Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain

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Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
Août 2014                   www.un.org/africarenewal/fr

Le commerce
en Afrique :
une affaire
inachevée
La devise chinoise
pénètre le marché
africain

Angola :
au-delà du boom pétrolier
Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
AU SOMMAIRE                                                                                                                              Août 2014 | Vol. 28 No. 2

                                     3 DOSSIER SPÉCIAL
                                      COMMERCE
                                     Echanges commerciaux entre partenaires inégaux

  5     Commerce intra-africain : au-delà des promesses politiques
  7     Interview de Arancha González
  8     Les commerçantes africaines perdent au change
 10     Le commerce en Afrique au temps des changements climatiques                                               Une femme chef dans un restaurant au Libéria.
 12     Interview de Maged Abdelaziz                                                                                 UNMIL/Christopher Herwig

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 14     La pénétration progressive du yuan sur les marchés africains
 16     La paix au Sud-Soudan: clé de la stabilité régionale                                                      Rédacteur en chef
                                                                                                                  Masimba Tafirenyika
 18     Interview de Babacar Gaye
 20     Les inégalités freinent la croissance de l’Angola                                                         Rédaction
 22     La biofortification offre un espoir contre la malnutrition en Afrique                                     Kingsley Ighobor

 24     Interview de Carlos Lopes                                                                                 Recherche & Liaison media
 26     L’Afrique et le développement au prochain sommet sur le climat                                            Pavithra Rao
                                                                                                                  Nirit Ben-Ari

RUBRIQUES                                                                                                         Design & Production
                                                                                                                  Paddy D. Ilos II
 30 Afrique Numérique
 31 Afrique Livres                                                                                                Administration
                                                                                                                  Bo Li
 31 Nominations
                                                                                                                  Distribution
                                                                                                                  Atar Markman

En couverture : Activités qui illustrent les différents aspects du commerce
                                                                                                                  Stagiaires
en Afrique. Banque Mondiale
                                                                                                                  Ying Zhao-Hiemann
                                                                                                                  Florence Safa
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                                                  (en dollars des Etats-Unis) tiré sur une banque des Etats-              twitter.com/ONUAfrique
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2     AfriqueRenouveau       Août 2014
Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
Confrontée aux défis de l’économie mondiale, l’Afrique est contrainte de faire des choix
difficiles lors des négociations d’accords commerciaux avec ses principaux partenaires
économiques, notamment l’UE et les Etats-Unis. Parallèlement, le commerce intra-africain
réclame toujours des solutions.

Echanges commerciaux entre
partenaires inégaux
L’Afrique et l’UE recherchent un accord jusque-là hors de portée
Par Kingsley Ighobor

E
        n mars dernier à Bruxelles, 61 chefs
        de gouvernement et hauts respon-
        sables, africains et européens, se
sont réunis. Après deux jours de délibéra-
tions, ils ont publié un accord de 63 points
énonçant des platitudes telles que « Nous
sommes fiers de l’étendue de notre partena-
riat » ou « Nous sommes convaincus que la
croissance sera mutuellement bénéfique. »
     De tous les sujets abordés – les combats
en République centrafricaine, la démocratie,
l’intégration régionale, l’immigration,
l’aide au développement - c’est le fléchis-
sement des relations commerciales entre
l’Afrique et l’UE qui était le plus crucial. Le
président sud-africain, Jacob Zuma, dont
le pays est l’un des partenaires africains
les plus importants de l’UE, n’a pas assisté
au sommet, par solidarité avec le président
zimbabwéen, Robert Mugabe, qui a refusé              COMMERCE
de se rendre en Belgique car sa femme n’a
pas obtenu de visa. « Il faut cesser de nous       Des participants à une réunion ministérielle en marge du Sommet UE-Afrique à Bruxelles.
considérer comme des sujets et nous dire              Service européen pour l’action extérieure (SEAE)
qui doit ou ne doit pas venir », a-t-il déclaré.
Son boycott a été l’un des incidents qui ont       devaient être signés au plus tard en 2008.                Avec la Convention de Lomé de 1975,
émaillé les négociations interminables.            Les APE exigent la réduction des tarifs               l’UE accordait des préférences commer-
     Le Président de la Commission euro-           douaniers sur les importations et les expor-          ciales « non réciproques » aux pays ACP
péenne, José Manuel Barroso, a réitéré que         tations, mais les parties divergent sur les           pour l’exportation de matières premières
l’UE préférait établir un partenariat avec         modalités. Néanmoins, 14 pays dont l’île              agricoles et minérales en franchise de
les pays africains sur un pied d’égalité, mais     Maurice, Madagascar, les Seychelles et le             droits vers l’UE. Aujourd’hui, elle veut
selon Christoph Hasselbach, rédacteur de           Zimbabwe, ont accepté des APE intéri-                 les remplacer par les APE « réciproques
la Deutsche Welle, seule l’Afrique du Sud,         maires permettant aux pays d’exporter vers            », de sorte que les pays ACP puissent
l’économie la plus sophistiquée du conti-          le marché européen en franchise de droits             ouvrir leurs marchés aux exportations
nent, pourrait l’être.                             et facilitant les importations de l’UE sur 15         de l’UE. Or l’Afrique n’est pas pressée de
     Les négociations en vue d’un accord           à 25 ans. L’île Maurice a accepté d’ouvrir            libéraliser ses marchés.
commercial ont débuté en 2000, après la            son marché aux produits européens sur 15
signature par l’UE et 79 pays d’Afrique, des       ans. Pour protéger les industries locales,            La pomme de discorde
Caraïbes et du Pacifique (ACP) de l’Accord         les signataires peuvent exclure des produits          « Les pays africains sont dans l’ensemble
de Cotonou sur le commerce, l’aide et les          comme Madagascar qui a exclu les expor-               protectionnistes, donc la libéralisation
relations politiques, qui stipulait que des        tations européennes de viande, de tabac, de           bénéficierait à l’UE», écrit Paul Collier,
accords de partenariat économique (APE)            sucre et de produits chimiques.                       directeur du Centre d’étude des économies

                                                                                                                 AfriqueRenouveau      Août 2014   3
Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
africaines à l’Université d’Oxford. L’Afrique    qualifié cette approche de « bras de fer sans      « de mettre en œuvre l’accord de facilita-
n’adhère pas aux APE car elle craint que         précédent dans le cadre d’une rencontre            tion des échanges sur une base provisoire
les entreprises européennes l’inondent           des chefs d’État africains. » Irrités par          conformément à la Déclaration de Doha. Il y
de produits meilleur marché, provoquant          ces pressions, le Nigéria, la plus grande          a deux poids deux mesures. »
ainsi la destruction des industries locales      économie d’Afrique, et l’île Maurice, l’une            À l’issue du sommet de Malabo, des
naissantes. L’abaissement des tarifs doua-       de ses économies les plus dynamiques, ont          divisions sont apparues. « Nous n’avons
niers provoquerait la réduction des recettes     annoncé qu’ils pourraient revenir sur leur         jamais dit que nous ne mettrons pas en
publiques nécessaires pour investir              acceptation provisoire.                            œuvre l’accord FE, mais nous ne savons pas
entre autres dans l’agriculture, la santé            Mais l’Afrique pourrait ne pas tenir           comment le faire, » affirme M. Ndirangu,
et l’éducation.                                  longtemps face aux menaces de l’UE de              renvoyant la balle dans le camp de l’UE. Mais
     James Asare-Adjei, le président de l’As-    supprimer l’aide et celles des États-Unis de       l’Afrique du Sud, l’Ouganda, la Tanzanie et le
sociation des industries du Ghana, affirme       ne pas renouveler la Loi sur la croissance         Zimbabwe ont exhorté l’Afrique à ne mettre
que le pays compte sur les recettes doua-        et les potentialités de l’Afrique (AGOA)           l’accord en œuvre qu’une fois que l’UE aura
nières pour financer son développement et        qui doit expirer en 2015. Adoptée en 2000,         concrètement démontré son engagement à
qu’un APE pourrait faire perdre jusqu’à 300      elle stipule que l’Afrique peut exporter           fournir une aide. Or selon l’accord FE, cet
millions de dollars par an. Aliyu Modibo         certains produits en franchise de droits           engagement n’est pas contraignant.
Umar, un ancien Ministre du commerce             aux États-Unis.
nigérian, déclare : « Si 30 années de libre                                                         L’éveil de l’Asie
accès au marché de l’UE non réciproque           Des failles dans la position                       La croissance des échanges de l’Afrique avec
n’ont pas amélioré la situation, comment un      de l’Afrique                                       l’Asie, notamment la Chine, préoccupe l’UE,
accord réciproque pourrait-il mieux faire?       L’OMC milite pour la mise en œuvre totale          affirme M. Hasselbach. La part de l’Afrique
» Bingu wa Mutharika, le défunt président        de l’accord FE. Son Directeur général,             dans le commerce mondial a augmenté de
du Malawi, a qualifié les APE de « tactique      Roberto Azevêdo, a averti qu’une mise en           façon constante, passant de 277 milliards
égoïste promue par l’UE visant à diviser         œuvre provisoire pourrait se traduire par          (2,3 %) en 2001 à environ 1 000 milliards de
pour mieux régner.»                              une diminution de l’aide au développe-             dollars (4,6 %) en 2011, selon la Conférence
     L’UE reconnaît que les APE vont créer       ment. « Les décisions prises à Bali seraient       des Nations Unies sur le commerce et le
plus d’emplois en Europe mais note que           compromises.» Angelos Pangratis, l’envoyé          développement. Alors que l’UE est encore
l’Afrique a tout à gagner d’une meilleure        de l’UE à l’OMC, affirme que « La crédibi-         le partenaire commercial le plus impor-
stabilité économique, des possibilités de        lité de la fonction de négociation de cette        tant de l’Afrique, le commerce avec l’Asie
formation, du transfert de connaissances,        organisation [OMC] est une fois de plus en         a augmenté de 22 % durant cette période,
et d’exportations plus importantes. L’UE         cause. » Mais Nelson Ndirangu, directeur           contre 15% avec l’UE. En outre, la contribu-
indique sur son site Internet que « pendant      de l’économie et du commerce extérieur au          tion de l’UE aux importations de produits
plus de 30 ans, les pays ACP ont bénéficié       ministère kényan des Affaires étrangères,          manufacturés est tombée de 32 % en 2002 à
d’un accès préférentiel au marché européen       s’étonne que l’UE s’oppose à la proposition        23 %, tandis que la part de l’Asie a augmenté
qui n’a pas réussi à stimuler les économies                                                         de 13 % à 22 % en 2011.
locales ni la croissance.»                                                                              Selon certains experts les craintes liées à
                                                                                                    l’accord FE peuvent être exagérées. Patrick
Mise en œuvre provisoire                                                                            Kanyimbo et Calvin Manduna, spécia-
L’UE promeut l’accord sur la facilitation des                                                       listes du commerce auprès de la Banque
échanges (FE) de l’OMC, conclu l’an dernier                                                         africaine de développement, soutiennent
à Bali, visant à réduire les coûts d’exploita-                                                      qu’un accord FE permettra de réduire la
tion en minimisant les procédures néces-                                                            complexité des opérations douanières et
saires au transport de biens et de services                                                         viendra compléter « les investissements
entre pays. Cet accord émane du cycle de                                                            d’infrastructure sur le continent, en parti-
négociations de Doha en 2001 et exhorte les                                                         culier dans le secteur des transports. »
pays à adopter des procédures douanières                                                                Les relations commerciales entre
efficaces. L’Afrique n’est pas convaincue                                                           l’UE et l’Afrique connaîtront sans doute
de ses avantages supposés. Les ministres                                                            de nouveaux aléas avant 2015, date butoir
africains du commerce ont convenu d’une                                                             pour la mise en œuvre de l’accord FE. Les
mise en œuvre provisoire selon une clause                                                           grandes économies comme le Nigéria et
de l’accord de Bali. Mais l’UE est déter-                                                           l’Afrique du Sud durcissent le ton, mais les
minée à engager un bras de fer pour une                                                             autres sont plus réservées. Rashid Pelpuo,
application intégrale.                                                                              le ministre d’Etat ghanéen aux partenariats
    Les négociateurs de l’UE qui étaient                                                            public-privé, note que les accords commer-
à Malabo au cours du sommet de juin de                                                              ciaux sont toujours liés à « l’aide, l’assis-
l’Union africaine (UA), ont accru la pression                                                       tance technique et politique ... Ne pas signer
sur les dirigeants pour les amener à revoir      Des dirigeants africains au Sommet de l’UA à       coûterait trop cher.» Seul le temps dira si, ou
leur position. Un responsable de l’UA a          Malabo.     Commission de l’Union Africaine (UA)   quand, l’Afrique acceptera ces accords.

4    AfriqueRenouveau     Août 2014
Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
à la perte de souveraineté et à la réduction de la marge
                                                                                        de manœuvre dans le choix des politiques.» Il en résulte
                                                                                        « des institutions régionales affaiblies qui remplissent
                                                                                        pour l’essentiel des fonctions administratives.»
                                                                                            Quand les pays produisent ce dont leurs partenaires
                                                                                        commerciaux ont besoin, le commerce prospère. Ce
                                                                                        n’est pas vraiment encore le cas de l’Afrique : ce qu’elle
                                                                                        produit, elle ne le consomme pas ; et elle consomme
                                                                                        ce qu’elle ne produit pas. Cette équation explique la
                                                                                        faiblesse du commerce intra-régional qui ne représente
                                                                                        que 10% à 12% du total du commerce du continent
                                                                                        contre 40% en Amérique du Nord et 60% en Europe
                                                                                        de l’Ouest. Plus de 80% des exportations africaines
                                                                                        partent à l’étranger, principalement vers l’Union
                                                                                        Européene, la Chine et les États-Unis. À cela s’ajoutent
                                                                                        des règles commerciales complexes et contradictoires,
                                                                                        les restrictions douanières et des infrastructures en
                                                                                        mauvais état. Il n’est donc pas surprenant que les
                                                                                        échanges intra-africains n’aient presque pas progressé
                                                                                        ces dernières décennies.
                                                                                            Tout le monde ne s’accorde pas sur cette faiblesse.
                                                                                        Pour certains, une part importante du commerce se
                                                                                        fait de manière informelle par le biais de frontières
                                                                                        poreuses et mal gérées qui rendent difficile la collecte
  COMMERCE                                                                              de données : le commerce informel n’est pas intégré
                                                                                        dans les statistiques des fonctionnaires des douanes.
Un réseau routier de qualité est essentiel au commerce.   Banque mondiale/Arne Hoel     « Nous ne savons pas traiter les données liées à ce
                                                                                        type d’activité, précisément parce qu’elles sont infor-

Commerce intra-
                                                                                        melles, » souligne Carlos Lopes, le Secrétaire exécutif
                                                                                        de la Commission économique des Nations Unies pour
                                                                                        l’Afrique (CEA). Il ajoute que la Commission ambi-

africain : au-delà des
                                                                                        tionne de combler ce déficit en offrant un tableau
                                                                                        plus complet de l’activité économique en Afrique et
                                                                                        en fournissant aux responsables de la planification

promesses politiques
                                                                                        économique des données plus fiables.

                                                                                        Des blocs régionaux
                                                                                        Pour accélérer l’intégration régionale, la Banque
                                                                                        mondiale encourage les dirigeants africains à élargir
Il faut appliquer les accords                                                           l’accès à la finance commerciale et à réduire les restric-
                                                                                        tions commerciales qui peuvent être liés à un excès de
Par Masimba Tafirenyika                                                                 réglementations ou à des systèmes juridiques inadé-
                                                                                        quats. Mais avec des économies encore fragiles, des
                                                                                        marchés domestiques de petite taille et 16 pays enclavés,

                         L
                                 ’un des sujets de prédilection des conseillers poli-   les gouvernements jugent que l’intégration économique

40
                                 tiques africains est le manque de performance du       doit commencer au niveau régional et regrouper l’en-
                                 commerce continental. Ils évoquent les barrières       semble des blocs commerciaux dans une zone de libre-
                          commerciales et les avantages de l’intégration pour les       échange africaine. Certains estiment que le nombre de
milliards                 économies des pays africains. Le débat est sans doute         ces blocs – 14 – est trop élevé, surtout pour les États qui
de dollars                intéressant, mais il produit peu de résultats.                font partie de plusieurs blocs.
                              Le problème vient en partie du décalage entre ambi-           Pourtant, les experts estiment que le problème ne
que l’Afrique             tions politiques des dirigeants africains et réalités         réside pas seulement dans le nombre de blocs, mais
doit dépenser             économiques. Selon Trudi Hartzenberg, la directrice           dans leur bilan. Les gouvernements doivent mettre en
pour ses                  exécutive du Centre de droit commercial pour l’Afrique        œuvre les accords commerciaux signés et sur ce point,
infrastructures           australe (TRALAC), ces dirigeants, qui ont mis en place       les performances des pays africains sont médiocres,
                          14 blocs commerciaux pour favoriser l’intégration régio-      malgré la force de leurs engagements pour l’intégration
chaque année
                          nale, font preuve « d’une réticence évidente à donner des     régionale. Dans un document sur l’intégration régio-
                          moyens d’action à ces institutions, citant les risques liés   nale en Afrique, publié par l’OMC, Trudi Hartzenberg

                                                                                                              AfriqueRenouveau    Août 2014      5
Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
note que «dans certains cas, le problème         implications et ne souhaitent plus être liés    imposer des Accords de partenariat écono-
réside dans l’absence d’engagement clair         par ces obligations. »                          mique [APE] aux pays africains qui obligent
en faveur d’une gouvernance basée sur le                                                         les partenaires de l’UE à abaisser, sous
respect des règles de l’intégration africaine.   Faiblesse des infrastructures                   condition de réciprocité, leurs droits de
Les obligations des accords internationaux       La mise en œuvre limitée des accords            douane sur les importations et les expor-
ne sont pas prises au sérieux. Certains          et le manque d’infrastructures fiables          tations. Ces APE sont un frein aux efforts
estiment que les gouvernements africains         compliquent la poursuite de l’intégra-          d’intégration de l’Afrique. Les dirigeants
ont besoin de marges de manœuvre dans            tion régionale. « Le transport routier          africains devraient suivre l’exemple de la
le choix des politiques pour affronter les       est incroyablement lent et les ports sont       Corée du Sud qui a dopé ses échanges grâce
défis du développement. Mais ceci semble         encombrés dû au manque de capacités, »          à « une série d’interventions gouverne-
en contradiction avec le nombre des accords      note la BAD.                                    mentales » : protection de certaines indus-
signés,» explique-t-elle en pointant du              Malgré la modernisation récente             tries, contrôle de la production alimen-
doigt l’absence de moyens des gouverne-          des infrastructures régionales, Ibrahim         taire et du secteur bancaire, adoption
ments pour mettre en œuvre les obligations       Mayaki, qui dirige le NEPAD, l’agence           d’une réglementation forte qui permet à
qu’ils ont contractées.                          de développement de l’Union africaine,          la population de bénéficier des échanges
    La Banque africaine de développement         constate que le continent est encore            et des investissements.
(BAD) partage ce point de vue et impute          confronté à des difficultés. Le NEPAD vient         Le secrétaire exécutif de la CEA est du
la lenteur des progrès à « une architecture      d’adopter un plan sur 30 ans qui fait une       même avis. « La protection n’est pas un
complexe de communautés économiques              large place aux projets transfrontaliers,       terme péjoratif, » assure-t-il. Carlos Lopes
régionales. » La BAD note que si cet arran-      comme celui de la route de 4 500 km qui         est favorable à ce qu’il nomme « un protec-
gement a eu des résultats positifs pour les      doit relier Alger à Lagos.                      tionnisme sophistiqué », mais il enjoint les
objectifs régionaux communs, « les progrès           Si l’Afrique veut remédier aux faiblesses   dirigeants africains à ne pas oublier la «
ont été décevants. »                             actuelles de ses infrastructures et suivre      sophistication », « c’est-à-dire la recherche
    Mme Hartzenberg cite l’exemple de            le rythme de la croissance, la BAD estime       d’un juste équilibre ». Le secrétaire exécutif
la Communauté de développement de                qu’elle doit dépenser 40 milliards de dollars   de la CEA considère qu’un protectionnisme
l’Afrique australe (SADC), un groupement         de plus par an.                                 sophistiqué, ou intelligent, ne constitue pas
économique régional qui a lancé en 2008                                                          un choix entre deux entités «opposées»,
une zone de libre-échange entre ses 15 États     « Protectionnisme sophistiqué »                 l’État d’une part et le marché de l’autre.
membres. Malgré la décision de la SADC           ou APE ?                                        Selon lui, l’industrialisation ne peut se faire
de supprimer les restrictions commerciales,      Pour les analystes, les accords commer-         sans une forme de protectionnisme intel-
certains pays n’ont pas éliminé leurs droits     ciaux ne tiennent souvent pas compte des        ligent. Et sans industrialisation, les efforts
de douane. Pire: certains les ont rétablis       efforts de l’Afrique pour promouvoir le         d’intégration des économies du continent
après les avoir supprimés.                       commerce intra-africain. Nick Dearden,          et d’augmentation des échanges intra-ré-
    Si plusieurs pays ont demandé à              l’ancien directeur de la campagne Jubilé        gionaux ont moins de chance d’aboutir. Les
bénéficier de la disposition du protocole        pour la remise de la dette, qui dirige le       défenseurs du libre-échange affirment de
commercial de la SADC qui autorise les           Mouvement mondial pour le dévelop-              leur côté que le protectionnisme risque de
exemptions d’élimination des droits de           pement, accuse les pays occidentaux de          réduire la taille de l’économie mondiale,
douane, d’autres les ont simplement              promouvoir des modèles de libre-échange         limiter le nombre des gagnants et dégrader
réintroduits ou remplacés par d’autres           qui servent leurs intérêts et non ceux de       les conditions du marché.
instruments, comme les taxes inté-               l’Afrique. Il déplore que de nombreux pays
rieures. « On peut faire valoir que c’est        africains « soient assujettis à des accords     Au-delà des engagements
la preuve d’une absence de volonté poli-         commerciaux qui les obligent à dépendre         Les pays africains ont encore beaucoup à
tique de mettre en œuvre les obligations         d’un ou deux produits de base. »                faire pour accroitre les échanges intra-ré-
contractées. Il se peut que certains de ces          Sur son blog hébergé par The Guardian,      gionaux. Ils doivent par exemple réduire
États finissent par se rendre compte des         M. Dearden affirme que l’UE cherche à           leur dépendance vis-à-vis des produits de
                                                                                                 base en développant le secteur des services,
                                                                                                 augmenter les investissements dans les
    NIVEAU MOYEN DU COMMERCE INTRA-RÉGIONAL PAR AN                                               infrastructures et réduire les barrières
                                                                                                 non-tarifaires qui freinent les échanges
                                                                                                 intra-africains. La liste de ces barrières est
                                                                                                 longue et exhaustive : caractère prohibitif
                                                                                                 de certains coûts de transaction, complexité
     10% - 12%                             40%                            60%                    des procédures d’immigration, manque de
                                                                                                 moyens des services frontaliers, coût des
                                                                                                 procédures d’octroi de licences d’importa-
                                                                                                 tion ou d’exportation. Pour y mettre fin, il
            Afrique                   Amérique du Nord             Europe Occidentale            faudra des mesures concrètes sur le terrain,
                                                                                                 même si elles sont couteuses.

6     AfriqueRenouveau    Août 2014
Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
INTERVIEW
                                                                                                 africaine visant à faire du continent une
                                                                                                 zone de libre-échange. Les marchés locaux

L’Afrique a besoin à
                                                                                                 sont trop restreints. Notre but principal est
                                                                                                 de supprimer les barrières commerciales.

la fois d’aide et
                                                                                                 Quels sont les obstacles?
                                                                                                     Ce sont les barrières non tarifaires,
                                                                                                 telles que les réglementations techniques et

du commerce
                                                                                                 les normes sécuritaires.

                                                                                                 Comment réduisez-vous les barrières
                                                                                                 commerciales?
— Arancha González                                                                                   Apres l’identification de ces barrières,
                                                                                                 nous nous rapprochons des sociétés et des
                                                                                                 organismes gouvernementaux et de régle-
                                                                                                 mentation afin de les aider à trouver une
                                                                                                 solution.

                                                                                                 Parlez-nous de votre programme d’aide
                                                                                                 au commerce.
                                                                                                      Il s’agit du nom que nous donnons à
                                                                                                 l’aide au développement visant à renforcer
                                                                                                 les capacités de production commerciale
                                                                                                 des pays et des sociétés.

                                                                                                 L’Afrique a-t-elle besoin d’aide ou de
                                                                                                 commerce?
                                                                                                      Demander aux pays de choisir entre
                                                                                                 l’aide et le commerce serait une simplifi-
                                                                                                 cation de la question. La réalité est que les
                                                                                                 deux sont nécessaires et vont de pair.

                                                                                                 Pensez-vous que les accords commer-
                                                                                                 ciaux favroisent les pays développés?
  COMMERCE                                                                                           Non, car cela présuppose que les pays
                                                                                                 africains sont incapables de négocier des
Arancha González, Directrice exécutive, Centre du commerce international.                        pactes commerciaux bénéfiques. Ce qui
   Centre du commerce international (CCI).                                                       n’est pas le cas.

                                                                                                 Pourtant d’aucuns pensent que l’Afrique

L     e Centre du commerce international (ITC), fournit une aide technique aux entreprises
      des pays en développement. Arancha González, la directrice exécutive du Centre, s’est
entretenue avec Nirit Ben-Ari et Kingsley Ighobor d’Afrique Renouveau (AR) sur leurs activités
                                                                                                 négocie en position de faiblesse...
                                                                                                     J’ai vu des pays africains négocier
                                                                                                 de manière bilatérale et défendre leurs
et l’influence croissante de l’Afrique sur le marché mondial.                                    intérêts avec force au sein de l’Organisation
                                                                                                 Mondiale du Commerce (OMC) au point de
                                                                                                 refuser un accord où leurs intérêts ne sont
AR: Que fait l’ITC en Afrique?                    de volaille du pays.                           pas pris en compte.
González : La majorité de nos activités
se concentre en Afrique subsaharienne où          Avez-vous d’ autres projets en Afrique?        Les subventions agricoles de l’UE,
nous offrons des formations sur la mobi-             À Zanzibar, en Tanzanie, nous aidons        seront-elles bientôt supprimées ?
lisation de fonds et l’amélioration de la         des négociants d’épices à multiplier jusqu’à        La pression exercée par l’Afrique a
compétitivité.                                    20 fois leur revenu en développant une         amené l’UE à revoir son programme de
                                                  image de marque et un emballage attrayant      subventions agricoles et à proposer
Comment procédez-vous sur le terrain?             pour leurs produits.                           l’élimination des subventions aux
   En offrant notre expertise. Au Sénégal,                                                       exportations. Une victoire pour ceux
par exemple, les compétences acquises             Comment faites-vous la promotion du            qui refusent d’accord avec l’EU tant
par les producteurs de mangues profitent          commerce intra-africain?                       qu’elle déverse ses produits alimentaires
également aux producteurs d’ananas ou                En soutenant l’objectif de l’Union          en Afrique.

                                                                                                          AfriqueRenouveau    Août 2014     7
Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
Les commerçantes africaines
perdent au change
Des politiques commerciales nuisibles freinent le progrès
Par Nirit Ben-Ari
                                                                                                  ce dernier, le commerce informel, dominé
                                                                                                  par les femmes, représente une importante
                                                                                                  source de création d’emplois en Afrique
                                                                                                  : entre 20 et 75 % de l’emploi total dans
                                                                                                  la plupart des pays. Par exemple, dans la
                                                                                                  région de la Communauté de développe-
                                                                                                  ment de l’Afrique australe, le commerce
                                                                                                  transfrontalier informel, qui porte surtout
                                                                                                  sur des aliments traités ou non, constitue
                                                                                                  entre 30 et 40 % du volume annuel total
                                                                                                  des échanges.
                                                                                                      TradeMark East Africa (TMEA), une
                                                                                                  organisation qui encourage le commerce
                                                                                                  transfrontalier dans la sous-région, signale
                                                                                                  que les femmes réalisent jusqu’à 74 % des
                                                                                                  échanges informels le long de la frontière
                                                                                                  du Rwanda avec ses voisins : le Burundi,
                                                                                                  la République démocratique du Congo, la
                                                                                                  Tanzanie et l’Ouganda. La majorité de ces
                                                                                                  femmes ne vivent que de ces échanges. La
    COMMERCE                                                                                      TMEA juge cependant préoccupant que
                                                                                                  cette forme de commerce concerne essen-
La participation des femmes mauritaniennes augmente en matière de gouvernance.                    tiellement des produits de faible valeur
    Paul Kingsley/Alamy                                                                           et à faible marge, tels que les fruits et
                                                                                                  légumes, les animaux d’élevage, la viande et

C
          haque jour, des millions d’Afri-       réaliser pleinement son potentiel commer-        les produits laitiers.
          caines se livrent à des activités      cial. Il s’agit notamment de barrières non           La méconnaissance des droits que leur
          commerciales diverses, dans leur       tarifaires qui affectent les échanges, indique   confèrent les traités et protocoles commer-
pays ou au-delà des frontières nationales.       une étude de 2013 de la Banque mondiale,         ciaux exacerbe les problèmes auxquels les
Elles achètent et vendent de tout, des           intitulée Les femmes et le commerce en           femmes sont confrontées lors de leurs tran-
produits agricoles aux produits manufac-         Afrique. Le manque d’accès aux finance-          sactions. Il arrive qu’elles soient contraintes
turés. Selon la Banque mondiale, ce sont         ments, à l’information et aux réseaux            de verser des pots-de-vin ou harcelées par
surtout des femmes qui traversent les            formels par exemple pousse souvent les           des douaniers et agents d’immigration.
frontières pour fournir des biens et des         femmes vers l’économie parallèle, où leurs       Afin de leur venir en aide, la TMEA a lancé
services. Elles dirigent également la plupart    capacités de croissance sont limitées.           en 2012 un projet qui facilite les activités
des petites exploitations agricoles. En                                                           commerciales transfrontalières des femmes
fait, la contribution des femmes commer-         Commerce transfrontalier                         en Afrique de l’Est. Le projet fournit une
çantes aux économies nationales est              et secteur informel                              assistance juridique gratuite aux petits
aujourd’hui indispensable à la stimulation       La participation des femmes au commerce          commerçants, surtout des femmes, qui,
du commerce africain.                            informel est souvent sous-estimée. Le rôle       ignorant souvent leurs droits, empruntent
    Les politiques commerciales de la région     qu’elles jouent dans le commerce trans-          des chemins illégaux pour traverser les
ne sont toutefois pas nécessairement favo-       frontalier informel n’attire guère l’attention   frontières et ainsi échapper au harcèlement
rables aux femmes, les hommes ayant un           des milieux du commerce international,           des douaniers. La TMEA leur apprend à
meilleur accès aux ressources. Au contraire,     souligne un document du Réseau interins-         faire valoir leurs droits en cas d’arresta-
elles sont confrontées à des contraintes         titutions pour les femmes et l’égalité des       tion arbitraire ou d’application abusive des
qui sapent les efforts de l’Afrique visant à     sexes, un groupe de travail de l’ONU. Selon      règles de la part des fonctionnaires. Ainsi,

8     AfriqueRenouveau    Août 2014
Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
bon nombre de commerçantes de la région            au Lesotho considérée sous l’angle de la        au système commercial international.
passent désormais moins de temps aux fron-         parité?), a révélé que la libéralisation a      Si les usines textiles venaient à fermer, il
tières à se demander quelles sont les bonnes       renforcé les échanges commerciaux du pays       serait démesurément difficile pour elles
procédures à suivre. En outre, la TMEA les         ces 30 dernières années, en particulier les     de retrouver un emploi. Ceci parce que
a aidées à s’organiser en coopératives afin de     exportations des secteurs à forte intensité     les femmes ont tendance à rencontrer
renforcer leur pouvoir de négociation.             de main-d’oeuvre comme l’industrie de la        davantage d’obstacles à la mobilité de la
    Les experts estiment cependant que             confection. Elle a également été synonyme       main-d’œuvre, en raison de pratiques
davantage de politiques doivent encou-             d’une augmentation du nombre de femmes          sociales et culturelles discriminatoires
rager le commerce informel des femmes.             employées dans le secteur formel.               telles qu’un accès limité à l’éducation, à la
Ces dernières pourraient bénéficier de                                                             technologie et aux ressources financières,
politiques qui abordent les problèmes liés à       L’exemple du Lesotho                            selon la CNUCED.
l’accès au crédit, au filet de sécurité sociale,   Comment le Lesotho a-t-il fait ? D’abord, il
au transport, à l’échange de devises, aux          a imposé des quotas d’importation sur les       Vers une politique commerciale
installations de stockage, aux soins de santé,     vêtements provenant des marchés de l’Asie,      faisant place aux femmes
et à l’assainissement.                             des États-Unis (EU) et de l’UE. Ensuite,        Les économies qui ne dépendent que d’un
                                                   les produits textiles du Lesotho sont les       seul produit de base sont vulnérables aux
Les femmes et la libéralisation                    grands bénéficiaires de l’US Africa Growth      chocs extérieurs, qui à leur tour frappent
du commerce                                        and Opportunity Act de 2000 (AGOA, ou           les femmes. La CNUCED indique que les
Si la libéralisation du commerce a débuté          Loi des EU sur la croissance et les possi-      pays producteurs de pétrole n’ont pas diver-
dans les années 1990 et a dans certains            bilités économiques de l’Afrique), qui          sifié leur économie. Par exemple, l’économie
cas accru la compétitivité des commer-             autorise en franchise de droits de douane       de l’Angola, principalement extractive, n’a
çants africains, lorsqu’il s’agit des femmes,      les exportations africaines à destination       pas créé assez d’emplois pour absorber la
indique le Réseau interinstitutions de             des EU. Enfin, le Lesotho a augmenté ses        main-d’œuvre féminine. Selon la CNUCED,
l’ONU pour les femmes et l’égalité des sexes,      exportations vers les EU en profitant d’une     la lenteur de la diversification de l’économie
elle a produit l’effet inverse. Le Réseau          clause qui permet aux pays admissibles          angolaise a enfermé les femmes dans des
explique que les femmes ont beaucoup pâti          au titre de l’AGOA, de s’approvisionner en      emplois à faible productivité.
de ces politiques du fait de préjugés sexistes     tissus dans des pays tiers tels que la Chine.        Contrairement au Lesotho, la libérali-
en matière d’éducation et de formation,            Ces politiques ont eu des répercussions         sation du commerce en Angola n’a pas créé
d’une répartition inéquitable des revenus et       positives importantes pour les commer-          d’emplois manufacturiers tournés vers
des ressources, ainsi que d’un accès inégal        çantes du Lesotho.                              l’exportation, d’où le peu de femmes ayant
au crédit, au foncier et à la technologie;             L’industrie de l’habillement est le prin-   intégré le secteur secondaire: seulement 17
et d’ajouter qu’en Afrique, « les femmes           cipal employeur du Lesotho, et les femmes       % de la main-d’œuvre totale.
reçoivent 7 % des services de vulgarisation        forment la plus grande partie de la main-            Afin d’améliorer le sort des femmes, les
agricole et moins de 10 % des crédits offerts      d’œuvre. Selon la CNUCED, « Grâce à             gouvernements africains doivent adopter
aux petits agriculteurs. »                         l’évolution des échanges commerciaux, un        des politiques qui éliminent les contraintes
     Mais certains experts exhortent les           grand nombre de nouveaux emplois ont été        auxquelles elles sont confrontées dans leurs
opposants à la libéralisation du commerce          créés pour les femmes défavorisées, relati-     activités commerciales, recommandent
à la considérer sous un autre angle : ces          vement peu qualifiées qui n’auraient autre-     les experts. Le Réseau interinstitutions
politiques encouragent la suppression des          ment guère de chance d’occuper un emploi        de l’ONU pour les femmes et l’égalité des
tarifs douaniers et réduisent ainsi le prix des    formel. » Les Lesothanes occupant un            sexes propose trois politiques pour ce faire.
marchandises. Les opposants ripostent en           emploi formel ont accès aux programmes de       Premièrement, les gouvernements doivent
affirmant que si les femmes n’ont pas accès        santé, et celles vivant avec le VIH reçoivent   fournir aux travailleuses les compétences
au crédit, aux connaissances techniques ou         un traitement et des soins gratuits.            nécessaires et un accès à l’information.
aux marchés internationaux, elles ne pèsent            Mais si l’industrie lesothane du            Deuxièmement, ils doivent faire voter des
pas lourd face à la concurrence internatio-        vêtement procure des emplois aux femmes,        lois relatives aux normes et conditions de
nale, même si les marchés sont ouverts.            elle contribue également aux nouveaux           travail visant à éradiquer l’exploitation
     Comme ce fut le cas dans la minuscule         types d’inégalité et de vulnérabilité. Les      des travailleuses. Et troisièmement, ils
nation du Lesotho, en Afrique australe, l’ou-      salaires sont bas dans cette industrie. Les     doivent formuler des politiques sociales et
verture du marché du travail aux emplois de        travailleurs ne gagnent que 5 à 100 dollars     de l’emploi qui soutiennent le partage équi-
la confection et de la fabrication tournés vers    par mois, même s’ils ont accès aux pres-        table des responsabilités domestiques.
l’international, s’avère être un aspect majeur     tations maladie. Compte tenu du coût                 Il existe indéniablement des écarts
de la libéralisation du commerce. Une              élevé de la vie, ces salaires permettent        importants entre les sexes dans de nombreux
étude de 2012 de la Conférence des Nations         de couvrir les premières nécessités, mais       secteurs. La CNUCED recommande d’uti-
Unies sur le commerce et le développement          non d’épargner en vue de créer de petites       liser le commerce comme un « catalyseur » de
(CNUCED) portant sur le Lesotho, Who               activités commerciales.                         développement futur. Des politiques justes
Is Benefitting from Trade Liberalization               En outre, les Lesothanes sont parti-        pourraient inciter les femmes commer-
in Lesotho? A Gender Perspective (Qui              culièrement vulnérables aux chocs exté-         çantes à contribuer encore davantage au
tire parti de la libéralisation du commerce        rieurs et aux changements apportés              développement du continent.

                                                                                                            AfriqueRenouveau     Août 2014     9
Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
COMMERCE
L’aridité des sols en Mauritanie est l’une des conséquences du changement climatique.   Oxfam/Pablo Tosco

Le commerce en Afrique au temps
des changements climatiques
L’ économie de la région pourrait être affectée
Par Richard Munang and Jesica Andrews

L
       es effets dévastateurs des changements       provoquer de graves inondations, submerger          doit donc mettre au point des stratégies
       climatiques se font déjà ressentir sur       les terres et détruire des écosystèmes côtiers.     d’adaptation aux changements climatiques.
       toute la planète, y compris en Afrique.           Les       changements        climatiques       Alors que l’Afrique produit actuellement des
La famine provoquée par la sécheresse en            menacent-ils l’Afrique ? La région peut-elle        aliments de base d’une valeur de 50 milliards
2011 dans la Corne de l’Afrique a touché plus       développer son commerce dans les condi-             de dollars par an, la banque a constaté que
de 10 millions de personnes, causé 257 000          tions actuelles? Les experts répondent par          la région pourrait ajouter un supplément de
décès et coûté plus de 1 milliard de dollars de     l’affirmative à ces deux questions, mais, en        20 milliards de dollars annuellement si elle
dommages. Le récent rapport intitulé Africa         plus de réduire les obstacles qui entravent         supprime les obstacles au commerce agricole.
Adaptation Gap publié par le Programme              les échanges nouveaux et existants, les pays        L’Afrique de l’Ouest notamment pourrait
des Nations Unies pour l’environnement sur          devront utiliser leurs écosystèmes pour             réduire ses coûts de transport de moitié
le fossé en matière d’adaptation en Afrique         protéger les secteurs productifs du continent       en moins d’une décennie si ses politiques
avertit que les changements climatiques pour-       de l’impact négatif des changements clima-          commerciales agricoles étaient conçues
raient réduire le rendement total des cultures      tiques. Il faut des écosystèmes résilients pour     pour servir de fondement à la croissance
en Afrique subsaharienne jusqu’à hauteur de         promouvoir l’utilisation rationnelle de la          économique plutôt que de lui faire obstacle,
20 % d’ici à 2070. Pire encore, ils pourraient      biodiversité et du patrimoine naturel. Cette        affirme la banque.
commencer à nuire au potentiel commercial           utilisation permettra de préserver l’environ-           En outre, avec l’aggravation des chan-
de l’Afrique. C’est ainsi qu’une élévation de       nement naturel de la dégradation et s’assurer       gements climatiques, les industries et
70 centimètres du niveau de la mer projetée         qu’il demeure productif et continue de contri-      l’agriculture devront riposter. Les experts
en Tanzanie d’ici à 2070 pourrait dévaster          buer au développement économique.                   recommandent une augmentation de la
la ville portuaire de Dar es Salaam, la ville                                                           production de biens et services environ-
la plus grande et la plus riche du pays et un       Obstacles en tous genres                            nementaux comme une option viable. Ces
acteur majeur des échanges en Afrique de            Selon la Banque mondiale, la production             biens et services sont des bienfaits dont des
l’Est. Ce scénario coûterait au pays environ 10     alimentaire pour des populations urbaines           écosystèmes sains permettent de bénéfi-
milliards de dollars de dommages matériels          et rurales à forte croissance constituera la        cier. Ils comprennent l’air pur, l’eau douce,
et pertes liées. Les écologistes préviennent        plus grande opportunité de croissance pour          la purification de l’air et de l’eau provenant
que l’élévation du niveau de la mer pourrait        les agriculteurs africains. Le secteur agricole     des forêts, la pollinisation des cultures et la

10 AfriqueRenouveau         Août 2014
reconstitution des nappes d’eau souterraines       durables. Ce fut le cas récemment lorsqu’un       permettront à l’Afrique de s’ouvrir à des
à travers les zones humides. Ces biens et          projet incorporant une approche fondée            marchés de qualité supérieure. Comme pour
services étaient évalués à 690 milliards de        sur les écosystèmes a permis de former 120        le projet de beurre de karité au Burkina Faso,
dollars en 2006, mais pourraient atteindre         femmes à la production du beurre de karité de     les produits ainsi obtenus peuvent accéder
1900 milliards de dollars en 2020 selon le         haute qualité, leur permettant d’augmenter        aux marchés « durables », où leurs prix de
PNUE, compte tenu de l’augmentation de la          leurs ventes de 18 dollars supplémentaires        vente sont supérieurs.
demande mondiale. Par conséquent, pour             par mois en moyenne. L’approche fondée sur
stimuler le commerce, les experts insistent        les écosystèmes est une méthode agricole qui      Introduire des réformes
sur la nécessité de diversifier les exportations   favorise la conservation et la durabilité grâce   commerciales
au-delà des produits de base. Les gouverne-        à une gestion intégrée des terres, de l’eau       Même si les biens et services environnemen-
ments doivent aussi adopter des politiques         et des ressources. Les femmes sont désor-         taux permettent d’accroître les débouchés
qui permettent à davantage de personnes de         mais encore plus motivées pour protéger           commerciaux, les obstacles au commerce en
participer au commerce. Mais l’utilisation         leurs cinq hectares d’arbres de karité et         Afrique persisteront. Les principales recom-
durable des écosystèmes permet-elle d’at-          l’écosystème associé (qui fait partie de leur     mandations de la Banque mondiale vont dans
teindre cet objectif ?                             chaîne de production) de la destruction et        le sens de réformes du secteur du commerce
                                                   de la déforestation.                              et d’un renforcement des institutions qui
Stimulation des échanges grâce                         Partout en Afrique de l’Ouest, 4 à 5          conçoivent et mettent en œuvre la réglemen-
aux écosystèmes                                    millions de femmes dépendent presque entiè-       tation. La Banque veut que les pays africains
« Repenser les possibilités » est l’expres-        rement de la noix de karité pour leur subsis-     réduisent le coût des échanges transfron-
sion employée par les spécialistes du déve-        tance, selon l’Organisation des Nations Unies     taliers. Selon la Banque, les coûts associés
loppement pour insister sur le fait qu’il est      pour l’alimentation et l’agriculture Le recours   aux échanges en Afrique subsaharienne sont
possible de se servir des ressources naturelles    élargi à l’approche fondée sur les écosys-        deux fois plus élevés qu’en Asie de l’Est et dans
comme moyens de production. En utilisant           tèmes pourrait accroître la production pour       les pays membres de l’Organisation de coopé-
les services écosystémiques à bon escient,         la consommation locale et pour l’exportation.     ration et de développement économiques
l’Afrique pourrait protéger ses ressources                                                           (OCDE). Elle plaide en faveur de la suppres-
naturelles et augmenter le volume de ses           Développement du commerce                         sion d’une série de barrières non-tarifaires
échanges au sein du continent ainsi qu’avec        en Afrique                                        au commerce, y compris les règles restric-
le reste du monde. Et cette protection est         D’un certain nombre de façons, l’Afrique          tives quant à l’origine des marchandises,
assurée avec des coûts supplémentaires             pourrait stimuler le commerce si elle exploi-     l’interdiction des importations et exporta-
minimes ou nuls.                                   tait ses vastes ressources naturelles en          tions et les licences coûteuses. Dans la région
    Quelques approches écosystémiques,             adoptant des approches écosystémiques.            d’Afrique subsaharienne, relève la Banque, il
telles que l’utilisation de « pollinisateurs       Elle pourrait ainsi tout d’abord, augmenter       faut en moyenne 38 jours pour importer des
indigènes » gagnent déjà en popularité.            le volume des échanges agricoles grâce à des      marchandises et 32 jours pour les exporter
On parle aussi de « l’agriculteur ami des          rendements plus élevés. En Zambie, les agri-      au-delà des frontières - soit, deux des plus
abeilles ». Cette approche suppose que les         culteurs ont augmenté les rendements des          longs temps d’attente au monde. Cependant,
habitats d’abeilles sont protégés lorsque les      cultures de 60 % en passant des pratiques         même si les nouveaux biens et services envi-
agriculteurs limitent le labourage, permettent     monoculturales aux cultures intercalaires et      ronnementaux risquent de se trouver bloqués
aux cultures de fleurir, plantent des haies        à d’autres méthodes durables. En deuxième         du fait de ces barrières, les experts estiment
végétales ou des brise-vent avec des arbustes à    lieu, un plus grand recours à l’approche          que les services bancaires mobiles et d’autres
fleurs, réduisent ou éliminent l’utilisation de    fondée sur les écosystèmes favorisera le          dispositifs transfrontaliers innovants pour-
pesticides et travaillent avec les propriétaires   passage de méthodes traditionnelles à des         raient améliorer la situation.
fonciers du voisinage pour protéger les zones      méthodes agricoles durables parce que le               Les écologistes affirment déjà que les
naturelles. En investissant dans la protection     marché mondial des biens et services envi-        services écosystémiques devraient cesser
des habitats naturels des abeilles, les agricul-   ronnementaux connaît une croissance rapide.       d’être considérés comme gratuits et illimités.
teurs investissent dans leurs cultures. Les            Les pratiques reposant sur les écosys-        Il conviendrait au contraire de les protéger
abeilles et l’utilisation durable d’autres tech-   tèmes pourraient aider l’Afrique à tirer parti    contre les effets des changements clima-
niques de gestion peuvent accroître les rende-     des atouts que présentent les biens et services   tiques. Il est toutefois entendu que l’intro-
ments des cultures de 5 %, selon un article        environnementaux.                                 duction de biens et services environnemen-
publié par la Royal Society de Londres .               Troisièmement, en raison de la diver-         taux dans les économies africaines pourrait
    En outre, ces techniques sont plus grati-      sité des cultures produites, les pratiques        accroître les avantages économiques, sociaux
fiantes à l’endroit des agriculteurs qui se        reposant sur les écosystèmes permettront à        et environnementaux dont jouit le continent.
retrouvent face à un produit de meilleure          l’Afrique de conquérir de nouveaux marchés.       Et c’est là un triple avantage.
qualité à vendre. Ainsi, au Burkina Faso, où       Grâce à l’agroforesterie (cultures interca-       Richard Munang est le coordonnateur régional
la noix de karité est la deuxième culture de       laires, cultures de barrière et utilisation de    pour les changements climatiques du Bureau
rente la plus exportée (après le coton), les       cultures fixatrices d’azote), les petits agri-    régional pour l’Afrique du PNUE. Jesica
techniques reposant sur les écosystèmes            culteurs peuvent produire une plus grande         Andrews est spécialiste de l’adaptation des
pourraient améliorer la qualité des noix de        diversité de cultures. Et enfin, des produits     écosystèmes au Bureau régional pour l’Afrique
karité et garantir des méthodes de production      de meilleure qualité ou plus écologiques          du PNUE.

                                                                                                               AfriqueRenouveau      Août 2014     11
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