Quelle indépendance pour les écoles hors contrat ? - DANTE

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Quelle indépendance pour les écoles hors contrat ? - DANTE
MASTER 2 SOCIOLOGIE – MÉDIATION, INTERVENTION SOCIALE ET SOLIDARITÉ

                      MÉMOIRE DE RECHERCHE

                                     2018/2019

                                Ariane Boudot

 Quelle indépendance pour les écoles hors contrat ?

          Sous la direction de Patricia Vannier, maîtresse de conférences à
           l'Université Toulouse Jean Jaurès, département de sociologie
Quelle indépendance pour les écoles hors contrat ? - DANTE
Remerciements

Je remercie infiniment l’équipe de l’école qui m’a accueillie près de six mois pour mon stage de fin
de master.

Tout particulièrement Kim pour sa confiance, Marina pour son accueil et Florence pour nos
échanges.

Je remercie les élèves de la classe de maternelle de m’avoir laissée apprendre à leurs côtés.

Je remercie l’ensemble de l’équipe du master MISS qui a permis la réalisation de ce stage et ce
mémoire de recherche.

Je remercie Patricia Vannier pour avoir suivi, encouragé et éclairé ce travail.
Quelle indépendance pour les écoles hors contrat ? - DANTE
Table des matières
Introduction........................................................................................................................................1
Chapitre 1 – Contextualisation..........................................................................................................2
  1. Au carrefour de différentes disciplines........................................................................................2
  2. L’articulation de plusieurs objets de recherche............................................................................3
     Les programmes scolaires, symbole des décisions politiques venues « du haut ».....................4
     La pluralité des acteurs de l’École.............................................................................................5
     La teneur du métier.....................................................................................................................9
  3. L’ancrage de la recherche dans un contexte politique et pédagogique......................................12
     L’actualité des écoles hors contrat...........................................................................................12
     Le choix des mots......................................................................................................................14
Chapitre 2 – Préparer l’enquête......................................................................................................18
  1. L’intérêt scientifique d’un tel sujet............................................................................................18
  2. Le lieu de l’enquête....................................................................................................................22
  3. Méthodologie, du particulier au général....................................................................................24
  4. Lectures, du général au particulier.............................................................................................25
     Les multiples enjeux de l’École ou des écoles..........................................................................25
     Comprendre ce qui mène aux écoles alternatives.....................................................................26
     Les écoles alternatives : l’enquête de terrain dans une école différente..................................27
Chapitre 3 – La phase d’enquête.....................................................................................................30
  1. L’entrée sur le terrain.................................................................................................................30
  2. Interroger les réseaux.................................................................................................................32
Chapitre 4 – Ce que désigne l’indépendance.................................................................................34
  1. Un désir politique ?....................................................................................................................35
  2. Recherche de spécificité, éducation différenciée.......................................................................40
  3. Liberté pour les individus, contrôle des institutions..................................................................43
  4. Un contrat tacite.........................................................................................................................45
  5. Les écoles hors contrat, tentative de réponse à la crise de l’école ?..........................................46
  6. Compenser l’absence de l’institution.........................................................................................51
Chapitre 5 – L’école hors contrat, reflet des enjeux sociaux contemporains ?...........................53
  1. Théâtre d’inégalités sociales......................................................................................................53
  2. Pédagogies en concurrence........................................................................................................55
  3. Le projet politique......................................................................................................................57
  4. Une école à la carte....................................................................................................................57
Conclusion.........................................................................................................................................58
Documents annexes..........................................................................................................................62
Bibliographie.....................................................................................................................................67
Quelle indépendance pour les écoles hors contrat ? - DANTE
Introduction

L’école est un terrain d’investigation privilégié des sciences sociales. Par ce que représente
l’éducation dans l’organisation de nos sociétés, de multiples angles ont été adoptés par la recherche
pour saisir ses enjeux. La sociologie de l’école, la sociologie de l’éducation et la sociologie du
système éducatif sont des champs de la recherche qui interrogent la substance d’une institution et
met en lumière ses logiques qui conditionnent, reflètent et caractérisent le fonctionnement politique
de l’État. En choisissant un terrain de la sphère éducative, on s’attend donc à mobiliser aussi des
concepts qui ne sont pas propres à celle-ci dans la mesure où il est intéressant d’adopter différentes
échelles d’analyse, du particulier au général. Dans le cadre de la recherche sur les écoles hors
contrat, l’indépendance, le choix et la liberté sont trois idées qui ont émergé et méritent d’être
discutées au regard de la place de ces établissements dans le paysage éducatif. L’ambition
sociologique est de faire dialoguer le phénomène factuel – l’existence de ces écoles, le contexte
dans lequel il s’inscrit et les logiques plus générales de l’évolution de la société. Grâce à cela, on
souhaite en apprendre sur la nature des changements du monde social.

Le choix de l’école par les familles et les élèves révèlent des tensions dans un État qui a
institutionnalisé l’École comme objet de lutte contre les inégalités et qui expriment un attachement
à l’idée d’une école pour tous. Nous sommes donc là face à une contradiction entre cette idée et le
développement de l’entreprise privée en matière d’éducation, qui renvoie à une école pour chacun.
La liberté est donc discutée : quelle est sa nature et quelle est son ampleur ? Libre de choisir, mais
parmi quelles options ? Ces questions orientent la réflexion vers l’étude du fonctionnement de
l’établissement hors contrat puisqu’il est l’une de ces options. Il symbolise l’indépendance.
Pourquoi est-il alors choisi ? Quelles stratégies sont à l’origine de ce choix ?

La réalisation de ce mémoire a été motivée par la volonté d’observer des interactions à l’école. Sans
objectif particulier en principe, c’est par curiosité, mais aussi par hasard que ce mémoire a pris cette
forme. L’enseignement privé était un terrain étranger, et s’est révélé être un terrain plus accessible
que l’école publique. La qualité de hors contrat s’est imposée comme angle de recherche tant elle
semblait être une curiosité sociologique mais aussi politique. Il faut garder à l’esprit que ce travail
porte sur les écoles maternelle et élémentaire. Des situations propres à l’enseignement secondaire
seront parfois abordées si elles résonnent avec l’argumentaire en cours, mais si rien n’est précisé,
cela renvoie aux écoles primaires, tout comme les résultats de l’enquête.

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L’analyse de ce phénomène fait donc appel à divers domaines de la recherche, pour comprendre les
aspects pédagogiques, institutionnels, politiques, économiques… Cela permet de faire émerger une
définition de l’ensemble des acteurs qui interagissent dans le cadre de notre sujet, l’environnement
dans lequel ils évoluent et les règles auxquelles ils sont soumis. Nous développerons tous ces
thèmes avant de spécifier les particularités du phénomène au regard de l’actualité politique et
pédagogique. Ensuite, nous présenterons l’enquête qui donnera lieu à une série d’analyses et de
résultats potentiels dans le but de donner des clefs de compréhension du monde social dans lequel
nous évoluons.

Chapitre 1 – Contextualisation

1. Au carrefour de différentes disciplines

L'objet de ce mémoire de recherche est l’organisation des écoles alternatives qui fleurissent dans le
paysage éducatif français depuis les années 2010. Selon leurs différents degrés de dépendance vis-à-
vis du système public et donc de l’État, des questions se posent quant à leur fonctionnement. À mi-
chemin entre la science politique et la sociologie de l'éducation, ce travail rend compte d’une
enquête de terrain qui, au regard de ces deux champs académiques, analyse des phénomènes locaux
trouvant leur source dans des directives nationales. Il est question de comprendre comment les
textes des politiques éducatives sont utilisés ou mis de côté par ces écoles qui se revendiquent
différentes, comment ces dernières se positionnent dans un système dans lequel l’éducation était
jusqu’alors pensé comme un service public et gratuit.

Pour une analyse des dynamiques organisationnelles de ces établissements, la science politique
vient mettre en lumière certains points que la sociologie de l’éducation avaient mis de côté. La
sociologie de l'éducation, éclairée par des outils de science politique, permet l’étude du sujet au
regard de deux échelles d’analyse. En effet, ce travail se doit de considérer le système éducatif
comme un moteur des questions posées par la recherche. C’est en son sein que se développent les
dynamiques traitées pendant l’enquête, il est donc important d’évoquer ses rouages, ses
particularités, ses tendances et la contexte politique. L’axe enseignement privé/public constitue un
pilier de cette recherche.

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Les écoles privées alternatives, et notamment celles qui sont hors contrat de l’Éducation Nationale,
se retrouvent régulièrement au cœur des débats législatifs au sujet de leur encadrement qui, en
fonction des gouvernements, tend à être plus ou moins renforcé par des mesures de contrôle. Le lien
avec le ministère est alors plus ou moins étroit, mais toujours manifestement existant. C’est ce qui a
mené à la prise en considération de la science politique pour ce mémoire. Elle connaît un angle mort
dans la recherche en ce qui concerne les textes et réformes scolaires. Les années 2010 ont été le
temps de la publication d’articles incitant les politistes à s’y intéresser, cela ne pouvant se faire sans
la prise en compte des travaux de sociologie existants. Ici, la science politique comprend la
sociologie politique et la sociologie de l'action publique, quand le mot sociologie recouvrera de
façon schématique les sciences de l'éducation et la sociologie de l'éducation.

Une série de questions de départ forme la base du travail de recherche autour des écoles hors
contrat. Plus précisément, il s’agit de décortiquer la nature de la dépendance (et, par la force des
choses, de l’indépendance et de l’interdépendance) qu’il existe entre les écoles qui se positionnent
en dehors de l’institution scolaire publique. Ainsi, nous pouvons formuler ces questions : les écoles
différentes utilisent des méthodes et pratiques qui ne sont pas celles des écoles sous contrat de
l’Éducation Nationale. Dans quelle mesure cette affirmation est-elle vraie ? Elles orientent leur
discours vers des pratiques innovantes et alternatives : quelles sont-elles ? Et en mettant en pratique
des innovations, les écoles différentes tendent-elles à faire en sorte que l’école traditionnelle les
reprennent, ou la différence est-elle un objectif en soi ? On perçoit une double dynamique de prôner
une éducation meilleure, mais de maintenir l’indépendance, le particularisme. Dans quelle mesure
les écoles alternatives ont-elles une ambition universaliste ?

Pour répondre à ces questions, on tentera de maîtriser l’ensemble des objets qui relèvent de la
sociologie de l’école gravitant autour du sujet principal de la recherche. Ils seront présentés tels que
la sociologie de l’éducation les connaît, sans, pour le moment, affiner ces définitions au niveau de
l’école hors contrat. C’est grâce à des considérations générales au début que nous parviendrons,
suite à une enquête enrichie par ces éléments, à tirer des conclusions propres aux écoles hors contrat
de l’Éducation Nationale.

2. L’articulation de plusieurs objets de recherche

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Les programmes scolaires, symbole des décisions politiques venues « du haut »

La question des programmes scolaires dans un travail qui traite des écoles hors contrat est
pertinente parce que ces dernières, si elles ne sont pas tenues de les suivre rigoureusement, se
révèlent dépendantes de ces décisions venues du haut. C’est un outil intéressant pour saisir
l’imbrication entre les mesures publiques et les établissements privés. L’objet « programme »
l’illustre bien. Il existe un certain nombre de ressources scientifiques présentant des études sur les
programmes scolaires. Dans un entretien donné pour la revue Carrefours de l'éducation1,
Dominique Raulin rend compte de ses recherches sur la fabrique des programmes scolaires. Il
estime que l'évolution de ces derniers a été orientée vers l'atténuation de la marge d'implicite qui
était présente dans les textes. « C’est dans les quarante dernières années que les contenus
d’enseignement ont été le plus fortement modifiés », avec le début de la pédagogie par objectifs.
Celle-ci se traduit par l'approche par compétences avec la réforme Fillon de 2005. La diversification
et massification de la quantité des connaissances forcent une redéfinition des programmes scolaires,
mais aucune stratégie ne fait consensus au sujet du contenu. Quelle place laisser au savoir
« encyclopédique » ? Quels instruments pédagogiques sont les plus efficaces ? Les réponses
apportées à ces questions ont varié sensiblement d'une époque à l'autre, et l'accélération des
dynamiques des savoirs par leur accessibilité rend le débat très vif. L'approche par compétences est
justifiée par la nature des savoirs encyclopédiques. Ils sont lourds et denses, et moins directement
valorisés sur le marché du travail. Ils sont partiellement substitués par des apprentissages pratiques,
le savoir-faire est évalué au même titre que la connaissance. Le développement de ces nouvelles
approches s'inscrit dans un paradigme auquel est confronté l'ensemble des acteurs de l'école à
échelle internationale, et elles sont largement intégrées dans les mouvements d’écoles alternatives
qui cherchent à se créer des lignes directives propres. Elles s’inspirent ainsi de ces méthodes
présentées comme plus modernes. Les apprentissages pratiques sont, comme nous le verrons au
cours de la recherche, un axe mobilisé dans le discours des nouvelles écoles.

Pauline Ravinet2 en 2009 explique que des organisations internationales comme l'Union
Européenne ou l'OCDE participent aux transformations des systèmes éducatifs de ses pays
membres. La science politique aura donc tendance à élargir sa focale au niveau des États pour
comprendre l'uniformisation des systèmes éducatifs nationaux les uns par rapport aux autres. On

1   Dominique Raulin et al., « La réforme en éducation, vue par des acteurs », Carrefours de l'éducation, n°41, 2016, p.
    201-221.
2   Pauline Ravinet, « Comment le processus de Bologne a-t-il commencé ? La formulation de la vision de l'Espace
    Européen d'Enseignement Supérieur en 1998 », Éducation et sociétés, n°24, 2009, p. 29-44.

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note ici que notre terrain d’enquête est une école qui revendique son inspiration du modèle
finlandais. Ces écoles utilisent donc divers moyens directement hérités des politiques publiques
nationales et internationales pour créer leur identité.

On comprend que l’évolution de la sphère éducative est soumise à des aspirations politiques
orchestrées par des acteurs nationaux qui portent un intérêt aux moyens pédagogiques utilisés dans
leur État. Ils s’inspirent de ce qui se fait au-delà des frontières pour que les pratiques pédagogiques
des acteurs de l’école soient efficaces au niveau des apprentissages, compétences et valeur sur le
marché du travail.

La pluralité des acteurs de l’École

Ces acteurs de l’École doivent alors s’approprier les mesures prises par leur hiérarchie. La présente
recherche s’intéresse à leur profil et leurs pratiques, ce dans un premier temps sans distinction
d’environnement de travail (public, privé). Il sera ensuite intéressant de dégager ces différences,
mais le métier de professeur des écoles en tant que tel est à définir.

Selon Marianne Blanchard et Joanie Cayouette-Remblière dans leur Sociologie de l'école3, les
enseignants sont aujourd'hui un groupe socio-professionnel largement étudié. C'est principalement
sur le chapitre « Les enseignants et professionnels du système éducatif » de ce livre que repose cette
partie. Les enseignants, en général, forment un corps professionnel qui a un lien avec l'État faisant
partie intégrante de leur identité socio-professionnelle et ce dans l’imaginaire de l'ensemble de la
population. Ils ont un statut social propre4, et dépendent en tant que groupe de ses évolutions.
Géraldine Farges explique une baisse du prestige et des privilèges assignés à cette profession depuis
les années 2000, notamment par l'allongement du temps d'études. Les professeurs des écoles ne sont
plus particulièrement les plus diplômés.

L’ouvrage Professeurs des écoles au XXIème siècle. Portraits socioprofessionnels, de André D.
Robert et Françoise Carraud publié en 2018 5, informe que 45 % des enseignants du premier degré
ont été remplacé entre 2003 et 2013, pour cause de départs à la retraite. Cet ouvrage de sociologie

3   Marianne Blanchard, Joanie Cayouette-Remblière, Sociologie de l'école, La Découverte, 2016.
4   Géraldine Farges, « Le statut social des enseignants français », Revue européenne des sciences sociales, n°49, 2011.
5   André D. Robert, Françoise Carraud, Professeurs des écoles au XXIème siècle. Portraits socioprofessionnels, Paris,
    Presses Universitaires de France, 2018

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cherche à rendre compte du changement de génération qui a été opéré au sein de ce corps
professionnel.

« On a voulu faire un livre qui reconnaisse le métier de professeur des écoles », dit Françoise
Carraud dans un entretien pour le Café pédagogique6. Il y a cette idée de statut et reconnaissance
sociale à prendre en compte dans la recherche. La valeur accordée par les enseignants à leurs
profession et activité, ainsi que la construction de leur identité professionnelle seront discutées au
cours de ce travail. La profession est un « lieu de socialisation et de médiation entre l’individu et la
société »7 : c'est pourquoi la nature de la présente recherche se doit de considérer le public comme
un groupe professionnel ayant des attributs propres. Si la société dans cette définition représente le
monde social dans son ensemble, alors l'individu, enseignant, récepteur de la politique publique,
pourra utiliser la profession pour renvoyer à la société le produit de son interaction avec la
puissance publique, qu’il travaille dans le public ou dans le privé, où l’identité est à construire.

Ces éléments alimentent la réflexion sur le terrain et la grille d’observation. Une des conclusions de
l’ouvrage montre que le métier de professeurs des écoles, malgré des évolutions, demeure motivé
par le sentiment de vocation. Les résultats de l’enquête de terrain seront à mettre en dialogue avec
cette notion de vocation : qu’en est-il de l’enseignement privé hors contrat ? Comment les
enseignants se perçoivent-ils ?

Néanmoins, malgré la persistance de la vocation, cette profession de fait pas état d'une homogénéité
parfaite. Dans l'enseignement secondaire, les statuts divergent entre certifiés, agrégés et
contractuels. Dans l’enseignement primaire, ce qui ressort des travaux, c’est le fait de travailler avec
des générations différentes et dont les pratiques culturelles et sociales diffèrent. Les instituts de
formation ont changé : écoles normales jusqu’en 1990, puis les instituts universitaires de formation
des maîtres (IUFM) supprimés en 2013, pour laisser place aux écoles supérieures du professorat et
de l'éducation (ESPE). Selon Agnès Van Zanten et Philippe Rayou dans Enquête sur les nouveaux
enseignants : Changeront-ils l'école ?8, en 2004, les « nouveaux enseignants » (primaire et
secondaire) ont entre 3 et 5 d'expérience. Ils ont un rapport spécifique à leur profession, c'est une
illustration de l'hétérogénéité de cette sphère. L'enquête présente une autre approche de la notion de

6   François Jarraud, « Françoise Carraud : Pour une reconnaissance du métier de professeur des écoles », Café
    pédagogique, [en ligne], 13 juin 2018,
    http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/06/13062018Article636644693817457555.aspx, consulté le
    6 février 2019.
7   Joseph Cacciari, « Nadège Vezinat, Sociologie des groupes professionnels », Lectures, Les comptes rendus, 2016.
8   Agnès Van Zanten, Philippe Rayou, Enquête sur les nouveaux enseignants : Changeront-ils l'école ?, Bayard, 2004.

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vocation. Ils montrent que le choix du métier par vocation est moindre en comparaison de
l'aspiration de ces enseignants à exercer à d'autres postes dans l'Éducation Nationale au cours de
leur carrière. C’est-à-dire que si la vocation reste visible, selon ces chercheurs, l’ambition d’occuper
des postes qui ne se limitent pas à l’enseignement est importante.

Il y a eu une tendance à la moyennisation de ce corps de métier qui attire moins qu'auparavant les
étudiants (Farges, 2011). Cet aspect de la perception de leur métier diffère des enseignants avec plus
d'ancienneté. Pour ce qui relève des caractéristiques sociales, Deauviau écrit en 2005 9 que « les
enfants d'ouvriers et d'employés deviennent, toutes choses égales par ailleurs, plus souvent
enseignants du secondaire que les enfants de cadres ». Cette tendance illustre de la moyennisation
du métier, et soutient l'idée que l'origine sociale des parents, l'âge, le sexe (majoritairement des
enseignantes, à 69 %10, primaire compris) influencent les pratiques et la culture professionnelles.
Marianne Blanchard et Joanie Cayouette-Remblière fournissent des données statistiques sur la
répartition par sexe, âge, origine sociale des enseignants. Ces indicateurs enrichissent l’enquête de
terrain. Il faut également renseigner cette dernière en par rapport à la qualité des conditions de
travail : le temps consacré à la correction de copie, la place accordée aux pratiques disciplinaires
etc. sont tributaires de critères contextuels et teintent la nature du métier.

D’autres acteurs sont à prendre en compte puisqu’on met en question les rapports hiérarchiques
avec l’institution Éducation Nationale. L’inspection est un levier de réflexion au fil du
raisonnement. Le métier d’inspecteur est présenté dans le livre Sociologie de l’école de Marie
Duru-Bellat, Géraldine Farges et Agnès Van Zanten 11. C’est un métier qui a évolué depuis les
années 1970. Il a fallu inspecter non plus seulement les enseignants, mais aussi les dispositifs, les
politiques et des établissements dans de nouvelles configurations comme ceux hors contrat. Les
inspecteurs ne « contrôlent » plus uniquement : une partie de l’exercice relève du conseil et de la
médiation. La dimension évaluative a été atténuée au profit d’une mission coordinatrice de l’action
éducative. Cependant, l’impact des inspecteurs est relatif, voire ne produit pas les effets que le
système attend de lui. Le système français inspecte l’enseignant à titre individuel, ce qui le place
comme responsable individuel de la qualité de l’enseignement. Les inspecteurs peuvent facilement
être perçus comme pesants pour les enseignants. Il est difficile de ne pas tenir compte de
l’accroissement géographique connu par ce corps de métier. Ils couvrent ainsi une plus grande zone,

9  Jérôme Deauvieau, « Devenir enseignant du secondaire : les logiques d’accès au métier », Revue française de
   pédagogie, n°150, 2005, p. 31-41.
10 Marianne Blanchard, Joanie Cayouette-Remblière, Sociologie de l'école, La Découverte, 2016.
11 Marie Duru-Bellat, Géralidine Farges, Agnès Van Zanten, Sociologie de l’école, Armand Colin, 2018.

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perdant ainsi de la proximité, un ancrage territorial. La distance avec le lieu et ses acteurs est
agrandie. Si l’inspecteur n’est pas dans une posture de pair, la confrontation est alors un jeu, loin du
reflet du rôle quotidien de l’enseignant à l’école.

En préparant le terrain de l’école hors contrat, le thème de l’inspection a été évoqué souvent.
L’inspection peut être impromptue dans ces écoles, elles sont redoutées. La comparaison de leur
déroulement et leur perception par le personnel pédagogique sont un élément d’enquête.

Le cadrage théorique invité à se référer à une recherche effectuée par les sociologues Yves Dutercq
et Vincent Lang12, portant sur la transformation des modes d’action des personnels d’encadrement
de l’éducation, qui date de 2001. Le constat de la décentralisation est un pilier de la réflexion. Cette
décentralisation a donné lieu à l'éclatement des lieux d'administration. Si la ligne gouvernementale
conserve l'ascendant sur les pratiques locales, il y a une territorialisation des pratiques nées des
différentes politiques éducatives. L'enquête a interrogé cent chefs d'établissement (pour la plupart
d'ex-enseignants), des inspecteurs et membres de collectivités territoriales. Le lien avec notre sujet
se trouve dans l’intérêt à connaître les enjeux du système éducatif français. L’enquête a été réalisée
par questionnaires et entretiens. Au sein des établissements, les relations sont fondées sur une stricte
séparation des tâches pédagogiques et des tâches administratives. Les enseignants distinguent ces
deux types de missions et donc les acteurs de l'établissement astreints aux tâches administratives
uniquement sont définis par celles-ci. Le chef d'établissement endosse alors le rôle de médiateur
entre enseignants, personnels administratifs, et les instances de régulation extérieures à l'école qui
symbolisent l'Éducation Nationale. Or, le développement des techniques managériales rend ambigu
le rapport entre chef d'établissement, manager en devenir, et les enseignants qui tiennent à leur
autonomie pensée comme une condition d'exercice du métier. Une vaste enquête d'Anne Barrère 13
réalisée sur deux ans confirme que les chefs d'établissement sont assimilables à des « managers de
la République ». Ce rôle modifie aussi la nature des métiers enseignants qui s'associent maintenant
à des idées d'innovation, de solidarité collective, d'éthique, tout ceci orchestré par le chef
d'établissement qui doit obtenir l'adhésion des professeurs à ces nouveaux modes d'action. Dutercq
et Lang parlent d'évolutions de la configuration et du cadre idéologique de l’action éducative.

Cette enquête assure l’idée selon laquelle la notion de réseau est importante dans la nouvelle
organisation du travail à laquelle n’échappe pas la sphère publique. Le réseau, peu importe la forme
12 Yves Dutercq, Vincent Lang, « L'émergence d'un espace de régulation intermédiaire dans le système scolaire
   français », Éducation et sociétés, n°8, 2001, p. 49-64.
13 Anne Barrère, Sociologie des chefs d’établissement : les managers de la République, Paris, PUF, 2006.

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qu’il prend, est prendre en compte en tant qu’objet sociologique sur le terrain de l’enquête. Il est à
étudier puisqu’il a, comme l’ensemble de l’organisation du travail, une influence sur les pratiques
des enseignants.

La teneur du métier

Une bonne connaissance en amont des pratiques et du déroulement des journées en classe est un
outil pour la réalisation de l’enquête de terrain. Les recherches sur les pratiques enseignantes en
sociologie mettent lumière des routines dont on espère tirer des éléments de réponse aux questions
sur le fonctionnement des écoles hors contrat de l’Éducation Nationale. La littérature relevant de
l’analyse des pratiques enseignantes permet l'élaboration de grilles d'observation qui prennent en
compte les représentations des enseignants par rapport à leurs propres pratiques, et, plus largement,
elles permettent de mieux connaître l'environnement social des enseignants, le lieu où se jouent une
grande partie des dynamiques liées aux politiques éducatives : la salle de classe. Les façons
d’enquêter à l’école publique ou privée sous contrat sont considérées comme les mêmes à adopter à
l’école indépendante.

Laurent Talbot est sociologue, et a produit des recherches en sociologie de l'éducation, s'intéressant
aux pratiques enseignantes. L'article « Les pratiques d’évaluation orale des enseignants du primaire
et du secondaire », pour la revue Mesure et évaluation en éducation14, fournit des outils pour
appréhender l'institution scolaire. Dans cet article, un riche travail de définition offre des concepts
intéressants pour appréhender le sujet des pratiques. Il y définit la pratique, et citant Frédéric
Tupin15, il distingue des niveaux d'analyse sociologique à prendre en compte dans l'élaboration d'un
protocole d'enquête. Tupin parle de contextes donnant à voir différentes dimensions des pratiques
enseignantes : « Le contexte microsituationnel (type d’établissement, classe, cursus des élèves,
matériel, etc.), le contexte micropériphérique (situation géographique de l’école, CSP des parents
d’élèves, culture d’appartenance, etc.), le contexte médian (curricula, programme d’enseignement,
textes officiels, etc.), le macrocontexte (politique éducative, etc.) et enfin la société dans laquelle
s’insère le macrocontexte. » Laurent Talbot utilise la focale micro-situationnelle, tandis que le
rapport à l’institution Éducation Nationale implique une analyse aux niveaux supérieurs :

14 Laurent Talbot, « Les pratiques d’évaluation orale des enseignants du primaire et du secondaire », Mesure et
   évaluation en éducation, n°34, 2011, p. 79-112.
15 Frédéric Tupin, « Les pratiques enseignantes et leurs contextes : des curricula aux marges d’action. Approche
   sociologique, regards pluriels », Note de synthèse, Habilitation à diriger des recherches (HDR), Université de
   Nantes.

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micropériphérique par l'appréhension du terrain sociologique, mais aussi les contexte médian et
macrocontexte dont l'analyse est alimentée par la science politique. Pour les écoles hors contrat,
nous allons faire apparaître chacune de ces dimensions. La définition de Tupin constitue une grille
d’analyse pertinente.

La littérature relative aux pratiques enseignantes met en avant les évolutions du métier notamment
par l’axe des nouvelles formes de travail auxquelles n’échappe l’école. Cela fait écho à ce qui a été
dit au sujet de la multiplicité des acteurs et de l’éclatement des lieux d’administration. Maurice
Tardif et Claude Lessard, auteurs de Le travail enseignant au quotidien. Expériences, interactions
humaines et dilemmes professionnels, ont travaillé sur le quotidien des enseignants au Québec. Le
métier d’enseignant comprend plusieurs aspects, il est composite 16, plusieurs tâches incombent à
l’exercice de cette activité professionnelle : le temps d’interaction avec le groupe en classe, la
préparation des cours, les interactions plus particulières avec les élèves, la correction, l’évaluation,
la surveillance, les relations avec les parents, les pairs, l’institution… Les pratiques qui s’observent
à l’échelle des établissements suivent à la fois l’évolution du système global, et le système éducatif
global suit lui-même les tendances des formes de travail qui ont été bouleversées au cours du XX ème
siècle. On pense ici au management décrit par l’enquête de Dutercq et Lang. Il s’est diffusé dans le
secteur privé dans un premier temps, mais est à l’œuvre maintenant dans les organisations
publiques. Cela a un effet sur les pratiques enseignantes (et donc dans la manière de les étudier). En
effet, le nouveau management est caractérisé par un mode de contrôle du travailleur qui est
intériorisé et effectué par les pairs.

L’accent est mis sur la complexification du système et l’analyse des pratiques montre que les
enseignants se sont adaptés à leurs conditions de travail. Les enseignants sont les exécutants d’un
travail de service, mais aussi maîtres de l’organisation de la classe. Tardif et Lessard disent que
l’effet de hétérogénéité croissante des publics (des élèves) donne lieu à un sentiment d’incertitude
professionnelle. La routine a ses limites dans la classe qui est le lieu d’interactions où l’affectivité
peut entrer en ligne de compte. Il faut exécuter et encadrer à la fois, dans un contexte
d’imprévisibilité.

Les enseignants doivent atteindre des objectifs, et pour ce faire, il faut que les élèves adhèrent à
l’exercice qu’est la scolarité. L’enseignant, pour obtenir cette adhésion, s’adonne à ces efforts de
16 Laurent Talbot, « Maurice Tardif, Claude Lessard, Le travail enseignant au quotidien. Expériences, interactions
   humaines et dilemmes professionnel, De Boeck Université, 1999 », Revue française de pédagogie, n°138, 2002, p.
   183-185.

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communication, explicitation, construction de sens, maîtrise du groupe… Ils sont face à des
individus jeunes, et ce public ne peut être encadré en suivant des règles établies générales et
techniques. L’enseignant s’investit alors émotionnellement.

Un article de Sylvain Broccolichi et Eric Roditi, « Analyses didactique et sociologique d’une
pratique enseignante »17, fait le lien ces deux champs de recherche. Il s’agit ici d’étudier la pratique
enseignante différemment qu’en regardant le cadre quotidien et routinier, mais plutôt de se
concentrer sur la mise en œuvre d’une pratique donnée. Le croisement de la didactique et de la
sociologie rend compte à la fois des processus cognitifs enseignement-apprentissage, et des
contraintes et enjeux sociaux, présents dans l’enquête Le travail enseignant au quotidien. Cette
enquête-ci est très intéressante, elle présente les comportements en classe d’un jeune professeur des
écoles, au début de sa carrière, avant de refaire une série d’observations huit ans plus tard, une fois
titularisé et devenu directeur de son école. Les chercheurs ont voulu interroger le professeur quant à
sa propre perception du métier. L’un des résultat de l’enquête dit que le jeune professeur accorde
une très grande importance à la dimension relationnelle avec les élèves. On revient à l’engagement
émotionnel que comprend cette profession. L’enseignement de la géométrie en grande section de
maternelle est le support de la recherche. En comparant cette leçon donnée à huit ans d’intervalle,
grâce à la répartition des paroles prononcées par le professeur, on apprend que la part des rappels à
l’ordre diminue, l’institutionnalisation des savoirs est et demeure faible contrairement à la
transmission de façons de faire.

D’un point de vue méthodologique, cet article est une ressource. Un seul professeur est pris en
compte, tout comme un seul terrain (un seul établissement) le sera dans notre recherche pour les
observations. Pour autant, grâce aux supports théoriques pré-existants et une maîtrise de l’ensemble
des objets présents dans l’espace social, nous tenterons de réaliser une enquête rigoureusement
scientifique.

L’enquête sur les écoles hors contrat ne va pas à proprement parler analyser des pratiques
enseignantes, mais plutôt l’organisation d’un établissement. Cependant, des classes ont été
observée, et le personnel de l’éducation a été interrogé. C’est pour ces raisons que les pratiques ont
fait l’objet d’une recherche bibliographique. La compréhension des routines et du quotidien des
acteurs étudiés est un outil sociologique. De plus, même si cela est fait avec distance par rapport

17 Sylvain Broccolichi et Éric Roditi, « Analyses didactique et sociologique d’une pratique enseignante », Revue
   française de pédagogie, n°188, 2014, 39-50.

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aux pratiques observées, cela permettra d’alimenter les réflexions autour des dimensions sociales et
pédagogiques.

3. L’ancrage de la recherche dans un contexte politique et
pédagogique

L’actualité des écoles hors contrat

En 2016, 56 000 élèves suivaient leur scolarité primaire et secondaire dans une école privée hors
contrat. A la rentrée 2018, ils étaient 73 000. Ces écoles hors contrat de l’Éducation Nationale n’ont
donc pas signé d’accord avec l’État. Il n’y pas pas d’échange financier ni subvention, mais une
autonomie pédagogique. Cette indépendance implique que les scolarités sont à la charge des
familles. Contrairement aux écoles privées sous contrat, les enseignants ne sont pas payés par l’État
mais leur recrutement se fait sans condition de diplôme. Le site internet de l’Éducation Nationale ne
donne que très peu d’informations quant aux règles auxquelles sont soumis ces établissements hors
contrat. Il mentionne sur l’une de ses pages l’enseignement privé, regroupant les écoles sous contrat
et hors contrat, sans exhaustivité. Ce sont plutôt des articles de presse en ligne qui éclairent le sujet
tels que « Au fait, c'est quoi une école «hors contrat» ? »18 sur le site du journal Libération le 9 juin
2016 ou « Hors contrat : comment comprendre le succès des écoles alternatives ? »19 le 31 août
2018 pour Le Monde, qui donnent des chiffres, parlent de la répartition territoriale et précise que le
hors contrat contient majoritairement des écoles laïques.

Des lois qui datent de plus d’un siècle consacrent la liberté d’enseignement comme liberté
fondamentale. Les conditions pour ouvrir un établissement scolaires sont restreintes : avoir le
baccalauréat et plus de 21 ans. Il faut que les bonnes mœurs y soient respectées au même titre que
l’hygiène et la sécurité. Si c’est le cas, l’établissement peut accueillir les élèves.

Le code de l’éducation dit que « les directeurs d'écoles élémentaires privées qui ne sont pas liées à
l’État par contrat sont entièrement libres dans le choix des méthodes, des programmes et des livres,

18 « Au fait, c'est quoi une école «hors contrat» ? », Libération, [en ligne], 9 juin 2016,
   https://www.liberation.fr/france/2016/06/09/au-fait-c-est-quoi-une-ecole-hors-contrat_1458286, [page consultée le
   14 janvier 2019].
19 Mathilde Damgé, « Hors contrat : comment comprendre le succès des écoles alternatives ? », Le Monde, [en ligne],
   31 août 2018, https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/08/31/hors-contrat-comment-comprendre-le-
   succes-des-ecoles-alternatives_5348308_4355770.html, [page consultée le 14 janvier 2019].

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sous réserve de respecter l'objet de l'instruction obligatoire tel que celui-ci est défini par les articles
L. 131-1-1 et L. 131-10. » Cette entière liberté n’empêche néanmoins pas les inspections. Une est
obligatoire la première année, d’autres peuvent se tenir ensuite de façon inopinée ou non. Il est ainsi
question de vérifier que l’instruction obligatoire se déroule conformément aux lois en vigueur et que
les normes sanitaires et de sécurité sont respectées.

Quelques débats ont été alimentés par ces établissements hors contrat ces trois dernières années. En
2016, la ministre de l’Éducation Nationale Najat Vallaud-Belkacem s’était emparée du sujet. En
effet, le climat socio-politique tendu de ces années-là avait exacerbé la méfiance d’élus locaux
quant à l’ouverture de ces écoles qui, pour certaines, revendiquent un caractère confessionnel. Les
mots de la ministre avaient été « des citoyens, des élus locaux sont inquiets de voir se développer en
France des embrigadements idéologiques ou confessionnels hostiles aux valeurs républicaines » en
juin 2016. Elle avait donc pris des mesures renforçant le contrôle à l’ouverture d’écoles hors
contrat : on met en place un système d’autorisation préalable à la place de courts délais d’opposition
à l’ouverture, mais en 2017, le Conseil constitutionnel censure le projet qui va contre la liberté
d’enseignement.

En 2018, le sujet est réapparu dans la sphère législative. En février, la sénatrice centriste Françoise
Gatel a fait une proposition de loi portant sur l’encadrement des écoles hors contrat, pour, à l’instar
de Najat Vallaud-Belkacem, allonger les délais offerts aux autorités pour réagir à l’ouverture d’une
école, et donc élargir leurs marges de manœuvre. Ces débats politiques et les solutions sont
difficiles à apporter car l’identification des « problèmes » (ou les phénomènes construits et inscrits à
l’agenda politique en tant que tels) est assez paradoxale. Les écoles de confession musulmanes sont
dans le viseur de ceux qui souhaitent une grande liberté pour les écoles indépendantes d’autres
confessions. L’argument de la liberté d’enseignement est fragile pour soutenir cette ligne politique
aux volontés ambiguës.

La loi Gatel a été adoptée fin mars 2018, ne résolvant pas la tension de la droite entre les écoles
concordant avec ses principes idéologiques, et les écoles d’autres appartenances religieuses ou
idéologiques. Le texte prévoit l’obligation de fournir des emplois du temps précis et la vérification
des fichiers de police pour savoir si le directeur de l’établissement y est inscrit. Néanmoins, cela ne
serait pas un motif de fermeture, il s’agit pour les autorités d’en être informées. Les contrôles
inopinés sont consacrés par cette même loi, ainsi que la notion d'intérêt de l'ordre public aux
conditions d'ouverture.

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Certaines de ces dispositions instaurent un certain flou, et n’ont pas freiné les ouvertures d’écoles
hors contrat dont le chiffre ne cesse de grossir. Les débats législatifs à leur sujet ne sont donc pas
arrêtés.

Le site internet Ecoles-libres.fr répertorie l’ensemble des écoles hors contrat ouvertes en France,
soit actuellement 945 en métropole au 27 août 2019 20. Il s’agit d’un annuaire où les écoles sont
réparties en catégories en fonction de ce que recherchent de potentielles familles intéressées par cet
enseignement indépendant.

Il faut noter que des tensions existent entre public et privé, au sein du privé mais aussi au sein du
public. Cette mise en concurrence est caractéristique du contexte politique et social dans lequel
évolue le système éducatif français. Nous reviendrons dessus pour comprendre la position des
écoles hors contrat dans le paysage scolaire français. En effet, cette concurrence est la clé d’une des
idées qui permettrait d’expliquer le succès des écoles indépendantes : elles seraient souhaitables et
souhaitées par les autorités politiques qui laisseraient volontairement une brèche disponible au
développement de ces écoles.

Bruno Poucet dans L’enseignement privé en France de 2012 définit ainsi les établissements hors
contrat : « Des établissements ne sont pas liés par contrat avec l’État et peuvent être de tous les
degrés d’enseignement. Ils sont dits hors contrat. Ils sont soumis au contrôle de salubrité et
d’hygiène des locaux, de moralité, de diplôme du directeur, de respect du socle commun des
connaissances et des compétences depuis 2006. » Spécialiste du système éducatif français suivant
l’axe privé/public, la définition de Bruno Poucet est celle qui vaut pour l’ensemble de ce travail.
Toutefois, il existe un panorama de termes adjacents à « hors contrat » qui mérite d’être éclairé.

Le choix des mots

Alternatives, innovantes, bienveillantes, libres, indépendantes… Les écoles hors contrat utilisent
diverses appellations pour se définir elles-mêmes, et il est intéressant de saisir les nuances entre les
différents adjectifs bien que leurs frontières soient parfois poreuses voire imperceptibles.

20 Au 10 juin 2019, le site en répertoriait 928.

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