation en Afrique et pour la mobilité transnationale des années 1950 à
1960 : Sr. Marie André du Sacré Cœur.
    La deuxième partie de cette étude présente quelques activités transna-
tionales contemporaines des religieuses. L’exemple d’associations qui
réunissent des religieuses africaines et européennes illustre que le lob-
bying politique constitue aujourd’hui l’un des moyens puissants dont elles
disposent. Ces exemples permettent d’éclairer les modalités selon les-
quelles ces femmes saisissent collectivement les opportunités de se faire
entendre dans la sphère publique. Ils permettent également d’analyser
l’affaiblissement de l’appartenance territoriale et institutionnelle des
religieuses ainsi que leur intégration dans des réseaux transnatio-
naux. Cette partie s’achève par la présentation du parcours d’une sœur
contemporaine pour illustrer la mobilité transnationale individuelle
actuelle : Sr. Véronique.
    Pour conclure, je compare les activités transnationales historiques et
contemporaines des religieuses. Cette perspective historique permettra
de comprendre en quoi l’entrée dans la vie religieuse pouvait et peut
toujours être lue comme une émancipation malgré les dépendances
vis-à-vis de l’église en tant qu’institution masculine et l’allégeance aux
supérieures féminines. La comparaison des activités transnationales histo-
riques des religieuses avec celles d’aujourd’hui permet d’éclairer le proces-
sus de transnationalisation en argumentant que le recours à des réseaux

5) De tous côtés, l’heure est au bilan du devenir de la vie religieuse consacrée dans le sillon
de la politique ecclésiale issue de Vatican II. Voir p.ex. l’article récent du National Catholic
Reporter, 1 Aug. 2011, “LCWR begins next step in reexamination of religious life”, http://
ncronline.org/print/25960.

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transnationaux constitue pour elles un moyen de contourner les
contraintes de l’espace local et de leur institution.

Terrains et concepts

Mon intérêt pour les activités des religieuses africaines remonte à une
série d’entretiens menés en 2006 auprès de sœurs professes, novices
et aspirantes à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso (Langewiesche
2008). En Europe, j’ai aussi interviewé des sœurs européennes qui avaient
travaillé au Burkina Faso et des sœurs africaines qui étudiaient en Italie ou
qui travaillaient dans des paroisses françaises. Entre 2006 et 2011, j’ai ren-
contré plus de soixante religieuses de différentes congrégations6. Avec
certaines j’ai effectué des entretiens approfondis et répétés sur leur vie,
leur vocation et leur travail. J’ai partagé repas, temps libre ou une partie de
leurs activités quotidiennes avec d’autres. J’ai approfondi mes recherches
dans des archives en Italie7, en France8 et au Burkina Faso9.
   Les religieuses mènent une vie dont les caractéristiques posent des
exigences particulières au chercheur. Ces exigences sont aux frontières
de l’anthropologie, de l’histoire et de la théologie. Cette étude combine
des méthodes anthropologiques et historiques pour trouver des réponses
aux questions posées initialement : Comment les religieuses catho­
liques africaines sont-elles intégrées dans les réseaux catholiques globaux ?
Et quelle est l’influence de la mondialisation sur la religion transna­
tionale, et la contribution des religieuses dans les processus sociaux de la

6) Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique (SMNDA), Sœurs de l’Immaculée Conception
de Ouagadougou (SIC), Sœurs de l’Annonciation de Bobo (SAB), Sœurs Notre Dame du
Perpétuel Secours (NDPS), Sœurs Disciples du Divin Maître (SDDM), Sœurs de Notre Dame du
Lac (NDL), Sœurs de l’Ordre du Très Saint Rédempteur (OSSR), Sœurs de l’Ordre de Saint
Benoit (OSB), Sœurs du Christ Rédempteur (CR), Sœurs Cisterciennes Bernardines d’Esquermes
(OCBE).
7) Archives des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique et des Missionnaires de Notre-
Dame d’Afrique, Rome, Italie.
8) Archives des Œuvres Pontificales Missionnaires, Lyon, France.
9) Archives de la Conférence Episcopale, Ouagadougou et les archives privées de certaines
congrégations au Burkina Faso.

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globalisation ? Mobilité et délocalisation, caractéristiques de la globalisa-
tion de notre société, ont toujours été pour les missionnaires des expé-
riences quotidiennes. Un regard ethnologique posé sur la vie quotidienne
de cette mondialisation demande de suivre les missionnaires dans leurs
déplacements entre l’Afrique et l’Europe. Cette étude n’est donc pas conçue
comme une monographie locale, comme c’est souvent le cas en anthropo-
logie, mais comme une ethnographie transnationale, qui suit les réseaux
d'acteurs (Marcus 1995).
   La notion de transnationalisation a été utilisée par des chercheurs s’inté-
ressant aux migrations (Glick Schiller et al. 1992, Hannerz 1996, Vertovec
1999) pour analyser les liens complexe entre migrants, société d’accueil et
pays d’origine. Faist souligne que les phénomènes transnationaux se déve-
loppent non seulement par les migrations, mais aussi par les échanges des
biens et des idées p.ex. au sein des ONG, des associations, des groupements
féminins et des églises (Faist 2000). Quant à la transnationalisation du reli-
gieux, elle s’alimente nécessairement dans les réseaux commerciaux ou
migratoires préexistants (Fourchard et al. 2005 : 14).
   Le terme transnational indique premièrement le dépassement des fron-
tières dans le sens où se créent et se perpétuent des liens entre des acteurs
à des endroits géographiques différents. Une des conditions préalables
pour qu’un espace transnational se crée est la stabilité des réseaux qui le
forment. Deuxièmement ce terme laisse entendre que les frontières s’ef-
facent en faveur de certaines idées ou de certains intérêts. Il laisse présager
que les réseaux transnationaux influencent et modifient la société civile.
Tandis que la première caractéristique va de soi – la mobilité des acteurs
ou l’échange des biens et des informations créent en eux-mêmes des liens –
la deuxième caractéristique est matière à interprétation (Weissköppel
2005 : 35). Même si cette dernière tendance domine dans de nombreux
discours sur la transnationalisation, il me semble important d’ouvrir plutôt
un champ empirique de recherche que de mettre en avant des effets
supposés.
   Lorsqu’on s’intéresse aux phénomènes transnationaux on est confronté
très vite au concept de réseaux et à celui de la société civile transnationale.
Colonomos définit le réseau comme « …des mouvements faiblement
institutionnalisés, réunissant des individus ou des groupes dans une asso-
ciation dont les termes sont variables… » (Colonomos 1995 : 22). Les
réseaux transnationaux de religieuses donnent à voir cette hybridation

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dont parle Colonomos entre communautaire et associatif (op.cit : 46). La
position des congrégations religieuses se révèle typique des élites intermé-
diaires, de ces acteurs sociaux qui se distinguent par un leadership et
une identité tout en naviguant entre l’autonomie et la dépendance à
l’égard des instances supérieures. Les réseaux dans lesquels les sœurs
catholiques sont intégrées se situent notamment entre hiérarchie et auto-
gestion, deux termes utilisés par Hoeber Rudolph pour définir le cadre
conceptuel qui rassemble la diversité des formations religieuses dans l’es-
pace de la société civile transnationale (Hoeber Rudolph et Piscatori, 1997 :
13). Depuis la deuxième moitié du 20e siècle la dimension transnationale
du développement des sociétés civiles a pris une importance croissante.
Hoeber Rudolph rappelle notamment que les réseaux religieux transnatio-
naux peuvent révéler le potentiel aussi bien coopératif ou conflictuel des
relations entre société civile et état. Les travaux récents qui analysent la
constitution d’une société civile10 dans différents pays africains se limitent
souvent à une discussion du rôle des organisations non gouvernementales
dans cet espace entre l’état et les populations tout en reconnaissant qu’il y
a d’autres acteurs collectifs qui s’insèrent dans cet espace, notamment
les mouvements islamiques, les églises chrétiennes et les congrégations
religieuses.

Les Sœurs Missionnaires de Notre Dame Afrique et leurs activités
transnationales historiques

Dès leur arrivée en Afrique les Sœurs Missionnaires de Notre Dame Afrique
ont activement soutenu la constitution de congrégations africaines. En
tout, elles ne formèrent pas moins de vingt-deux congrégations africaines,
dont trois en Haute Volta, l’actuel Burkina Faso : les Sœurs de l’Immaculée
Conception, les Sœurs de l’Annonciation de Bobo et les Sœurs de Notre Dame
du Lac.

10) Pour une discussion critique du concept analytique de société civile dans un contexte
non-européen on peut se rapporter aux analyses du groupe de recherche “Civil society,
citizenship and political mobilisation in Europe dirigé par Hinnerk Bruhns et Dieter
Gosewinkel (voir Bruhns et Gosewinkel 2005).

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Carte. Instituts religieux africains formés par les Sœurs Blanches jusqu’en 1959.
Source : Trait d’union, n°5, 1959 : 24.

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Fondations locales, internationalisation et interculturalité : prémisses pour
une transnationalisation accélérée

A peine arrivées en Haute Volta, les Sœurs Blanches suscitèrent des voca-
tions parmi les jeunes filles et, vingt ans plus tard (en 1930), elles fondèrent
la première congrégation locale : les Sœurs de l’Immaculée Conception (SIC).
La Congrégation des SIC acquit son autonomie en 1955 avec l’élection de la
première Supérieure générale africaine et accéda au droit pontifical le
11 février 1993. Depuis, la congrégation relève directement du Saint-Siège et
sa Supérieure a le pouvoir de juridiction ordinaire sur tous les membres. La
deuxième congrégation autochtone importante est celle des Sœurs de l’An-
nonciation de Bobo (SAB) fondées en 1948 par un évêque, Mgr. André
Dupont. Les SAB sont devenues indépendantes en 1968 avec l’élection de
leur première Supérieure générale africaine. Leur maison généralice se
trouve à Bobo-Dioulasso.
    Jusque dans les années 1980, les jeunes filles burkinabées qui souhai-
taient embrasser la vie religieuse étaient incitées à entrer dans une des
congrégations locales malgré la présence de nombreuses congrégations
féminines internationales sur le territoire voltaïque. Les témoignages de
plusieurs sœurs confirment que les évêques locaux insistaient fortement
pour l’entrée des jeunes filles dans les congrégations locales11. Leur
influence et leur autorité sur les instituts religieux locaux étaient certaine-
ment plus importantes que leurs possibilités de prendre des décisions pour
des congrégations internationales. Mais la raison officiellement invoquée
pour justifier l’opposition à l’entrée d’africaines dans des congrégations
internationales fut le souci de renforcer l’église locale et d’éviter des échecs
traumatisants12. Ce seulement face au constat du manque de vocations en
Europe et au vieillissement des sœurs européennes que les congrégations
internationales ouvrirent finalement leurs portes aux aspirantes africaines.
Bien que les Sœurs Missionnaires de Notre Dame Afrique aient accepté
depuis la fin des années 1950 des postulantes africaines, l’insistance des
évêques à diriger les aspirantes vers les congrégations autochtones a eu

11) Entretiens Sr. R 15/03/08 ; Sr. A 12/03/08 ; Sr. C 30/04/08.
12) Sur les recrutements des congrégations internationales et diocésaines en Afrique voir
Semporé 1991 : 39.

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comme conséquence que le recrutement parmi les africaines s’est généra-
lisé tardivement au Burkina Faso13.
   En revanche, depuis la deuxième guerre mondiale, les Sœurs Blanches
ont essayé d’accroître l’internationalisation européenne de tous leurs
postes de mission et aussi de leurs cadres dirigeants. Le chapitre de 1947
émit ainsi expressément le souhait de mélanger des sœurs de diverses natio­
nalités européennes14. L’internationalisation s’accentua après la seconde
guerre mondiale pour éviter que l’on ne puisse reprocher à la congrégation
de faire le jeu du nationalisme. La codirection de la congrégation par des
sœurs de différentes nationalités devint à cette époque une stratégie pour
se prémunir autant que possible contre le reproche de poursuivre les
mêmes intérêts nationaux que les pouvoirs coloniaux (Somé 2006). Les
Sœurs Missionnaires de Notre Dame Afrique sont un institut religieux qui a
recruté au niveau international depuis sa fondation en 1869. Cependant,
historiquement la plupart des sœurs missionnaires venaient de France15.
Celles qui furent envoyées en Haute Volta et dans l’Afrique Occidentale
Française en général étaient essentiellement de nationalité française, ce
qui leur valut la suspicion d’agir pour le compte du pouvoir colonial16.
Alors que le brassage de nationalités au sein des communautés locales s’ef-
fectua rapidement après la deuxième guerre mondiale, c’est seulement à
partir du chapitre de 1959, marqué par l’élection d’une sœur allemande
comme première Supérieure générale non-française, que fut entériné le
mélange des nationalités européennes, canadiennes et américaines au sein
des responsables de la congrégation. L’entrée d’africaines parmi les respon-
sables de la congrégation se fit encore plus tardivement, puisque c’est en
1999 seulement que fut nommée la première Africaine au Conseil général.
   Les difficultés de cohabitation entre religieuses de différentes cultures
sont anciennes chez les Sœurs Blanches, congrégation internationale dès
sa fondation. Elles sont régulièrement abordées durant les sessions de

13) Ceci est valable non seulement pour les Sœurs Blanches mais aussi pour d’autres congré-
gations internationales présentes au Burkina Faso. Phyllis Martin décrit par exemple le lien
entre la nationalisation de l’église catholique congolaise et le ralentissement du recrute-
ment de soeurs africaines au sein d’instituts religieux internationaux à la fin des années
1960 (Martin 2009 : 137ff).
14) Lettres Circulaires de Mère Marie-Louise n°15 avril 1952 : 7 cité in Lorin 2000 : 90.
15) Suivi par le Canada, l’Allemagne, la Hollande et la Belgique.
16) On trouve le même cas de figure chez leurs homologues masculins les Pères Blancs.

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formation ou de travail et durant les chapitres généraux. La nature de ces
difficultés reflète les préoccupations de chaque époque.
   Les premières sœurs africaines qui sont entrées dans la vie religieuses
durant la colonisation ont souffert de l’attitude méprisante de la part de
certain(ne)s missionnaires à l’égard des religieuses autochtones17. Celles-ci
étaient obligées par les constitutions de se contenter d’un style de vie plus
modeste que leurs homologues blanches. « Pour tout ce qui concerne la
nourriture, le vêtement, l’ameublement et le logement, la vie des Sœurs
[africaines] sera autant que possible conforme à celle du commun des
femmes indigènes » (anciennes constitutions citées in Sondo 1998 : 183)18.
De surcroît, on leur interdisait de parler le français alors qu’elles devaient
apprendre à lire et à écrire en mooré, une des langues majoritaire en Haute-
Volta. Mêmes les filles instruites à l’école française devaient se soumettre à
cet interdit. C’est seulement dans les années 1940 et surtout à partir de la
Conférence de Brazzaville en 1944 que la formation des sœurs afri­
caines intégra des cours de français. Ces différences entre sœurs blanches
et noires furent toutefois atténuées dans les nouvelles constitutions
qui furent établies suite aux demandes de correction faites par Rome en
1945.
   Des tensions entre sœurs étrangères et sœurs africaines à l’intérieur des
différentes communautés ne s’estompèrent évidemment pas après l’indé-
pendance. Elles changèrent de nature et tournèrent désormais autour
d’autres sujets tels que l’acceptation ou le refus de postulantes. Les sœurs
africaines et européennes n’avaient pas les mêmes critères pour accepter
ou refuser de nouveaux membres19. D’autres problèmes de travail en com-
mun apparurent à partir du moment où les Africaines furent intégrées non
seulement dans la mise en œuvre des différentes tâches de la mission mais
aussi dans leur conception et planification. Une lettre anonyme écrit par
une Sœur « SIC » autour de 1965 illustre ces malaises entre religieuses afri-
caines et missionnaires étrangères, ici au sein d’un dispensaire :

    …ces micro-conflits sont liés essentiellement aux différences profondes qui nous
    séparent. […] Notre passé, nos coutumes, nos habitudes de vie, nos manière de penser

17) La lettre circulaire du 15 août 1943 de Mgr. Thévenoud, citée par Sondo (1998 : 179),
illustre ce point.
18) Concernant la formation des premières sœurs on peut aussi consulter Baudu (1956).
19) Sr. A., entretien, janvier 2006.

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      même sont différents. Aussi avons-nous de la peine à nous comprendre. […] Issus
      d’une civilisation profondément matérialisée les Européens ont trop tendance à juger
      l’Afrique selon des critères de technique et d’efficacité ; négligeant trop souvent les
      valeurs sociales et spirituelles qui sont la véritable marque d’une civilisation et d’une
      culture. […] Si dans le dispensaire, il n’y avait que des Sœurs Africaines ou que des
      Sœurs Blanches, ou que des laïques, les difficultés existeraient, mais il y en auraient
      tellement moins… 20

Plus récemment, après l’entrée massive d’Africaines dans les congrégations
internationales, des antagonismes générationnels entre les jeunes sœurs
africaines et les sœurs étrangères âgées se sont ajoutés aux différences
culturelles. Dans des congrégations internationales qui ont des membres
européens et africains, comme par exemple les Sœurs Notre Dame du
Perpétuel Secours, des visions différentes à propos de l’habit religieux ont
amené des discussions animées entre religieuses canadiennes âgées et des
jeunes sœurs burkinabées. Tandis que les Canadiennes avaient opté pour
l’abandon de la robe religieuse, les Africaines souhaitaient le maintien de
l’habit religieux. Elles évoquèrent le contexte social pour argumenter en
faveur de l’habit religieux qui leur procurait respect, protection et visibilité.
Les jeunes africaines ont négocié, avec succès, que le Conseil général auto-
rise les deux versions : les habits civils et la robe religieuse en fonction des
goûts de chacune et des occasions. Tandis que les congrégations interna-
tionales ont opté pour des vêtements civils ou ont laissé le choix entre les
deux en fonction des situations, les trois congrégations burkinabées pres-
crivent toujours l’habit religieux pour leurs membres. Le port de vêtements
civils (pagne, blouse et foulard) est autorisé uniquement pour les étu-
diantes et les sœurs en voyage par la maison mère. Cette discussion entre
religieuses canadiennes et africaines illustre le caractère transformatif des
échanges transnationaux suggéré dans la première partie de cet article.
   Une tentative faite sous la supérieure générale Marie-Josée Dor
(1969-1981) offre une autre expression des difficultés de cohabitation entre
plusieurs cultures. Les Sœurs Missionnaires de Notre Dame Afrique inaugu-
rèrent dans les années 1970 l’expérience d’une communauté locale compo-
sée uniquement d’Africaines en espérant éviter certains problèmes de

20) Lettre anonyme d’une certaine « SIC », Archives des Missionnaires de Notre Dames
d’Afrique, H39, Rome. Je remercie Jean-Marie Bouron d’avoir attiré mon attention sur cette
lettre et de me l’avoir transmise.

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cohabitation et de frictions entre religieuses africaines et européennes
ou canadiennes. Mais l’expérience ne fut pas renouvelée. Son échec conso-
lida probablement l’idée de l’importance du dialogue entre les cultures
non seulement pour la mission mais à l’intérieur de la congrégation21.
L’initiation des candidates et la formation continue des sœurs sont
aujourd’hui axées sur l’apprentissage du dialogue culturel et de l’intercultu-
ralité. Un terme volontairement employé dans les publications des
Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique qui n’hésite pas de faire de
leur fondateur, Mgr. Lavigerie, un « prophète en matière d’intercultura-
lité »22. Aujourd’hui, toutes les communautés locales de Sœurs Blanches,
surtout en Afrique, vivent une vie quotidienne multinationale où les diffé-
rentes nationalités africaines, européennes, américaines et canadiennes se
côtoient. En 2009, dans la maison mère à Rome, une communauté de
quinze sœurs de neuf nationalités différentes dirigeait et administrait la
Congrégation. Les langues officielles de la congrégation sont le français et
l’anglais, auxquelles s’ajoute l’italien en ce qui concerne la maison mère, la
langue maternelle de chacune et les différentes langues africaines pour le
travail quotidien des religieuses en Afrique.
   Les congrégations burkinabées ne sont certes pas internationales dans
la composition de leurs membres. La plupart des religieuses vivant dans
ces instituts religieux sont des Burkinabés. Néanmoins, ces sœurs récla-
ment également leur compétence en matière d’interculturalité puisqu’elles
sont habituées à cohabiter avec des sœurs d’origine ethnique, de langue et
de coutumes différentes. Parmi les religieuses rencontrées nombreuses
sont celles qui relatent leurs difficultés initiales dans la vie en communauté
avec d’autres cultures23. Une fois ces tensions surmontées, elles les inter-
prètent comme un défi pour être intégré dans l’église globale, comme une
préparation indispensable à des missions à l’étranger ou à une interaction
avec l’Autre.

    à mon arrivée au noviciat, j’ai souvent pleuré. Tout était différent pour moi la langue, la
    nourriture, la manière d’être. Je dois beaucoup à mes camardes et à nos formatrices.

21) Entretiens avec Sr. A. (Paris, Mai, 2007), Sr. H. (Rome, Mai, 2009).
22) Pruvost, Lucie, « Lavigerie, un prophète en matière d’interculturalité ? », Partage
Trentaprile, n°2, 2009 : 41-42.
23) Pour une discussion des problèmes de formation au sein des congrégations africaines
voir Onyejekwe (2001).

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      Elles m’ont aidé à surmonter les difficultés et enfin j’ai compris que sans efforts, sans
      compromis on ne peut pas vivre avec des gens différents…aujourd’hui ces petits pro-
      blèmes entre africaines me font rire ! Heureusement que j’ai eu cette préparation avant
      d’arriver ici [France]. (Entretien, mars 2008).

Les exemples précédents illustrent le processus qui a amené les Sœurs
Blanches (comme d’autres congrégations féminines) à accentuer l’interna-
tionalisation de leurs communautés et à stimuler l’apprentissage de l’inter-
culturalité par leurs membres. En fonction des évolutions historiques, en
tant que femmes de leur temps, elles se sont adaptées aux transformations
de leur entourage. L’internationalisation des fondations locales et l’appren-
tissage de l’interculturalité se présentent comme les prémisses pour une
transnationalisation accélérée des congrégations féminines que l’on peut
observer à partir des années 1990 à nos jours.
   Les activités de Sr. Marie André du Sacré Cœur, une Sœur Blanche, dans
les années 1940 à 1960 annonçaient déjà un nouveau style d’activités trans-
nationales marqué par des va-et-vient fréquents, un réseau de relations
sociales hors de la communauté catholique important et un activisme poli-
tique affiché.

Mobilité individuelle de certaines religieuses dans le passé : Sr. Marie André
du Sacré Cœur

Sœur Marie André du Sacré Cœur est née en 1899 sous le nom civil de
Jeanne Dorge dans une famille de la bourgeoisie modeste. Elle soutient
une thèse de droit en 1924 avant d’entrer chez les Sœurs Missionnaires de
Notre Dame d’Afrique. Après une formation d’infirmière, elle travaille dans
des dispensaires en Algérie. En 1932, elle est envoyée par sa congrégation
en voyage d’étude pour réaliser une enquête sur les conditions des femmes
en Afrique occidentale. Elle s’appuie sur de vastes investigations par ques-
tionnaire, sur des entretiens approfondis avec des personnalités dans les
milieux ecclésiastiques et coloniaux ainsi que sur l’observation partici-
pante dans les différentes stations de mission qu’elle visite24. Au bout de
quatre années de voyage d’étude en Afrique de l’Ouest, elle publie des

24) Archives SMNDA, Rome, Cahiers de notes de Sr. MAdSC de ses voyages au Sénégal-Mali-
Haute-Volta-Ghana de 1948-1964 ; Journal du 9 juin au 19 juillet 1940 qui relate la fuite de
Paris ; photographies faites par Sr. MAdSC 1934 en Haute Volta.

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articles et un livre sur « La femme noire en Afrique Occidentale Française »
(1939) qu’elle présente à la Chambre des Députés. Son plaidoyer entraîne
un projet de loi qui est voté en 1939 – le décret Mandel – qui stipule le libre
consentement des futurs époux (Sanon, 1993). Elle écrit un nouveau livre
sur « la condition humaine en Afrique » en 1953 et mène de multiples acti-
vités au nom de la « promotion de la femme ». Elle devient en 1949 chargée
de mission pour l’ORSTOM, en 1952 correspondante de l’Académie des
Sciences d‘Outre-mer25 et entretient une relation épistolaire de 1959 à 1966
avec le Ministre de la Coopération pour lui livrer ses impressions sur la
situation en Afrique Noire26. L’appui politique du député Louis Marin, ren-
contré à l’époque où elle rédigea sa thèse, et les recommandations des
Pères Blancs dans les milieux parlementaires et juridiques permettent à
Sœur Marie André du Sacré Cœur d’initier un nouveau projet politique aux
colonies. La religieuse met habilement son réseau de connaissances parmi
les hommes politiques, religieux et scientifiques, au profit de ses idéaux :
« L’instruction, la chrétienne en particulier, reste le seul moyen d’arracher
ces sociétés, […], au désordre et à l’immoralité où les a plongées la pénétra-
tion blanche » écrit-elle en 1956. En conséquence, elle préconisa des émis-
sions radiophoniques pour élever « […] ces auditoires frustres, incapables
de juger par eux-mêmes […] » ; elle conseilla l’ouverture de cercles fémi-
nins, l’agrandissement des bibliothèques et des « Valises de Livres » par des
brochures et des ouvrages concernant « la morale familiale » (Sr MAdSC
1956). Sœur Marie André du Sacré Cœur prône une certaine vision émanci-
patrice, une indépendance sociale. Mais, dans le même temps elle se
signale par une allégeance aux autorités françaises. Elle affirme en 1946 :
« cette chère Afrique, qui doit rester française pour devenir complètement
elle-même »27. Ses publications illustrent son mépris pour les institutions
sociales africaines, elle ne leurs reconnaît aucune valeur, alors que ses
écrits défendent en même temps les droits et la liberté des femmes afri-
caines qui passent, selon elle, par l’évangélisation. Cette dignité ne peut
être assurée que dans une famille monogame fondée sur la liberté du choix

25) Nécrologie in Marché Tropicaux n° 2237, 1988 : 2492.
26) Raymond Triboulet, Ministre de la Coopération sous Pompidou de 1959 à 1966
27) Lettre de Sœur Marie-André du Sacré-Cœur au Gouverneur Laurentie, Paris,
27 novembre 1946, Centre des Archives d’Outre Mer, Cart.2286, dos.10. Je remercie Jean-
Marie Bouron pour l’indication de cette référence et pour les discussions autour du sujet.

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de l’époux. Elle défend cette position, féministe et conventionnelle à la fois,
jusqu’à la fin de sa vie en organisant, en participant à de nombreux col-
loques et rencontres.
   Sœur Marie-André du Sacré Cœur est soutenue par ses supérieures qui
lui laissent le temps et lui fournissent les moyens pour mener ses études,
voyages et conférences dans le monde entier. Cette sœur est une figure qui
reflète en elle-même les ambiguïtés de la mission. Une figure qui annonce
une implication grandissante des religieuses dans des affaires politiques,
sociales et des nouveaux rapports entre le nord et le sud. Sœur Marie-
André du Sacre Cœur revendique la promotion de la femme africaine avec
un paternalisme propre à son époque en s’appuyant sur des techniques qui
nous sommes aujourd’hui familières : la constitution de réseaux transna-
tionaux et le lobbying politique.
   Les exemples de cette partie – la mobilité individuelle d’une sœur et le
processus vers une interculturalité de plus en plus grande- ont illustré le
fait que la fluidité du religieux à travers des frontières est ancienne. La
transgression des frontières nationales, comme on l’a vu avec Sr. Marie
André du Sacré Cœur, ressemble presque aux mouvements permanents de
certaines religieuses contemporaines. En revanche, l’apprentissage pro-
gressif de l’interculturalité au sein des communautés locales et la lente
mixité dans la direction de la congrégation illustrent le fait que l’habitus
cosmopolite et transnationale des religieuses contemporaines est basé sur
un processus historique de longue durée. Aujourd’hui, les transformations
des élites, la communication accélérée, une éducation scolaire de plus en
plus élevée (la prolifération de l’enseignement supérieur) et les retombées
de Vatican II ont augmenté le flux d’échanges transnationaux et contri-
buent à un changement de direction au sein des congrégations féminines.
Les réseaux se déploient du sud au nord, d’est en ouest et non plus unique-
ment de l’Europe, comprise comme le centre, vers l’Afrique entendue
comme la périphérie. Ce sont ces nouvelles formes d’implication dans le
monde des religieuses que je voudrais explorer dans la partie suivante.

Activités transnationales contemporaines

Progressivement, depuis les années 1970, des regroupements de reli­
gieuses dépassant le cadre territorial et congrégationnel se sont mis en

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place28. Des associations professionnelles ont commencé à rassembler les
religieuses non pas selon leur appartenance institutionnelle, mais selon
leur activité professionnelle. Par exemple, les sœurs infirmières du Burkina
et du Niger se retrouvent au sein de l’association des religieuses infirmières,
la FREPSAB29, les religieuses enseignantes de toutes les congrégations
confondues se retrouvent au sein de l’association des religieuses ensei-
gnantes. Il s’agit dans ces associations de réfléchir en commun à des moda-
lités d’action dans un monde en constante évolution. Cette émancipation
des religieuses vis-à-vis de leur communauté d’origine peut être lue comme
l’expression d’une entrée progressive dans un espace transnational.
   A partir des années 1990, un autre type de regroupements voit le jour.
Les religieuses s’organisent maintenant en fonction de leurs affinités
sociales ou politiques et non plus en fonction de leur appartenance institu-
tionnelle ou professionnelle. Je présente trois exemples qui me semblent
pertinents pour mettre en évidence ces développements.

Interpeller les organisations politiques internationales

Le réseau Afrique, Europe, Foi et Justice (AEFJN) est né en 1988 comme un
réseau de religieux et religieuses « pour dénoncer des politiques inéqui-
tables envers l’Afrique et en proposant d’autres politiques pour trans­
former les relations entre l’Union Européenne, les régions et les pays
d’Afrique ».30 Il rassemble presque 50 instituts religieux missionnaires
pour défendre les droits des pays du Sud auprès de l’Union européenne.
Actuellement, quatre femmes se trouvent dans le Secrétariat international
à Bruxelles, trois religieuses de différentes congrégations (dont une
SMNDA) et une laïque. Elles proposent les actions du réseau31, assurent le

28) Par exemple, vers la fin des années 1970 la création de l’Union des Supérieures Majeures
du Burkina-Niger et, en 1988, la fondation d’un centre de formation inter-congrégationnel
« Mater Christi ».
29) La FREPSAB est la Fraternité des Religieuses dans les professions de Santé. Basée à
Ouagadougou, cette association existe depuis 1992.
30) Partage Trentaprile, n°2, 2009 : 14.
31) Le programme d’action 2007/2008 définit quatre thèmes majeurs : (1) Médicaments :
assurer l’accès et la qualité ; (2) Souveraineté alimentaire ; (3) Accords de partenariats éco-
nomiques ; (4) Commerce d’armes légères et de petit calibre.

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contact avec les commissions du parlement européen ainsi que le lien
entre les « antennes » nationales de l’AEFJN. Les moyens utilisés pour se
faire entendre ressemblent à ceux employés par d’autres groupes de
pression explicitement politique. L’AEFJN pratique le lobbying auprès des
autorités politiques. Durant les campagnes européennes de 1999, de 2004
et celle de 2009 l’AEFJN s’est mobilisé pour que les candidats introduisent
dans leur agenda les intérêts des peuples africains. Alors que les publica-
tions de prise de position du réseau soulignent clairement la vision chré-
tienne des problèmes, les antennes d'AEFJN se joignent aux groupes
nationaux de la société civile pour plus d'efficacité dans leur travail de lob-
bying. De même, au niveau international, l’AEFJN s'associe aux travaux de
lobbying des plates-formes d'ONG internationales comme le Réseau
International d'Action sur les Armes Légères (IANSA) ou la Plate-forme
européenne sur la sécurité alimentaire (EPFS), entre autres32.
   Le réseau AEFJN illustre cet effacement de la logique territoriale ou
institutionnelle au profit de l’appartenance à un réseau transnational
que l’on trouve actuellement parmi les religieuses. Il ne constitue qu’un
exemple parmi d’autres. On peut aussi citer Solwodi, un réseau de
solidarité pour femmes en détresse en Afrique et en Europe fondé par
une Sœur Blanche en 198533. Ce réseau illustre également cette capacité
de créer un espace transnational autour d’un sujet éminemment politique,
ici le commerce avec les femmes et le tourisme sexuel en Europe et en
Afrique. La réponse des religieuses dans le monde entier au trafic sexuel
est qualifiée par Ian Linden comme « an unsung story of globaliza­
tion » (Linden 2007 : 271). Dans le cas de Solwodi, une religieuse, Lea
Ackermann, a su rallier à son projet un nombre important de congréga-
tions internationales, le groupe « Religieuses contre le commerce avec les

32) Et aussi la coalition « Stop EPAs », le Réseau d'action sur le commerce (TAN), la
Solidarité européenne pour une participation égale des peuples (EUROSTEP), JUBILEE
2000, le Réseau européen sur le développement et la dette (EURODAD), la Coopération
Internationale pour le Développement et la Solidarité (CIDSE), Pax Christi et Caritas
Internationalis (cité selon le PROGRAMME DE LOBBYING POUR L’ANNEE 2006, AEFJN,
accessible sur internet : http://www.africamission-mafr.org/justicedocs.htm
33) Les Sœurs Missionnaires de Notre Dame d’Afrique ont aussi rédigé en 1998 un rapport
courageux sur les abus sexuels de religieuses africaines par des prêtres qui est devenu public
seulement en 2001 par un article du National Catholic Reporter (16 mars 2001). Voir Linden
2009 : 268.

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