Je suis devenu protestant : le témoignage d'Hubert Mertens - Journal Réforme
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Je suis devenu protestant : le témoignage d’Hubert Mertens Je suis né au Maroc, en 1949, à Khénifra, capitale de la “berbéritude” dans le Moyen Atlas. Entre une mère française et un père belge, j’ai très tôt baigné dans la culture protestante, mais pas seulement. Cela a certainement contribué à faire de moi le lecteur insatiable que je suis : romans, essais… Je n’ai pas de priorité et, à la maison, je croule sous les livres. J’ai même sept bibles différentes ! Louis Segond reste toutefois ma version de référence. Jeune, j’ai été éclaireur unioniste. Le scoutisme est une expérience qui m’a beaucoup porté. Quand j’ai fait ma confirmation, à Meknès (Maroc), le pasteur m’a demandé de jurer devant l’assemblée de venir tous les dimanches au temple. Cela m’a déplu mais, pris par surprise, j’ai juré. Après ce serment imposé, j’ai décidé de ne plus retourner au culte… Je n’ai pas supporté qu’on m’impose une telle chose et je l’ai dit au pasteur. Ce dernier m’a répondu que l’engagement faisait tout simplement partie du rituel. Je comprends qu’on accompagne, qu’on donne des outils, mais j’accepte mal l’idée qu’on ne puisse pas rester libre. Protestantisme en sommeil Je me suis tout de même marié au temple en 1972. J’aime la sobriété des lieux de culte protestants : des bancs et une croix en bois. Pas d’image, à la différence des orthodoxes et des catholiques. Quand il m’est arrivé d’en interroger certains : pourquoi tant de représentations ? Ils n’ont pas su quoi répondre. Pour autant, pendant plusieurs années, mon protestantisme est resté en sommeil. En fait, je suis un vieux protestant avec des zones d’ombre… Mon paysage s’est éclairci, depuis trois ou quatre ans, à la faveur d’une démarche qui s’est
développée dans plusieurs clubs humanistes, à Toulouse, où je vis un renouveau spirituel. Dans le cadre de ces clubs, il arrive qu’on me demande, comme à d’autres, de travailler sur un thème précis. Je choisis alors souvent de me baser sur un passage biblique. Chaque fois, c’est une occasion formidable de creuser, de faire émerger une pensée, d’être plus sensible à ce que dit la Parole. Je me plonge dans le sujet et je sens que je grandis. J’aime faire des recherches, essayer de comprendre, de découvrir. En me remettant à lire la Bible, je me suis rendu compte que chaque mot avait son importance ! La civilisation berbère Né dans un pays berbérophone, je me suis intéressé à sa tradition, remontant à plus de dix mille ans. À ce titre, je donne aussi des conférences sur cette civilisation, à Toulouse mais aussi ailleurs en France et en Afrique du Nord. À la fin de chaque intervention, je demande la réaction du public, majoritairement composé de Berbères. La réponse est systématiquement la même : “Nous avons appris sur notre histoire et notre civilisation.” J’en suis profondément heureux. Je suis franc-maçon depuis plus de trente ans. James Anderson (1678-1739), qui a rédigé les Constitutions de la franc-maçonnerie était d’ailleurs un pasteur protestant écossais. Les deux mondes, franc-maçon et protestant, demeurent extrêmement liés. Ma démarche spirituelle s’inscrit dans un schéma de pensée tolérante et bienveillante. Je fais partie de plusieurs organisations humanistes marocaines et françaises. Je suis président fondateur de Timijja, une association humanitaire qui intervient en France et en Afrique pour aider les enfants et les parents dans la pauvreté et en difficulté. Cette association vit grâce aux dons et aux bénévoles. Au gré des voyages Je voyage beaucoup : en Afrique, en Asie, aux États-Unis, en Europe… Je me renseigne sur les réflexions spirituelles des clubs humanistes sur place. Je prends contact avec les personnes concernées et quand nous nous rencontrons, nous
constatons tout de suite que nous partageons les mêmes valeurs, nous allons droit à l’essentiel. On peut parler de communion ! Là, je fais la connaissance de frères de tout métier, de tous horizons, de toute culture, que je n’aurais pas l’occasion de croiser par ailleurs. J’apprends d’autres façons de voir. C’est extrêmement intéressant et cela a toujours lieu dans un contexte bienveillant. Je ne m’y retrouve pas mieux qu’au temple, mais ces échanges me font davantage travailler. Ils me poussent à aller plus loin. La Bible est infinie Le message biblique me touche car il est, à mes yeux, de plus en plus d’actualité. Il traite de la nature humaine et ne cesse d’apporter des éclairages. La Bible est infinie. On ne pourra jamais en faire le tour ! Même la parabole si connue du bon Samaritain continue de nous parler au XXIe siècle. En outre, la Bible est une parole qui, en un certain sens, nous amène à la transgression. C’est une idée que je trouve juste et vraie. Transgresser pour grandir. Que serions-nous si Adam et Ève n’avaient pas transgressé en mangeant dans le jardin d’Éden le fruit défendu ? Aujourd’hui encore, j’ai en ma possession la bible que le pasteur Blondelle m’avait offerte, à Meknès, lors de ma confirmation. C’était le 17 mai 1964. Quand je relis sa dédicace, elle revêt toujours tout son sens pour moi : “Jésus l’ayant regardé, l’aima.” (Marc 10,21) Mon verset préféré : Jésus l’ayant regardé, l’aima et lui dit : Il te manque une chose […]. Puis viens et suis-moi. (Marc 10,21 traduction Louis Segond, 1953)
Méditation sur Luc 18,9-14 : Élevés par Dieu pour tenir debout Les protestants se méfient de l’autosatisfaction, la lecture de ce passage est réconfortante. Pourtant le contraste caricatural entre les deux hommes devrait nous inciter à nous méfier et à ne pas interpréter trop vite. De plus, Jésus est dur avec le pharisien. Il a des qualités, comment ne pas rêver d’une Église où tous donneraient la dîme de tous ses revenus ? Si chacun d’entre nous avait cette éthique presque irréprochable, cela améliorerait bien l’état de notre monde. Trouver la juste attitude Lorsque nous sommes capables de quelques actions positives, nous pouvons être reconnaissants, remercier Dieu. Mais le problème avec notre pharisien, n’est pas là. Jésus ne s’attarde absolument pas sur ses propos et leur justesse. Il est bien probable que son comportement, son respect des rites sont exemplaires. Malgré cela, il est disqualifié. Alors que le collecteur d’impôt devient un modèle. Pourtant, être collecteur d’impôt, il n’y a pas de quoi être fier ! C’est ici que se trouve la juste attitude, contrairement au pharisien, le collecteur d’impôt se trouve indigne, il se présente devant Dieu avec ses imperfections, ses manques, et il est bien conscient de tout cela, il en souffre. Alors que le ton méprisant du pharisien vient contredire, voire annuler tout le discours qui précède. Son arrogance ne lui permet pas de se découvrir tel qu’il est. Un simple humain. Le collecteur d’impôt ose à peine se présenter devant Dieu, crier vers lui. Il ne cherche pas à se valoriser. C’est l’interprétation classique que l’on fait de cette parabole : elle nous invite à reconnaître notre humanité, notre péché. Rien ne peut nous permettre de nous justifier devant Dieu. Aucune de nos actions,
si bonnes soient-elles, ne peut acheter Dieu. C’est dans un face-à-face en vérité, dans ce mouvement qui va au plus profond de nous-même, sans fard ni artifice, que nous pouvons explorer nos failles et découvrir que nous avons besoin d’un autre, besoin de Dieu, de son amour. C’est alors que nous pouvons nous relever, nous tenir debout. Relever les autres Nous pouvons aller encore plus loin, car dans le texte grec il est dit du pharisien qu’il se tenait “devant lui-même” et non “en lui-même”. Ainsi, non seulement il s’autojustifie, mais il ne s’adresse qu’à lui, et non à Dieu. Il est tellement plein de “lui-même” qu’il n’a plus besoin ni de Dieu, ni des autres. Les passifs des verbes de la finale de la parabole, nous disent que nous ne pouvons être « élevés » par nous-même. En cela, ils nous coupent de toute tentation de nous justifier par l’humilité, qui n’est jamais une fin en soi. L’humilité est juste l’élan qui nous permet d’être élevés. Et, si nous sommes élevés, ce n’est pas pour rester passifs, mais pour nous tenir debout devant Dieu, affronter le monde, et pourquoi pas devenir de celles et de ceux qui cherchent à relever les autres. L’évangile du dimanche 27 octobre Pour certains, qui étaient persuadés d’être des justes et qui méprisaient les autres, il dit encore cette parabole : deux hommes montèrent au temple pour prier ; l’un était pharisien, et l’autre collecteur des taxes. Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : Ô Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères. Ou encore comme ce collecteur des taxes : je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. Le collecteur des taxes, lui, se tenait à distance ; il n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine et disait : Ô Dieu, prends en pitié le pécheur que je suis ! Eh bien, je vous le dis, c’est celui-ci qui redescendit chez
lui justifié, plutôt que celui-là. Car quiconque s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. (traduction NBS) Combien gagnent les prê t res, rabbins, imams et qui paie? La rétribution des prêtres Dans l’Église catholique, la rétribution des prêtres incombe aux évêques. Ces derniers ont aussi pour mission de loger les ministres du culte. Le montant perçu par ceux-ci est variable : il dépend principalement du denier de l’Église et des casuels, à savoir les offrandes faites à l’occasion des baptêmes, des mariages et des sépultures. À cela s’ajoute un traitement avoisinant les 400 euros, versés directement par le diocèse. Ainsi, selon leur affectation, l’allocation mensuelle des prêtres oscille entre 730 et 1 100 euros. Ces revenus sont imposables, excepté ceux liés aux offrandes de messes demandées par des familles ou des paroissiens pour un service. Ils ne sont pas indexés sur l’augmentation du coût de la vie. Si l’allocation des prêtres est généralement modeste (l’Église ne parle pas de salaire dans la mesure où les curés n’ont pas de contrat), ils profitent d’avantages en nature, comme un logement pour lequel ils ne payent quasiment rien. Sur son blog, le père Cormary, qui officie dans le diocèse d’Albi (Tarn), chiffre à 75 euros ses charges mensuelles pour son logement.
Il évoque également un dédommagement de 35 centimes par kilomètre effectué pour rallier les différents lieux de culte dont il est responsable. En revanche, la voiture (si le curé en a une) est achetée à ses frais. Et il doit, bien évidemment, l’entretenir et l’assurer avec ses propres deniers. Depuis 1979, ils perçoivent une pension administrative considérée comme une retraite. Avoisinant les 350 euros nets, elle a été réévaluée et est calculée, depuis 1998, sur la base du Smic. Des imams bénévoles, salariés ou parfois fonctionnaires détachés Le statut des imams est complexe. Souvent bénévoles, ils conduisent les prières quotidiennes, assurent le prêche du vendredi, répondent aux interrogations spirituelles des fidèles, animent l’école coranique… en plus de leur activité professionnelle. Ce qui explique qu’une mosquée peut en compter plusieurs. Le temps nécessaire à l’accomplissement de ces missions est à l’origine de l’é m ergence d’imams salaries. Ils sont alors embauchés par l’association responsable de la mosquée où ils officient et gagnent le Smic. Ils peuvent cotiser auprès de la Caisse d’assurance vieillesse et maladie pour les ministres du culte, la Cavimac. Les imams envoyés en France par des États étrangers, afin de combler le déficit de la formation de prêcheurs musulmans français, sont mieux lotis. En 2018, ils étaient près de 300 venus de Turquie, d’Algérie et du Maroc, dans le cadre de conventions bilatérales signées par ces trois pays. Une goutte d’eau alors qu’un rapport sénatorial estime le nombre de mosquées à 3 000 et le nombre d’imams à 6000 voire 8000. Concernant les prêcheurs détachés, Mohammed Moussaoui, président de l’Union des mosquées de France, avance des revenus de 2 000 à 2 200 euros net pour les ressortissants algériens et jusqu’à 2 400 euros pour leurs homologues turcs. Les Marocains, eux, perçoivent 1 250 euros. Cette différence s’explique par le fait que « les imams turcs et algériens sont des fonctionnaires payés par leurs États respectifs. En revanche, l’Union des mosquées de France prend en charge les indemnités et la couverture sociale des imams marocains, grâce à une enveloppe globale de l’État marocain ». Dans ce cas, l’association qui accueille l’imam
détaché marocain, c’est-à-dire celle qui gère la mosquée à laquelle il est rattaché, s’occupe de régler son logement grâce aux dons des fidèles. La rémunération des rabbins, le rôle du consistoire La communauté israélite, à l’instar des Églises protestantes, a accepté de créer dès 1905 des associations cultuelles. En France, ces communautés ou associations rémunèrent les rabbins par le biais de dons faits au consistoire dont elles dépendent. Elles jouent le rôle d’employeur auprès de la sécurité sociale et leurs responsables religieux sont affiliés au régime général. Contrairement aux prêtres catholiques qui étudient cinq années, la rémunération des rabbins tient compte de la durée de leurs études (cinq ans également) et de la composition de leur famille. Le montant brut moyen de cette rémunération, qui tient davantage de la bourse accordée à un chercheur qu’à un salaire, était de 1 987 euros en 2013 (source Insee) contre 2 700 euros en 2008. Une diminution d’autant plus gênante que rares sont les rabbins logés. Aussi, leur activité (supervision du déroulement des offices, célébration des mariages et des enterrements, études, enseignement…) est généralement complétée par celle de leur épouse, quand elle ne se superpose pas à un travail supplémentaire. Il faut dire que les consistoires sont financés par les dons des fidèles et des revenus issus de la cacherout (code alimentaire conforme à la loi hébraïque). Or, ces derniers sont en forte baisse en raison de la fin du monopole consistorial sur les produits casher, lié à la mondialisation. Pour ce qui est de la retraite, les rabbins bénéficient du même traitement que les prêtres ou les imams, et donc d’une pension. À l’instar des autres ministres du culte, ils ne pourraient pas prétendre à une allocation chômage s’ils venaient à être écartés pour faute grave. Les exceptions : le régime du concordat en Alsace-Moselle Montré du doigt à plusieurs reprises, le concordat offre un statut spécial aux prêtres, pasteurs et rabbins des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la
Moselle. Ces représentants du culte sont rémunérés par l’État. Le régime du concordat de 1801, signé entre la France et le Saint-Siège, organisait les rapports entre les différentes religions et l’É t at en France jusqu’en 1905, date de la séparation des Églises et de l’État. Mais cette séparation n’était pas entrée en vigueur en Alsace et en Moselle, alors sous domination allemande. Une spécificité historique validée par le Conseil constitutionnel en 2013. Origine des chiffres Prêtres : source site de l’Église catholique. Rabbins : estimation Réforme à partir du nombre de synagogues. Pasteurs : 2 500 pasteurs sont en poste dans une église membre de la FPF (Fédération protestante de France), environ 1 600 pasteurs en responsabilité dans une église évangélique selon le CNEF (Conseil national des évangéliques de France). D’autres pasteurs ne sont pas répertoriés. Imams : estimation Réforme à partir d’un rapport sénatorial datant de 2016. Salaires de pasteurs: la Suisse, un eldorado ? “Animateur de catéchisme à 30% à la Chaux-de-fond”, “Pasteur à Fribourg”, “Aumônier à 40% pour le centre neuchâtelois de psychiatrie”… Les offres au sein d’Églises protestantes suisses sont nombreuses sur le site emploi-eglise.ch. Elles
sont régulièrement alimentées… et consultées bien au-delà des frontières helvétiques! Chaque année, des pasteurs français choisissent de s’installer chez ce “petit” voisin (8,5 millions d’habitants). Cette possibilité est facilitée par la reconnaissance des diplômes et les accords de circulation en vigueur. Combien sont-ils à franchir le pas chaque année? Trop pour les Églises françaises qui, en off, estiment quelquefois “se faire piller” de leurs ressources. Côté Suisse, les recruteurs – dont certains sont français ou binationaux – se défendent de toute attitude “de flibustiers”. Aucune statistique unifiée n’est consultable. Et pour cause: il n’existe pas une mais des Églises protestantes suisses propres à chaque canton, bien que réunies en une fédération unique. La Romandie est évidemment plus concernée que la Suisse alémanique, puisque rares sont les Français à avoir choisi le suisse-allemand en seconde langue. Pourtant, même là on compte quelques postes francophones, comme à l’Église réformée francophone de Zürich. Une vingtaine de recrutements par an Les transferts de pasteurs français vers l’Église protestante de Genève (EPG) ne sont, certes, pas légion. “Si on recrute côté français, c’est uniquement parce que les personnes apportent quelque chose de très spécifique ou un charisme particulier”, explique Michel Châtelain, codirecteur responsable des ressources humaines de l’EPG où, d’ici à cinq ans, une quinzaine de ministres prendront leur retraite. Un exemple? “Marc Pernot, ancien pasteur de l’Oratoire du Louvre, a ainsi rejoint l’EPG car il apportait des compétences et une vision en phase avec l’un de nos projets”, ajoute Michel Châtelain. Du côté de Neuchâtel, où des offres de fonction de pasteur sont régulièrement publiées, on évoque “quelques” embauches annuelles. Dans le canton de Vaud, on dénombre “une dizaine d’embauches par an, un à deux Français au maximum”. Hormis de strictes raisons familiales, le choix de s’expatrier vers les temples helvètes se nourrit de plusieurs bons arguments. Sur le plan professionnel, les pasteurs français sont attirés par “de meilleures conditions de travail, glisse un directeur suisse des ressources humaines qui échange régulièrement avec des candidats intéressés. Nos paroisses sont souvent plus petites, nos Églises mieux
implantées qu’en France. Le pasteur est un peu plus reconnu socialement, parfois invité pour des discours lors de fêtes nationales. Et le contexte financier est clairement plus intéressant.” Avantage financier Toutefois cet avantage financier mérite d’être relativisé. En effet, les différences peuvent s’avérer conséquentes selon les cantons et la capacité de financement de chacune des Églises. Dans l’Église réformée évangélique du canton de Neuchâtel (Eren), le salaire annuel brut débute à 80 000 CHF, sans treizième mois (72 750 €). Il plafonne à 100 000 CHF (90 935 €), après douze ans d’ancienneté. Un montant qui ne peut être dépassé. À Genève, les salaires sont comparables à ceux de Neuchâtel: 84 000 CHF à 113 000 CHF, soit respectivement 76 386 € et 102 757 €. Mais dans la deuxième ville du pays, les loyers sont autrement plus élevés qu’à Neuchâtel. Enfin, l’Église vaudoise, plus importante, mieux implantée et forte de près de 200 ministres, propose des salaires environ 30% plus élevés, allant jusqu’à 125 000 CHF annuels, soit 113 653 €. Tandis qu’à Genève le salaire des diacres est aligné sur celui des pasteurs, il y a une différence dans le canton de Vaud. Malgré les disparités, ces montants peuvent paraître mirobolants au regard des émoluments versés dans l’Hexagone. Dans un article de 2016, Réforme expliquait que le traitement brut mensuel de base des pasteurs de l’Église protestante unie de France démarrait à 15 340 € par an. Une rétribution majorée de 25% après trente ans d’ancienneté, à laquelle s’ajoutent le logement de fonction et des prestations familiales. Grosses dépenses structurelles Enfin, si les revenus suisses sont alléchants, les dépenses structurelles sont, quant à elles, considérables. “On a parfois des pasteurs français qui pensent pouvoir vivre avec un mi-temps. Mais on doit leur expliquer que même s’ils gagnent plus qu’en France, cela ne veut rien dire quant à leur pouvoir d’achat ici”, explique Christine Cand Barbezat, responsable des ressources humaines de l’Eren. Tout d’abord, il faut compter avec des charges patronales et sociales pouvant facilement représenter 30% du salaire brut. L’assurance maladie, obligatoire, est privée.
En 2019, la prime moyenne d’assurance mensuelle pour un adulte vivant en Suisse est de 477 CHF (433 €). Les loyers, ensuite, restent élevés. Or, toutes les paroisses ne disposent pas d’assez de cures pour loger tout le monde. Et le montant de leur location varie d’un canton à l’autre. À Neuchâtel, une cure peut se louer 1 000 CHF par mois (908 €) ; dans le canton de Vaud, le montant grimpe à 2 100 CHF (1 908 €). Genève, l’une des villes aux loyers les plus prohibitifs au monde, en compte très peu. Autant d’aspects qui sont peu connus côté français. “On a déjà le cas de personnes qu’on a averties de ce surcroît de coûts et qui ont dû repartir. Soit parce qu’elles ont dû faire face à trop de charges financières, soit parce que leur conjoint ne trouvait pas d’emploi en Suisse”, constate Michel Châtelain. Pasteurs frontaliers Comment résoudre le problème? Certains pasteurs, à l’instar de nombreux Français employés sur Genève, Lausanne ou Neuchâtel, deviennent frontaliers. Une parade qui n’est pourtant pas à la portée de tout le monde. Car en Suisse aussi les Églises sont soumises à une pression financière croissante et à une diminution de leurs membres. Obligées de repenser leur organisation, elles s’ouvrent de plus en plus à des candidats qui ne résident pas sur leur lieu de travail et qui se disent prêts à prendre des postes transversaux. Répartition des compétences, travail d’équipe, engagement de diacres et de laïcs permanents… La réalité paroissiale romande est, comme en France, en train de lentement mais sûrement muter profondément. Alors peut-on parler d’eldorado suisse? Pas vraiment.
Enquête: tout savoir sur la rémunération des pasteurs L’Évangile est gratuit, mais en propager la parole a un coût certain. Un constat évident. Pourtant parler de rémunération pour les ministres du culte reste plutôt tabou dans une société de culture catholique. Interrogées par Réforme, les unions d’Églises protestantes ont cependant fait preuve de transparence. Tout d’abord, attention à ne pas parler de “salaire”! Le ministère pastoral n’est pas un “emploi” au sens du Code du travail. Les pasteurs ne sont donc pas salariés. Ils ne perçoivent pas de salaire, mais un “traitement” (Alsace et Moselle), une “rémunération” ou une “solde” (Armée du Salut). Ce que les unions d’Églises versent à leurs ministres varie grandement, et comparer ce qui n’est pas vraiment comparable relève de la gageure. Car il faut prendre en compte la rétribution, les augmentations dues à l’ancienneté, le logement, les charges liées à l’habitation, les frais kilométriques, les compléments familiaux, les avantages santé-retraite. Statuts différents Sans oublier les différents statuts. En Alsace et en Moselle, le régime des cultes concordataires permet aux pasteurs réformés et luthériens de recevoir un traitement de l’État. La rémunération du pasteur n’est donc pas à la charge de l’Église. Un étudiant en théologie qui a fini ses études à bac +5 et qui commence son ministère au sein de l’UÉPAL (Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine) est d’abord vicaire pendant trois ans. Il est rémunéré environ 1 380 euros net par mois et bénéficie d’une aide au logement. Au bout de trois ans, il devient pasteur à part entière et son traitement s’élève alors à 1 610 euros environ, net par mois. À cela s’ajoute l’attribution d’un logement. Généralement un presbytère. Avec les augmentations liées à l’ancienneté, le pasteur finira sa “carrière” à environ 2 400 euros net mensuels. L’État lui octroie, le cas échéant, des prestations familiales: 73 euros pour deux enfants, 182 euros pour trois enfants, plus 125 euros par enfant supplémentaire.
Logé par l’Église, le pasteur de l’UÉPAL doit s’acquitter de toutes ses charges: eau, gaz, électricité, chauffage… Il n’a pas de voiture de fonction. Aujourd’hui, 215 pasteurs bénéficient de ce statut au sein de l’UÉPAL, plus 11 vicaires. Ailleurs en France, et pour les Églises non concordataires en Alsace et en Moselle (c’est-à-dire évangéliques), la situation est très différente. Certaines unions d’Églises offrent à leurs ministres débutants une rémunération proche de l’UÉPAL. Mais la progression du revenu liée à l’ancienneté est bien plus faible. Ainsi, l’Église adventiste propose à ses pasteurs 1 303 euros net par mois, ajoute un treizième mois et paie leur loyer, car elle dispose de peu de presbytères. En fin de ministère, un pasteur adventiste gagne 1 600 euros net mensuels sur treize mois. Il ne perçoit aucune prestation familiale et doit payer la totalité des charges associées à son logement. La Fédération baptiste, quant à elle, paie un pasteur débutant 1 480 euros net par mois et le loge dans un presbytère ou elle lui verse une “indemnité logement” si l’Église locale n’en dispose pas. Cette indemnité s’élève à 363 euros par mois et augmente avec l’ancienneté pendant vingt ans. À cela s’ajoute une “allocation de fonctionnement” de 340 euros par mois: ce forfait identique pour tous les pasteurs doit couvrir leurs frais kilométriques et leurs charges. Ainsi un pasteur baptiste débutant perçoit un “net à payer” mensuel de 1 820 euros s’il habite dans un presbytère. La Fédération baptiste ne verse pas de prestation familiale. Par contre, la rémunération augmente d’un pour cent tous les ans pendant trente-neuf ans. À ce jour, la Fédération baptiste rémunère une petite centaine de pasteurs. Traitements modestes Les ministres de l’Église protestante unie de France (ÉPUdF) commencent, quant à eux, avec une rémunération de 941 euros net par mois quand ils sont proposants. Ils sont logés, ne paient aucune charge ni pour leur logement ni pour leur voiture, puisqu’ils bénéficient d’un véhicule de fonction. Ils reçoivent un “crédit documentation” de 275 euros par an, pour l’achat de livres ou de revues. Somme à laquelle s’ajoutent des prestations familiales de 48 euros par mois et par enfant âgé de moins de dix ans; de 92 euros par mois et par enfant âgé de onze à vingt-cinq ans. La rémunération du pasteur augmente avec l’ancienneté sur la
base de trois paliers: 8% au bout de deux ans ou à l’âge de 35 ans, 18% après quinze ans de ministère ou à l’âge de 45 ans et 25% à trente ans d’ancienneté ou à l’âge de 60 ans. Ce système a été mis en place pour qu’un pasteur répondant à une vocation pastorale tardive puisse bénéficier d’un revenu décent en rapport à son âge. Un pasteur en milieu de carrière avec trois enfants adolescents perçoit “un net à payer” de 1 400 euros. En fin de carrière, s’il n’a plus d’enfant à charge, il sera à 1 500 euros net. L’Église unie rémunère à ce jour 328 ministres. Les Églises réformées évangéliques, quant à elles, financent leurs pasteurs débutants à hauteur de 1 200 euros net par mois. Ils achèveront leur ministère avec 20% de plus. L’Unepref verse, en outre, un complément familial de l’ordre de 2% du revenu par enfant. L’Église locale fournit un presbytère ou se charge du loyer du pasteur, et prend en charge 75% de ses frais d’habitation. Pauvres de ressources, certaines Églises réformées évangéliques rémunèrent leurs ministres à temps partiel. Celles-ci emploient actuellement 41 pasteurs. Quant à l’Armée du Salut, elle verse une “solde” à ses officiers qui exercent souvent leur ministère en couple: 541 euros pour un célibataire ou 902 euros pour un couple marié en début de ministère; 622 euros pour un célibataire ou 1 038 euros pour un couple marié juste avant la retraite. Les officiers salutistes sont logés et ne paient aucune charge. Ils sont aujourd’hui un peu plus de 40. Quelle que soit l’Église, ce n’est pas l’appât du gain qui suscite les vocations pastorales… Et la grande majorité des conjoints travaillent. Comment pourrait-il en être autrement? Qu’est-ce qu’une “juste rémunération” dans la Bible ? Selon Caroline Bauer, théologienne protestante, “de la Bible ne va pas sortir un salaire juste en euros”. Par contre, des principes récurrents dans les deux testaments évaluent la justesse d’une rémunération. Le Lévitique ordonne : “Tu n’opprimeras pas ton prochain et tu ne le pilleras pas. Tu ne garderas pas
jusqu’au lendemain son salaire.” Il y a une exigence de justice minimale qui consiste à verser son salaire à l’ouvrier pour qu’il puisse en vivre. La Bible invite à “la justice plus quelque chose” que l’on peut appeler une sorte de générosité. “Il s’agit de faire vivre son prochain”, poursuit Caroline Bauer. Dans les évangiles, l’ouvrier de la onzième heure reçoit plus que la simple justice salariale. “Il y a une bonté supérieure qui va au-delà du contrat”, précise la théologienne. La Bible invite à “faire plus que le minimum légal”. Quant à Paul, certes, on le voit parfois refuser un salaire. Mais “il dit lui-même qu’il aurait pu demander de l’argent et ça lui aurait été dû. Il s’en est passé pour qu’on ne puisse pas l’accuser de vouloir s’enrichir. Il a mis sa générosité au service du témoignage. Car la Bible est très critique sur le désir d’enrichissement.” C’est sans doute pourquoi, estime Caroline Bauer, la rémunération des pasteurs est généralement basse, pour qu’elle ne fasse pas obstacle au témoignage. Ainsi, “le témoin, l’apôtre n’est pas là pour s’enrichir mais il doit pouvoir vivre décemment”. Le mot de la semaine : “Pagaille” Une sacrée pagaille. La grève sans préavis déclenchée par certains cheminots vendredi 18 octobre, à la veille des vacances de la Toussaint, s’est accompagnée de son habituel cortège de trains supprimés, de passagers échoués sur les quais, de ras-le-bol et de frustrations en tout genre. Sans parler de chaos, on peut parler de pagaille. Ou de pagaye. Ou même de pagaïe. Car oui, ces trois graphies sont acceptées !
Une fois n’est pas coutume, ce sympathique synonyme de “désordre” ne nous vient pas du latin, ni du grec d’ailleurs. La recherche de ses origines nous fait embarquer sur le pont des grands voiliers du XVIIe siècle, vers l’archipel indonésien des Moluques, dont la richesse en épices a fait la fortune des marchands européens. En malais, pengayuh désigne alors une rame à pirogue ; francisé, le terme devient “pagaie” ou “pagale”. Pagayeurs et pagailleurs À la fin du XVIIIe siècle, le mot commence à être utilisé au sens figuré de “grande confusion”, à l’image des mouvements désordonnés et irréguliers du rameur qui pagaie. Dans la marine, en cas de situation imprévue, “mouiller en pagale” signifie laisser tomber l’ancre en urgence où l’on se trouve. De même, “jeter des objets en pagaïe”, c’est les lancer au hasard dans la cale d’un navire. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que la locution “en pagaille” dépasse le seul jargon des marins pour passer dans l’usage général. On le retrouve notamment dans l’argot des poilus avec trois orthographes différentes : pagaïe, pagaye, pagaille. Une dernière chose : si vous vous retrouvez un beau jour à bord d’une pirogue, assurez-vous de vous entourer de pagayeurs, qui manient la pagaie, plutôt que de pagailleurs, qui sèment… la pagaille. Pour les chrétiens de Syrie, l’exil ou la persévérance Comme l’ensemble de leurs concitoyens, les chrétiens de Syrie souffrent d’une situation économique détériorée par la guerre et l’embargo qui sévissent depuis
2011. “Dans un pays encore traditionnel, chacun s’adresse à sa communauté pour trouver de l’aide. Les chrétiens se tournent donc vers leurs églises”, décrit Mathieu Busch, directeur de l’ONG Action chrétienne en Orient (ACO). La principale Église protestante sur place, le “Synode arabe”, a un programme d’aide d’urgence qu’ACO soutient. “Même si les communautés ont perdu beaucoup de membres, elles font tout pour encourager leurs paroissiens à rester en Syrie et à construire l’avenir du pays. Cela implique de les aider au quotidien.” Libérés de Daesh Certes, les chrétiens ont déserté les lieux où Daesh et différents groupes islamiques étaient implantés mais de manière globale, ils bénéficient de la liberté de culte. Combien sont-ils à persévérer plutôt qu’à s’exiler? Impossible à dire! “Le Synode arabe compte environ 25 pasteurs. Eux-mêmes ont du mal à dénombrer leurs membres”, confie le directeur d’ACO de retour de Syrie. À Homs, il rapporte que l’église est pleine chaque semaine. Une bonne centaine de personnes se réunit dans ces lieux fraîchement rénovés, à la suite d’occupation par un groupe islamiste. Mathieu Busch témoigne aussi que les Églises protestantes attirent grâce à leur école du dimanche: “Ici, les enfants vivent des loisirs basés sur la coopération et la non-violence. Les Églises traditionnelles ne proposent pas les mêmes activités”. La présence chrétienne conserve donc une certaine vivacité, à défaut d’une vivacité certaine.
Algérie : les protestants pris pour cible La vidéo a largement circulé sur les réseaux sociaux. On y voit des policiers algériens expulser manu militari des fidèles d’un temple à Tizi Ouzou, en Kabylie. Le 15 et le 16 octobre, trois églises protestantes ont été fermées par les autorités, ce qui porte le total à 12 depuis 2018. Salah Eddine Dahmoune, ministre de l’Intérieur, se refuse lui de parler de lieux de culte. Lundi, il assuré que ses services avaient procédé à “la fermeture de hangars illégalement convertis en églises”, avant de menacer : “Les mesures coercitives nécessaires seront prises à l’encontre des gestionnaires et ceux qui fréquentent ces églises illégales.” “Une fois encore, les chrétiens d’Algérie sont la cible de tracasseries officielles, aussi illégales qu’injustifiées”, a dénoncé le pasteur Salah Chalah, président de l’Église protestante d’Algérie (EPA), qui revendique 46 lieux de culte. Parmi les “tracasseries” en question, il est une loi qui a fait couler beaucoup d’encre : l’ordonnance n° 06-03 du 28 février 2006, qui fixe “les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans”. Le prosélytisme banni Entré en vigueur en 2007, ce texte impose aux cultes non musulmans de s’organiser en associations religieuses soumises à des agréments de l’État. Les lieux de prière doivent être clairement identifiés et toute manifestation religieuse déclarée à l’avance. Mais l’extrême lenteur des procédures met l’EPA devant un dilemme : attendre indéfiniment les agréments ou ouvrir sans autorisation des églises. La loi prévoit également des dispositions pénales contre le prosélytisme. Toute personne suspectée de vouloir convertir un musulman s’expose à une peine de deux à cinq ans de prison et à une lourde amende. La définition très vague de la notion de prosélytisme a donné lieu à une vague de poursuites contre des dizaines de convertis.
À l’inverse du prosélytisme, l’apostasie n’est pas interdite en Algérie, même si elle reste réprouvée socialement. La Constitution reconnaît la liberté de culte. Avec l’Église catholique, héritière de l’histoire coloniale, l’EPA est l’une des deux institutions chrétiennes reconnues par l’État. « L’État veut une Église faible et divisée » Le pasteur Youssef Ourhamane est vice-président de l’Église protestante d’Algérie (EPA). Entretien. Comment s’est passée la manifestation du 17 octobre, à Tizi Ouzou ? Il y a eu un sit-in devant la wilaya (le gouvernement local, ndlr). Mais la police est venue en force et elle a interdit aux manifestants de prendre des photos ou de filmer. Quarante personnes ont été arrêtées, certaines ont été insultées et frappées. En fin de journée, tout le monde a été relâché. Je suis en colère, triste et surtout surpris. Cela fait trente-et-un ans que je sers le Seigneur dans ce pays avec mon épouse, et je n’ai jamais vécu ce genre de choses. Bien sûr, avec l’État militaire, c’était une possibilité, mais je n’aurais jamais pensé qu’ils iraient jusqu’au bout. Quelle est votre plus grande inquiétude ? Quand vous fermez une Église qui reçoit plus de 1 000 membres, où vont donc aller tous ces gens le dimanche matin ? Nous n’avons pas assez de maisons pour les recevoir, et puis ce serait contraire à la loi. En outre, nous n’avons pas assez de pasteurs pour les superviser s’ils se réunissent dans des maisons. Alors, le danger est qu’il y ait beaucoup de sectes, influencées par Internet. Voilà ce que veulent les autorités : une Église chrétienne fragile, faible et divisée. Il y a derrière tout cela la pression de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Pour ces pays arabes et musulmans, c’est une honte d’avoir ces dizaines de milliers de chrétiens en Algérie. Pour eux, ce n’est pas acceptable.
Pourquoi les autorités ferment-elles vos lieux de culte ? Elles exigent une autorisation de la commission nationale des cultes non musulmans. Mais cette commission, qui aurait dû être mise en place en 2007, n’a jamais vu le jour. Quand on veut déposer nos demandes, on ne sait même pas à qui. Au niveau local, les autorités nous obligent à mettre nos bâtiments aux normes de sécurité. Nous effectuons les travaux, mais elles ne viennent pas les vérifier. Elles arrivent simplement avec un arrêté de fermeture, et placent les lieux sous scellés. Quelle est la situation actuelle des protestants algériens ? Depuis deux ans, 12 églises ont été fermées. Trois ont été rouvertes à Oran grâce à la pression internationale. Mais les autorités algériennes recommencent et nous sommes revenus à la case départ. Mardi, la très grande église du Plein Évangile de Tizi Ouzou a été fermée. Elle regroupe 1 600 membres. C’est la quatrième plus grande assemblée chrétienne des pays arabes. Notre foi est bien vivante en Algérie. Qu’attendez-vous des protestants français ? Tout d’abord que les Églises se mobilisent pour prier pour l’Église algérienne. Mais aussi que le gouvernement français intervienne concernant cette injustice. Les musulmans en France sont peu gênés pour célébrer leur culte tous les vendredis. Mais nous, les chrétiens algériens, n’avons pas une fraction de leurs droits. Propos recueillis par Marie Lefebvre-Billiez
Chrétiens d’Algérie : démêler le vrai du faux Tout est parti d’un article de 2004 publié dans le quotidien francophone El Watan. Il y est question de l’ampleur des conversions au christianisme en Kabylie, région du nord du pays, et de l’efficacité du prosélytisme protestant. Certains chiffres avancés (30 % de la population de la région de Tizi Ouzou serait chrétienne, proportion largement exagérée) provoquent alors l’émoi de l’opinion et des autorités. Quinze ans plus tard, la défiance reste la même à l’égard des nouveaux convertis. Pour quelles raisons ? “L’Algérie est, elle aussi, touchée par l’offensive missionnaire néo-évangélique sur le monde musulman, décrypte l’historienne Karima Dirèche, directrice de recherche au CNRS. Pour autant, les convertis ne représentent qu’une proportion infime des 42 millions d’Algériens.” Combien exactement ? On l’ignore. “La question du nombre de convertis est la grande inconnue de l’équation, et la source de tous les fantasmes, poursuit la chercheuse. Les autorités religieuses alertent sur la menace que font peser ces nouveaux chrétiens sur la stabilité du pays. Certains évangéliques se vantent, eux, de baptiser à tour de bras… sans révéler leurs chiffres. Les estimations sont de ce fait très vagues : de 20.000 à 200.000 personnes. Mais les 46 lieux de culte de l’Église protestante d’Algérie restent modestes en regard des 35 000 mosquées qui couvrent le territoire.” La Kabylie en ligne de mire Pourtant, les conversions sont perçues par le pouvoir comme une menace sociale qui porte atteinte au socle de l’identité nationale. C’est d’autant plus le cas que la région la plus touchée par le néo-évangélisme est la Kabylie, qui reste marquée par de fortes revendications culturelles et linguistiques. “Certaines conversions ont une dimension politique réelle, explique Karima Dirèche. Devenir chrétien, c’est revenir aux sources mythifiées du christianisme berbère antique ; c’est aussi une façon de rejeter l’idéologie arabo-islamique de l’Algérie.” Le fait que le pays soit traversé par un mouvement massif de protestation citoyenne doit aussi être pris en compte pour expliquer les fermetures d’églises. Mais le sujet des conversions porte plus loin. “Il soulève des questions
fondamentales, comme celles de la pluralité religieuse, de l’État de droit et de la démocratisation du pays. Faire vivre sa foi, pour ces chrétiens, est un acte politique : ils revendiquent de fait un droit constitutionnel.” Les Français musulmans, des boucs émissaires Nous vivons des moments effarants, qui rappellent le climat dangereusement xénophobe et antisémite des débats politiques en France lors des heures peu glorieuses d’avant-guerre. Alors qu’un polémiste peut déployer injures et haine contre les musulmans pendant plus d’une heure sur une chaîne de télévision spécialisée dans l’information, alors qu’un “sage de la laïcité” désigné comme tel par le ministère de l’Éducation nationale peut risquer un amalgame éhonté entre une mère d’élève voilée et des djihadistes ou des pédophiles sur les réseaux sociaux, alors qu’un élu RN peut dénier à une personne dans le public le droit d’assister aux débats d’une assemblée républicaine, on peut s’indigner justement de la brutalisation du langage employé actuellement dans la plupart des médias à l’encontre des citoyens français de religion musulmane. Un nouveau type de racisme On peut aussi déplorer la banalisation de ce nouveau type de racisme qui s’énonce sur le même registre, à la fois chez les tenants de l’extrême droite et ceux d’une gauche se désignant elle-même comme “républicaine”.
À gauche, le ministre de l’Éducation nationale, sur une autre chaîne d’information et à une heure de grande écoute, peut considérer que le port du hidjab ne correspond pas à “nos” valeurs, que ce dernier, sans être interdit par la loi, “n’est pas souhaitable dans notre société” et ainsi donner des arguments aux prohibiteurs de tous genres. À droite, un député de Vendée peut tenter de prolonger le buzz médiatique en s’insurgeant contre l’éventualité (toute théorique) de la constitution de listes “communautaires” aux prochaines élections municipales et demander que le port du voile soit interdit sur les affiches électorales. Le doute et la suspicion Ces attaques répétées visent à faire de nos concitoyens musulmans les boucs émissaires de la crise engendrée par la persistance de la menace terroriste, en instillant le doute et la suspicion sur leurs comportements et sur la liberté de leurs choix personnels. Cette stigmatisation n’est pas de bon augure pour notre société et devrait rappeler de bien mauvais souvenirs aux protestants et aux juifs…
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