Intransitivité scindée, passif adversatif et sujet explétif en vietnamien - Brill
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Intransitivité scindée, passif adversatif et sujet explétif en vietnamien Huy Linh Dao* 1. INTRODUCTION La notion de l’intransitivité scindée prend sans doute sa source dans les travaux typologiques traitant de l’alignement1 d’un terme généralement désigné comme S (et qui est défini comme l’unique argument des verbes sémantiquement monovalents), avec les termes nucléaires d’une construction transitive prototypique, à savoir A(gent) et P(atient). S peut donc être aligné avec (i.e. avoir les mêmes caractéristiques de codage formel que) A ou P. Ces possibilités d’alignement permettent de distinguer2 deux types de langues : les langues à alignement accusatif (appelées aussi langues nominatives-accusatives) et les langues à alignement ergatif (appelées aussi langues ergatives-absolutives). Dans le premier type de langues (S est aligné avec A), le sujet des verbes intransitifs (S) et celui des verbes transitifs prototypiques (A) sont tous deux au nominatif, alors que l’objet des verbes transitifs prototypiques (P) est marqué à l’accusatif. Dans le deuxième type de langues (S est aligné avec P) la situation est inversée : le sujet des transitifs prototypiques (A) est marqué à l’ergatif, contrairement au sujet des verbes intransitifs (S) qui, tout comme l’objet des transitifs prototypiques (P), est à l’absolutif. Dans son acception la plus générale et la plus neutre, l’intransitivité scindée réfère donc aux situations dans lesquelles les verbes apparaissant dans les constructions intransitives sont divisés en deux classes, selon que leur unique argument est aligné avec l’un ou l’autre terme nucléaire des constructions transitives (cf. Creissels 2006). L’idée de l’hétérogénéité de la classe des verbes intransitifs et de la subdivision de cette dernière en deux sous-groupes se trouve reprise et introduite par Perlmutter (1978), dans le cadre de la Grammaire Relationnelle, sous le nom de l’Hypothèse Inaccusative. Elle a été ensuite développée par Burzio (1986), à * Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. Courriel : dao.huy.linh@gmail.com 1 Cf. Comrie 1989, Dixon 1994, Lazard 1994, pour n’en mentionner que les plus connus. 2 Il s’agit bien entendu d’une tendance typologique et il conviendrait de parler de langues à alignement ergatif prédominant et de langues à alignement accusatif prédominant. En réalité, les situations observables dans des langues diverses sont bien plus complexes (pour une discussion plus approfondie, voir Creissels 2008 et les références qui y sont citées). Ainsi S peut-il aussi manifester des caractéristiques de codage différentes à a fois de A et de P, donnant lieu au type d’alignement dit tripartite. Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
56 Huy Linh Dao l’intérieur de la théorie du Gouvernement et du Liage. L’Hypothèse Inaccusative distingue les verbes inergatifs d’un côté et les verbes inaccusatifs3 de l’autre. Cette scission repose essentiellement sur le comportement syntaxique et sémantique de l’unique argument d’un verbe intransitif donné. Plus précisément, les verbes inergatifs prennent pour sujet un Agent prototypique et représentent des actions volitionnelles de leur sujet. A l’inverse, le sujet des verbes inaccusatifs est un Patient prototypique et ces verbes dénotent des événements non volitionnels. Pour ces mêmes auteurs, le sujet des inaccusatifs est un objet en structure sous-jacente et n’occupe la position de sujet qu’en structure de surface. Si cette hypothèse semble avoir trouvé sa confirmation dans quantité de travaux effectués sur des langues particulières ou dans une perspective translinguistique (cf. Burzio 1986, Zribi-Hertz 1987, Legendre 1988, Van Valin 1990, Levin & Rappaport Hovav 1995, Alexiadou et al. 2004, inter alia), aucune recherche systématique n’a été, à notre connaissance, menée sur le vietnamien, exception faite de la contribution de Duffield (2011) qui, malgré la discussion centrée sur l’opposition inergatif/inaccusatif dans des constructions causatives de cette langue, prend pour acquise une telle distinction sans en apporter pour autant une démonstration explicite. On pourrait alors se demander jusqu’à quelle mesure l’Hypothèse Inaccusative se vérifie dans une langue isolante comme le vietnamien et quelles constructions spécifiques permettent de mettre en évidence cette intransitivité scindée. Dans le cadre de cet article, nous tenterons de montrer que cette bipartition au sein de la classe des intransitifs s’observe effectivement dans cette langue et que l’appartenance d’un verbe intransitif donné à une des deux sous-classes n’est pas entièrement encodée dans le lexique mais se définit pour une grande partie au niveau des structures syntaxiques dans lesquelles il peut être inséré. Pour ce faire, après un bref rappel, dans la section 2, des principales caractéristiques des verbes inergatifs et inaccusatifs, nous proposons une série de tests afin d’étayer cette division en vietnamien, l’accent étant mis sur deux nouvelles observations empiriques, à savoir que (i) le marqueur du passif adversatif bị semble n’être compatible qu’avec les inaccusatifs ; (ii) ceux-ci peuvent apparaître en présence du sujet impersonnel nó alors que les inergatifs 3 Certains auteurs comme Burzio (op.cit.) utilisent le terme «ergatifs» pour désigner ce type de verbes. La distinction inaccusatif/inergatif est basée sur le contraste suivant : (i) Ergativité (Inaccusativité) : le sujet des verbes intransitifs correspond à l’objet des verbes transitifs : a. [The door] opened. b. John opened [the door] Patient Patient (ii) Inergativité : le sujet des verbes intransitifs correspond au sujet des verbes transitifs a. [John] sang. b. [John] sang a lullaby Agent Agent (Exemples tirés de Kuno & Takami 2004 : 7) Le verbe open est un verbe à alternance causative (voir Haspelmath 1993, Levin & Rappaport Hovav 1995). Perlmutter (1978) et Perlmutter & Postal (1984) rangent également dans la classe des inaccusatifs les verbes simples (i.e. dépouvus de contrepartie causative transitive) qui prennent un sujet non-agentif, tels que happen, exist, appear, occur, etc. Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
Intransitivité scindée, passif adversatif et sujet explétif en vietnamien 57 sont exclus de cette configuration. Dans la section 3, nous tenterons de défendre l’hypothèse que les notions de changement d’état et de résultativité jouent un rôle important dans la distinction inergatif/inaccusatif en vietnamien et que la notion de l’inaccusativité devrait être définie en termes du prédicat et donc élargie à l’ensemble du groupe verbal. Pour cela, nous examinerons a) quelques verbes intransitifs dénotant des manières de mouvement et b) certains prédicats statifs (verbes de qualité correspondant aux adjectifs d’une langue comme le français). Ces deux types de prédicats, quand ils sont enrichis de matériels lexicaux spécifiant l’état résultant final dans lequel se trouve leur unique argument, peuvent se comporter syntaxiquement comme les inaccusatifs de base, en vertu des tests avancés dans la première partie. La présente étude se veut avant tout descriptive. Elle s’appuie sur des faits de langue explicites, i.e. des données empiriques pertinentes et vise à établir un lien, lien que nous espérons correct, entre plusieurs phénomènes jusqu’ici ignorés ou déjà abordés mais sous des aspects différents dans la littérature réservée à ce sujet. La plupart des constructions exposées ici et qui servent d’arguments à notre hypothèse ont déjà fait l’objet d’importants travaux. Nous ne pouvons donc nous contenter d’en présenter que l’essentiel. Enfin, la dimension typologique, qui nous semble extrêmement souhaitable et bénéfique, ne sera touchée qu’à dose homéopathique, la visée principale étant d’avancer une description raisonnée des phénomènes observés en vietnamien. 2. QUELQUES ARGUMENTS EN FAVEUR DE L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE EN VIETNAMIEN 2.1. Principales caractéristiques des verbes inergatifs et inaccusatifs L’extrême abondance de la littérature dévolue à cette dichotomie rendant toute tentative de récapitulation ici délicate et nécessairement déficiente, nous nous bornons à résumer dans le tableau ci-dessous les principales propriétés qui séparent les inergatifs des inaccusatifs. Il convient de noter que les recherches conduites dans le cadre des travaux adoptant l’Hypothèse Inaccusative sont, en effet, allées au-delà du débat initial, centré sur les différents comportements syntaxiques et sémantiques de l’unique argument4 d’un verbe intransitif donné, en établissant un lien entre la sous-classe à laquelle appartient ce dernier et les propriétés aspectuelles (lexicales) du groupe verbal qu’il forme avec son argument (cf. Tenny 1994, Alexiadou et al. 2004, Borer 2005, Abraham 2011). Les verbes inergatifs se distinguent des verbes inaccusatifs sur deux points. D’abord, l’unique argument des premiers est souvent un Agent prototypique alors que celui des derniers est un Patient prototypique. Du point de vue syntaxique, cet argument se comporte comme le sujet agentif d’un verbe transitif prototypique dans le cas des inergatifs et comme un objet dans le cas des inaccusatifs. Sur le plan aspectuel, les verbes inergatifs dénotent généralement 4 La distinction inergatif/inaccusatif dépasse le cas des verbes mono-argumentaux et la discussion a été étendue aux prédicats dyadiques (cf. Belletti & Rizzi 1988, Landau 2010) et au domaine adjectival (Cinque 1990, Bennis 2004, Anscombre 2005, Tayalati 2008). Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
58 Huy Linh Dao des procès atéliques, non délimités temporellement et correspondent à la classe des verbes d’activité dans la quadripartition aspectuelle de Vendler (1957/1967). La classe des inaccusatifs semble plus hétéroclite : même si la plupart de ses membres dénotent des procès téliques, pourvus d’une borne finale intrinsèque, certains inaccusatifs sont atéliques (comme les verbes d’existence par exemple). Inergatif Inaccusatif Rôle sémantique Proto-agent5 Proto-patient Argument unique Sujet d’un verbe Objet d’un verbe Comportement syntaxique transitif transitif (=Argument (= Argument6 externe) interne) (A)télique7 Aspect lexical (Aktionsart) Atélique (Etats, achèvements, (Classes aspectuelles) (Activités) accomplissements) Tableau 1 : Principales caractéristiques des verbes inergatifs et inaccusatifs 2.2. Inaccusativité versus Inergativité en vietnamien : quelques arguments empiriques Dans ce qui suit, nous passons en revue quelques tests syntaxiques permettant de distinguer les verbes inaccusatifs des verbes inergatifs en vietnamien. Selon Alexiadou et al. (2004), les tests servant à diagnostiquer l’inaccusativité sont propres à chaque langue8. Les critères avancés ci-après laissent penser que le 5 Les étiquettes Proto-agent et Proto-patient sont dues à Dowty (1991) qui propose un système des rôles sémantiques définis non pas comme des entités discrètes dont la distribution respecte une certaine hiérarchie mais comme des faisceaux d’implications lexicales. Il existe donc deux Proto-rôles sémantiques : Proto-Agent et Proto-Patient. Les autres rôles sémantiques se définissent en fonction du nombre et du type des traits lexicaux qu’ils possèdent par rapport aux deux Proto-rôles. Une idée similaire, basée sur les Macro-rôles sémantiques, a été proposée par Van Valin (1990). 6 L’argument sujet d’un verbe transitif est considéré comme ne faisant pas partie du groupe verbal formé par le verbe et son objet. Ce dernier est donc interne au groupe verbal, à la différence de l’argument sujet qui lui est externe. 7 Les inaccusatifs statifs qui dénotent des états comme exister, rester, etc. sont atéliques. Pour Abraham (1986, 2010, 2011), c’est le paramètre sémantique de perfectivité qui constitue la propriété principale des verbes inaccusatifs, contra van Hout (2004) qui suggère que c’est la télicité qui est la composante centrale dans la distinction inergatif/inaccusatif. 8 Parmi les tests les plus fréquemment évoqués figurent le choix de l’auxiliaire au parfait (pour les langues qui sont dotées de deux auxiliaires distincts), la cliticisation en en, l’emploi épithète du participe passé, la compatibilité du participe passé dans les participiales, la passivation impersonnelle, entre autres (voir à ce propos Levin & Rappaport Hovav 1995, Legendre 1988, Legendre & Sorace 2003, Sorace 2000, Alexiadou et al. 2004, inter alia). Beaucoup de ces tests ont été remis en question et de Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
Intransitivité scindée, passif adversatif et sujet explétif en vietnamien 59 vietnamien encode l’inaccusativité de manière explicite (cf. overt split intransitivity, selon les termes de Creissels 2008 :142) ou cachée (covert split intransitivity, ibid.). 2.2.1. Positionnement de l’argument unique : Le vietnamien étant une langue isolante à ordre SVO, le sujet d’une construction transitive prototypique précède le verbe et les marqueurs préverbaux de TAM (Temps-Aspect-Modalité) alors que l’objet canonique suit ces derniers. Dans l’exemple (1), le syntagme nominal (SN) xe ‘la voiture’ est l’objet direct du verbe rửa ‘laver’ et est réalisé postverbalement. Le SN sujet Paul est antéposé au verbe lui-même précédé du marqueur TAM vừa. Du côté des verbes intransitifs, l’unique argument nominal d’un verbe inaccusatif peut se trouver dans une position préverbale ou postverbale (ex. 2 et 3), alors que celui d’un verbe inergatif ne peut apparaître que préverbalement (ex. 4, 5) : (1) Paul vừa rửa xe sáng nay. Paul REC laver voiture matin présent «Paul a lavé la/sa voiture ce matin» (2) a. Chuyện gì đã xảy ra thế ? Histoire quoi PERF9 se passer PART-INTER b. Đã xảy ra chuyện gì thế ? PERF se passer histoire quoi PART-INTER «Qu’est-ce qui s’est passé ?» (3) a. Nhà cháy rồi kìa ! Maison brûler PERF DEICT b. Cháy nhà rồi kìa ! Brûler maison PERF DEICT «(Regarde), la maison a brûlé !» (4) a. Thằng kẻ trộm chạy rồi kìa ! Voleur courir PERF DEICT b. *Chạy thằng kẻ trộm rồi kìa ! Courir voleur PERF DEICT «(Attention), le voleur s’est sauvé/a couru !» (5) a. Paul đã nhảy/hát/hò hét suốt đêm. Paul PERF danser/chanter/hurler durant nuit b. *Đã nhảy/hát/hò hét Paul suốt đêm. PERF danser/chanter/hurler Paul durant nuit «Paul a dansé/chanté/hurlé toute la nuit» nombreux auteurs ont essayé de montrer leurs limites (voir Kuno & Takami 2004, Creissels 2008, pour une discussion critique des tests d’inaccusativité avancés dans la littérature générative). 9 Abréviations : 1SG : 1ère personne, singulier ; 2SG : 2ème personne, singulier ; 3SGFEM : 3ème personne, singulier, féminin ; CL : classificateur ; COP : copule ; DEICT : déictique ; EXP : aspect expérientiel ; EXPL : explétif ; GEN : génitif (cas) ; LOC : locatif ; NEG : négation ; NOM : nominatif (cas) PART-INTER : particule interrogative ; PERF : aspect perfectif ; PL : pluriel ; POSS : possession ; PROG : aspect progressif, REC : passé récent. Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
60 Huy Linh Dao Dans (2), le syntagme interrogatif chuyện gì ‘quelle histoire/quoi’ est en position préverbale dans la phrase (a) mais peut être postposé au verbe xảy ra ‘se passer’, comme dans la phrase (b). L’exemple (3) nous mène à la même conclusion concernant l’argument unique du verbe cháy ‘brûler’ (intr.) : le SN nhà ‘la maison’ jouit d’une certaine mobilité quant à son positionnement par rapport au verbe cháy ‘brûler’. Il peut soit le précéder (3a) soit le suivre (3b). La possibilité d’occuper la position postverbale pour l’unique argument des verbes comme xảy ra ‘se passer’ ou cháy ‘brûler’ (intr.), qui sont clairement non agentifs, permet de le rapprocher de l’objet d’un verbe transitif ordinaire. A l’inverse, les verbes tels que chạy ‘courir/se sauver’, nhảy ‘danser’, hát ‘chanter’, hò hét ‘hurler’ dans les exemples (4-5), sélectionnent tous un sujet agentif et volitionnel, à savoir les SN thằng kẻ trộm ‘le voleur’ et Paul respectivement. Ceux-ci sont réalisés uniquement dans la position préverbale (4a- 5a), et sont exclus de la position postverbale, comme le montre l’agrammaticalité des phrases (4b) et (5b). Ils manifestent donc un comportement syntaxique typiquement associé au sujet d’un verbe transitif ordinaire en vietnamien. 2.2.2. Extraction du noyau nominal d’un SN quantifié : En vietnamien, il est possible d’extraire le noyau nominal d’un SN complexe en position postverbale et de l’antéposer au verbe, laissant derrière le matériel lexical restant. Cette situation s’observe avec les verbes inaccusatifs (ex. 6). Une telle opération syntaxique conduit cependant à l’agrammaticalité dans le cas des inergatifs (ex. 7). (6) a. Trước đây, ở trang trại này từng chết Avant DEICT LOC ferme DEICT EXP mourir hàng chục con bò. PL dix CL bœuf b. Trước đây, ở trang trại này bò từng Avant DEICT LOC ferme DEICT bœuf EXP chết hàng chục con. mourir PL dix CL «Avant, dans cette ferme, il est arrivé que des dizaines de bœufs soient morts» (7) a. Năm người bạn đang sôi nổi thảo luận Cinq CL ami PROG vivement discuter trước cửa thư viện. devant porte bibliothèque b. *Bạn năm người đang sôi nổi thảo luận Ami cinq CL PROG vivement discuter trước cửa thư viện. devant porte bibliothèque «Cinq amis sont en train de discuter vivement devant la bibliothèque» Dans (6a), l’unique argument nominal du verbe chết ‘mourir’, à savoir le SN complexe hàng chục con bò ‘des dizaines de bœufs’, apparaît en position postverbale. Le noyau de celui-ci, en l’occurrence le nom bò ‘bœuf’, est extrait Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
Intransitivité scindée, passif adversatif et sujet explétif en vietnamien 61 de l’ensemble et précède le verbe dans (6b). Le caractère mal formé de (7b) suggère que l’extraction, illicite avec un verbe agentif comme thảo luận ‘discuter’, n’est possible qu’à partir de la position d’objet. Il est à noter en effet que le SN complexe argument de chết ‘mourir’ peut aussi être réalisé dans son intégralité dans la position préverbale mais que l’extraction depuis ce site est difficile, voire impossible : (6’) *Trước đây, ở trang trại này bò Avant DEICT LOC ferme DEICT bœuf hàng chục con từng chết PL dix CL EXP mourir «Avant, dans cette ferme, il est arrivé que des dizaines de bœufs soient morts» 2.2.3. Construction à possesseur externe : Dans de nombreuses langues du monde, le possesseur de l’argument sujet ou de l’argument objet d’un verbe peut être exprimé sous la forme d’un constituant séparé (syntagme prépositionnel (SP) ou clitique datif par exemple) et se comporte comme un argument de ce verbe, même s’il n’est pas sous-catégorisé (i.e. qu’il n’est pas sélectionné ou appelé) par la valence de base du verbe). Ce type de construction, parallèle à celle où le possesseur est réalisé interne au groupe nominal (sous la forme d’un complément du nom, introduit par une adposition ou signalé par des marqueurs spécifiques comme des affixes casuels ou des déterminants possessifs, entre autres10), est connue sous l’étiquette de «possession externe» (cf. Payne & Barshi 1999 et références qui y sont citées11). A titre illustratif, nous produisons ci-dessous quelques exemples français (cf. Guéron 1985, 2006, Lamiroy 2003) : (8) a. Il prend mon bras. (possesseur interne au SN) b. Il prend la main à la petite fille. (possesseur externe sous forme d’un SP plein) c. Il lui prend la main. (possesseur externe sous forme de clitique datif) (9) a. Max a tordu le bras à Luc. (possesseur externe sous forme d’un SP plein) b. Max lui a tordu le bras. (possesseur externe sous forme de clitique datif) Chappell (1999), dans son étude typologique portant sur plusieurs langues sinitiques, fait observer que la construction qu’elle appelle Double Unaccusative, schématisée sous (10), ne peut prendre comme noyau prédicatif qu’un verbe inaccusatif (ex.11). Cette tournure, qui s’observe aussi en vietnamien, exclut systématiquement les inergatifs (ex.12 et 13). Elle comporte deux SN qui entretiennent entre eux une relation de type tout/partie ou de parenté (possession 10 La littérature sur l’expression de la possession est extrêmement abondante, voir à ce sujet McGregor (2010). 11 On pourra également consulter Chappell & McGregor (1996), ou König & Haspelmath (1998), Haspelmath (1999) pour une discussion plus détaillée de ce type de construction dans les langues d’Europe ; Lamiroy (2003) pour les domaines roman et germanique. Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
62 Huy Linh Dao inaliénable), le premier étant le plus souvent interprété comme le possesseur du second : (10) SN1 VINACC SN2 POSSESSEUR/TOUT POSSESSUM/PARTIE/TERME DE PARENTÉ (11) a. Cái cây này rụng nhiều lá thật ! CL arbre DEICT tomber beaucoup feuille vraiment «Cet arbre a vraiment perdu beaucoup de feuilles» «Litt. (De) cet arbre sont tombées beaucoup de feuilles» b. Anh chàng này gẫy cả hai tay. Jeune homme DEICT se casser tout deux bras «Ce jeune homme s’est cassé les deux bras» (12) a. * Anh chàng này hét cổ họng. Jeune homme DEICT hurler gorge b. * Anh chàng này cổ họng hét Jeune homme DEICT gorge hurler «#La gorge de ce jeune homme a hurlé/ce jeune homme a hurlé sa gorge» (13) a. * Anh chàng này bước chân Jeune homme DEICT marcher pied b. * Anh chàng này chân bước. Jeune homme DEICT pied marcher «#Les pieds de ce jeune homme marche/ce jeune homme marche ses pieds» Dans (11a), le SN préverbal cái cây này ‘cet arbre’ entretient une relation holonymique avec le SN postverbal lá ‘feuille’. Le verbe rụng ‘tomber’ est un verbe intransitif de type inaccusatif dont le seul argument sémantique est le SN postverbal (ce sont les feuilles qui tombent, pas l’arbre12), ce que nous montre le contraste suivant : (11) a’. *Cái cây này rụng ! CL arbre DEICT tomber «Cet arbre est tombé» a’’. lá rụng nhiều thật ! feuille tomber beaucoup vraiment «Beaucoup de feuilles sont tombées» a’’’. rụng nhiều lá thật ! tomber beaucoup feuille vraiment «Beaucoup de feuilles sont tombées» 12 Pour exprimer l’événement l’arbre est tombé, le vietnamien recourt à un autre verbe lexical, đổ ‘tomber’ (arbre, pluie, etc.). Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
Intransitivité scindée, passif adversatif et sujet explétif en vietnamien 63 L’exemple (11a’’’) nous montre que le SN lá ‘feuille’, argument sémantique du verbe rụng ‘tomber’, peut suivre ce dernier, occupant la position normalement réservée à l’objet des verbes transitifs en vietnamien (voir § 2.2.1 supra). Le même raisonnement peut s’appliquer à la phrase (11b) dans laquelle les deux SN anh chàng này ‘ce jeune homme’ et hai tay ‘deux bras’ sont reliés l’un à l’autre par une relation de possession inaliénable. Le SN possesseur anh chàng này ‘ce jeune homme’, en position préverbale, n’est pas l’argument sémantique du verbe gẫy ‘casser/se casser’ mais semble être ajouté à la phrase par un lien sémantique non directement dépendant du sémantisme de ce verbe (cf. La notion de extra- thematic licensing de Shibatani 1994). Chappell (op.cit.) analyse le SN postverbal comme le vrai sujet (il s’agit de l’argument Proto-patient) du verbe inaccusatif alors que le SN préverbal est un experiencer de l’événement décrit par le verbe et son argument Patient. Une idée similaire se trouve également chez Hole (2004, 2006) qui, dans sa discussion basée principalement sur des données de l’allemand, de l’anglais et du chinois, parle d’extra-argumentality. Selon son analyse, le SN préverbal est un extra-argument, non nucléaire, non sélectionné par le verbe, auquel il attribue l’étiquette thématique d’affectee, i.e. l’individu qui est affecté par l’événement dénoté par le groupe verbal formé du verbe et de son argument Patient. Les phrases (11) contrastent avec (12-13) où les verbe hét ‘hurler’ et bước ‘marcher’, verbes intransitifs sélectionnant des agents prototypiques et décrivant des actions volitionnelles, n’autorisent pas la construction à possesseur externe. Comme nous l’indique l’inacceptabilité de (12) et (13), la phrase entière est agrammaticale même si entre les deux SN il y a bel et bien une relation de possession inaliénable (anh chàng này ‘ce jeune homme’ et cổ họng ‘gorge’ dans (12) ; anh chàng này ‘ce jeune homme’ et chân ‘pieds’ dans (13)). L’idée qu’en vietnamien, les verbes inaccusatifs, à la différence des verbes inergatifs, permettent l’extra-argumentalité13, rejoint les observations faites par Borer & Grodzinsky (1986) pour l’hébreu et d’autres langues (cf. Guéron 2006). La possession externe14 nous rappelle le phénomène d’extraction abordé dans la section précédente (§ 2.2.2), dans le sens où le SN1 (possesseur) semble 13 Selon Chappell (op.cit.), la construction à possesseur datif est acceptable en allemand pour les verbes inergatifs. Il semble que les langues ne présentent pas le même degré de restriction quant à la possession externe (cf. Lamiroy 2003). De ce point de vue, il apparaît que le vietnamien est plus strict et plus contraignant dans la mesure où dans cette langue, la construction à possesseur externe ne se rencontre qu’avec des verbes inaccusatifs mais est exclue avec les verbes inergatifs et transitifs. 14 Nous n’abordons pas ici un autre sous-type des constructions à possesseur externe, connu sous le nom de «construction à double sujet» et qui semble extrêmement répandu en chinois, en vietnamien, en japonais et en coréen (cf. construction à double nominatif) : (i) Bố tôi tóc bạc cả. (construction à double sujet) père 1SG cheveu blanc complètement ‘Mon père a les cheveux tout blancs/les cheveux de mon père sont tout blancs’ Ce type de construction diffère de la Double Unaccusative Construction discutée ci- dessus en ce qu’elle comporte souvent un prédicat statif (qui dénote en général des qualités ou des propriétés). Le premier SN s’interprète comme le possesseur du second et Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
64 Huy Linh Dao former avec le SN2 (possessum) un SN complexe fonctionnant comme l’unique argument du verbe inaccusatif15, dans lequel le SN1 est syntaxiquement intégré au SN2. La situation est pourtant inversée ici, car le vrai argument du verbe reste dans la position postverbale alors que dans le cas de l’extraction, il est réalisé préverbalement. 2.3. Inaccusativité, passif adversatif et sujet explétif 2.3.1. Inaccusativité et le marqueur du passif adversatif bị en vietnamien : Nous tenterons de montrer dans cette section que le mot bị, qui sert à former le passif16 adversatif en vietnamien, peut être qualifié de marqueur potentiel de l’inaccusativité dans cette langue. Selon les grammaires vietnamiennes (Thompson L.E. 1965/1991, Trương V.C. 1970, Uỷ ban Khoa học Xã hội Việt Nam 1983, Nguyễn Đ. H. 1997, Diệp 2005, inter alia), le passif vietnamien est formé au moyen de deux marqueurs spécifiques : bị et được17. Tous deux sont étymologiquement issus des mots chinois bèi et dé dont ils gardent le sens lexical (Alves 1998) : bị signifiant ‘subir’ et được ‘obtenir’. Il convient de noter que contrairement au marqueur chinois bèi, qui s’est grammaticalisé en marqueur du passif (Givón 2009), bị et được ont des emplois lexicaux (comme verbes pleins) et modaux (comme marqueurs de TAM) (cf. Clark 1971, Alves 1998, Diệp 2005, Simpson & Hồ 2008, Nguyễn H. C. 2009, Dao 2009, inter alia), non partagés par le bèi chinois. Du point typologique, le passif vietnamien, tout comme le passif thaï (thùuk voulant dire ‘toucher’), a donc pour origine verbale (voir Siewierska 1984, Keenan & Dryer 2007, entre autres). Diachroniquement parlant, les constructions passives en vietnamien résultent sans doute de la réanalyse d’une construction tous deux sont réalisés préverbalement. A ce propos, on pourra consulter Li & Thompson 1976, et pour le vietnamien, Cao (2004) et Diệp (2005). 15 Une telle situation est attestée, étant donné la grammaticalité des variantes «non discontinues» de (11a-b) : (i) Lá cái cây này rụng nhiều thật (= 11a) Feuille CL arbre DEICT tomber beaucoup vraiment «Les feuilles de cet arbre sont beaucoup tombées !» (ii) Hai tay anh chàng này gẫy cả. (=11b) Deux bras jeune homme DEICT casser tout «Les deux bras de ce jeune homme se sont cassés» 16 Les lecteurs intéressés seront invités à consulter les travaux les plus récents (et les références qui y sont citées) sur le passif en vietnamien, entre autres, Nguyễn H. C. (2009), Dao (2009, 2010), et Simpson & Hồ (2008) pour une comparaison entre le passif vietnamien et son homologue chinois. 17 Voir Diệp (2005) qui discute de la polyfonctionnalité et du degré de grammaticalisation de ces marqueurs. Dao (2009) suggère qu’ils sont à un stade de grammaticalisation moins avancé que leurs homologues chinois bèi et thaï thùuk qui semblent connaître une désémantisation plus ou moins complète, conduisant à la neutralisation du sens adversatif des phrases passives (cf. Givón 2006, 2009, pour le bèi du chinois ; Prasithrathsint 2001et travaux subséquents pour le thùuk du thaï). Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
Intransitivité scindée, passif adversatif et sujet explétif en vietnamien 65 verbale en série dont bị et được sont les premiers éléments (via le processus que Givón (2009) appelle clause union). L’opposition sémantique entre ces deux marqueurs (adversatif pour bị ‘subir quelque chose de désagréable et préjudiciable’ et non adversatif/bénéfactif pour được ‘obtenir une faveur, quelque chose d’avantageux’) a des répercussions sur le type de phrase passive qu’ils servent à construire. Ainsi le sujet de la phrase passive marquée avec bị (14), le SN Paul, est-il interprété comme un détrimentaire, adversativement affecté par l’événement dénoté par le verbe principal de la phrase : (14) Paul bị (mẹ) mắng. Paul BI mère réprimander «Paul a été réprimandé (par sa mère)» A l’inverse, le sujet d’une phrase passive marquée avec được comme dans (15) est vu comme le bénéficiaire de l’événement décrit par le verbe principal : (15) Paul được (mẹ) khen. Paul ĐƯỢC mère féliciter «Paul a été félicité (par sa mère)» Il semble cependant nécessaire que le sémantisme du verbe lexical soit compatible avec celui de bị et được. En effet, si le verbe réprimander dans (14) est en général connoté négativement car il dénote un événement souvent jugé comme allant à l’encontre de l’intérêt du sujet, le verbe féliciter dans (15) a une connotation positive et n’entre donc pas en conflit avec le sémantisme non- adversatif/bénéfactif de được. La combinaison de bị/được avec un verbe dont le sens est incompatible ne produit pas des séquences syntaxiquement mal formées, mais donne lieu à des énoncés sinon bizarres, du moins pragmatiquement très marqués. Dans la suite de cette section, nous nous focaliserons sur bị, le marqueur được, de par son sémantisme propre, étant incompatible avec les verbes intransitifs18. Comme nous le montrent les exemples (16b) et (17b), bị permet de construire, à partir des phrases actives correspondantes (a), deux types19 de passif, à savoir le passif direct et le passif possessif (cf. Siewierska 1984, Huang 1999, 2006 et références citées, Dao 2009, entre autres), où le sujet passif est interprété respectivement comme l’objet direct et le possesseur de l’objet direct du verbe transitif dans les contreparties actives. Ainsi, le SN Paul, qui est l’objet direct du verbe đánh ‘frapper’ et donc l’individu subissant l’action de frapper dans (16a), 18 La cooccurrence de được avec des intransitifs n’entraîne pas l’agrammaticalité mais a pour effet de forcer une lecture modale dans laquelle được a le sens de pouvoir (=être autorisé à faire quelque chose). 19 On distingue en général le passif court (l’agent est absent) du passif long (l’agent est réalisé). Ces patrons syntaxiques constituent un trait aréal et se retrouvent dans l’expression du passif non seulement en chinois et en vietnamien mais également en thaï (Prasithrathsint 2001 et travaux subséquents), et en khmer (cf. Deth Thach & Paillard 2009, Deth Thach 2010). Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
66 Huy Linh Dao est promu à la fonction de sujet de la phrase passive (16b). Le cas de (17) est intéressant, en ce que le SN sujet de la phrase passive (17b) n’est pas l’objet direct du verbe lexical trộm ‘voler’ dans (17a) mais le possesseur du véritable objet direct de ce dernier, à savoir le SN tiền ‘argent’. Le SN possesseur accède à la position de sujet de la phrase passive alors que l’objet direct du verbe lexical reste dans sa position postverbale, phénomène qu’on appelle communément dans les analyses du passif en bèi en chinois «la rétention de l’objet» (cf. Huang 1999) : (16) a. Marie đánh Paul b. Paul bị Marie đánh Marie frapper Paul Paul BI Marie frapper «Marie a frappé Paul» «Paul a été frappé par Marie» (Actif) (Passif direct) (17) a. Paul trộm tiền của Marie (Actif) Paul voler argent POSS Marie «Paul a volé de l’argent à Marie» b. Marie bị Paul trộm tiền (Passif possessif) Marie BI Paul voler argent «Marie s’est fait voler de l’argent par Paul» Selon Burzio (1986), les formes verbales passives sont des constructions intransitives et peuvent être analysées comme un sous-type de verbes inaccusatifs. Cette assimilation repose sur l’analogie structurale que partagent les deux constructions : le sujet préverbal d’un verbe inaccusatif et celui d’une phrase passive ont été l’objet sous-jacent à une étape de la dérivation syntaxique. Il ne serait donc pas étonnant de constater ici les affinités entre le passif formé avec bị et les différents patrons inaccusatifs décrits supra. Ainsi la Construction Inaccusative Double (cf. § 2.2.3) semble-t-elle se rapprocher du passif possessif, dans la mesure où dans les deux cas, le SN préverbal est le possesseur du SN postverbal et que le vrai argument objet est «retenu» dans sa position canonique. La différence la plus évidente réside dans le fait qu’on a affaire à un verbe transitif (sélectionnant un argument Agent) dans le cas du passif possessif et un verbe inaccusatif dans la Construction Inaccusative Double. Les similitudes vont plus loin encore : bị est incompatible avec les inergatifs tels que courir, danser, chanter, dormir, comme en témoigne l’agrammaticalité de (18) : (18) * Pierre bị chạy /nhảy / hát /ngủ rồi. Pierre BI courir/danser/chanter/dormir PERF «Pierre a couru/dansé/chanté/dormi» Ceci contraste fort avec le fait que les inaccusatifs se combinent sans difficulté avec bị20. Observons : 20 Le bèi chinois ne permet pas cette possibilité combinatoire, ce qui est pourtant très fréquent en japonais (Huang 1999). Le passif adversatif dans cette dernière langue peut être construit à partir d’une base inaccusative comme sinu ‘mourir’ (cf. Hoshi 1999, Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
Intransitivité scindée, passif adversatif et sujet explétif en vietnamien 67 (19) a. Nhà cháy rồi kìa ! a’. Nhà bị cháy rồi kìa ! Maison brûler PERF DEICT Maison BI brûler PERF DEICT «(Regarde), la maison a brûlé» b. Cháy nhà rồi kìa. b’. Bị cháy nhà rồi kìa. Brûler maison PERF DEICT BI brûler maison PERF DEICT «(Regarde), la maison a brûlé» L’exemple (19) comporte le verbe inaccusatif cháy ‘brûler’ (intr.) qui permet l’antéposition ou la postposition de son argument unique, le SN nhà ‘maison’ (19a-b). La possibilité d’insérer bị devant les verbes inaccusatifs comme cháy ‘brûler’ (intr.) (par opposition aux verbes inergatifs comme dans (18)) montre que ce marqueur peut servir à distinguer les deux classes de verbes intransitifs. Bị peut également apparaître dans la Construction Inaccusative Double. Considérons les exemples suivants : (20) a. Cái bình của bố tôi vỡ rồi. CL vase POSS père 1SG se-casser PERF a’. Cái bình của bố tôi bị vỡ rồi. CL vase POSS père 1SG BI se-casser PERF «Le vase de mon père s’est cassé/s’est brisé» b. Bố tôi vỡ cái bình rồi. Père 1SG se-casser CL vase PERF b’. Bố tôi bị vỡ cái bình rồi. Père 1SG BI se-casser CL vase PERF «Le vase de mon père s’est cassé/s’est brisé» «Litt. Mon père subit le fait que son vase s’est cassé» L’exemple (20a) illustre une construction à possesseur interne dans laquelle le SN complexe cái bình của bố tôi ‘le vase de mon père’ est l’argument unique du verbe inaccusatif vỡ ‘se casser’ et est réalisé préverbalement. Le SN possesseur bố tôi ‘mon père’ est introduit par le marqueur possessif của. La phrase (20a’), à laquelle on ajoute bị, est vériconditionnellement identique à (20a). (20b) exemplifie, quant à elle, la construction à possesseur externe où le SN possesseur bố tôi ‘mon père’ est en position frontale et le SN possessum cái bình ‘le vase’ suit le verbe. La présence de bị dans (20b’) produit une séquence bien formée, vériconditionnellement identique à (20b) et confirme à nouveau la compatibilité de bị avec les verbes inaccusatifs. Cette observation semble être corroborée par les exemples (21a-b) (cf. ex. 11a et 11b) : (21) a. Cái cây này bị rụng nhiều lá thật ! CL arbre DEICT BI tomber beaucoup feuille vraiment «Cet arbre a vraiment perdu beaucoup de feuilles» «Litt. (De) cet arbre sont tombées beaucoup de feuilles» b. Anh chàng này bị gẫy cả hai tay. Jeune homme DEICT BI se casser tout deux bras «Ce jeune homme s’est cassé les deux bras» Creissels 2006). Voir Matthews, Xu & Yip (2005) qui montre que le morphème k’eʔ du dialecte de Jieyang présente une distribution assez proche du bị vietnamien. Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
68 Huy Linh Dao Nous avons également vu dans § 2.2.2 que l’extraction du noyau nominal à partir d’un SN quantifié complexe est possible seulement avec les inaccusatifs. Le même phénomène s’observe avec le passif en bị. Dans la phrase active (22a), l’objet du verbe transitif giết ‘tuer’, le SN quantifié năm con bò ‘cinq boeufs’, est en position postverbale. Ce SN est promu à la fonction de sujet syntaxique de la phrase passive (22b) marquée avec bị. (22c) nous montre que seul le noyau nominal accède à la position du sujet préverbal, laissant dans la position postverbale le numéral năm ‘cinq’ suivi du classificateur con. C’est exactement ce que nous avons observé avec les inaccusatifs dans la section § 2.2.2. L’extraction du noyau nominal est également possible avec des verbes inaccusatifs auxquels on a ajouté le marqueur bị. En effet, l’argument unique du verbe inaccusatif rách ‘être déchiré’, à savoir le SN quantifié postverbal ba cái áo ‘trois chemises’ dans (23a), subit la même opération syntaxique : le noyau nominal áo ‘chemise’ est séparé du reste et est réalisé en position frontale (23b). La présence de bị semble ne pas affecter l’opération d’extraction. (22) a. Người ta giết năm con bò (actif) On abattre cinq CL bœuf «On a abattu cinq bœufs» b. Năm con bò bị người-ta giết Cinq CL bœuf BI on abattre «Cinq bœufs ont été abattus» (passif direct) c. Bò bị người-ta giết năm con Bœuf BI on abattre cinq CL «Quant aux bœufs, il y en a cinq d’abattus’/ cinq en ont été abattus» (passif direct avec extraction) (23) a. Bị rách ba cái áo. BI être-déchiré trois CL chemise «Il y a trois chemises de déchirées» b. Áo bị rách ba cái. Chemise BI être-déchiré trois CL «Quant aux chemises, il y en a trois de déchirées» Les ressemblances structurales entre les structures passives avec bị et les verbes inaccusatifs présentées ci-dessus, si elles sont correctes, permettent de motiver davantage l’hypothèse selon laquelle bị serait le marqueur potentiel de l’inaccusativité en vietnamien et corroborent la distinction inergatif/inaccusatif dans cette langue. 2.3.2. Inaccusativité et sujet explétif21 : En vietnamien, la forme pronominale nó ‘3SG’ peut avoir une interprétation non référentielle dans les contextes 21 Les grammaires vietnamiennes semblent ignorer l’existence d’un sujet explétif ou se contentent de le mentionner rapidement, signalant qu’il appartient plutôt à la langue parlée. Ce type de sujet n’a été soumis à discussion de manière sérieuse que récemment, dans Nguyễn V.H & Hoàng T. T. T. (2011). Ces auteurs, cependant, se sont attachés à Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
Intransitivité scindée, passif adversatif et sujet explétif en vietnamien 69 irrealis-résultatifs et ne se rencontre qu’à l’oral. Cet emploi explétif de nó ne s’obtient qu’en position de sujet (i.e. préverbale). Seuls les verbes inaccusatifs sont permis dans ces constructions. Dans (24), l’unique argument du verbe inaccusatif chết ‘mourir’, à savoir le SN mấy con cá của tao ‘mes poissons’, précède le verbe dans l’exemple (b) mais le suit dans l’exemple (a). Dans cette dernière configuration, le sujet explétif nó peut faire surface. Cela suggère que lorsque la position préverbale n’est pas remplie (ce qui ne s’observe qu’avec les verbes inaccusatifs), et moyennant les contextes oraux appropriés, l’explétif nó peut apparaître pour l’occuper. L’exemple (25) illustre le même phénomène mais cette fois-ci, avec le verbe inaccusatif vỡ ‘se casser’ : la position préverbale est occupée par l’explétif nó quand l’argument nominal cái bình cổ của bố ‘l’ancien vase de papa’ suit le verbe vỡ ‘se casser’. Les phrases (26) corroborent l’idée que la position du sujet syntaxique est unique et elle ne peut être remplie que par l’un des deux éléments : ou l’explétif ou l’argument nominal mais pas les deux en même temps. (24) a. Đừng làm thế, nó chết mấy con NEG faire ainsi EXPL mourir PL CL cá của tao bây giờ. poisson POSS 1SG maintenant b. Đừng làm thế, mấy con cá của NEG faire ainsi PL CL poisson POSS tao chết bây giờ. 1SG mourir maintenant «Ne fais pas ça ! Sinon, mes poissons vont tous mourir» (25) a. Mày làm thế, nó vỡ cái bình 2SG faire ainsi EXPL se-casser CL vase cổ của bố bây giờ. ancien POSS père maintenant b. Mày làm thế, cái bình cổ của 2SG faire ainsi CL vase ancien POSS bố vỡ bây giờ père se-casser maintenant «Si tu fais ça, l’ancien vase de papa va se casser» (26) a. *Đừng làm thế, nó mấy con cá NEG faire ainsi EXPL PL CL poisson của tao chết bây giờ. POSS 1SG mourir maintenant «Ne fais pas ça ! Sinon, mes poissons vont tous mourir» motiver l’idée que le pronom neutre de troisième personne du singulier peut avoir, dans certains contextes particuliers, un emploi non référentiel ou impersonnel et y manifester les propriétés sémantico-syntaxiques d’un sujet explétif. Or, comme nous le montrerons, la distribution de cet explétif sujet est également sensible au type de prédicats. Plus précisément, cette forme explétive n’apparaît qu’en présence des verbes inaccusatifs, excluant les inergatifs et les transitifs. Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
70 Huy Linh Dao b. *Mày làm thế, nó cái bình cổ 2SG faire ainsi EXPL CL vase ancien của bố vỡ bây giờ. POSS père se-casser maintenant «Si tu fais ça, l’ancien vase de papa va se casser» Nous avons vu supra que l’argument unique des verbes inergatifs se comporte comme le sujet d’un verbe transitif prototypique, dans la mesure où il doit toujours occuper la position préverbale. On s’attend donc à ce que l’explétif nó ne soit pas compatible avec les verbes inergatifs et les verbes transitifs. Cette prédiction semble être vérifiée. En effet, si le sujet nominal thằng bé ‘le petit garçon’ précède les verbes inergatifs tels que chạy ‘courir’, khóc ‘pleurer’, hét ‘hurler’ et le verbe inaccusatif ngã ‘tomber’ (ex. 27a), seul ce dernier permet l’insertion de l’explétif nó quand l’argument nominal se trouve postposé au verbe (ex. 27c). Les verbes inergatifs n’autorisent pas ce type de configuration et donc excluent l’explétif (ex. 27b). En d’autres termes, si la position préverbale doit nécessairement être remplie pour les inergatifs, elle ne l’est qu’optionnellement dans le cas des inaccusatifs, comme nous l’indiquent (27a) et (27c) : le SN thằng bé ‘le petit garçon’ peut précéder le verbe ngã ‘tomber’ dans (27a) ou le suivre dans (27c). L’introduction du sujet explétif est rendue possible et donne un résultat parfaitement bien formé dans ce dernier cas. (27) a. Anh làm thế, thằng bé chạy/khóc/hét/ngã 2SG faire ainsi garçon courir/pleurer/crier/tomber bây giờ maintenant b. *Anh làm thế, nó chạy/khóc/hét thằng bé 2SG faire ainsi EXPL courir/pleurer/crier garçon bây giờ maintenant «Si tu fais ça, le petit garçon va courir/pleurer/crier» c. Anh làm thế, nó ngã thằng bé bây giờ. 2SG faire ainsi EXPL tomber garçon maintenant «Si tu fais ça, le petit garçon va tomber» Les phrases (24-27) dénotent toutes des situations complexes que l’on pourrait appeler «irrealis-résultatives». Elles se composent de deux membres, séparés formellement par la virgule (ou une pause à l’oral). La relation qui s’établit entre les deux peut être interprétée comme celle reliant la protase à l’apodose d’un système conditionnel. Du point de vue aspectuel, les exemples (24) et (25) comportent des verbes inaccusatifs de type «achèvement» (cf. Vendler 1967), à savoir chết ‘mourir’, vỡ ‘se casser’. Ceux-ci sont des prédicats téliques décrivant des changements d’état et spécifiant lexicalement l’état résultant final dans lequel se trouve leur argument unique. A l’inverse, les verbes inergatifs comme chạy ‘courir’, khóc ‘pleurer’, hét ‘crier’ dans (27b) dénotent des activités non délimitées temporellement et donc ne spécifient pas lexicalement un état résultant final. La légitimation de l’explétif sujet nó en présence de verbes inaccusatifs tels Downloaded from Brill.com07/13/2022 11:33:21PM via free access
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