La réindustrialisation de la France doit devenir une priorité nationale - 15 propositions
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La réindustrialisation de la France doit devenir une priorité nationale 15 propositions pour le quinquennat 2022-2027
L’UIMM LA FABRIQUE DE L’AVENIR, C’EST... 59 UIMM territoriales 10 fédérations professionnelles Une communauté d’hommes et de femmes mobilisés au service de 42 000 1,6 DONT entreprises industrielles qui emploient million de salariés 92% en CDI 91% sont des PME 120 000 à de moins de 50 salariés 150 000 besoins en recrutements par an d’ici 2025* n o r t a ti o 45% PILOTE du c h if xp 1er réseau privé àl fr e d’ ’e a ff a ir e s en matière de formation technique et industrielle 33 Pôles formation UIMM avec et 135 sites de formation. En 2020 un nombre record de 15 833 nouveaux apprentis formés, soit + 20 % de nouveaux contrats. Chiffres Acoss - Insee pour la branche métallurgie * Selon l’étude prospective du BIPE pour l’Observatoire paritaire prospectif et analytique des métiers et des qualifications de la métallurgie.
ÉDITO Éric TRAPPIER, Président de l’UIMM, Union des Industries et Métiers de la Métallurgie L’industrie, les femmes et les hommes qui la font, Dans cette perspective, l’UIMM a souhaité ont tant à apporter à la France et aux Français. formuler 15 propositions pour un modèle social et industriel ambitieux. La production industrielle est dans bien des domaines, indispensable à notre vie Elles se nourrissent de l’expérience de terrain quotidienne. de nos adhérents, de celle des acteurs de notre réseau de formation, mais aussi de notre L’industrie est la colonne vertébrale des terri- pratique quotidienne du dialogue social, toires et offre des perspectives de carrière essentiel pour allier performance plurielles. économique et progrès social. Enfin, seule l’industrie est en Ces propositions ont vocation mesure de faire naître les à adresser trois défis cruciaux innovations qui permettent La réindustrialisation pour le retour durable d’une de relever les défis stra- industrie d’excellence, forte tégiques posés par les de la France doit et moderne, gage d’un avenir profondes mutations tech- devenir une priorité de progrès. nologiques, climatiques, nationale sanitaires… 1. Refonder notre modèle social qu’il soit plus efficient D’ailleurs, les épreuves traver- et que son financement soit sées, notamment la crise Covid, compatible avec l’exigence ont fait sentir à chacun à quel point indispensable de compétitivité sans une industrie forte, un pays n’est dans une économie mondialement pas pleinement maître de son destin. ouverte. Or, malgré de solides atouts et des domaines 2. Améliorer la performance de notre système d’excellence, les décennies d’errements poli- éducatif et de formation pour être à la hauteur tiques ont conduit la France à subir la plus forte de la bataille internationale des compétences. désindustrialisation parmi les pays développés. 3. Faciliter les mutations du travail industriel Si des premières mesures significatives ont été pour répondre aux attentes des futures généra- prises ces derniers mois dans le cadre des plans tions et préserver l’emploi. de relance, il est urgent de les amplifier considé- rablement pour rendre enfin à notre pays, son Seulement avec ces conditions réunies, la réin- rang de grande nation industrielle. dustrialisation de la France pourra être une réalité. Nous sommes aujourd’hui à la croisée La campagne présidentielle est un moment des chemins. En cela, le quinquennat à venir, et privilégié pour inscrire au cœur du débat public les choix qu’il fera, seront déterminants pour la cet enjeu déterminant de l’avenir de notre destinée des Françaises et des Français. pays. Plus que jamais la réindustrialisation doit devenir une priorité nationale. 3
Il n’y a pas de pays heureux, d’économie forte sans industrie compétitive. 4
Face à un état des lieux édifiant, l’urgence d’agir vigoureusement La crise Covid a mis en lumière les grandes Un développement technologique suffi- fragilités de l’industrie française : sant pour répondre aux nombreux défis, – la France s’est retrouvée hors-jeu dans la environnementaux, alimentaires, énergétiques, course aux vaccins et distancée dans celle des numériques, médicaux… auxquels la planète est traitements antiviraux ; confrontée. La France doit être dans la course pour répondre aux enjeux d’une croissance – elle a dû massivement importer des masques, décarbonée. des médicaments… dévoilant sa dépendance de pays tiers pour son approvisionnement en – Une classe moyenne consolidée, puisque biens essentiels ; dans l’industrie les salaires sont en moyenne plus élevés, les emplois plus stables et mieux protégés. – l’industrie française a pris conscience, avec le confinement strict de la Chine et des pays asia- – Des territoires dynamiques, compte tenu tiques et les fortes perturbations du commerce de l’effet d’entraînement que l’industrie exerce mondial, de la grande vulnérabilité de ses sur les économies locales (1 emploi industriel chaînes d’approvisionnement. génère jusqu’à 3 emplois dans les services). – Un pays plus optimiste : la désindustrialisa- Ce n’est malheureusement pas une surprise. tion et ses retombées inquiètent nos concitoyens, Parmi les grands pays industrialisés, la France induisent un sentiment de déclassement, un a subi la plus forte désindustrialisation lors des pessimisme croissant, une défiance envers les deux dernières décennies. Passée en vingt ans institutions propice à des révoltes sociales (Gilets de la sixième à la huitième puissance indus- jaunes, Antivax), et une montée des populismes. trielle dans le monde, la France est devenue l’économie la plus désindustrialisée du G7, avec le Royaume-Uni. Pour redevenir une puissance ÉVOLUTION DE LA PART DE L’INDUSTRIE ENTRE 2000 ET 2020 industrielle digne de ce nom, la France doit s’atteler à trois défis majeurs : EN POURCENTAGE DU PIB (EUROSTAT) 25 20 1. Refonder notre modèle social pour le rendre plus efficace et moins 15 coûteux. 10 2000 2005 2010 2015 2020 2. Améliorer la performance de notre UE (à27) Allemagne France Italie Royaume-Uni système éducatif et de formation. Il est impératif que la France retrouve son 3. Faciliter les mutations du travail statut de puissance industrielle. Une indus- industriel. trie forte, c’est : Un commerce extérieur équilibré ou excé- dentaire : du fait de la désindustrialisation de notre pays. Aujourd’hui, en tendance moyenne, la France est entre 75 et 90 milliards de déficit du commerce extérieur et l’Allemagne entre 200 et 250 milliards d’excédent. 5
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Refonder notre modèle social Mis en place à la Libération, sur la Un système de protection sociale base du programme de réformes peu lisible et mal piloté économiques et sociales du Conseil national de la Résistance, le modèle À l’origine, la protection sociale a été conçue social français a mal vieilli. comme une assurance sociale, les salariés (et leurs ayants droit) étant assurés contre les risques Bien adapté à la période des Trente sociaux (maladie, chômage, vieillesse et charges familiales) par le paiement de cotisations obli- Glorieuses, ce modèle particulièrement gatoires. D’inspiration bismarckienne, le modèle généreux et son mode de financement social français se différenciait donc du modèle sont devenus un réel handicap dans anglo-saxon qui repose sur une solidarité entre un pays inséré au sein d’une économie tous les citoyens financée par l’impôt (modèle mondialisée. beveridgien) et assurant une aide limitée aux plus démunis, l’essentiel de la protection indivi- duelle relevant de l’assurance privée. Ébranlée par la crise économique des années 1970, la montée du chômage de masse, le développement des contrats courts et à temps partiel, la multiplication des familles monoparen- tales, la protection sociale a progressivement intégré des mécanismes de solidarité, comme l’universalisation de la prise en charge des frais de santé ainsi que des allocations familiales. Ont par ailleurs été mis en place de nombreux minima sociaux relevant exclusivement d’une logique d’assistance : il s’agit de prestations non contributives, versées sans contrepartie de cotisations (minimum vieillesse, minimum invalidité, allocation spécifique de solidarité, allocation veuvage, RSA, protection universelle 7
maladie, complémentaire santé solidaire). Si bien qu’aujourd’hui, le modèle social français se caractérise par la coexistence de plusieurs CHIFFRES CLÉS logiques de protection sociale (assurances et DE LA PROTECTION SOCIALE assistance) et de plusieurs modes de finance- ment (par les cotisations et par l’impôt). Depuis la Libération, l’organisation institu- tionnelle de notre système de protection sociale s’est complexifiée. La gouvernance des différents régimes implique de multiples acteurs, avec ce paradoxe que ceux qui payent Nombre d'ACTIFS ne sont pas ceux qui décident. Le financement pour 1 RETRAITÉ est difficilement compréhensible, chaque 1950 5 régime étant financé par un mélange de cotisa- tions et d’impôts, ce qui contribue au manque 2010 3,5 de lisibilité des prélèvements obligatoires 2020 3 finançant la protection sociale. Et, au final, ce morcellement institutionnel et financier 2050 1,8 rend plus difficile la réalisation d’arbitrages OCDE collectifs sur l’importance de la dépense de protection sociale et sur son partage entre les différents risques. DÉPENSES de protection sociale Un modèle social dispendieux 33,6 % 28,1 % Par ailleurs, certaines branches sont devenues structurellement déficitaires, à commencer par notre système de retraite qui a pâti de France Moyenne des la forte dégradation du ratio entre actifs et 27 pays de l'UE inactifs, qui est l’assise de son équilibre finan- cier. Faute d’avoir procédé aux adaptations nécessaires, la plupart des grands régimes 31,3 % 30,3 % 30 % de retraite sont aujourd’hui lourdement défi- citaires, à l’exception notable du régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco géré par Danemark Allemagne Finlande les partenaires sociaux. La dérive des dépenses d’assurance maladie est également problé- Pays-Bas, Italie ou Belgique avoisinent les 29 % matique alors que des gains d’efficience sont réalisables, en particulier en matière de maîtrise Rapporté au PIB, l’écart se chiffre à : médicalisée des dépenses (consommation de médicaments, indemnités journalières…) ou + de 79 milliards € par rapport dans le secteur hospitalier (réorganisations, à l'Allemagne écarts de coûts). 132 milliards € par rapport à la moyenne des pays européens. A l’arrivée, notre modèle social est devenu très coûteux. La France se situe aujourd’hui 2019 - Eurostat largement en tête des États-providence les plus dispendieux. souligne le récent rapport de la Commission Plus inquiétant encore, cet écart ne cesse de pour l’avenir des finances publiques présidé se creuser : ces dernières années, entre 2005 par Jean Arthuis, notre gouvernance actuelle et 2019, les dépenses de sécurité sociale ont est incapable de s’engager dans une stra- augmenté plus vite en pourcentage du PIB tégie de maîtrise sur le moyen et long terme en France (+ 1,4 %) qu’en moyenne au sein de nos dépenses. de l’Union européenne (+ 1,1 %). Comme le 8
L’anomalie des impôts des autres secteurs : en 2016, valeur ajoutée brute du de production l’ensemble des prélèvements secteur marchand, mais il obligatoires sur l’industrie contribue pour plus de 23 % Le facteur majeur de la manufacturière représentaient au paiement des impôts de désindustrialisation de 28 % de la valeur ajoutée production. notre pays est la perte de brute, contre 24 % pour les C’est la raison pour compétitivité de l’industrie autres secteurs (hors finance). laquelle nous demandons, française par rapport à Outre le poids des avec France Industrie, nos voisins européens. cotisations sociales prises en que soit engagée une Et cette dégradation de la charge par les employeurs, nouvelle étape de baisse compétitivité tient d’abord l’autre anomalie fiscale et de simplification des et avant tout au poids de la française est un niveau impôts de production de fiscalité hexagonale. Non d’impôts de production sur 30 milliards €, ciblée sur seulement la France est le les entreprises le plus élevé, les cinq impôts à plus fort pays qui affiche le ratio de et de loin, de la zone euro. impact sur l’industrie (CVAE, prélèvements obligatoires En 2019, ils s’élevaient à 3,5 % CFE, taxe foncière, versement par rapport au PIB le plus du PIB en France contre 1,5 % mobilité et C3S). S’ajoutant important en Europe (47,4 % en moyenne dans la zone à la première étape de en 2019, supérieur de 5,8 euro, et 0,5 % en Allemagne diminution de 10 milliards € points de PIB à la moyenne de (Eurostat). De surcroît, entrée en vigueur en la zone euro), mais l’industrie ces impôts pèsent plus 2021, cette nouvelle étape est, en France, soumise à lourdement sur l’industrie : permettrait de combler une un taux de prélèvements le secteur manufacturier bonne partie de l’écart avec la obligatoires supérieur à celui représente 15,4 % de la moyenne de la zone euro. Un financement qui pèse des facteurs majeurs de la dégradation de la compétitivité de l’industrie française par lourdement sur les entreprises rapport à nos voisins européens. Ainsi, cotisa- tions sociales comprises, le coût horaire chargé En dépit de l’universalisme croissant des du travail dans l’industrie manufacturière s’élève prestations de protection sociale, l’essentiel aujourd’hui à 39,6 € en France, contre 34,8 € du financement de ces dépenses repose sur en moyenne dans la zone euro, 28,9 € en Italie, des cotisations sur les salaires et tout parti- 24,4 € en Espagne. Seule l’Allemagne affiche culièrement sur des cotisations prises en un coût du travail supérieur (42,6 €), du fait des charge par les employeurs : en 2017, toujours hausses salariales intervenues depuis quelques selon Eurostat, la part des cotisations à la charge années, mais avec un poids de cotisations patro- des employeurs représentait plus de 40 % des nales inférieur d’un quart à celui observé en ressources de la protection sociale en France France. Ce différentiel de charges pèse mécani- (le taux le plus élevé en Europe, à l’exception de quement plus lourd sur les salaires médians des l’Espagne), contre 35 % pour la moyenne de l’UE, techniciens, des ingénieurs et cadres. moins de 35 % en Allemagne et en Italie, moins de 30 % aux Pays-Bas, et 11 % au Danemark. COTISATIONS SOCIALES De surcroit, l’industrie est moins bien traitée que les secteurs d’activité protégés de la concur- PATRONALES EN 2020, en pourcentage du PIB (Eurostat) rence internationale (commerce, construction, hôtellerie et restauration…), dans la mesure où les pouvoirs publics français ont depuis plus France 10,3 de 25 ans engagé une politique d’allègements Espagne 10 des cotisations patronales fléchée sur les bas Italie 9 salaires. L’industrie, qui emploie massivement Belgique 8,2 des salariés qualifiés, bénéficie donc moins UE (à 27) 7,5 de l’enveloppe des allègements octroyés. Allemagne 7,3 Pays-Bas 5,5 Le poids et les modalités de financement de Danemark 0,1 notre protection sociale sont devenus l’un 0 2 4 6 8 10 12 9
Un effort indispensable 2. Un profilage plus large des de maîtrise allègements de cotisations employeurs, aujourd’hui ciblés Si elle entend réindustrialiser ses territoires, la sur les bas salaires, pour qu’ils France n’a pas d’autre choix que de s’attaquer bénéficient plus aux secteurs résolument à la maitrise, et mieux, à la baisse exposés à la concurrence de ses dépenses sociales. internationale. 3. La poursuite du recul progressif de Notre conviction est que la refonte l’âge de départ à la retraite (très de notre modèle social passe bas en comparaison internationale) nécessairement par trois étapes : pour garantir l’équilibre financier à moyen et long terme de notre 1. Une refonte de l’architecture de la système de retraites. A titre protection sociale permettant de d’exemple, une réforme des retraites clarifier les champs respectifs de portant l’âge de départ à 65 ans ses acteurs, de les responsabiliser (avec plein effet au bout de 11 ans) et de rendre plus lisibles ses modes diminuerait le déficit du régime de financement. Une partition serait général d’assurance vieillesse de opérée entre un pôle non contributif 23 milliards € par an par rapport à la intégré dans le budget de l’État tendance actuelle. et financé par l’impôt, et un pôle contributif géré par les partenaires sociaux et financé par des cotisa- tions sociales. 10
Nos propositions Réformer l’organisation et le Créer un nouveau régime de la financement de la protection sociale santé au travail confié aux partenaires pour tenir compte de l’universalisation de sociaux qui regrouperait l’actuelle la couverture de nombreuses prestations. branche accidents du travail-maladies Effectuer une partition entre un volet de professionnelles de la Caisse nationale solidarité géré par l’État et financé par d’assurance maladie (Cnam), les services l’impôt, et un volet assurantiel géré par de prévention et de santé au travail les partenaires sociaux et/ou le privé et interentreprises et l’Institut national de financé par les cotisations sociales. recherche et de sécurité (INRS). Transférer ainsi à l’État la gestion et le Ce regroupement permettrait une financement des prestations familiales, approche systémique d’une politique du minimum vieillesse et des droits fonctionnant aujourd’hui dans un cadre à pensions issus des droits familiaux, fortement morcelé, et dans lequel ainsi que des prestations d’assurance les financeurs ne sont pas les vrais chômage relevant de la solidarité. décideurs. Alléger les cotisations employeurs Relever de 62 à 65 ans l’âge légal de 17 milliards € supplémentaires, en de départ à la retraite d’ici à 2035 (soit substituant à l’ensemble des allègements 3 mois supplémentaires par génération), actuels, d’une part, une « franchise » et demander aux retraités (dont le revenu de cotisations d’un montant forfaitaire était en 2020 supérieur à 10 % à celui des applicable à tous les salaires jusqu’à actifs) un effort partagé en sous-indexant 4,5 smic et, d’autre part, un allègement la revalorisation des pensions d’un point des cotisations au niveau du smic et par rapport à la hausse des prix. décroissant jusqu’à 1,5 smic, l’objectif étant de réduire le coût du travail des Pour être vraiment efficace, cette réforme salaires moyens et supérieurs tout doit intégrer une remise à plat de tous les en préservant le niveau actuel des dispositifs de départs anticipés, ainsi que allègements sur les bas salaires. des mesures pour favoriser l’emploi des seniors. 11
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Rénover le dispositif éducatif et de formation Pour se développer, monter en gamme, Un système éducatif peu mener à bien sa transformation performant technologique et numérique, prendre sa part dans la transition Les performances du système éducatif fran- çais se situent dans la moyenne des pays environnementale, améliorer sa de l’OCDE, un classement qui n’est pas à la compétitivité dans une économie hauteur de l’investissement massif de notre mondialisée, l’industrie française pays dans l’éducation. Selon l’enquête trien- doit disposer sur le marché du nale Pisa sur le suivi des acquis des élèves à la travail de personnes qualifiées et fin de la scolarité obligatoire, l’écart se creuse plus qu’ailleurs entre bons et mauvais élèves, compétentes pour innover, créer et avec un fort impact de l’origine socio-écono- produire, or le dispositif de formation mique des enfants sur les résultats : le quart des des compétences connait des failles élèves français les plus performants affichent inquiétantes. un niveau comparable avec les pays les mieux classés (Japon, Corée, Finlande…), tandis que le quart des moins bons élèves se classe au niveau des pays les plus en retard. Si bien qu’au final, 100 000 jeunes décrocheurs scolaires sortent chaque année du secondaire, sans diplôme ni qualification. Le niveau en mathématiques et sciences (chimie, physique, sciences de la vie) des élèves de CM1 et de 4ème est particulièrement inquiétant : selon l’enquête TIMMS de l’OCDE, la France se classe dernière ou avant-dernière des 37 pays évalués : 2 % seulement des jeunes Français ont un niveau jugé élevé en mathématiques (contre une moyenne de 11 %). 13
RÉPARTITION DES PERFORMANCES EN MATHÉMATIQUES PAYS DE L'UNION EUROPÉENNE OU DE L'OCDE Corée du Sud Japon Angleterre Pays-Bas États-Unis Danemark Suède Allemagne Italie Espagne France 400 450 500 550 600 Moyenne européenne Source : IEA - MENJS-DEPP La faiblesse en sciences des jeunes Français techniques et professionnelles par défaut, lors- est clairement un handicap pour l’indus- qu’ils ne sont pas jugés aptes à suivre la filière trie, la recherche, pour la modernisation de générale, perçue comme la filière d’excellence. l’économie, ou l’utilisation de l’intelligence Un jeune sur deux est en échec scolaire dans artificielle. les lycées professionnels, et les effectifs des lycées professionnels ne cessent de diminuer : L’investissement dans l’Éducation est mal ils ont baissé de 8 % entre 2000 et 2018. fléché : beaucoup plus ciblé que la moyenne des pays OCDE vers le collège (+7 %) et le lycée (+35 %) et pas suffisamment vers l’élé- mentaire (-2 %) et le primaire (-8 %), où se joue Une orientation professionnelle l’acquisition des apprentissages scolaires de défaillante base (maîtrise du langage, savoir lire, écrire, compter) indispensables à la Au lieu de s’efforcer de faire poursuite des études secondaires coïncider les souhaits et les et supérieures. C’est d’abord à aptitudes des élèves, l’orien- ce niveau que devrait porter L’industrie tation scolaire se résume l’effort de l’Éducation natio- française doit généralement à une suite nale pour développer des disposer sur le de décisions ponctuelles pratiques pédagogiques et marché du travail prises dans l’urgence à des temps d’apprentissage de personnes l’occasion des classes de adaptés aux rythmes de qualifiées et troisième, seconde ou progression des élèves. compétentes terminale. L’orientation des élèves se fonde essen- L’enseignement professionnel tiellement sur les notes reste dévalorisé : « parent obtenues : sont progres- pauvre » du système éducatif, il sivement écartés ceux qui continue d’être considéré en France par la n’obtiennent pas les résultats suffi- plupart des enseignants et des parents comme sants pour poursuivre dans les filières les une voie de garage dans l’orientation des plus valorisées. Trop souvent, les décisions d’af- élèves. Les jeunes sont orientés dans les filières fectation ne correspondent pas à leurs souhaits, 14
particulièrement dans la voie professionnelle : des élèves peuvent se voir affectés contre leur gré dans une autre spécialité que celle qu’ils Transition numérique ont choisie, une affectation difficilement réver- et environnementale sible, dans la mesure où les transitions entre différentes filières demeurent exceptionnelles. Enfin, les représentations et stéréotypes, liés au L’enjeu des compétences est d’autant sexe de l’élève, sont très prégnants : les jeunes plus important pour l’industrie qu’elle est filles sont sous-représentées dans les séries confrontée à une double transition, à la fois scientifiques ou les spécialités industrielles et numérique et environnementale. surreprésentées dans les séries à dominante Pour rester concurrentielle, l’industrie fran- littéraire, sanitaire et sociale, ou dans les filières çaise doit accélérer sa transition numérique services à la personne. et la modernisation de son outil de produc- tion, pour combler son retard en matière Le double pilotage de l’orientation entre de numérisation d’équipements et d’auto- Éducation nationale et régions génère matisation des procédés par rapport à ses confusion et déperdition d’énergie. La principaux concurrents. multiplication des intervenants, le foisonne- ment d’informations de qualité très inégale, L’industrie française ne compte par exemple et l’opacité des processus d’affectation font que 18 robots pour 1 000 salariés, contre 19 de l’orientation un sujet d’inquiétude pour de en Espagne, 21 en Italie, 23 aux États-Unis, nombreuses familles et pénalisent celles qui 28 en Suède, 35 en Allemagne, 36 au Japon sont les plus éloignées de la culture scolaire. Par et 87 en Corée du Sud. Elle doit également conséquent, le dispositif d’orientation actuel se projeter vers « l’industrie 5.0 », en inté- est donc très loin de « permettre à chacun grant des briques nouvelles sur la maîtrise d’exploiter tout son potentiel et de s’insérer de la data, l’internet des objets, l’intelli- professionnellement », comme le préconise le gence artificielle, la protection des données Haut Conseil de l’éducation. (cybersécurité), les usages industriels de la 5G . L’industrie doit aussi concourir à l’objectif Une université qui sélectionne national de zéro émission nette de gaz à par l’échec effet de serre, ou neutralité carbone, d’ici 2050. Elle doit ainsi poursuivre ses efforts L’enseignement supérieur souffre de deux d’efficacité énergétique et de décarbona- défauts majeurs. Il s’est construit sur la dicho- tion de ses process qui lui ont permis, avec tomie entre les grandes écoles vers lesquelles le secteur de la production d’énergie, de s’orientent les meilleurs bacheliers et l’uni- contribuer à plus de 90 % de la baisse totale versité à laquelle s’inscrivent, souvent par des émissions françaises de CO2 entre défaut et sans exigence de prérequis, ceux 1990 à 2019. qui sont le moins préparés. Résultat : la sélec- Mais elle doit aussi se positionner comme tion à l’université s’effectue d’abord par apporteuse de solutions efficaces pour l’échec. Seuls 30 % des étudiants obtiennent réduire les émissions mondiales : énergies leur licence en trois ans, et seulement 40 % nucléaire et renouvelables, hydrogène, en quatre ans. Les chances de réussite en bioénergies, capture du carbone, réseaux licence sont extrêmement faibles pour les intelligents, écoconception des produits, titulaires d’un bac techno ou d’un bac pro : recyclage, nouveaux matériaux d’isolation, 37 % des titulaires d’un bac général décrochent véhicules électriques et technologies bas leur licence en 3 ans et un peu plus de 50 % en carbone pour la mobilité… 3 ou 4 ans, contre respectivement 8 % et 15 % pour les bacheliers technologiques, et un peu Le défi – considérable – va donc être plus de 2 % et moins de 5 % pour les bache- de former de nouvelles compétences, liers professionnels. Et au bout du compte, un d’adapter ou de reconvertir des compé- étudiant sur cinq quitte l’enseignement supé- tences actuelles pour permettre à rieur sans en être diplômé, soit 75 000 jeunes l’industrie française de mener à bien ces par an. deux transitions essentielles pour son avenir. 15
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L’autre anomalie de notre système d’ensei- Un dispositif d’alternance gnement supérieur, c’est, à l’inverse par et de formation perfectible exemple de la pratique des grandes univer- sités américaines, une séparation nette entre les activités de recherche, menées Pour pallier ces difficultés, les entreprises principalement dans des structures souvent industrielles s’impliquent fortement dans isolées de l’enseignement supérieur (hormis l’apprentissage et la formation profession- le CNRS et l’INSERM), et les activités d’en- nelle de leurs salariés. Mais le dispositif actuel seignement. Sauf en droit et en médecine, reste perfectible. Trois ans après son adoption la France a confié ses meilleurs étudiants et en septembre 2018, la réforme de la formation une grande partie de sa recherche publique professionnelle et de l’apprentissage accuse à des écoles et des organismes distincts des en effet de nombreux défauts. A commencer universités. Cela conduit à dévaloriser l’acti- par un défaut structurel de financement. vité d’enseignement au sein des universités Lourdement déficitaire en 2020 (4,6 milliards €), et à déconnecter les universités du monde de France compétences l’a été à nouveau en 2021 l’entreprise. à hauteur de 3,5 milliards € (le gouvernement a fait voter une « subvention » de 2,7 milliards € pour combler en partie ce déficit). L’utilisation peu professionnalisante du compte personnel Un défaut alarmant de formation (CPF) pèse lourdement dans la de compétences sur le marché balance : viennent en tête l’achat de formations du travail au permis de conduire et au CACES (Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité), suivies des formations à l’anglais, puis les bilans de compé- L’inefficacité du système éducatif se traduit tences et l’informatique. Seuls deux dossiers sur par une faiblesse des compétences de la dix concernent des actions en vue de l’obten- population active. L’enquête PIAAC qui mesure tion d’une certification professionnelle. les compétences des adultes des pays OCDE place la France 21ème en compréhension écrite, Autorité publique chargée de répartir les fonds sur les 24 pays évalués, 19ème en mathématiques mutualisés (alimentés par la contribution unique et 22ème en traitement de l’information. Or avoir des entreprises) aux acteurs de la formation des compétences faibles et un coût du travail professionnelle et de l’apprentissage, France élevé est destructeur et incite les entreprises compétences ne respecte pas l’objectif initial à se délocaliser dans des pays où les compé- de définir une vision stratégique partagée avec tences sont plus fortes et les coûts salariaux les partenaires sociaux. Sa gouvernance est à plus faibles. On observe ainsi une corrélation la main de l’État et des personnes qualifiées très forte entre le score à l’enquête PIAAC de qu’il a désignées (qui totalisent 55 voix, contre l’OCDE et le poids de l’industrie dans le PIB, le 40 pour les partenaires sociaux et 15 pour les degré de robotisation de l’industrie, et le taux régions) et la répartition des fonds s’effectue en d’emploi. fonction des priorités décidées par l’État. Ces déficiences de notre système éducatif se L’efficacité du Plan d’investissement dans les traduisent, dans une majorité d’entreprises compétences (PIC), censé améliorer la qualifica- industrielles dont les PMI, par des difficultés tion des demandeurs d’emploi par la formation, à trouver des candidats volontaires et dotés s’avère discutable. Doté de 15 milliards € sur des compétences nécessaires pour occuper cinq ans et cofinancé par la contribution unique un emploi. L’enquête sur les besoins en main des entreprises, le PIC ne produit pas d’effet d’œuvre réalisée avant la crise Covid soulignait perceptible en termes d’insertion profession- une plus grande difficulté des recrutements nelle des intéressés et de réponse aux besoins dans les secteurs industriels que dans l’en- de recrutement des employeurs. A la sortie semble de l’économie : les « métiers en des périodes de confinement, les difficultés de tension » concernaient pour près de 50 % des recrutement des entreprises, notamment indus- entreprises industrielles. Une situation d’autant trielles, persistent sur de très nombreux métiers. plus paradoxale que la France enregistre un chômage massif depuis plusieurs décennies. 17
Au final, les entreprises de plus de 50 sala- Les réponses à l’enjeu capital des riés, qui versent une contribution de 1,68 % compétences pour l’industrie sont de leur masse salariale sans bénéficier de multiples. Elles nécessitent de : fonds mutualisés pour financer leur plan de développement des compétences, estiment – réviser en profondeur les priorités ne pas avoir de retour sur investissement. éducatives ; – piloter l’orientation au plus près des S’agissant de l’alternance, si la dynamique territoires de croissance de l’apprentissage est incon- testable (en 2020, le nombre de nouveaux – confier la formation professionnelle contrats d’apprentissage a atteint le chiffre initiale dans les filières industrielles au record de 526 000, soit une hausse de plus ministère de l’Industrie ; de 40 %. Selon les premiers chiffres cette – accorder une plus grande autonomie et tendance se confirme en 2021), elle recouvre de nouvelles ressources aux universités ; une réalité contrastée. Elle s’opère en partie grâce à un basculement des contrats de profes- – poursuivre la réforme de l’apprentissage sionnalisation (qui enregistre une baisse de et de la formation professionnelle près de 50 %) vers les contrats d’apprentissage pour mieux répondre aux besoins des au niveau de prise en charge financière plus entreprises : libéraliser, simplifier, investir, attractif. Et, surtout, en raison de la très forte responsabiliser et insérer dans l’emploi. croissance du nombre des contrats en appren- tissage dans l’enseignement supérieur (+ 92 % pour les bac+3 et plus, et + 64 % pour les bac+2 par rapport à 2019), les grandes écoles voyant dans l’apprentissage une source de financement qui vient compenser une baisse des financements publics. L’apprentissage au niveau Bac ou infra Bac ne progresse que faiblement. Il y a donc une déformation de l’al- ternance en faveur des diplômes supérieurs. Or les difficultés de recrutement concernent au premier chef des postes d’ouvriers qualifiés (chaudronnier, soudeur, tôlier… dans la métal- lurgie), de niveau bac professionnel, voire CAP. ÉVOLUTION DU FLUX D’ENTRÉES ET DU STOCK D’ALTERNANTS DANS LA BRANCHE DE LA MÉTALLURGIE 70 000 Entre 70 000 60 000 57 354 et 75 000 47 725 50 000 56 275 7 000 40 000 11 983 5 727 30 000 14 093 12 536 20 000 40 000 27 774 30 882 21 459 23 175 10 000 - 2017 2018 2019 2020 2021* Flux d'entrée en contrats de professionnalisation Flux d'entrée en contrats d'apprentissage Stock au 31/12 * Estimations Source : DGEFP (2016-2019) & OPCO 2i (2020) 18
Nos propositions Faire de l’acquisition effective par tous Octroyer davantage d’autonomie aux les élèves des savoirs de base (lire, écrire, universités et chefs d’établissement pour maîtriser la langue, les TIC, compter, s’ex- leur permettre de mettre en place des filières primer en anglais) la priorité n° 1 de notre sélectives reposant sur l’exigence de prére- système éducatif. Ce qui suppose de faire porter quis, de pouvoir recruter et gérer librement l’effort sur l’école élémentaire et primaire, d’ampli- enseignants-chercheurs et personnel admi- fier la politique engagée en 2017 (24 élèves maxi nistratif, d’augmenter de façon significative les en CP et CE1 et dédoublement dans les établis- droits d’inscription en licence (hormis pour les sements d’éducation prioritaire…), et de revoir les étudiants boursiers). En contrepartie de cette méthodes d’apprentissage pour faciliter l’acquisi- plus grande autonomie, une évaluation des tion des savoirs par tous. résultats obtenus serait assurée par une agence indépendante, qui conditionnerait le versement Confier la responsabilité des lycées d’une partie de la dotation de l’établisse- professionnels sur les filières industrielles au ment. Il faut enfin encourager les partenariats ministère de l’Industrie. A l’image des lycées entreprises-universités. agricoles pilotés par le ministère de l’Agriculture, cette proposition a pour objectifs d’associer plus Créer un dispositif d’incitation fiscale étroitement l’industrie à la conception, au fonc- (du type « crédit d’impôt formation ») se tionnement et à l’évolution de l’enseignement substituant à la mutualisation des fonds de professionnel, de développer l’apprentissage formation, qui bénéficierait aux entreprises dans les lycées professionnels, et d’assurer une engageant des dépenses (hors formations vraie complémentarité entre lycées profession- obligatoires) pour développer les compétences nels et centres de formation d’apprentis. de leurs salariés. Plafonner annuellement le financement du CPF, et le limiter aux Mettre en place dès le primaire, un plan seules formations permettant l’acquisition de volontariste de promotion de la culture scien- compétences professionnelles utiles sur le tifique à l’école, pour sensibiliser les jeunes, marché du travail et répondant à des besoins améliorer la qualité de l’enseignement des d’entreprises. Favoriser la mise en œuvre matières scientifiques (mathématiques, chimie, d’une clause de dédit-formation pour les physique, sciences de la vie). Pour pallier les salariés bénéficiant d’une formation longue pénuries d’enseignants dans certaines acadé- et coûteuse. Encourager le co-investissement mies, permettre de faire appel (par contrat) à du salarié et de l’entreprise sur des formations des diplômés d’université scientifique ou d’école professionnalisantes. d’ingénieur ou de commerce. Renforcer le paritarisme et la place des Confier le pilotage de l’orientation aux branches professionnelles dans la gouver- régions en coordination avec l’État (rectorats) nance de France compétences (conseil et les universités (SUIO). Les SPRO seraient d’administration et commissions), ainsi que remplacés par des agences régionales de dans les instances de l’enseignement supérieur, l’orientation professionnelle, sous pilotage notamment à la conception des référentiels des des régions, associant l’ensemble des acteurs diplômes. (collèges, lycées, universités, Pôle emploi, Apec, Cap emploi, missions locales, branches profes- Fusionner le contrat d’apprentissage et le sionnelles) et en charge de l’animation et de contrat de professionnalisation en un contrat la professionnalisation des conseils en évolu- d’alternance unique, éligible à tout public et tion professionnelle. Former les personnels sans limite d’âge et à toutes les certifications enseignants au conseil en orientation (forma- inscrites au RNCP (y compris les CQP), condi- tion initiale et continue) et rendre obligatoire tionné à la mise en œuvre d’une vraie pédagogie une immersion en entreprise ou en situation de l’alternance. Sécuriser le financement de professionnelle reconstituée (via un organisme l’alternance par la contribution des entreprises, de formation) pour tous les professionnels de de l’État et des régions, par des mesures d’éco- l’orientation (professeurs principaux, psycholo- nomies, ainsi qu’en rendant le solde de 13 % de gues de l’Éducation nationale, CIO, SUIO, etc.). la taxe d’apprentissage éligible aux CFA. 19
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Faciliter les mutations du travail Deux révolutions sont en cours dans le Vers des organisations domaine du travail industriel : responsabilisantes dans les usines – Le télétravail ou travail à distance, pratiquée à grande échelle depuis la L’automatisation des process de production, la robotisation, l’amélioration de l’ergonomie crise du Covid-19 dans les fonctions des postes changent la nature du travail. supports, sur les sites tertiaires, chez les Elles soulagent les opérateurs des tâches « cols blancs » de l’industrie. manuelles pénibles et routinières, et leur – Une mutation en profondeur du permettent de se focaliser sur des tâches à plus forte valeur ajoutée : gérer des aléas, contenu et de l’organisation du travail des dysfonctionnements de façon autonome, dans beaucoup de sites industriels, travailler en collaboration au sein d’une équipe chez les « cols bleus », générée par et avec les autres services de l’entreprise la transformation numérique de la (services contrôle, méthodes, logistique par production. exemple). La pénibilité physique du travail diminue. Le sentiment d’un travail répétitif et le risque d’ennui qui va de pair décroissent dès lors que le salarié prend en charge des tâches plus complexes et plus diversifiées. L’entreprise est conduite à accorder plus d’importance à l’initiative qu’à l’exécution, à la coopération qu’à la coordination, à la responsabilité individuelle qu’à l’obéissance hiérarchique. Dès lors, l’organisation du travail se transforme. La combinaison des technologies numériques et des outils de communication digitale permette de répondre aux exigences accrues des consom- mateurs en termes de différenciation, de qualité des produits, et de délais de livraison. Mais cela suppose une flexibilité plus poussée de l’outil de production, une polyvalence des tâches, une 21
transversalité plus grande au sein des équipes, type lean management, visant à élever les avec les autres services de l’entreprise et son niveaux de qualité et de performance de la écosystème. production (réduction des délais, des coûts, du gaspillage…), en s’appuyant sur l’expérience, le Les organisations traditionnelles, héritières de savoir-faire et les idées des opérateurs. Parce l’organisation scientifique du travail (caracté- qu’elles reposent sur l’intelligence et l’initia- risées par la séparation stricte entre les tâches tive des opérateurs, elles cherchent à créer d’exécution et celles de conception et réso- une dynamique d’apprentissage collectif et lution des problèmes confiées au bureau des permanent pour faire grandir les opérateurs, méthodes et au service maintenance), verticales leur permettre d’actualiser, de renouveler leurs et hiérarchisées, trop rigides pour répondre connaissances, ou d’en acquérir de nouvelles. à ces objectifs, sont, dans un nombre crois- sant d’entreprises industrielles, remises en D’autres entreprises vont plus cause au profit d’organisations dites loin. Partant du constat que « responsabilisantes ». beaucoup de projets de trans- formation n’atteignent Ces organisations visent à pas leurs objectifs, « libérer les énergies ». elles coconstruisent la Elles reposent notamment Les organisations conception et l’évolu- sur la mise en place d’îlots traditionnelles tion des équipements de production au sein des [...] sont remises industriels, des postes usines, au sein desquelles en cause au profit de travail et l’organi- les salariés travaillent d’organisations dites sation qui en découle de façon collaborative avec les opérateurs. «responsabilisantes». avec un minimum de L’idée sous-jacente est hiérarchie. La responsabi- qu’ils sont les mieux lisation des équipes consiste placés pour identifier à leur conférer des marges les défaillances d’une d’autonomie, tout en exigeant machine, le manque de des comptes sur les décisions prises fiabilité ou les défauts d’un et leurs conséquences. Elles supposent processus de production, les que les opérateurs acquièrent, en plus des « irritants » qui peuvent altérer l’orga- savoirs et savoir-faire techniques propres à leur nisation ou les conditions de travail, l’absence métier (hard skills), des compétences trans- d’ergonomie d’un poste de travail… versales (soft skills) d’ordre social (travailler en équipe, en mode projet), cognitif (résoudre les problèmes, gérer la complexité), ou personnel (autonomie, adaptabilité, esprit d’initiative), Vers un travail hybride ainsi que des connaissances numériques de dans les bureaux base et une compréhension des principes de fonctionnement des technologies. L’organisation et les conditions de travail évoluent aussi fortement dans les bureaux et Elles nécessitent également un changement de les services supports de la production, mais de posture des managers de proximité, qui sont façon beaucoup plus visible et généralisée, avec censés pratiquer un management fondé sur la l’irruption massive du télétravail imposé par confiance et l’autonomie de leurs collaborateurs, la crise du Covid-19 et rendu possible par l’ar- et non plus sur le diptyque command & control. rivée à maturité de nombreux outils numériques Le manager sert désormais moins à relayer des (réseau informatique, cloud, outils collaboratifs décisions descendantes qu’à jouer un rôle de de type visioconférence). régulation et d’animation de l’équipe, à aider les opérateurs pour qu’ils détectent et résolvent Cette expérimentation à grande échelle a eux-mêmes les problèmes, et développent ainsi permis de lever un certain nombre de préjugés, leurs compétences. Il lui faut passer du parti-pris de dissiper la méfiance que cette forme d’orga- « c’est le chef qui sait » à l’idée « c’est celui qui nisation du travail suscitait chez beaucoup de fait qui est le mieux placé pour savoir ». managers. La plupart des entreprises indus- trielles sortent des périodes de confinement Ces organisations vont souvent de pair avec avec la conviction que le travail en 100 % une démarche d’amélioration continue, de présentiel au sein des locaux de l’entreprise 22
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