La qualité de l'accueil en EHPAD d'une personne âgée
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EHPAD Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée Quality of elderly admission into nursing homes Philippe THOMAS1, Cyril HAZIF-THOMAS2, Sarah THOMAS3 RÉSUMÉ ABSTRACT Cet article présente les divers aspects d’un accueil de This article discusses the various aspects pertaining to qualité d’un résident dans un établissement pour person- the quality of the admission of an elderly person in a nes âgées dépendantes. Il rapporte les difficultés psycho- nursing home. It highlights the psychological difficulties logiques rencontrées par la personne âgée et sa famille. faced by the elderly and their relatives. The article also Les différentes sources de conflits entre famille et soi- describes the various sources of conflicts between family gnants, et des pistes de résolution sont présentées. Un and caregivers and discusses some options to solve them. certain nombre de prérequis doivent être satisfaits par The nursing home must meet a certain number of pre- l’institution d’accueil avant l’admission ou un peu plus requisites, prior to admission or shortly thereafter. For tard. Une évaluation complète pour déterminer un plan each resident, a comprehensive assessment is performed de soin personnalisé est mise en place pour chaque rési- in order to draft an individual care plan. The formal care dent. Le plan de soin formalisé, validé par le résident est plan, as approved by the resident, is then prepared by préparé par le médecin traitant, une infirmière et d’au- the attending physician, a nurse and the other staff mem- tres membres du personnel qui seront impliqués avec le bers who will be involved in the resident’s care. This care soin du résident. Ce plan de soin est régulièrement mis plan is regularly updated according to the possible chan- à jour selon les changements éventuels de la condition ges in the resident’s condition. Upon admission, other du résident. D’autres exigences doivent être respectées requirements must be met to determine the suitability à l’admission pour déterminer la pertinence et vérifier la and quality of the resident’s environment and to main- qualité de l’environnement dans lequel évoluent les ré- tain the resident’s rights after their admission, particu- sidents et pour veiller à préserver leurs droits après leur larly as regards medical care. The residents must be able admission et en particulier en matière de soins médi- to access an explanation of the value and risks of their caux. Les résidents doivent pouvoir accéder à une expli- ongoing medications and medical or healthcare procedu- cation sur l’intérêt et les risques des médicaments qu’ils res. They must have the right to refuse a treatment. Re- reçoivent et sur les procédures médicales ou soignantes sidents who are unable to make their own decisions due en cours. Leurs droits incluent le droit de refuser un trai- to illnesses should have the possibility to express their tement. Les résidents incapables de prendre leurs pro- desires in advance by means of anticipated guidelines. pres décisions en raison des maladies devraient pouvoir Or they should be able to designate specific people to exprimer leur souhait à l’aide de directives anticipées. Ils assist them in case of incapacity. peuvent encore exprimer leur souhait pour désigner les personnes susceptibles de les aider en cas d’inaptitude. 1 Médecin Coordonnateur, Psychiatre et Gériatre. Les Jardins de Cybèle, 86000 Auteur correspondant : Docteur Philippe Thomas, Médecin coordonnateur, Psychia- Poitiers, France. tre et Gériatre. Les Jardins de Cybèle, 4 rue Joseph Meister, 86000 Poitiers, France. 2 Psychiatre et Gériatre. Service de Psychogériatrie, CHU de Brest, 29200 Brest, Courriel : philippe.thomas.2008@orange.fr France. 3 Gériatre. Équipe Mobile de Psychiatrie de la Personne Âgée, Service de Gériatrie, Centre Hospitalier de Marne-la-Vallée, 77600 Jossigny, France. Article reçu le 16/03/2015 et accepté le 29/05/2015 © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 7 SEPTEMBRE 2015 417
La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée • Quality of elderly admission into nursing homes Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes Rev Geriatr 2015 ; 40 (7) : 417-26. Mots clés : Maison de retraite - Entrée - Éthique - Keywords: Nursing home - Admission - Ethics - Législation - Protocoles - Qualité - Soins Legislation - Protocols - Quality - Healthcare INTRODUCTION valeur de son consentement lorsque les troubles cognitifs sont là, quand la dépendance rend le domicile impossible et que la famille n’a plus d’autre choix qu’envisager ce que l’on L ’institutionnalisation et l’entrée en établissement d’hé- bergement pour personnes âgées dépendantes n’appelle plus aujourd’hui le « placement » ? Afin d’éviter les (EHPAD) d’une personne jusque-là à son domicile ou clauses abusives, certains délais pour rompre le contrat liant au sein de sa famille est un événement douloureux pour elle PA et EHPAD sont désormais encadrés par la loi pour et ses proches. Rarement l’entrée est désirée, elle est sou- « l’adaptation de la société au vieillissement ». Cette loi ins- vent crainte. La préparation de cet événement est donc sou- taure de plus une personne de confiance qui accompagne vent insuffisante, majorant alors le stress d’une véritable la personne âgée dans ses démarches et l’aidera le cas crise familiale. La séparation du domicile est volontiers per- échéant dans ses décisions au sein de l’établissement mé- çue par tous comme une rupture irréversible, déstructurant dico-social, comme c’est déjà le cas pour les usagers de la les habitudes de vie. En témoigne la fréquence des difficultés santé. La question du choix de cette personne lorsqu’il existe d’adaptation des premières semaines. Personne âgée (PA), des troubles cognitifs est bien sûr là encore posée, comme famille et soignants qui accueillent un nouveau résident doi- celle de la valeur des mesures anticipées. Le directeur de vent trouver leurs marques et des nouvelles règles de vie. l’établissement d’accueil ou toute personne formellement Ce chapitre aborde les aspects opérationnels d’une entrée désignée par lui, pourquoi pas le médecin coordonnateur d’une personne âgée en établissement avec notamment le lorsqu’il y en a un, s’assurera du consentement de la per- protocole d’entrée à mettre en œuvre, l’accueil de la per- sonne à être accueillie, dans un entretien hors de la pré- sonne âgée et l’accueil de la famille. La question du consen- sence de toute autre personne, sauf si la personne accueillie tement y est abordée, comme celles sur le contrat de séjour choisit de se faire accompagner par la personne de et sur le suivi des premières semaines qu’il est nécessaire de confiance, Il s’assurera également de la connaissance et de mettre en œuvre pour s’assurer que cette entrée se passe la compréhension de ses droits par la personne accueillie. dans les meilleures conditions. De nombreux facteurs conduisent à l’entrée en institution des PA, le premier d’entre eux est bien sûr l’incapacité à LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES demeurer à son domicile, par perte d’autonomie physique PAR LES PERSONNES AGÉES À L’ENTRÉE et/ou cognitive. Trouver une place en EHPAD lorsque cette EN EHPAD orientation devient incontournable n’est pas une des tâches des plus aisées, surtout lorsque le besoin d’y entrer relève, Si les EHPAD anciens offrent l’avantage d’une organisation au-delà d’une exigence aiguë, d’une urgence chronique. La rodée et éprouvée, c’est bien souvent au prix d’un efface- prédisposition psychologique à accepter de telles structures ment de l’individu au profit de la collectivité. Ce risque de ou au moins la préparation de longue date à une décision laisser se développer un carcan institutionnel est source de difficile, le recours à la liberté du choix de l’aîné et non la conflits latents avec les familles. Il est rarement repéré dans contrainte ou l’urgence, toujours stressante, la disponibilité sa dimension politique(1). L’adaptation de la société au vieil- de structures d’accueil dans les environs ou à proximité de la lissement et la mise en œuvre d’une démarche de soins per- famille, jouent aussi un rôle important, et surtout modulent sonnalisée visent à prévenir de telles dérives. Un projet de le vécu de la PA à son entrée. Le plus souvent, l’entrée en loi actuel évoque ainsi notamment la création d’un Haut EHPAD n’est pas désirée par la PA, même si elle s’y résigne. Conseil de l’âge, chargé de rendre des avis sur toutes les Les difficultés ne sont pas appréhendées et analysées de questions touchant aux enjeux du vieillissement (urbanisme, façon identique par les PA et leur famille. Une méta-analyse logement, mobilité, droits...)(2). Entre-t-on toujours en récente portant sur 754 071 PA institutionnalisées montre EHPAD avec de la joie et avec l’idée d’un acte librement que les principaux facteurs impactant le risque de rupture décidé sans contrainte ? La notion de dernier domicile ici- du domicile sont plutôt d’ordre médicaux pour les person- bas revient dans les discours des PA de façon récurrente. nes âgées, médico-sociaux pour les familles(3). Bien entendu, in fine, l’entrée en EHPAD est censée être La démence en particulier, qui associe des troubles de mé- du ressort et du choix la personne âgée. Mais quelle est la moire, des altérations du jugement et la réduction 418 © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 7 SEPTEMBRE 2015
La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée • Quality of elderly admission into nursing homes Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes progressive des activités de la vie instrumentale ou même simplement quotidienne, est la première cause médicale de l’entrée en EHPAD(4). La seconde raison porte sur le nom- bre de pathologies chroniques dont souffre la PA, et le nom- bre de lignes thérapeutiques de son ordonnance(3, 5). La santé de l’entourage familial - en particulier mentale(6) et sa faible résistance face aux pertes d’autonomie de la personne aidée(7, 8) à domicile - est le troisième facteur, volontiers as- socié à une précarité sociale croissante et une perte pro- gressive de la qualité de vie de la PA comme de celle de sa famille(9). La solitude des aidants à domicile et l’absence d’aide formelle constituent une cause importante s’ajoutant volontiers aux facteurs précités(10). Bien entendu, nombre d’autres éléments interviennent, tels l’âge de l’aîné, sa soli- tude, les difficultés d’accès du logement, les moyens finan- ciers mobilisables ou la volonté de transmettre un bien, l’ab- sence de service à la personne à son domicile... Le changement de vie représenté par l’entrée en EHPAD peut être un traumatisme pour la PA qui se confronte de façon incontournable aux effets de l’âge et des pathologies, comme pour la famille prise dans la tenaille des désirs de leur parent et la contrainte systémique de passer outre. Leur culpabilité n’est pas évacuée par la nécessité d’une décision le plus souvent justifiée, de nombreuses compo- santes affectives s’entrechoquant. Le résultat est souvent à l’entrée l’extrême réticence des PA souvent enclines à dis- qualifier l’environnement physique et humain de l’EHPAD, comme pour bien pointer les inconvénients de l’institution, Figure 1 : Triangulation complexe des relations personne âgée a contrario des avantages idéalisés qu’avait le domicile. Du (PA), famille et soignants à l’entrée en EHPAD. Situation des de- côté familial, l’essentiel est de montrer à son parent que mandes (A) et registres des réponses (B). les membres de la famille sont présents, qu’ils gardent une Figure 1: Complex triangulation of relationships between elderly peo- maîtrise de la situation, qu’ils veillent à son bien-être, « car ple (PA), relatives and caregivers upon admission into a nursing home. il sera bien ici ». Il ne s’agit pas pour les soignants de les Positioning of the requests (A) and answers (B). faire mentir. Malheureusement, les budgets EHPAD ne sont pas extensibles et le personnel pas aussi nombreux que souhaité, et l’écart entre les demandes de la PA, de sa famille et ce que peut apporter l’établissement ne tarde pas LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES à se démasquer. Les soignants tendent à répondre aux de- PAR LES FAMILLES DES PERSONNES mandes des PA, volontiers chargées d’affectif, sur le regis- AGÉES À L’ENTRÉE EN EHPAD tre technique (Figure 1 A). Par leur application à bien faire leur travail en étant le plus neutres possible avec les famil- La sollicitation d’une institution par les familles se fait sou- les, ils dénient une situation de concurrence de fait : ils font vent dans un climat de crise. Certains départements pro- souvent mieux dans le soin technique que ce que les aidants posent des sites uniques d’inscription en EHPAD. Le dos- naturels peinaient à faire à domicile. Il en résulte une mau- sier d’entrée de la PA est ailleurs déposé dans de multiples vaise triangulation qu’il va falloir déconstruire (Figure 1 B), EHPAD pour augmenter les chances de trouver rapide- mais qui idéalement doit être prévenue par la mise en œu- ment une solution institutionnelle, et il est volontiers fait vre d’un processus d’accueil chaleureux et surtout négocié, au dernier moment. La fragilité de la situation remonte renégocié à de multiples niveaux. Bien entendu, le rela- pourtant à des semaines, voire des mois auparavant. tionnel de la famille avec les soignants de l’EHPAD dépen- L’anticipation de l’entrée est dans les esprits de la PA dra de la qualité de l’accueil qu’ils y auront reçu, de la sa- comme dans ceux de sa famille, mais entre rarement dans tisfaction de leur besoin et de ceux de la PA, de la confiance les faits, bloquée par les peurs de ce qui va être incon- réciproque. tournable. Pourtant, la mise en œuvre d’une inscription de © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 7 SEPTEMBRE 2015 419
La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée • Quality of elderly admission into nursing homes Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes précaution, pour prévenir des difficultés « plus tard » est un LES RISQUES DE CONFLITS des moyens pour dédramatiser cette situation, et limiter le FAMILLES-SOIGNANTS stress de l’urgence et les conséquences de la culpabilité. L’absence de préparation effective et l’immaturité familiale Les conflits soignants-familles sont fréquents après une pé- face à leur parent fragilisé conduisent à des décisions pré- riode de latence de quelques semaines suivant l’entrée en cipitées, parfois déloyales : l’EHPAD succède à une brève institution d’une PA. La famille sort du traumatisme de l’en- hospitalisation, la PA « ne pouvant plus rester à son do- trée et cherche de nouveaux repères pour simplement exis- micile ». L’entrée en EHPAD peut être présentée à la PA ter auprès de son parent, évacuer sa culpabilité ou restaurer comme temporaire, à durée non définie, le médecin est le un semblant de rôle filial. Ces conflits sont évitables, en res- désigné comme « décideur » ou même le responsable de la pectant le tempo du retrait familial durant cette période, cause de l’entrée. Le consentement écrit de la PA se re- mais aussi et surtout en prévoyant avec les familles des pos- trouve bien dans quelque page du dossier administratif sibilités de se réinvestir. Les conflits sont faits de bonne et d’entrée, ce dont la PA ne se souvient pas toujours, et de mauvaise foi. Il s’agit souvent du choc de bonnes inten- dont elle n’a pas forcément bien saisi toutes les consé- tions, mais familles et soignants étant sur des registres dif- quences en le donnant. La PA va, dans ces mauvaises férents, leurs visions peuvent s’opposer même si les uns et conditions de « départ », vivre son entrée en EHPAD les autres ont des avis convergents sur la qualité des soins. comme une incarcération, et la famille évacuer sa dé- L’explication du déroulement des soins et la qualification loyauté en projetant la responsabilité de la situation sur le des soignants, la différentiation des rôles affectifs propres à médecin, les soignants, ou même simplement l’institution la famille et leur qualification morale déminent a priori ce qui accueille leur parent. La reconstruction d’une transac- type de problème. La négociation d’un conflit constitué est tion loyale passe ici par une triangulation juste, par exem- bien plus coûteuse en temps et en souffrance que sa pré- ple sous l’égide d’une psychologue, où soignants, PA et vention. Les demandes des familles sont ambiguës, parfois famille pourront s’asseoir et échanger autour d’une table, parce qu’elles ne sont pas claires et que bien souvent elles et négocier un projet de vie personnalisé. ne savent pas ce qu’elles veulent. Ce qui est important, c’est Les proches sont fortement sollicités avant l’entrée en de leur laisser le temps de les clarifier, sous peine de leur EHPAD dans notre pays pour le soutien à domicile des fournir de bons arguments contre l’institution. Elles ont be- PA(4, 11). L’entrée en institution rompt l’investissement fa- soin d’aide et ne supportent pas d’en avoir besoin. Accepter milial qui a parfois duré des années. L’objectif est d’aider un temps nécessaire pour élaborer leur souffrance et un ac- la PA comme sa famille à faire leur deuil d’une certaine cueil de qualité par les soignants est une prévention des image de la vie passée à la maison, et de les aider à s’in- difficultés à venir. vestir dans une relation de partenariat avec les soignants L’entrée en EHPAD a un coût financier et un coût affectif. de la nouvelle maison instituée, quoi qu’il en soit dit, dans Et elle a des coûts cachés, en particulier le sentiment de l’ordre et les règles du collectif. « Institutionnaliser une per- perte de maitrise de la famille, son impuissance « de ne rien sonne aimée » est une expression malheureuse qui rend pouvoir y faire », le vécu de l’atteinte de l’intimité de la fa- compte d’une épreuve de réalité qui, pour relever parfois mille, et surtout l’échec de la famille dans un mouvement d’un « temps logique » bien compréhensible, n’en relève pas d’amour, un échec du soin, de ce « care » qui n’a pas permis moins d’une certaine part de violence. Comme telle, la si- d’éviter la perte, qualifiée le cas échéant de naufrage, que tuation est souvent douloureuse, et compliquée à élaborer représente la perte du domicile(13). La longue période de par les familles. Un travail de deuil s’inscrit dans la durée « refus de la perte » a pu inscrire les familles dans une dé- et nécessite un accueil de qualité, bien sûr psychologique, motivation active face à la nécessité du changement qu’in- développé par des professionnels de métier(12). L’accueil fa- carne en pareil cas, et à son corps défendant, le personnel milial est l’affaire de tous, et doit être personnalisé. La fa- de l’institution même pas toujours « choisie » par la PA. Ce mille cherche à trouver ses marques. Il lui faut donc une nouvel environnement peut alors être vu comme celui d’une préparation spécifique avant l’entrée en institution, un ac- institution totalitaire par les familles, qui regardent le sys- cueil adapté, des temps planifiés de rencontre et d’infor- tème mis en place avec perplexité car ne le comprenant mation, une négociation ouverte et renouvelée sur ses dé- pas. Face à la perte de leur rôle d’acteur du soin affectif, à sirs, en particulier d’éventuelle participation aux soins. Les leur impression de ne pas être comprises à leur tour, elles familles ne sont pas toutes à l’aise pour demander des nou- ont une perception d’une toute-puissance du système soi- velles de leur proche. Il faut ici aller au-devant de leurs at- gnant... La réciprocité joue ici à plein, les soignants se plai- tentes. Le développement de modalités régulières d’infor- gnant de la toute-puissance des familles et de leur incom- mations non sollicitées vers les familles fait partie du projet préhension de leurs difficultés, en particulier quand ils font personnalisé. de leur mieux au chevet du résident. Bien sûr, toutes les 420 © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 7 SEPTEMBRE 2015
La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée • Quality of elderly admission into nursing homes Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes familles ne sont pas des modèles relationnels, des conflits Le document de l’Anesm fournit les éléments pour l’ap- d’intérêt peuvent exister dans la fratrie, la maladie mentale propriation de la recommandation rendant celle-ci incon- peut exister dans un de ses membres. tournable. La double contrainte qui s’exerce sur le person- nel, majorée par l’hostilité de certaines familles qui s’appuient sur les recommandations pour pointer les insuf- LES PROCESSUS DE RECOMMANDATIONS fisances du service rendu à leur parent, risque de tendre la DE BONNES PRATIQUES relation entre profanes et professionnels(14, 15). Les exigen- PROFESSIONNELLES ces de résultats et le travail à flux tendu dans un contexte de manque généralisé de personnel soignant dans les EH- L’agence nationale de l’évaluation et de la qualité des éta- PAD ouvrent à la réalité des risques psycho-sociaux, se tra- blissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) duisant par la triste trilogie « mutation, arrêt-maladie, sui- a publié récemment des recommandations sur la qualité de cides »(16-18). vie en EHPAD. Le premier volet porte sur l’accueil de la La question du consentement de la personne âgée n’est personne et son accompagnement. Le document promeut qu’esquissée dans le document de l’Anesm, le rôle des in- une démarche intéressante au moins au plan de l’articula- tervenants professionnels dans le processus de décision est tion des rôles professionnels qu’elle dégage et par son ca- développé. Rappelons que ce n’est certainement pas au ni- ractère exhaustif décliné en cinq processus (Tableau 1) lais- veau de l’EHPAD, partie prenante et financièrement inté- sant volontiers une place à la personnalisation du soin et ressée, d’intervenir dans le processus de décision ou dans au recueil des attentes de la PA (Tableau 2). La démarche les relations familiales. Ce point doit être réglé auparavant. a le grand mérite d’éviter les risques d’une dérive mar- Rappelons que si la controverse est souvent présentée chande des établissements publics ou privés accueillant les comme du domaine médical, la mésentente et le conflit re- personnes âgées. Le développement technocratique dans lèvent d’abord de la sphère politique, voire juridique, tous le soin permet ainsi d’éclairer les pistes de la qualité, mais univers que la famille habite selon sa propre philosophie de pointe aussi les insuffisances dans les EHPAD, largement l’existence. La PA ne peut être ramenée à un rôle de tirelire liées au manque de personnel et non à la mauvaise volonté. et la famille invitée à cautionner cette attitude. Tableau 1 : Les recommandations de bonnes pratiques professionnelles (Anesm)(21). Table 1: Professional best practice recommendations (Anesm)(21). L’anticipation de la décision 1) Informer le grand public sur les missions, les moyens, le coût et le financement 2) Améliorer la perception de l’EHPAD dans la société 3) Participer à la vie de la cité, résidents et EHPAD 4) Inscrire l’EHPAD dans le paysage partenarial L’accompagnement de la décision 1) Informer les personnes âgées/familles qui font une demande d’admission 2) Établir des relations spécifiques avec la personne âgée concernée sans les proches 3) Établir des relations spécifiques avec les proches pour préciser la place des proches dans la démarche d’admission 4) Faciliter le dialogue entre la personne concernée et ses proches L’admission 1) Simplifier le dossier de demande d’entrée, en particulier en développant un document commun avec les autres EHPAD du territoire 2) Croiser les regards lors des décisions d’admission en recueillant l’avis de tous les professionnels ayant participé au processus de préparation 3) Mettre à profit la période entre la décision d’admission et l’entrée pour préparer celle-ci 4) Informer sur les droits des usagers et les supports de ces droits L’accueil 1) Préparer l’arrivée en partageant avec les professionnels les éléments de connaissance de la personne âgée 2) Permettre à la personne de prendre rapidement des repères 3) Être vigilant les premières semaines en échangeant avec la personne âgée sur ses ressentis 4) Associer et soutenir les proches en s’assurant de leur information sur la date et les modalités d’entrée L’élaboration et la mise en œuvre 1) Organiser l’expression de la personne et de ses proches du projet personnalisé 2) Organiser l’intervention des professionnels en promouvant la réflexion interdisciplinaire 3) Co-construire et évaluer le projet personnalisé en planifiant évaluation et ré-évaluation © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 7 SEPTEMBRE 2015 421
La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée • Quality of elderly admission into nursing homes Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes Tableau 2 : Recueil des attentes de la personne (Anesm)(21). Table 2: Collection of the resident’s expectations (Anesm)(21). 1) Est-elle capable d’exprimer spontanément, verbalement ou non verbalement, sa volonté ? Comment adapter les modes de communication, surtout si elle présente des troubles de la communication verbale ? 2) Quels sont ses goûts et centres d’intérêts actuels, antérieurs ? Quels objectifs spécifiques en fonction de ses capacités et de ses centres d’intérêt ? 3) A-t-elle envie de participer aux activités collectives ? Faut-il et comment l’y encourager ? 4) De quelles aides spécifiques a-t-elle besoin pour se déplacer ? 5) De quelles aides spécifiques a-t-elle besoin pour s’habiller, se laver, aller aux toilettes ? 6) Quels sont ses horaires actuels de coucher et de lever, ses préférences et habitudes concernant des temps de repos ? 7) Quels sont ses goûts alimentaires, ses habitudes (horaire des repas...) ? 8) Que souhaite-elle : possibilité de prendre son repas seule, en famille, ou en salle à manger commune, menus adaptés, etc. ? 9) De quelles aides spécifiques la personne a-t-elle besoin pour manger ? 10) A-t-elle une activité physique ? Quels sont ses goûts : promenade, jardinage, activité structurée (tai-chi, gymnastique, danse...), etc. ? 11) Est-il préférable de proposer une activité physique dans le cadre des activités de la vie quotidienne ou d’activités structurées spécifiques, individuelles ou collectives ? 12) Quelles adaptations spécifiques pourraient améliorer son appréhension et sa compréhension de l’environnement ? Comment personnaliser son espace privé ? 13) Quel sens donner aux manifestations comportementales éventuelles, en fonction des données biographiques disponibles ? Quels facteurs environnementaux spécifiques, en lien avec la vie de la personne sont susceptibles de provoquer ou d’entretenir le trouble ? LE CONTRAT DE SÉJOUR ET LE PROJET veille au respect de l’intimité de la personne et de la discré- D’ACCOMPAGNEMENT PERSONNALISÉ tion professionnelle de ses aidants, il vise la promotion de son autonomie et garantit le maintien de ses droits et de sa Un contrat de séjour est conclu entre chaque résident (ou liberté. L’accompagnement ne se restreint donc pas à l’uti- son représentant légal) et l’établissement dès lors que le sé- lisation des outils informatiques ou à une banale traçabilité, jour continu ou discontinu est supérieur à 2 mois. Lorsque et le P.A.P. n’est pas un moyen déguisé pour faire avaler le résident refuse la signature de ce contrat ou dans le cas des couleuvres collectivistes à des personnes fragilisées par d’un séjour inférieur à 2 mois, un document individuel de l’âge et parfois la maladie par des Maîtres ès langue de prise en charge doit néanmoins être rédigé. Le contrat de bois(14). Il recueille par exemple les goûts du résident en ma- séjour doit notamment préciser la définition avec le résident tière d’animation (Tableau 4). La question de la vie reli- (ou son représentant légal) des objectifs de la prise en gieuse de la personne âgée peut être posée à l’entrée en charge, la description des conditions de séjour et d’accueil, EHPAD, laissant toutefois la possibilité à la personne ou à la participation financière, y compris en cas d’absence du sa famille de ne pas y répondre, pour respecter les opinions résident ou d’hospitalisation, la liste des prestations offertes de chacun. (logement, restauration, blanchissage, surveillance médi- Le choix des mots est important, comme le rappelle avec cale, animations...). Il inclut naturellement le principe du à-propos le document de l’Anesm. Nous parlons bien ici Projet d’Accompagnement Personnalisé (P.A.P.). d’accompagnement personnalisé. Il est question, dans l’es- Le P.A.P. s’inscrit dans le cadre de la loi du 2 janvier 2002 prit du législateur de soins personnalisés, donc de personne de rénovation de l’action sociale et médico-sociale, le nouvel humaine, ce qui va au-delà de l’individualité, et au-delà du article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles collectivisme(19). Un EHPAD reste un lieu de vie privatif, disposant que : « L’exercice des droits et libertés individuels même s’il y a en son sein des règles de vie communes, la est garanti à toute personne prise en charge par des éta- chambre est légalement un substitut de domicile, à statut blissements et services sociaux et médicaux sociaux. » privé quand bien même dans un établissement public, et Élaboré de manière consensuelle avec la personne accueillie nous n’avons pas rencontré dans notre expérience profes- dès avant l’entrée en établissement, revisité périodiquement sionnelle beaucoup de personnes âgées ravies de se retrou- à un rythme à négocier avec la PA (Tableau 3), le P.A.P. ver en collectivité lorsqu’elles sont obligées de laisser leur tient compte de ses habitudes de vie, de ses besoins, de ses domicile. L’âge et la vulnérabilité ne sont pas des motifs envies et de ses centres d’intérêts. Il est donc au plus près pour priver la personne de son consentement, et lui imposer de ses attentes et de celles de sa famille. Le référentiel P.A.P. de n’être plus qu’un individu lambda(19). Maintenir et favori- aide les soignants à acquérir une méthode et à mettre en ser une capacité de choix réel renvoie à la dignité de la œuvre une démarche éthique afin d’accompagner chaque personne humaine et à sa liberté. Les valeurs déclinées et résidant de façon pluridimensionnelle et individualisée. Il mises en œuvre dans l’établissement sont ici essentielles. Il 422 © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 7 SEPTEMBRE 2015
La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée • Quality of elderly admission into nursing homes Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes Tableau 3 : Le Projet d’Accompagnement Personnalisé (P.A.P.) et l’entrée en EHPAD. Table 3: Individual Care Plan (PAP, for “Projet d’Accompagnement Personnalisé”) and admission into a nursing home. Avant l’entrée - Rencontre le la personne âgée sur son lieu de vie, avec le cadre de l’EHPAD ; - Vérification du consentement de la PA et de ses capacités à consentir ; - Vérification de l’adéquation médicale de la PA à la structure ; - Recueil de ses souhaits, désirs et goûts ; - Souhait en matière de suivi médical, en particulier par un médecin référent ; - Vérification de la capacité juridique de la PA et traçabilité de son mandataire ; - Recueil de son souhait en matière de personne de confiance ; - Visite de l’EHPAD par la PA et sa famille ; - Rencontre de la famille et discussion autour de ses attentes. À l’entrée - Accueil de la PA par la direction de l’EHPAD, le cadre, le médecin coordonnateur ; - Présentation des intervenants et du soignant référent de la personne âgée ; - Petit cadeau de bienvenu ; - Accueil de la famille ; - Traçabilité des risques potentiels auxquels la PA pourrait être exposée. Dans les premiers jours - Point par la psychologue ou le médecin coordinateur avec la PA sur son vécu dans l’EHPAD ; - Nouveau recueil de ses souhaits, désirs et goûts. Point avec elle et sa famille sur son histoire de vie ; - Présentation des activités de l’EHPAD ; - Mise en forme avec la PA d’une esquisse de P.A.P. tenant compte des éléments personnels et des données médico-soignantes ; - Relevé des goûts et des désirs de la PA en termes d’activités internes et externes à l’EHPAD ; - Questionnement sur ses désirs en matière de pratique religieuse, et traçabilité selon son souhait ; - Directives anticipées en matière de fin de vie ; Dans les premières semaines - Proposition à la PA du P.A.P. après réunion interdisciplinaire des divers intervenants formels et informels ; - Élaboration avec elle du projet définitif et du calendrier d’évaluation et de réévaluation. Validation par la PA. Dans le premier mois - Points des soins et du P.A.P. avec la famille. Réponses à ses questions, ses appréhensions, et négociation avec elle sur son rôle dans l’EHPAD. s’agit d’y retrouver une certaine forme de « banalité du bien » où assurer le bien-être et créer le bien-vivre de la personne puissent s’intégrer dans un vivre-ensemble, ce qui commence par vivre bien avec soi-même, là et pas ailleurs ; le respect des choix du sujet âgé est donc ici primordial. On doit ainsi penser possibilité de choix, liberté de choix et de non choix, pour évoquer l’existence même du concept de personne humaine, sans oublier que le consentement signifie aussi (et même peut-être d’abord) une position in- tersubjective avec ses incertitudes et son côté aléatoire, en- tre élaboration consciente et mise en acte inconsciente. Si le médecin et son équipe sont dans l’obligation de recevoir la personne âgée et sa demande de soins, le patient n’est pas dans celle de simplement accepter ce qui lui est pro- posé. L’esprit de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale est bien le libre choix, l’autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l’exer- cice de la citoyenneté, ce pour prévenir les exclusions et à en corriger les effets. Un EHPAD n’est pas un ghetto. La vie de l’EHPAD s’ouvre grand sur la ville (Figure 2), et re- fuse le retrait social. Les activités s’ouvrant sur l’extérieur - restaurants, sorties dans les centres commerciaux, partici- pation à des concerts, etc. - doivent être promues en s’ap- Figure 2 : L’EHPAD dans la ville. puyant sur le relevé des goûts et les désirs des PA. Figure 2: The nursing home in the city. © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 7 SEPTEMBRE 2015 423
La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée • Quality of elderly admission into nursing homes Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes Tableau 4 : Recueil des goûts du résident à l’entrée. (Avec l’aimable accord de Mme F. Parent, Animatrice du Groupe de Travail ANIMAE Jardins de Cybèle Groupe). Table 4: Collection of the resident’s tastes upon admission (Courtesy of Ms F. Parent, supervisor of the working group “ANIMAE Jardins de Cybèle Groupe”). EHPAD Fiche recueil ANIMAE Nom Prénom Chambre Date création Date MAJ Créatif/artistique Bien être/soins Jeux de sociétés Couture ) Toucher ) Jeux de cartes ) Tricot ) Massage ) Jeux du pti bac ) Crochet ) Snoezelen ) Jeux de dominos ) Dessin ) Bain ) Loto ) Peinture ) Balnéothérapie ) Scrabble ) Écriture ) Manucure ) Triomino ) Art floral ) Coiffeur ) Time’s up ) Cuisine ) Ne rien faire ) Jeux les incollables ) Chant ) Autres : Jeux du pendu ) Autres : ) Autres : ) ) Commentaire : Commentaire : Commentaire : Activités motricité Lien social Culturel & activités religieuses Promenade parc fleural ) Temps individuel Cinéma ) Gym douce ) Visite ) Théâtre ) Marche à pied avec un professionnel ) Concert ) en intérieur ) avec un bénévole ) Lecture ) en extérieur ) autre ) Musée ) Pétanque ) Temps en groupe ) Activités à caractère religieux ) Jardinage ) Courrier ) Parcours de marche DM3 ) Internet ) Autres : Téléphone ) Autres : ) Rencontre intergénér. ) ) Shopping ) Autres : ) Commentaire : Commentaire : Commentaire : Place de l’entourage dans l’activité : Autres : 424 © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 7 SEPTEMBRE 2015
La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée • Quality of elderly admission into nursing homes Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes Le principe de précaution souvent mis en avant en EHPAD de programmation pour « l’adaptation de la société au vieil- pour justifier des restrictions de choix a ses dangers et ses lissement » étend la sauvegarde de justice applicable dans les limites. La prise en charge des personnes âgées offre au- établissements de santé aux personnes hébergées dans des jourd’hui des possibilités d’amélioration de leur sécurité à établissements médico-sociaux, avec donc une extension des domicile comme en EHPAD. Le problème est que les person- responsabilités pour ces établissements. Le mandat de pro- nes âgées ne sont pas toujours favorables à cette mise en tection future permet à toute personne d’anticiper librement sécurité, rendant la vie quelque peu fade. La sécurité peut être sa protection. La Loi Kouchner du 4 Mars 2002 est très dangereuse, et le moins risqué, en particulier pour le person- claire en ce qui concerne l’acte médical : pour ce qui est du nel soignant en EHPAD, est de ne pas prendre de risques. Ils majeur sous protection juridique, type tutelle, elle reconnait appliquent le règlement à la lettre, bien conscients de l’écart le consentement du représentant légal, lorsque le patient éthique dans lequel ils se trouvent. Cette sécurité a un coût, n’est plus en capacité d’exprimer sa volonté, comme essen- coût financier comme en termes d’autonomie. Peut-on pour tiel et indispensable. Dans le registre des actes civils, le tuteur autant parler d’un droit au risque, et si oui comment le pen- conserve une place éminente dès lors que la personne âgée ser, questionne le Dr Cavey(15) ? Les risques potentiels aux- est vulnérable et en proie à des troubles du jugement. Pour quels peuvent être exposés les PA doivent bien sûr être rele- l’admission en institution, il lui sera nécessaire, pour agir vés et tracés dès l’entrée, par exemple chutes, allergie dans l’intérêt de la personne protégée, de respecter au mieux médicamenteuse, troubles de la déglutition, etc. (Tableau 3). ses choix. L’esprit de la loi de réforme de la protection des Le P.A.P. ne se résume pas à des petites croix mises sur majeurs du 5 Mars 2007 impose de donner un maximum de une page de dossier, qualifiée pompeusement de processus place à l’autonomie de la personne, a fortiori en cas de de qualité dans les soins. Deux petites lignes, ou un petit décision d’ordre personnel, ce qui est particulièrement le cas encadré vierge ne suffisent pas à personnaliser de l’imper- de la décision d’entrée en EHPAD. sonnel. Personnaliser les soins (Tableau 4), c’est compren- La condition à l’entrée en institution devrait être le choix de dre la personne, s’ouvrir à elle de façon empathique, inté- la personne, mais dans les faits ce sont surtout les proches grer dans les soins son histoire de vie, valider ses émotions ou le représentant légal qui sont à l’origine de l’admission. et satisfaire ses désirs, et surtout accepter, le cas échéant, Tout cela soulève plusieurs questions, car si la loi dispose que « la personne s’affirme, mais ne se démontre pas, elle qu’il importe de rechercher le consentement de la personne s’oppose, mais ne se “pose” pas »(16). à l’admission en EHPAD, elle ne précise pas qu’il convient de l’obtenir(17). Tout d’abord il faudrait, pour que la per- sonne consente, lui donner une information claire, qu’elle LA PROBLÉMATIQUE DES DROITS soit apte à comprendre ; comment sait-on ce qu’une per- FONDAMENTAUX DES PERSONNES AGÉES sonne atteinte de maladie démentielle est capable de EN EHPAD comprendre dans une information ? Si l’on se réfère au consentement éclairé lié aux soins, plusieurs études ont La liberté d’aller et venir est un droit fondamental très ancien montré que les patients atteints de maladie d’Alzheimer sont en France, datant d’avant la déclaration des droits de l’homme moins aptes que les autres à consentir de façon libre et éclai- de 1789. Pourtant, toute personne qui connaît les EHPAD rée, et il semble que le meilleur indicateur de la capacité à peut constater qu’il existe des lieux où ce droit fondamental est comprendre une information et à consentir soit la valeur du restreint. Dans les « unités protégées », des patients considé- Mini Mental State Examination (MMSE)(18, 19). Or le score rés comme à risque de s’échapper et de se mettre en danger moyen du MMS en unité d’hébergement renforcée, par sont empêchés de sortir de l’établissement dans lequel ils rési- exemple, est de 8, avec 75 % des résidents qui ont un MMS dent et de se mêler aux autres résidents, par des portes fer- inférieur à 15... on peut donc conclure que la capacité de mées. Ces unités sont destinées à des PA qui, du fait de trou- ces résidents à consentir est très limitée. bles du jugement et de l’orientation en lien avec des maladies De sorte que pour respecter les droits de ces personnes aux neurodégénératives, ne sont pas toujours en mesure de capacités physiques, psychologiques et parfois financières consentir explicitement à leur admission, n’arrivent pas à se réduites, le mieux serait de prévoir la systématisation des repérer dans l’espace, et risquent de s’échapper de l’établisse- directives anticipées et/ou la généralisation de la pratique ment sans prendre la mesure du danger qu’ils courent. du mandat de protection future. L’article 477 du code civil, Qu’en est-il du consentement ? Il n’y a bien entendu aucun modifié par Loi no 2007-308 du 5 mars 2007 - art. 7 JORF problème pour une PA sans atteinte cognitive qui, libre de sa 7 mars 2007 en vigueur le 1er janvier 2009 précise : « Toute volonté et après avoir étudié le contrat de séjour d’un EH- personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas PAD, décide d’y entrer. Lorsque les troubles cognitifs sont l’objet d’une mesure de tutelle peut charger une ou plusieurs avérés, la situation est plus complexe. La loi d’orientation et personnes, par un même mandat, de la représenter pour le © La Revue de Gériatrie, Tome 40, No 7 SEPTEMBRE 2015 425
La qualité de l’accueil en EHPAD d’une personne âgée • Quality of elderly admission into nursing homes Entrée et accueil en EHPAD Admission into Nursing Homes cas où, pour l’une des causes prévues à l’article 425, elle ne PA, les perspectives familiales et ce que peuvent offrir les pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts. » Pour Mme Glas- EHPAD sont sources de désillusions et parfois de tensions. son, la loi française s’est voulue plus respectueuse des per- L’effort pour comprendre l’autre, l’aménagement de temps sonnes les plus vulnérables, afin que les sujets les plus dé- de rencontre, d’échanges d’informations et la mise en œu- munis en capacités cognitives et non cognitives soient au vre du Projet d’Accompagnement Personnalisé transfor- maximum considérés comme des personnes humaines en- ment des situations conflictuelles et permettent à tous de core capables d’autonomie(20). Ainsi, Mme Glasson rappelle tourner son regard vers la bienveillance réciproque. La ques- que « Le mandat de protection future permet de mettre en tion du consentement de la personne âgée, en particulier place une protection de la personne en tant que telle, pour lorsqu’en déclin cognitif et lorsque sa sécurité impose qu’elle le jour où elle ne pourra plus pourvoir seule à ses intérêts. demeure en unité « sécurisée », a légitimement fait poser la La protection de la personne s’entend de toutes les mesures question de l’autorité sur les EHPAD du Contrôleur général d’ordre extrapatrimonial qui touchent à l’intimité : décisions des lieux de privation de liberté, dont la mission est de s’as- médicales ou chirurgicales, lieu de résidence, logement, surer du respect des droits fondamentaux des personnes. conditions d’hébergement, souvenirs et objets personnels, Les résidents présentant des troubles cognitifs sont nom- relations, etc. Il est possible, par exemple, de donner des breux dans les EHPAD. La préservation de leurs droits fon- indications sur un maintien à domicile ou sur un héberge- damentaux reste délicate malgré la désignation d’une per- ment dans une maison médicalisée ou une maison de re- sonne de confiance ou l’existence d’un mandataire de traite » : habituons-nous à faire avec l’altruisme de tous ces justice. Les résidents incapables de prendre leurs propres gens qui s’occupent des intérêts d’autrui(20), en quelque décisions en raison des maladies devraient pouvoir préala- sorte, car le monde n’est pas qu’égoïsme et indifférence ! blement exprimer leur souhait à l’aide de directives antici- pées et désigner les personnes susceptibles de les aider en cas d’inaptitude. La pratique des directives anticipées se dé- CONCLUSIONS veloppera à l’avenir dans notre pays, à l’instar de ce qui s’est passé dans les pays anglo-saxons. ■ L’entrée en EHPAD est un moment délicat qui nécessite au Liens d’intérêts : les auteurs n’ont déclaré aucun lien d’intérêt concernant mieux une anticipation, une préparation. Le monde de la cet article. RÉFÉRENCES 1. Argoud D. Les politiques du libre choix : vers la fin du politique. Géron- difficultés dans la vie quotidienne pour les aidants informels d’adultes han- tologie et Société 2009 ; 131 : 3-61. dicapés vivant sur le territoire métropolitain en 2009 ? Revue Franco- 2. Pastor J. Adapter la société au vieillissement, l’enjeu d’un projet de loi. phone de Gériatrie et de Gérontologie 2010 ; 17 : 366-74. AJDA Dalloz 2014 ; 20 : 1130. 12. Hazan E. LQR : la propagande du quotidien. Raisons d’agir. Éditions Pa- 3. Gaugler JE, Duval S, Anderson KA, Kane RL. 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