Le Future Vertical Lift de l'US Army : l'aérocombat américain de prochaine génération - Fondation pour la Recherche Stratégique
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Le Future Vertical Lift de l’US Army : l’aérocombat américain de prochaine génération Le Future Vertical Lift (FVL) désigne l’ensemble des capacités ensembles capacitaires (capability set, CS) graduant les futures d’aérocombat des forces américaines. Pour l’US Army grands types de plateformes envisagés : Aviation (AA), qui en est la principale maîtresse d’œuvre, CS1 : plateforme légère de reconnaissance, d’attaque l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de remplacer partielle- armée, d’action directe des forces spéciales (etc.). Ce ment l’ensemble de ses flottes actuelles de drones – elles serait donc l’équivalent de notre hélicoptère interarmées relèvent de ses compétences au sein de l’Army – et d’héli- léger ; coptères dont la conception remonte à la guerre froide : héli- CS2 : plateforme médium d’attaque, en mesure égale- coptères de manœuvre UH-60 Blackhawk, de reconnaissance ment de réaliser des missions d’évacuation de ressortis- et d’attaque AH-64E Apache puis, ultérieurement, hélicop- sants (RESEVAC), de lutte anti-sous-marine (ASM), de tères de transport lourd (HTL) CH-47 Chinook. Le FVL consti- recherche et sauvetage au combat (RESCO), etc. ; tue donc une vraie rupture et se place parmi les priorités capacitaires de l’Army pour pouvoir commencer à contri- CS3 : plateforme médium de lutte antimine, d’assaut aé- buer, dans une décennie, aux opérations multidomaines en romobile et amphibie, de MEDEVAC, de soutien logis- mesure de faire pièce aux systèmes de déni d’accès et tique, etc. ; d’interdiction de zone (A2/AD) des compétiteurs russes et CS4 : plateforme médium plus importante privilégiant le chinois. MEDEVAC, l’assaut aéromobile et le soutien ; Le FVL ne se présente pas comme une simple juxtaposition CS5 : plateforme lourde pour les mêmes missions1. de nouvelles plateformes, en l’occurrence le Future Attack Reconnaissance Aircraft (FARA), le Future Long Range Assault Le FVL de l’Army dans les opérations multidomaines Aircraft (FLRAA) et les Future Unmanned Aircraft Systems (FUAS), mais bien comme un « système de systèmes » cohé- Le développement du FVL au sein de l’Army Aviation s’inscrit rent, incluant aussi des armements, des capteurs et des avio- depuis deux ans dans la réalisation du concept de Multi- niques conçues selon une architecture ouverte modulaire Domain Operations (MDO). Rappelons que MDO est la ré- (MOSA) commune. Les études de coût semblent montrer ponse de l’Army aux capacités russes et chinoises de déni que cette vaste entreprise pourrait rester financièrement d’accès et d’interdiction de zone (A2/AD) qui contestent la abordable au regard du niveau de dépenses déjà consenties supériorité américaine dans l’ensemble des domaines de par l’Army pour son aviation. Le FVL constitue enfin un enjeu lutte (terre, air, mer, cyber, espace). Le concept MDO mise industriel majeur pour la BITD américaine dont il va transfor- sur la synergie des opérations de l’ensemble des compo- mer les procédés et la physionomie. Cependant, les choix santes et des systèmes d’arme, sur leur aptitude à créer des programmatiques restant à faire, les marges financières dis- fenêtres de supériorité par la convergence des effets dans un ponibles, la criticité et la pertinence de l’entreprise, tant stra- ou plusieurs de ces domaines puis à exploiter ces fenêtres tégiques qu’opérationnelles, nourrissent bien des incerti- pour désarticuler le dispositif A2/AD adverse. Cette transcrip- tudes sur la forme que prendra en réalité le FVL. tion élargie de la logique de la manœuvre interarmes est Les « Capability Set » interarmées donc un concept de portée clairement interarmées, que l’Ar- du Future Vertical Lift my a d’ailleurs élaboré avec l’appui des Marines et de l’Air Force. Les capacités du FVL ne concernent en soi pas uniquement l’US Army même si elle assurera l’essentiel de leurs mises en Devant être déployés rapidement, avec une faible em- œuvre. Elles ont été génériquement déclinées en 2013, par preinte, les systèmes FVL doivent jouer un rôle de premier l’état-major interarmées américain (Joint Staff), en plusieurs plan dans cette conception. En période permanente de com- pétition, ils contribuent à la dissuasion. En cas de conflit, les 14
L’aviation de l’Army dans le concept d’opérations multidomaines Source : COL Mike Best, Aviation and MDO Perspective, PEO Aviation Industry Day, 12 February 2020 systèmes FVL, combinant appareils habités, drones et large (concepts d’emploi, procédures, etc.), de l’organisation munitions maraudeuses, pénètrent dans le dispositif de dé- des unités, de l’entraînement, de la formation ou encore des fense adverse utilisant leur capacité d’attaque en conjonc- infrastructures d’accueil de ces systèmes. Au sein de l’Army tion avec les feux dans la grande profondeur qu’ils éclairent Futures Command (AFC) qui a en charge d’intégrer les tra- mais aussi en réalisant des assauts aéromobiles, lancés de- vaux de modernisation, le FVL fait l’objet comme les autres puis des distances opératives. Ils s’attaquent ainsi aux deux priorités d’un Cross-Functional Team (CFT), en l’occurrence capacités clés adverses : son système intégré de défense anti une équipe de 28 personnes (comprenant des spécialistes -aérienne (IADS) et son propre système de feux dans la pro- opérationnels, en acquisitions, en R&D, etc.) sous le com- fondeur. Une fois l’IADS adverse « fracturé », les capacités mandement du général de brigade Walter Rugen, lequel a FVL contribuent à disloquer le dispositif adverse en partici- directement accès aux bureaux du chef d’état-major, du vice pant à des manœuvres aéroterrestres de plus grande am- -chef d’état-major et du secrétaire à l’Army. Au niveau des pleur et en fournissant de l’évaluation des dommages (BDA) décideurs, le FVL est le creuset de la coordination entre 6 réalisés par les frappes2. organisations : l’état-major de l’Army (les bureaux G3/G5/G7 Plans, opérations et entraînement), l’Aviation & Missile Com- La stratégie capacitaire incrémentale vers le FVL mand (AMCOM) pour les questions de soutien et de mainte- Pour réaliser ces MDO à partir de la fin de la prochaine dé- nance, l’US Army Aviation Center of Excellence de Fort Ruck- cennie, l’Army a rehiérarchisé les axes de sa stratégie capaci- er (l’école d’arme de l’Army Aviation assurant notamment taire, accordant la priorité à six grands domaines (les « Big l’instruction), la communauté RDT&E (notamment l’Aviation Six »). Le FVL est la troisième de ces priorités, derrière la P1 & Missile Center du Combat Capabilities Development Com- que constituent les Precision Long-Range Fires déjà évoqués mand subordonné à l’AFC), le bureau programme (Program et le Next-Generation Combat Vehicle (NGCV). Bien entendu, Executive Office –Aviation) et l’US Army Special Operations la démarche vers les capacités MDO est incrémentale, ce Aviation Command (USASOAC). Le CFT œuvre avec bien d’autant que l’horizon de leur concrétisation a été sensible- d’autres acteurs : autres CFT au travers d’une équipe d’inté- ment repoussé. Il comprend maintenant deux étapes : gration horizontale au sein de l’AFC, industriels, contribu- « MDO Capable » pour 2028, correspondant à l’objectif ini- teurs académiques, etc. tial, et « MDO Ready » pour 2035. La modernisation des flottes existantes Comme tout développement capacitaire de grande ampleur, La première étape de l’Army Aviation, sur le court-moyen le FVL n’est pas uniquement une problématique matérielle terme, contribuant à l’objectif « MDO Capable » de 2028, est mais nécessite aussi une évolution des doctrines au sens de poursuivre la modernisation des flottes existantes. Le 15
chantier, qu’il s’agisse de l’acquisition d’appareils neufs ou Les quatre grands axes du FVL de rétrofit, concerne potentiellement (outre les 278 avions Le programme FVL proprement dit ne date pas d’hier puis- de renseignement ou de soutien alignés par l’AA): qu’il est né en 2008. Il se concrétise actuellement par quatre 791 hélicoptères d’attaque Apache AH-64, qui sont utili- lignes d’effort : deux lignes de plateformes (FARA et FLRAA), sés aussi en reconnaissance, en collaboration avec les les futurs systèmes télépilotés (FUAS, soit les drones et les drones, depuis le retrait de l’OH-58 Kiowa. Les versions D nouvelles munitions) ainsi que l’architecture ouverte modu- et E, actuellement en inventaire, doivent converger vers laire (MOSA). Ces quatre programmes figurent parmi les 31 un unique standard AH-64E V6, puis Block II, en seconde programmes de priorité absolue (plus les armes hyperso- moitié de la décennie 2020. La production doit cesser en niques et à énergie dirigée), figures de proue des Big Six, 2029 ; présentés par l’Army dans le cadre du budget 2020. 2.135 hélicoptères de manœuvre (« utilitary » dans la Le programme Future Attack Reconnaissance Aircraft (FARA) désignation américaine) UH/HH-60 Blackhawk. Les deux Il correspond à la CS1, une capacité disparue avec le retrait variantes UH-60 V et M vont converger vers la variante du Kiowa depuis deux ans et qui constitue le principal gap de M; l’Army Aviation, selon les hiérarques de l’Army. A ce titre, le 477 hélicoptères utilitaires UH-72 Lakota ; FARA doit remplacer la moitié des Apache déployés dans les 538 HTL Chinook, soit 465 CH-47F et 73 MH-47G des Heavy Attack Reconnaissance Squadrons où ils opèrent avant forces spéciales. Il s’agit déjà de la flotte la plus « jeune » tout en mission de reconnaissance avec les drones RQ-76. Cet de l’inventaire de l’Army Aviation, qui pourrait être mo- appareil doit être le « combattant au couteau » de l’Army dernisée au standard Block II ; Aviation, en mesure d’éviter la détection pour constituer, notamment, la pièce centrale du « bréchage » de l’IADS ad- 115 systèmes de drones tactiques RQ-7B Shadow devant verse. Le FARA doit ainsi être un « digital quarterback » être mis au standard BLK II ; comme le F-35, opérer en Manned-Unmanned Teaming avec 204 systèmes de drones de théâtre MQ-1C Gray Eagle les munitions maraudeuses (Air-Launched Effects, ALE, voire (variante du fameux Predator) devant être portés au ci-dessous) qu’il doit délivrer tant pour attaquer lui-même les standard Gray Eagle Extended Range 3. systèmes adverses – avec de nouveaux missiles longue por- Sur le plan organisationnel, ces appareils doivent continuer à tée également – que pour fournir du renseignement de ci- doter les onze brigades d’aviation de combat actuelles (qui blage au profit des feux dans la profondeur7. seront réorganisées en douze unités à l’horizon considéré) à Moins ambitieuse que le défunt RAH-66 Comanche, la plate- raison de 538 Apache, 583 Blackhawk, 132 Chinook et autant forme devra tirer sa survivabilité non pas tant d’une furtivité de systèmes de drones RQ-7 et de MQ-1C4. qui résidera surtout dans ses émissions sonores, que de sa L’Apache ainsi que le Blackhawk doivent bénéficier, à partir taille, de sa vitesse et des tactiques employées. Du reste, le de 2027, d’une modernisation de leur motorisation avec le général Rugen a récemment précisé des limitations impor- programme Improved Turbine Engine (ITE). GE Aviation, attri- tantes à l’emploi du FARA8. Même si la doctrine d'emploi tac- butaire du programme, explique que la nouvelle turbine tique de l'Army Aviation (ATP 3-04.1) inclut, à l'instar de la T901 qui en découle affichera 50% de puissance et 25% doctrine française de l’aérocombat, l'attaque au-delà de la d’efficience supplémentaire par rapport à l’actuel T700, per- ligne avancée des forces terrestres amies, l’embuscade ten- mettant d’augmenter les rayons d’action du Blackhawk et de due par les Irakiens à Kerbala en 2003 sur les Apache, mala- l’Apache, actuellement à 100 km, à 260 km et 215 km res- droitement avancés en raid dans leur dispositif (qui s’était pectivement, de doubler à plus de deux heures le playtime soldé par l’endommagement de 30 appareils et la perte de de l’Apache à 100 km ou encore d’augmenter de 150%, à l’un deux), semble rester dans les mémoires, ce qui limiterait près de 6000 lb (2,7 t), la charge utile du Blackhawk5. Cet ITE dans la pratique les opérations d’attaque dans la profondeur. sera ensuite intégré aux programmes du FVL. Le FARA ne sera donc pas employé de façon autonome dans cette profondeur, il devrait évoluer en appui, « over the Il s’agit bien, comme évoqué ci-dessus, d’une poursuite des shoulder », des forces terrestres, qu'il s'agisse d'unités méca- efforts de modernisation car l’Army a activement financé les nisées sur NGCV ou d'unités d'assaut aéromobile. rétrofits et les acquisitions d’appareils neufs depuis 20 ans. Elle se trouve dans la situation paradoxale d’une flotte Les spécifications basiques fixées par l’Army sont la motori- « jeune » dont environ 2.000 de ses quelques 5.000 avions et sation par l’ITE, une masse maximale en charge de 14000 lb hélicoptères (sans compter les 17.500 drones) sont rentrés (6,35 t), une vitesse de croisière à pleine charge d’au moins en service au cours de la dernière décennie, mais composée 180 nœuds (330 km/h), un armement composé, entre d’appareils principaux dont la conception fondamentale re- autres, des ALE et d’un canon de 20 mm. monte à la guerre froide. Cette modernisation s’impose d’au- Les spécifications désirées mais négociables concernent, no- tant plus que la mise en service des systèmes FVL sera très tamment, le rayon d’action (135 MN, 250 km), l’endurance progressive et ne concernera qu’une partie de la flotte, en ce (> 2 heures), une charge utile reconfigurable de l’ordre de qui concerne du moins les hélicoptères. On trouvera encore 1400-2000 lb (635-907 kg) et le caractère optionnellement à l’horizon 2040 dans l’inventaire de l’US Army de nombreux pilotable. Apache, Blackhawk, Lakota et Chinook… 16
Conception d’emploi du FARA Source : Dan Bailey, US Army Future Vertical Lift Project Updates, présentation, 11 septembre 2019 Airbus avait annoncé sa participation à ce programme avec Le programme Future Long Range Assault Aircraft (FLRAA) son Rapid and Cost-Effective Rotorcraft (RACER)9 mais il a été Correspondant à la CS3, le FLRAA est destiné à remplacer les écarté dès la phase initiale de sélection. Les deux compéti- UH-60 pour les missions d’assaut aéromobile, de soutien et teurs retenus en mars 2020 pour les phases de conception, d’évacuation sanitaire (EVASAN). Contrairement au FARA, si de fabrication et de tests sont Sikorsky (désormais intégré au l’Army est le service leader du programme, l’appareil sera groupe Lockheed Martin), qui propose le S-97 Raider, et Bell, aussi mis en œuvre par le Corps des Marines et l’US Special qui propose l’Invictus 360. La sélection du vainqueur et le Operations Command, ce qui complique les spécifications et lancement formel de la phase d’Engineering and Manufac- les appréciations de coût, notamment. Il n’en reste pas ture Development (EMD) du programme doit intervenir en moins que le programme est le plus avancé des éléments du 2024 pour une éventuelle capacité opérationnelle initiale FVL. Le Critical Design Review du FLRAA se basera ainsi sur le (IOC) en 203010. Joint Multi-Role Technology Demonstrator (JMRTD), lancé depuis 2016 et qui s’achève en 2020. S’y sont affrontés Images d’artiste du Bell 360 Invictus et quatre compétiteurs : les appareils proposés par AVX Air- du Sikorsky S-97 Raider craft, Karem Aircraft, le SB-1 Defiant proposé par Boeing- Sikorsky (comme le S-97, c'est un appareil hybride à rotors coaxiaux contrarotatifs avec hélice propulsive, censé conser- ver l'agilité à basse vitesse de l'hélicoptère conventionnel), et le convertible V280 Valor proposé par Bell. Comme pour FARA, ce sont ces deux derniers projets qui ont été retenus en mars 202011. L’IOC du FLRAA était initialement envisagée pour 203412 mais l’Army a décidé d’accélérer le programme pour parvenir à une première unité équipée dès 203013. Les spécifications du JMRTD qu’atteignent voire dépassent les deux compétiteurs sont, entre autres, une charge utile de 12 combattants équipés, une vitesse de croisière de plus de 425 km/h, un rayon d’action de 424 km (d’où un concept d’emploi de manœuvre 3D d’une heure, dans des profon- deurs opératives). C'est la vitesse qui constitue la principale rupture en matière de performances par rapport au Blackhawk. Elle a été déterminée par la mission EVASAN : elle prévoit une évacuation « zéro risque », en une heure, en 17
V280 Valor SB-1 Defiant Tableau des spécifications de l’Army pour le Future Long Range Assault Aircraft (FLRAA) et comparaison avec les performances affichées du Valor et du Defiant Source spécifications du FLRAA : Long Range Assault Aircraft (FLRAA) Request For Information (RFI), Apr 5, 2019 tout point de la zone d’opération d’une brigade de combat 202016 mais le Congrès a rétabli les financements de prépa- de 300 km2, ce point se trouvant donc à des distances maxi- ration de cette entreprise. La décision de procéder à cette males de 150 à 212 km du centre de l’unité – où l’on présup- modernisation doit intervenir en 202117. Ce chantier, s’il est pose la présence de l’hôpital – selon la géométrie de la effectivement lancé, devrait probablement repousser la prise zone14. en compte d’une plateforme de transport lourd de nouvelle génération, dernier élément du FVL, à l’orée des années La Request for Information (RFI), émise pour le LRAA, précise 205018. L’Army devrait préciser son besoin en la matière en les capacités attendues par l’Army, l’USMC et l’USSOCOM (voir tableau ci-dessus). À noter que les spécifications de 2023. l’Army ne mentionnent pas d’armement mais les différents Les Future Unmanned Aircraft Systems (FUAS) entretiens laissent penser que le FLRAA pourra lui aussi Le troisième axe du FVL comprend tout d’abord les nouveaux mettre en œuvre, au moins, les ALE. L’USMC, en revanche, a systèmes de drones proprement dit qui se concrétisent dans clairement un besoin pour une intégration d’armements au trois programmes : FLRAA qu’il destine non seulement aux missions utilitaires et d’assaut mais aussi à l’appui aérien rapproché ou encore à Les Advanced UAS (AUAS) qui doivent remplacer les l’escorte des V-22 Osprey15. drones de théâtre Gray Eagle et dont on sait encore peu de choses ; Incertitudes sur les autres programmes de plateformes Les Future Tactical UAS (FTUAS) qui doivent prendre la Concernant ses autres hélicoptères, l’Army n’a pas encore suite des drones tactiques RQ-7 Shadow. Ces drones doi- lancé de programmes relevant de la CS2 pour remplacer les vent être mis en œuvre sans piste, disposer de capacités Apache déployés dans les Attack Reconnaissance Battalions d’autonomie accrues et de caractéristiques dont la mission est avant tout l’attaque. C’est l’un des sujets (manœuvrabilité, navigation, etc.) leur permettant d’opé- d’incertitude majeur quant à la configuration précise que rer en environnement contesté. Quatre compétiteurs prendra le FVL. sont en lice : Arcturus UAV avec le Jump 20, L3 Harris Quant à la modernisation du Chinook CH-47F en version Technologies avec le FVR-90, Textron avec l’Aerosonde Block II, son avenir est lui aussi incertain : le DoD avait déci- HQ et Martin UAV avec le V-Bat19 ; dé d’y renoncer dans le cadre de sa requête budgétaire Enfin, les Short Range Recon (SRR) UAS, les mini-drones déployés par les combattants débarqués, que nous ne développerons pas ici plus avant. 18
Vision de l’Advanced Teaming de l’Army Aviation Source : Carvil E.T. Chalk, Aviation S&T for the AMTC, U.S. Army Research, Development And Engineering Command, Avia- tion Development Directorate, presentation, 20 November 2018 Font partie également de ces FUAS, les Air Launched Effects FARA, FLRAA et les drones embarqueront enfin de nouveaux (ALE), c’est-à-dire les drones/missiles air-sol maraudeurs, missiles, développés incrémentalement : les Modular Missile déjà évoqués. Ils représentent une pièce essentielle du sys- Technologies (MMT) peu coûteuses, reprenant le segment de tème de systèmes FVL dans la mesure où ils disposeront de la roquette guidée Advanced Precision Kill Weapon System charges diverses qui en feront les véritables éléments au (APKWS) et le Joint Air-Ground Missile (JAGM) qui commence contact de l’AA, en contre-A2/AD : ISR/BDA, cinétique et à succéder aux Hellfire depuis l’an dernier. L’Army entend brouillage stand-in, désignation d’objectifs, leurres, etc. également acquérir une nouvelle Long Range Precision Muni- tion (LRPM) pour conférer à ses plateformes une capacité Ces appareils doivent de plus opérer en essaim. Le besoin de d’engagement stand-off a minima. La RFI, diffusée en sep- l’Army semble s’orienter vers deux catégories d’ALE, l’une de tembre 2019, stipule que ce missile est destiné à engager des drones de maraudage lents et l’une de drones plus rapides et cibles stationnaires ou mobiles (IADS, C2, véhicules blindés et de plus longue portée. Le vrai défi est de pouvoir mettre en personnel) par tous temps et en l’absence de GPS. Il doit œuvre ces drones depuis la très basse altitude (moins de afficher une portée de plus de 30 km et une vitesse subso- 100 m). Aucun système de la sorte n’existe actuellement sur nique haute (1000 km/h) et bien sûr disposer d’une liaison le marché. Le plus proche est le drone ALTIUS (4 heures d’en- de données23. Le missile Spike-NLOS, même s’il n’est pas en durance, portée de 400 km mais charge utile de 3 kg) que mesure de frapper ses cibles dans toutes les conditions re- l’Army a testé avec succès en 2018 depuis un Blackhawk, quises, a été testé avec succès sur Apache et fournira à partir pour valider le tir de drone depuis un hélicoptère. Là encore, de 2023, une capacité intérimaire de LRPM24. de multiples expérimentations sont prévues dans les années à venir20. Une première version de ces ALE doit rentrer en L’architecture ouverte modulaire (Modular Open System Ap- service sur les appareils actuels aux alentours de 2024- proach, MOSA) 202521. Ce quatrième axe est transverse aux trois précédents. La L’ensemble de ces éléments mais aussi les éléments ter- MOSA doit permettre aux différents programmes de parta- restres (véhicules, combattants) doivent opérer en ger le maximum d’éléments et ainsi, d’une part, réduire les « Advanced Teaming », version plus élaborée du Manned- coûts de développement, d’autre part, accélérer et flexibili- Unmanned Teaming liant incrémentalement AH-64 et drones ser la modernisation des capacités, l’obsession du Pentagone Gray Eagle / Shadow 200 au sein des Combat Aviation Bri- et du Congrès pour renverser la dynamique d’érosion de la gade de l’Army, depuis une dizaine d’années. Un Advanced supériorité américaine face aux montées en puissance russe Teaming Demonstration Programme (A-Team) destiné à tes- et chinoise. ter les technologies et les concepts d’emploi de cette colla- boration a été lancé en 2019 pour culminer en 202322. 19
Expérimentation de l’Advanced Teaming de l’Army Aviation Source : Carvil E.T. Chalk, Aviation S&T for the AMTC, U.S. Army Research, Development And Engineering Command, Aviation Development Directorate, presentation, 20 November 2018 En effet, l’architecture ouverte modulaire (MOSA) permet de interfaces logicielles en avionique26. De fait, FACE représente désolidariser la gestion de la plateforme, au long court, et le plus ancien standard MOSA, le plus large quant à son celle de ses équipements et charges utiles qui peut enfin scope et à la participation industrielle (l’« Open Group » réu- adopter un cycle de rafraîchissement plus rapide en phase nissant tous les grands plateformistes et équipementiers), avec la vélocité des évolutions technologiques. initialement sponsorisé par la Navy et l’Army27. De multiples L’Office of the Secretary of Defense (OSD) préconise la mise démonstrations, les Mission Systems Architecture Demo en œuvre de ces MOSA depuis plusieurs années dans le (MSAD), menées sur 4 ans dans le cadre de la JMRTD, ont cadre des mesures du Better Buying Power, déployées par précisément pour objet de tester et de murir ces standards. Ashton Carter au début de la décennie 2010. Le recours à ces L’Army mentionne bien sûr l’architecture JCA/FACE mais aus- architectures, sauf exception, est devenu une obligation lé- si son pendant matériel, le Hardware Open Systems Techno- gale pour tous les programmes d’armements majeurs avec la logies (HOST)28. Impulsé par la Navy, ce dernier standard est National Defense Authorization Act de l’année 2017 (Section déjà mis en œuvre, par exemple, sur des composants du 805). Généralement lancés et sponsorisés par les armées, F-3529. Le FVL va tout autant reposer sur la Sensor Open Sys- une quinzaine de standards matériels et/ou logiciels pour tems Architecture (SOSA). Incubée dans FACE en 2015, initiée systèmes terrestres et aériens, principalement l’avionique et par l’Air Force, la SOSA a vocation désormais à standardiser la vétronique, ont été produits ou sont en train d’être pro- les interfaces logicielles et physiques pour tous les types de duits par les industriels américains, réunis en de vastes con- capteurs, systèmes de guerre électronique et de communica- sortiums. De natures, portées et cheminements variés, ces tion. C’est en fait autour de la SOSA que semble s’organiser architectures fournissent surtout des standards d’interface la convergence des différents autres standards, pas unique- entre les composantes et les plateformes et l’approche pour ment pour le FVL et y compris dans le domaine terrestre 30. réaliser et valider les éléments correspondant. Elles exploi- A noter que la communité des éléments entre le FARA et le tent des Government Reference Architectures (GRA) offrant FLRAA ne s’arrête pas aux architectures avioniques ou à l’ITE. un point de référence pour une fonction donnée (par Les deux appareils doivent, par exemple, aussi partager le exemple, communications, radars, drones, guerre électro- même cockpit. nique, systèmes PNT) 25. Les interdépendances principales avec les autres Dans le cas du FVL, le travail sur la MOSA a été lancé dès le priorités de modernisation lancement du programme en 2009 avec le développement d’une GRA, en l’occurrence nommé Joint Common Architec- Mentionnons enfin l’étroit couplage du FVL avec les autres ture (JCA). De multiples études ont été contractualisées avec priorités de la modernisation de l’Army : les industriels (Boeing, Lockheed Martin/Sikorsky, Honey- Les LRPF, que le FARA et ses drones doivent éclairer. On well, UTC/Rockwell Collins) d’où il ressort que cette architec- rappellera ici que l’Army œuvre au doublement de portée ture devrait notamment se baser sur le standard Future de l’ensemble de ses systèmes et en conçoit de nou- Airborne Capability Environment (FACE) concernant les veaux. Cela concerne évidemment les feux tactiques avec 20
notamment l’Extended Range Cannon Artillery (ERCA) et De façon générale, le budget Modernization de l’Army (total les roquettes GMLRS Extended Range (GMLRS ER) tirant à des crédits RDT&E et acquisition) a atteint un pic de 42 Mds$ 150 km. L’Army entend aussi se doter des moyens per- en 2018 et se réduit depuis ; un déclin qui devrait se pour- mettant de frapper avec précision l’adversaire dans la suivre sur la FY21 puis ce budget devrait se stabiliser à envi- portée opérative, avec le Precision Strike Missile (PrSM) ron 34 Mds$ dans la programmation à 5 ans (Future Years remplaçant l’ATACMS et devant dépasser les 500 km et, Defense Program, FYDP), allant de pair avec le budget 2020. même stratégique, avec le Strategic Long Range Canon et Sans surprise en raison des grands programmes de plate- le Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW) ; formes, les crédits Aviation comptent pour la plus grosse Le Network, bâtissant une architecture de transmission à part de ce budget, à égalité avec ceux consacrés aux véhi- la fois plus facile à configurer, plus flexible, aux éléments cules terrestres, soit 16 % (près de 5 Mds$, soit 19% du total plus mobiles que par le passé, et plus résiliente face aux des crédits d’acquisition, et un peu plus de 1 Mds$, soit 9% capacités de guerre électronique dont les Russes et les du total des crédits RDT&E). Sur 2020 et l’ensemble de cette Chinois font étalage. Il couvre également les nombreux FYDP, ce sont 4,7 Mds$ qui seront dépensés sur le FVL34. travaux relatifs à l’environnement informatique et aux Paradoxalement, comme le FVL est un portefeuille capaci- applications employées par les états-majors, unités, pla- taire encore peu mature, n’incluant pour ce court-moyen teformes et combattants débarqués ; terme que des crédits RDT&E, il représente la plus petite fraction des fameux « Big Six ». Les dépenses somptuaires L’Assured Positinning Navigation and Timing (APNT) pilo- viendront plus tard, éventuellement si les conséquences té par un CFT spécifique. La capacité à maintenir ces ca- budgétaires de la crise le permettent encore (voir ci- pacités de PNT en environnement électromagnétique dessous). dégradé, notamment sans le GPS qui en représente en- core l’épine dorsale, est une priorité de l’Army. Comme Pour le plus long terme, tant le CSIS que le CBO35 ont réalisé les autres services, elle œuvre à une stratégie plurielle : des études d’estimation des coûts d’acquisition (CBO) et de emploi du GPS avec le M-Code et nouvelles antennes possession plus globale (CSIS) de ces nouvelles plateformes. antibrouillages mais aussi recours à d’autres moyens spa- Les experts des deux organismes restent évidemment pru- tiaux, à des pseudolites, enfin, étalé sur le moyen-long dents compte tenu des nombreuses incertitudes program- terme, développement de centrales inertielles et de sys- matiques : modernisation des CH-47F ? retrait ou redéploie- tèmes d’horlogerie embarqués affichant des perfor- ment des AH-64E avec l’arrivée du FARA ? maintien ou non mances leur permettant de se passer de sources PNT ex- de la production du Blackhawk avec l’arrivée du FLRAA ? etc. térieures (avec l’appui déterminant de la DARPA). Préci- sons, enfin, que le CFT APNT a pris en compte également, pour des raisons de cohérence, le développement des capacités spatiales d’ISR / Reconnaissance, Surveillance and Target Acquisition (RSTA) ainsi que celles de la Navi- gation Warfare, la guerre électronique focalisée sur le PNT31. Les financements L’Army serait encore incertaine et, en tout cas, n’a pas com- muniqué précisément sur les cibles d’acquisition des FARA et FLRAA mais explique que le remplacement nombre pour nombre des appareils actuels n’est pas forcément une ap- proche pertinente. Sydney J. Freedberg Jr., Army Aviation Modernization, eBrief, Concernant le FARA, un des responsables du PEO- Breaking Defense, April, 2019, p.5 Aviation a indiqué récemment qu’il « n’était pas en dé- saccord » avec les estimations indépendantes portant sur De leurs différents scénarios, ils tirent cependant la conclu- l’achat de 300 à 400 appareils pour un montant de 15-20 sion que les coûts d’acquisition du FLRAA et du FARA de- Mds$32. Cependant, tout dépendra de la décision de l’Ar- vraient rester abordables si on les compare avec les crédits my de procéder ou non au développement d’un succes- dépensés par l’Army depuis 20 ans pour moderniser son Ar- seur dédié à l’AH-64, qui confinerait le FARA aux esca- my Aviation. Il est à noter cependant que ces études n’indi- drons de reconnaissance. Le scénario d’une étude de quent pas si elles prennent en considération les autres pro- coût, réalisée par les chercheurs du CSIS, part sur une grammes FVL, tels que les drones, ni d’éventuels lancements hypothèse d’acquisition de 280 appareils, crédible avec de programmes sur les CS2 et CS6. cette logique33 ; Le CBO est parti d’un coût d’acquisition unitaire moyen jus- Pour le FLRAA, le CSIS prend comme présupposé l’acqui- qu’en 2050 de 53 M$ pour le FLRAA et de 40 M$ pour le sition de 378 appareils et le retrait d’un nombre équiva- FARA (en $ constant FY18). A noter d’ailleurs que Bell an- lent d’UH-60. nonce un coût unitaire (Flyaway ?) pour son V280 de 30 M$36. Sur cette base, le CBO estime que les montants d’acquisition annuelle de l’Army pour ses aéronefs, incluant 21
30 FARA et 30 FLRAA atteindraient un plateau de 4 Mds$ sions programmatiques restent à prendre, notamment sur durant la première partie de la décennie 2030 pour décliner un futur appareil d’attaque devant succéder aux Apache qui ensuite. Même si les acquisitions passent vers 2038 à ne seront pas remplacés par le FARA (le CS2), sur le futur 60 FLRAA pour accélérer le rajeunissement de la flotte, on aéronef de transport lourd qui devra faire suite au Chinook reste loin des 6 Mds$ dépensés en moyenne sur la période (CS6) et, bien entendu, sur la transition des flottes actuelles 2010-2018. Le bureau Cost Assessment and Program Evalua- vers ces nouveaux systèmes. tion (CAPE) du Pentagone estime au demeurant que dans le Ensuite, plusieurs facteurs peuvent faire dérailler l’entre- cas des appareils à voilure tournante, les dépenses d’opéra- prise. Le premier venant à l’esprit est évidemment le volet tions et de maintenance constituent historiquement à elles financier. Si les quatre programmes majeurs du FVL semblent seules 68% de leur coût de possession. pouvoir être financés dans l’enveloppe des efforts actuelle- Enjeux et problématiques industriels ment consentis, la marge est bien faible pour prendre en compte les autres programmes évoqués ci-dessus, dont la Le FVL représente un enjeu industriel majeur, la clé de la criticité va pourtant rapidement se poser et forcera sans survie des compétences de la BITD américaine en la matière. doute l’Army à des compromis douloureux. Encore faut-il Ces dernières semblent avoir été mises à mal par l’absence que les financements soient maintenus ce qui, dans le con- de développement de projets entièrement nouveaux au sein texte budgétaire post-COVID-19, n’a rien d’évident. Si les des forces américaines depuis les années 80, donc par des crédits de la FY21 pourraient rester préservés, bon nombre financements RDT&E ténus du Pentagone qui reste le princi- d’experts américains craignent une réduction massive de pal client des industriels américains. Il semble que les hié- l’effort, que cette dernière provienne de l’affirmation des rarques de l’Army soient plus que jamais conscients de cette « budget hawk » au Congrès devant les déficits abyssaux question et entendent la prendre pleinement en compte générés par le vaste programme de stimuli économique ou dans la gestion du programme, la sélection des fournisseurs, d’une orientation démocrate en cas de victoire de Joe Biden etc.37 en novembre, entendant classiquement rééquilibrer les dé- Les points de défaillances potentiels, selon Rhys McCormick penses militaires et non-militaires. Le risque d’une saignée et Andrew P. Hunter du CSIS38, résideraient dans les équipe- de même ampleur que celle du Budget Control Act de 2011 mentiers sous-traitants de niveau 3. En effet, la nouvelle gé- est donc plausible. Dans ce type de situation, les services nération des systèmes FVL va s’accompagner d’une accéléra- privilégient systématiquement le maintien de la Readiness, tion de la mise en œuvre des nouveaux procédés industriels ce qui se ferait mécaniquement au détriment de la moderni- chez les grands plateformistes, Bell et Sikorsky, et leurs sation, dont le FVL. Pire encore, compte tenu des fractures grands équipementiers sous-traitants : impression 3D, qui parcourent la société américaine et de la personnalité du « digital twin » (une technologie née avec la conquête spa- président Trump qui ont polarisé comme jamais le paysage tiale consistant en une réplication numérique d’un équipe- politique, il ne faut pas exclure, par exemple, à l’occasion des ment réel pour évaluer, avec force intelligence artificielle, élections de novembre, une crise majeure paralysant les ins- l’évolution de ses performances, ses points de fragilité, etc.), titutions. maintenance prédictive, etc. L’enjeu est de savoir si ces équi- Ces sombres perspectives ne sont pas pour autant gravées pementiers de rang 3 pourront s’adapter, d’autant que les dans le marbre. Une reprise économique plus vigoureuse plateformistes, principalement intégrateurs depuis des dé- qu’anticipée, à laquelle semblent d’ailleurs se raccrocher les cennies, comptent réinternaliser en leur sein la fabrication chefs d’entreprises et les marchés, reste tout à fait plausible. de plusieurs éléments. De plus, on pourra objecter que la situation stratégique n’est Une autre problématique réside dans le niveau de préserva- plus la même que celle des années 2008-2010 : les défis po- tion de la propriété intellectuelle. Les MOSA la garantissent sés par la Russie et la Chine, qui ont au demeurant remis en en théorie, dans une certaine mesure, en définissant des selle les « defense hawks » depuis le milieu de la décennie, interfaces matérielles et logicielles communes aux sous- devraient rester particulièrement significatifs. systèmes mais elle reste une question sensible. Selon les Mais là encore, gare aux trompe-l’œil. Dans le programme de experts du CSIS, c’est même la partie la plus difficile du FVL. modernisation de l’Army, seuls les Long Range Precision Les industriels se demandent, par exemple, si l’objectif réel Fires, la priorité n°1, et la défense antiaérienne et antimissile de l’Army est d’accélérer la modernisation de ses systèmes sont vraiment requis sur les deux grands théâtres potentiels. ou de réduire les coûts. Quoi qu’il en soit, il semble que la En revanche, le FVL, tel qu’il se préfigure, comme les autres MOSA doive encore faire l’objet de multiples discussions priorités que sont le NGCV ou le Soldier Lethality, sont taillés entre les deux parties pour être mature. pour doter les Etats-Unis d’un dispositif aéroterrestre face à Un programme dont la destinée précise reste la Russie mais n’ont que peu d’utilité dans les opérations sur encore incertaine les chaînes d’îles et les vastes étendues aéromaritimes du Pacifique occidental et de la Mer de Chine. Or, la Chine, bien L’enjeu industriel, de même que l’ancienneté de la quasi- plus que la Russie, s’affirme comme le véritable peer- totalité des designs de plateformes actuels, ne laissent pla- competitor et la principale préoccupation des Américains. ner que peu de doutes sur la poursuite du FVL. Cependant, Mark Esper l’a résumé il y a quelques mois : « China, China, l’ampleur réelle et la physionomie qu’il revêtira au final reste China ». des inconnues à ce stade. Tout d’abord, de multiples déci- 22
Vient ensuite le facteur doctrinal et capacitaire. Même dans contexte interdit ou limite ces assauts aéromobiles ? Pour le cas où la dissuasion de Moscou de tout aventurisme dans étayer plus encore sa crédibilité, la vision de l’Army devrait ses atterrages reste une priorité, on perçoit, en ce moment, nécessairement intégrer le concept d’aéro-mécanisation qui dans le débat stratégique américain, un glissement en faveur ne pourra advenir, le cas échéant, qu’avec le successeur du d’options opérationnelles relevant plutôt de la « Detterence Chinook et surtout totalement intégrer son action avec celle by Denial », fondée en premier lieu sur la puissance de feu de l’USAF. massive de portée opérative voire stratégique. De plus, si Considérant tous ces éléments, c’est bien à une rupture l’Army maîtrise comme aucune autre armée la manœuvre d’ordre culturelle, la plus difficile de toute, qu’invitent le FVL aéromobile de grande ampleur, les manœuvres 3D limitées, et le MDO. Il ne serait donc nullement étonnant que ce der- type raid, ciblant les centres déterminants en environnement nier concept finisse par être amendé et, avec lui, la stratégie fortement contesté, comme le prévoit le concept MDO, in- capacitaire, au détriment des capacités de ma- terrogent. Le concept d’un « bréchage » de l’IADS adverse nœuvre aéroterrestre, menant à une réorientation voire à par des FARA disposant d’une portée d’effet direct de une réduction de l'effort porté sur le FVL. quelques dizaines de km, leur permettant d'opérer à dis- tance de sécurité des batteries sol-air courte portée proté- Dernier facteur à prendre en compte, il convient de ne pas geant les systèmes les plus critiques adverses et éclairant les oublier que l’Army est le service qui présente le plus triste feux dans la profondeur, pourrait en soi faire sens. bilan en matière de gestion programmatique, ayant accumu- En revanche, l'action 3D intégrée sur ces centres détermi- lé ces 20 dernières années des échecs retentissants, tels que nants, réalisée en synergie avec des unités aéromobiles dé- le Future Combat Systems ou encore le RAH-66 Comanche. barquées, telle qu'imaginée actuellement, laisse pour le Certes, les institutions, comme les individus, apprennent de moins perplexe car ces unités, par essence peu mobiles, de- leurs erreurs et l’Army a exécuté avec succès, bon nombre vraient par nécessité être projetées à proximité des objectifs d’autres projets, comme la numérisation. Cependant, les adverses. Cette conception d'une réelle audace implique une incertitudes, la faible marge de manœuvre et les possibles prise de risques qui peut correspondre à des opérations spé- failles esquissées ici rendent d’autant plus ardue la poursuite ciales (Rangers, par exemple) mais dont on peut douter au long court de ce projet de FVL. qu’elle soit dans l’ADN des unités conventionnelles. En tout état de cause, elle exige au préalable de réduire significative- Philippe GROS Maître de recherche, FRS ment les capacités d'interdiction tactique adverses. De ce fait, le système de systèmes centré sur le FARA devrait bel et bien opérer en totale autonomie lors de la phase initiale de l'engagement. Et quid, dès lors, de l'emploi du FARA si le 23
Notes 22.Garrett Reim, « US Army starts manned-unmanned demo 1.Future Vertical Lift Initiative Tri-fold, Vertical Lift Consor- for future rotorcraft », Flght Global, 14 March 2019. tium, Oct. 2015. 23.DoD News, « Army Issues RFI for Long Range Precision 2.TRADOC Pamphlet 525-3-1, The US Army in Multi-Domain Munition (LRPM) for Rotary Wing and Unmanned Aircraft Operations, 6 December 2018. Systems », Defense Systems Journal, Sep 11, 2019. 3.COL Rob Barrie, PEO Aviation Objectives, présentation, PEO 24.Future Vertical Lift Cross Functional Team (FVL CFT), Aviation Industry Day, 12 February 2020. « Projecting Long-Range Power and Payload », entretien avec 4.Ms. Leslie Hyatt, PEO Aviation Roadmap, présentation, PEO Armor & Mobility, March/April 2020, p.25. 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