L'aire marine - Office français de la biodiversité
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L’aire ire marine N° 55 Notre dossier : Des financements pour agir Portrait : Jérômine Derigny, l’œil de l’océan Mai 2022 Restaurer l’huître plate en Nouvelle-Aquitaine Capena L’huître plate, espèce endémique de Nouvelle-Aquitaine, a quasiment disparu. Un recensement est en cours. L’huître plate a quasiment disparu logique majeur, rappelle Yohan Weiller, chargé de gers, professionnels et amateurs, ont été interrogés mission pêche et cultures marines au parc naturel pour aider à mettre en place une cartographie des en Nouvelle-Aquitaine. Une opération marin estuaire de la Gironde et mer des Pertuis. bancs. Celle-ci est en cours grâce à des plongées de recensement, prélude à une éventuelle Les bancs d’huîtres plates qui peuvent former des et des prospections vidéo. « Il faut valider ce qu’on restauration, est en cours. récifs accueillent énormément d’espèces. Les huîtres croit savoir de manière empirique et, surtout, ne rien creuses qui se développent plus haut sur l’estran ne laisser de côté pour estimer la population et son état E remplissent pas le même rôle. » écologique », souligne Yohan Weiller. n Nouvelle-Aquitaine, la population Les habitats sont observés et des prélèvements ef- d’huîtres plates, espèce endémique, a Recensement fectués parmi les populations. « Après avoir étudié été très fortement réduite en raison d’une et cartographie l’état écologique, la dynamique des bancs et tout conjonction de facteurs environnementaux l’environnement associé, nous souhaitons analyser pathogènes et d’une activité de pêche im- Ces deux parcs marins se sont donc fortement impli- les huîtres pour vérifier la présence de parasites, mais portante. « C’est l’espèce qui est à l’origine qués dans le projet Refona, pour la restauration et la également pour caractériser génétiquement ces po- de l’ostréiculture de la région et qui représente donc conservation de l’huître plate en Nouvelle-Aquitaine, pulations, développe Cynthia Carpentier, chargée de un enjeu important d’un point de vue culturel, sou- porté et mis en œuvre par le centre régional pour mission aquaculture et innovation au Capena. Avec ligne Kévin Leleu, chef d’unité usages maritimes au l’aquaculture, la pêche et l’environnement (Cape- l’Ifremer, nous pourrons également savoir si les po- parc naturel marin du bassin d’Arcachon. Mais à la na). Une première opération de recensement s'est pulations de Nouvelle-Aquitaine sont génétiquement suite d’épizooties, ces huîtres ont été remplacées par déroulée en avril dernier. « Ce recensement cherche identiques entre elles, ou proches de l’huître plate d’autres, d’abord portugaises puis japonaises. » à éclairer l’état actuel des populations d’huîtres bretonne. » Les réponses à ce large spectre d’inter- Ces changements d’espèces ont un impact sur plates, indique Kévin Leleu. Ce diagnostic est crucial rogations permettront ensuite de développer des les habitats : « Les huîtres plates ont un rôle éco- avant d’envisager une restauration. » Tous les usa- solutions de restauration.
Biodiversité : des financements pour agir La protection de la biodiversité marine n’est plus seulement une affaire publique. Le secteur privé est mis à contribution pour son financement. Les services de l’État et leurs opérateurs consacrent chaque année environ 100 millions d’euros (1) pour la protection des milieux marins. Et pourtant, il faudrait dégager 35,5 millions d’euros de finance- ments supplémentaires pour atteindre les objectifs de conservation. Il faut donc solliciter davantage les fonds européens – le programme Life, le Feampa – et accéder à des ressources nouvelles. Ainsi, l’Union européenne finance 60 % des 22,3 millions d’euros consacrés au projet Marha pour la protection de certains habitats marins remarquables et qui se penche sur les stratégies de financement. « La com- plexité est qu’il n’y a pas un guichet unique mais une Greg Lecoeur mosaïque de financements », analyse Fanny Le Fur, qui participe au pilotage de ce programme. Des financements 25 000 pneumatiques ont été retirés dans un site Natura 2000 au large des Alpes maritimes. Un montage plus vertueux financier exemplaire entre fonds publics, européens et privés. « La préservation de la biodiversité marine est large- solutions innovantes. Le ministère de la Mer a aussi Renouvelables. « Avant de lancer la construction ment du ressort de l’État qui crée notamment des aires mis en place un fonds d’intervention maritime qui a d’un parc éolien en mer, nous devons réaliser des marines protégées et donne des moyens aux gestion- pour objectif d’accompagner des projets à l’échelle études d’impact. Durant la vie du parc, un suivi naires pour les faire fonctionner. Ces derniers doivent locale afin de soutenir le développement d’activités environnemental très documenté est réalisé. Pen- accéder à des financements, publics comme privés, maritimes durables. Les institutions financières sont dant la durée d’exploitation d’un parc, soit trente pour mettre en œuvre leurs projets de connaissance, de plus en plus sensibles aux investissements qui ans, cela représente plusieurs dizaines de millions de restauration…, souligne Michel Peltier, délégué contribuent à la transition écoénergétique. À l’in- d’euros », souligne-t-il. À cela s’ajoute le paiement mer et littoral à l’Office français de la biodiversité verse, aider et financer des activités qui dégradent de la taxe éolienne qui sera consacrée à la protec- (OFB). Il faut aussi consacrer des financements pour la biodiversité « ne doit plus être possible », souligne tion de l’environnement marin. « Nous intervenons assurer la réduction des impacts des activités sur la Michel Peltier. dans un espace qui est un bien commun et tous les biodiversité marine. ». L’État peut apporter une aide Les entreprises qui mènent des projets en mer acteurs sont impliqués pour sa préservation dans la aux entreprises pour qu’elles entament leur transi- participent au financement de la connaissance durée », conclut-il. tion écologique, comme mesurer leur empreinte et la protection, comme le rappelle Jean-Philippe sur la biodiversité ou encore identifier et tester des Pagot, directeur environnement maritime d’EDF (1)Selon le CGEDD, 2016 3 questions à... Ce n’est pas du marketing Comment prenez-vous en compte La protection de la biodiversité à la perte de la biodiversité dans vos la protection de la biodiversité dans est-elle un enjeu pour vous au- investissements ? vos investissements ? jourd’hui ? D’une part, nous évaluons l’impact Dans les projets que nous soutenons, La finance, c’est savoir gérer le des entreprises financées sur les C° : SWEN CP une dimension environnementale, so- risque et le risque lié à la perte écosystèmes, c’est-à-dire les pressions ciale et sociétale doit obligatoirement de biodiversité devient de plus en qu’elles exercent. D’autre part, nous être présente. Des projets n’ont pas plus tangible, d’où notre souhait évaluons la dépendance des entre- abouti parce que le management de de le prendre en compte. C’est très prises aux services écosystémiques. Isabelle Combarel, l’entreprise ne souhaitait pas s’engager récent : on a commencé à en parler Nous ne pouvons plus faire de la dans ce type de stratégie. Ce n’est pas vraiment dans la finance l’année finance en étant simplement finan- Directrice générale du marketing de notre part. C’est, pour dernière, mais les premières cier. Il faut s’associer avec d’autres adjointe de nous, le signe que l’entreprise ne fera métriques ont été lancées pour experts pour éviter les investisse- Swen Capital partners pas partie des leaders de demain : elle essayer de mesurer une empreinte ments contre-productifs en matière n’attirera pas les talents pour qui ces sur la biodiversité. Nous sommes d’environnement. C’est pourquoi, enjeux sont aujourd’hui déterminants au début du voyage. pour notre fonds Blue ocean, nous et n’arrivera à décrocher de nouveaux avons un partenariat scientifique marchés. Comment mesurez-vous le risque lié avec l’Ifremer. l’aire marine / numéro 55 / mai 2022
Place au Feampa Après le Feamp, le Feampa permettra rins (appelées « analyses risque pêche »). Ce travail a contribué à mieux connaître les habitats (leur de financer des actions concrètes de L'office français de la biodiversité, emplacement, leur état de santé) et permet aux préservation de la biodiversité marine. services de l’État de prendre les mesures adéquates partenaire du programme "biodiversité marine et économie" à la protection de ces habitats fonctionnels très productifs. « Cela a amené, par exemple, à proposer Le fonds européen pour les affaires maritimes et des restrictions d’usages de certaines dragues sur des la pêche (Feamp) s’est transformé en Feampa l’an habitats de maërl en Bretagne », précise Stéphanie dernier afin de mieux prendre en compte l’aqua- Tachoires, chargée de mission de l’OFB. Le comité culture dans le dispositif. Ce fonds européen dédie régional des pêches de Bretagne a également béné- une enveloppe de 570 millions d’euros à la France jusqu’en 2027 pour encourager une pêche et une ficié du Feamp pour financer le projet Respect qui a permis de diffuser en 2021 une cartographie des Le groupe de travail aquaculture durables, innovantes et compétitives. « Les actions liées à la protection de la biodiversité zones d’habitats sensibles que les professionnels peuvent intégrer dans leurs logiciels de pêche. « On Cosmétique et protection des océans vient d’être lancé dans le cadre de sont un volet parmi l’ensemble des actions, précise arrive ainsi à des propositions de mesures, mais aussi ce programme coordonné par l’association Elsa Jantet, adjointe au chef de bureau de l’évalua- à un accompagnement de l’activité des marins pê- RespectOcéan. Les entreprises doivent tion et de la protection des milieux au ministère de cheurs », souligne Stéphanie Tachoires. devenir des acteurs de la préservation de la Transition écologique. Les mesures directes de pro- tection et de restauration du milieu marin sont finan- Des projets innovants l’océan et de sa biodiversité. cées par 25 millions d’euros d’aide. » 11 La réduction des captures accidentelles d’espèces Le Feamp a également accompagné l’innovation. protégées, l’augmentation de la sélectivité des en- Le parc naturel marin des estuaires picards et de gins de pêche, le soutien au réseau d’aires marines la mer d’Opale, en partenariat avec l’organisation protégées, la réduction et la gestion des déchets de producteurs From Nord, a lancé le projet Tefibio issus de la pêche et de l’aquaculture sont autant de en début d’année 2021 pour définir, tester et pro- Onze millions d'euros, c’est le montant mesures ciblées par le Feampa. « D’autres actions mouvoir des filets de pêche durables. Ces filets sont global des interventions des huit parcs concernent la connaissance, qui est l’autre pilier recyclables, biosourcés et biodégradables en milieu naturels marins en 2021 au profit de la de la protection de la biodiversité, souligne Hélène marin. « Les premiers résultats sont encourageants, connaissance, de la protection du milieu Renault, adjointe au chef de bureau d’appui scien- il faut les conforter, souligne Thierry Missonnier, di- marin et du développement durable tifique et des données au sein du ministère de la recteur From Nord. La mise au point se fait au fur et des activités. (Budget OFB hors charges Mer. Cela permet de financer par exemple les actions à mesure. Trois navires testeront les filets dans trois de personnel et plan France relance) d’amélioration de la connaissance sur l’état des éco- ports différents cette année. Nous n’avons eu aucun systèmes marins et des ressources halieutiques. » mal à trouver des volontaires. » Le projet, estimé à Le Feamp a ainsi financé des projets permettant de 760 000 euros, est financé à 80 % par le Feamp. réduire les impacts des activités de pêche sur l’envi- Une étude de marché a été lancée auprès de tous État écologique de l'eau ronnement. Par exemple, il a permis des études sur les professionnels français pour évaluer leur intérêt (Toutes masses d'eau confondues) les incidences de certains engins sur les habitats ma- sur cette innovation. 0,2 % 6,3 % 9,5 % 13,6 % 33,6 % 36,8 % Line Viera / Office français de la biodiversité Très bon Mauvais Source : OFB Bon Médiocre Moyen Inconnu Selon le dernier rapport de la directive cadre sur l’eau, la proportion de masses d’eau en bon ou très bon état écologique diffère selon leur catégorie. Elle est de 41,4 % pour les eaux de transition et de 51,4 % Expérimentation de filet de pêche biodégradable et recyclable par le patron du « Nérïdes II », Jérémy Devogel. pour les eaux côtières. l’aire marine / numéro 55 / mai 2022
Jérômine Derigny, l’œil de l’océan Jérômine Derigny est Repères photojournaliste. Avec le Collectif Argos dont elle fait • 1992 : Jérômine Derigny est diplômée de l’école Louis Lumière partie, elle a documenté en 1992 puis suit une formation l’accaparement des mers de photojournalisme à l’Emi-CFD. dans le cadre d’un projet baptisé « Amer ». • 7 : Le Collectif Argos est une association fondée en 2001 qui rassemble sept journalistes E rédacteurs et photographes. n la voyant débarquer sur les quais de Brest en ce matin • 15 : Les reportages issus de février, Jérômine Derigny du projet Amer ont touché une semble dans son élément, ciré audience cumulée de 15 millions blanc et chaussures de ran- de personnes. donnée au pied. Elle inspecte de son œil bleu l’exposition Amer, un travail qu’elle a réalisé avec le Collectif Argos sur l’accaparement des mers, présenté Ce qui est intéressant, c’est que les per- lors du One ocean summit. Pourtant, sonnes qui se sont battues n’avaient la photographe n’a rien du marin au pas forcément un intérêt personnel, long cours, et elle ne s’en cache pas. derrière. Ils luttent, alors que rien ne les « Quand nous avons, avec le Collectif y oblige. » Argos, commencé à nous intéresser Ce travail photographique voyage au sujet de l’accaparement des mers, désormais au sein d’une exposition. je n’étais pas du tout proche ou même Une manière de toucher le grand attirée par l'océan. Ce n’est pas un public. « Notre travail de journaliste élément qui me fascine, qui m’attire se déroule en deux temps : celui où particulièrement. Je suis plutôt ter- on va sur le terrain pour ramener des rienne. Jusque-là, je concentrais mon images, et celui où on les diffuse. Si le travail sur l’alimentation, l’agriculture, Je ne m’attendais pas sujet reste sur le disque dur, il ne sert sourit-elle. Je n’étais pas motivée par à rien. Nous partageons d’abord ces le fait d’aller en mer. C’était plutôt une à pouvoir raconter cette réalité images par la presse, c’est le cœur de crainte. » Finalement, elle a décidé notre métier. Mais après, il faut, par de « sortir de sa zone de confort », tous les moyens que l’on peut trouver, comme elle le dit. Elle s’est même bateau. J’étais impressionnée, parce dis à ce moment, « c’est incroyable, transmettre ces images pour qu’un emparée d’un sujet des plus ardus : le que j’avais carte blanche pour faire on a deux tortues énormes qui sont là, maximum de gens puissent les voir. » contrôle de pêche au large du Gabon. toutes les photos que je voulais. Je ne je peux les photographier et montrer Sur la promenade du Moulin Blanc, L’ONG Sea Shepherd a été appelée par m’attendais pas à pouvoir raconter le problème en une image ». tout près d’Océanopolis, à Brest, les l’État gabonais pour aider à mettre cette réalité : les conditions dans les- Dans ce travail pour la série documen- promeneurs s’arrêtent plus ou moins fin à la pêche illicite, non déclarée quelles travaillent ces personnes qui taire Amer, Jérômine Derigny est aussi longuement. « Quand on est sur et non réglementée en Afrique cen- pêchent en quantité industrielle et partie à la rencontre de ceux qui luttent la voie publique, on touche tout le trale de l’ouest. Jérômine Derigny qui dorment sur des cartons. C’est tel- pour la préservation des océans et des monde. Je pense qu’il y a encore des s’est retrouvée propulsée sur l’un des lement sale qu’on lave nos bottes en littoraux. Elle est allée poser son regard gens qui ne sont pas au courant que semi-rigides largués en mer par le revenant pour ne pas rapporter des sur la Zad de Bretignolles-sur-Mer, en la moitié de l’oxygène qu’ils respirent Bob Barker, le navire-amiral de l’ONG cafards. On se dit : c’est loin, c’est en Vendée. « C’est l’autre aspect de mon provient de l’océan. Grâce à cette dépêché sur zone pour contrôler des pleine mer, personne ne peut les voir travail. Je montre l’impact de l’homme exposition en partenariat avec l’Office chalutiers avec l’aide de l’armée. « On et nous, on peut raconter ça. » Elle part sur l’environnement, et en quoi on a français de la biodiversité, le message est sur le Zodiac, on vient de faire un au contact de ces pêcheurs de toutes intérêt à en prendre soin. » La zone à que l’on passe, c’est que nous sommes quart d’heure de mer à pleine vitesse, les nationalités. Ils sont rassemblés, défendre vendéenne s’est créée en tous dépendants de l’océan, où que et là, il faut sauter sur le bateau. Il est hagards, à l’avant du bateau. « Je réaction à un projet de port de plai- l’on soit, et qu’il faut en prendre soin. » dégueulasse, tout crasseux. Il ne faut me suis approchée pour faire la photo sance creusé dans la dune et dans une pas tomber en sautant avec tout le ma- vraiment nez à nez. Toute leur vie vallée littorale. « Ce sont des gens qui Directeur de la publication : Pierre Dubreuil tériel. En arrivant sur le pont, on voit était marquée sur leur visage, sur leur sont corps et âme dans la lutte et qui Rédactrice en chef : Agnès Poiret des poissons partout et un équipage peau, la vie dehors, la vie dure. » Elle ont tout lâché un jour pour créer et Rédacteur : Pierre-Baptiste Vanzini qui a l’air de sortir d’un autre monde. » raconte aussi les deux tortues prises rejoindre la Zad. Quand les promoteurs Ont participé à ce numéro : Depuis toujours, dans son travail, dans le filet du premier bateau sur de ce port ont commencé à détruire la Charlene Kermagoret, Delphine Meyssard, la photographe s’est intéressée au lequel elle débarque. « C’est sûr que dune sans crier gare, tout à coup, des Anne Nicolas. Office français de la biodiversité : genre humain. Ceux qu’elle a alors si nous n’étions pas intervenus ce jour- gens se sont levés. C’est à ce moment 16, quai de la Douane découvert l’interpellent. « Ces gars qui là et à cette heure-là, ces deux tortues que la lutte contre ce projet, qui durait CS 42932 / 29 229 Brest cedex 2 pêchent sont depuis des mois sur ce auraient été tuées, assure-t-elle. Je me depuis des années, a été médiatisée. www.ofb.gouv.fr l’aire marine / numéro 55 / mai 2022
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