Jusque là DOSSIER PEDAGOGIQUE - Du 4 février au 30 avril 2022 - Le Fresnoy
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jusque Du 4 février au 30 avril 2022 en co-production avec DOSSIER PEDAGOGIQUE là Enrique Ramírez, Un hombre que camina, 2011-2014 Vidéo HD, couleur, son, 21 min. 35 sec. © Enrique Ramirez, ADAGP Paris 2022 Courtesy de l’artiste et Michel Rein, Paris/Brussels
JUSQUE-Là 4 février — 30 AVRIL 2022 Cette exposition, une co-production mort. Se dessine ainsi un territoire du Fresnoy – Studio national des biopolitique, une nouvelle frontière, arts contemporains et de Pinault mêlant désir, poésie, mémoire et Collection, interroge la façon dont espoir. Décloisonnés pour cette les artistes abordent, explorent, exposition, mis à nu, les espaces s’approprient la question essentielle du Fresnoy invitent à la traversée. de la traversée, métaphore de l’évolu- tion de notre humanité. Elle montre Les œuvres ont-elles le pouvoir les systèmes de représentation qui de modifier, en les déplaçant, nos se réfèrent à l’état du monde ou la points de vue sur le monde contem- façon dont les artistes nous aident porain ? Cette exposition est une à comprendre les problèmes en réflexion sur l’acte créateur et son jeu à l’heure où nous envisageons sens politique. Faire œuvre, c’est l’avenir de l’humanité. laisser une trace dans le temps, comme dans l’espace – histoire et Le titre de l’exposition, Jusque- géographie, philosophie, éthique et là, fait référence à une œuvre de politique, mêlés. l’artiste chilien Enrique Ramírez, qui a été accueilli de septembre Commissaires: 2020 à juin 2021 dans la résidence Caroline Bourgeois, conservatrice d’artistes de Pinault Collection à Lens auprès de Pinault Collection et associé à la conception de l’exposition. Pascale Pronnier, responsable des programmations artistiques au L’accrochage propose un dia- Fresnoy – Studio national des arts logue entre les œuvres d’Enrique contemporains Ramírez et un choix d’œuvres de Enrique Ramírez, artiste dix artistes de la Collection Pinault : Lucas Arruda, Yael Bartana, Scénographe : Nina Canell, Latifa Echakhch, Christophe Boulanger Vidya Gas taldon, Je an-Luc Moulène, Antoni Muntadas, Paulo Nazareth, Daniel Steegmann Mangrané, Danh Vo. L’exposition propose un point de vue, une expérience. Elle révèle les préoccupations des artistes qui tra- versent les frontières pour aborder des questions plus universelles en s’appuyant sur leurs souvenirs per- sonnels autant que sur l’Histoire, les témoignages politiques, l’incar- nation des mouvements politiques transnationaux, les déplacements des populations, et l’effacement des frontières entre l’humain, l’animal, le végétal, les cycles de la vie vers la 2
Enrique Ramirez, Autorretrato, 2016 Photographie noir et blanc, impression numérique © Enrique Ramírez, ADAGP Paris 2022 Courtesy de l’artiste et Michel Rein, Paris/Brussels
PINAULT COLLECTION La collection à la pratique artistique dans un lieu équipé pour la création. Le choix Amateur d’art,FrançoisPinault des résidents procède de la déli- est l’un des plus importants col- bération d’un comité de sélection lectionneurs d’art contemporain comptant des représentants de la au monde.La collection qu’il réu- Collection Pinault, de la Direction nit depuis près de 50 ans constitue régionale des Affaires culturelles aujourd’hui un ensemble de plus de des Hauts-de France, du FRAC 10000 oeuvres,représentant tout Grand Large, du Fresnoy-Studio particulièrement l’art des années national des arts contemporains, 1960 à nos jours. du Louvre-Lens et du LaM. La collection Pinault rassemble les œuvres de toutes les générations Depuis sa création en 2016, ont été d’artistes, jeunes talents ou très accueillis le duo américain Melissa reconnus, dans une grande diver- Dubbin et Aaron S. Davidson (2016), sité de cultures et d’origines. Elle l’artiste belge Edith Dekyndt (2017), est aussi un manifeste de la diver- le brésilien Lucas Arruda (2018), le sité des thèmes qui traversent et franco-marocain Hicham Berrada nourrissent l’art de notre époque, et (2019) puis la française Bertille Bak notamment les démarches souvent (2019-2020), puis l’artiste chilien très engagées sur des sujets poli- Enrique Ramirez (2020-2021). tiques, sociaux, raciaux et de genre. Elle se donne à voir au public à tra- vers des accrochages et des expo- sitions régulièrement renouvelés au sein des musées de Pinault Col- lection, ainsi qu’à travers des prêts exceptionnels et un programme de manifestations hors les murs dans des institutions partenaires, en France et à l’étranger. Une résidence à Lens François Pinault a également sou- haité la création d’une résidence afin de poursuivre ce soutien aux artistes et à la création. Située à Lens dans un ancien presby- tère et inaugurée en 2015, la résidence permet aux artistes de travailler durant une année, en leur offrant les meilleures conditions de travail et de recherche. Lieu de vie, lieu de travail, doté d’une bourse mensuelle, la rési- dence d’artistes permet, durant toute une année – de septembre à juin - d’offrir un cadre et un temps
INTERVIEW Extrait d’un entretien entre Ca- jourd’hui tous ces travaux pris dans roline Bourgeois, Pascale Pron- différents contextes mais qui, d’une nier et Enrique Ramirez dans le certaine façon, viennent d’ici. Je catalogue. pourrais dire que ce sont deux défis réunis : travailler avec des artistes Caroline Bourgeois : Ce projet est que je respecte, que j’aime beau- né d’une longue collaboration entre coup, être un artiste invité là où j’ai Le Fresnoy – Studio des arts contem- été étudiant, et aussi travailler avec porains, en particulier avec Pascale deux commissaires [rires]. Pronnier, et Pinault Collection. Il concerne les différents artistes que CB : Oui, ce n’est pas si fréquent. nous avons pu recevoir à la résidence de Lens et qui se sont souvent retrou- Pascale Pronnier : Bien sûr, vés exposés quasiment en parallèle au la décision de concevoir ensemble Fresnoy. Cette année, il s’agit d’En- cette exposition n’est pas le fruit du rique Ramírez. hasard. Des points de convergence De tous ces échanges est née l’idée de artistique existent entre certains faire dialoguer les oeuvres d’Enrique artistes présents dans la Collection avec celles d’artistes de la Collection Pinault, comme Yael Bartana, Pinault. Pascale avait déjà vu nombre Daniel Steegmann Mangrané, de nos expositions, il était presque Antoni Muntadas, Danh Vo… évident, dès le commencement, que La question de la traversée est éga- nous allions inclure certains artistes. lement devenue au fil du temps un Je me rappelle tout particulièrement des sujets essentiels de l’exposition. de Yael Bartana et de Danh Vo pour Concernant le sujet de la traversée, leur rapport au voyage, à la migration, une constante se révèle dans ton aux transports, à la transformation, oeuvre, Enrique, tu tentes toujours aux matières comme l’eau… de rétablir une connexion entre un Quelle était ta première réaction, lieu et son appréhension. Enrique ? Cela peut aussi être un défi de montrer le travail d’un artiste ER : Je pense aussi au titre de l’expo- encore jeune en regard d’oeuvres de sition, « Jusque-là ». Si je pouvais le la Collection Pinault. résumer, je pourrais imaginer qu’il est comme une fenêtre qu’on ouvre. On Enrique Ramírez : Oui, c’est un l’ouvre et on permet aux oeuvres de défi pour plusieurs raisons. parler au public. En tant qu’artiste, ce La première est d’imaginer une qui m’intéresse dans le monde de l’art, exposition avec des artistes que c’est l’art qui pose des questions, non je respecte énormément. Je l’art qui donne des réponses. me demande quelle est la place C’est un art qui interroge plasti- que je dois avoir auprès de tous quement, conceptuellement. Et ces artistes. Mettre en relation j’espère que mon travail essaie de mon travail avec des oeuvres de poser des questions. Je pense que la Collection Pinault est déjà un ce simple titre, « Jusque-là », veut grand défi. La seconde est d’avoir dire beaucoup et peu de choses en été étudiant au Fresnoy et d’y faire même temps. aujourd’hui une exposition. Je pourrais dire qu’une grande partie de moi en tant qu’artiste est née ici, je me suis formé ici et je montre au-
déplacements PISTES PEDAGOGIQUES « L’exposition intitulée Jusque-là œuvres de l’exposition renversent, interroge la façon dont les artistes inversent les points de vue. Elles abordent, explorent, s’approprient permettent de façon générale de la question essentielle de la Traver- penser l’altérité. sée, métaphore de notre humani- té. » Dans ce dossier pédagogique, il s’agit d’entreprendre une typolo- La traversée est une expérience du gie des déplacements opérés par mouvement et du franchissement. les artistes. Ils déplacent, se dé- On parle aujourd’hui de la massifi- placent ou font se déplacer. Cette cation des flux migratoires, d’infor- piste de travail permet d’explo- mations et de marchandises. Cette rer différentes questions des pro- mobilité construit un nouveau rap- grammes des arts plastiques du port au monde. Elle est perçue du collège (objet/espace/corps). Le point de vue des pays les plus déve- regroupement des œuvres s’at- loppés comme un progrès et s’ac- tache à repérer quelques mouve- compagne d’un sentiment de liber- ments récurrents et à observer té. Bien entendu, cette conception les effets sensibles et sémantiques du mouvement n’est pas un bien qu’ils produisent. commun de l’humanité. Elle est un privilège accordé à certains. Il peut Vous retrouverez dans ce dossier être vécu comme une nécessité vi- trois pistes : tale, une obligation ou tout simple- - L’artiste déplace les objets ment devenir impossible. - L’artiste se déplace - L’artiste propose au spectateur de Dans l’exposition, cet attrait pour la se déplacer mobilité ressurgit à travers l’omni- présence de l’eau. La nature de cet Après celles-ci, retrouvez le plan élément fluide en perpétuel mouve- de l’exposition et des notices pour ment apparait comme une clef de chaque œuvres. compréhension du dessein de l’ex- position. Sa répartition sur la pla- Olivier Manidren nète évolue, change. Ce phénomène Enseignant missionné influence les modes de vie, modifie les conditions d’existence. Elle de- vient une préoccupation géopoli- tique et écologique. Hegel : « L’art consiste surtout à saisir les traits momentanés, fugi- tifs et changeants du monde et de sa vie particulière, pour les fixer et les rendre durables ». Si le déplacement est une ques- tion politique cruciale qui façonne notre rapport au monde, comment les artistes s’en emparent-ils ? Les 6
Nina Canell, Days of Inertia, 2015 Eau, couche hydrophobe, tuile de grès © Nina Canell, ADAGP Paris 2022 Courtesy Marian Goodman Gallery Photo © Rebecca Fanuele Pinault Collection
L’artiste déplace les objets PISTES PEDAGOGIQUES Les objets présents dans l’exposi- L’objet a-t-il été choisi au ha- tion, tirés de leur situation quoti- sard ? Quel est le motif de leur dienne portent un autre sens. présence ? Ces objets ont-ils une histoire ? D’où viennent-ils ? Nous Collectionnés, soclés, présentés, permettent-ils de nous projeter mis en scène, ils se chargent d’une vers un ailleurs ? Comment y par- gravité poétique. Ils racontent d’une viennent-ils ? voix muette des histoires d’un autre monde. Ils se différencient en cela Les objets présentés portent des du ready-made. Ils témoignent des histoires venues d’ailleurs. Ils sont existences singulières, la présence des souvenirs qui ne sont pas ra- de ceux qui les fabriquent, qui les contés explicitement. L’objet rap- consomment ou qui les utilisent. porte quelque chose du monde dans lequel il a été prélevé qui in- Il est ainsi difficile de comprendre vestit l’espace du musée. Il est in- le motif de leur présence sans dis- téressant d’observer sa capacité à cours. Pour saisir le sens, il faut in- coloniser, à occuper l’espace dans terroger les conditions de création lequel il est contenu. Les artistes de l’œuvre. D’où viennent-ils ? De installent les objets et, se faisant, ils quoi sont-ils faits ? Qui les a fabri- s’approprient l’espace pour le réin- qués ? Quelle était leur fonction ? venter. Leur mise en scène spatiale, Ils sont les souvenirs, des témoi- olfactive ou encore sonore, trans- gnages que les artistes exportent. porte et fait voyager en quelque Comment des objets utilitaires par- sorte. viennent-ils à faire œuvre ? Qu’est- ce qui leur donne un caractère ar- L’exposition est à vivre au présent, tistique ? Comment le dispositif de elle propose une expérience qui met présentation modifie-t-il leur per- à contribution les sens du specta- ception et leur statut ? teur. Enrique Ramirez précise d’ail- leurs que l’exposition doit être en Pendant la visite, le professeur mesure de projeter le spectateur peut demander aux élèves d’iden- dans une forêt. tifier les objets et de décrire leur mise en scène. Ce travail permet aussi d’apprendre ou de revoir les noms les dispositifs de présentation et d’observer les effets sensibles qu’ils produisent. Le déplacement de l’objet participe au processus de création. Ainsi, introduit dans un nouveau contexte, l’objet semble se réinventer, il se charge d’un nou- veau sens. D’autres questions semblent pou- voir être posées conjointement. 8
Œuvres associées Enrique Ramírez, Restos de mar n° 7, 2017 (page 30) Enrique Ramírez, El lamento del velero invertido, 2021 (page 44) Enrique Ramírez, Cielo Americano, 2015 (page 30) Paulo Nazareth, Santos de Minha Mae, 2013 (page 35) Latifa Echakhch, Fantôme (Jasmin), 2012 (page 39) Enrique Ramírez, Mirror, 2019 (page 38) 9
LIENS AVEC LES PROGRAMMES Cycle 3 ventée par les élèves exprimera une En classe relation antagoniste qui provoquera L’objet de tous les regards chez le spectateur une réaction. Un objet du quotidien fonction- nel et sans valeur devient singu- Relation au programme : lier, change de statut sans être L’œuvre, l’espace, l’auteur, le modifié physiquement. Les élèves spectateur conçoivent des dispositifs de pré- - La présence matérielle de sentation afin d’exposer leur objet. l’œuvre dans l’espace, la présenta- Relation au programme : tion de l’œuvre : l’in situ, les dispo- sitifs de présentation, l’exploration La représentation plastique et des présentations des productions les dispositifs de présentation plastiques et des œuvres - La prise en compte du spec- tateur, de l’effet recherché : décou- La matérialité de l’œuvre ; l’ob- verte des modalités de présenta- jet et l’œuvre tion afin de permettre la réception - L’objet comme matériau en d’une production plastique ou d’une art : les effets de décontextualisa- œuvre (accrochage, mise en es- tion et de recontextualisation des pace, mise en scène, frontalité) objets dans une démarche artis- - La mise en regard et en es- tique. pace : ses modalités (présence ou - Les représentations et statuts absence du cadre, du socle, du pié- de l’objet en art : la place de l’objet destal...) non artistique dans l’art. Cycle 4 Cycle 4 En classe En classe Une rencontre incongrue. Installation autoportrait Les élèves travaillent sur la no- Dans l’espace de la classe, les tion de contexte habituel et quoti- élèves réalisent une installation dien des objets. Il leur est demandé dans laquelle le choix des objets d’envisager une rencontre éton- (quotidien) et leur mise en scène nante entre un lieu et un objet de dans l’espace contribuent à révéler leur choix. La réalisation se résume l’identité de son auteur. dans un premier temps à mettre en scène l’objet dans l’espace choisi. Relation au programme : La suite du travail propose à l’élève La représentation ; images, réa- de photographier son installation lité et fiction (choix du cadrage et de l’angle de - La ressemblance : le rapport vue afin de rendre compréhensible au réel et la valeur expressive de le projet de l’élève). L’élève peut l’écart en art achever sa production en lui don- - Le dispositif de représenta- nant un titre poétique qui renforce tion : l’installation le caractère incongru de cette ren- - La matérialité de l’œuvre ; contre. l’objet et l’œuvre La question du déplacement permet - Les représentations et statuts de mettre en conflit les valeurs que de l’objet en art : la place de l’objet l’on attribue habituellement aux non artistique dans l’art lieux et aux objets. La situation in- 10
L’artiste SE déplace PISTES PEDAGOGIQUES Comment faire d’un voyage une œuvre ? Comment le fait de voya- ger peut-il devenir un geste artis- tique ? En quoi le fait de voyager permet-il de tisser d’autres liens avec le monde ? En quoi le fait de voyager nous transforme-t-il ? Dans chacune de ces œuvres, il est question d’une traversée initiatique. Les motifs de ces expéditions sont divers. Elles peuvent être motivées par des raisons spirituelles ou poli- tiques. Leur récit prend différentes formes, celle d’une série de photo- graphie ou d’un cliché unique ou encore d’un film. Le voyage apparait comme une quête non pas d’un ailleurs, mais de l’identité de l’artiste. Ces œuvres ont un caractère performatif. Elle rend compte d’une action qui porte un sens. Le voyage permet de ques- tionner son rapport au monde et son histoire. La question de la colo- nisation et de l’immigration semble être au cœur de chacun de ces pro- jets. Les artistes donnent à leur pé- riple une dimension symbolique et politique. Le voyage devient un pè- lerinage qui permet de méditer, de penser son rapport au monde. Les images sont les traces de cette pen- sée, des impressions qui font état de cette recherche. 11
Œuvres associées Paulo Nazareth, Untitled, série Noticias de America, Yael Bartana, A declaration, 2006 (page 32) 2011-2012 ( page 29) Enrique Ramirez,Un hombre que camina, 2011-2014 (page 41) Enrique Ramirez, Autorretrato, 2016 (page 42) 12
LIENS AVEC LES PROGRAMMES Cycle 3 doit être en mesure de raconter En classe le périple du marcheur. Peut-être Des chaussures qui ont fait le permettra-t-elle d’identifier les tour du monde. pays traversés ou d’évoquer les La dernière photographie de la série aventures imaginaires du voyageur. de l’œuvre Untitled, from Noticias de America (Nouvelles d’Amérique) Relation au programme : de Paulo Nazareth représente les La représentation plastique et deux pieds de l’artiste foulant le les dispositifs de présentation drapeau américain en contre-plon- - La narration visuelle : les gée. compositions plastiques, en deux et Alors que les autres clichés consti- en trois dimensions, à des fins de tuent une galerie d’autoportraits récit ou de témoignage, l’organi- réalisés dans différents lieux, la sation des images fixes et animées série s’achève en portant l’atten- pour raconter. tion du spectateur sur les pieds - Les fabrications et la relation abimés et crasseux de l’artiste. À entre l’objet et l’espace partir de cette remarque, on peut - L’invention, la fabrication, les demander aux élèves de formuler détournements, les mises en scène des hypothèses sur les raisons qui des objets : création d’objets, inter- ont poussé l’artiste à faire ce choix. vention sur des objets, leur trans- Pourquoi l’artiste a-t-il voyagé formation ou manipulation à des pieds nus ? Dans quel état sont ses fins narratives, symboliques ou pieds ? Que veut-il nous montrer à poétiques travers cette photographie ? Les pieds de l’artiste présentent Cycle 4 les traces de son expédition. Ils ra- La traversée content l’histoire de la traversée de Traversons-nous les espaces quo- l’artiste qui a marché sans chaus- tidiens toujours de la même façon ? sures et sans passeport de sa ville Y a-t-il des trajets plus joyeux que natale au Brésil jusqu’à New York. d’autres ? Les espaces traver- La marche pieds nus sur une dis- sés influencent-ils notre manière tance aussi importante a proba- de marcher ? Comment le dépla- blement altéré la morphologie de cement du corps dans un espace ses pieds. La peau en captant la peut-il faire œuvre ? Comment poussière des lieux traversés trans- peut-il devenir un moyen autonome forme leur apparence. L’artiste d’expression ? montre peut-être que le voyage est une épreuve qui a modifié son être. L’œuvre, l’espace, l’auteur, le Peut-être ne reconnait-il pas tout à spectateur fait les pieds qu’il a photographiés - La relation du corps à la pro- et qui pourtant lui appartiennent ? duction artistique : l’implication Peut-être que cette photographie du corps de l’auteur ; la lisibilité du résume l’expérience de cette in- processus de production et de son croyable expédition ? déploiement dans le temps et dans l’espace : traces, performance, Le choix de la chaussure évoque le théâtralisation corps et la marche. Ainsi, il est de- mandé d’intervenir plastiquement sur cet objet. La transformation 13
L’artiste PROPOSE AU SPECTATEUR DE SE DEPLACER Les œuvres questionnent aussi le déplacement du spectateur. Elles peuvent être perçues comme une mise en abyme de cette notion. Le spectateur se déplace pour décou- vrir des œuvres qui explorent les ef- fets du mouvement de l’eau d’une façon plus ou moins explicite. L’arc-en-ciel fait de bouts de laine évoque la pluie, les peintures repré- sentant des paysages chargés de brume, les morceaux de bois posés au sol transportés et façonnés par le courant de la rivière, l’écume des vagues qui s’abattent sur des ro- chers montre à quel point cet élé- ment modifie notre perception et réinvente de façon continue les es- paces qu’il traverse. De la même façon, le spectateur désireux de faire l’expérience des œuvres circule pour les appréhen- der dans leur totalité. Les œuvres proposent leur propre mouvement pour se révéler. Le spectateur est ainsi amené lors de la visite à s’immerger, à tourner autour, à errer, à s’avancer. Les œuvres se développent ainsi dans la durée et l’espace. L’expérience de la mobilité éveille notre conscience du temps, de l’instant, du cycle. La visite de l’exposition se réalise peut-être en se laissant porter par le courant généré par les œuvres. Le sens se découvre ou s’élabore en mouvement. 14
Œuvres associées Enrique Ramirez, Punto de fuga al profundo horizonte, Lucas Arruda, Untitled (from the Deserto-Modelo 2019 (page 42) Series), 2019 (page 23) Danh Vo, Log Dog, 2013 (page 34) Vidya Gastaldon, Escalator (Rainbow Rain), 2007 (page 40) Daniel Steegman Mangrané, Espaço Avenca, 2014 Nina Canell, Days of Inertia, 2015 (page 26) (page 37) 15
LIENS AVEC LES PROGRAMMES cycle 4 tateur dans ses relations à l’espace, Au musée au temps de l’œuvre, à l’inscrip- Le parcours idéal tion de son corps dans la relation à Comment la circulation du spec- l’œuvre ou dans l’œuvre achevée. tateur au sein d’une exposition in- fluence -t-elle notre perception et notre compréhension des œuvres ? En quoi le déplacement du spec- tateur est-il un élément indispen- sable pour percevoir pleinement certaines œuvres ? Après la visite guidée de l’exposi- tion, les élèves par groupe de quatre ou de cinq munis du plan de l’expo- sition mettent au point et tracent le parcours idéal de l’exposition. Les élèves élaborent et indiquent gra- phiquement les déplacements qui permettent de mieux appréhender les œuvres. Les parcours sont mis en commun et expliqués à la classe. En classe Une réalisation à parcourir Il s’agira de produire une réalisa- tion à partir d’un tracé donné par le professeur. Cette ligne accom- pagnée de quelques informations dessine le déplacement idéal qui permet de découvrir pleinement la réalisation que les élèves auront à produire. Il s’agit de concevoir le développement d’une production plastique dans l’espace qui se dé- couvre en réalisant un parcours donné. (Plusieurs tracés sont pré- vus, le groupe d’élève en sélection- nera un). Les élèves peuvent réali- ser s’ils le souhaitent une maquette de leur projet. Relation au programme : L’œuvre, l’espace, l’auteur, le spectateur - L’e x p é r i e n c e s e n s i b l e d e l’espace de l’œuvre : l’espace et le temps comme matériaux de l’œuvre, la mobilisation des sens ; le point de vue de l’auteur et du spec- 16
QUESTIONS OBLIQUES VISITE-jeu « Où est le centre ? », « Quelle du- rée cela t’évoque ? », « Si tu devais ajouter quelque chose, ce serait quoi ? ». En 2013, La Kunsthalle Mulhouse a commandé un protocole de visite des expositions à l’artiste Frédéric Forté. Membre de l’Oulipo, l’auteur a créé le jeu Questions Obliques, en s’inspirant d’Oblique Strategies, inventé dans les années 70 par le musicien Brian Eno et l’artiste Pe- ter Schmidt. A l’origine, il s’agissait d’un jeu destiné à aider les artistes dans leur travail de création en leur proposant d’appliquer des « instruc- tions » tirées au hasard. Les cartes du jeu Questions Obliques, avec leur trois niveaux de difficulté, interrogent de manière parfois suprenante et décalée, le vi- siteur sur sa perception de l’exposi- tion. Celles-ci peuvent s’appliquer à toute expérience de visite, quel que Inspirés par le principe, les ensei- soit le lieu ou les œuvres exposées. gnants peuvent également faire réfléchir les élèves à leurs propres Dans le cadre de l’exposition Jusque- questions pour composer eux- là, nous vous proposons de découvrir même un jeu de cartes propre à la les œuvres avec votre groupe sous classe. forme de Visite oblique en compa- gnie d’un guide (voir programme Retrouvez des exemples de «ques- des activités proposées en lien avec tions obliques» à se poser face à l’exposition pour les groupes et sco- aux œuvre en page suivante. laires). Sur demande, nous pouvons égale- ment mettre un exemplaire du jeu à disposition de votre groupe lors d’une visite libre. Questions Obliques peut également être commandé ici : https://musees-mulhouse.fr/pro- duit/questions-obliques/ 17
Exemples de Questions obliques, jeu de cartes de Frédéric Forté, publié par la Kunsthalle Mulhouse https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=8862
PLAN ET Œuvres DE L’EXPOSITION 19
plan de l’EXPOSITION Accueil et petite nef : 1 - Enrique Ramírez, Para construir un jardín, necesitamos de un trozo de tierra y la eternidad, 2019 - Citation de Gilles Clément 2 - Lucas Arruda, Untitled, From the Deserto-Modelo Series), 2019 3 - Enrique Ramírez, Cruz, mar del plata, 2017 4 - Nina Canell, Days of Inertia, 2015 5 - Enrique Ramírez, America bajo el agua, 2018 6 - Jean-Luc Moulène, Pale Blue Eyes (Paris, 2019), 2019 7 - Enrique Ramírez, Archéologie n°l d’une voile, 2019 8 - Enrique Ramírez, Wind Project, 2020 9 - Joaquín Torres García, América lnvertida, 1943 (projection) Accueil 20
Grande nef : 10 - Paulo Nazareth, Untitled, 14 œuvres de la série Noticias de America, 2011-2012 11 - Enrique Ramírez, Cielo Americano, 2015 12 - Enrique Ramírez, Restos de mar n°7, 2017 13 - Antoni Muntadas, Diálogo, 1980 (recréé en 2012) 14 - Yael Bartana, A Declaration, 2006 15 - Enrique Ramírez, Alerce, 2017 16 - Danh Vo, Log Dog, 2013 17 - Paulo Nazareth, Santos de Minha Mae - Veneza Guarani - Aprender a rezar em Guarani e Kaiowa para o mundo não acabar, 2013 18 - Enrique Ramírez, 4820 brillos, 2017 19 - Daniel Steegmann Mangrané, Espaço Avenca, 2014 20 - Daniel Steegmann Mangrané, Phasmides, 2008-2012 21 - Enrique Ramírez, Mirror, 2019 22 - Latifa Echakhch, Fantôme (Jasmin), 2012 23 - Vidya Gastaldon, Escalator (Rainbow Rain), 2007 24 - Enrique Ramírez, Un hombre que camina, 2011-2014 25 - Enrique Ramírez, Punto de fuga al profundo horizonte, 2019 26 - Enrique Ramírez, La memoria verde, 2019 27 - Enrique Ramírez, El lamento de velero invertido, 2022 28 - Enrique Ramírez, Blanchiment 1 et Blanchiment 2, 2019 29 - Enrique Ramírez, Autorretrato, 2016 30 - Table de documentation : catalogues des artistes 21
| 1 | ENRIQUE RAMíREZ | 1 | Para construir un jardín, necesitamos de un trozo de tierra y la eternidad Néon bleu, 142 ×90 cm, 2019. Courtesy de l’artiste et Michel Rein Paris/Brussels. L’œuvre nous invite à réfléchir sur les cycles de vie, la floraison, la mort de la matière et sa transformation. Cette phrase du jardinier, biologiste et écrivain français Gilles Clément –et qui signifie «Pour construire un jardin, nous avons besoin d’un morceau de terre et de l’éternité.» –est transposée sous forme d’un néon de couleur bleue –le bleu de l’océan. L’enjeu de l’œuvre est avant tout une narration poétique. Enrique Ramírez s’intéresse aux his- toires dans les histoires, aux fictions qui chevauchent des périodes et des pays, aux mirages entre le monde du rêve et de la réalité. C’est une invitation à repenser la relation entre l’homme et la nature selon trois faits : la surex- 1 ploitation des ressources naturelles, la connaissance de la biodiversité, et Accueil l’invitation à reprendre contact avec le vivant. 22
| 2 | lucas arruda | 2 | Untitled l’intensité et finit par créer des espaces (from the Deserto-Modelo series) ni abstraits, ni figuratifs », affirme-t-il. Les œuvres de Lucas Arruda rappellent Quatre peintures à l’huile sur panneau de bois, certains paysages romantiques tout en 2019. Courtesy de l’artiste, Mendes Wood DM, mettant en exergue la matérialité de la São Paulo/Brussels/New York et David Zwirner. peinture. La série présentée ici est ins- Pinault Collection. pirée de l’Amazonie. «Comme la mer, les jungles sont plus fortes que nous.» Les paysages brumeux de Lucas dit l’artiste. Arruda, peints dans un style im- pressionniste, ne sont pas réalisés Lucas Arruda a été le troisième artiste d’après nature mais sont peints dans à participer au programme de rési- son atelier où il se laisse guider par dence de Pinault Collection à Lens, de sa mémoire. Ses compositions ren- septembre 2017 à juin 2018. voient le plus souvent à un moment en marge de la journée : à l’aube, au crépuscule ou la nuit, lorsque les choses perdent leur tranchant. Généralement scindées d’une ligne d’horizon (seul élément structurant 2 de la composition), ses peintures de laissent une large place à la lumière, aux effets d’atmosphère et de texture. « La lumière est au centre de mon travail, elle est le mouvement. C’est la Petite nef lumière qui guide ma peinture, qui crée 23
| 3 - 5 | ENRIQUE RAMíREZ | 3 |Cruz, mar del plata Photographie, caisson lumineux, 2017. Courtesy de l’artiste et Michel Rein Paris/Brussels. Cruz, mar del plata a été conçue dans le cadre des 40 ans de la commémoration de l’abdication de la dernière dictature argentine de 1976 à 1983. Durant cette période, plus de 10 000 personnes ont été | 5 |America bajo el agua jetées dans la mer de la province de Buenos Aires. Terre cuite, eau, 2018. Courtesy de l’artiste et Mi- À l’occasion de cette commémoration, chel Rein Paris/Brussels. l’artiste a installé une croix sur les flots. Dans cette sculpture en terre cuite, Enrique Ramírez nous donne à voir «Quelque chose relie trois de mes sa vision de l’Amérique latine sous œuvres, Cruz, mar del plata, Ame- la forme d’un récipient d’eau douce. rica bajo el agua et Punto de fuga al Le continent sud-américain, dont les profundo horizonte, et c’est bien sûr façades maritimes sont ouvertes tant l’eau. Mais elles sont aussi associées à sur l’océan Pacifique que sur l’océan la façon dont l’Amérique du Sud a été Atlantique, recèle 27 % des ressources utilisée politiquement, la façon dont d’eau douce de la planète. cet océan peut ou non parler de tous les événements politiques et des dé- sastres qui s’y sont produits. Je pense à l’opération Condor – la campagne de répression menée par la dictature chilienne au cours de laquelle les oppo- 3 sants politiques étaient lestés et lancés dans la mer –, mais aussi aux 10 000 5 personnes qui ont subi le même sort lors des « Vuelos de la muerte » [vols de la mort] en Argentine. C’est quelque chose qui a eu lieu dans toutes les dic- tatures de l’Amérique latine. C’est le Petite nef point de départ de ces œuvres.» 24
| 7 - 8 | ENRIQUE RAMíREZ | 7 | Archéologie n°1 d’une voile | 8 | WIND PROJECT Patrons de voile, cadre bois, verre, 2019. Courtesy Raspberry, Eurorack, carte SD, logiciel, 2020. de l’artiste et Michel Rein Paris/Brussels. Courtesy de l’artiste et Michel Rein Paris/Brussels. Cette œuvre délicate et fragile contient Pour ce projet conçu durant sa résidence des patrons de voiles des années 1980. à Lens, Enrique Ramírez développe un Ils appartenaient au père d’Enrique logiciel capable de capter les change- Ramírez, fabricant de voiles de ba- ments de la pression atmosphérique et teaux. les changements climatiques. Il crée un instrument, un système onduleur Disposés et pliés sous un verre, ces connecté à internet et qui émet un signal. objets donnent une dimension mémo- Ce dispositif est perpétuellement en train rielle et intime à l’immensité des flots d’enregistrer et d’interpréter des données et se révèlent comme les chapitres de en produisant des sons aléatoires, parfois l’histoire personnelle de l’artiste, mais dissonants. Les lieux de captation sont le aussi celle politique du Chili où, précise pôle Sud et le pôle Nord. l’artiste, « même l’eau n’appartient « Cet Eurorack est géré avec une pro- plus au peuple, parce que les sources grammation qui reprend les données ont été vendues à d’autres pays. (...) relevées dans deux lieux différents du La géographie particulière du Chili monde : le pôle Sud et le pôle Nord. Il donne à la mer un rôle prépondérant reprend la vitesse du vent, la tempéra- dans la construction politique et poé- ture, l’humidité et, avec ces données, il tique du pays. Ce que j’aime beaucoup est capable de produire du son. Le chef dans la mer, c’est qu’elle me permet de d’orchestre, c’est la nature.» prendre un risque : j’essaie de ne ja- mais me répéter, de toujours prendre différents chemins – même si l’on parle finalement toujours de la même chose. 8 Et la mer permet de prendre de la dis- tance avec la terre, de la regarder et 7 d’essayer de la comprendre depuis un autre point de vue. On est face à un élé- ment auquel on ne peut pas s’accro- cher. La mer est une vraie matière, un support pour comprendre le monde.» Petite nef 25
| 4 | NINA CANELL | 4 | Days of Inertia Le déplacement d’énergie fait par- tie intégrante de l’œuvre de Nina Eau, couche hydrophobe, tuile de grès, 2015. Canell. Ses sculptures, traversées par Courtesy Marian Goodman Gallery. des arcs électriques ou des sources de Pinault Collection. chaleur, sont l’objet de réactions phy- siques délicates et éphémères, qui À la frontière des arts plastiques et des soulignent notre relation à l’environ- expérimentations scientifiques, les ins- nement immédiat tout en révélant ce tallations et sculptures de Nina Canell qui se situe hors de notre entendement. témoignent de son goût prononcé pour le processus de transformation. Days of Inertia est une sculpture constituée de plusieurs fragments de carreaux en céramique, brisés de fa- çon aléatoire et dispersés sur le sol. Leur surface étonnamment brillante est légèrement vibrante, écartant l’idée d’un simple vernis : le pourtour de ces débris est enduit d’un produit hydrofuge qui agit comme une barrière invisible capable 4 de contenir un liquide versé. En résulte des carreaux miroitant sur lesquels affleure une eau calme. Petite nef 26
| 6 | Jean-Luc MOULÈNE | 6 | Pale Blue Eyes regarder, regarder l’exposition elle- même et les œuvres qui la composent, Résine à l’eau, plâtre et papiers collés, 2019. offrant une multiplicité de points de Courtesy de l’artiste et Miguel Abreu Gallery, New vue. York. Pinault Collection. S’opposant aux représentations esthétisantes, Moulène développe une recherche formelle empreinte d’ironie et d’humour. Ses objets impro- bables, à l’instar de ses assemblages issus d’un processus d’érosion ou de ses sculptures nées d’une modélisation en trois dimensions, s’agencent tel un cabinet de curiosités à la fois cryptique et fantasque. Pale Blue Eyes est une sculpture faite de collages, de centaines d’images 6 différentes reproduisant des yeux qui rappellent les petites amulettes tradi- tionnelles turques destinées à protéger contre le mauvais œil. Démultipliés sur Petite nef cette petite surface, ils semblent nous 27
| 9 | Joaquín Torres García Dans América Invertida, daté de 1943, il inverse la représentation symbolique du continent Américain. L’artiste repo- sitionne les perspectives et les points de vue de l’histoire sur les rapports Nord/Sud. Comme une affirmation visuelle d’une renaissance de l’Amérique latine, l’artiste offre ainsi une autre vision du monde, qui ne serait pas celle des pays domi- nants. «De la même sorte, les planisphères communément placardés donnent une perception et par extension une représentation euro-centrée. L’ancien monde au milieu préfigure l’adjonction du nouveau. Depuis la | 9 | América Invertida « découverte » au xve siècle d’un autre continent, l’agencement topo- Reproduction du dessin, encre sur papier, 22 x 16 graphique des planisphères usuels cm, 1943. Courtesy de l’artiste et de la Collection sont curieusement restés inchangés Fundación Torres García, Montevideo. – si l’on passe outre, aujourd’hui, les vues satellitaires de Google Earth et À Paris, dans les années 1930, le peintre autres merveilles technologiques qui muraliste, sculpteur, écrivain, ensei- facilitent une mobilité de perceptions. gnant et théoricien uruguayen Joaquín La perspective adoptée par Joaquín Torres García développe un langage Torres García pour América Invertida pictural qu’il nomme Universalismo bascule tête-bêche l’Amérique, rejoi- Constructivo. Entre abstraction pure et gnant ainsi une tradition d’interpré- valeurs archaïques précolombiennes, il tations plus ou moins volontaires de construit ses compositions à l’aide d’un cartes fantasmées. système de pictogrammes. Son enjeu : Néanmoins, la ferveur avec laquelle il réaliser un art universel immédiatement s’éprend, par une ligne fluide, à pro- perceptible par les sens. poser le pôle Sud au sommet de son dessin est ce qui signe non seulement Après avoir séjourné à Barcelone, une inversion mais aussi un renver- Madrid, Paris et New York, Torres- sement de paradigme. Dès lors, cette García revient à Montevideo, sa ville perspective décomplexée fait figure de natale, en 1934. Il y fonde l’École du sud référence.» qui, tout à la fois, diffuse les théories Elisa Ganivet, extrait du texte Fluidités de la résis- modernes de l’art et inscrit le primitivisme tance, dans le catalogue de l’exposition Jusque-Là. au cœur de son programme artistique. Sa passion contagieuse et sa pédagogie rationnelle l’aident à former une nouvelle génération d’artistes et à marquer de façon durable la peinture la plus nova- 9 trice d’Amérique du Sud. Petite nef 28
| 10 | Paulo NAZARETH | 10 | Untitled, Noticias de America L’artiste dit : « Étant métisse et voya- geant à travers les Amériques, ma 14 tirages sur papier coton, 2011/2012. Courtesy peau change tous les jours. Chez moi, Mendes Wood DM, Sao Paulo, Brazil, Brussels. les étiquettes ne sont pas si bien défi- Pinault Collection. nies Je ne peux pas ouvrir la bouche car alors la couleur de ma peau change, il En 2011, Paulo Nazareth entreprend y a des jours où je suis arabe, pakista- une épopée pédestre de dix mois, qui nais, indigène et d’autres adjectifs qui le fera traverser l’Amérique du Sud, peuvent changer selon le regard des l’Amérique centrale puis Cuba avant autres et les mots qui sortent de ma de rejoindre les États-Unis. En narrant bouche… ». son voyage le long de ce parcours mi- gratoire, il retrace les tensions sociales et les disparités de communautés mar- quées par l’héritage colonial. Les quatorze photographies issues de la série Noticias de America (« Nou- velles d’Amérique ») composent le récit de ce périple hors normes. Marchant du Brésil jusqu’à New York, Paulo Na- zareth se photographie seul, aux côtés 10 des locaux ou de soldats américains, et livre un témoignage tout aussi auto- biographique que documentaire. 29 Grande nef
| 11 - 12 | ENRIQUE RAMíREZ | 11 | Cielo Americano | 12 | Restos de mar n°7 Vidéo sur moniteur, son, drapeau américain. Voile Dacron, vitrine en plexiglas gravé, pieds en Dimensions variables. Vidéo 1 min, 33 sec, 2015. acier, 2017. Courtesy de l’artiste et Michel Rein, Courtesy de l’artiste et Die Ecke, Santiago. Paris/Brussels. Cielo Americano [Ciel américain] «Restos de mar [Restes de la mer], est une installation donnant à voir c’est ce que l’eau rend à la terre, ce un moniteur posé sur un drapeau qui a décidé de revenir pour ne pas américain. disparaître ; ce qui engloutit le temps Ce bout de tissu, hissé sur un mât, ce que le vent, le soleil et les courants plié, rangé, utilisé, abîmé et délaissé, est n’ont pas pu vaincre… ce que l’histoire récupéré par l’artiste dans un marché ne peut pas perdre de vue, bien qu’elle Chilien. Un maraîcher l’avait utilisé tente de disparaître ; ce qui n’est plus pour protéger ses condiments, fruits, transparent la volonté de survivre, de et légumes. Usé, sali par le temps, le laisser une trace de ce qui existait… drapeau symbolise l’histoire de l’Amérique Les voyages transforment les gens et et de son influence sur les autres pays. ils transforment aussi les choses. Les voiles sont enserrées dans une vitrine Enrique Ramírez filme les étoiles du où des textes ont été gravés. drapeau américain qu’il a préala- On ne revient jamais d’un voyage… on blement découpées, et qui laissent en revient « un autre », transformé apparaître le ciel derrière elles. Une d’une certaine manière, plein d’expé- présence sonore discrète émane du riences.» moniteur : celle du mouvement du dra- peau au gré du vent. «Couper les étoiles de ce drapeau est un acte indissociable de la perte d’il- lusions vis-à-vis du rêve américain. Et en même temps, c’est aussi lié aux histoires des communautés autoch- 8 tones d’Amérique du Sud. Elles racon- taient que ce qu’on voyait dans le ciel, 12 ce n’était pas des étoiles, c’était des trous. Et donc le ciel était toujours noir. Ces deux éléments-là se trouvent dans 11 cette œuvre.» 30 Grande nef
| 13 | ANTONI MUNTADAS | 13 | Diálogo Sur le registre de la métaphore, Antoni Muntadas offre une image à la dualité qui Duratrans dans un boîtier d’angle cannelé en noyer divise la société capitaliste, schizophré- avec 20 watts de puissance, 1980 (restaurée 2012). nique. D’un côté, un monde technolo- Courtesy de l’artiste et Kent Fine Art, New-York An- gique et scientifique s’est construit sur toni Muntadas. Pinault Collection. la Révolution industrielle ; de l’autre, une réalité existante, dévalorisée, qui Une ampoule et une bougie se cohabite avec l’ère du « progrès » et de confrontent, verticalement, dans une l’innovation. boîte lumineuse. De ce duel poétique, concentré dans l’espace entre les deux sources de lumière, naît un véritable dialogue entre deux époques, deux technologies, deux durées. L’installation Diálogo joue néanmoins 13 un drame inéluctable : la flamme de la bougie peut éclater le verre de l’am- poule, et la bougie peut se consumer et disparaître. 31 Grande nef
| 14 | Yael BARTANA | 14 | A Declaration Porté par sa symbolique pacifique, le film de l’artiste israélienne Yael Bar- Installation video, bande son par Daniel Meir, 7 min. tana joue avec certains codes natio- 30 sec, 2006. Courtesy Annet Gelink Gallery, nalistes de son pays. Elle réutilise la Amsterdam. Pinault Collection. figure héroïque du pionnier des premiers temps d’Israël et fait formellement réfé- L’artiste israélienne Yael Bartana rence aux films de propagande des an- construit une réflexion critique et poé- nées 1930 (recours aux gros plans, aux tique sur la question des symboliques légers ralentis). nationalistes. S’opère ainsi une dénationalisation symbolique du territoire par la figure-même, A Declaration prend scène sur la côte et éminemment nationaliste, du pionnier. sud de Tel-Aviv, à la frontière invisible de Jaffa. Le drapeau israélien flotte sur le «rocher d’Andromède», dont le nom fait allusion à une princesse offerte en 14 sacrifice dans la mythologie grecque. Dans la vidéo, un jeune homme rame sur un bateau transportant un olivier et remplace le drapeau israélien par cet arbre, avant de se poser, méditatif, à ses côtés. On ne peut ignorer la signi- fication chargée de cet olivier dans les sociétés israélienne et palestinienne. 32 Grande nef
| 15 | ENRIQUE RAMíREZ | 15 | Alerce suis dit que j’aimerais aller à l’encontre de ces images et filmer cet arbre qui est Film 2k, couleur, son stéréo, 8 min. 12 sec, 2017. l’un des plus vieux arbres d’Amérique du Courtesy de l’artiste et Michel Rein, Paris/Brus- Sud. Il est encore là, vivant, et s’il pou- sels. vait parler… Imaginez ce qu’il pourrait raconter, ce serait incroyable ! Alerce est une vidéo, un voyage poé- Finalement, l’arbre parle d’une cer- tique, vertical et vivant à travers la taine façon, quand on voit son écorce, géographie de l’Amérique du Sud. C’est cette peau, de manière rapprochée. On la représentation de l’arbre le plus an- pense à cette idée de galaxie, à l’énergie cien d’Amérique du Sud –plus de 3 600 extrêmement forte qui pousse autour ans –situé dans le parc national de de lui.» l’Alerce dans la région de Los Ríos au nord du Chili. Enrique Ramírez nous invite à contempler la représentation du temps. La caméra progresse le long des veines de l’arbre en remontant le tronc vers la cime. La composition sonore de la vi- déo nous entraine au cœurde la forêt 15 tropicale pour entendre sa respiration. L’œuvre se termine par une ouverture sur le monde magnétique du vivant. Cette vidéo est présentée dans le cadre de l’exposition pour la première fois en France. «Alerce est née lors des grands incen- dies au Chili. Beaucoup de forêts ont été brûlées à ce moment-là, et je me 33 Grande nef
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