Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain
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Août 2014 www.un.org/africarenewal/fr Le commerce en Afrique : une affaire inachevée La devise chinoise pénètre le marché africain Angola : au-delà du boom pétrolier
AU SOMMAIRE Août 2014 | Vol. 28 No. 2 3 DOSSIER SPÉCIAL COMMERCE Echanges commerciaux entre partenaires inégaux 5 Commerce intra-africain : au-delà des promesses politiques 7 Interview de Arancha González 8 Les commerçantes africaines perdent au change 10 Le commerce en Afrique au temps des changements climatiques Une femme chef dans un restaurant au Libéria. 12 Interview de Maged Abdelaziz UNMIL/Christopher Herwig À LIRE ÉGALEMENT 14 La pénétration progressive du yuan sur les marchés africains 16 La paix au Sud-Soudan: clé de la stabilité régionale Rédacteur en chef Masimba Tafirenyika 18 Interview de Babacar Gaye 20 Les inégalités freinent la croissance de l’Angola Rédaction 22 La biofortification offre un espoir contre la malnutrition en Afrique Kingsley Ighobor 24 Interview de Carlos Lopes Recherche & Liaison media 26 L’Afrique et le développement au prochain sommet sur le climat Pavithra Rao Nirit Ben-Ari RUBRIQUES Design & Production Paddy D. Ilos II 30 Afrique Numérique 31 Afrique Livres Administration Bo Li 31 Nominations Distribution Atar Markman En couverture : Activités qui illustrent les différents aspects du commerce Stagiaires en Afrique. Banque Mondiale Ying Zhao-Hiemann Florence Safa Afrique Renouveau est publiée en anglais et en Les articles de cette publication peuvent être français par la Division de la communication reproduits librement, à condition de mentionner stratégique du Département de l’information des l’auteur et la source, “ONU, Afrique Renouveau”. Nations Unies. Toutefois son contenu ne reflète Merci de nous en adresser une copie. Les photos pas nécessairement les vues des Nations Unies protégées par un droit d’auteur ne peuvent être Afrique Renouveau est publié au siège des ou des organisations soutenant la publication. reproduites. Nations Unies à New York sur papier recyclé. Prière d’adresser toute Abonnez-vous à Afrique Renouveau correspondance au : Afrique Renouveau offre un abonnement gratuit à toute personne qui en fait la demande. Veuillez communiquer www.un.org/africarenewal/fr Rédacteur, Afrique Renouveau Bureau S-1032 avec la Distribution en nous écrivant à notre adresse postale ou par courriel à l’adresse suivante : africarenewal@un.org. facebook.com/afriquerenouveau Nations Unies, NY 10017-2513, E.-U. Pour les institutions, l’abonnement annuel s’élève à trente- Tél : (212) 963-6857, Fax : (212) 963-4556 cinq dollars, payables par mandat international ou chèque (en dollars des Etats-Unis) tiré sur une banque des Etats- twitter.com/ONUAfrique E-mail : africarenewal@un.org Unies, et libellé à l’ordre des Nations Unies. 2 AfriqueRenouveau Août 2014
Confrontée aux défis de l’économie mondiale, l’Afrique est contrainte de faire des choix difficiles lors des négociations d’accords commerciaux avec ses principaux partenaires économiques, notamment l’UE et les Etats-Unis. Parallèlement, le commerce intra-africain réclame toujours des solutions. Echanges commerciaux entre partenaires inégaux L’Afrique et l’UE recherchent un accord jusque-là hors de portée Par Kingsley Ighobor E n mars dernier à Bruxelles, 61 chefs de gouvernement et hauts respon- sables, africains et européens, se sont réunis. Après deux jours de délibéra- tions, ils ont publié un accord de 63 points énonçant des platitudes telles que « Nous sommes fiers de l’étendue de notre partena- riat » ou « Nous sommes convaincus que la croissance sera mutuellement bénéfique. » De tous les sujets abordés – les combats en République centrafricaine, la démocratie, l’intégration régionale, l’immigration, l’aide au développement - c’est le fléchis- sement des relations commerciales entre l’Afrique et l’UE qui était le plus crucial. Le président sud-africain, Jacob Zuma, dont le pays est l’un des partenaires africains les plus importants de l’UE, n’a pas assisté au sommet, par solidarité avec le président zimbabwéen, Robert Mugabe, qui a refusé COMMERCE de se rendre en Belgique car sa femme n’a pas obtenu de visa. « Il faut cesser de nous Des participants à une réunion ministérielle en marge du Sommet UE-Afrique à Bruxelles. considérer comme des sujets et nous dire Service européen pour l’action extérieure (SEAE) qui doit ou ne doit pas venir », a-t-il déclaré. Son boycott a été l’un des incidents qui ont devaient être signés au plus tard en 2008. Avec la Convention de Lomé de 1975, émaillé les négociations interminables. Les APE exigent la réduction des tarifs l’UE accordait des préférences commer- Le Président de la Commission euro- douaniers sur les importations et les expor- ciales « non réciproques » aux pays ACP péenne, José Manuel Barroso, a réitéré que tations, mais les parties divergent sur les pour l’exportation de matières premières l’UE préférait établir un partenariat avec modalités. Néanmoins, 14 pays dont l’île agricoles et minérales en franchise de les pays africains sur un pied d’égalité, mais Maurice, Madagascar, les Seychelles et le droits vers l’UE. Aujourd’hui, elle veut selon Christoph Hasselbach, rédacteur de Zimbabwe, ont accepté des APE intéri- les remplacer par les APE « réciproques la Deutsche Welle, seule l’Afrique du Sud, maires permettant aux pays d’exporter vers », de sorte que les pays ACP puissent l’économie la plus sophistiquée du conti- le marché européen en franchise de droits ouvrir leurs marchés aux exportations nent, pourrait l’être. et facilitant les importations de l’UE sur 15 de l’UE. Or l’Afrique n’est pas pressée de Les négociations en vue d’un accord à 25 ans. L’île Maurice a accepté d’ouvrir libéraliser ses marchés. commercial ont débuté en 2000, après la son marché aux produits européens sur 15 signature par l’UE et 79 pays d’Afrique, des ans. Pour protéger les industries locales, La pomme de discorde Caraïbes et du Pacifique (ACP) de l’Accord les signataires peuvent exclure des produits « Les pays africains sont dans l’ensemble de Cotonou sur le commerce, l’aide et les comme Madagascar qui a exclu les expor- protectionnistes, donc la libéralisation relations politiques, qui stipulait que des tations européennes de viande, de tabac, de bénéficierait à l’UE», écrit Paul Collier, accords de partenariat économique (APE) sucre et de produits chimiques. directeur du Centre d’étude des économies AfriqueRenouveau Août 2014 3
africaines à l’Université d’Oxford. L’Afrique qualifié cette approche de « bras de fer sans « de mettre en œuvre l’accord de facilita- n’adhère pas aux APE car elle craint que précédent dans le cadre d’une rencontre tion des échanges sur une base provisoire les entreprises européennes l’inondent des chefs d’État africains. » Irrités par conformément à la Déclaration de Doha. Il y de produits meilleur marché, provoquant ces pressions, le Nigéria, la plus grande a deux poids deux mesures. » ainsi la destruction des industries locales économie d’Afrique, et l’île Maurice, l’une À l’issue du sommet de Malabo, des naissantes. L’abaissement des tarifs doua- de ses économies les plus dynamiques, ont divisions sont apparues. « Nous n’avons niers provoquerait la réduction des recettes annoncé qu’ils pourraient revenir sur leur jamais dit que nous ne mettrons pas en publiques nécessaires pour investir acceptation provisoire. œuvre l’accord FE, mais nous ne savons pas entre autres dans l’agriculture, la santé Mais l’Afrique pourrait ne pas tenir comment le faire, » affirme M. Ndirangu, et l’éducation. longtemps face aux menaces de l’UE de renvoyant la balle dans le camp de l’UE. Mais James Asare-Adjei, le président de l’As- supprimer l’aide et celles des États-Unis de l’Afrique du Sud, l’Ouganda, la Tanzanie et le sociation des industries du Ghana, affirme ne pas renouveler la Loi sur la croissance Zimbabwe ont exhorté l’Afrique à ne mettre que le pays compte sur les recettes doua- et les potentialités de l’Afrique (AGOA) l’accord en œuvre qu’une fois que l’UE aura nières pour financer son développement et qui doit expirer en 2015. Adoptée en 2000, concrètement démontré son engagement à qu’un APE pourrait faire perdre jusqu’à 300 elle stipule que l’Afrique peut exporter fournir une aide. Or selon l’accord FE, cet millions de dollars par an. Aliyu Modibo certains produits en franchise de droits engagement n’est pas contraignant. Umar, un ancien Ministre du commerce aux États-Unis. nigérian, déclare : « Si 30 années de libre L’éveil de l’Asie accès au marché de l’UE non réciproque Des failles dans la position La croissance des échanges de l’Afrique avec n’ont pas amélioré la situation, comment un de l’Afrique l’Asie, notamment la Chine, préoccupe l’UE, accord réciproque pourrait-il mieux faire? L’OMC milite pour la mise en œuvre totale affirme M. Hasselbach. La part de l’Afrique » Bingu wa Mutharika, le défunt président de l’accord FE. Son Directeur général, dans le commerce mondial a augmenté de du Malawi, a qualifié les APE de « tactique Roberto Azevêdo, a averti qu’une mise en façon constante, passant de 277 milliards égoïste promue par l’UE visant à diviser œuvre provisoire pourrait se traduire par (2,3 %) en 2001 à environ 1 000 milliards de pour mieux régner.» une diminution de l’aide au développe- dollars (4,6 %) en 2011, selon la Conférence L’UE reconnaît que les APE vont créer ment. « Les décisions prises à Bali seraient des Nations Unies sur le commerce et le plus d’emplois en Europe mais note que compromises.» Angelos Pangratis, l’envoyé développement. Alors que l’UE est encore l’Afrique a tout à gagner d’une meilleure de l’UE à l’OMC, affirme que « La crédibi- le partenaire commercial le plus impor- stabilité économique, des possibilités de lité de la fonction de négociation de cette tant de l’Afrique, le commerce avec l’Asie formation, du transfert de connaissances, organisation [OMC] est une fois de plus en a augmenté de 22 % durant cette période, et d’exportations plus importantes. L’UE cause. » Mais Nelson Ndirangu, directeur contre 15% avec l’UE. En outre, la contribu- indique sur son site Internet que « pendant de l’économie et du commerce extérieur au tion de l’UE aux importations de produits plus de 30 ans, les pays ACP ont bénéficié ministère kényan des Affaires étrangères, manufacturés est tombée de 32 % en 2002 à d’un accès préférentiel au marché européen s’étonne que l’UE s’oppose à la proposition 23 %, tandis que la part de l’Asie a augmenté qui n’a pas réussi à stimuler les économies de 13 % à 22 % en 2011. locales ni la croissance.» Selon certains experts les craintes liées à l’accord FE peuvent être exagérées. Patrick Mise en œuvre provisoire Kanyimbo et Calvin Manduna, spécia- L’UE promeut l’accord sur la facilitation des listes du commerce auprès de la Banque échanges (FE) de l’OMC, conclu l’an dernier africaine de développement, soutiennent à Bali, visant à réduire les coûts d’exploita- qu’un accord FE permettra de réduire la tion en minimisant les procédures néces- complexité des opérations douanières et saires au transport de biens et de services viendra compléter « les investissements entre pays. Cet accord émane du cycle de d’infrastructure sur le continent, en parti- négociations de Doha en 2001 et exhorte les culier dans le secteur des transports. » pays à adopter des procédures douanières Les relations commerciales entre efficaces. L’Afrique n’est pas convaincue l’UE et l’Afrique connaîtront sans doute de ses avantages supposés. Les ministres de nouveaux aléas avant 2015, date butoir africains du commerce ont convenu d’une pour la mise en œuvre de l’accord FE. Les mise en œuvre provisoire selon une clause grandes économies comme le Nigéria et de l’accord de Bali. Mais l’UE est déter- l’Afrique du Sud durcissent le ton, mais les minée à engager un bras de fer pour une autres sont plus réservées. Rashid Pelpuo, application intégrale. le ministre d’Etat ghanéen aux partenariats Les négociateurs de l’UE qui étaient public-privé, note que les accords commer- à Malabo au cours du sommet de juin de ciaux sont toujours liés à « l’aide, l’assis- l’Union africaine (UA), ont accru la pression tance technique et politique ... Ne pas signer sur les dirigeants pour les amener à revoir Des dirigeants africains au Sommet de l’UA à coûterait trop cher.» Seul le temps dira si, ou leur position. Un responsable de l’UA a Malabo. Commission de l’Union Africaine (UA) quand, l’Afrique acceptera ces accords. 4 AfriqueRenouveau Août 2014
à la perte de souveraineté et à la réduction de la marge de manœuvre dans le choix des politiques.» Il en résulte « des institutions régionales affaiblies qui remplissent pour l’essentiel des fonctions administratives.» Quand les pays produisent ce dont leurs partenaires commerciaux ont besoin, le commerce prospère. Ce n’est pas vraiment encore le cas de l’Afrique : ce qu’elle produit, elle ne le consomme pas ; et elle consomme ce qu’elle ne produit pas. Cette équation explique la faiblesse du commerce intra-régional qui ne représente que 10% à 12% du total du commerce du continent contre 40% en Amérique du Nord et 60% en Europe de l’Ouest. Plus de 80% des exportations africaines partent à l’étranger, principalement vers l’Union Européene, la Chine et les États-Unis. À cela s’ajoutent des règles commerciales complexes et contradictoires, les restrictions douanières et des infrastructures en mauvais état. Il n’est donc pas surprenant que les échanges intra-africains n’aient presque pas progressé ces dernières décennies. Tout le monde ne s’accorde pas sur cette faiblesse. Pour certains, une part importante du commerce se fait de manière informelle par le biais de frontières poreuses et mal gérées qui rendent difficile la collecte COMMERCE de données : le commerce informel n’est pas intégré dans les statistiques des fonctionnaires des douanes. Un réseau routier de qualité est essentiel au commerce. Banque mondiale/Arne Hoel « Nous ne savons pas traiter les données liées à ce type d’activité, précisément parce qu’elles sont infor- Commerce intra- melles, » souligne Carlos Lopes, le Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA). Il ajoute que la Commission ambi- africain : au-delà des tionne de combler ce déficit en offrant un tableau plus complet de l’activité économique en Afrique et en fournissant aux responsables de la planification promesses politiques économique des données plus fiables. Des blocs régionaux Pour accélérer l’intégration régionale, la Banque mondiale encourage les dirigeants africains à élargir Il faut appliquer les accords l’accès à la finance commerciale et à réduire les restric- tions commerciales qui peuvent être liés à un excès de Par Masimba Tafirenyika réglementations ou à des systèmes juridiques inadé- quats. Mais avec des économies encore fragiles, des marchés domestiques de petite taille et 16 pays enclavés, L ’un des sujets de prédilection des conseillers poli- les gouvernements jugent que l’intégration économique 40 tiques africains est le manque de performance du doit commencer au niveau régional et regrouper l’en- commerce continental. Ils évoquent les barrières semble des blocs commerciaux dans une zone de libre- commerciales et les avantages de l’intégration pour les échange africaine. Certains estiment que le nombre de milliards économies des pays africains. Le débat est sans doute ces blocs – 14 – est trop élevé, surtout pour les États qui de dollars intéressant, mais il produit peu de résultats. font partie de plusieurs blocs. Le problème vient en partie du décalage entre ambi- Pourtant, les experts estiment que le problème ne que l’Afrique tions politiques des dirigeants africains et réalités réside pas seulement dans le nombre de blocs, mais doit dépenser économiques. Selon Trudi Hartzenberg, la directrice dans leur bilan. Les gouvernements doivent mettre en pour ses exécutive du Centre de droit commercial pour l’Afrique œuvre les accords commerciaux signés et sur ce point, infrastructures australe (TRALAC), ces dirigeants, qui ont mis en place les performances des pays africains sont médiocres, 14 blocs commerciaux pour favoriser l’intégration régio- malgré la force de leurs engagements pour l’intégration chaque année nale, font preuve « d’une réticence évidente à donner des régionale. Dans un document sur l’intégration régio- moyens d’action à ces institutions, citant les risques liés nale en Afrique, publié par l’OMC, Trudi Hartzenberg AfriqueRenouveau Août 2014 5
note que «dans certains cas, le problème implications et ne souhaitent plus être liés imposer des Accords de partenariat écono- réside dans l’absence d’engagement clair par ces obligations. » mique [APE] aux pays africains qui obligent en faveur d’une gouvernance basée sur le les partenaires de l’UE à abaisser, sous respect des règles de l’intégration africaine. Faiblesse des infrastructures condition de réciprocité, leurs droits de Les obligations des accords internationaux La mise en œuvre limitée des accords douane sur les importations et les expor- ne sont pas prises au sérieux. Certains et le manque d’infrastructures fiables tations. Ces APE sont un frein aux efforts estiment que les gouvernements africains compliquent la poursuite de l’intégra- d’intégration de l’Afrique. Les dirigeants ont besoin de marges de manœuvre dans tion régionale. « Le transport routier africains devraient suivre l’exemple de la le choix des politiques pour affronter les est incroyablement lent et les ports sont Corée du Sud qui a dopé ses échanges grâce défis du développement. Mais ceci semble encombrés dû au manque de capacités, » à « une série d’interventions gouverne- en contradiction avec le nombre des accords note la BAD. mentales » : protection de certaines indus- signés,» explique-t-elle en pointant du Malgré la modernisation récente tries, contrôle de la production alimen- doigt l’absence de moyens des gouverne- des infrastructures régionales, Ibrahim taire et du secteur bancaire, adoption ments pour mettre en œuvre les obligations Mayaki, qui dirige le NEPAD, l’agence d’une réglementation forte qui permet à qu’ils ont contractées. de développement de l’Union africaine, la population de bénéficier des échanges La Banque africaine de développement constate que le continent est encore et des investissements. (BAD) partage ce point de vue et impute confronté à des difficultés. Le NEPAD vient Le secrétaire exécutif de la CEA est du la lenteur des progrès à « une architecture d’adopter un plan sur 30 ans qui fait une même avis. « La protection n’est pas un complexe de communautés économiques large place aux projets transfrontaliers, terme péjoratif, » assure-t-il. Carlos Lopes régionales. » La BAD note que si cet arran- comme celui de la route de 4 500 km qui est favorable à ce qu’il nomme « un protec- gement a eu des résultats positifs pour les doit relier Alger à Lagos. tionnisme sophistiqué », mais il enjoint les objectifs régionaux communs, « les progrès Si l’Afrique veut remédier aux faiblesses dirigeants africains à ne pas oublier la « ont été décevants. » actuelles de ses infrastructures et suivre sophistication », « c’est-à-dire la recherche Mme Hartzenberg cite l’exemple de le rythme de la croissance, la BAD estime d’un juste équilibre ». Le secrétaire exécutif la Communauté de développement de qu’elle doit dépenser 40 milliards de dollars de la CEA considère qu’un protectionnisme l’Afrique australe (SADC), un groupement de plus par an. sophistiqué, ou intelligent, ne constitue pas économique régional qui a lancé en 2008 un choix entre deux entités «opposées», une zone de libre-échange entre ses 15 États « Protectionnisme sophistiqué » l’État d’une part et le marché de l’autre. membres. Malgré la décision de la SADC ou APE ? Selon lui, l’industrialisation ne peut se faire de supprimer les restrictions commerciales, Pour les analystes, les accords commer- sans une forme de protectionnisme intel- certains pays n’ont pas éliminé leurs droits ciaux ne tiennent souvent pas compte des ligent. Et sans industrialisation, les efforts de douane. Pire: certains les ont rétablis efforts de l’Afrique pour promouvoir le d’intégration des économies du continent après les avoir supprimés. commerce intra-africain. Nick Dearden, et d’augmentation des échanges intra-ré- Si plusieurs pays ont demandé à l’ancien directeur de la campagne Jubilé gionaux ont moins de chance d’aboutir. Les bénéficier de la disposition du protocole pour la remise de la dette, qui dirige le défenseurs du libre-échange affirment de commercial de la SADC qui autorise les Mouvement mondial pour le dévelop- leur côté que le protectionnisme risque de exemptions d’élimination des droits de pement, accuse les pays occidentaux de réduire la taille de l’économie mondiale, douane, d’autres les ont simplement promouvoir des modèles de libre-échange limiter le nombre des gagnants et dégrader réintroduits ou remplacés par d’autres qui servent leurs intérêts et non ceux de les conditions du marché. instruments, comme les taxes inté- l’Afrique. Il déplore que de nombreux pays rieures. « On peut faire valoir que c’est africains « soient assujettis à des accords Au-delà des engagements la preuve d’une absence de volonté poli- commerciaux qui les obligent à dépendre Les pays africains ont encore beaucoup à tique de mettre en œuvre les obligations d’un ou deux produits de base. » faire pour accroitre les échanges intra-ré- contractées. Il se peut que certains de ces Sur son blog hébergé par The Guardian, gionaux. Ils doivent par exemple réduire États finissent par se rendre compte des M. Dearden affirme que l’UE cherche à leur dépendance vis-à-vis des produits de base en développant le secteur des services, augmenter les investissements dans les NIVEAU MOYEN DU COMMERCE INTRA-RÉGIONAL PAR AN infrastructures et réduire les barrières non-tarifaires qui freinent les échanges intra-africains. La liste de ces barrières est longue et exhaustive : caractère prohibitif de certains coûts de transaction, complexité 10% - 12% 40% 60% des procédures d’immigration, manque de moyens des services frontaliers, coût des procédures d’octroi de licences d’importa- tion ou d’exportation. Pour y mettre fin, il Afrique Amérique du Nord Europe Occidentale faudra des mesures concrètes sur le terrain, même si elles sont couteuses. 6 AfriqueRenouveau Août 2014
INTERVIEW africaine visant à faire du continent une zone de libre-échange. Les marchés locaux L’Afrique a besoin à sont trop restreints. Notre but principal est de supprimer les barrières commerciales. la fois d’aide et Quels sont les obstacles? Ce sont les barrières non tarifaires, telles que les réglementations techniques et du commerce les normes sécuritaires. Comment réduisez-vous les barrières commerciales? — Arancha González Apres l’identification de ces barrières, nous nous rapprochons des sociétés et des organismes gouvernementaux et de régle- mentation afin de les aider à trouver une solution. Parlez-nous de votre programme d’aide au commerce. Il s’agit du nom que nous donnons à l’aide au développement visant à renforcer les capacités de production commerciale des pays et des sociétés. L’Afrique a-t-elle besoin d’aide ou de commerce? Demander aux pays de choisir entre l’aide et le commerce serait une simplifi- cation de la question. La réalité est que les deux sont nécessaires et vont de pair. Pensez-vous que les accords commer- ciaux favroisent les pays développés? COMMERCE Non, car cela présuppose que les pays africains sont incapables de négocier des Arancha González, Directrice exécutive, Centre du commerce international. pactes commerciaux bénéfiques. Ce qui Centre du commerce international (CCI). n’est pas le cas. Pourtant d’aucuns pensent que l’Afrique L e Centre du commerce international (ITC), fournit une aide technique aux entreprises des pays en développement. Arancha González, la directrice exécutive du Centre, s’est entretenue avec Nirit Ben-Ari et Kingsley Ighobor d’Afrique Renouveau (AR) sur leurs activités négocie en position de faiblesse... J’ai vu des pays africains négocier de manière bilatérale et défendre leurs et l’influence croissante de l’Afrique sur le marché mondial. intérêts avec force au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) au point de refuser un accord où leurs intérêts ne sont AR: Que fait l’ITC en Afrique? de volaille du pays. pas pris en compte. González : La majorité de nos activités se concentre en Afrique subsaharienne où Avez-vous d’ autres projets en Afrique? Les subventions agricoles de l’UE, nous offrons des formations sur la mobi- À Zanzibar, en Tanzanie, nous aidons seront-elles bientôt supprimées ? lisation de fonds et l’amélioration de la des négociants d’épices à multiplier jusqu’à La pression exercée par l’Afrique a compétitivité. 20 fois leur revenu en développant une amené l’UE à revoir son programme de image de marque et un emballage attrayant subventions agricoles et à proposer Comment procédez-vous sur le terrain? pour leurs produits. l’élimination des subventions aux En offrant notre expertise. Au Sénégal, exportations. Une victoire pour ceux par exemple, les compétences acquises Comment faites-vous la promotion du qui refusent d’accord avec l’EU tant par les producteurs de mangues profitent commerce intra-africain? qu’elle déverse ses produits alimentaires également aux producteurs d’ananas ou En soutenant l’objectif de l’Union en Afrique. AfriqueRenouveau Août 2014 7
Les commerçantes africaines perdent au change Des politiques commerciales nuisibles freinent le progrès Par Nirit Ben-Ari ce dernier, le commerce informel, dominé par les femmes, représente une importante source de création d’emplois en Afrique : entre 20 et 75 % de l’emploi total dans la plupart des pays. Par exemple, dans la région de la Communauté de développe- ment de l’Afrique australe, le commerce transfrontalier informel, qui porte surtout sur des aliments traités ou non, constitue entre 30 et 40 % du volume annuel total des échanges. TradeMark East Africa (TMEA), une organisation qui encourage le commerce transfrontalier dans la sous-région, signale que les femmes réalisent jusqu’à 74 % des échanges informels le long de la frontière du Rwanda avec ses voisins : le Burundi, la République démocratique du Congo, la Tanzanie et l’Ouganda. La majorité de ces femmes ne vivent que de ces échanges. La COMMERCE TMEA juge cependant préoccupant que cette forme de commerce concerne essen- La participation des femmes mauritaniennes augmente en matière de gouvernance. tiellement des produits de faible valeur Paul Kingsley/Alamy et à faible marge, tels que les fruits et légumes, les animaux d’élevage, la viande et C haque jour, des millions d’Afri- réaliser pleinement son potentiel commer- les produits laitiers. caines se livrent à des activités cial. Il s’agit notamment de barrières non La méconnaissance des droits que leur commerciales diverses, dans leur tarifaires qui affectent les échanges, indique confèrent les traités et protocoles commer- pays ou au-delà des frontières nationales. une étude de 2013 de la Banque mondiale, ciaux exacerbe les problèmes auxquels les Elles achètent et vendent de tout, des intitulée Les femmes et le commerce en femmes sont confrontées lors de leurs tran- produits agricoles aux produits manufac- Afrique. Le manque d’accès aux finance- sactions. Il arrive qu’elles soient contraintes turés. Selon la Banque mondiale, ce sont ments, à l’information et aux réseaux de verser des pots-de-vin ou harcelées par surtout des femmes qui traversent les formels par exemple pousse souvent les des douaniers et agents d’immigration. frontières pour fournir des biens et des femmes vers l’économie parallèle, où leurs Afin de leur venir en aide, la TMEA a lancé services. Elles dirigent également la plupart capacités de croissance sont limitées. en 2012 un projet qui facilite les activités des petites exploitations agricoles. En commerciales transfrontalières des femmes fait, la contribution des femmes commer- Commerce transfrontalier en Afrique de l’Est. Le projet fournit une çantes aux économies nationales est et secteur informel assistance juridique gratuite aux petits aujourd’hui indispensable à la stimulation La participation des femmes au commerce commerçants, surtout des femmes, qui, du commerce africain. informel est souvent sous-estimée. Le rôle ignorant souvent leurs droits, empruntent Les politiques commerciales de la région qu’elles jouent dans le commerce trans- des chemins illégaux pour traverser les ne sont toutefois pas nécessairement favo- frontalier informel n’attire guère l’attention frontières et ainsi échapper au harcèlement rables aux femmes, les hommes ayant un des milieux du commerce international, des douaniers. La TMEA leur apprend à meilleur accès aux ressources. Au contraire, souligne un document du Réseau interins- faire valoir leurs droits en cas d’arresta- elles sont confrontées à des contraintes titutions pour les femmes et l’égalité des tion arbitraire ou d’application abusive des qui sapent les efforts de l’Afrique visant à sexes, un groupe de travail de l’ONU. Selon règles de la part des fonctionnaires. Ainsi, 8 AfriqueRenouveau Août 2014
bon nombre de commerçantes de la région au Lesotho considérée sous l’angle de la au système commercial international. passent désormais moins de temps aux fron- parité?), a révélé que la libéralisation a Si les usines textiles venaient à fermer, il tières à se demander quelles sont les bonnes renforcé les échanges commerciaux du pays serait démesurément difficile pour elles procédures à suivre. En outre, la TMEA les ces 30 dernières années, en particulier les de retrouver un emploi. Ceci parce que a aidées à s’organiser en coopératives afin de exportations des secteurs à forte intensité les femmes ont tendance à rencontrer renforcer leur pouvoir de négociation. de main-d’oeuvre comme l’industrie de la davantage d’obstacles à la mobilité de la Les experts estiment cependant que confection. Elle a également été synonyme main-d’œuvre, en raison de pratiques davantage de politiques doivent encou- d’une augmentation du nombre de femmes sociales et culturelles discriminatoires rager le commerce informel des femmes. employées dans le secteur formel. telles qu’un accès limité à l’éducation, à la Ces dernières pourraient bénéficier de technologie et aux ressources financières, politiques qui abordent les problèmes liés à L’exemple du Lesotho selon la CNUCED. l’accès au crédit, au filet de sécurité sociale, Comment le Lesotho a-t-il fait ? D’abord, il au transport, à l’échange de devises, aux a imposé des quotas d’importation sur les Vers une politique commerciale installations de stockage, aux soins de santé, vêtements provenant des marchés de l’Asie, faisant place aux femmes et à l’assainissement. des États-Unis (EU) et de l’UE. Ensuite, Les économies qui ne dépendent que d’un les produits textiles du Lesotho sont les seul produit de base sont vulnérables aux Les femmes et la libéralisation grands bénéficiaires de l’US Africa Growth chocs extérieurs, qui à leur tour frappent du commerce and Opportunity Act de 2000 (AGOA, ou les femmes. La CNUCED indique que les Si la libéralisation du commerce a débuté Loi des EU sur la croissance et les possi- pays producteurs de pétrole n’ont pas diver- dans les années 1990 et a dans certains bilités économiques de l’Afrique), qui sifié leur économie. Par exemple, l’économie cas accru la compétitivité des commer- autorise en franchise de droits de douane de l’Angola, principalement extractive, n’a çants africains, lorsqu’il s’agit des femmes, les exportations africaines à destination pas créé assez d’emplois pour absorber la indique le Réseau interinstitutions de des EU. Enfin, le Lesotho a augmenté ses main-d’œuvre féminine. Selon la CNUCED, l’ONU pour les femmes et l’égalité des sexes, exportations vers les EU en profitant d’une la lenteur de la diversification de l’économie elle a produit l’effet inverse. Le Réseau clause qui permet aux pays admissibles angolaise a enfermé les femmes dans des explique que les femmes ont beaucoup pâti au titre de l’AGOA, de s’approvisionner en emplois à faible productivité. de ces politiques du fait de préjugés sexistes tissus dans des pays tiers tels que la Chine. Contrairement au Lesotho, la libérali- en matière d’éducation et de formation, Ces politiques ont eu des répercussions sation du commerce en Angola n’a pas créé d’une répartition inéquitable des revenus et positives importantes pour les commer- d’emplois manufacturiers tournés vers des ressources, ainsi que d’un accès inégal çantes du Lesotho. l’exportation, d’où le peu de femmes ayant au crédit, au foncier et à la technologie; L’industrie de l’habillement est le prin- intégré le secteur secondaire: seulement 17 et d’ajouter qu’en Afrique, « les femmes cipal employeur du Lesotho, et les femmes % de la main-d’œuvre totale. reçoivent 7 % des services de vulgarisation forment la plus grande partie de la main- Afin d’améliorer le sort des femmes, les agricole et moins de 10 % des crédits offerts d’œuvre. Selon la CNUCED, « Grâce à gouvernements africains doivent adopter aux petits agriculteurs. » l’évolution des échanges commerciaux, un des politiques qui éliminent les contraintes Mais certains experts exhortent les grand nombre de nouveaux emplois ont été auxquelles elles sont confrontées dans leurs opposants à la libéralisation du commerce créés pour les femmes défavorisées, relati- activités commerciales, recommandent à la considérer sous un autre angle : ces vement peu qualifiées qui n’auraient autre- les experts. Le Réseau interinstitutions politiques encouragent la suppression des ment guère de chance d’occuper un emploi de l’ONU pour les femmes et l’égalité des tarifs douaniers et réduisent ainsi le prix des formel. » Les Lesothanes occupant un sexes propose trois politiques pour ce faire. marchandises. Les opposants ripostent en emploi formel ont accès aux programmes de Premièrement, les gouvernements doivent affirmant que si les femmes n’ont pas accès santé, et celles vivant avec le VIH reçoivent fournir aux travailleuses les compétences au crédit, aux connaissances techniques ou un traitement et des soins gratuits. nécessaires et un accès à l’information. aux marchés internationaux, elles ne pèsent Mais si l’industrie lesothane du Deuxièmement, ils doivent faire voter des pas lourd face à la concurrence internatio- vêtement procure des emplois aux femmes, lois relatives aux normes et conditions de nale, même si les marchés sont ouverts. elle contribue également aux nouveaux travail visant à éradiquer l’exploitation Comme ce fut le cas dans la minuscule types d’inégalité et de vulnérabilité. Les des travailleuses. Et troisièmement, ils nation du Lesotho, en Afrique australe, l’ou- salaires sont bas dans cette industrie. Les doivent formuler des politiques sociales et verture du marché du travail aux emplois de travailleurs ne gagnent que 5 à 100 dollars de l’emploi qui soutiennent le partage équi- la confection et de la fabrication tournés vers par mois, même s’ils ont accès aux pres- table des responsabilités domestiques. l’international, s’avère être un aspect majeur tations maladie. Compte tenu du coût Il existe indéniablement des écarts de la libéralisation du commerce. Une élevé de la vie, ces salaires permettent importants entre les sexes dans de nombreux étude de 2012 de la Conférence des Nations de couvrir les premières nécessités, mais secteurs. La CNUCED recommande d’uti- Unies sur le commerce et le développement non d’épargner en vue de créer de petites liser le commerce comme un « catalyseur » de (CNUCED) portant sur le Lesotho, Who activités commerciales. développement futur. Des politiques justes Is Benefitting from Trade Liberalization En outre, les Lesothanes sont parti- pourraient inciter les femmes commer- in Lesotho? A Gender Perspective (Qui culièrement vulnérables aux chocs exté- çantes à contribuer encore davantage au tire parti de la libéralisation du commerce rieurs et aux changements apportés développement du continent. AfriqueRenouveau Août 2014 9
COMMERCE L’aridité des sols en Mauritanie est l’une des conséquences du changement climatique. Oxfam/Pablo Tosco Le commerce en Afrique au temps des changements climatiques L’ économie de la région pourrait être affectée Par Richard Munang and Jesica Andrews L es effets dévastateurs des changements provoquer de graves inondations, submerger doit donc mettre au point des stratégies climatiques se font déjà ressentir sur les terres et détruire des écosystèmes côtiers. d’adaptation aux changements climatiques. toute la planète, y compris en Afrique. Les changements climatiques Alors que l’Afrique produit actuellement des La famine provoquée par la sécheresse en menacent-ils l’Afrique ? La région peut-elle aliments de base d’une valeur de 50 milliards 2011 dans la Corne de l’Afrique a touché plus développer son commerce dans les condi- de dollars par an, la banque a constaté que de 10 millions de personnes, causé 257 000 tions actuelles? Les experts répondent par la région pourrait ajouter un supplément de décès et coûté plus de 1 milliard de dollars de l’affirmative à ces deux questions, mais, en 20 milliards de dollars annuellement si elle dommages. Le récent rapport intitulé Africa plus de réduire les obstacles qui entravent supprime les obstacles au commerce agricole. Adaptation Gap publié par le Programme les échanges nouveaux et existants, les pays L’Afrique de l’Ouest notamment pourrait des Nations Unies pour l’environnement sur devront utiliser leurs écosystèmes pour réduire ses coûts de transport de moitié le fossé en matière d’adaptation en Afrique protéger les secteurs productifs du continent en moins d’une décennie si ses politiques avertit que les changements climatiques pour- de l’impact négatif des changements clima- commerciales agricoles étaient conçues raient réduire le rendement total des cultures tiques. Il faut des écosystèmes résilients pour pour servir de fondement à la croissance en Afrique subsaharienne jusqu’à hauteur de promouvoir l’utilisation rationnelle de la économique plutôt que de lui faire obstacle, 20 % d’ici à 2070. Pire encore, ils pourraient biodiversité et du patrimoine naturel. Cette affirme la banque. commencer à nuire au potentiel commercial utilisation permettra de préserver l’environ- En outre, avec l’aggravation des chan- de l’Afrique. C’est ainsi qu’une élévation de nement naturel de la dégradation et s’assurer gements climatiques, les industries et 70 centimètres du niveau de la mer projetée qu’il demeure productif et continue de contri- l’agriculture devront riposter. Les experts en Tanzanie d’ici à 2070 pourrait dévaster buer au développement économique. recommandent une augmentation de la la ville portuaire de Dar es Salaam, la ville production de biens et services environ- la plus grande et la plus riche du pays et un Obstacles en tous genres nementaux comme une option viable. Ces acteur majeur des échanges en Afrique de Selon la Banque mondiale, la production biens et services sont des bienfaits dont des l’Est. Ce scénario coûterait au pays environ 10 alimentaire pour des populations urbaines écosystèmes sains permettent de bénéfi- milliards de dollars de dommages matériels et rurales à forte croissance constituera la cier. Ils comprennent l’air pur, l’eau douce, et pertes liées. Les écologistes préviennent plus grande opportunité de croissance pour la purification de l’air et de l’eau provenant que l’élévation du niveau de la mer pourrait les agriculteurs africains. Le secteur agricole des forêts, la pollinisation des cultures et la 10 AfriqueRenouveau Août 2014
reconstitution des nappes d’eau souterraines durables. Ce fut le cas récemment lorsqu’un permettront à l’Afrique de s’ouvrir à des à travers les zones humides. Ces biens et projet incorporant une approche fondée marchés de qualité supérieure. Comme pour services étaient évalués à 690 milliards de sur les écosystèmes a permis de former 120 le projet de beurre de karité au Burkina Faso, dollars en 2006, mais pourraient atteindre femmes à la production du beurre de karité de les produits ainsi obtenus peuvent accéder 1900 milliards de dollars en 2020 selon le haute qualité, leur permettant d’augmenter aux marchés « durables », où leurs prix de PNUE, compte tenu de l’augmentation de la leurs ventes de 18 dollars supplémentaires vente sont supérieurs. demande mondiale. Par conséquent, pour par mois en moyenne. L’approche fondée sur stimuler le commerce, les experts insistent les écosystèmes est une méthode agricole qui Introduire des réformes sur la nécessité de diversifier les exportations favorise la conservation et la durabilité grâce commerciales au-delà des produits de base. Les gouverne- à une gestion intégrée des terres, de l’eau Même si les biens et services environnemen- ments doivent aussi adopter des politiques et des ressources. Les femmes sont désor- taux permettent d’accroître les débouchés qui permettent à davantage de personnes de mais encore plus motivées pour protéger commerciaux, les obstacles au commerce en participer au commerce. Mais l’utilisation leurs cinq hectares d’arbres de karité et Afrique persisteront. Les principales recom- durable des écosystèmes permet-elle d’at- l’écosystème associé (qui fait partie de leur mandations de la Banque mondiale vont dans teindre cet objectif ? chaîne de production) de la destruction et le sens de réformes du secteur du commerce de la déforestation. et d’un renforcement des institutions qui Stimulation des échanges grâce Partout en Afrique de l’Ouest, 4 à 5 conçoivent et mettent en œuvre la réglemen- aux écosystèmes millions de femmes dépendent presque entiè- tation. La Banque veut que les pays africains « Repenser les possibilités » est l’expres- rement de la noix de karité pour leur subsis- réduisent le coût des échanges transfron- sion employée par les spécialistes du déve- tance, selon l’Organisation des Nations Unies taliers. Selon la Banque, les coûts associés loppement pour insister sur le fait qu’il est pour l’alimentation et l’agriculture Le recours aux échanges en Afrique subsaharienne sont possible de se servir des ressources naturelles élargi à l’approche fondée sur les écosys- deux fois plus élevés qu’en Asie de l’Est et dans comme moyens de production. En utilisant tèmes pourrait accroître la production pour les pays membres de l’Organisation de coopé- les services écosystémiques à bon escient, la consommation locale et pour l’exportation. ration et de développement économiques l’Afrique pourrait protéger ses ressources (OCDE). Elle plaide en faveur de la suppres- naturelles et augmenter le volume de ses Développement du commerce sion d’une série de barrières non-tarifaires échanges au sein du continent ainsi qu’avec en Afrique au commerce, y compris les règles restric- le reste du monde. Et cette protection est D’un certain nombre de façons, l’Afrique tives quant à l’origine des marchandises, assurée avec des coûts supplémentaires pourrait stimuler le commerce si elle exploi- l’interdiction des importations et exporta- minimes ou nuls. tait ses vastes ressources naturelles en tions et les licences coûteuses. Dans la région Quelques approches écosystémiques, adoptant des approches écosystémiques. d’Afrique subsaharienne, relève la Banque, il telles que l’utilisation de « pollinisateurs Elle pourrait ainsi tout d’abord, augmenter faut en moyenne 38 jours pour importer des indigènes » gagnent déjà en popularité. le volume des échanges agricoles grâce à des marchandises et 32 jours pour les exporter On parle aussi de « l’agriculteur ami des rendements plus élevés. En Zambie, les agri- au-delà des frontières - soit, deux des plus abeilles ». Cette approche suppose que les culteurs ont augmenté les rendements des longs temps d’attente au monde. Cependant, habitats d’abeilles sont protégés lorsque les cultures de 60 % en passant des pratiques même si les nouveaux biens et services envi- agriculteurs limitent le labourage, permettent monoculturales aux cultures intercalaires et ronnementaux risquent de se trouver bloqués aux cultures de fleurir, plantent des haies à d’autres méthodes durables. En deuxième du fait de ces barrières, les experts estiment végétales ou des brise-vent avec des arbustes à lieu, un plus grand recours à l’approche que les services bancaires mobiles et d’autres fleurs, réduisent ou éliminent l’utilisation de fondée sur les écosystèmes favorisera le dispositifs transfrontaliers innovants pour- pesticides et travaillent avec les propriétaires passage de méthodes traditionnelles à des raient améliorer la situation. fonciers du voisinage pour protéger les zones méthodes agricoles durables parce que le Les écologistes affirment déjà que les naturelles. En investissant dans la protection marché mondial des biens et services envi- services écosystémiques devraient cesser des habitats naturels des abeilles, les agricul- ronnementaux connaît une croissance rapide. d’être considérés comme gratuits et illimités. teurs investissent dans leurs cultures. Les Les pratiques reposant sur les écosys- Il conviendrait au contraire de les protéger abeilles et l’utilisation durable d’autres tech- tèmes pourraient aider l’Afrique à tirer parti contre les effets des changements clima- niques de gestion peuvent accroître les rende- des atouts que présentent les biens et services tiques. Il est toutefois entendu que l’intro- ments des cultures de 5 %, selon un article environnementaux. duction de biens et services environnemen- publié par la Royal Society de Londres . Troisièmement, en raison de la diver- taux dans les économies africaines pourrait En outre, ces techniques sont plus grati- sité des cultures produites, les pratiques accroître les avantages économiques, sociaux fiantes à l’endroit des agriculteurs qui se reposant sur les écosystèmes permettront à et environnementaux dont jouit le continent. retrouvent face à un produit de meilleure l’Afrique de conquérir de nouveaux marchés. Et c’est là un triple avantage. qualité à vendre. Ainsi, au Burkina Faso, où Grâce à l’agroforesterie (cultures interca- Richard Munang est le coordonnateur régional la noix de karité est la deuxième culture de laires, cultures de barrière et utilisation de pour les changements climatiques du Bureau rente la plus exportée (après le coton), les cultures fixatrices d’azote), les petits agri- régional pour l’Afrique du PNUE. Jesica techniques reposant sur les écosystèmes culteurs peuvent produire une plus grande Andrews est spécialiste de l’adaptation des pourraient améliorer la qualité des noix de diversité de cultures. Et enfin, des produits écosystèmes au Bureau régional pour l’Afrique karité et garantir des méthodes de production de meilleure qualité ou plus écologiques du PNUE. AfriqueRenouveau Août 2014 11
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