Ici sera Radio-Canada : la vision libérale - Allocution présentée dans le cadre de l'atelier : " Avenir

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                    Ici sera Radio-Canada :
                        la vision libérale

 Allocution présentée dans le cadre de l’atelier : « Avenir
    de Radio-Canada : la vision des partis fédéraux »,
   au congrès annuel de la Fédération professionnelle
               des journalistes du Québec.

            Manoir Saint-Sauveur, Saint-Sauveur (Québec)
                        Le 15 novembre 2014

L'honorable Stéphane Dion, C.P., député
Député de Saint-Laurent - Cartierville
Porte-parole libéral pour le Patrimoine canadien, les Langues officielles
et les Relations intergouvernementales
Chambre des communes, Ottawa
Courriel : stephane.dion@parl.gc.ca
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Je remercie la Fédération professionnelle des journalistes du Québec de m’inviter à
m’exprimer sur l’avenir de Radio-Canada. Je le fais avec grand plaisir et grand intérêt,
comme porte-parole libéral en matière de Patrimoine et au nom de mon chef, Justin
Trudeau. Cela dit, je suis bien conscient que plusieurs des défis que doit affronter
Radio-Canada et dont je vais parler aujourd'hui s'appliquent aussi aux diffuseurs privés
et à la presse écrite
D’entrée de jeu, deux citations me viennent à l’esprit.

La première est cette phrase de Fernand Séguin : « Radio-Canada, c'est ce qu'il y a de
plus extraordinaire qui soit arrivé au Canada français depuis Jacques Cartier ».1 Donc
avant Maurice Richard, et même avant Samuel de Champlain !

La deuxième citation est la suivante : « Nous avons dit que nous allions maintenir ou
augmenter notre soutien à la SRC. C’est dans notre plateforme, nous l’avons dit et nous
allons tenir notre promesse. »

Qui a dit ça ? James Moore, alors ministre du Patrimoine canadien et des Langues
officielles. Où et quand ? À Vancouver, à CBC News, le 3 mai 2011, le lendemain de la
réélection du Parti conservateur.

Alors examinons ces deux citations.

La première, celle de Fernand Séguin, pourrait être un début de réponse à la question
claire que vous me posez: quelle est la vision d’avenir de Justin Trudeau et du Parti
libéral du Canada pour Radio-Canada? En effet, cette vision se fonde sur la conviction,
très ancrée chez les Libéraux fédéraux, que peu de pays ont davantage besoin de la
présence d’un diffuseur public que le Canada.

Certes, notre pays n'est pas le seul à juger indispensable l'existence d'un diffuseur
public pour, comme nous le répétons chez nous depuis 75 ans, « informer, éclairer et
divertir ». Mais chez nous, le diffuseur public produit davantage de contenu national que
tous les diffuseurs privés réunis. Il offre aux talents locaux un tremplin irremplaçable.
Sur les ondes canadiennes, c'est sa voix, ses images qui assurent la majorité de notre
information internationale. Dans ce pays grand comme un continent, Radio-Canada est
le seul diffuseur dont le mandat l'oblige à offrir une programmation qui reflète la
diversité du pays et ses deux langues officielles. Au Québec et ailleurs au Canada,
notre diffuseur public sert admirablement la cause du français. Au Canada anglais, il
porte une voix, une vision et une culture différentes de celles de nos très présents
voisins du Sud. Et partout, Il soutient les langues et les cultures autochtones.

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 Fernand Séguin, cité dans : Ignace Cau, L'édition au Québec de 1960 à 1977, Québec, Ministère des
Affaires culturelles, 1981, p. 98.
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Pour mes collègues libéraux et moi-même, deux certitudes s'imposent : premièrement,
aujourd'hui comme hier, le Canada a besoin d'un diffuseur public éveillé, objectif,
créatif et libre; deuxièmement, tout cela suppose des moyens. Or ces moyens, Radio-
Canada ne les a pas.

Cela m’amène à la deuxième citation, celle du ministre conservateur James Moore.
Après qu'il ait juré ses grands dieux que son gouvernement allait maintenir ou
augmenter le soutien à la SRC, le budget conservateur de 2012 allait plutôt amputer de
115 millions de dollars celui du diffuseur public. Une autre promesse non tenue ! En fait,
depuis l’arrivée au pouvoir des Conservateurs en 2006, la SRC s'est vue soustraire 227
millions de dollars de crédits parlementaires (en dollars de 2014) : une amputation de
18 %, soit près du cinquième de son budget !

Pour tenter de justifier ces coupes sombres, les Conservateurs évoquent les
compressions jadis effectuées par les Libéraux. Cet argument ne tient pas, pour deux
raisons.

Première raison : le gouvernement Harper a sabré dans la SRC sans tenir compte des
effets des coupes opérées par les gouvernements précédents. Quand un régime
minceur vous a déjà fait perdre tout votre gras, vous imposer un nouveau régime
encore plus sévère va vous réduire à la peau et aux os et même affecter vos organes
vitaux. Quand on en est rendu à renvoyer le costumier, on peut dire que Stephen
Harper a déshabillé Radio-Canada!

Deuxième raison : les coupes conservatrices se font dans un contexte fiscal et financier
fondamentalement différent de celui qui avait forcé celles des Libéraux : c'est pour
éliminer l'énorme déficit structurel légué par le gouvernement conservateur précédent
que le gouvernement libéral avait dû réduire les dépenses publiques. Mais ce faisant,
nous n'avons jamais oublié l'importance du rôle des institutions fédérales, notamment
Radio-Canada, et n'avons jamais cessé de croire au bien-fondé de leur mission. C'est
ainsi que sitôt l'équilibre budgétaire rétabli, nous avons prudemment raffermi notre
soutien à Radio-Canada, ainsi qu'aux autres institutions fédérales vitales pour le
Canada.

Quelle différence par rapport à la situation actuelle, où le gouvernement conservateur
impose, coup sur coup, des coupes draconiennes à Radio-Canada, lesquelles ne sont
pas tant motivées par des considérations financières que par la volonté idéologique, fort
répandue chez les Conservateurs, de démanteler cette institution publique.

Face aux incessantes ponctions de crédits parlementaires, Radio-Canada n'a d'autre
choix que de courir de plus en plus après les revenus publicitaires. Mais elle n'est pas la
seule à convoiter cette manne : avec quelque 742 canaux en concurrence, le marché
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de la publicité est plus fractionné que jamais; et de plus en plus, acheteurs et
concepteurs de publicité migrent vers l’Internet et les services numériques.

En une décennie, les revenus qui proviennent du numérique ont rattrapé les revenus de
publicité de la télévision traditionnelle, et ils sont en voie de les dépasser. Grâce à
l’intégration verticale des entreprises, laquelle est très poussée au Canada, les
conglomérats privés peuvent effectuer des fusions et acquérir des entreprises
directement engagées dans l’économie numérique. Mais ces schèmes d’acquisition
n’entrent pas dans le mandat du diffuseur public.

Radio-Canada ne peut plus vivre dans la hantise des coupes budgétaires qui, année
après année, l'obligent à un rapiéçage à courte vue.

Il va sans dire que si les Canadiens élisent un gouvernement libéral en 2015, celui-ci ne
manquera pas de s'imposer une discipline financière à toute épreuve. Cependant, cette
discipline sera fondée sur des données fiables et impartiales, et non sur des obsessions
idéologiques comme celles du gouvernement conservateur contre Radio-Canada.
Parmi ces données, nous tiendrons compte, nous, du fait que les coupes effectuées par
le gouvernement Harper ont gravement réduit l'aptitude de la Société Radio-Canada à
remplir son mandat, alors même qu'elle réfléchit aux moyens de réaligner ses modèles
opérationnels pour s'adapter aux exigences de programmation et de consommation du
XXIè siècle.

Pour que notre vision se réalise, celle d’une Société Radio-Canada qui soit en mesure
de jouer son rôle vital, le Parti libéral du Canada propose les sept orientations
suivantes :

   1. L’indépendance. il doit être clair et sans équivoque que le diffuseur public doit
      pouvoir exercer son mandat indépendamment du gouvernement du jour. Après
      que le gouvernement Harper ait peuplé le Conseil d’administration de Radio-
      Canada de donateurs conservateurs dont la connaissance de la radio-
      télédiffusion est parfois discutable, il est crucial de réaffirmer l'indépendance du
      radiodiffuseur public. Vous avez vu que Justin Trudeau s’est engagé à instaurer
      un processus de nomination indépendant et non partisan pour les Sénateurs : le
      même esprit de réforme l’anime pour toutes les institutions fédérales, y compris
      Radio-Canada. Il faudra revoir le système de nomination des directeurs et du
      président-directeur général, afin de s’assurer de leur indépendance et de leur
      compétence. De plus, il faudra restaurer l’autonomie administrative de Radio-
      Canada en matière de relations de travail, mise à mal par le gouvernement
      conservateur.
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2. Le mandat. Un Protocole d’entente avec la Société Radio-Canada établira
   clairement les objectifs que le diffuseur public devra atteindre avec le
   financement qui lui sera octroyé. Nous nous inspirerons du modèle de la BBC
   pour maintenir la distinction étanche entre la détermination des objectifs, qui
   engage le politique, et leur réalisation, qui relève de l’indépendance de la Société
   d’État. Il va de soi que ce Protocole garantira la pluralité des points de vue et les
   plus hauts critères de rigueur et d’impartialité journalistique. Le Protocole tiendra
   compte de la spécificité des marchés francophones et anglophones, qui ont des
   contextes, des dynamiques et des succès qui leur sont propres.

3. La planification. Ce Protocole d’entente donnera à Radio-Canada les moyens
   d'une planification adéquate, grâce à un financement pluriannuel, stable et
   prévisible, probablement sur un horizon de cinq ans.

4. Le financement. Il faut réinvestir dans Radio-Canada. Combien ? Il est trop tôt
   pour donner un nombre précis car on ne sait pas encore dans quel état les
   Conservateurs laisseront les finances publiques, eux qui se sont donné pour
   mission d’engager tout surplus budgétaire avant le déclenchement des élections.
   Mais je peux citer les paroles de Justin Trudeau, prononcées devant la Chambre
   de commerce et d’industrie de Québec le 15 octobre dernier à propos du
   financement de Radio-Canada : « Plutôt que de couper dans ses services, nous
   devrions investir et rendre cette institution encore plus forte. » En outre, nous
   sommes conscients que le diffuseur public ne doit pas dépendre excessivement
   des revenus publicitaires pour remplir sa mission. La quête effrénée de revenus
   publicitaires par les chaînes dites « de base » a un effet pervers et débilitant sur
   les décisions de programmation.

5. Le contenu canadien. Il devra être prépondérant. Il devra être varié, pour
   répondre aux besoins des divers publics canadiens. Nous n'oublierons pas
   l’importance du diffuseur public pour les communautés de langue officielle en
   milieu rural et urbain, pour qui Radio-Canada est souvent la seule source
   d'information locale dans leur langue.

6. L’imputabilité. Un système d’imputabilité crédible, transparent et efficace doit
   permettre de vérifier si l’argent des contribuables a été bien employé et si les
   objectifs du Protocole d’entente ont été atteints. Le CRTC et le Vérificateur
   général seront mis à contribution pour garantir la rigueur et l’indépendance de ce
   système d’imputabilité.
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    7. La législation. Il faut revoir la loi sur la radiodiffusion. N'ayant pas changé
       depuis 1991, elle ne reflète plus la réalité médiatique du XXIè siècle : elle ne fait
       même pas mention du numérique ! Tiens, voilà un sujet complexe et passionnant
       qui mériterait une autre conférence.

Voilà donc les sept orientations que proposent Justin Trudeau et le Parti libéral du
Canada envers Radio-Canada. Elles sont fondées sur une vision qui voit dans le
Canada un pays qui ne saurait se passer d’un diffuseur public de qualité, vigoureux,
éveillé, objectif, créatif et indépendant.

C'est une vision de l’avenir qui se fonde sur une véritable compréhension du passé,
d’un sens de l’histoire. Cela m’amène à conclure mes propos comme un Québécois qui
parle à des Québécois.

Fernand Dumont a écrit : « La Révolution tranquille fut d'abord une révolution culturelle
».2 Et pour Louis Balthazar, Radio-Canada a « pavé la route à la Révolution tranquille
»3, au même titre que l'Office national du film et le Conseil des arts du Canada.

Nous ne devons jamais oublié que Radio-Canada, « premier organisme culturel du
Québec à ne pas être contrôlé par le clergé »4 fut, comme l’a dit Marcel Dubé, à la
source du rajeunissement intellectuel et de l'essor des arts et des lettres observés au
Québec.5

Certes, le Québec a beaucoup évolué. Nous sommes devenus une société beaucoup
plus pluraliste, ouverte au monde et qui s'abreuve à une infinité de sources
d’information et de divertissement. Mais comme il le fut hier, Radio-Canada est
aujourd’hui pour nous un phare, un ancrage, un tremplin. C’est pour cela, entre autres,
que nous aimons Radio-Canada. C'est pour cela que nous croyons en son avenir,
avenir que nous voulons durable et brillant.

2
  Fernand Dumont, Le sort de la culture, Montréal, l'Hexagone, 1987, p. 305.
3
  « Quebec and the Ideal of Federalism », dans : M. Fournier, M. Rosemberg et D. Whyte (eds.), Quebec
Society, Critical Issues, Scarborough, Prentice Hall, 1997, p. 46-47.
4
  Louis Balthazar, « Aux sources de la Révolution tranquille : continuité rupture, nécessité », in M. R.
Lafond (sous la dir.) La Révolution tranquille 30 ans après, qu'en reste-t-il ? Hull (Québec), Éditions de
Lorraine, 1992, p. 94.
5
  Marcel Dubé, « Dix ans de télévision », Cité libre, 48, (juin-juillet) 1962, p. 24-25.
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