La physique des particules tourne rond - Texte : François Arleo Illustrations : Roxane Arleo
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grandma La physique des particules tourne rond HY A P SI L QU E PO Texte : François Arleo R ! U Illustrations : Roxane Arleo TO US
Notre grand-mère Janet est d’une curiosité insatiable. La série N’en déplaise aux douaniers, il se passe des choses « Physique pour Grandma» a pour but de lui expliquer quelques aspects étonnantes à la frontière franco-suisse, à proximité de de la physique des particules et d’astrophysique. Cette série s’adresse Genève. Quelque part sur le site du CERN, le grand la- également à tous les curieux, qui, comme Janet, souhaitent découvrir boratoire de physique des particules, se trouve une le monde de la physique de façon simple et ludique. bouteille d’hydrogène – l’élément chimique le plus simple et le plus abondant de l’Univers. Si je te parle précisément de cette bouteille, Grandma, c’est qu’une infime partie des atomes qu’elle Déjà parus : contient va connaître un voyage hors du Une soupe nommée plasma quarks-gluons commun à travers l’accélérateur LHC, dont Un zoo particulier le but est de nous aider à percer les mys- tères actuels de la physique des particules. C’est ce voyage que je te propose aujourd’hui de découvrir. Accélérer pour produire Un des passe-temps favoris des physiciens consiste à accélérer différents types de particules pour ensuite les faire entrer en collision. Cette curieuse habitude a pour François Arleo est chercheur en physique théorique au CNRS au sein du Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de Physique Théorique origine la célèbre équation d’Einstein établissant l’équi- http://cern.ch/arleo valence entre l’énergie et la masse. Roxane Arleo est illustratrice. Elle collabore avec des magazines tels que Le Monde de l’Éducation, L’Entreprise, L’École des Parents, Alternative Santé... Quand une particule est immobile – on dit qu’elle est « au http://rarleo.free.fr repos » – son énergie est uniquement donnée par la va- Contact : physiquepourgrandma@gmail.com leur de sa masse. En revanche, en se déplaçant à des ISBN : 978-2-9535817-2-0 3
vitesses proches de celle de la lumière – la vitesse maxi- d’un moustique en vol ! En revanche, cette énergie est male prédite par la théorie de la relativité d’Einstein – entièrement portée par une seule particule, alors que son énergie de mouvement, ou énergie cinétique, le moustique est constitué de plusieurs milliards de mil- devient très importante par rapport à son éner- liards de protons. En ce sens, on peut dire que les protons gie au repos. À titre d’exemple, les protons du LHC possèdent une « grande » énergie. circulant actuellement dans l’anneau du LHC De la bouteille au LHC possèdent une énergie égale à presque Le voyage commence donc avec l’extraction de la bou- 4000 fois leur énergie au repos. teille d’un milliardième de gramme d’hydrogène, soit tout Lorsque deux particules entrent en de même la bagatelle de près d’un million de milliards collision, une partie de leur énergie cinétique est d’atomes ! La toute première opération consiste à éplu- libérée et permet ainsi de produire d’autres particules cher – ou ioniser – ces atomes, c’est-à-dire expulser possédant une énergie élevée, notamment des particules l’électron qui tourne autour du proton. Les protons sont de grande masse. En augmentant l’énergie atteinte par alors progressivement accélérés en étant injectés suc- un accélérateur, les physiciens espèrent donc découvrir cessivement dans trois machines avant d’être finalement des particules très lourdes n’ayant encore jamais été observées. Bien que les physiciens des particules aiment à parler LHC des « grandes » énergies atteintes dans les accéléra- teurs, il faut néanmoins relativiser leur enthousiasme en se rappelant que chaque proton accéléré au LHC possède une énergie guère plus importante que celle BZZZ 4
dirigés vers le tunnel circulaire du LHC, d’une circonfé- conséquence directe d’un champ magnétique généré par rence de près de trente kilomètres et situé à une pro- un millier d’aimants de 35 tonnes chacun, répartis tout fondeur d’une centaine de mètres. Ils atteignent ensuite au long du faisceau et dont l’intensité est cent mille fois leur énergie maximale au bout d’une vingtaine de minutes. plus importante que le champ magnétique terrestre qui Les protons ont alors droit à un tour de manège enivrant oriente nos boussoles. en réalisant chaque seconde onze mille fois le tour du Le proton qui venait du froid LHC pendant une dizaine d’heures. Le faisceau est ensuite Afin de produire des champs électrique et magnétique arrêté avant une nouvelle injection de protons. d’une telle intensité, il est nécessaire de refroidir les Et pourtant ils tournent ! cavités et les aimants. En effet, à des températures Les protons sont accélérés et déviés selon les lois de extrêmement basses, le courant électrique parcourt ces l’électromagnétisme, qui régissent le mouvement des éléments sans aucune résistance : c’est le phénomène de particules chargées. C’est la raison pour laquelle il n’est supraconductivité. Les aimants sont maintenus à environ pas possible d’accélérer des particules neutres comme -271 degrés Celsius – soit seulement deux degrés au- le neutron. À chaque passage dans des cavités, où règne dessus du zéro absolu – en étant plongés dans un important champ électrique, les protons subissent une une centaine de tonnes d’hélium, liquide accélération qui va progressivement leur permettre d’at- à de telles températures. Le LHC res- teindre l’énergie maximale prévue. L’autre rôle des ca- semble ainsi à un réfrigérateur vités est de regrouper les protons par paquets, contenant géant ! chacun cent milliards de protons. Les techniques du froid, Les trajectoires circulaires ou cryogénie, sont égale- qu’épousent les protons dans ment utilisées pour réa- le tunnel du LHC sont la liser le vide dans le 6 7
tube de l’accélérateur afin d’éviter que les protons ne chances de son côté pour observer ces nouvelles par- heurtent des molécules d’air résiduelles. Le vide parfait ticules, il faut réaliser le plus grand nombre de collisions. n’existe certes pas, celui atteint au LHC est néanmoins En moyenne, une vingtaine seulement sont attendues semblable à celui qui règne… à la surface de la lune. lorsque deux paquets se traversent, ce qui représente Une circulation dense mais fluide tout de même plus de six cent millions de collisions entre protons chaque seconde ! Dans le tunnel du LHC, deux faisceaux de protons, com- posés de trois mille paquets de protons, circulent en sens Choix des ingrédients contraire comme des voitures sur un périphérique. Afin Bien que le LHC soit le théâtre de collisions entre deux de produire des collisions entre protons, ces faisceaux protons, d’autres types de particules sont accélérés dans se croisent en quatre points de l’anneau, où se situent différents collisionneurs de part le monde. Les particules les détecteurs qui permettront de mesurer les particules les plus fréquemment utilisées sont l’électron et le pro- produites lors des collisions. Les physiciens cherchent à ton, ainsi que leur antiparticule associée – le positron et découvrir des particules qui, si elles existent, ne seront l’antiproton – possédant la même masse mais une charge que très rarement produites. Afin de mettre toutes les électrique opposée. Ainsi, avant la mise en place du LHC, des électrons et des positrons circulaient dans le tunnel souterrain du CERN. Cet accéléra- teur, baptisé LEP, a permis de vérifier avec une précision sans précédent les nombreuses Électron prédictions du modèle stan- proto n Positro n dard de la physique des 9
proton partage son énergie entre les quarks et les gluons qui le compose. Ainsi, les collisions entre protons peuvent être vues comme un éventail de collisions d’énergie va- riable entre les quarks et les gluons. Ce balayage en énergie permet de découvrir de nouvelles particules dont on ne connaît pas la masse a priori. Une fois ces parti- cules découvertes et leur masse déterminée, les collisions particules. Aux États-Unis, ce sont des protons et des entre électrons et positrons se révèlent d’une grande antiprotons qui sont actuellement accélérés auprès de utilité. Étant une particule élémentaire, l’électron trans- l’accélérateur Tevatron près de Chicago ; ces collisions met l’intégralité de son énergie dans la collision, ce qui ont notamment conduit à la découverte en 1995 de la permet de produire de manière abondante une particule particule élémentaire la plus lourde connue à l’heure de masse bien définie et ainsi de pouvoir l’étudier. actuelle, le quark top. Les collisions entre électrons et Une particule accélérée circulairement – comme c’est le protons réalisées à HERA, un accélérateur basé à cas au LHC – perd une partie importante de son énergie, Hambourg en Allemagne, ont permis de mesurer avec surtout si celle-ci est légère comme c’est le cas de précision le contenu du proton en quarks, antiquarks et l’électron : c’est le rayonnement synchrotron. C’est aus- gluons. La liste n’est pas exhaustive ! Chacun de ces ac- si la raison pour laquelle les protons – deux mille fois plus célérateurs représente un défi technologique nécessitant lourds que les électrons – circulent dans le tunnel du LHC. une longue phase de recherche et de développement. Le Tourner en rond ou filer droit projet du LHC, par exemple, qui a vu ses premières col- lisions en 2009, a été approuvé par le CERN en… 1994. Pour éviter le contrariant rayonnement synchrotron, il existe également des accélérateurs linéaires dans les- Chaque type de collisions possède ses avantages et ses quels les particules se déplacent suivant une ligne droite. inconvénients. De part sa structure « composite », un 10 11
Un autre avantage sympathique de ce dispositif est qu’il quotidiennement au-dessus de dispense de la présence d’aimants nécessaires pour cour- nos têtes lorsque des protons ber la trajectoire des particules dans les accélérateurs provenant de l’espace heurtent circulaires. En revanche, comme les particules n’effec- les molécules d’air de l’at- tuent qu’une seule traversée, leur accélération doit être mosphère terrestre, produi- très importante. Les accéléra- sant des rayons cosmiques. teurs linéaires se caractérisent Les énergies de ces collisions donc par un champ électrique peuvent atteindre jusqu’à cinquante encore plus intense et par une fois l’énergie obtenue au LHC ! Certaines expériences très grande taille. Différents ont pour but de mesurer les particules produites lors projets sont actuellement à de ces collisions, d’autres ont lieu à bord de satellites l’étude afin d’effectuer d’ici quelques années des expé- envoyés dans l’espace afin de détecter les particules riences complémentaires à celles du LHC. Parmi ceux-ci, avant qu’elles ne heurtent l’atmosphère. le projet ILC prévoit un dispositif long d’une trentaine Au CERN, ailleurs sur Terre ou dans l’espace, des par- de kilomètres, soit dix fois plus que le plus important ticules sont donc accélérées et subissent des collisions. accélérateur linéaire actuel. De ces collisions jaillissent de nouvelles particules que Quand la Nature accélère les physiciens parviennent à détecter, comme nous le Les physiciens aiment aussi observer la verrons dans le prochain numéro ! Nature qui n’a pas sa pareille pour pro- duire des particules de très hautes éner- Pour en savoir plus : http://physiquepourgrandma.blogspot.com gies par le biais de nombreux phénomènes astrophysiques. Des collisions ont ainsi lieu 12 13
LEXIQUE LEP : Accélérateur d’électrons et de positrons, situé au CERN, en fonctionnement de 1989 à 2000. Accélérateur : Dispositif expérimental, linéaire ou circulaire, permettant d’accélérer des particules puis de les faire entrer LHC : Accélérateur de protons du CERN, dont le fonctionne- en collision. ment a débuté en 2009. Cavité : Élément particulier d’un accélérateur dans lequel les Modèle standard : Théorie permettant de décrire les inte- particules chargées sont accélérées par l’application d’un ractions forte, faible et électromagnétique entre les parti- champ électrique variable. cules élémentaires. CERN : Laboratoire situé à Genève (Suisse), créé en 1954 et Paquet : Ensemble d’environ cent milliards de protons circulant abritant de nombreux accélérateurs, dont le LHC. dans l’accélérateur. Au LHC, le nombre maximal de paquets est proche de trois mille. Collisionneur : Accélérateur contenant deux faisceaux de par- ticules circulant en sens inverse, par opposition aux accélé- Rayonnement synchrotron : Phénomène par lequel une par- rateurs pour lesquels seul un faisceau de particules heurte ticule chargée et accélérée de manière circulaire perd de une cible fixe. l’énergie en émettant de la lumière. Cryogénie : Technique de refroidissement, utilisée notamment Rayons cosmiques : Ensemble des particules produites lors de au LHC afin de faire fonctionner les aimants supraconduc- la collision avec l’atmosphère terrestre de particules prove- teurs et de réaliser le vide à l’intérieur du tunnel. nant de l’espace. Détecteur : Dispositif permettant de détecter et d’identifier Supraconductivité : Phénomène apparaissant à basse tempé- les particules produites lors des collisions. rature permettant de faire circuler l’électricité dans certains matériaux sans déperdition d’énergie sous forme de chaleur. Énergie cinétique : Énergie liée au mouvement des particules. Tevatron : Accélérateur de protons et d’antiprotons, situé au HERA : Accélérateur de protons et d’électrons/positrons, situé laboratoire Fermilab près de Chicago (États-Unis), en fonc- au laboratoire DESY de Hambourg (Allemagne) et en fonc- tionnement de 1983 à 2011. tionnement de 1992 à 2007. Zéro absolu : Température minimale selon les lois de la phy- Ioniser : Action qui consiste à enlever les électrons en mou- sique, égale à environ -273 degrés Celsius. vement autour du noyau de l’atome. 14 15
« Vous n’avez pas vraiment compris une chose tant que vous ne pouvez pas l’expliquer à votre grand-mère » Albert Einstein ISBN : 978-2-9535817-2-0 4€
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