L'exemplarité du commandant SS Karl Otto Koch
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N° 86 - JANVIER-MARS 2005 - NR 86 - JANURARI-MAART 2005 BENOÎT CAZENAVE* L’exemplarité du commandant SS Karl Otto Koch** Introduction A celles-ci s’ajoutent les 5 millions de per- sonnes mortes dans des camps et centres En 1944, la libération des premiers camps de d’extermination non gérés par l’Inspection concentration (KZ) par les alliés commen- des camps SS (IKL)3. Objet de quelques ce. Il existe à cette époque officiellement 25 publications dès les années 30, l’histoire des KZ1, c’est-à-dire des camps dirigés par la camps reste après guerre, malgré une riche Schutzstaffel (SS) et administrés par production littéraire, avant tout partielle et l’Inspection des camps de concentration rattachée à l’Administration économique abandonnée aux survivants. Echappent à la de la SS. Entre 1933 et 1945, 1,6 million de tendance autobiographique dominante, les personnes y furent internées2, entre 1,1 et 1,4 analyses sociologiques des survivants Eugen million y sont mortes de faim, de malnutri- Kogon L’Etat SS (1947) et Hans Günther tion, de froid, de maladie, de blessures, vic- Theresienstadt (1955). Ce n’est que suite au times d’expériences médicales ou de tortures. procès d’Adolf Eichmann (1961) et au pro- * Historien de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Benoît Cazenave travaille actuellement pour l’Association Aktion Sühneseichen Friedensdienst (ASF). ** Cet article est basé sur le mémoire de Benoît CAZENAVE, L’exemplarité du commandant SS Karl Otto Koch, présenté à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour en 2002. Ce travail a été couronné par le «Prix de la Fondation Auschwitz» pour l’année académique 2002-2003. — 7 —
BULLETIN TRIMESTRIEL DE LA FONDATION AUSCHWITZ - DRIEMAANDELIJKS TIJDSCHRIFT VAN DE AUSCHWITZ STICHTING cès d’officiers SS d’Auschwitz (1964), que d’Auschwitz, de «petit bourgeois normal, plusieurs études générales sont publiées un administrateur peu méchant, mais plutôt dont l’Anatomie des SS-Staates (1965) de ordonné, ayant le sens du devoir, aimant les Martin Broszat et Hans Buchheim don- animaux et moraliste»9. H. Mommsen voit nant une première vision structurelle et his- en lui le «responsable de l’enfer des assassinats torique des camps et une analyse de mécaniques et aseptisés», il «n’était pas véri- l’idéologie SS4. Dans les années 90, le thème tablement un criminel, mais un fidèle au des assassins et de leurs motivations devient devoir et un petit bourgeois obéissant avec le centre d’enjeux politiques importants tou- zèle»10, sans sadisme. H. Arendt avance chant à l’identité, à la culpabilité, à la res- l’idée de normalité médiocre des techno- ponsabilité et au dédommagement des crates : «Pas une once de démon ou de déma- victimes et l’objet de nombreuses thèses. gogie violente à la Hitler», «un produit des Les bourreaux ont selon les auteurs et les temps nouveaux», «un prototype exemplai- groupes étudiés agi : par peur de sanctions et re d’assassins de bureau»,«un fonctionnaire sous la contrainte légale5, par obéissance de devoir», «Doté d’un zèle exceptionnel aveugle ou tendance humaine à l’obéissan- pour faire tout ce qu’on lui demandait, il ce telle que mise en évidence par Stanley n’avait absolument aucun motif et son zèle Milgram et Philip Zimbando, par obéis- n’avait en soi rien de criminel... Il ne s’est sance à l’objet charismatique «Hitler»6, par jamais imaginé ce qu’il était en train de intérêts personnels et carriéristes comme faire»11. Cette phase est celle de la démysti- l’avance la politologue Hannah Arendt pour fication : les assassins ne sont plus des excep- décrire le rôle d’Adolf Eichmann7, par myo- tions mais des individus «normaux», Hitler pie et cloisonnement bureaucratique et dis- est en chaque humain12. Le concept de nor- solution des responsabilités, par contrainte malité du mal sera par la suite contesté eu sous la pression du groupe et la nécessité égard au pouvoir d’orientation des poli- de conformité (C. Browning, Ganz nor- tiques de persécution des «bureaucrates». mal Männer), parce que l’antisémitisme alle- Les années 90 insisteront sur les élites idéo- mand était de nature exterminatrice (D. logiques, ces quelques responsables, auto- Goldhagen, Hitler’s willing executers), et nomes politiquement qui influencent la finalement par une propension allemande à politique raciste. Dans ce cadre, les thèses de la violence liée au contexte politique natio- D. Goldhagen et C. Browning soulèvent la nal-socialiste8. Les historiens et les socio- question de la singularité allemande ; les logues s’intéressent aussi à la nature du mal assassins sont pour le premier des Allemands des assassins nazis. Jusqu’aux années 60, la ordinaires, pour le second, des hommes tendance est celle de la criminalisation des normaux dans un contexte allemand parti- coupables présentés, notamment par E. culier. Au total différents profils de bour- Kogon, comme des SS et les SA du bas de reaux se dégagent : les «idéologues», qui l’échelle sociale, criminels, violents, peu agissent avec une parfaite connaissance de doués, frustrés socialement et haïssant fina- leurs actes et de leurs conséquences, pré- lement ceux d’un rang social supérieur. Les sents aux différents niveaux de la hiérar- deux décennies suivantes sont celles de la chie, organisateurs et planificateurs dépersonnalisation et de l’abstraction : les politiques. Les «utilitaristes» racistes qui assassins sont présentés comme des exécu- jugent les Juifs et autres groupes sociaux, teurs bureaucrates, sans motivations parti- inutiles et dangereux. Les «violents», culières et sans sentiment de culpabilité. M. conduits par des motifs matériels ou sexuels, Broszat qualifie Rudolf Höss, commandant utilisant l’idéologie raciste comme légiti- — 8 —
N° 86 - JANVIER-MARS 2005 - NR 86 - JANURARI-MAART 2005 mation de leurs actes. Et les bourreaux obéis- suite ininterrompue de succès et de pro- sants, accomplissant les ordres donnés. motions. Cet ancien employé de bureau sans baccalauréat est, en 1938, le comman- Les analyses concernant les commandants dant le plus en vue et le responsable du plus des camps tardent cependant à venir. Il faut grand KZ de l’époque : Buchenwald. De attendre 1988 pour que l’historien Tom 1934 à 1942, il travaille dans dix camps et en Segev publie sa thèse : Les Soldats du Mal. dirige sept dont Sachsenhausen, Esterwegen, Les commandants des camps de concentra- Buchenwald et Majdanek. A cette carrière tion nazis13 basée sur 36 biographies et de exceptionnelle s’oppose aussi une fin hors du nombreuses interviews d’anciens comman- commun. Si Koch est condamné à mort et dants et proches. Il y présente non seulement exécuté pour ces crimes en 1945 à des hommes sadiques et cyniques mais aussi Buchenwald, son exécution a lieu avant la des exécuteurs scrupuleux, des opportu- libération, ses «bourreaux» sont des SS. Le nistes, des carriéristes et des utilitaristes. commandant le plus brutal et le plus cor- Cependant les documents SS et les témoi- rompu est le seul à avoir été passé par les gnages utilisés biaisent l’analyse qui ne peut armes SS. Justice ayant été «faite», ce destin dégager ni les traits communs des bour- exceptionnel restera en grande partie igno- reaux ni une vision structurelle et dyna- ré des chercheurs si ce n’est justement le mique du système concentrationnaire. cas de ses déboires avec la justice. Ainsi les Pendant plus de 15 ans le sujet ne sera plus travaux de T. Segev et de K. Orth auxquels abordé, jusqu’à la parution en 1993 de l’ana- s’ajoutent ceux de Hans Hoffmann, Hast du lyse sociopsychologique Der Ordnung des diese Tötungen befohlen ? en 1997 et Heinz Terrors de Wolfang Sofsky, consacrée à la Höhne, Der Orden unter dem Totenkopf en destruction psychologique des recrues SS 199017, abordent le procès Koch pour en et leur rééducation, au rôle de la pression du signifier son exemplarité et sa singularité. groupe et de l’idéologie raciale dans les Depuis T. Segev cependant, les études se camps14. En 1994, Johannes Tuchel publie renvoient les unes aux autres et ne s’atta- successivement deux articles concernant les chent qu’au procès, elles négligent les douze commandants de Flossenburg et de Dachau, premières années de sa carrière SS et tout en 1997, Christel Wickert s’intéresse aux simplement son passé. Cette situation est derniers commandants de Sachsenhausen15. d’autant plus exceptionnelle que sa deuxiè- En 2000 enfin, Karin Orth publie sa thèse, me épouse, Ilse Koch, complice de ses crimes les SS des camps de concentration qui au tra- est devenue, elle, l’objet de nombreuses vers d’une vision structurelle16 met en relief études historiques et psychologiques et le la dimension élitaire de la communauté rela- thème de nombreuses œuvres artistiques18. tivement réduite des officiers des KZ, leurs motivations et le consensus qui les lie pour Le premier objet de cette étude est de recons- considérer la mort de prisonniers comme truire la vie de Koch de sa naissance jus- une solution normale pour des personnes qu’à 1942, avant la phase connue où il est considérées comme une charge pour la socié- poursuivi judiciairement. Le second est de té. Sur les 46 commandants officiels de KZ, définir dans quelle mesure les différentes aucun n’est parvenu à se maintenir de 1933 théories concernant les motivations et la à 1945. Le commandant Karl Otto Koch nature du «mal» sont applicables à son cas. est cependant remarquable puisqu’il est par- Enfin en quoi la carrière de Koch est-elle venu à rester plus de 8 ans en poste. Plus exceptionnelle, unique voire exemplaire : encore, sa carrière semble se résumer à une pour sa longévité, sa rapidité, pour sa fin — 9 —
BULLETIN TRIMESTRIEL DE LA FONDATION AUSCHWITZ - DRIEMAANDELIJKS TIJDSCHRIFT VAN DE AUSCHWITZ STICHTING ou parce qu’elle illustre à elle seule l’histoi- détention aux seules prisons d’État et KZ re des commandants des camps nazis ? légaux. Les camps sauvages sont alors rapi- dement dissous23. Parallèlement Himmler concentre dans ses mains l’ensemble des 1. Les premiers camps de polices politiques des Länder entre mars concentration et leurs 1933 et janvier 193424. Au camp SS de commandants (1933-1941) Dachau, qui doit servir de modèle pour l’ensemble des camps légaux, il remercie le De 1933 à l’attaque de l’Union soviétique en commandant Hilmar Wäckerle, poursuivi 1941, les KZ connaissent de profondes trans- pour meurtre25, et nomme, le 26 juin 1933, formations : de 60 en 1933, ils ne sont plus Theodor Eicke26. Le 1er octobre, celui-ci que 3 en 1937, puis une dizaine en 1941 ; leur introduit le «Règlement disciplinaire et puni- structure spontanée et locale cède le pas à une tif pour le camp des prisonniers»27 et les administration centralisée ; instruments de «Instructions pour les surveillants et la sur- rééducation et d’isolement politiques, ils veillance des prisonniers» qui règleront jus- deviennent des camps de travail, de prison- qu’en 1945 le quotidien de tous les camps. Si niers de guerre et un instrument de la poli- le nombre des camps a été réduit, il n’en tique raciste19. Les fonctions des KZ reste pas moins que la majorité d’entre eux devenant de plus en plus étendues et com- sont encore sous tutelle SA. En mai 1934, plexes, les autorités procèdent à plusieurs Himmler charge Eicke de la réorganisation reprises à une sélection des officiers les diri- des camps ; il le nomme Inspecteur des KZ geant. et chef des troupes de surveillance28. L’extension du «modèle de Dachau» n’est 1.1 Des KZ sauvages au système rendue possible que par la mise à l’écart du centralisé des camps jeu politique de la SA, fin juin, début juillet Dès 1933, au moins 60 camps, 30 quartiers 1934. La tâche de l’épuration est confiée à la pour «prisonniers de protection» dans des SS. Le 30 juin 1934, 200 Führer SA sont prisons d’État et 60 lieux de détention de la arrêtés à Munich, plus de 83 personnes assas- Gestapo, de la SS et de la SA sont érigés, sinées. Röhm est abattu personnellement auxquels s’ajoutent de nombreuses prisons par Eicke29. Himmler et lui peuvent main- de fortune aménagées dans des caves, des tenant hériter de l’empire concentration- usines et des casernes désaffectées. Environ naire SA : il reste cependant à le conquérir. 45 000 personnes sont détenues de février à Entre mai et décembre 1934, Eicke prend mars 193320. Dans ces prisons improvisées physiquement possession des quelques principalement par des groupes locaux de la grands camps SA encore existants, non sans SA21, sont assassinées de février à octobre remous et non sans violence face à la résis- 1933, entre 500 et 600 personnes22. Très tance des «spoliés» comme à Lichtenburg, rapidement, les actions judiciaires intentées Esterwegen, Oranienburg ou Hohnstein. contre les surveillants SA pour crimes, mena- A la fin de l’été 1934, il contrôle l’ensemble cent directement leur existence et leur des grands KZ, il procède à la fermeture contrôle par des troupes nazies. Le désir des moins importants. Début 1936, la cen- d’Himmler d’en prendre le contrôle, d’en tralisation et la réorganisation des camps confier la surveillance à ses SS et de la sou- sont achevées : l’Inspection des KZ (IKL) est tirer de la tutelle SA jouent alors un rôle à la tête des camps d’Esterwegen, déterminant : le 12 avril, un décret du Lichtenburg, Moringen (pour femmes), Ministère de l’Intérieur limite les lieux de Columbia Haus et Dachau où sont ras- — 10 —
N° 86 - JANVIER-MARS 2005 - NR 86 - JANURARI-MAART 2005 semblés environ 4.700 prisonniers30. Le sort qui les ont dirigés ont du s’adapter ou être des KZ n’est pourtant pas réglé ; le régime sélectionnés. nazi définitivement installé, certains res- ponsables de la sécurité les estiment désor- 1.2 Les premiers commandants de mais inutiles. Au terme d’un combat interne camps : «Les Soldats difficile, Eicke et Himmler obtiennent non Politiques» seulement leur maintien mais aussi l’exten- En 1933 et 1934, alors qu’Himmler fait main sion de leur rôle. Ils sont non seulement basse sur les différents camps SA, il est néces- associés aux nouvelles vagues d’arrestations saire de placer des hommes de confiance. d’ennemis politiques mais aussi d’ennemis Les travaux de Karin Orth permettent d’es- raciaux prévues et, dans la perspective de la quisser le profil social des premiers com- guerre, ils serviront de centre de formation mandants et mettent en évidence l’existence militaire pour les troupes Waffen SS. de paradigmes successifs. A une époque Conscient qu’aucun des camps existants donnée, la hiérarchie SS privilégie un profil n’est en mesure de remplir ses nouvelles social et certaines aptitudes professionnelles. fonctions, la SS en fait alors bâtir de nou- veaux : Sachsenhausen sera en 1936 le pre- Profils sociaux et motivations mier, suivi par Buchenwald, Flossenburg, Sur la période 1933-1942, K. Orth distingue Mauthausen, Ravensbrück et un nouveau 3 phases : de 1933 à 1937, durant la centra- Dachau en 1938, qui accueilleront un lisation des camps, les 11 führer ont en nombre croissant de prisonniers suite aux moyenne 44 ans, un niveau d’étude peu différentes razzia racistes initiées en 1936 élevé (seuls deux ont fréquenté un lycée) et puis avec l’entrée en guerre31. De nouveaux sont tous vétérans de la Première Guerre camps sont aussi bâtis en territoire conquis. mondiale. La moitié a participé à des corps- Face à l’augmentation des internements, les francs d’extrême droite. Pour la plupart arti- conditions de vie des prisonniers se dégra- sans ou vendeurs, seuls deux exercent une dent : surpopulation, mal- et sous-nutri- profession nécessitant des études supérieures. tion, conditions d’hygiène désastreuses Ils sont issus des classes moyennes et de entraînent une mortalité effarante : en 1941, familles menacées par la crise économique meurent 36 % des prisonniers de Dachau, en mais non socialement marginalisées. Comme 1940, 76 % des internés de Mauthausen32. la moyenne de la société, beaucoup ont Enfin, fin 1941, est créé à Chelmno, le pre- connu le chômage occasionnellement33. mier centre d’extermination où des camions Durant la phase de constitution de l’admi- à gaz sont utilisés pour éliminer des pri- nistration des camps (1936-1939), la moitié sonniers juifs «inaptes au travail». des commandants en fonction est remplacée. Cette rupture importante résulte d’exclu- De la multitude de petits camps improvisée sions et de mutations, mais aussi de démis- en 1933 aux quelques camps immenses de sions et de décès34. Les führer des KZ 1941, les KZ sont devenus des institutions «modernes» ont des traits semblables à ceux chargées d’emprisonner aussi bien des oppo- de la génération précédente : 44 ans en sants politiques, des «éléments racialement moyenne, issus des classes moyennes, un dangereux ou faibles», des «criminels» que faible niveau d’études et en majorité d’an- des prisonniers de guerre. Dans une structure ciens commerçants ou artisans. Leur nomi- complexe combinant camp de prisonniers, nation résulte de la préférence de Eicke pour camp de formation et lotissements SS, et l’expérience militaire et l’engagement précoce différents lieux de production. Les hommes pour le NSDAP. Tous sont en moyenne — 11 —
BULLETIN TRIMESTRIEL DE LA FONDATION AUSCHWITZ - DRIEMAANDELIJKS TIJDSCHRIFT VAN DE AUSCHWITZ STICHTING entrés en 1931 dans la SS et bénéficient d’une première heure, de hauts officiers SS sans formation militaire acquise soit pendant la compétence dans le domaine. Ainsi Bernard Première Guerre mondiale, soit comme Schmidt, étouffé par les dettes, est nommé militaire de carrière. De 1939 à 1942 enfin, commandant d’Esterwegen et Hans Hellwig sur 15 commandants35, trois sont bache- obtient Sachsenhausen pour ne pas partir liers, quatre ont terminé le collège, les autres sans un sou à la retraite40. Ces nominations ont un niveau supérieur au primaire. Deux sont aussi des mesures de protection ou de tiers sont au départ des artisans ou com- mises à l’épreuve : Walter Gerlach est merçants, deux des militaires, et un ingé- nommé commandant de Columbia-Haus nieur. Nés en moyenne en 1900 et trop pour l’éloigner des poursuites entamées jeunes pour la Première Guerre mondiale, contre lui, Alexander Reiner (Dachau) et sept d’entre eux ont été membres de corps- Hans Loritz (Esterwegen, Dachau et francs. Ils sont entrés en moyenne en 1929 Sachsenhausen) arrivent dans la SS des camps au NSDAP. Onze d’entre eux sont nommés après avoir été sanctionnés par Himmler41. après une formation d’officiers SS de plu- Cette politique peine cependant à trouver des sieurs années notamment dans des KZ. Sur personnes qualifiées. En juin 1934, Himmler les 11 commandants de 1933, seuls Karl ne dispose pas d’assez d’hommes aptes à Koch et Hans Loritz réussissent à se main- diriger. Johannes Schedle proposé pour le tenir en poste. KZ Esterwegen est remercié rapidement pour incompétence, Engel suggéré pour le L’entrée de ses hommes dans la SS tient au KZ Sachsenburg refuse de quitter la SA contexte général et à la précarité de leur pour entrer dans la SS et pour le KZ situation économique individuelle favo- Lichtenburg, il n’y a simplement person- rables à des considérations opportunistes ne. La «kamaraderie» de Himmler n’arran- ou carriéristes36, à une situation familiale et ge rien à l’affaire. Bernard Schmidt, Walter personnelle difficile, famille à laquelle la SS Gerlach et Hans Hellwig seront remerciés peut se substituer, au caractère militaire de pour incompétence. Himmler et Eicke vont cette troupe qui permet à des non bacheliers donc désormais procéder à la promotion de faire une carrière «d’officier»37, au carac- de führer SS déjà affectés dans les camps et tère élitaire, prestigieux et au pouvoir qu’el- puiser dans d’autres unités SS. Eicke suggère le procure pour des déchus socialement : puis désormais décide seul des critères de «Nous étions les plus durs et les meilleurs», sélection et des nominations. Ces com- dira le commandant Johannes Hasselbroek38. mandants formeront la génération des «Soldats politiques», c’est à dire, des hommes Des «anciens combattants» qui comme lui, sont entrés tôt dans la SS et récompensés aux «soldats politiques» au parti42 et ont une expérience militaire. (1933-1936) «L’idée de soldat signifie une série de valeurs : Si l’entrée dans la SS constitue une décision courage, fermeté, obéissance, sens du devoir, volontaire, l’affectation à un poste de com- honneur. L’idéologie porte ces qualités à leur mandant tient de sanctions disciplinaires, sommet et les rend les plus fortes»43. L’aspect de mises à l’épreuve mais surtout des besoins militaire est prépondérant : non seulement les en personnel qualifié militairement39, du commandants doivent être des soldats dans clientélisme et de l’esprit de camaraderie SS. l’âme mais leur travail est aussi un combat Dans un premier temps, décidés par physique contre l’ennemi politique. Le sol- Himmler, ces nominations font office de dat politique est un homme de terrain qu’il récompense pour les combattants nazis de la oppose au fonctionnaire. «Nous ne sommes — 12 —
N° 86 - JANVIER-MARS 2005 - NR 86 - JANURARI-MAART 2005 pas des gardiens de prison mais des soldats de faiblesse montre aux ennemis de l’État une politiques..., nous ne deviendrons jamais des faille qu’ils utiliseront immédiatement. Toute fonctionnaires, mais des hommes d’action forme de compassion pour les ennemis de et des troupes de combat. Les fonctionnaires l’État est pour un SS «contre nature ». Les deviennent confortables, gros et vieux. En femmelettes n’ont pas leur place dans ces tant que combattants nous resterons sains rangs et feraient mieux de se retirer le plus et vivants»44. Dans les faits, la quasi totalité rapidement possible dans un monastère. des commandants sont des vétérans de la Seuls sont utiles des hommes durs et décidés, Première Guerre mondiale, la moitié a com- obéissants à chaque ordre»49. Pour Rudolf battu au sein de groupes paramilitaires, les Höss, l’ancien commandant d’Auschwitz insurrections révolutionnaires. formé par Eicke, celui-ci enseigne aux recrues que la cruauté et l’arbitraire sont les moyens Outre ces critères politique et militaire, une adéquats de traiter les prisonniers50. Eicke est selection par la pratique est opérée : «Seuls les conscient que des abus peuvent entraîner meilleurs führer SS peuvent être utilisés. Le des enquêtes et tolère la violence aussi long- service requiert tellement de responsabilité et temps que celle-ci ne devient pas publique. est tellement dangereux que seules des per- «Je ne peux ni ne dois tolérer de tels actes si sonnes avec un sens aigu du devoir qui met- je ne veux pas encourir le risque d’être trai- tent en arrière-plan leur personnalité et qui té d’incapable à traiter des prisonniers, par le ne connaissent aucun temps libre, peuvent Ministère de l’Intérieur du Reich»51. Ainsi porter une responsabilité aussi lourde. Si un remercie-t-il les commandants compromis commandant de camp ne donne pas et/ou poursuivis pour crimes comme Edgar l’exemple et ne représente pas l’autorité alors Entsberger, son adjudant au KZ le camp se transforme très vite en une pou- Lichtenburg, après son inculpation en 1934 drière à laquelle les prisonniers essayeront pour coups mortels sur des prisonniers52. quotidiennement de mettre le feu»45. Cela L’autorité des commandants doit aussi trans- signifie d’abord que les commandants doi- paraître dans leurs relations avec leurs subal- vent être moralement irréprochables c’est ternes. Ceux jugés trop faibles, sont écartés à dire présenter un casier judiciaire vierge, à comme Taus ou mutés comme les com- l’exception de crimes commis pour la mandants Eisfeld et Deubel53. «cause»46. Si Eicke lutte contre la corruption, à Dachau écrit-il à Himmler, il dirige une «équipe de surveillance corrompue de 120 Enfin la notion de camaraderie joue un rôle hommes », dans le camp règne «la fraude, le primordial dans l’idéologie SS. Alors que vol et la corruption... en quatre semaines j’ai Eicke promeut l’autorité, il encourage simul- dû pour ces raisons licencier 60 hommes »47. tanément la disparition des signes de supé- Sa traque de la corruption est plus tactique riorité hiérarchique (vouvoiement, tables que morale. Il est prêt à faire des concessions séparées au mess des officiers...) et n’hésite s’il juge qu’un führer incriminé est digne pas à inviter les recrues à boire avec lui après de confiance. Ainsi Max Kögel fera carrière l’effort. «Papa Eicke» exige de ses officiers malgré neuf mois d’emprisonnement pour autorité et paternalisme : «La base de notre faillite frauduleuse et une procédure d’ex- communauté est la camaraderie. Le plus clusion de la SS48. haut führer ou sous-führer est suffisamment bon pour s’asseoir à la même table que le Si les règlements des camps ont codifié la vio- jeune SS... Le SS-Führer qui ne se conduit pas lence, ils stipulent d’entrée aussi que ainsi n’est pas un SS, mais un homme qui n’a «Tolérance signifie faiblesse». «Toute forme pas compris ce qu’est un SS»54. Si cette — 13 —
BULLETIN TRIMESTRIEL DE LA FONDATION AUSCHWITZ - DRIEMAANDELIJKS TIJDSCHRIFT VAN DE AUSCHWITZ STICHTING «kamaraderie» désigne l’entraide morale et ponsable des sanctions à affliger aux pri- financière, elle présente une dérive perni- sonniers. Le règlement stipule que «l’exé- cieuse qui conduit à cacher les délits et les cution des sanctions repose entièrement dans fautes des «camarades». Ainsi Heinrich les mains du commandant du camp, res- Deubel, commandant de Dachau et jugé ponsable de l’exécution des ordres de l’IKL». laxiste, est muté commandant au KZ Le commandant est aussi le garant de la dis- Columbia Haus ; Alexander Reiner, pour- cipline de ses hommes dans le cadre du ser- suivi pour enrichissement, est nommé com- vice : tout manquement fait l’objet d’une mandant de Sachsenburg et Karl Künstler, demande de sanction qu’il reçoit et signe57. alcoolique, est nommé commandant à Les commandants Walter Eisfeld Flossenburg55. Cette politique, justifiée aussi (Sachsenhausen) et Heinrich Deubel par le manque d’officiers SS qualifiés, sera (Dachau) seront mutés pour laxisme et indis- modifiée avec l’entrée en guerre. Les com- cipline constatée par Eicke. Ce contrôle mandants sanctionnés seront envoyés sur s’exerce aussi en dehors du service : un SS le front ou dans des services administratifs SS. étant en permanence un soldat politique. Ainsi Jacob Weissborn, futur commandant Fonctions et pouvoir des du KZ Flossenburg et Theodor Danneker, commandants de camp futur responsable de la Gestapo en France, sont sanctionnés pour ivresse à Placé à la tête du camp, le commandant est Sachsenhausen58. Si le pouvoir du com- responsable pour toutes les questions concer- mandant est encadré par le règlement et le nant l’organisation interne : avec les modi- contrôle de l’IKL59, il varie dans les faits fications du système administratif SS et les avec la nature du commandant et ses rela- événements militaires, son rôle et son pou- tions avec les différents führer du camp. Un voir évoluent considérablement. Si au cours bureaucrate se limitera aux seuls devoirs des premières années, l’administration inter- induits par sa charge, un homme corrompu ne des camps se limite à quelques bureaux, ou brutal étendra son pouvoir, notamment en 1936, avec la construction des nouveaux par le jeu des nominations et des notations KZ modernes, Eicke divise l’état-major de de ses subalternes afin de s’entourer la kommandantur en sections distinctes à d’hommes sûrs. L’ancien commandant la tête desquelles se trouve le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, définit trois (la section du camp de détention de pro- types de commandants : - «Les bienveillants, tection, la section économique et adminis- capables de compassion et qui cherchent à trative, la section sanitaire, la section politique améliorer les conditions de vie des prison- et l’adjudantur). Le commandant veille per- niers» comme le commandant Heinrich sonnellement à l’efficacité du système de Deubel, convaincu du rôle ré-éducateur des surveillance et de sécurité et est sanction- KZ qui sera écarté pour laxisme. - «La majo- nable en cas d’évasion : Alex Reiner (KZ rité : les indifférents, qui font leur devoir et Columbia) est démis en avril 1935 après ne pensent pas. - Et les malveillants : ceux de l’évasion de deux prisonniers avec la com- nature cruelle, malveillante, fondamenta- plicité d’un surveillant SS56. Enfin, Eicke lement mauvais, qui voient dans les prison- privilégie pour des camps stratégiques des hommes aptes à manipuler ou dissimuler niers uniquement un objet sur lesquels ils des informations sensibles. peuvent exercer leurs pulsions perverses, leur humeur, leur complexe d’infériorité sans En collaboration avec la section du camp résistance. Ils ne connaissent ni compassion, des prisonniers, il est personnellement res- ni pitié. Ils saisissent chaque occasion qui se — 14 —
N° 86 - JANVIER-MARS 2005 - NR 86 - JANURARI-MAART 2005 présente pour maltraiter les prisonniers, par- 2.1 Karl Koch : un soldat ticulièrement ceux qu’ils ne peuvent pas sup- politique ? porter. Ils sont sans cesse à la recherche de Les commandants de Eicke sont issus des nouvelles méthodes de torture psychiques classes moyennes, ont une expérience mili- et corporelles. Malheur aux prisonniers délais- taire ; un engagement précoce (années 20) au sés, si ces créatures sombres ont des supé- sein du NSDAP, pas de passé criminel. Ces rieurs qui tolèrent de telles tendances »60. conditions sine qua non sont, dans le cas Pour Höss, ces derniers constituent la géné- de Koch au moins pour les trois premières ration de Eicke. Cette définition mani- remplies ; son engagement tardif et son hon- chéenne doit être cependant nuancée : nêteté douteuse, en revanche, le place en brutalité et accomplissement du devoir ne dehors de la norme. sont pas antinomiques, il convient plutôt de distinguer entre brutalité et sadisme. Ce Les origines sociales (1897-1916) cadre illustre cependant l’influence qu’un commandant peut avoir sur le camp et sur les Le 2 août 1897, Karl Koch vient au monde prisonniers : il peut aussi bien améliorer «illégitimement» : Son père, Kilian Koch, leurs conditions de vie et plus généralement fonctionnaire de 57 ans, légalise la situation dans la période 1934-1941, détériorer deux mois plus tard en épousant la mère de celles-ci. Karl, 23 ans plus jeune que lui. Karl est élevé De 1933 à 1941, trois générations de com- dans une famille d’ouvriers, nombreuse et mandants se sont succédées afin de remplir «patchwork». Kilian Koch a déjà eu un fils ces nouvelles fonctions. Parmi ces hommes, d’un premier lit : Hermann, et de sa nouvelle Karl Otto Koch fait figure d’exception. union naît un autre fils : Rudolf. Après la Nommé commandant du KZ Sachsenburg mort, en 1905 de Kilian Koch, sa veuve se en 1934, il occupe les mêmes fonctions 7 remarie et Karl hérite de 3 demi-frères : ans plus tard : Seul «survivant» des débuts Arthur, Reinhold et Wilhelm Schmidt. De ce avec Hans Loritz, il semble incarner l’idéal mariage naissent Erna et Erich Schmidt. du soldat politique. L’enfance de Karl semble sans problème, il est proche de Rudolf et de sa demi-sœur Erna. A 14 ans, après 8 ans d’école, Karl 2. Genèse et ascension d’un entame une formation de vendeur. D’abord commandant modèle apprenti à la Ganderbergischen Maschi- nenfabrick jusqu’en 191462, il trouve, sa for- (1897-1941) mation terminée, un premier emploi à la «Un homme important et de grande Deutsche Waffen und Munition Fachwer- valeur». ke, une fabrique d’armement, comme aide- Heinrich Himmler à propos de Koch, comptable jusqu’en 1916. 194261. Un ancien combattant sans gloire En entrant dans la SS au début des années 30, (1916-1919) rien ne laisse penser que le petit employé de Bureau Karl Koch dirigera, 8 ans plus tard, Lorsque la Première Guerre mondiale écla- le plus grand KZ nazi. En 1941, au som- te, Karl Koch à 19 ans. Patriote, il se porte met de sa carrière, il incarne à la fois une volontaire le 7 août 1914 pour le 115ème ascension exemplaire qui le mène à la tête de Régiment d’infanterie à Darmstadt. 7 camps mais aussi un modèle pour des Malheureusement trop jeune pour com- générations de jeunes SS. battre, «avant que je puisse rejoindre le — 15 —
BULLETIN TRIMESTRIEL DE LA FONDATION AUSCHWITZ - DRIEMAANDELIJKS TIJDSCHRIFT VAN DE AUSCHWITZ STICHTING champ de bataille, à la demande de ma mère famille. Sans l’aide de sa demi-sœur Erna qui ne m’avait pas donné d’autorisation car Raible qui le nourrit et qui lui trouve fina- 3 de mes demi-frères se trouvaient déjà sur lement des emplois à la Nationale Bank et à le front, je fus exclu »63. Non découragé, il la firme Hufeld, il serait certainement à la rue. s’engage de nouveau le 11 mars 1916 : «je fus En 1930, il déclare devant le tribunal chargé incorporé dans le régiment d’infanterie 153 des affaires civiles : «Ma situation financiè- et ensuite dans les régiments 87 et 88»64. En re s’est entre-temps détériorée. Je suis agent mai 1916, il rejoint les troupes de réserves sur d’assurance et travaille sur la base de provi- le front, affecté au «magasin des recrues». sions. Ces provisions ne peuvent pas assu- Son expérience sur le front sera brève : du 7 rer ma vie et je dois me tourner vers mes au 18 août 1916 et du 21 mai au 4 juillet frères et sœur. Je ne possède aucun meuble. 1917, il se bat sur le front de l’Artois, du 9 au Au contraire, j’ai 2.000 Reichsmarks de dettes 20 octobre 1918 sur la position Hermann que je ne peux honorer. Si la situation ne (Cibiu) en Hongrie. Il est blessé à trois s’améliore pas, je serai obligé de me tour- reprises : le 4 septembre 1916, son pied ner vers l’assistance publique car mon frère gauche est écrasé par un «éboulement», le 7 n’est pas en mesure de me nourrir plus long- avril 1918, une balle lui transperce l’épaule temps»68. Sa situation est misérable. C’est gauche et un coup de baïonnette lui trans- à cette période qu’il rentre en contact avec le perce la main65. Son passage dans l’armée NSDAP de Darmstadt. n’est pas auréolé de gloire : il a peu com- battu et ses cicatrices sont dues à des inci- Un ancien militant tardif de la cause dents hors du front. A la fin de la guerre, il (1930-1933) est sous officier (Mousquetaire) de l’infan- terie et reçoit la Croix de fer deuxième clas- «L’été 1930, je me rapprochai du groupe local se, une récompense bien ordinaire. Il se du NSDAP de Darmstadt et y entrai en distingue cependant par sa captivité du 24 mars 1931. A cette époque, je travaillais béné- octobre 1918 au 24 octobre 1919, dans un volement au service comptable de la région de camp de prisonniers de guerre anglais. Hesse à la gestion de la caisse et à partir de juillet 1931 j’accomplis mon service au régi- La précarité (1919-1932) ment SS 33». Le rapprochement et finale- Son parcours entre 1919 et 1932 est avant ment l’adhésion de Koch au NSDAP en tout compliqué et instable66. De 1920 à 1928, 1931 (N° 475586) se produisent à un moment il change à huit reprises d’employeur et où sa situation économique stagne dange- déménage quasiment aussi souvent. reusement et son mariage se solde par un Comptable ou agent bancaire principale- divorce. Le 8 mars, le tribunal reconnaît à ment, son parcours est marqué par une Karl tous les torts et à son ex-épouse la garde situation précaire et soumis au aléas de l’éco- de leur fils unique. Le même mois, Karl nomie allemande. En 1924, alors qu’il est trouve une nouvelle famille : il entre au banquier à Francfort, sa situation semble NSDAP. «Comme à ce moment là je ne évoluer positivement : il se marie avec Marie trouvais plus le temps pour exercer ma pro- Müller, qui lui donnera un fils, Manfred, fession et comme en raison de la déroute éco- deux ans plus tard67. Rattrapé par la crise, il nomique générale, je ne concluais pas change de nouveau d’employeur. Sa situation suffisamment d’affaires, je dus abandonner économique et familiale se dégrade très rapi- ma profession et me consacrer uniquement au dement, les emplois qu’il occupe alors sont service dans la SS »69. Il est pour la première insuffisamment rémunérés pour nourrir sa fois vraisemblablement au chômage et sans — 16 —
N° 86 - JANVIER-MARS 2005 - NR 86 - JANURARI-MAART 2005 ressources, il espère par son engagement un ses nouvelles fonctions. En 1934, un rap- emploi futur. port de la SS fait mention de «sanctions de police, de pièges et de manœuvres mal- Un homme malhonnête ? veillantes au sein du NSDAP menées contre Si son affectation en 1932 s’explique par ses lui»75. Un an plus tard, il est blanchi par un antécédents bancaires, elle surprend eu égard autre rapport de l’Inspection des KZ où est à son passé douteux acquis dans l’art du inscrit : «condamnations : aucune»76. La détournement de fonds70. Si les différents situation de Koch n’est pas exceptionnelle : auteurs sont contradictoires à ce sujet71, les le NSDAP a besoin de bénévoles compé- documents de justice SS montre qu’il est tents et est prêt à fermer les yeux : «Ne peut condamné une seule fois en 1928, pour devenir gardien de la caisse (du NSDAP) détournement de fonds et de vol de la firme que celui qui peut prouver seulement 2 Hufeld où il travaille. Sa situation écono- condamnations pour vol ou dol» entend-on mique explique certainement pourquoi il dans la rue à l’époque. produit de faux contrats afin d’obtenir des remboursements de la caisse courante. 2.2 L’ascension exemplaire Condamné, il perd son travail et sa femme du SS-Führer Koch demande le divorce. D’autres poursuites La carrière de Koch ne fait que commencer, sont entamées, mais cette fois à l’intérieur du de simple secrétaire, il va bientôt passer à la NSDAP. En 1932, il est exclu du parti dans formation de troupes armées SS et, par ce des circonstances obscures. Pour Arthur biais, se retrouver fonctionnaire du système Smith, lui et son beau-frère Arthur Schmidt concentrationnaire. En quelques années, il sont exclus pour avoir transmis des infor- sera à la tête des plus grands KZ d’avant- mations concernant la SS à la police politique. guerre. Cette ascension sera d’abord possible Hormis le fait qu’Arthur Schmidt est en grâce à son rôle dans la conquête des camps fait le demi-frère de Koch, il s’agit en fait de par la SS, puis par sa réussite exceptionnel- Rudolf qui sera le seul inquiété et finale- lement rapide lors de sa formation et enfin ment arrêté en 193372. Le 24 juin 1932, le et surtout par ses qualités de gestionnaire des NSDAP de Darmstadt exclut Karl parce coups durs et de bâtisseur de camps. En qu’il ne se présente pas à une réunion du moins de trois ans, Karl deviendra le pro- parti et oblige des témoins à garder le silen- totype du «soldat politique». ce73. La raison principale semble être le non paiement de ses cotisations, Koch étant trop Un formateur de troupes SS (août pauvre. En mars 1934, il est réintégré après 1932-août 1934) que le NSDAP de Dresde ait confirmé qu’il «En août 1932, je fus transféré à l’Étendart a honoré toutes ses dettes. Une lettre d’août (Régiment) SS 33 de Kassel» indiquera Koch 1934 du département chargé des cartes de en 193677. Koch y exerce les fonctions de for- membre, en revanche, conditionne sa réha- mateur, une tache liée à son expérience mili- bilitation à un paiement de tous ses arriérés taire. A la mi 1933, la Police auxiliaire est de cotisations qui semble ne pas encore incorporée à la SS-Totenkopf et il se retrou- avoir été effectué74. Koch est finalement ve de fait au sein de cette troupe chargée réhabilité en 1935. La même année, une pro- des KZ. Début 1933, il crée et dirige la trou- cédure pour vol est aussi entamée, mais elle pe de la police auxiliaire (SS) dont les n’aboutit pas faute de preuves. Si Koch jouit meilleurs éléments serviront dans le SS- donc d’une mauvaise réputation, ses anté- Leibstandarte de Berlin, rattaché à Hitler. Le cédents ne font cependant pas obstacle à journal nazi local Hessische Volkswacht, — 17 —
BULLETIN TRIMESTRIEL DE LA FONDATION AUSCHWITZ - DRIEMAANDELIJKS TIJDSCHRIFT VAN DE AUSCHWITZ STICHTING indique dans un article consacré à cette unité est principalement chargé de la surveillance84. que : «La formation, qui se trouve entre les Les conditions de vie des internés sont telles mains du SS-Truppenführer Koch du bureau qu’en août, ils ne sont que 75 aptes au tra- du 35 SS-Standarte, sera naturellement dure vail85. L’effectif des prisonniers étant faible, et variée. Il est évident pour la SS qu’une telle les autorités décident le 15 de dissoudre le combinaison des critères de sélection pour camp et l’arrestation de 23 SA dont un régiment doit produire les meilleurs résul- Jähnichen pour crimes86. Les prisonniers, tats, dans le sens de la discipline, de la pres- qui ne sont pas libérés, sont envoyés au tance, de l’affirmation intérieure et de l’esprit camp de Sachsenburg. Le 23 août 1934, au d’à-propos»78. Il est très vraisemblable que les terme de cette action, Koch est promu membres de cette unité aient participé, voire Hauptsturmführer87. Karl von Eberstein, organisé les exactions à cette période dans la son supérieur direct le juge «énergique et ville. George M-F, ancien responsable de très dur. D’un caractère calme, mais déci- l’Unité SS I de Kassel, déclarera plus tard : dé. Un homme organisé, sur qui on peut «Je n’ai pas participé... aux exactions et vio- compter... Très intelligent». Son allure est lences initiées par le bureau de la qualifiée de «parfaitement martiale et cor- Hollenzollernstrasse», là où Koch officie79. recte... énergique et claire». Ses résultats de Au terme de leur formation, 28 des recrues formation : «bons et plus que satisfaisants SS sont affectées au KZ Breitenau en rem- étant donné son niveau d’études». Vis-à-vis placement de la troupe de surveillance, Koch de ses subalternes, il apparaît comme «dur n’y est pas affecté : au cours du mois de mais juste» et son esprit de camaraderie «très juin, il est nommé Sturmführer et envoyé à bon et se montrant attentionné»88. Dresde. Le 12 mai 1933, il est proposé pour diriger l’unité motorisée du 35ème bataillon Un commandant en formation SS en Saxe. «En août 1933, je fus nommé à (1934-1935) la section II et chargé de la constitution et du Koch quitte Hohnstein mais reste affecté commandement de la SS commando spé- au service des KZ. Cette mutation fait par- cial Sachsen »80. Sa prise de fonction tarde tie du jeu normal des affectations à l’intérieur pourtant à venir et ce n’est que le 1er des troupes SS. Pour Arthur Smith, Koch est décembre 1933 qu’il est chargé de créer la sanctionné et muté au service des camps Police politique auxiliaire de Saxe et de la pour violence verbale contre des SS. Il cite le direction de ce régiment81. Le 15 mars 1934, général Karl von Eberstein : «A l’époque, il est promu Obersturmführer82. Alors que je le connaissais depuis quelques temps. Il la SS évince politiquement la SA, Eicke le était depuis 1934 dans la SS de Dresde. Là il charge, le 30 juin 1934, de déloger cette der- avait été accusé d’actes de violences contre des nière du camp d’internement d’Hohnstein, SS et j’avais formulé la demande de l’éloi- près de Dresde où sont emprisonnés entre gner»89. Himmler l’aurait alors «sanctionné» 600 à 700 personnes. Accompagné d’une et bon «kamarade» l’aurait muté en lui don- centaine d’hommes et, après une prise de nant un meilleur grade. La raison de cette possession difficile, Koch finit par occuper mutation joue en fait un rôle mineur : Eicke cette forteresse83. Pour la première fois, il a besoin avant tout de formateurs pour les exerce des fonctions de commandant dans troupes de ses camps. Koch accompagne un KZ, même s’il s’agit là d’une situation alors les derniers prisonniers du KZ exceptionnelle et provisoire. L’ancien com- Hohnstein au KZ Sachsenburg. Le 1er mandant SA, Rudolf Jähnichen occupe octobre, il est nommé commandant90. Il y encore des fonctions d’administrateur, Koch fait personnellement connaissance de Eicke — 18 —
N° 86 - JANVIER-MARS 2005 - NR 86 - JANURARI-MAART 2005 qui semble satisfait du travail accompli par liariser avec la bureaucratie de la komman- Koch, parvenu, selon Johannes Tuchel, à dantur en occupant les fonctions d’Adjudant. faire de Sachsenburg «rapidement un camp Sa nomination à Dachau fait partie des modèle»91. Début novembre, Koch n’est étapes obligées des futurs commandants de plus utile à Sachsenburg : le 2 novembre, il Eicke, un rituel initiatique pour la est muté au camp d’Esterwegen. Le 8 génération des soldats politiques98. novembre 1934, il devient Führer des Commencée à l’automne 1934, la forma- troupes92. Sa position inférieure dans la hié- tion de Koch s’achève 8 mois plus tard, rarchie est due à l’importance du camp et à alors que d’autres commandants atten- son manque d’expérience. Esterwegen est dront des années avant d’être jugés aptes. selon Eicke : «le camp le plus difficile à diri- Eicke le juge, désormais, apte aux plus ger des camps allemands car il abrite des cri- hautes fonctions dans un camp et lui confie minels, il est éloigné de toute activité agricole les plus difficiles. et entouré par une population réactionnai- re»93 et il préfère en donner la charge à un Le commandant des coups durs homme de poigne confirmé : Hans Loritz. Les deux premières affectations de Koch Koch retrouve en fait ses anciennes fonc- sont Columbia Haus et Esterwegen où tions : à la tête de la troupe de surveillance, Eicke et ses hommes sont mis en cause pour il est chargé de la formation d’environ 300 leur incompétence. Koch apparaît alors recrues SS94. Le travail de Koch semble por- comme l’homme providentiel prompt à ter ses fruits. Eicke écrit en juillet 1935 : rétablir la situation. Le 21 avril 1935, il est «Loritz a en peu de temps non seulement nommé commandant commissaire du KZ construit une troupe SS disciplinée, mais aussi Columbia-Haus à Berlin entaché par plu- un camp de prisonniers modèle»95. Il l’envoie sieurs affaires désastreuses : début 1935, le alors officier au KZ Lichtenburg. Du 2 mars commandant Alexander Reiner et son au 1er avril 1935, Koch y occupe les fonctions adjoint sont inculpés de coups et blessures de führer de la section de sécurité, encore une ayant entraîné la mort de deux prisonniers. fois chargé des troupes de surveillance. Dans Le 20 avril, deux autres prisonniers s’évadent le cas de Lichtenburg, il s’agit aussi de diri- avec la complicité d’un SS99. Cette évasion ger le camp de prisonniers où sont inter- contraint Eicke et Himmler à agir et à nées environ 700 personnes96. Son passage envoyer Koch, connu pour son efficacité, à rapide dans ce camp illustre l’insatisfaction Sachsenburg et Esterwegen. Les rares témoi- de Eicke vis-à-vis des résultats obtenus par gnages de survivants retracent la systémati- le personnel SS : de mai 1933 à la dissolution sation et l’accentuation de la violence100. du camp en 1936, 5 commandants et 4 füh- Satisfait, Eicke commente le 15 juillet : rer de camps de prisonniers se succèderont. «National-socialiste convaincu, Koch est un Koch arrive au moment où une procédure homme de devoir exceptionnel : son com- judiciaire est entamée contre son prédéces- portement pendant et hors du service est seur Edgar Entsberger97. A peine installé, irréprochable. C’est un bon camarade»101. Le Eicke l’appelle à Dachau. Il n’y reste que 31 juillet 1935, Koch devient officiellement 21 jours. Son passage doit être interprété commandant à part entière du camp. Le 15 comme un aboutissement et une formalité septembre, il est promu SS Sturmbannführer, indispensable pour conclure sa formation. 6 mois plus tard, le 31 mars 1936, il devient Formé et rompu aux fonctions dans la trou- commandant du KZ Esterwegen102. Cette pe de surveillance et à la section du camp des nomination est de nouveau liée à un coup prisonniers, il lui reste maintenant à se fami- dur : le commandant Loritz s’est montré — 19 —
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